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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, enfin un projet de loi pour protéger le secret des sources des journalistes ! C'est ce que nous étions en droit de nous dire à l'annonce du projet du Gouvernement. Depuis les promesses de Pascal Clément il y a déjà deux ans, combien de journalistes ont-ils payé de leur personne et de leur crédibilité, victimes de perquisitions « hors mesure », de gardes à vue longues à en craquer et de condamnations injustes au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme !

À dire vrai, il ne fait pas bon être journaliste en France ces derniers temps. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Les attaques auxquelles s'est livré le Président de la République – et quelques-uns de ses porteurs d'eau – contre la presse, ces derniers jours, ne sont pas là pour nous rassurer. Pas plus que ce texte, qui reste en deçà des normes européennes et instaure une sorte d'exception française. En fragilisant le droit au secret des sources des journalistes, il affaiblit un principe démocratique essentiel : la protection du droit des citoyens à recevoir l'information. Quand le droit au secret n'est pas pleinement protégé, les sources se taisent.

Deux exemples, parmi les plus emblématiques, suffiront à illustrer mon propos. L'affaire du sang contaminé aurait-elle pu être portée à la connaissance des Français, avec les suites judiciaires que l'on sait, si des sources, se sachant protégées, n'avaient pas informé, preuves à l'appui, L'Express et Le Canard enchaîné de la cause réelle des contaminations ? Nixon aurait-il été contraint à la démission si les sources qui ont informé Woodward et Bernstein n'avaient pas eu la garantie du secret ? Évidemment, non ! La protection du secret des sources des journalistes est la clef du droit à l'information des citoyens, lequel est un des piliers de notre démocratie.

Trop de mises en cause de ce principe essentiel par le pouvoir actuel nous conduisent à douter de la sincérité du Gouvernement aujourd'hui. Ce sont peut-être ces atteintes répétées à la liberté de la presse qui expliquent la « peopolisation » de la plupart de nos médias. Certains journalistes ont en effet fini par céder à la frivolité dans un pays où les affaires privées ont des retentissements d'affaires d'État… quand les affaires d'État se font toutes petites pour passer inaperçues.

En effet, il est moins dangereux de consacrer une première page au week-end du Président à Disneyland qu'aux dessous de la venue de Kadhafi. Et tant pis pour le droit à l'information ! Quant à ceux qui se risquent à l'exercer quand même – et il y en a, fort heureusement ! –, ils voient des policiers débarquer à six heures du matin pour une perquisition et emporter leur ordinateur, leur téléphone, leur bloc-notes. Après ça, difficile de retrouver un informateur ! Le discrédit gagne et les informations se font plus rares quand les sources voient les journalistes comme des auxiliaires de la police.

Malgré quelques avancées, dues d'ailleurs au travail de notre rapporteur, Étienne Blanc, qui a enrichi le texte en commission, certaines améliorations doivent encore être apportées. Sans ces dernières, cette loi ne sera qu'une protection partielle et, j'ose le dire, partiale, tant l'imprécision qui demeure actuellement sur certains points est une porte ouverte à l'arbitraire.

Le tout n'est pas d'avoir de bonnes intentions. Quand on regarde ce texte d'un peu plus près, on ne peut que constater une certaine naïveté, si l'on est complaisant, ou une vraie négligence, si l'on est lucide. Suivant une méthode éprouvée du sarkozysme, dont vous êtes, madame la garde des sceaux, l'une des épigones, on commence par sonder l'opinion publique, on tire une idée porteuse, puis on bâcle une loi pour satisfaire la majorité. Le parallèle est facile avec la loi OGM. Certes, vous avez eu un petit problème mardi dernier avec vos amis de l'UMP. Mais la méthode est là : on sort un projet de loi, on l'égratigne, on l'écorche, on interroge les puissants, ils achèvent le sacrifice, et nous nous retrouvons devant un texte qui ressemble à une imposture politique tant il est contraire aux engagements initiaux.

Contrairement à ce que vous affirmez, ce texte n'est pas une renaissance du droit à l'information. Il restera un bricolage démocratique tant que nous n'y apporterons pas les aménagements nécessaires, qui ne figurent toujours pas dans la version qui nous est soumise aujourd'hui. Au nom des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je voudrais ici en lister les faiblesses.

Les tâtonnements rédactionnels de la première phrase de l'alinéa 5 de l'article 1er témoignent déjà de la logique « un pas en avant, deux pas en arrière ». La version initiale, discutée le 5 février en réunion interministérielle était : « L'autorité judiciaire ne peut porter atteinte à ce secret qu'à titre exceptionnel, selon les modalités prévues par la loi, et lorsque la nature de l'infraction et sa particulière gravité le justifient. » Après son passage en « garde à vue ministérielle », il est quasiment dépouillé de toutes ses avancées et devient : « Il ne peut être porté atteinte à ce secret que lorsqu'un intérêt impérieux l'impose. »

Puis, à l'issue du bricolage de la commission, il est ainsi rédigé : « Il ne peut être porté atteinte à ce secret, directement ou indirectement, qu'à titre exceptionnel et lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie. »

Ces subtilités de vocabulaire ne sont pas innocentes. Premier tour de passe-passe rhétorique : l'autorité judiciaire, seule concernée par le droit à l'exception de porter atteinte, perd l'exclusivité que lui reconnaissait la version initiale du projet. Après le passage en commission, ce n'est plus « l'autorité judiciaire », mais un « il » très flou. Quelle précision !

Certes, notre rapporteur a proposé un amendement supprimant les termes « en particulier », mais l'ambiguïté demeure en partie sur « qui » peut porter atteinte au secret, et c'est très regrettable. En fait, le champ de ceux qui peuvent malmener le secret est bien trop large et laisse la porte ouverte à l'autorité administrative, militaire, la DST, la DGSE…

Si vous espérez que ce changement passera inaperçu auprès des députés, je doute que, de leur côté, les journalistes et leurs sources voient tout cela d'un très bon oeil. D'autant plus que le texte reste muet sur l'autorité qui dira, a posteriori, donc une fois que l'atteinte aura été portée, si l'on était en présence d'un impératif prépondérant d'intérêt public…

Ensuite, la mention « selon les modalités prévues par la loi » a été supprimée en réunion interministérielle. Nous souhaiterions avoir des éclaircissements sur ce retrait. Cela semblait plutôt pertinent de faire référence aux modalités définies par la loi. Quelle est donc la raison qui vous a fait préférer des notions plus vagues pour définir le cadre des exceptions à la règle ?

La commission a préféré ajouter une précision nécessaire en stipulant qu'il ne devait pas être porté atteinte à ce secret « ni directement ni indirectement », c'est-à-dire en ne faisant pression ni sur le journaliste ni sur ses proches. En effet, 1e projet de loi initial ne pointait pas suffisamment le vrai problème : le « contournement » du journaliste pour remonter à la source recherchée, en interrogeant ses proches par exemple, et notamment tous ceux qui sont mêlés, de près ou de loin, à son travail. D'où l'importance de cette nuance, qui devrait freiner les velléités des enquêteurs de contourner la loi.

Je regrette cependant que la commission n'ait pas choisi d'aller vers une protection encore plus précise en modifiant la définition des journalistes contenue dans l'alinéa 6 de l'article 1er. Elle a déjà corrigé une erreur importante, en rajoutant la communication audiovisuelle et les agences de presse, mais on aurait pu imaginer qu'elle aille jusqu'à citer l'ensemble des bénéficiaires de la loi, qu'il s'agisse des directeurs de la publication, des collaborateurs de la rédaction, des cameramen, des monteurs, des preneurs de son, des interprètes…

Notre rapporteur a jugé dangereuse cette proposition, au prétexte qu'il serait difficile d'être exhaustif. Admettons. Mais, à l'inverse, se limiter au terme « indirectement » dans l'alinéa précédent pour signifier que cette protection s'étend à l'entourage du journaliste, souffre, à mon sens, d'être bien trop vague.

Au lieu de fournir une définition des journalistes, ce qui est, a mon avis, problématique au regard de la mutation constante de la profession avec Internet, nous aurions dû chercher à définir l'ensemble des bénéficiaires de la loi, c'est-à-dire de tous ceux qui ont un rapport avec les sources et qui appartiennent à la chaîne d'une source, pour tendre à une protection maximale du secret de ces sources.

Une telle définition, directement incluse dans le texte de loi, dissuaderait définitivement les enquêteurs de la contourner pour obtenir les renseignements qu'ils cherchent. Je n'ai rien inventé, ce sont les revendications du SNJ, totalement légitimes. Les syndicats de journalistes demandent non pas un privilège, mais un cadre légal qui soit réellement protecteur pour tous ceux qui participent, de près ou de loin, à la mission d'informer. C'est indéniablement la condition sine qua non à une information fiable et de qualité.

Enfin, madame la garde des sceaux, permettez-moi de revenir sur cette fameuse notion d'« intérêt impérieux ». Faut-il vous rappeler, ici, sa définition ? Je vais le faire pour M. Vanneste, qui l'évoquait tout à l'heure. Elle nous vient du latin imperiosus, qui signifie « qui commande d'une façon absolue, qui n'admet ni résistance, ni réplique ; synonyme : tyrannique ».

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