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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est en aparté, « en off », quand le micro est éteint et le crayon posé sur la table, que nous avons tous et toutes eu l'occasion d'écouter les plaintes des journalistes, leurs inquiétudes, et même parfois leur désillusion sur un métier qui n'est plus tout à fait ce dont ils avaient pu rêver.

Bien évidemment, on n'en est plus, en France, à se battre pour les principes : la liberté d'expression et la liberté de la presse font depuis longtemps partie de notre patrimoine politique commun. Mais si ce socle de libertés est des plus solide, les problèmes n'en sont pas moins nombreux.

Tous les conflits de ces dernières années, aux Échos, à Libération, au Monde, tous portent les mêmes craintes et les mêmes exigences.

Ils portent les craintes d'une presse contrôlée, non plus par l'État, mais par de grands groupes privés – Dassault, Lagardère, Bouygues, Bolloré –, souvent liés à l'industrie de l'armement, et souvent, aussi, des obligés du pouvoir d'État.

Ils portent les craintes d'une trop grande dépendance éditoriale à l'égard de leurs actionnaires et de leurs annonceurs, qui pourrait être le prélude de nouvelles formes de censure.

Ils portent les craintes d'un pluralisme meurtri sous les coups que lui portent la concentration de ces groupes de presse, la définition de nouvelles règles de distribution, le renchérissement du coût de l'information.

Derrière ces craintes, il y a des exigences, de fortes exigences, pour que notre pays devienne une démocratie en tout point exemplaire, et pour que le métier de journaliste y devienne celui d'un ambassadeur de la liberté, de l'esprit critique, de l'intelligence. Le chantier est énorme.

Aussi, je ne peux que me féliciter de constater l'ouverture des travaux sur un point certes mineur : la protection du secret des sources des journalistes. Mineur mais essentiel !

Mais si j'ai pu me satisfaire du principe du dépôt du projet de loi, ma satisfaction est retombée quand j'ai lu le texte du Gouvernement.

En effet, le texte que vous nous présentez, madame la ministre, souffre d'une bien trop grande imprécision. En l'état actuel, disent certains, il serait même dénué de toute portée juridique. Il risquerait d'être un coup d'épée dans l'eau, disent d'autres, si nous n'avions la possibilité de l'amender largement.

J'espère donc – et le travail de la commission des lois peut éventuellement nous y encourager – que notre assemblée saura donner à ce texte la force qui devrait être la sienne, ce qu'attendent toutes les organisations syndicales de journalistes, le SNJ, le SNJ-CGT et l'USJ-CFDT.

Nous parlons de liberté, de liberté d'informer, de liberté d'expression, de liberté de la presse. Ces mots ne sont pas neutres. Ce sont des mots pour lesquels, aujourd'hui encore, sur tous les continents de notre planète, on peut être emprisonné, ou mourir.

Ils méritent donc respect et solennité, c'est-à-dire ce qui fait défaut au premier alinéa de l'article que vous voulez ajouter à la loi ô combien symbolique du 29 juillet 1881, cette grande loi d'une République enfin libérée des turpitudes monarchistes, cette grande loi d'une République alors suffisamment assise pour faire vivre les libertés ! Aussi, nous souhaiterions vraiment que notre assemblée donne à cet alinéa la hauteur qui devrait être la sienne.

Bien sûr, j'entends bien que la protection du secret des sources ne peut aller contre la progression d'une enquête anti-terroriste. Personne ne le demande, d'ailleurs. Et j'imagine mal un journaliste, sachant proche la survenue d'un attentat, cacher ses informations à la police. Car les journalistes sont aussi, avant tout, des citoyens responsables.

Mais les notions d'intérêt impérieux et de lutte contre le terrorisme sont loin d'être synonymes. Et les entorses possibles au principe de protection du secret des sources devraient donc être bien plus strictement limitées.

Ces dernières années, la justice a voulu enfreindre le secret des sources des journalistes : l'année dernière au sujet de l'affaire Clearstream, avec une perquisition au Canard enchaîné, en 2004 dans le cadre de l'affaire de dopage Cofidis, avec une perquisition au Point et à L'Équipe, c'est-à-dire dans des affaires menaçant d'abord des intérêts financiers ou personnels, mais dont rien ne nous dit aujourd'hui qu'ils ne pourraient être considérés, demain, comme « impérieux ». D'où la nécessité de poursuivre le travail de la commission.

Je crois d'ailleurs, madame la ministre, ne pas être seul de cet avis. Avec la mesure que lui impose sa fonction, c'est à peu près le même message que vous a adressé M. le rapporteur. Ses amendements adoptés en commission des lois ont d'ailleurs permis de sensibles avancées sur ce point, qui auront évidemment notre soutien.

Autre sujet d'inquiétude, la réécriture proposée du code de procédure pénale n'est qu'une invitation faite au juge de rester mesuré dans ces atteintes aux droits des journalistes. Aucune limite claire ne lui est posée dans le texte initial. Aucune référence n'est faite au principe pourtant déjà étriqué de protection du secret des sources que nous souhaitons tous et toutes introduire dans la loi sur la liberté de la presse. Vous prenez ainsi le risque de casser toute concordance entre cette loi et celle encadrant les pouvoirs du juge, le risque d'enlever toute effectivité pratique à la protection du secret des sources.

Là encore, j'ai pu constater que la commission des lois partageait ces craintes et avait amendé, dans un sens qui nous convient, ces parties sensibles du projet de loi. J'espère que notre assemblée saura reprendre à son compte les progrès qui ont été proposés en commission.

Malgré toutes les améliorations apportées en commission, nous n'en avons pas terminé avec ces imprécisions, qui risquent, au quotidien, d'altérer les principes que nous allons voter ce soir, en laissant à la seule appréciation des juges l'arbitrage entre la protection de ce secret et la vitesse de progression de leurs investigations – dans le sens que l'on imagine, évidemment.

Aucune disposition n'est prévue pour préciser la notion de « source », ouvrant évidemment la porte à une interprétation particulièrement restrictive de ce terme. Cette définition n'est pourtant pas si difficile à trouver. En 2000, le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe en a adopté une, particulièrement claire et complète. Je n'ose imaginer que l'État français ait oublié son engagement ou même renié sa parole.

Et puis, madame la ministre, il y a ces sources dont votre texte ne parle pas. Votre projet de loi concerne le journalisme d'investigation. Je ne m'en plaindrai pas, tant ce journalisme mérite d'attentions, d'encouragements et de lettres de noblesse. Ces sources, qui sont l'outil de travail quotidien de tous les autres journalistes, méritent tout autant d'être protégées, parce qu'elles sont, elles aussi, fragilisées.

Je pense évidemment au devenir de l'Agence France-Presse, dont le maillage territorial, en France et dans le monde, se réduit au fur et à mesure que grandissent les préoccupations financières dans la gestion de ce groupe. Je pense aux risques croissants d'une information toujours plus uniformisée et limitée à ce que l'air du temps peut définir d'essentiel. Je pense aux projets non assumés d'une possible « évolution du statut de l'agence », pour reprendre les termes de son président – en clair, sa privatisation et sa soumission grandissante à d'autres impératifs que ses impératifs légaux d'information « complète et objective ».

Au-delà des déclarations d'intention de protection des sources des journalistes, beaucoup d'entre eux attendent des actes, comme l'engagement de votre gouvernement à préserver le statut de l'AFP et à lui donner les moyens d'assurer pleinement sa mission. C'est aussi de cette façon que l'on garantit la liberté d'information, le pluralisme dans les médias et, finalement, aussi toute la richesse d'une démocratie.

En conclusion, madame la ministre, vous aurez compris toute la détermination de mon groupe à garantir le droit et la liberté d'information dans notre pays et notre inquiétude devant le projet de loi que vous nous présentez. D'autres partagent notre détermination sur tous les bancs de cette assemblée, ce dont je me félicite. Je souhaite que nos débats permettent d'avancer et de résoudre positivement les difficultés importantes que nous avons soulignées et que, au nom de notre groupe, M. Mamère a longuement évoquées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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