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Intervention de Rachida Dati

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Discussion d'un projet de loi

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, dans la vie d'une démocratie, la protection des sources des journalistes est une question fondamentale. C'est la garantie de l'indépendance et de la vitalité de la presse. C'est aussi la garantie d'une information de qualité. Durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s'était engagé à faire adopter un texte assurant une véritable protection des sources. Le texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui est la réalisation de cette promesse.

La question du secret des sources a déjà fait l'objet de nombreux travaux et réflexions. Je pense aux travaux de vos collègues sénateurs, Paul Girod en 1989, Charles Jolibois en 1995 et, plus récemment, Louis de Broissia en 2007. Je pense au rapport d'information sur la déontologie des journalistes que Catherine Trautmann avait commandé au sociologue Jean-Marie Charon en 1999. Je pense à l'avis du 27 octobre 1999 rendu par le Conseil économique et social sur la liberté de communication. Cette question a également été débattue par le Parlement lors de l'adoption des lois sur la sécurité quotidienne en 2001 et sur la présomption d'innocence en 2002.

Le Gouvernement est déterminé à agir. Vous l'avez très bien rappelé, monsieur le député Étienne Blanc, dans votre excellent rapport : notre droit actuel est insuffisant et limité. Je vous propose aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés, de remédier à ces lacunes.

Ce texte est attendu depuis longtemps par les journalistes et par leurs organisations professionnelles. Avec Christine Albanel, nous en avons souvent parlé. Il est aussi attendu par tous ceux qui sont attachés à la démocratie et à la liberté de l'information.

La protection des sources est l'une des pierres angulaires de la liberté d'expression. C'est une des conditions de l'exercice de la liberté de la presse et de la démocratie.

La liberté de la presse est la voix de la démocratie : elle exprime ses valeurs et la diversité de ses opinions.

La liberté de la presse est le coeur de la démocratie : elle éclaire l'opinion publique et diffuse l'information.

La liberté de la presse est le bras de la démocratie : elle dénonce l'arbitraire, condamne les dérives, participe à l'équilibre des pouvoirs.

Nous le savons tous : il ne peut y avoir de liberté de la presse sans une véritable protection des sources. Sans protection des sources, la liberté d'information est purement théorique. Pour bien informer, un journaliste doit lui-même être bien informé. C'est une évidence. Or qui accepterait de donner une information à un journaliste si sa vie ou sa liberté est en danger ? Quel journaliste accepterait en conscience de faire courir un tel risque à un informateur ?

Sans protection des sources, l'information ne peut être vérifiée, ne peut être contestée. Sans protection des sources, l'information n'existe plus.

Je ne pense pas qu'il y ait de clivages politiques sur ce point. Durant la campagne présidentielle, Ségolène Royal s'était également engagée à garantir la protection des sources.

Aujourd'hui, la protection des sources n'est pas garantie par la loi. Actuellement, un procureur de la République, un officier de police judiciaire ou un tribunal peuvent exiger d'un journaliste qu'il leur livre sa source. Il ne peut pas refuser de répondre à une question en invoquant le secret des sources. Et il ne peut pas refuser de remettre un document qui permettrait de remonter à sa source. Son refus l'expose à une amende de 3 750 euros. Telles sont les règles en vigueur.

Il n'y a qu'une exception. Nous la devons à Michel Vauzelle quand il était garde des sceaux : c'est la loi du 4 janvier 1993. Elle permet au journaliste, entendu comme témoin par un juge d'instruction, de refuser de livrer une information qui permettrait de connaître sa source d'information.

Cette loi a constitué une amélioration significative. Le dispositif reste cependant très incomplet. Le principe de la protection des sources n'est pas clairement énoncé dans notre droit ; le droit pour un journaliste de taire ses sources n'est prévu que dans une seule hypothèse, dans une seule phase du procès pénal : devant le juge d'instruction. C'est pourquoi le projet de loi pose le principe de la protection des sources et encadre davantage l'intervention de l'autorité judiciaire.

Ce principe sera désormais clairement inscrit dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. C'est l'article 1er du projet de loi, ainsi libellé : « Le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général. »

C'est un principe général du droit qui est ainsi posé. Il est directement issu de la recommandation du Conseil de l'Europe du 8 mars 2000 sur le droit des journalistes à ne pas révéler leurs sources d'information. Il vaudra en toutes matières. Ce principe concerne la profession de journaliste dans une définition très étendue. Cette définition est plus large que celle du code du travail. Elle résulte de l'avis du Conseil d'État, que nous avons suivi.

Ainsi, peut se prévaloir du secret des sources tout professionnel qui recueille et diffuse de l'information au public, quel que soit le médium pour lequel il travaille – presse écrite, orale ou par internet, agences de presse –, qui exerce régulièrement cette activité et qui est rémunéré pour cela. Contrairement au droit du travail, il n'est plus exigé que l'activité journalistique procure au journaliste le principal de ses ressources. Sont donc concernés tous les journalistes au sens du code du travail, mais aussi les directeurs de rédaction et les correspondants de presse réguliers.

Ces dispositions sont une grande avancée pour notre droit. Elles étaient attendues. Le projet de loi qui vous est soumis donne une véritable assise juridique au secret des sources. Il devient un principe essentiel de notre droit. Je ne vois pas de meilleure garantie. Le projet de loi encadre en outre l'intervention de l'autorité judiciaire.

La démocratie a aussi besoin d'une justice efficace, d'une justice qui garantisse la sécurité de tous, d'une justice qui protège. Pour son action, la justice a aussi besoin d'accéder à certaines informations. Qu'on pense à la lutte contre le terrorisme : un attentat a été commis, qui a fait des victimes ; une enquête est en cours, les auteurs sont recherchés et l'on craint un nouvel attentat. Or un journaliste dispose d'informations qui peuvent permettre de localiser les terroristes et de les interpeller. Ce sont des questions difficiles. Mais ma conviction est que le secret des sources doit pouvoir être levé dans certaines conditions extrêmement encadrées. Il ne peut pas être absolu. Il doit y avoir un équilibre entre la protection des sources et ce que la Cour européenne des droits de l'homme appelle « un impératif prépondérant d'intérêt public ».

L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme précise cette notion. Il prévoit que le secret des sources peut notamment être levé pour des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l'intégrité du territoire ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Le projet de loi s'inscrit dans cette philosophie. Il précise qu' « il ne peut être porté atteinte au secret des sources que lorsqu'un intérêt impérieux l'impose ».

La justice ne pourra donc remonter à la source d'information du journaliste qu'à titre exceptionnel, que si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit le justifient et que si cela est absolument nécessaire à l'enquête.

C'est un projet de loi équilibré, qui préserve efficacement la liberté d'information du public en même temps que les impératifs d'ordre public et de justice les plus importants.

Ainsi, il ne pourra pas être porté atteinte au secret des sources lors d'une enquête portant sur de simples vols, sur de petites fraudes ou escroqueries, sur des cercles de jeux clandestins ou sur des infractions au code de la route. La gravité des faits n'est pas suffisante. Il faut se garder d'établir une liste exhaustive de faits graves, mais il est impératif de laisser aux juges le soin d'apprécier au cas par cas s'il est justifié de lever le secret des sources.

Je prends un exemple concret : l'enlèvement avant sept jours de séquestration est un délit puni de cinq ans d'emprisonnement, soit la même peine que pour une escroquerie. Mais la peine encourue ne permet pas de dire qu'il s'agit d'un délit « grave » – car certains délits sont punis de sept ans ou dix ans – tel que certains amendements l'entendent. Pourtant un enfant est enlevé. Un journal reçoit une lettre du ravisseur. Il menace de tuer l'enfant dans les quarante-huit heures si la rançon n'est pas payée. Les services d'enquêtes n'ont pas d'éléments. Il est urgent d'agir pour sauver la vie de l'enfant. La communication de la lettre aux enquêteurs pourrait permettre d'identifier l'auteur – traces ADN, indices matériels, similitudes avec une autre affaire... Le journaliste oppose le secret des sources. Même si le délit n'est puni que de cinq ans d'emprisonnement, faut-il s'interdire de lever le secret ? Faut-il prendre le risque de laisser tuer cet enfant quand on sait que les enquêteurs n'ont aucune chance d'arrêter l'auteur par leurs propres moyens ? Dans ce contexte, il faut permettre la levée du secret. C'est une atteinte exceptionnelle et proportionnée au principe du secret des sources.

Le projet de loi est conforme à la lettre et à l'esprit de la Convention européenne des droits de l'homme. Il rapproche notre droit des autres législations européennes. Aux Pays-Bas, la jurisprudence considère que le droit de protéger ses sources cesse lorsque la sécurité de l'État est en péril. Au Luxembourg, la protection des sources ne s'applique pas aux crimes contre les personnes, au trafic de stupéfiants, au blanchiment d'argent, au terrorisme ou aux atteintes à la sûreté de l'État. En Allemagne, les tribunaux considèrent que le secret des sources peut être levé lorsqu'il s'agit de lutter contre la criminalité.

Le projet de loi ne constitue pas une demi-mesure. Il prend en compte tous les impératifs. Il fixe un cadre rigoureux à l'intervention du juge, garant des libertés individuelles.

Le principe général posé dans la loi de 1881 a des effets sur toute la procédure pénale. Tous les actes d'enquête et d'instruction seront soumis aux conditions restrictives qui permettent, à titre exceptionnel seulement, d'identifier la source d'un journaliste. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, les enquêteurs et magistrats devront chercher à résoudre l'affaire sans passer en aucune façon par le journaliste. À défaut, leurs actes seront jugés non nécessaires et disproportionnés ; ils seront donc annulés.

Les journalistes se voient par ailleurs reconnaître un droit au silence absolu pour taire leurs sources en toutes circonstances. Un journaliste entendu comme témoin pourra invoquer le secret des sources à tous les stades de la procédure pénale : lors de l'enquête initiale, lors de l'information judiciaire devant le juge d'instruction et lors de l'audience devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises. Le journaliste n'encourra plus d'amende s'il se tait. Il en sera de même s'il refuse de fournir un document pour protéger ses sources.

Les journalistes ne seront donc jamais contraints à livrer eux-mêmes leurs sources.

Enfin, le projet de loi protège davantage les journalistes en cas de perquisition.

Actuellement, le code de procédure pénale prévoit que les perquisitions dans les entreprises de presse ou de communication audiovisuelle sont effectuées par un magistrat. C'est une disposition de la loi Vauzelle. Le projet de loi va plus loin puisqu'il prévoit d'étendre cette garantie aux agences de presse et au domicile des journalistes. C'est une nécessité et une attente très forte des journalistes.

Le magistrat effectuant la perquisition devra s'assurer que celle-ci ne porte pas atteinte de façon disproportionnée au secret des sources, au regard de la gravité et de la nature de l'infraction. Le journaliste pourra s'opposer, durant la perquisition, à la saisie d'un document qui permettrait d'identifier l'une de ses sources. Il appartiendra alors au juge de la liberté et de la détention de se prononcer sur la nécessité de saisir ce document et de le verser au dossier pénal.

Vous le voyez, c'est un projet de loi qui est plus protecteur pour les journalistes. C'est un projet de loi qui permet néanmoins une intervention encadrée de l'autorité judiciaire. C'est un projet de loi équilibré.

Je connais votre attachement à la liberté de la presse mais également votre attachement aux intérêts supérieurs du pays. Je ne doute pas que vous aurez à coeur de réunir ces enjeux en adoptant ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

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