L'arrêt Goodwin du 27 mars 1996 rendu par la Cour européenne consacre le principe de la protection des sources journalistiques. Il rappelle que la liberté d'expression est – comme nous en sommes tous d'accord – l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, et que les garanties à apporter à la presse revêtent une importance particulière. La protection des sources des journalistes demeure l'élément fondamental pour rendre effective cette liberté de la presse. En effet, l'absence de protection pourrait dissuader les personnes détentrices d'informations d'aider la presse. Or, on le sait, le journalisme d'investigation a permis de faire émerger de nombreux scandales contemporains de corruption au niveau local, l'affaire Clearstream étant le plus marquant peut-être.
Ainsi, il est nécessaire de garantir une certaine sécurité – une sécurité certaine, devrais-je dire – aux journalistes afin qu'ils continuent à nous fournir des informations précises et fiables. La société a le droit d'être convenablement informée. Attention toutefois à ne pas confondre : je ne parle pas de la divulgation d'informations privées en toute impunité ! La vie privée de chacun est une affaire personnelle et personne ne doit être autorisé à y fouiller, sans y avoir été autorisé.
Le projet de loi qui nous est ici proposé n'est pas à la hauteur de la réglementation européenne, il est même très en deçà. La définition du journaliste protégé est très large et pose donc problème.
Je cite l'article 1er, alinéa 6 : « Est considérée comme journaliste, au sens du premier alinéa, toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse ou de communication au public par voie électronique, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil et la diffusion d'informations au public. »
Cette définition renvoie en partie à l'article L. 761-2 du code du travail, qui dispose que le journaliste professionnel est celui qui a « pour occupation principale, régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs agences de presse, et qui en tire le principal de ses ressources ».
Ces définitions laissent de côté un bon nombre de personnes qui pratiquent une activité journalistique mais qui n'ont pas forcement la carte de presse. Je pense notamment aux correspondants de presse régionale, aux écrivains-journalistes occasionnels qui dévoilent des scandales, aux pigistes. Pourquoi ces personnes n'auraient-elles pas aussi le droit à la protection de leurs sources, puisqu'elles participent à l'information du public ?
Toutefois, la réflexion ne s'achève pas là. En effet, il ne faut pas envisager l'activité journalistique en se référant à la personne identifiée qu'est le journaliste, mais bien comme un réseau de professionnels. Ne faut-il pas protéger les collaborateurs des journalistes qui ont accès aux sources et qui participent au travail d'investigation ? Les opérateurs de télécommunications détiennent eux aussi des informations. Ont-ils le droit de ne pas les communiquer ? Sans protection juridique, ne deviennent-ils pas un moyen de lever le secret des sources ?
Ainsi, vous l'aurez compris, l'enjeu n'est pas la protection des personnes, mais la protection des sources. Pour les socialistes, toutes les personnes ayant accès aux sources doivent être protégées et ne pas être inquiétées si elles refusent de communiquer leurs sources. Il faut penser la « source » comme un objet indépendant, juridiquement protégé, et non comme la propriété d'une personne qui serait dotée d'une protection.
Maintenir le projet de loi en l'état actuel, c'est ouvrir la porte à des dérives importantes. Notre rôle de législateur est de poser des garde-fous. Ici, le garde-fou proposé par les socialistes, consiste à donner une définition large, mais précise, des personnes bénéficiant de la protection des sources. Ainsi, toute personne, y compris les directeurs de publication et les collaborateurs contribuant à la collecte, à la rédaction, à la production, au stockage et à la diffusion d'informations par le biais d'un média, serait protégée, garantissant le secret total des sources journalistiques.
La protection du secret des sources journalistiques mérite des précisions, qui, seules, seront garantes de sa mise en application. Sans ces précisions, sans ces garanties, nous ne pourrons pas voter le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)