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Intervention de Jérôme Lambert

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Lambert :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, un pays où la protection de la liberté d'expression de la presse n'est pas pleinement assurée est une nation où toutes les autres libertés sont menacées.

Cette protection de la presse est directement liée à la pratique démocratique. Sans liberté d'informer, la démocratie n'existe pas.

Or, pour informer pleinement les citoyens, la presse – ses journalistes et tous ceux qui concourent avec eux à son existence et à sa réalisation – doit pouvoir faire état d'informations librement recherchées.

Si les sources de ces informations sont d'une quelconque façon menacées, la possibilité de recourir à de telles sources se tarira. C'est toute la liberté de la presse, et donc un pan entier de notre système démocratique, qui s'écroulerait.

Nous examinons ce texte, comme beaucoup trop souvent, dans des conditions qui n'ont pas facilité le travail parlementaire. Il a fait l'objet d'une succession de reports, d'inscriptions et de désinscriptions à l'ordre du jour, alors même qu'il s'agit d'un projet sensible, qui touche à un sujet complexe : la nécessité de garantir de manière inconditionnelle une information libre, d'une part, et les éventuels besoins de l'instruction judiciaire et de la protection individuelle, d'autre part.

Deux logiques se confrontent donc ici, autour de la question de la protection des sources, des logiques qui ont parfois conduit des journalistes à être injustement pris à partie par la justice, comme des citoyens ou des institutions ont pu l'être par des organes de presse.

Comment concilier les droits de la presse à informer librement, en recueillant ses propres sources, sans pour autant fragiliser la justice dans ses missions, qui sont de protéger l'ensemble de la société et chaque individu ?

La question était de savoir comment déterminer la protection convenable de la libre information en démocratie quand la mission de l'informateur, la presse, s'oppose aux intérêts de la société, ou à un secret partagé – secret de l'instruction ou secret d'initiés, par exemple.

Si la presse ne peut être placée au-dessus des lois, la protection de ses sources est un enjeu démocratique.

Depuis longtemps, les journalistes souhaitent une évolution de la législation, pour tendre à mieux protéger la confidentialité de l'origine de leurs sources. Leurs représentants avancent « le droit et l'obligation au respect de la confidentialité sur l'origine de ses informations, sans exception et sans possibilité de contrainte ». Ils demandent que « tout journaliste entendu à quelque titre que ce soit sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité [puisse] ne pas en révéler l'origine » et que « nul ne [puisse] prendre des dispositions afin de l'y contraindre ».

Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, déclarait ceci lors de la première conférence de presse qu'il a tenue après son élection : « Un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources. Chacun doit le comprendre, chacun doit l'accepter. »

Ce texte parvient-il à répondre à de tels enjeux ? Je pense que non. En voici les raisons.

Si le principe de la protection du secret des sources des journalistes est reconnu par le projet de loi, son article 2 lui donne des limites qui en relativisent singulièrement la portée générale.

Ainsi, il est stipulé que cette protection ne s'applique que si elle doit « permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ». Cette formule laisse ouverte toute possibilité d'appréciation par la puissance publique de la qualité de l'information, y compris en fonction de son propre intérêt ou de ceux qu'elle entend spécifiquement protéger...

Qui plus est, l'atteinte à la protection du secret devient possible, en particulier dans le cadre d'une procédure pénale.

Aussi, la protection accordée devient très incertaine. Elle ne jouera pas, faute de défense d'intérêt général, dans des affaires dites privées, comme l'affaire du SMS qui aurait pu être adressé à Cécilia Sarkozy, ou encore dans les affaires commerciales, qui peuvent pourtant avoir de grands retentissements sur la société dans son ensemble.

À l'inverse, en raison de la sensibilité d'une affaire d'État, comme l'affaire des fichiers Clearstream, l'intérêt général pourrait continuer d'être invoqué pour gêner le travail d'investigation des journalistes, tout comme l'est aujourd'hui le « secret défense » dans l'affaire Guillaume Dasquié, qui est actuellement en cours d'examen par la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris – celle-ci doit l'examiner, à huis clos, le 26 juin prochain –, et qui concerne des informations publiées dans le journal Le Monde le 17 avril 2007.

En outre, ce texte ne visant a priori que les affaires pénales, on pourrait craindre que les atteintes au secret des sources puissent ne pas être exceptionnelles dans des procédures autres que pénales, par exemple une enquête administrative.

De manière tout aussi problématique, nous pouvons déplorer une définition équivoque du journaliste protégé. Il doit être un professionnel, ce qui exclurait la protection des journalistes sans carte, des stagiaires et des rédacteurs occasionnels, notamment de certains éditorialistes exerçant une autre profession, par exemple des magistrats, des fonctionnaires, des élus, des médecins, etc.

Quid, également, des opérateurs de télécommunications, qui ne sont évidemment pas des journalistes, mais qui peuvent détenir de précieux renseignements concernant les communications données ou reçues par des journalistes ? Pourront-ils refuser de communiquer un état des communications du journaliste concerné ?

Dans la définition actuelle du statut de journaliste, il convient que celui-ci perçoive une rémunération régulière. Se pose donc la question du journaliste indépendant, du journaliste par ailleurs auteur d'ouvrages, ou même du journaliste pigiste qui exerce son métier à titre occasionnel dans la presse écrite ou dans les médias en ligne.

Quant aux garanties apportées par le texte dans le domaine des perquisitions, on peut noter quelques progrès sensibles, sauf en ce qui concerne la présence sur les lieux du procureur ou du magistrat instructeur, plutôt que du juge des libertés... Car comment protéger un secret s'il tombe directement sous les yeux des personnes intéressées ?

S'agissant de la procédure permettant au journaliste de contester devant le juge des libertés et de la détention la régularité de la saisie d'un document, elle ne semble pas susceptible d'appel. Et même si le bien-fondé de cette contestation est reconnu par le magistrat, cette procédure n'aura pas empêché les autorités enquêtrices d'avoir eu éventuellement accès à la source, cette protection intervenant alors trop tard pour ce qui concerne la sauvegarde du secret des sources !

Ce texte, en définitive, laisse intacte toute possibilité pour la justice d'incriminer un journaliste pour « faux et usage de faux », ou, bien entendu, pour « recel de violation du secret de l'instruction », ce qui permettra alors aux enquêteurs de chercher ce qu'ils voulaient savoir en matière de sources, même si, a posteriori, le délit s'avère ne pas être constitué !

Ne pas traiter cette question, c'est menacer un pan entier de la protection des sources des journalistes. Or tel semble pourtant le choix du Gouvernement. Madame la garde des sceaux, le 10 février, sur Europe 1, vous avez été claire à ce propos, puisque vous déclariez ceci : « Nous sommes sur la protection des sources s'agissant de la révélation de l'origine d'une information, pas de la révélation d'une calomnie, d'une contre-vérité ou d'un mensonge. » Voilà qui est révélateur de la véritable volonté du Gouvernement en matière de protection des journalistes, et qui est de nature à maintenir une inquisition permanente sur les journalistes et leurs collaborateurs.

Toute vérité qui ne serait pas « labellisée officiellement » serait vite considérée comme un soupçon de calomnie, une contre-vérité ou un mensonge, et laisserait s'opérer des pratiques encore en vigueur aujourd'hui, en dehors de toute décision de justice, qui seule devrait pouvoir déterminer la calomnie ou le mensonge.

Pour toutes ces raisons, ce texte est loin de nous satisfaire, malgré quelques-unes de ses dispositions. Et il est loin de satisfaire l'ensemble des intéressés. Nous devons lui manifester notre opposition, en raison de ses ambiguïtés, de ses imprécisions, ou en raison de la part trop belle laissée aux pouvoirs publics dans l'appréciation des méthodes de travail de la presse.

Il est dommage de passer à coté d'une occasion de rénover véritablement notre droit en ce domaine, comme ont su le faire nos voisins belges, par exemple.

Toutes les pratiques du pouvoir en place qui ont cours aujourd'hui pour tenir le plus possible la presse avec une muselière,…

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