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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche :

Parmi ces textes figure la loi du 4 janvier 1993, qui a introduit un deuxième alinéa dans l'article 109 du code de procédure pénale, selon lequel « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine ». Cet alinéa, présenté par M. Michel Vauzelle alors garde des sceaux, marquait déjà une avancée très significative.

Le fait est que, malgré les apparences, le droit français ne garantit pas le secret absolu des sources des journalistes, car l'on peut toujours trouver de nombreux moyens de la contourner. Les journalistes sont placés en garde à vue puis mis en examen et finalement contraints de révéler leurs sources. C'est exactement ce qui s'est passé pour Guillaume Dasquié.

De même, les dispositions plus récentes prises pour lutter contre le terrorisme peuvent venir entraver le travail des journalistes et permettre de contourner la protection des sources. Citons la loi du 18 mars 2003 qui, dans le chapitre III du titre II du livre Ier intitulé « Des contrôles, des vérifications et des relevés d'identité », autorise la fouille des véhicules des journalistes.

L'article 56-2 du code de procédure pénale permet, quant à lui, des perquisitions dans les locaux des rédactions, à condition qu'elles ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l'information. Dès lors, des perquisitions menées tôt le matin entrent parfaitement dans ce cadre. De plus, selon ce même article, la présence d'un magistrat n'est obligatoire que lors des perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, ce qui exclut le cas des perquisitions réalisées au domicile même d'un journaliste où seule la présence d'un officier de police judiciaire est requise.

L'article 77-1-1 du code de procédure pénale autorise enfin la saisie de documents intéressant l'enquête, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives. L'accord du journaliste doit certes être obtenu, mais gageons qu'il y a toujours moyen de faire pression pour y parvenir.

À l'énoncé de ces textes, l'on comprend qu'il y a urgence à mener un travail législatif qui permettrait d'aller au-delà d'une protection des journalistes qui n'est aujourd'hui qu'embryonnaire pour enfin garantir une totale protection des sources.

L'article 2 du projet de loi, proposé pour enrichir la loi du 29 juillet 1881, pourrait aller résolument dans ce sens. Il établit en effet que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ». Mais, comme si la protection accordée ici faisait peur, la ligne suivante s'emploie, dans un même mouvement, à aménager immédiatement des limites. En effet : il peut être porté atteinte à ce secret « lorsqu'un intérêt impérieux l'impose ».

Arrêtons-nous ici et posons un principe simple sur lequel tout le monde pourra, je le crois, s'accorder : dès lors qu'un secret ne peut pas être total, il n'est déjà plus. Ainsi, vouloir limiter de manière systématique le secret des sources, n'est-ce pas finalement ne pas vouloir le reconnaître du tout ?

Et ce d'autant plus que les limites posées sont des plus floues et sujettes à de multiples interprétations. Que recouvre précisément la notion d' « intérêt impérieux », valable d'ailleurs à la fois pour les crimes mais aussi pour les délits, ce qui ouvre par là même un éventail large de contournements ? Il faut ici comprendre que le seul juge sera finalement détenteur de la réponse.

Il paraît évident que l'on entend laisser ici à des critères subjectifs la charge de dicter où s'arrêtera le secret des sources, la conséquence immédiate et logique étant que ce qui sera jugé secret ici ne le sera peut-être pas là.

À ce titre, l'amendement adopté en commission qui prévoit de substituer à la notion « d'intérêt impérieux » celle « d'impératif prépondérant d'intérêt public », suivant en cela la notion retenue par la Cour européenne des droits de l'homme, va dans le bon sens. Il trace la voie vers l'exigence qui doit être la nôtre dans la précision des notions. Il conviendrait, pour ce qui a trait aux limites de la protection des sources, de mener un travail plus approfondi encore, permettant d'instaurer des critères objectifs.

Le texte présente une seconde faiblesse du fait de la question ambiguë de la finalité de la protection. L'article 2 dispose en effet que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ». Cette formulation semble laisser entendre que l'intérêt général serait, non une justification du secret des sources, mais bien une condition du secret. La charge d'apprécier l'intérêt général ou non de l'information est donc laissée à la puissance publique et de cette évaluation doit alors découler le bien-fondé d'une éventuelle protection. La formulation laisse donc planer le doute en ce qui concerne la protection des sources dans les affaires impliquant notamment des intérêts privés et laisse, là encore, place à l'interprétation.

C'est donc pour cette raison, essentielle, d'une place trop grande laissée au « vague » et à « l'interprétation », alors même que l'on voudrait instituer un principe fort, que le projet de loi ne peut nous convaincre. Il fait ici toute la démonstration de sa faiblesse et de son manque de portée. Des esprits pourraient même y voir une certaine hypocrisie dans le fait de vouloir reprendre d'une main – c'est-à-dire de limiter – ce que l'on donne de l'autre, en reconnaissant le principe du secret.

Il convient également de relever une imprécision aux implications lourdes : la définition du journaliste protégé. Le projet de loi en donne en effet une définition équivoque, en la limitant à la définition retenue par le code du travail, définition elle-même en retard par rapport à l'évolution des pratiques journalistiques. Il introduit donc une imprécision quant au bénéficiaire de la protection accordée.

S'il s'agit du seul journaliste professionnel possédant une carte de presse, se pose alors la question de la protection que l'on entend accorder aux journalistes sans carte, aux stagiaires et autres rédacteurs occasionnels. Le fait également de devoir pratiquer son métier « à titre régulier » semble, de manière identique, vouloir exclure de la protection les personnes qui publient dans les journaux à titre exceptionnel, exercent à côté d'autres professions et ne tirent pas la majorité de leurs revenus de leur activité journalistique.

Dans une même logique, les pigistes, qui sont de plus en plus nombreux et qui sont payés à la page pourraient également être exclus du champ de la protection.

Enfin, la nécessité « d'être rétribué » par une entreprise de presse ou de communication pose la question du journaliste indépendant.

En outre, il convient de remarquer qu'un journaliste travaille rarement seul. Il est entouré de collaborateurs qui peuvent également avoir accès aux sources journalistiques. Un amendement voté en commission aborde rapidement cette question en précisant qu'il ne peut être porté indirectement atteinte aux sources. Il conviendrait toutefois de définir, de manière plus précise, dans quelle mesure et vers qui la protection peut être étendue.

J'en viens maintenant à la question des perquisitions, qui est abordée à l'article 2 du projet de loi.

Tout d'abord, il convient de reconnaître une avancée : le fait que soit étendue l'obligation de la présence du magistrat aux perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, mais également au domicile d'un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle. Un amendement voté en commission propose également d'étendre aux véhicules professionnels le champ d'application de cette procédure spécifique de perquisition. Mais, là encore, cet apparent renforcement s'accompagne d'un recul immédiat puisque c'est au magistrat qu'est confiée la responsabilité de « veiller à ce qu'il ne soit pas porté atteinte de façon disproportionnée au secret des sources au regard de la gravité et de la nature de l'infraction recherchée ».

Une place prépondérante est de nouveau laissée au subjectif pour définir ce qui est proportionné et ce qui ne l'est pas. Certes, le journaliste aura toujours la possibilité de s'opposer à la saisie. Il incombera alors au juge des libertés et de la détention de statuer pour savoir si l'atteinte au secret des sources est proportionnée ou non avec toutes les possibilités d'appréciation qui, de nouveau, en découleront.

L'on établit parfois un parallèle, plus ou moins fondé, entre les professions d'avocat et de journaliste. Alphonse Karr, poète et journaliste lui-même, a pu, sûrement avec une pointe d'ironie, définir les journalistes comme « des avocats qui écrivent ». Ce parallèle entre les deux professions est intéressant à exploiter. Le projet de loi entend à ce titre offrir en matière de perquisition la même protection au journaliste que celle offerte à l'avocat, objectif ambitieux qui ne peut qu'emporter notre adhésion. Or, en l'espèce, l'assimilation que le projet de loi entend faire n'est pas recevable car, lors d'une perquisition, du fait même de l'organisation de sa profession, l'avocat est toujours et obligatoirement assisté par l'autorité morale que représente le bâtonnier, qui agira telle une autorité protectrice, alors que le journaliste, lui, est seul face au magistrat. Il y a peut-être là matière à réflexion.

Dans son ensemble, le présent projet de loi doit donner lieu à une réflexion plus poussée car, en l'état, il n'apporte que des avancées insuffisantes. Disons-le même clairement, cette loi ne permettra pas de remédier à la tendance néfaste que représente le contrôle croissant de l'activité journalistique par l'autorité judiciaire.

En conclusion, pour l'inciter à la réflexion, j'invite notre assemblée à faire un ultime détour par un pays voisin que nous avons été plusieurs à évoquer à cette tribune, la Belgique. Comme vous le savez, elle s'est dotée, depuis le 7 mai 2005, d'une loi qui consacre le secret des sources journalistiques comme un principe fondamental. Cette loi, constituée de sept articles, reconnaît explicitement aux journalistes le droit de se taire lorsqu'ils sont convoqués au titre de témoins. Les journalistes sont de plus explicitement protégés contre les perquisitions, les saisies et autres moyens d'investigation. Le secret des sources ne peut enfin être forcé que dans un cas précis prévu par la loi : quand ces sources sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes et si les conditions cumulatives suivantes sont remplies : premièrement, si les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions ; deuxièmement, si les informations demandées ne peuvent être obtenues d'aucune autre manière.

Sans tout résoudre, cette loi a, depuis maintenant trois ans, amélioré notablement les relations entre la justice et la presse.

Que la France puisse à son tour et de nouveau servir d'exemple en matière de liberté de la presse, qui, pour reprendre cette jolie formule de Chateaubriand,...

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