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Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélie Filippetti :

Ce contrôle très précis de la qualité de la rédaction de la loi par le Conseil constitutionnel apparaît également dans sa décision du 18 janvier 1985, mais aussi dans celles du 3 septembre 1986 et du 16 juillet 1996.

Madame la garde des sceaux, nous souhaitons améliorer substantiellement votre texte et nous présenterons donc des amendements.

Ils porteront tout d'abord sur la définition qui fonde le principe du droit à la protection de source. Elle mérite d'être rappelée solennellement en tête de la grande loi de 1881 sur la presse ; elle sous-tend l'affirmation de la CEDH qui rappelle que c'est l'exercice même du métier de journaliste qui est d'intérêt général. La protection des sources ne doit pas se limiter à l'information qualifiée « d'intérêt général » qui ne correspond pas à une définition juridique rigoureuse.

Il convient également de définir exhaustivement les personnes qui bénéficient du droit au secret des sources. Les journalistes sont concernés, mais aussi les directeurs de publication ou l'ensemble de ceux qui travaillent dans les rédactions.

Le droit au secret des sources des journalistes n'est certes pas un droit absolu et il convient d'en fixer les limites, mais, faute de définir des notions aussi floues que « la particulière gravité » ou « l'intérêt impérieux », la rédaction proposée par le cinquième alinéa de l'article 1er du projet de loi ne respecte pas la jurisprudence de la CEDH.

Toute atteinte au droit au secret des sources s'analysant comme une « ingérence », nous proposons de ne retenir que des conditions cumulatives précises : la levée du secret ne serait possible que si elle est absolument nécessaire pour éviter une infraction constitutive d'une atteinte grave aux personnes, caractérisée par la peine encourue, à condition que l'infraction ne puisse être prouvée par un autre moyen.

S'agissant des perquisitions, on ne peut que s'étonner de voir cette procédure officialisée par son inscription dans la loi de 1881. La décision liée au droit de perquisition – qui, en toute hypothèse, doit être au moins motivée – est suffisamment grave pour impliquer un droit de recours pour les parties qui succombent.

Par ailleurs, les journalistes doivent bénéficier d'une protection en matière d'interceptions téléphoniques, comme les parlementaires, les avocats et les magistrats. Un texte qui n'assurerait pas une telle protection serait notoirement insuffisant.

Sur l'incrimination de recel, nous proposons de distinguer le cas des personnes qui disposent d'informations protégées selon qu'elles ont acquis celles-ci frauduleusement – par la corruption ou le vol – ou non, c'est-à-dire de bonne foi. Seront présumés de bonne foi ceux qui disposent d'un document qu'ils n'ont ni volé ni extorqué. Le responsable de la « fuite » n'est pas, en effet, le journaliste lui-même, mais le professionnel qui n'a pas respecté ses propres obligations.

Une bonne politique en la matière, madame la garde des sceaux, devrait allier protection et délimitation précise des exceptions au principe de la protection du secret des sources. Or votre texte manque de toute évidence de précision et n'offre qu'une protection de façade. C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, j'invite l'ensemble de mes collègues à voter cette motion d'irrecevabilité.

J'ajoute, pour conclure, que ce projet de loi n'est pas sans rappeler celui que nous avons examiné sur les archives et qui a consacré la notion d'archives « incommunicables » : il fleure la raison d'État. L'« intérêt impérieux », nouveau critère de jugement pour les magistrats, juxtapose deux notions jusqu'ici encore jamais liées par le droit. Qui ne voit que, derrière le terme d'« impérieux », c'est l'imperium romain qui ressurgit, c'est-à-dire le pouvoir lui-même, l'État en tant que puissance d'injonction ?

Le texte sur les archives comme ce projet de loi sont animés du même esprit de suspicion à l'égard de tous ceux qui font profession de remettre en doute les vérités de l'histoire officielle. Le premier créait une catégorie d'archives incommunicables, celui-ci rend des informations incommunicables sous peine de poursuites. Historiens, journalistes, chercheurs, intellectuels, critiques sont les cibles d'un pouvoir qui se veut fort et centralisé, qui prétend écrire seul sa propre histoire, mais qui n'en démontre que davantage, chaque jour, ses faiblesses et ses peurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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