La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Mes chers collègues, je vous informe qu'il n'y aura pas de suspension de séance à l'issue des questions au Gouvernement et que je prononcerai alors l'éloge funèbre de notre regretté collègue Henri Cuq.
La parole est à M. Bernard Lesterlin, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le ministre chargé de l'industrie, le 18 mai dernier, vous vous exclamiez : « Enfin, notre pays n'a plus honte de parler d'industrie, enfin notre pays se souvient qu'il est l'héritier d'une grande et belle tradition industrielle ! »
Je vais donc vous parler d'industrie et vous rappeler une grande et belle histoire industrielle, celle des Forges de Commentry, devenues aujourd'hui Erasteel.
La branche alliage du groupe Eramet, dont dépend cette usine, a acquis au cours des années, grâce au savoir-faire et au dévouement de ses salariés, une place convoitée de leader mondial.
L'annonce par le groupe Eramet d'un plan de restructuration industrielle nous a laissés abasourdis. Quel plan, en effet : 102 postes supprimés sur les 360 que compte l'usine, ce qui signifie la suspension de toute une chaîne de production d'acier rapide.
Au-delà des grands discours présidentiels sur le patriotisme économique, c'est à l'aune des actes de l'État que la politique industrielle du Gouvernement, si elle existe, sera jugée. Or ces actes, nous ne les voyons pas.
Dois-je vous rappeler, monsieur le ministre, qu'Eramet est un groupe largement financé par des capitaux publics ? Les pouvoirs publics contrôlent, en effet, près d'un tiers de son capital à travers des participations, notamment celle d'AREVA. Il serait inacceptable que l'État abandonne de la sorte un outil industriel dont chacun sait qu'il est indispensable à nos productions stratégiques, notamment celles liées à notre parc de centrales électriques.
Le 18 mai dernier, vous prétendiez voir se dessiner « un retour à l'alliance entre l'État-stratège et les forces économiques et sociales de notre pays ». Mais comment parler d'une telle alliance quand l'État cautionne de tels plans sociaux dans un secteur aussi vital pour l'avenir industriel de notre pays ?
Monsieur le ministre, quand allez-vous recevoir les représentants des salariés, comme je vous l'ai demandé il y a déjà une semaine ? Quelles mesures l'État entend-il prendre à l'égard de l'actionnaire majoritaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le député, sur le site de Commentry, l'entreprise Erasteel a su, par une information donnée à son comité d'entreprise, qu'il était envisagé de supprimer 102 emplois sur 370. L'État est effectivement concerné en tant qu'actionnaire d'AREVA, qui détient 26 % de parts du capital d'Eramet, groupe qui est lui-même actionnaire d'Erasteel.
Cependant, monsieur le député, vous oubliez de rappeler une chose : c'est parce que, depuis 2009, l'État a financé 330 000 heures au titre du chômage partiel pour un montant de 1,1 million d'euros qu'Erasteel a pu voir son activité pérennisée. Nous suivons attentivement la situation avec le préfet de Montluçon et nous mettrons tout en oeuvre pour assurer la pérennité du site. Sachez que nous veillons, avec AREVA, à ce que tous les moyens nécessaires soient mobilisés.
Mais lorsque j'entends vos propos polémiques, monsieur le député (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)¸ je tiens à vous répondre que si, aujourd'hui, nous menons une véritable politique industrielle, avec notamment la mise en oeuvre de vingt-trois mesures au terme des états généraux de l'industrie, c'est que nous devons inverser le cours des choses, car, pendant des années, vous avez diffusé un message laissant entendre que l'avenir de notre pays était aux services, aux finances et à l'économie virtuelle. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Huit ans que vous êtes au pouvoir !
La réalité, c'est que nous n'aurions pas eu à subir toutes les délocalisations que nous avons enregistrées ces dernières années si vous n'aviez pas conduit cette politique-là. (« Huit ans ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Aujourd'hui, grâce aux primes à la relocalisation, jamais nous n'avons autant relocalisé.
C'est parce que vous vous êtes opposés à l'assouplissement des trente-cinq heures et à la suppression de la taxe professionnelle que nous inversons le cours des choses. C'est ainsi que nous pourrons apporter des réponses à Erasteel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Franck Gilard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, alors que nous traversons une crise économique sans précédent, la réforme des retraites est essentielle pour l'avenir des Français. Le projet équilibré que vous portez doit pouvoir nourrir un consensus responsable au sein de notre société.
Face à l'allongement de la durée de vie et aux déficits creusés par la crise, cette réforme est indispensable. Le Gouvernement a donc pris ses responsabilités en proposant une réforme qui permettra de sauver notre système par répartition. Mais le parti socialiste ne semble pas avoir compris l'esprit même de cette réforme. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Pourtant, une petite musique décalée commence à se faire entendre à la périphérie du parti socialiste : Dominique Strauss-Kahn déclare ne pas faire des soixante ans un dogme ; Michel Rocard juge qu'en faisant de l'âge légal un symbole, le PS est encore en train de se tromper de combat ; enfin, Didier Migaud estime que, pour répondre aux problèmes de financement, il faut agir sur l'ensemble des paramètres, l'âge, la durée de cotisation ou encore les prestations.
Au lieu d'attaquer continuellement le ministre du travail depuis des semaines, les socialistes ne devraient-ils pas s'accorder sur leur ligne politique et prendre également leurs responsabilités face à l'urgence des retraites ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Si, un jour lointain, la gauche est confrontée à l'exercice du pouvoir...
Car nous ne sommes pas seuls au monde. Nous sommes en Europe où tous les pays ont engagé des réformes pour augmenter progressivement l'âge d'ouverture des droits à la retraite. C'est ainsi que l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas, aujourd'hui le Royaume-Uni ont engagé des processus, ou travaillent sur des processus qui visent à passer de soixante-cinq ans à soixante-sept ans.
Monsieur le ministre, la société nous commande de ne pas transiger sur les principaux paramètres de la réforme. Les propos francs et lucides de Michel Rocard sur notre réforme sont un encouragement et le signe qu'on peut transcender les clivages. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.
Monsieur le député, la réforme des retraites que le Gouvernement présentera au conseil des ministres le 13 juillet prochain, et qui continue à faire l'objet d'intenses et vives concertations, est nécessaire et juste.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Non !
Tous les gouvernements européens ont mené la même réflexion, et, quelle que soit leur couleur politique, ils ont tous répondu de la même manière, comme vous l'avez souligné, à savoir qu'il convient, à un moment donné, de repousser l'âge de la retraite. C'est bien ce qu'a fait en Espagne le socialiste M. Zapatero en repoussant l'âge d'ouverture des droits à la retraite de soixante-cinq à soixante-sept ans. En Italie, M. Prodi a augmenté l'âge légal de départ à la retraite. En Allemagne, M. Schröder, qui avait lancé la réforme des retraites, avait prévu de le porter à soixante-trois ans.
Notre réforme prend également en compte, dans un souci de justice, les particularités des Français. Ainsi, je le répète, les Français qui ont commencé à travailler à quatorze, quinze, seize ou dix-sept ans pourront partir plus tôt, à l'âge de soixante ans ou avant. Cela va dans le droit fil de ce qu'avait fait François Fillon, avec l'aide de la majorité de l'époque, en créant les dispositifs de carrières longues, contre lesquels le parti socialiste a toujours voté.
Enfin, les dispositifs concernant la pénibilité sont des éléments clés et forts de notre réforme. Nous tiendrons compte de ceux qui ont rencontré des difficultés dans leur travail. Eux aussi pourront partir à soixante ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Réforme des retraites
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, jeudi dernier, le succès de la journée d'action intersyndicale a montré le rejet de votre réforme régressive sur les retraites par une majorité de nos compatriotes.
Il a suffi que vos projets soient enfin transparents pour que le nombre de manifestants double.
Mais, loin d'entendre cette colère, vous continuez. Quel mépris d'affirmer que cette réforme, pourtant inefficace et injuste, est non négociable !
Inefficace, car, ne s'attaquant pas aux vrais problèmes, elle ne pourra pas assurer une solution durable à notre système de répartition.
Pourtant, garantir l'efficacité sociale de ce système est possible. La proposition que les député-es communistes, républicains et parti de gauche ont déposée la semaine dernière en apporte la preuve.
Elle propose notamment de moduler les cotisations pour inciter à la création d'emplois et de dégager plus de 30 milliards de recettes nouvelles en faisant cotiser les revenus financiers.
Allez-vous enfin accepter d'en débattre ?
Injuste, votre réforme l'est car elle frappe les plus modestes. C'est le « travailler plus pour gagner moins », cher au président de la République.
Ainsi, les fonctionnaires de catégorie C devront payer quarante euros de plus par mois pour obtenir une retraite de mille euros bruts, et vous allez jusqu'à retirer aux femmes fonctionnaires des droits liés à la maternité.
Vous ne faites pas les coffres-forts des puissants, mais les poches des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le Premier ministre, je vous demande d'entendre nos compatriotes. Retirez cette loi de l'ordre du jour du conseil des ministres et de notre assemblée, et ouvrez enfin une véritable concertation pour assurer cette avancée de civilisation : le droit à la retraite à soixante ans à taux plein ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
La parole est à M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.
Madame la députée, nous nous attaquons aux vrais problèmes ; nous ne sommes pas dans les utopies. Nous regardons les choses en face, comme tous les gouvernements l'ont fait en matière de retraite. C'est évidemment et d'abord une question d'âge.
Lorsque l'on parle de retraite, l'on parle évidemment de l'âge de la retraite. Tous les gouvernements ont agi ainsi, parce qu'ils n'ont jamais nié la réalité.
Ce Gouvernement, et les gouvernements de droite qui l'ont précédé, sont les seuls à avoir modifié les systèmes de retraite sans qu'il y ait jamais eu la moindre idée ou la moindre proposition du côté de la gauche. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Il est juste de considérer que ceux qui ont commencé à travailler plus jeunes partiront plus tôt à la retraite : c'est la réforme que nous proposons. Il est juste de prendre en compte la situation de ceux qui ont souffert de pénibilité dans leur travail. Il est juste de demander aux plus hauts revenus de contribuer davantage au système de retraite.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ce n'est pas ce que vous faites !
Il est juste de préserver le système de solidarité à l'intérieur de notre système de retraite, en permettant notamment à celles et ceux qui ont commencé plus tard, en raison de la précarité de l'emploi, notamment les jeunes, de bénéficier, non de quatre trimestres, mais de six trimestres, et en permettant aux femmes qui ont attendu un enfant, de faire en sorte que les indemnités journalières soient comprises dans la base de calcul.
Tout à l'heure, j'ai visité une fonderie d'aluminium où j'ai rencontré nombre de salariés de plus de cinquante ans. Ils m'ont tous interrogé sur la réforme des retraites. J'ai pu leur indiquer que ceux qui avaient commencé à travailler plus jeune dans des métiers aussi durs que le leur pourront continuer de partir à la retraite à l'âge de soixante ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Ma question, concernant l'enseignement agricole et à laquelle j'associe notre collègue François Rochebloine, très impliqué dans ce dossier, s'adresse au ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
L'enseignement agricole connaît une crise importante dans notre pays. Agriculteurs, représentants professionnels du secteur agricole et agro-alimentaire, enseignants, élèves, étudiants, salariés, apprentis, vivent une réelle inquiétude dans l'éventualité de restrictions budgétaires, de suppressions de postes qui pourraient mettre en difficulté de nombreux établissements.
Or force est de constater que l'enseignement agricole est une filière d'excellence en matière de formation et d'insertion professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)
Dans ce secteur, de 70 à 90 % des élèves trouvent un emploi dans les quatre années qui suivent leur formation. Après leur BTS, 95 % des étudiants trouvent un emploi dans les six mois. Rares sont les formations qui peuvent se prévaloir de tels résultats.
Permettez-moi par conséquent, j'y insiste, de me faire l'écho de l'inquiétude des établissements dans la perspective de la prochaine rentrée, notre agriculture méritant un pilotage national.
Alors que nous avons entamé les discussions relatives au budget pour 2011, c'est le moment de réaffirmer la force de l'enseignement agricole, dont les lois de 1984 rappelaient qu'il s'agissait de l'une des composantes essentielles du dispositif éducatif français.
Pouvons-nous compter sur votre détermination, monsieur le ministre de l'agriculture, pour réaffirmer la position de l'enseignement agricole dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le député Lachaud, je vous réaffirme avec force tout l'attachement que le gouvernement de François Fillon porte à l'enseignement agricole public ou privé. Vous l'avez rappelé : il s'agit d'un enseignement de grande qualité, qui regroupe plus de 175 000 élèves. Il apporte souvent des solutions à des élèves en difficulté qui ne parviennent pas à trouver leur voie dans l'enseignement général et son taux de réussite atteint plus de 80 % en termes d'emploi. C'est un exemple pour l'ensemble de l'enseignement en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
Nous avons organisé, en octobre dernier, les assises de l'enseignement agricole public pour en redéfinir les missions et lui offrir de nouvelles perspectives. Nous avons tiré plusieurs conclusions des travaux conduits pendant trois mois sur l'ensemble du territoire : en matière de réorganisation régionale, il s'agit de permettre à chaque établissement de disposer du maximum de disciplines possibles ; il convient ensuite d'ouvrir l'enseignement agricole à l'ensemble des disciplines ; enfin, il faudrait opérer une réorientation vers les métiers de la croissance verte, vers ceux du développement durable, qui attirent de plus en plus de jeunes, métiers que le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche propose de développer.
Il ressort de ces assises que les liens entre l'enseignement agricole et la recherche doivent être renforcés – nous y travaillons avec Valérie Pécresse. C'est en effet au sein de l'enseignement agricole que nous préparons la recherche et donc l'avenir de l'agriculture française de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Michel Sapin, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le Premier ministre, il y a un peu plus d'un an et demi, le système financier international était pris dans la tourmente : au bord de la faillite, les banques allaient s'écrouler. Or, en quelques semaines, les grands gouvernements du monde ont su se réunir à deux, à quatre, à huit, à vingt pour mettre en place un plan qui a permis de sauver ces mêmes banques.
On a alors entendu ces mots : « Plus jamais ça ! » ; « Tirons les leçons de la crise ! » ; « Mettons en oeuvre une régulation internationale indispensable à la stabilité du monde ! » ; « Coordonnons nos politiques économiques afin de relancer la croissance et de soutenir l'emploi ! »
Ce week-end, monsieur le Premier ministre, les mêmes se sont réunis au Canada. Ils auraient dû évoquer la stabilité des nations soumises à une spéculation effrénée ; ils auraient dû évoquer le soutien de la croissance là où elle est en berne et risque de chuter ; ils auraient dû évoquer les moyens de lutter contre le chômage. Or, sur aucun de ces sujets, le G 8 ni le G 20 n'ont abouti. Rien, rien, rien !
Quand il s'agit de sauver les banques, le monde est là ; quand il s'agit de sauver les peuples et leur avenir, le monde est absent. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le Premier ministre, il en est de même en France. Vous ne parlez plus que d'austérité quand le chômage augmente, vous ne parlez plus que d'économies à réaliser quand la croissance connaît des difficultés. Pourquoi donc êtes-vous aujourd'hui plus sensible aux appels à l'austérité d'Angela Merkel qu'aux appels à la croissance et à la lutte contre le chômage de Barak Obama ?
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Monsieur le député Sapin, je vous remercie de rappeler qu'il y a dix-huit mois, en particulier à l'initiative du Président de la République (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), le G 20 s'est réuni à Washington, à Londres puis à Pittsburgh. On peut se demander à quoi tout cela a servi. (« À rien ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Eh bien, ces réunions ont servi à relancer l'économie dans le monde entier, à telle enseigne que le taux de croissance du produit intérieur brut mondial devrait atteindre 5 %. Elles ont servi à débloquer un système financier qui ne finançait plus nos entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Enfin, elles ont servi, monsieur Sapin, à écarter le spectre du protectionnisme, qui eût été inéluctable si l'ensemble des dirigeants du monde ne s'étaient pas retrouvés.
Le G 20 de Toronto, pour sa part, a examiné la compatibilité et la coordination de l'ensemble des politiques économiques menées par tous les pays du monde – et l'on ne trouvait pas seulement les représentants des pays développés autour de la table mais aussi ceux des pays émergents.
Nous avons pu constater, grâce aux travaux menés sous l'autorité de Dominique Strauss-Kahn (Rires sur les bancs du groupe UMP), qu'il existait une cohérence entre ces politiques économiques et celle, notamment, menée sous l'autorité du Premier ministre en matière de redressement des finances publiques et de relance de notre économie par le biais du grand emprunt. (Mêmes mouvements.)
Nous avons obtenu trois avancées inédites. D'abord, le G 20 a entériné le fait que la taxation bancaire, au même titre que d'autres mesures, puisse être utilisée comme un remède anti-systémique ; et cette taxe sera mise en place en France dès la fin de l'année à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2011. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ensuite, le communiqué du G 20 constate pour la première fois que le changement climatique doit faire l'objet de financements innovants. Enfin, toujours pour la première fois, il est prévu d'établir, au sein du conseil de stabilité financière, un comité chargé d'observer l'évolution des rémunérations bancaires dans l'ensemble des pays.
Voilà les avancées que nous avons obtenues, monsieur Sapin. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Michel Raison, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le ministre, le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur pour son volet agricole et forestier, mon collègue Louis Guédon rapportant son volet consacré à la pêche, verra son examen en séance publique débuter dans quelques instants.
Au cours des années soixante, soixante-dix, la France a été en Europe le moteur d'une agriculture performante, compétitive, sans cesse modernisée, tout en restant diversifiée. L'indéniable succès du monde agricole français a été le symbole de la réussite de la politique agricole commune, dont l'objectif premier a été d'assurer l'autosuffisance alimentaire de l'Europe et l'approvisionnement des consommateurs, et ce à un coût raisonnable.
Dans un contexte de crise économique, rappelons que nous sommes toujours la première puissance agricole européenne. Mais les agriculteurs français et européens sont désormais en compétition sur un marché ouvert, où les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous, où les conditions de production, en termes sociaux, environnementaux et sanitaires, varient d'un marché à l'autre, et où il devient de plus en plus difficile de se protéger contre des pratiques qu'on peut juger parfois déloyales.
Ce contexte a révélé la fragilité du modèle français.
Pendant que nos voisins allemands gagnent des parts de marché, y compris sur des produits qu'ils ne produisaient pas, ou quasiment pas, il y a quelques années, ce signal fort nous indique clairement que la reprise de notre agriculture est possible.
Pouvez-vous nous préciser en quoi ce texte constitue un outil essentiel en vue de dynamiser l'agriculture française à la veille des négociations sur la PAC 2013 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le député, nous sommes en train d'entrer dans un nouveau monde agricole, un monde dans lequel nous devons faire face à de nouveaux concurrents, comme le Brésil, la Russie, l'Inde ou la Chine. Un monde dans lequel, en Europe même, l'Allemagne est devenue un concurrent majeur pour la France. Je rappelle qu'en 2009, les augmentations de lait en provenance d'Allemagne ont cru de 60 %, qu'elle a doublé en dix ans ses surfaces consacrées aux fruits et légumes, quand la France réduisait les mêmes de 20 %.
Il est temps de doter l'agriculture française des moyens de défendre et de renforcer son modèle agricole. C'est ce que nous vous proposons dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, dont vous êtes, cher Michel Raison, l'un des rapporteurs.
Je profite de votre question pour rendre hommage à tous les agriculteurs et à tous les pêcheurs de France, qui, depuis des décennies, ont fait des efforts considérables pour renforcer notre capacité de production et notre compétitivité. Je veux rendre hommage à tous ces agriculteurs, à tous ces paysans, à tous ces pêcheurs, qui ont su relever le défi environnemental, depuis des années, pour nous permettre de développer une agriculture raisonnées. Je veux rendre hommage à tous ces agriculteurs et à tous ces pêcheurs, qui ont su faire face au défi de la concurrence internationale, respecter des règles sanitaires et environnementales toujours plus strictes, tout en restant compétitifs.
Je leur fais entièrement confiance, sur la base du texte que vous examinerez cet après-midi, pour rester les meilleurs en Europe et pour faire de notre agriculture un atout majeur de l'économie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Huguette Bello, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de la santé et des sports.
Personne ne conteste que la couverture maladie universelle soit une avancée considérable dans l'égal accès aux soins. Mais, dix ans après sa mise en place, les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés ainsi que les titulaires du minimum vieillesse ne peuvent toujours pas prétendre à ce dispositif. Ils en sont souvent exclus pour moins d'une dizaine d'euros. Le faible montant de leur allocation rend difficile le recours à une mutuelle privée, si bien que les personnes dont l'âge ou l'état de santé requièrent le plus de soins sont paradoxalement celles pour lesquelles se faire soigner est le plus compliqué.
Certes, dans les départements d'outre-mer, pour prendre en compte la cherté de la vie et le coût plus élevé des soins, le plafond d'éligibilité est un peu plus élevé. Mais la seule intégration dans les ressources du forfait logement suffit à priver des milliers de personnes de la CMU complémentaire.
Nous n'ignorons pas l'existence d'une aide forfaitaire destinée à faciliter l'acquisition d'une complémentaire santé. Mais, au moment où la crise se montre particulièrement redoutable pour le pouvoir d'achat des plus modestes, cette aide s'avère de plus en plus souvent insuffisante.
Permettre enfin aux titulaires de l'AAH et du minimum vieillesse d'avoir accès, eux aussi, à une complémentaire santé gratuite passe par la suppression de la notion de ressources au profit de celle du droit à la santé pour tous.
Ma question est donc simple : quand le Gouvernement va-t-il intégrer dans le champ d'application de la CMU complémentaire les personnes titulaires de l'AAH, du minimum vieillesse et de l'allocation versée au titre du fonds de solidarité vieillesse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.
Madame la députée, l'accès aux soins des plus fragiles d'entre nous est une priorité absolue du Gouvernement. Vous avez rappelé les chiffres. Effectivement, le plafond de ressources pour obtenir la CMU complémentaire est de 626 euros par mois. L'AAH est au taux de 696 euros, et le minimum vieillesse est à 709 euros. Il y a donc un écart, qui concerne assez peu de personnes, mais qui pose de véritables difficultés aux plus faibles d'entre nous.
Pour pallier cet effet de seuil, le Gouvernement a considérablement augmenté la possibilité d'acquérir une complémentaire santé. Et je voudrais rappeler à la représentation nationale un certain nombre de dispositifs.
D'abord, parce que beaucoup de bénéficiaires ne connaissaient pas ce dispositif, cette ACS se présente maintenant sous la forme d'un chèque. Il y a un démarchage dynamique d'envoi du chèque aux populations cibles.
Ensuite, pour les plus de soixante ans, cette allocation a été portée à 500 euros par mois. Et elle a été doublée pour ceux qui ont entre seize et vingt-cinq ans.
Il y a donc une véritable volonté de pallier cet effet de seuil. Il a été efficace, puisque le nombre des bénéficiaires a augmenté de 40 % et qu'il va encore augmenter l'année prochaine.
Voilà les solutions concrètes, qui s'ajoutent à la très forte augmentation, enregistrée depuis le début de la mandature, selon les promesses du Président de la République et sous la houlette de Nadine Morano, de l'allocation aux adultes handicapés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Pierre Lasbordes, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. Depuis 2007, la révision générale des politiques publiques a permis de simplifier la vie de nos concitoyens (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC), de mieux organiser le travail des administrations, de conjuguer économies et amélioration de la qualité du service public. Dans ce cadre, des réformes emblématiques ont été accomplies, comme la fusion de la direction générale des impôts avec celle de la comptabilité publique, la refonte des cartes militaire et judiciaire, la réorganisation des services déconcentrés de l'État.
À l'heure du nécessaire redressement de nos finances publiques, la réforme de l'État doit se poursuivre. Elle nous permet de réaliser des économies intelligentes en réexaminant les différentes politiques, en hiérarchisant les priorités, en supprimant les doublons et les structures inutiles.
Le chef de l'État a annoncé hier la poursuite de ces réformes ainsi que la révision du train de vie de l'État. Ceux qui incarnent l'intérêt général ne peuvent être exonérés de l'effort demandé à la nation. Ils ont une responsabilité particulière qui découle de leur mission : faire un usage irréprochable de l'argent public. (« Et l'avion ? » sur les bancs du groupe SRC.) L'État doit être exemplaire et moteur pour faire émerger de la crise une France nouvelle. Nos efforts sur les dépenses permettront de maintenir notre soutien aux investissements stratégiques et de mieux assurer les dépenses vitales destinées à protéger nos concitoyens les plus exposés aux conséquences néfastes de la crise.
Monsieur le ministre, vous ferez demain une communication au conseil des ministres sur ce sujet. Pouvez-vous informer la représentation nationale des dispositions qui seront prises par le Premier ministre suite aux annonces du chef de l'État. (« Allo ! » sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.
Monsieur le député, les mesures communiquées par le Président de la République au Premier ministre, et dont la mise en oeuvre interviendra à la rentrée, s'inscrivent dans la volonté d'exemplarité de l'État (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC), ce qui est normal en cette période de recherche d'économies. Pour le ministre du budget que je suis, il n'y a ni économies symboliques ni petites économies, il y a des économies. L'addition de ces économies nous permettra d'être au rendez-vous que la France s'est fixé à elle-même pour protéger notre modèle social, respecter une certaine idée de sa parole dans un contexte singulier, et pour infléchir durablement la maîtrise et la discipline budgétaire exigées pour nos contemporains et les générations qui suivent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – « Les cigares ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Ces mesures s'inscrivent dans un plan plus global qui poursuit la modernisation de l'État, dite révision générale des politiques publiques. La première séquence, sur les trois années qui viennent de s'écouler, a permis de supprimer 100 000 postes de fonctionnaires en ne remplaçant pas une personne sur deux partant à la retraite ; 50 % des économies sont rendues aux fonctionnaires pour permettre d'avoir des services publics de qualité aux missions préservées, avec des agents mieux rémunérés.
Au cours de la deuxième vague, qui s'inspire de la même philosophie, 100 000 postes seront supprimés. Additionnés les uns aux autres, ces gisements d'économies représenteront 10 milliards d'euros, venant compléter les 7 milliards de la phase précédente, sans altérer en aucune façon ni notre modèle social, ni la qualité de nos services publics, ni la façon dont nous vivons dans la République. Ils nous placeront dans la perspective de tenir les engagements que nous avons pris. L'objectif, dont nous parlerons la semaine prochaine à l'occasion du débat d'orientation budgétaire, est d'atteindre quoi qu'il arrive les 6 % de déficit dès l'année prochaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Olivier Dussopt, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.
Monsieur le ministre, mardi dernier, nous vous avons interrogé sur les suites données aux fraudes fiscales avouées par Mme Bettencourt. Ce même jour, vous avez répondu de façon assez méprisante à Jean-Marc Ayrault, le taxant d'irresponsabilité, et vous avez opposé à notre demande d'engager des poursuites le secret fiscal, que vous avez présenté comme « l'une des plus grandes libertés individuelles ».
Dimanche, alors que votre collègue Éric Woerth avait dit et répété que « jamais un ministre ne déclenche un contrôle fiscal », vous avez annoncé que le fisc allait « examiner la totalité des actifs de Mme Bettencourt sur la base des révélations » de ses avocats. Vous avez même dit : « On ira un peu partout dans le monde pour savoir précisément ce qu'il y a et où il y a ». Avec une semaine de décalage, vous nous donnez finalement raison : vous allez procéder au contrôle que nous demandions la semaine dernière et que vous nous aviez refusé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Aujourd'hui, j'ai deux questions à vous poser.
La première porte sur les raisons qui ont motivé votre changement de position. Pourquoi ce qui était inenvisageable la semaine dernière est-il devenu possible aujourd'hui ? Les déclarations de M. Juppé et de Mme Lagarde ou d'autres, plus surprenantes encore, sur l'existence d'un conflit d'intérêt ont-elles pesé dans cette évolution ? Les déclarations du parquet de Nanterre, et notamment du Procureur Courroye qui a révélé que le ministère du budget connaissait depuis janvier 2009 les soupçons qui pesaient sur la première fortune de France (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), ont-elles eu plus d'effets que les demandes répétées de l'opposition que toute la lumière soit faite sur cette affaire ?
Ma seconde question, monsieur le ministre, appelle une réponse claire et, pour une fois, définitive. Pourquoi, sur la base d'informations similaires, ce contrôle fiscal que vous diligentez vous-même aujourd'hui, en juin 2010, n'était-il pas envisageable par Éric Woerth, ministre du budget, en janvier 2009 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.
Monsieur le député, si j'ai manqué d'élégance à l'égard de M. Ayrault, je le prie de m'en excuser. En sa qualité de responsable d'un parti de gouvernement, il savait très bien que le secret fiscal n'est ni le secret des vestiaires ni un secret de polichinelle ; c'est la défense d'une liberté individuelle, du lien singulier entre l'administration fiscale et tout particulier contribuable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Je voulais le lui rappeler, il ne s'en est pas offusqué.
S'agissant du sujet qui vous préoccupe, j'ai demandé au directeur général des finances publiques de prendre la parole, ce qu'il a fait aujourd'hui, pour rappeler quelques idées simples.
D'abord, un contrôle fiscal n'est pas un acte politique mais un acte administratif conduit sous l'autorité de l'administration fiscale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Ensuite, il est naturel que des liens s'établissent entre autorités fiscale et judiciaire dans le cadre précis d'une instruction et d'une enquête judiciaires.
En l'occurrence, le procureur de la République de Nanterre a saisi le directeur des services fiscaux de Nanterre sur la base de la qualification juridique d'abus de faiblesse.
Enfin, la politique fiscale est conduite sous l'autorité de l'administration fiscale.
C'est cette dernière qui donne le rythme. Le directeur général des finances publiques et le ministère du budget, par ma voix en tant que chef de l'administration fiscale, ont exprimé des positions, mais les avocats de Mme Bettencourt ont eux-mêmes pris l'opinion publique à témoin en expliquant qu'il y avait en Suisse des comptes non déclarés. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ce ne sont pas les avocats fiscalistes qui dictent son rythme à l'administration fiscale ; c'est elle-même qui, dans le cadre de sa procédure globale, définit, à la lumière des révélations, ce qu'elle doit faire et donc ce qu'elle fera. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. François Vannson, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.
Notre système de retraites par répartition est aujourd'hui confronté à un défi démographique sans précédent, du fait du vieillissement de la population et de l'arrivée à la retraite des générations d'après-guerre.
Le Gouvernement est courageux et a pris ses responsabilités. À un problème essentiellement démographique, le projet de réforme que vous portez donne une réponse démographique. Nous avons la chance de vivre plus longtemps et ce n'est naturellement pas sans conséquences.
Vous proposez donc que l'âge de la retraite soit progressivement relevé dans l'ensemble des régimes de retraites, pour atteindre soixante-deux ans en 2018, et que l'âge du « taux plein », aujourd'hui fixé à soixante-cinq ans, augmente dans les mêmes proportions, c'est-à-dire passe à soixante-sept ans. Tous nos voisins l'ont fait, gouvernements de droite et de gauche confondus.
Mais il faut aussi, monsieur le ministre, que cette réforme soit juste et le Gouvernement s'y est engagé. Nous savons en effet qu'il y a des vies au travail qui ne sont pas les mêmes, car certains ont commencé à travailler très tôt, et d'autres ont été exposés à des facteurs de pénibilité qui les ont usés physiquement.
Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale comment le Gouvernement compte prendre en considération ces situations ? Sur quels éléments porteront les discussions complémentaires destinées à enrichir le texte sur le sujet de la pénibilité ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.
Monsieur Vannson, le Président de la République nous a demandé de continuer à travailler et de poursuivre la réflexion et la concertation de manière intense sur trois sujets.
Le premier sujet concerne les carrières longues, ceux qui ont commencé à travailler très jeunes. C'est un point très important pour les Français. Aujourd'hui, le texte prévoit la possibilité de partir à soixante ans ou avant lorsque l'on a commencé à travailler à quatorze, quinze, seize ou dix-sept ans. Peut-être pouvons-nous continuer à réfléchir à la qualité et à l'ajustement de ce dispositif.
Le deuxième sujet sur lequel le Président de la République nous a demandé de continuer la concertation jusqu'au mois de septembre concerne la pénibilité. Comment prendre en compte en France – alors qu'aucun autre pays au monde ne le pratique – le fait qu'un travailleur ayant été exposé à des facteurs de pénibilité est victime d'une usure physique prématurée ? Nous avons décidé de répondre sur ce point par le biais des accidents du travail et des maladies professionnelles en proposant qu'un salarié puisse prendre sa retraite à soixante ans s'il subit une incapacité de travail de 20 %. Il cumulera, à ce moment-là, la rente pour incapacité avec sa retraite. Cela n'existe, je le répète, nulle part ailleurs. Peut-être faut-il aller plus loin et continuer à réfléchir à la traçabilité des parcours professionnels. Comment une personne est-elle exposée ? De quelle façon ? Quel lien peut exister entre une exposition précise et la quasi-certitude d'être atteint physiquement, avant même que ce soit avéré médicalement ? Nous devons continuer à répondre à ces questions de façon simple et juste, car la justice c'est aussi d'assurer l'égalité entre les Français, et c'est ce que nous voulons.
Le troisième sujet concerne les polypensionnés : les personnes qui ont cotisé à plusieurs caisses de retraite. Nous allons poursuivre la concertation jusqu'au mois de septembre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de la justice, garde des sceaux.
Madame la ministre d'État, l'affaire Bettencourt soulève des questions graves, très graves (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) même, sur l'impartialité de la justice dans notre pays. Il vous faut répondre, madame, avec précision à ces questions, car l'égalité des citoyens devant la justice est un pilier fondamental de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Première question : l'article 432-12 du code pénal punit tout responsable public qui prend intérêt dans les affaires publiques dont il a la charge. Dans l'affaire Bettencourt, y a-t-il eu prise illégale d'intérêt, c'est-à-dire contrôles fiscaux différents entre Mme Bettencourt et M. Banier ? Y a-t-il eu des avantages donnés et des avantages reçus, c'est-à-dire échanges d'avantages entre le ministre du budget et les gestionnaires de la fortune de Mme Bettencourt ?
Les dénégations ne suffisent pas. Pour lever le soupçon, il faut des preuves. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Deuxième question plus grave encore : celle de l'impartialité de la justice dans cette affaire. Le procureur de Nanterre occupe un poste clé pour les affaires financières, car il a sous sa juridiction les plus grosses fortunes de l'Ouest parisien. Or, je le rappelle, l'actuel procureur a été nommé par le Gouvernement malgré l'avis négatif du Conseil supérieur de la magistrature. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Ce procureur affirme que le gestionnaire de la fortune de Mme Bettencourt était en liaison étroite avec un conseiller de l'Élysée, qu'il tenait informé de ses futures décisions, et il a, comme le souhaitait l'Élysée, classé la plainte de la fille de Mme Bettencourt. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la garde des sceaux, que comptez-vous faire pour lever le soupçon d'ingérence du pouvoir et de favoritisme dans l'affaire Bettencourt, soupçon gravissime qui porte atteinte à l'égalité des citoyens devant la justice ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.) .)
La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Madame Guigou, les fonctions que vous avez exercées devraient vous amener, s'agissant de la justice, à plus de réalisme et de modération. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Vous bâtissez, madame, des hypothèses sur des hypothèses, à partir d'enregistrements dont, d'abord, nul ne connaît la fiabilité – vous devriez savoir ce qu'il en est de la fiabilité des enregistrements en fait de témoignages – et d'enregistrements qui rapportent non les propos d'un conseiller de la Présidence de la République, mais les propos d'un commentateur sur des propos d'un conseiller de la présidence... (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Je pense qu'il faut revenir à un plus grand sens de la réalité.
Quelle est-elle ? Une plainte avec constitution de partie civile a été déposée par la fille de Mme Bettencourt, en suspicion d'abus de faiblesse, portant sur sa mère. Cette affaire peut effectivement remettre en cause l'avenir de l'une des plus grandes entreprises françaises et de milliers de personnes. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Est-il anormal, dans ces conditions, que l'on s'informe, au niveau de l'État, de l'avenir de cette entreprise ? S'informer – vous le savez aussi bien que moi madame Guigou, car vous êtes une responsable politique depuis longtemps – ne signifie en rien s'immiscer dans une affaire. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cela veut encore moins dire donner des instructions.
Madame Guigou, vous savez parfaitement que des instructions auraient été vaines et inutiles, puisque, en tout état de cause, c'est le tribunal correctionnel, constitué – je vous le rappelle, si vous l'aviez oublié – de juges indépendants, qui prendra seul la décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)
La parole est à M. Jean-Michel Fourgous, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question, qui s'adresse à Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi, concerne les vraies attentes des Français, à savoir l'emploi des seniors, volet important de la réforme des retraites.
La France présente une double spécificité : on rentre plus tard sur le marché du travail, mais surtout, on part plus tôt puisque l'âge moyen de cessation d'activité se situe vers cinquante-huit ans.
C'est l'héritage d'un consensus entre l'État, les syndicats et les entreprises, qui a conduit, pour lutter contre le chômage, à « sortir » les seniors du marché du travail.
Depuis trois ans, le Gouvernement a enfin décidé de rompre avec cette politique suicidaire. En 2008, puis en 2009, nous avons déjà voté plusieurs mesures en faveur de la formation et de l'employabilité des seniors.
Aujourd'hui, le sauvetage de notre régime de retraite par répartition impose, plus que jamais, aux politiques de dire la vérité aux Français. Je rappelle à ceux qui l'auraient oublié que notre espérance de vie augmente. Ce n'est ni de gauche ni de droite, c'est un fait. Nous sommes aujourd'hui dans l'ère des faits. Devant cette réalité, la question du maintien des seniors dans l'emploi est donc d'une importance capitale. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, vous qui êtes un homme de faits, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les nouvelles pistes très concrètes pour améliorer la situation de l'emploi de nos seniors ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe NC.)
La parole est à M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.
Monsieur le député, au cours des vingt dernières années, la France s'était enfermée dans une mauvaise voie en matière de politique d'emploi des seniors en sacrifiant l'emploi des plus de cinquante ans. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Certains, à gauche, devraient faire preuve de plus de modestie…
…parce que les années les plus noires ont été les années 1997-1998 lorsque Martine Aubry a dispensé les seniors de rechercher un emploi et les a massivement poussés à choisir la préretraite. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Nous nous devons de rétablir les faits et les responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Cela fait maintenant trois ans que, à la demande du Premier ministre et du Président de la République, nous travaillons, avec Christine Lagarde, sur ce sujet, avec l'appui de Vigeo, le cabinet de Nicole Notat, qui nous a accompagnés dans cette démarche. Nous avons incité les entreprises à développer la formation des seniors, à créer des programmes d'embauche qui ne soient pas discriminants vis-à-vis des seniors…
…à travailler sur le déroulement de carrière des seniors. Plus de 30 000 accords ont été conclus directement dans les entreprises, concernant 16 millions de salariés.
Vous demandez quels sont les résultats, monsieur le député. En trois ans, ils sont considérables.
Le taux de chômage des seniors a été maintenu à 6,2 % pour les plus de cinquante-cinq ans, soit bien en dessous de la moyenne nationale. Au cours des trois dernières années, le taux d'emploi a progressé de quatre points, près de 10 %, ce qui n'était jamais arrivé dans notre pays, qui plus est dans une période de crise.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Nous ne devons pas avoir les mêmes chiffres.
Aux côtés d'Éric Woerth, car la réforme des retraites est indissolublement liée à celle de l'emploi des seniors, nous continuons à travailler sur ce sujet et je tiens à saluer son courage et sa détermination en la matière.
Nous allons essayer de favoriser l'embauche des seniors, notamment avec un programme « zéro charge »…
…et développer le tutorat pour faire en sorte que les seniors puissent transmettre leur savoir-faire.
Il y a deux voies. La première, celle des socialistes, a consisté à sacrifier l'emploi des seniors (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) ; c'est la voie de la facilité et du court terme.
La seconde consiste à assumer, se battre courageusement pour que les plus de cinquante ans aient accès au marché de l'emploi : c'est celle que nous avons choisie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le Premier ministre, mardi dernier, Éric Woerth a utilisé cette tribune pour faire une déclaration sur son intégrité alors que la question posée ne la mettait pas en cause. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Parlant de son épouse et de lui-même, il déclarait : « Jamais ni elle ni moi n'avons été informés d'une quelconque fraude ou évasion fiscale. » Vendredi soir, le Procureur de la République Philippe Courroye l'a démenti en révélant que l'administration fiscale avait été prévenue le 9 janvier 2009. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le ministre n'a pas nié. Il s'est défendu en affirmant avoir demandé un contrôle fiscal, mais de M. Banier, avant de nuancer son propos en affirmant n'avoir jamais déclenché ni empêché le contrôle fiscal.
Dans cette affaire, les rôles de M. Ouart, conseiller justice de M. Nicolas Sarkozy, de M. Woerth, alors ministre du budget, trésorier de l'UMP et mari de Florence Woerth, employée de M. de Maistre, gestionnaire de la fortune de Mme Bettencourt (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP. - Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR) nous interrogent. J'observe au demeurant qu'il n'a pas été répondu à la question d'Elisabeth Guigou sur le soupçon de délit de prise illégale d'intérêt.
Nous n'avons jamais participé à une quelconque chasse à l'homme (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais posé des questions simples….
…nécessaires en démocratie. C'est d'ailleurs Mme Woerth qui, en écho à nos questionnements, reconnaît elle-même un conflit d'intérêt qu'elle avait sous-estimé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La meilleure façon, monsieur le Premier ministre, de protéger la dignité d'un homme, n'est pas de l'enfermer dans la dénégation, mais de tout faire, dans la transparence, pour le laver définitivement de tout soupçon.
Nous avons entendu Mme la garde des sceaux rejeter toute idée de poursuite judiciaire dans cette affaire. Rien ne s'oppose donc juridiquement à la création d'une commission d'enquête parlementaire qui permette de faire la lumière sur les responsabilités des différents acteurs.
Ma question est très simple, monsieur le Premier ministre : êtes-vous favorable à la création d'une commission d'enquête ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.
Monsieur le député, la semaine dernière, Éric Woerth a dit qu'il demandait la constitution d'un groupe de travail constitué de membres de la Cour des comptes, du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, du rapporteur général du budget ou associant l'inspection générale des finances.
C'est lui-même qui l'a demandé. Pourquoi ? Parce que cette situation est transparente de bout en bout. Vous posez les questions sur le cheminement judiciaire : Tout est sur la table et peut se lire à livre ouvert. Tout est dans la presse. Le Procureur de la République s'est exprimé. Le directeur général des finances publiques a annoncé à quel moment il a été saisi. Il a indiqué dans quel cadre juridique et à quel moment l'administration fiscale a eu accès au dossier : c'est-à-dire au printemps de cette année. C'est à partir de ce moment-là que l'administration fiscale s'est mise en marche.
Quelles sont les zones d'ombre qui nécessiteraient encore des réponses ? Aucune. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
S'il faut aller plus loin, la meilleure des modalités, émanant de la sagesse de la représentation nationale, sera accueillie avec bonheur, avec responsabilité, par l'ensemble du Gouvernement sous l'autorité du Premier ministre et tous aux côtés d'Éric Woerth. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et du groupe NC.)
La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Madame la secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité, en adoptant ce matin dans cet hémicycle, à l'unanimité, notre proposition de loi relative aux violences faites aux femmes, notre assemblée a franchi une étape importante, qui fait honneur à l'institution parlementaire et à la République.
Dans cette entreprise menée avec passion et courage par tous les députés, chacun a honoré son engagement : notre président, en créant la mission d'information et d'évaluation, ce qu'il s'était déclaré prêt à faire à la demande du collectif des associations ; le Gouvernement, qui avait annoncé qu'il s'appuierait sur nos travaux pour donner un fondement législatif au dispositif-cadre permettant de mieux lutter contre ce fléau qui frappe notre société ; l'Assemblée enfin, en adoptant à l'unanimité le rapport de la mission d'évaluation puis la proposition de loi, en commission comme en séance.
Protéger les femmes et mieux réprimer les violences dont elles sont victimes, tel est l'objectif de cette proposition de loi. Il ne reste plus qu'à l'appliquer. Ma question, madame la secrétaire d'État, sera donc simple : après ce vote unanime répété du Parlement, dans quel délai, dans quelles conditions et avec quelles perspectives pour l'avenir cette proposition de loi importante et judicieuse sera-t-elle appliquée, pour le plus grand bien de la cause fondamentale qu'est la lutte contre toutes les formes de violence faites aux femmes dans notre pays ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.
Monsieur le député, je veux d'abord vous dire merci. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Merci pour elles, merci pour celles qui ont perdu la vie, pour leur mémoire ; merci au nom de toutes les femmes qui attendaient cette loi – non seulement sa discussion, mais son adoption, afin que notre arsenal législatif soit renforcé.
Merci à tous les députés qui siègent sur tous les bancs de cette assemblée d'avoir su dépasser les clivages politiques. Merci à Mme Bousquet, qui a présidé la mission d'information et la commission spéciale. Merci également au sénateur Courteau et au sénateur Pillet, rapporteur de la proposition de loi au Sénat.
On le sait, plus d'une femme meurt tous les deux jours et demi à cause de violences conjugales, 75 000 femmes sont violées chaque année dans notre pays et des milliers d'adolescentes sont menacées d'un mariage forcé. Voilà pourquoi il nous fallait renforcer notre arsenal législatif.
Le juge aux affaires familiales pourra délivrer en urgence à une femme victime de violences une ordonnance de protection, par laquelle il pourra le cas échéant organiser le déménagement et se prononcer sur la garde des enfants. Dès le 1er octobre, Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux, prendra les décrets nécessaires pour que ce dispositif soit rapidement appliqué à la rentrée.
Nous avons également introduit une mesure importante : la reconnaissance de la violence psychologique. Car il n'y a pas que les coups : il y a aussi les mots. Ainsi, 84 % des 80 000 appels passés chaque année au 3919 concernent des violences psychologiques.
Nous allons en outre recourir à un dispositif de surveillance électronique dont vous êtes allé observer le fonctionnement en Espagne, qui sera bientôt expérimenté en France et dont nous attendons beaucoup. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Merci enfin aux associations qui se sont mobilisées et sans lesquelles rien n'aurait été possible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le président, mes chers collègues, ma question, à laquelle j'associe Corinne Erhel et Annick Le Loch, s'adresse à Jean-Louis Borloo.
Monsieur le ministre d'État, je ne vous apprendrai pas que, dans quelques heures, vous allez faire voter le Grenelle 2, dont l'un des objectifs est la préservation de la biodiversité et les ressources naturelles. Je ne vous apprendrai pas non plus que 2010 est l'année de la biodiversité, dont nous savons qu'elle est menacée en particulier par la pollution des eaux et des sols.
Je ne vous apprendrai pas davantage que, dans son rapport annuel pour 2010, la Cour des comptes vient à nouveau d'épingler l'insuffisante volonté de l'État de mettre en cause les pratiques agricoles qui favorisent le productivisme et témoignent du choix d'une agriculture intensive. Cela a valu à l'État plusieurs condamnations au niveau national et européen, dont la dernière concerne les algues vertes.
Enfin, je ne vous apprendrai pas qu'un amendement à la loi de modernisation de l'agriculture présenté par cinquante parlementaires UMP et adopté la semaine dernière par la commission des affaires économiques assouplit les règles d'extension des élevages porcins. Aux termes de cet amendement, il sera désormais possible de créer sans autorisation, par une simple déclaration, des élevages de 750 truies ou 2000 places d'engraissement.
Une telle disposition ne peut qu'entraver la reconquête de la qualité des eaux et la lutte contre les algues vertes ; elle ne peut que contribuer au détricotage, déjà bien engagé, des deux lois issues du Grenelle.
Monsieur le ministre, en soutenant cet amendement UMP, le Gouvernement prendra encore un peu plus ses distances avec le modèle d'agriculture durable que vous avez défendu tout au long de nos débats.
Je souhaite donc savoir si, redevenu parlementaire, vous signeriez un tel amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. (« Borloo ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Chanteguet, je ne vous apprendrai pas que, depuis des années, les producteurs de porc, en Bretagne et ailleurs, ont fait des efforts considérables pour réduire leur production de nitrates et préserver les sols.
Je n'accepterai pas que l'on stigmatise ces producteurs, notamment les producteurs bretons, qui ont fait ces efforts pour répondre à la demande environnementale des Français.
Je ne vous apprendrai pas non plus, monsieur Chanteguet, que ces efforts ont permis de réduire de 20 % en dix ans la concentration de nitrates dans les eaux de Côte d'Armor.
Je ne vous apprendrai pas davantage que, contrairement à ce que vous venez de dire, le Gouvernement a émis, par ma voix, un avis défavorable à l'amendement de Marc Le Fur sur la modification des seuils en matière d'installation d'élevages.
Nous devons maintenant parvenir à un compromis entre les exigences environnementales, sur lesquelles, sous l'autorité du Premier ministre, nous ne céderons pas d'un pouce, et la nécessité d'accroître la compétitivité des éleveurs de porcs et des éleveurs en général, en Bretagne comme ailleurs. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Ce compromis suppose des règles environnementales strictes que Jean-Louis Borloo, Chantal Jouanno et moi-même continuerons de respecter. Il suppose la réduction des délais d'autorisation, qui atteignent deux à trois ans en France, contre un an partout ailleurs en Europe, notamment en Allemagne, notre principal concurrent. La loi de modernisation de l'agriculture nous permettra de les ramener à un an. Ce compromis suppose enfin la simplification des démarches administratives lorsque des installations se regroupent, c'est-à-dire lorsqu'elles se modernisent et lorsqu'elles respectent mieux l'environnement.
Compétitivité de l'agriculture et environnement ne sont pas contradictoires, comme vous tentez de le faire croire, mais complémentaires, et nous travaillons à les concilier. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Madame, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, parce qu'il aimait la vie, parce qu'il incarnait la solidité en politique comme en amitié, Henri Cuq était de ceux dont on ne songe pas qu'ils puissent un jour être emportés par la maladie.
Sa silhouette faisait pour ainsi dire partie du monde parlementaire : affable, discret, toujours affairé, toujours écouté, car chacun connaissait sa finesse et sa droiture, il était l'âme de ces conciliabules multiples sans lesquels il n'est pas de débat réussi.
Il me revient aujourd'hui le triste devoir de lui adresser le dernier salut de la représentation nationale et je veux, en votre nom à tous, lui témoigner notre reconnaissance et notre estime.
Né à Toulouse en 1942, Henri Cuq a fait partie de cette génération qui a connu, dans sa prime jeunesse, les privations et les peurs de la guerre, avant de grandir dans une France démocratique et en pleine expansion.
Ce relèvement du pays, cet effort de redressement issu de la Résistance, s'incarnent alors dans un grand homme, le général de Gaulle, et c'est pourquoi, au lycée Berthelot où il obtient son bac, le jeune Henri est déjà un gaulliste de coeur qui veut servir la France.
Diplômé de l'Institut d'études politiques de Toulouse, mais aussi de l'Institut d'études internationales et de l'Institut de criminologie de la faculté de droit, Henri Cuq ne sera pas directeur commercial comme son père, mais il choisira la fonction publique d'État en entrant dans la police. D'abord commissaire à Rennes, il devient, en 1972, directeur des Renseignements généraux en Corrèze.
Dans ce département qui vient alors de donner un jeune ministre de l'agriculture à la France, il rencontre un homme plein d'énergie, plein d'avenir, auquel il va se lier de cette amitié indéfectible dont il est capable.
Quand Jacques Chirac conquiert Paris, Henri Cuq a déjà quitté la province où ses qualités sont tellement appréciées, pour donner sa mesure dans la capitale.
D'abord chargé de mission, puis chef de cabinet du maire de Paris, il est en 1984 chargé de la délégation générale à l'amélioration de la sécurité des Parisiens : à ce poste, il développe, avec une réelle avance, des techniques de prévention dont l'efficacité sera reconnue de tous.
Un homme aussi investi dans la défense de l'intérêt général ne pouvait rester hors de la vie parlementaire.
Aux législatives de 1986, ce Toulousain aux racines pyrénéennes se présente dans l'Ariège, comme tête de liste de la droite républicaine. Dans un département ancré à gauche, il fait une campagne de terrain et il est élu.
Deux ans plus tard, au scrutin majoritaire, ce sont les électeurs de la 9e circonscription des Yvelines qui lui accordent leur confiance : ils ne le regretteront pas, et ils vont le réélire quatre fois.
Conseiller municipal d'Aubergenville de 1989 à 1995, conseiller général des Yvelines de 1991 à 2004 et plusieurs fois vice-président du conseil général, Henri Cuq a parfaitement réussi son implantation locale. Ses concitoyens, les élus, les associations trouveront toujours sa porte ouverte, les dossiers communaux et départementaux retiendront toute son attention : Henri Cuq se dévoue à ses électeurs, sans jamais perdre de vue la dimension nationale de son mandat.
Particulièrement vigilant sur les questions de sécurité, il se montre attentif aux moyens de lutter contre le terrorisme, ce fléau qui frappe nos démocraties, menaçant toujours de les déstabiliser. Auteur ou rapporteur de si nombreux textes que je ne puis les citer tous, il cherche en particulier à combattre la toxicomanie, et à doter les forces de l'ordre de moyens d'action adaptés aux formes nouvelles de criminalité.
Henri Cuq, nous le savions, n'était pas avare de son temps et c'est pourquoi, soucieux du bien commun, il s'est consacré à plusieurs de ces longues et délicates investigations qui sont l'honneur du travail parlementaire. À chaque fois, ces délibérations ont permis d'orienter l'action des gouvernements vers des mesures pertinentes et des réformes utiles.
Membre de la commission d'enquête sur la situation et les perspectives de l'industrie automobile en 1991, Henri Cuq préside la commission d'enquête sur la situation de la SNCF, constituée en 1993.
Entre-temps, fidèle à ses préoccupations de sécurité, il a été membre de la commission d'enquête sur les moyens de lutter contre les tentatives de pénétration de la Mafia en France. Président, en 1996, de la mission d'information commune sur la Corse, il est, en 1998, vice-président de la commission d'enquête sur l'utilisation et la gestion des fonds publics sur l'île, un mois après l'émotion suscitée par le lâche assassinat du préfet Erignac : un républicain comme Henri Cuq est profondément affecté, choqué et révolté par un tel attentat, frappant un serviteur de la République qu'il connaissait personnellement.
Mais Henri Cuq ne demeurera pas seulement un législateur exigeant : en 1995, ses collègues le désignent Premier questeur. Pendant neuf ans, il exerce cette fonction difficile, avec ce mélange de chaleur et de sérieux qui lui était propre. Les députés se réjouissent d'avoir un interlocuteur à leur écoute, sympathique et serviable, mais aussi engagé dans les grands chantiers : l'informatisation des services, la rénovation de l'hôtel de Lassay, la création de La Chaîne parlementaire, l'acquisition de l'immeuble de la rue de Lille et sa transformation en bureaux pour les députés, l'installation des services internationaux dans l'immeuble de la rue Las Cases… Autant d'initiatives et d'innovations qui ont considérablement modernisé et amélioré les conditions de travail des parlementaires.
Homme d'enthousiasme autant que de dossiers, mu par un véritable amour de l'institution parlementaire, Henri Cuq a su, en tant que questeur, se faire apprécier de ses collègues aussi bien que des fonctionnaires de l'Assemblée nationale. Tous ceux qui ont travaillé avec lui conservent le souvenir d'un député patient, ouvert aux préoccupations d'autrui et toujours à la recherche d'un consensus solide.
C'est pourquoi, sans cesser de conseiller ses présidents de groupe, Bernard Pons, Michel Péricard et Jean-Louis Debré, il a toujours su entretenir des relations cordiales avec ses collègues de la majorité comme de l'opposition.
En 2004, cet excellent connaisseur de la vie parlementaire entre au Gouvernement. Pour autant, il ne va pas quitter les couloirs du Palais-Bourbon : ministre des relations avec le Parlement de Jean-Pierre Raffarin, puis de Dominique de Villepin, il continue tout simplement de tracer son sillon, au service de la nation, laissant derrière lui la réputation d'un ministre travailleur et disponible, d'un habile négociateur et d'un vrai républicain.
Lui qui se battait « pour une France respectée », comme il l'écrivait dans sa profession de foi en 1988, a pu apporter au Gouvernement de la France son excellente connaissance des institutions et des parlementaires.
Lui qui était resté simple et direct, il a repris sa place dans l'hémicycle en 2007, faisant consciencieusement son travail de député.
Président du groupe d'amitié France-Mali, président de l'association « Avec le Président Chirac », il est resté jusqu'au bout un parlementaire actif, un député fidèle aux valeurs, aux hommes et aux engagements qui ont façonné sa vie.
Oui, jusqu'au bout, Henri Cuq s'est battu avec un courage inouï contre la maladie. Lucide autant que déterminé, il a rempli sans faillir tous ses devoirs, entouré par sa famille, soutenu par ses amis.
Dans la vie politique, des choix de personnes peuvent rapprocher ou éloigner des hommes ; malgré les convictions, il y a parfois des oppositions, des différends ; mais l'essentiel est ailleurs, dans le combat pour les libertés et les valeurs démocratiques, le combat pour la France. J'ai pour ma part cette consolation d'avoir pu dire à Henri Cuq qu'il était pour moi, au-delà de tout, ce député modèle qui, aujourd'hui encore et pour longtemps, force l'admiration de ses collègues.
À son épouse Janine, à ses enfants, Olivier et Frédéric, à ses petits-enfants, à sa famille, aux plus hautes personnalités de la République dont il a soutenu et conseillé l'action, à ses compagnons et amis du groupe UMP, à ses collaborateurs, j'adresse, au nom de tous les députés et en mon nom personnel, mes condoléances les plus sincères.
Madame, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la France a perdu l'un de ses loyaux serviteurs, l'Assemblée nationale a perdu l'une de ses figures, et nous avons perdu un compagnon.
Issu de la Résistance et du Gaullisme, le terme de compagnon symbolise cette façon fraternelle de cheminer ensemble sur les voies escarpées de la grandeur nationale. Dans les bons et les mauvais jours, Henri incarne l'image de ce compagnonnage fait d'épreuves et de souvenirs partagés. Même ceux qui ne le connaissent pas personnellement, même ceux qui n'étaient pas de son bord politique savaient qu'Henri Cuq était authentique et droit. Il venait de l'Ariège. Son enfance avait été campagnarde, éclairée par les beautés tranchantes du pays d'Oc. Il avait gardé cet accent rocailleux qui révélait l'homme simple, l'homme franc, l'homme chaleureux qu'il n'a jamais cessé d'être, au long d'une carrière politique où les succès avaient pourtant été nombreux.
Tout au long de sa vie, Henri Cuq fut animé par l'amour de la France, un amour direct, sanguin, sans fioritures. Son sens du bien public n'était pas théorique, il était l'expression d'une bienveillance naturelle vis-à-vis de ses concitoyens.
Dès sa jeunesse, Henri Cuq se consacra à leur protection. Diplômé de criminologie, il devint commissaire de police, puis directeur des Renseignements généraux en Corrèze.
C'est là qu'il rencontra Jacques Chirac, qui le convainquit de prolonger un engagement républicain par un engagement politique. De cette rencontre, date une loyauté à toute épreuve, une loyauté farouche à l'égard du Président Chirac, dont l'allant et la cordialité s'accordaient à la spontanéité et au goût de l'action d'Henri Cuq.
Entre l'homme de la Corrèze et celui de l'Ariège, un pacte intime se noua et il ne pouvait se briser qu'avec la mort. Henri Cuq rejoignit Jacques Chirac à la mairie de Paris. Il fut dès lors, à ses côtés et pour notre majorité, un artisan des reconquêtes : celle de 1986, année où il fut élu député, comme celle de 1995.
La loyauté d'Henri Cuq est le reflet de l'idée qu'il se faisait de la politique. Pour lui, la politique était avant tout une aventure humaine, une affaire de coeur et d'amitié, une vocation de militant qui ne renie pas la foi jurée. Il était là dans les jours fastes comme dans les jours d'infortune. Il savait que les joies sont plus fortes quand ceux qui les partagent ont aussi partagé les coups durs et les tristesses. Il connut l'électricité des réunions publiques, ces longues soirées improvisées où l'on refait le monde. Il connut aussi la traversée du désert, les moments de solitude où le téléphone ne sonne plus et, soudain, l'éclat des rebondissements, les élections gagnées en dépit des sondages et des prévisions fatalistes.
Henri Cuq n'était pas de ceux qui volent au secours de la victoire. Il était de ceux qui la construisent patiemment, sur le terrain, dans l'adversité. Il était un roc sur qui on pouvait s'appuyer dans la difficulté, un roc dont le bon sens et la sagesse étaient aussi la meilleure des préventions contre les vertiges du succès.
Henri Cuq était un militant. Du vrai militant, il avait la rudesse et la tolérance forgées au creuset de longues années d'expérience. Il en avait la fraternité, fraternité avec les siens, avec son camp, avec aussi les autres – ceux d'en face, les adversaires – sans lesquels il n'y a pas ce choc qui nous grandit personnellement et politiquement. Vous savez tous, sur ces bancs, de quoi je parle. C'est ce mélange d'ardeur et de bienveillance qui anime ceux qui ne sont pas, qui ne sont plus les premiers venus dans l'arène politique.
Henri Cuq était profondément républicain. Cette république n'était pas, pour lui, qu'un simple numéro, mais une façon d'accorder les passions humaines, lui qui n'en manquait pas. Il fut un pilier de votre Assemblée. Cette maison était la sienne parce qu'il en aimait l'atmosphère, celle qui règne dans cet hémicycle sacré, mais aussi celle qui règne dans ces couloirs, là où les amitiés se forgent, là aussi où les compromis se nouent.
Henri Cuq appréciait les confrontations raisonnées, les échanges d'arguments où chacun sort grandi d'avoir cherché le bien commun en défendant ses convictions.
De son oeil pétillant, il observait avec affection les jeux de notre démocratie. Il n'était dupe de rien, mais n'était cynique en rien. Il oeuvrait pour qu'à la fin des échanges les plus vifs, les hommes et les femmes de bonne volonté se retrouvent sur l'essentiel.
Entre 2004 et 2007, il occupa avec talent le poste de ministre des relations avec le Parlement. Dans les couloirs du palais Bourbon, il cherchait la conciliation sans ménager son énergie. Derrière sa fermeté jacobine, il y avait la finesse de l'élu expérimenté et enjôleur.
Au nom de la République et de l'intérêt général, Henri Cuq était un homme de discussion, de négociation, de consensus. Il était à l'écoute des républicains de tous les partis. Il excella dans sa charge ministérielle parce qu'elle lui convenait à merveille. Gaulliste dans l'âme, il y avait en lui cette part de radicalisme qui n'est pas étranger aux vertus chaleureuses des terres ariégeoises.
Henri Cuq incarnait l'héritage d'un humanisme politique. Respectueux de tous, il prisait le dialogue et la mesure. À ses yeux, tout conflit pouvait succomber aux attraits d'une bonne table et d'une conversation les yeux dans les yeux.
En Ariège d'abord, puis dans les Yvelines, la confiance de ses électeurs ne lui fit jamais défaut. Trente ans de vie politique lui avaient appris à connaître intimement la France et les Français. Au soir de son existence, il put contempler sans regret, avec le sentiment du devoir accompli, tout le travail qui avait été le sien, loin des lumières médiatiques, avec intégrité, avec dignité, avec fidélité à sa famille politique, fidélité surtout à notre pays. Nous nous souviendrons d'Henri Cuq. Nous nous souviendrons du patriote. Nous nous souviendrons du parlementaire. Nous nous souviendrons de l'enfant de la République qui en avait gravi les échelons en s'imposant par ses qualités humaines et en ne cessant de donner aux autres et d'apprendre des autres.
À Henri Cuq, j'exprime l'hommage reconnaissant du Gouvernement et de la République et je veux dire à son épouse, ses enfants et ses petits-enfants, ainsi qu'à tous ses proches, qu'ils peuvent être fiers de son parcours. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures quarante.)
J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. Bernard Reynès, député des Bouches-du-Rhône, et M. Jacques-Alain Bénisti, député du Val-de-Marne, d'une mission temporaire auprès de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Dans les explications de vote, pour le groupe Nouveau Centre, la parole est à M. Yvan Lachaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre de l'éducation nationale, mes chers collègues, offrir à tous les enfants de notre pays le droit à la connaissance et au savoir, clé de la citoyenneté et de l'épanouissement personnel, sésame pour l'insertion professionnelle et sociale, telle est la mission de l'école républicaine, et c'est le rôle de l'État de le garantir à tous.
La proposition de loi que nous votons aujourd'hui vient consacrer ce principe républicain, en instaurant un équilibre délicat entre, d'un côté, l'accompagnement et le soutien des parents et, de l'autre, la sanction à la fois dissuasive et pédagogique.
Parce que le législateur ne peut s'affranchir du réel, il était indispensable de rendre le dispositif actuel applicable pour qu'il soit réellement efficace. Cela implique notamment d'instaurer un plus grand équilibre entre l'accompagnement de l'élève et la sanction.
Si le dispositif précédent pouvait être sujet à contestation, celui qui nous est proposé aujourd'hui est bien plus équilibré. Il vise non pas simplement à supprimer les allocations familiales mais aussi à accompagner les familles avant de mettre en place toute mesure excessive qui risquerait de précariser certaines d'entre elles dans une situation sociale déjà fort difficile.
Au Nouveau Centre, c'est le principe d'éducation des parents et de responsabilisation que nous avons souhaité renforcer en élargissant les mécanismes d'accompagnement des parents et des élèves que le président du conseil général peut proposer aux familles.
Si les causes de l'absentéisme scolaire sont multiples, les mesures de prévention, ne l'oublions pas, doivent être adaptées et personnalisées. Le problème n'est pas l'absentéisme, ce sont les difficultés qu'il révèle et qu'il faut traiter avant qu'elles ne deviennent des facteurs d'échec scolaire.
Il s'agit pour nous d'un principe intangible : préférer la prévention, le dialogue et l'écoute à la répression. Afin de mieux associer les parents à la vie scolaire de leur enfant, l'amendement que nous avons proposé et qui a été adopté va permettre d'étudier la généralisation du programme de la mallette des parents,…
…dont l'expérimentation, dans l'académie de Créteil, constitue un succès encourageant.
Dans notre pays, c'est bien la famille qui a en charge l'éducation des enfants. Ne demandons pas à l'école et à ceux qui y travaillent, aux enseignants, aux conseillers d'éducation, aux conseillers principaux d'éducation, de tout faire. Ils ne peuvent plus assurer la sanction et, lorsque les enfants sont absents, l'État doit se retourner contre les familles, qui doivent seules assurer l'éducation des enfants.
Le Nouveau Centre votera donc en faveur de cette proposition de loi, tout en insistant sur le volet d'accompagnement des familles d'élèves absentéistes et sur la nécessité d'une approche individualisée des élèves. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 5 mai, le Président de la République a fait de la lutte contre l'absentéisme scolaire une priorité de son action. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ce cancer qui ronge le système scolaire touche en moyenne 7 % des élèves, soit 300 000 jeunes, qui se retrouvent bien souvent dans la rue livrés à eux-mêmes, ce qui peut mener à la marginalisation, à l'exclusion, voire à la délinquance.
Ce n'est pas une fatalité. Les parents sont responsables de l'assiduité de leurs enfants. Aucune école ne peut fonctionner sans l'attention des parents.
Les lois de 1881-1882 de Jules Ferry instituaient déjà une école publique gratuite et obligatoire, on surveillait déjà la fréquentation et l'assiduité scolaire.
En France, l'absentéisme existe depuis plus de 130 ans ; il est apparu en même temps que l'obligation scolaire. Les moyens d'y remédier, tout aussi anciens, sont cependant restés inefficaces jusqu'à présent.
Le lien entre l'obligation scolaire et les allocations familiales est un principe constant et ancien de notre droit,…
…édicté par les décrets de 1938, l'ordonnance de 1959, le décret de 1966, et c'est également ce principe qui a inspiré la loi de mars 2006 instaurant un contrat de responsabilité parentale…
..en vertu duquel le président du conseil général peut sanctionner les parents d'un enfant sujet à un absentéisme injustifié en demandant la suspension de tout ou partie des allocations familiales afférentes à l'enfant.
Si le cadre législatif le permet, la mise en oeuvre est peu fréquente,…
…alors même que 63 % des Français sont favorables à une telle mesure. Plus de 160 députés ont cosigné cette proposition de loi d'Éric Ciotti. Les parents ont des droits – percevoir des allocations familiales – mais aussi des devoirs – s'occuper de leurs enfants.
L'absentéisme nuit gravement au principe républicain d'égalité des chances.
Nous ne voulons pas que ces 300 000 jeunes soient absents de l'école, de même que nous ne voulons plus que 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification. La proposition de loi portée aujourd'hui par Éric Ciotti s'appuie sur un dispositif gradué et proportionné.
Elle a pour vocation de responsabiliser davantage les parents et prévoit qu'en cas de retour de l'élève à l'école, les allocations sont reversées. Cette proposition se veut équilibrée, avec, d'un côté, des dispositifs d'aide aux familles et, de l'autre, la crainte de la suppression des allocations familiales.
Il est temps de mettre le holà à l'absentéisme, de rénover le dispositif actuel en impliquant davantage ceux dont la responsabilité est évidente et directe, je veux parler des titulaires de l'autorité parentale.
Cette proposition de loi visant à lutter contre l'absentéisme scolaire vient donc compléter et renforcer des dispositions existantes mais manifestement insuffisantes. Sa valeur est de rappeler aux parents leur obligation en la matière.
Les prestations constituent une aide apportée aux parents pour exercer leur autorité parentale. Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de faire bénéficier de la solidarité publique ceux qui se désintéressent de ce devoir moral essentiel.
Des mesures complémentaires accompagneront cette proposition de loi. Je tiens à rendre hommage à l'action de Luc Chatel, s'agissant de la création des micro-lycées, de l'utilisation de la mallette des parents, de l'embauche de médiateurs, des dispositifs relais,…
… ainsi qu'à celle de Nadine Morano, avec le déblocage de 53 millions d'euros d'ici à 2012 pour les familles en difficulté.
Nous sommes attachés à l'obligation scolaire, et il n'y a pas d'obligation sans sanction. Celle-ci s'exercera en trois étapes : avertissement, suspension, suppression. C'est un dispositif gradué et proportionné, articulé autour de l'inspection académique, avec l'ensemble de la communauté éducative.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, le groupe UMP votera cette proposition de loi présentée et portée par notre excellent collègue Éric Ciotti. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Yves Durand, pour le groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous aurions pu – et nous le souhaitions – avoir un véritable débat sur l'absentéisme et le décrochage scolaires. Tout au long de nos délibérations, que ce soit dans la discussion générale ou dans celle des amendements, notre groupe a tenté d'avancer un certain nombre de propositions sérieuses pour faire évoluer notre système éducatif et lutter contre ce qui est un vrai problème.
Que ce soit l'instauration d'un véritable tutorat, pour accompagner les élèves en difficulté, ou d'une véritable politique d'accompagnement des familles – Jean-Patrick Gille en a parlé dans la discussion générale –, pour aider les familles confrontées à des problèmes vis-à-vis de leurs enfants, que ce soit la création de cellules de veille éducative au sein des collectivités éducatives, que ce soit, surtout, l'organisation d'une véritable orientation qui soit une orientation choisie et non, comme c'est le plus souvent le cas, notamment pour ceux qui sont victimes de décrochage scolaire, une orientation subie, à aucun moment vous n'avez daigné prendre ces propositions en considération.
Sur ordre du Président de la République – nous avons découvert un nouvel objet institutionnel : la proposition de loi d'origine présidentielle –,…
…vous voulez appliquer des mesures qui ont apporté la preuve de leur totale inefficacité, n'ont jamais marché, ni en France ni à l'étranger. Nous avons pris l'exemple de la Grande-Bretagne pour montrer que là où l'application d'une telle mesure avait été tentée, celle-ci n'avait jamais été efficace.
La fameuse suspension, voire suppression, des allocations familiales a non seulement démontré son inefficacité mais elle est aussi, à notre sens, dangereuse.
Au moment où la collusion entre votre gouvernement et les plus riches est de plus en plus avérée,…
…vous faites payer aux plus démunis les conséquences désastreuses de votre renoncement à l'égalité des chances en leur infligeant une véritable double peine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Au moment où les inégalités explosent – je vous renvoie au dernier rapport de la Cour des comptes –, vous tapez encore plus fort sur ceux qui sont déjà les victimes de votre politique. Chers collègues de droite, votre objectif n'est en fait pas de lutter contre le décrochage et l'absentéisme scolaires. Ça n'est en fin de compte de votre part qu'une nouvelle gesticulation pour cacher la destruction du système éducatif, comme le laissent d'ailleurs présager les notes du ministre de l'éducation nationale aux recteurs, demandant des suppressions de postes, …
…considérant que les classes doivent être encore plus chargées ou que l'école maternelle n'est pas la plus utile au développement des élèves. C'est la destruction de notre système éducatif.
Cette proposition n'est qu'un rideau de fumée pour cacher votre politique et rassembler la partie la plus conservatrice de votre électorat, elle n'est pas un instrument pour lutter contre l'absentéisme et le décrochage scolaires. Nous ne vous suivrons pas dans cette voie et nous refusons ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si la lutte contre l'absentéisme scolaire constitue une préoccupation majeure de tout responsable politique, dans le fond, la proposition de loi que le groupe UMP nous invite aujourd'hui à adopter n'est que le prétexte – comme l'a souligné mon collègue Jean-Paul Lecoq lors du débat général – à la mise en avant d'une idée populiste, répressive et démagogique par excellence. Car, au bout du compte, vous ne proposez que l'aggravation d'un dispositif déjà existant et qui a fait la preuve de son inefficacité : la suppression des allocations familiales en cas d'absentéisme scolaire injustifié.
La majorité semble tout ignorer des causes réelles de ce problème. Elle aurait été mieux inspirée de veiller à l'application stricte de l'article 48 de la loi pour l'égalité des chances instituant le contrat de responsabilité parentale, que le Gouvernement a imposé ici même en 2006, article qui prévoyait que les effets de ce contrat « en termes de réduction d'absentéisme et de troubles portés au fonctionnement des établissements scolaires feront l'objet, au plus tard au 30 décembre 2007, d'une évaluation ». Presque trois ans après, nous attendons toujours ce bilan.
Votre rapport, monsieur le rapporteur, fait l'impasse sur l'essentiel, la responsabilité du Gouvernement dans la situation actuelle : les 60 000 postes supprimés depuis 2003, la décision d'en finir avec la carte scolaire, l'incapacité à répondre aux problèmes de remplacement, l'offensive contre les RASED, les CPE, les « co-psy » et la médecine scolaire, qui jouent pourtant un rôle fondamental dans la prévention de l'absentéisme.
La tendance du Gouvernement et la majorité à instrumentaliser les chiffres n'est pas de nature à permettre d'aborder cette question avec responsabilité. Le taux d'absentéisme moyen de 7 % masque en fait de fortes disparités selon les établissements, qu'ils soient classés en zone d'éducation prioritaire ou non. D'autre part, si l'on a constaté un pic en 2007-2008, vous vous gardez bien de rappeler, monsieur le ministre, que la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance de votre ministère l'a notamment attribué aux mouvements de grève suite au projet de réforme des formations professionnelles en lycée.
Plusieurs raisons peuvent conduire au décrochage scolaire : des situations familiales précaires, parfois dramatiques, des orientations non choisies, comme le prouvent les chiffres élevés d'absentéisme en lycée professionnel, des affectations dans un établissement éloigné du domicile, la fatigue, des emplois du temps mal construits, et parfois même, tout simplement, le manque de sens des enseignements pour ces jeunes et ces enfants.
Les associations lycéennes évoquent aussi le faible niveau des bourses, qui oblige certains lycéens à se salarier.
Au lieu de vous atteler à faire évoluer notre système éducatif, vous choisissez de vous en prendre aux familles. Ce dispositif sera contre-productif car la suspension des allocations familiales, tout en risquant de pénaliser le reste de la fratrie, fragilisera davantage leur situation économique et sociale. Comble du cynisme : alors qu'il est reconnu que l'absentéisme touche d'abord les quartiers défavorisés, vous envisagez de réduire les revenus minimum de ces familles en conséquence. C'est scandaleux, et votre loi stigmatisera davantage les plus modestes et les habitants des quartiers populaires.
Toutes les parties ont fait part de leur hostilité : le président de la Caisse nationale d'allocations familiales, les syndicats d'enseignants et le syndicat des inspecteurs d'académie, les fédérations de parents d'élèves et la majorité des présidents de conseils généraux.
En 2003, alors que M. Sarkozy était ministre de l'intérieur, vous décidiez d'abroger un dispositif similaire en exposant les motifs de la future loi relative à l'accueil et à la protection de l'enfance de la façon suivante : « Le non-respect de l'obligation scolaire est un phénomène complexe. Il est très souvent signe d'un mal-être de l'élève, de souffrances qui peuvent être d'origine scolaire, personnelle ou familiale. Le droit en vigueur en matière d'obligation scolaire se caractérise par un dispositif de suspension et de suppression des prestations familiales, dont l'application s'est révélée inefficace et inéquitable. Parce que l'assiduité scolaire constitue un devoir pour les enfants, une obligation pour les parents et une chance pour les familles, le Gouvernement propose d'abroger le dispositif administratif de suppression ou suspension des prestations familiales ».
Les députés communistes, républicains et du parti de gauche ainsi que l'ensemble du groupe de la gauche démocrate et républicaine ne sont pas dupes de vos manoeuvres grossières. Vous avez refusé tous nos amendements destinés à remettre à plat les procédures d'alerte et d'aide aux familles. Nous voterons donc résolument contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 519
Nombre de suffrages exprimés 503
Majorité absolue 252
Pour l'adoption 287
Contre 216
(La proposition de loi est adoptée.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, de modernisation de l'agriculture et de la pêche. (nos 2559, 2636, 2581)
Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d'appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d'un temps attribué aux groupes de vingt-cinq heures.
Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe UMP, sept heures cinq ; le groupe SRC, neuf heures cinquante ; le groupe GDR, quatre heures quarante-cinq ; le groupe Nouveau centre, trois heures vingt. Les députés non inscrits disposent, quant à eux, d'un temps de quarante minutes.
En conséquence, chacune des interventions des députés, en dehors de celles des rapporteurs et du président de la commission saisie au fond, sera décomptée sur le temps du groupe de l'orateur.
Les temps qui figurent sur le « jaune » ne sont en tout état de cause qu'indicatifs.
La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi de vous remercier de participer au débat sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Votre présence, comme la qualité des discussions qui ont eu lieu en commission des affaires économiques et en commission du développement durable, témoignent de l'attachement de la représentation nationale à l'avenir de l'agriculture et de la pêche en France. Je tiens à remercier en particulier le président Patrick Ollier et les rapporteurs Michel Raison et Louis Guédon pour la qualité du travail que nous avons fait en commun.
J'associe à ces remerciements Christian Patria et Christian Jacob pour leurs avis précieux.
Votre présence témoigne aussi d'une prise de conscience : l'agriculture et la pêche, que nous considérions comme des atouts immuables de notre économie et de nos territoires, sont désormais menacées : menacées par la concurrence de nouvelles puissances agricoles en Europe et ailleurs ; menacées par la volatilité des prix et des cours ; menacées par les défauts de la régulation agricole mondiale, ou plus exactement par son absence ; menacées par un effondrement des revenus qui a frappé toutes les exploitations, toutes les filières, toutes les familles de paysans et de pêcheurs au cours de l'année 2009 ; menacées par la lenteur des institutions européennes, qui ont mis trois mois avant d'intervenir en réponse à la crise du lait ; mais menacées aussi, reconnaissons-le, par les retards que nous avons pris dans notre adaptation à la réalité agricole mondiale,…
… par notre incapacité à voir le monde tel qu'il est et par notre inclination à lui reprocher de ne pas être tel que nous le souhaiterions.
Plusieurs députés du groupe UMP. C'est vrai !
La réalité, c'est que le monde agricole a radicalement changé. De nouvelles puissances agricoles, tels le Brésil ou la Chine, sont apparues en quelques années : d'ici 2020, la production du Brésil devrait augmenter de 40 %, contre 4 % en Europe ; en 2009, la Chine a acheté plus de 10 millions d'hectares de terres agricoles en Afrique pour subvenir à ses besoins.
Jamais l'agriculture n'a été totalement à l'abri des risques et de la compétition, mais désormais, elle est devenue un nouveau terrain d'affrontement des grandes puissances. En Europe même, la France doit faire face à une concurrence de plus en plus rude, en particulier de nos amis et voisins allemands : pouvons-nous accepter que les importations de lait en provenance de ce pays continuent d'augmenter de 60 % par an comme en 2009 ? Pouvons-nous continuer à accepter que ce pays double ses surfaces en fruits et légumes quand nous les réduisons de 20 % sur la même période, et qu'il se soit doté d'outils de maîtrise du foncier quand nous, première puissance agricole européenne, continuons de perdre 200 hectares de terres agricoles par jour ?
Je ne vous propose pas ici de nous aligner sur cette nouvelle réalité agricole mondiale. Je vous propose de prendre les mesures nécessaires au renforcement de notre modèle agricole français, qui repose sur la qualité des produits et sur le respect de tous les territoires, y compris les territoires difficiles tels que la montagne, sur la valorisation des productions, sur le meilleur équilibre possible entre la taille des exploitations et le rendement attendu, sur le respect des règles environnementales et la recherche constante et assidue des meilleures pratiques agricoles. Je vous propose de promouvoir un modèle qui refuse la standardisation des produits autant que la concentration à outrance des exploitations. Je vous propose de valoriser un modèle agricole français qui est fait de raison et de tempérance. Je ne vous propose pas de vous soumettre à des choix économiques et politiques qui ne sont pas les nôtres, mais de donner à nos agriculteurs comme à nos pêcheurs les moyens de défendre l'indépendance de notre développement agricole.
Pour y parvenir, le projet de loi fixe un objectif politique à notre agriculture : l'alimentation. En effet, l'alimentation est une question de santé publique : personne ne peut se satisfaire de l'augmentation de l'obésité en France, en particulier chez les plus jeunes et dans les catégories sociales les plus défavorisées. Nous voulons donc, Roselyne Bachelot et moi, renforcer les règles nutritionnelles dans les établissements de restauration collective et veiller à leur meilleure application.
Mais l'alimentation est aussi une question culturelle : nous voulons soutenir la diversité des produits, améliorer l'information des consommateurs sur leur origine, et par conséquent mettre en place un étiquetage le plus précis possible. Enfin, l'alimentation est une question de circuit économique : à un produit agricole qui parcourt en moyenne 2 000 kilomètres avant de parvenir dans notre assiette, nous préférerons toujours un produit local. Pour avancer dans cette direction, qui demandera de la patience et de la détermination, nous voulons développer les circuits courts et modifier le code des marchés publics.
Sur la base de ce projet politique, nous fixons un objectif économique à cette loi : défendre le revenu des agriculteurs et des pêcheurs.
Le contrat écrit est l'outil essentiel de défense de ce revenu ; il garantira de la stabilité et de la visibilité sur plusieurs années à des producteurs qui aujourd'hui investissent sur dix ans mais ne savent pas quel sera leur revenu le mois suivant. Nous ne pouvons pas continuer avec un système dans lequel un producteur de lait investit 90 000 euros pour un robot de traite et ne sait pas ce qu'il gagnera le mois suivant. Nous ne pouvons pas continuer avec un système dans lequel un producteur de viande investit 200 000 euros pour mettre aux normes son exploitation et reste dans l'incertitude la plus totale sur son revenu, un système dans lequel le producteur est le seul à prendre de plein fouet des variations de cours qui peuvent aller jusqu'à 50 % ou 60 % en quelques mois. Dans un marché qui ne répond plus à une gestion administrative mais qui obéit à la loi de l'offre et de la demande, les contrats écrits sont un instrument de protection indispensable du producteur. Dans un marché où les quotas administrés auront disparu en 2015, les contrats écrits constituent un nouvel élément de stabilité. Pour garantir l'équité de ces contrats, nous mettrons en place un médiateur sous l'autorité de la puissance publique. Pour leur donner toute leur efficacité, nous travaillons à une modification du droit de la concurrence européen qui autorisera les producteurs à davantage se regrouper et qui donnera la possibilité aux interprofessions de fixer des indicateurs de tendance de marché. Ces contrats écrits, je le constate, font école en Europe : le groupe à haut niveau mis en place par la Commission européenne à la demande de la France recommande leur généralisation à tous les États membres. Pour une fois, la France en matière de réforme agricole a un temps d'avance sur ses vingt-six partenaires : elle a créé la première l'instrument qui est recommandé aujourd'hui à tous les États membres.
Nous souhaitons maintenant que nos propositions en matière de transparence sur les volumes de production en Europe soient également retenues, car elles seront un élément de stabilisation du marché.
L'amélioration des relations commerciales sera le deuxième outil de défense du revenu du producteur. Comment accepter que des producteurs produisent un kilo de fruits ou de légumes à 80 centimes d'euro, qu'ils le vendent à 65 centimes et qu'ils le retrouvent à plus de deux euros sur les marchés ?
Comment accepter que les producteurs soient systématiquement la variable d'ajustement de la filière commerciale en France ? Comme si l'on pouvait toujours tirer le plus possible le prix vers le bas. Comme si l'on pouvait oublier que la qualité du produit, la sécurité sanitaire et le respect de l'environnement ont un coût payé par les producteurs. Comme si l'on pouvait oublier que les paysages français ne sont pas beaux tout seuls mais parce que les agriculteurs s'en occupent et qu'ils le font à leurs frais et à leurs dépens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
L'observatoire des prix et des marges sera donc renforcé. Il touchera tous les produits agricoles. Il traitera également la question des coûts de production, pour aider les producteurs à les réduire. Il sera dirigé par une personnalité de haut niveau, qui expliquera les résultats de l'observatoire et qui permettra aux parlementaires d'en tirer toutes les conséquences.
Nous voulons aussi supprimer les remises, rabais et ristournes qui jouent au détriment du producteur. Nous voulons encadrer les marges en période de crise, grâce à l'accord qui a été signé avec la grande distribution, sous l'autorité du Président de la République.
Il ne s'agit pas d'opposer producteurs, distributeurs et industriels. Il s'agit simplement de mettre davantage de transparence et d'équité dans les relations commerciales. C'est la condition d'un meilleur travail en commun, dans l'intérêt de tous.
Dans un monde agricole où les crises sanitaires et les incidents climatiques – encore tragiquement présents dans l'actualité récente – sont de plus en plus fréquents, la défense du revenu des producteurs passe aussi par une amélioration des dispositifs de couverture des risques.
Nous étendrons donc la dotation pour aléa aux risques économiques. Nous élargirons le fonds de garantie des calamités agricoles aux risques sanitaires et environnementaux. Enfin nous développerons l'assurance, avec les travaux sur la réassurance publique qui, pour la première fois, seront mentionnés dans un texte législatif.
Assurance ne signifie pas désengagement de l'État : afin d'inciter les agriculteurs à se tourner vers ces dispositifs, les primes d'assurance seront subventionnées à hauteur de 65 % par l'État et l'Union européenne.
Assurance, cela veut dire prévisibilité, garantie face aux risques, sécurité pour les professionnels. En Allemagne, 25 % des éleveurs sont déjà assurés. En France, aucun, car il n'existe aucun dispositif d'assurance pour les éleveurs, faute de réassurance publique.
Il est temps de combler ce manque pour les éleveurs mais aussi pour le secteur de la forêt qui a été confronté à une série de catastrophes naturelles sans précédent alors qu'il représente un atout économique majeur pour notre pays.
Enfin, les producteurs pourront d'autant mieux défendre leur revenu qu'ils seront mieux organisés et que les filières seront mieux structurées.
Le projet de loi renforce donc le rôle des interprofessions et des organisations de producteurs. Par souci de pragmatisme, nous avons néanmoins maintenu les organisations de producteurs non commerciales, en particulier dans le domaine de l'élevage.
Il n'y a pas d'esprit de système dans cette loi. Il y a seulement la volonté de faire passer un cap à l'agriculture française, en respectant sa diversité et sa singularité.
Les interprofessions doivent-elles être ouvertes à l'ensemble des syndicats représentatifs ? J'ai la conviction que, dans le monde nouveau dans lequel nous entrons, il est plus que jamais nécessaire que l'esprit de rassemblement l'emporte sur les divisions.
Il est plus que jamais nécessaire que tous les professionnels travaillent ensemble et confrontent leurs points de vue, dans un esprit de responsabilité. C'est à eux de prendre librement cette décision.
Mesdames et messieurs les députés, la loi de modernisation confirme notre volonté de donner des perspectives de long terme à l'agriculture et à la pêche françaises.
Le long terme, c'est d'abord la préservation de l'outil de travail : la terre agricole. Nous mettrons donc en place une commission départementale qui se prononcera sur tous les documents d'urbanisme. Nous créerons un observatoire de la consommation des terres agricoles. Nous taxerons la spéculation sur les terres agricoles, dès que le produit de la vente sera dix fois supérieur à son prix d'achat. Le produit de cette taxe sera versé aux jeunes agriculteurs, car le long terme, c'est aussi le maintien d'une politique d'installation forte et cohérente sur tout le territoire.
Le défi actuel est de concilier respect de l'environnement et compétitivité économique de notre agriculture. Les deux objectifs ne sont pas contradictoires, mais étroitement complémentaires.
(M. Marc Le Fur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Quand nous aidons un exploitant à faire un bilan de performance énergétique, nous l'aidons à réduire ses coûts de production tout en protégeant l'environnement.
Quand nous classons la méthanisation en activité agricole – comme ce texte le prévoit – nous favorisons le traitement des rejets tout en produisant de l'énergie renouvelable et en permettant à l'exploitant de dégager un revenu supplémentaire.
Quand nous finançons la recherche sur la propulsion hybride diesel-électrique des navires de pêche, comme je l'ai proposé hier à Étaples-sur-Mer, nous protégeons les mers tout en réduisant les charges des pêcheurs : 50 % environ du coût du poisson résulte de la consommation de carburant par le navire ; ce modèle économique dépendant exclusivement des ressources fossiles n'est plus tenable.
De la même façon, le coût des intrants azotés représente 10 % des charges des agriculteurs, sachant que la totalité des intrants représentent 30% des charges Ce modèle économique n'est plus tenable non plus.
La force de la France, c'est précisément de chercher des solutions alternatives, de proposer un modèle de développement agricole durable. Grâce aux efforts de tous, nous sommes sur la bonne voie.
Venons-en au sujet sensible des installations classées, qui a fait les délices de la presse. Nous ne prendrons aucune décision qui puisse remettre en cause les efforts accomplis par les agriculteurs afin de mieux préserver l'environnement en Bretagne comme ailleurs.
Cela étant, à l'intention des députés qui ont déposé des amendements sur ce sujet, je précise que nous trouverons des solutions concrètes visant à raccourcir et simplifier les démarches administratives qui pèsent trop lourdement sur les exploitants agricoles.
Nous avons voulu que la pêche figure en bonne place dans ce texte de loi, car ce secteur a, lui aussi, besoin de tout notre soutien et de décisions nouvelles.
Il est temps de concilier les avis des pêcheurs et des scientifiques sur la ressource halieutique. Arrêtons la confrontation quand le travail en commun est dans l'intérêt de tous et notamment de la France. Nous le ferons grâce à la mise en place du comité de liaison scientifique et technique qui vous est proposé dans ce projet de loi.
(M. Maurice Leroy remplace M. Marc Le Fur au fauteuil de la présidence.)
Il est temps aussi de favoriser l'émergence d'une interprofession de la pêche, pour mieux défendre les intérêts des pêcheurs. Nous le ferons grâce au regroupement des comités locaux des pêches et au renforcement des comités régionaux, prévus dans ce projet de loi.
Il est temps de réduire notre dépendance à l'importation de produits de la mer qui atteint actuellement plus de 80 %, ce qui n'est pas acceptable dans un grand pays maritime comme la France. Nous le ferons grâce au développement raisonné de l'aquaculture qui vous est proposé dans ce texte. Je tiens à remercier le co-rapporteur Louis Guédon pour toutes ses propositions dans ce domaine.
Mesdames et messieurs les députés, l'agriculture et la pêche n'appartiennent pas seulement à la tradition de la France ; ce sont des forces vivantes pour notre pays. L'agriculture et la pêche ne sont pas des secteurs du passé ; ce sont des atouts majeurs pour notre avenir.
Les décisions que je vous propose représentent une vraie révolution dans beaucoup de filières agricoles. Cette révolution est nécessaire pour nous permettre de gagner en compétitivité et de valoriser au mieux nos produits comme notre modèle agricole.
C'est aussi pour cette raison que nous étendrons ces dispositions à l'outre-mer, en les accompagnant de mesures spécifiques car, là plus qu'ailleurs, ce secteur a besoin de soutien et de perspectives d'avenir.
Nous serons un exemple en Europe si nous restons en mouvement. Nous serons un modèle en Europe si nous ne cessons de faire preuve d'audace et de courage dans ce secteur et dans les autres, comme l'agriculture et la pêche française en ont témoigné depuis des décennies.
Hier, l'Europe était engagée dans un mouvement de libéralisation totale des marchés agricoles. Hier, l'Europe était engagée dans un démantèlement total des instruments d'intervention sur les marchés agricoles. En octobre dernier, la Commission européenne proposait formellement une réduction de 40 % du budget de la politique agricole commune.
Aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, sous l'impulsion de la France et de son Président de la République, vingt-deux États se sont prononcés pour un maintien du budget de la politique agricole commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Au moment où je vous parle, la régulation des marchés agricoles européens – taboue en août dernier – est au coeur de tous les débats.
Au moment où je vous parle, nous sommes sur le point de définir une position commune avec l'Allemagne sur la PAC pour 2013. En un an, nous avons parcouru ensemble un chemin considérable en Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Tout n'est pas encore gagné, loin de là. Nous devons continuer à nous battre pour une PAC forte et une régulation européenne des marchés agricoles. Nous devons continuer à nous battre pour des échanges mondiaux plus justes et plus équilibrés, dans lesquels l'agriculture n'est plus systématiquement la variable de négociation des autres accords.
La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche n'est pas une fin, c'est un point de départ. Elle n'est pas l'aboutissement de nos efforts, elle est le socle sur lequel nous pourrons bâtir ensemble, en France et en Europe, une agriculture plus forte, plus confiante en elle-même, au service de tous nos concitoyens.
Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Michel Raison, co-rapporteur de la commission des affaires économiques.
de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis que le Président de la République, dans son discours de Daumeray du 19 février 2009, a annoncé le dépôt d'un projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, tout ce que la France compte de personnes dévouées au monde agricole travaille à l'élaboration d'un texte. Certaines personnes sont dévouées sincèrement, d'autres moins.
Nous travaillons à un texte qui permette d'apporter des solutions pérennes aux crises futures et pas seulement à la crise présente, et qui apporte des solutions concrètes et opérationnelles aux agriculteurs, afin qu'ils puissent lutter à armes égales avec leurs concurrents.
Ce texte doit aussi leur redonner espoir en l'avenir et tracer les grandes lignes de notre stratégie visant à adapter l'agriculture à l'après 2013.
Nous avons tous beaucoup travaillé sur ce projet de loi : le ministre évidemment, c'est bien normal, le Sénat bien sûr, les commissions de l'Assemblée saisies au fond et pour avis, vous tous qui avez déposé de très nombreux amendements qui reflètent les préoccupations des hommes et des femmes que nous rencontrons tous les jours dans nos circonscriptions.
L'agriculture passionne les Françaises et les Français. L'agriculture passionne les parlementaires.
Alors, ce texte est-il parfait ? Donne-t-il la clé qui sauvera les exploitations en difficulté, qui garantira un revenu stable à tous les agriculteurs et les protégera contre tous les risques qui menacent leurs entreprises ?
Bien sûr que non ! Je n'ai pas peur de le dire, car il ne faut pas promettre tout et n'importe quoi aux agriculteurs…
…qui, par ailleurs, ne sont pas dupes des promesses que l'on peut leur faire ici ou là.
Ils savent bien que le fonctionnement des entreprises agricoles dépend de certains leviers, l'agriculteur lui-même étant le premier d'entre eux : comme tout entrepreneur, il a des efforts à fournir. Le deuxième levier est le marché, que la contractualisation ne nie pas. Le troisième levier est constitué par PAC et l'OMC.
Vous savez, monsieur le ministre, les agriculteurs sont conscients que vous avez la compétence et la force pour porter haut et fort la parole de la France dans les instances internationales.
Je n'ai pas peur non plus de dire que ce projet de loi apporte des solutions françaises, des outils concrets qui permettront aux agriculteurs de mieux se défendre face à la concurrence et de mieux se protéger des aléas. Ce texte va les accompagner dans la grande mutation de l'agriculture.
Sans reprendre l'ensemble des dispositions prévues par le projet de loi que le ministre a fort bien détaillées, je soulignerai seulement que le texte approfondit quelques options qui avaient été arrêtées par la loi d'orientation agricole.
Je pense à la contractualisation. La conclusion obligatoire de contrats de vente écrits, ce n'est pas rien. Dans certains secteurs, cela constituera même un progrès notable, qui permettra aux agriculteurs de mieux gérer les demandes de leurs clients et d'avoir une véritable visibilité sur leurs engagements.
Je pense également au renforcement de l'organisation économique, avec la clause de rendez-vous en 2012 pour le bilan de l'ensemble des organisations de producteurs – OPC, organisations de producteurs commerciales, comme OPNC, organisation de producteurs non commerciales. Un nouvel accent est par ailleurs mis sur le rôle des interprofessions dans le domaine économique.
Je pense enfin à la gestion des aléas, qui, suite aux avancées obtenues dans le cadre du bilan de santé de la PAC, va enfin pouvoir décoller, non seulement grâce au cofinancement obtenu pour l'aide à l'assurance récolte, mais aussi grâce aux fonds de mutualisation que pourront désormais créer les professionnels.
Je tiens également à souligner que les difficultés spécifiques du secteur des fruits et légumes ont été prises en compte. Les articles 4, 5 et 5 bis visent ainsi à rétablir des relations commerciales plus équitables entre les producteurs et les distributeurs.
De même, la création, à l'article 6, d'un observatoire de la formation des prix et des marges permettra, je l'espère, de pacifier, ou du moins de rendre objectifs les débats sur la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières en apportant un peu plus de transparence sur la formation des prix des produits alimentaires.
Pas du tout, mon cher collègue : vous vous trompez. (Sourires.)
En matière de développement durable de l'agriculture, le projet de loi creuse, là aussi, le sillon tracé par la loi d'orientation agricole en 2006, avec la création des zones agricoles protégées. Le PRAD, le plan régional d'agriculture durable, mais surtout les commissions départementales de consommation des espaces agricoles, ainsi que la taxe prévue à l'article 13, auront, à cet égard, une force plus contraignante qui contribuera, nous le souhaitons tous, à freiner la perte de surface agricole utile à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés – 200 hectares par jour, ce n'est pas rien.
Le projet de loi investit également de nouveaux champs, avec la consécration, au titre Ier, d'une politique publique de l'alimentation et la création, au titre III, de nouveaux outils de gestion forestière afin de favoriser une plus grande mobilisation du bois, en particulier dans la petite propriété privée. En effet, un pourcentage important de notre forêt nationale privée n'est pas mobilisé.
Quels signes la commission des affaires économiques a-t-elle voulu donner ? En premier lieu, elle a abondé dans le sens des principales dispositions du projet de loi, les précisant ou les clarifiant, comme à l'article 1er, où elle a explicité le lien entre le PNA – le programme national de l'alimentation – et le PNNS – le programme national nutrition-santé –, ou encore à l'article 3, où elle a précisé la portée de l'obligation contractuelle et les sanctions y afférant pour les coopératives agricoles.
À l'article 8, elle a également tenu à clarifier la rédaction prévue par le texte afin d'éviter toute ambiguïté sur le bilan des organisations de producteurs. Je le répète aux parlementaires que cette question préoccupe : le texte ne vise pas les OPNC.
À l'article 12, l'intervention des commissions départementales de la consommation des espaces agricoles a été élargie et précisée ; de même, à l'article 15, la mention des chartes forestières dans le dispositif de mise en valeur de la forêt a été réintroduite – j'adresse un clin d'oeil à Josette Pons, qui nous y a fait penser –, et le financement des actions forestières des chambres d'agriculture a été explicité.
J'ai le droit de faire des clins d'oeil à qui je veux ! (Sourires.)
Enfin, la commission a également confirmé, au sein du projet de loi issu du Sénat, la suppression de deux dispositions. Il s'agit d'abord de l'article 11, qui renvoyait à une ordonnance la création d'un statut d'agriculteur-entrepreneur, auquel aurait été réservé un certain nombre d'aides, notamment fiscales. Or, comme l'a fort justement souligné le Président de la République dans son discours de Daumeray, « un agriculteur, c'est […] un entrepreneur ». Pourquoi, dès lors, créer un statut qui ne pouvait qu'être le germe de nouvelles dissensions au sein du monde agricole ? S'il y avait un article qui faisait l'unanimité contre lui, c'est bien l'article 11 ; la commission a donc confirmé sa suppression.
L'idée de le supprimer ? C'est nous, avec le Sénat ! (Sourires.)
La commission a également confirmé la suppression des dispositions qui approfondissaient la possibilité aujourd'hui donnée à l'Office national des forêts d'intervenir en forêt privée. L'ONF a déjà suffisamment à faire avec la forêt publique : laissons la forêt privée s'organiser avec ses propres moyens.
En second lieu, la commission s'est intéressée à la question, aujourd'hui cruciale, des distorsions de concurrence. Les mesures prises par le Gouvernement dans le cadre de la loi de finances rectificative de mars 2010 pour alléger le coût du travail saisonnier constituent une réelle avancée, qui a en outre un coût financier important. Mais il ne s'agit là que d'un aspect du problème : la somme des contraintes réglementaires et administratives que supportent les agriculteurs français est elle aussi à prendre en compte. C'est la raison pour laquelle le Sénat a souhaité renforcer les prérogatives de l'Observatoire des distorsions de concurrence. La commission des affaires économiques a pour sa part demandé au Gouvernement, sur cette question, un rapport chiffré comportant des propositions concrètes d'allégement des contraintes. De grâce, simplifions !
Elle a également adopté un certain nombre de mesures de simplification, telles que l'harmonisation des seuils d'autorisation pour les ICPE, les installations classées pour la protection de l'environnement, avec les seuils prévus par la législation de l'Union européenne en matière d'élevage, ainsi que la réduction des délais d'examen des dossiers de demande d'autorisation et la diminution à un an des délais de recours opposables aux tiers.
Je mentionnerai également la possibilité de former un GAEC – groupement agricole d'exploitation en commun – entre époux, concubins et PACSés, ou encore, monsieur le ministre, la possibilité de déclarer et payer ses cotisations sociales sur l'année en cours.
Enfin, votre rapporteur avait à coeur de proposer des outils directement utiles aux exploitants. Je ne crois pas me tromper en avançant que la disposition législative la plus populaire de ces dernières années dans le monde agricole est le crédit d'impôt remplacement, institué par la loi d'orientation agricole.
Cette mesure part d'un constat simple, que chacun d'entre nous peut faire : un agriculteur, et surtout un éleveur, ne peut partir en vacances qu'avec le paiement du service de remplacement, organisation originale que certains essaient à juste titre d'imiter. L'article 11 ter A propose donc simplement, d'une part, de prolonger de deux ans ce dispositif qui doit s'éteindre à la fin de 2010, et, d'autre part, de l'étendre aux congés pour formation ainsi que, dans les toutes petites exploitations de moins de trois salariés, aux absences d'un salarié pour formation. Toutefois, M. le ministre nous ayant signalé en commission qu'un crédit d'impôt pour la formation des chefs d'entreprise existait déjà, je proposerai, par un amendement, de réduire le champ de cet article à la formation des seuls salariés, tout en maintenant bien sûr le remplacement pour congés. Je ne doute pas que M. le ministre émettra un avis favorable sur cet amendement.
Enfin, après avoir longuement mûri ma réflexion, j'ai aussi déposé un amendement visant à délier une petite partie de la DPA, la déduction pour aléas, de l'obligation d'assurance à laquelle les exploitants sont soumis pour avoir droit à cette déduction. S'il est indispensable de soutenir le développement de l'assurance, ce n'est pas en bridant le développement d'autres dispositifs que l'on y parviendra. Méfions-nous toujours de ce qui peut apparaître intellectuellement satisfaisant !
La constitution par les exploitants d'une épargne de précaution me paraît être un aspect essentiel de la gestion des aléas économiques ; et l'obligation de contracter une assurance pour bénéficier de la DPA est aujourd'hui identifiée comme le principal frein au dispositif, en particulier pour les exploitations en polyculture ou les petites exploitations, qui ne peuvent supporter le coût financier, non plus qu'administratif et de gestion, de la souscription d'une assurance. L'amendement que je souhaite défendre avec plusieurs collègues prévoit donc simplement que 5 000 euros de DPA – au lieu de 23 000 – peuvent être constitués sans obligation d'assurance, avec un plafond de 35 000 euros, au lieu de 150 000 pour la DPA liée à l'obligation d'assurance.
L'objectif est que toutes les exploitations agricoles puissent avoir accès au dispositif, et soient ainsi mieux protégées contre les aléas économiques. Cette disposition va dans le sens de la volonté d'adapter les exploitations agricoles aux nouvelles donnes, les aléas sur les prix étant plus importants que par le passé.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est complet. Il essaie de jouer sur tous les leviers possibles pour redynamiser le secteur agricole, et il va aussi loin qu'il peut aller, notamment sur tous les sujets sur lesquels Bruxelles a le dernier mot. Nous n'avons pas souhaité, bien sûr, aller au-delà de ce qui est autorisé par l'Union européenne : imposer l'étiquetage obligatoire des produits agricoles, donner une préférence aux produits locaux dans les marchés publics et, plus généralement, considérer que le droit de la concurrence ne s'appliquait pas au secteur agricole, ou encore instaurer une politique de prix minima contrôlée par les pouvoirs publics. Ce ne sont pas là les réponses qu'attendent aujourd'hui les agriculteurs : ils savent que, pour être compétitifs, continuer à produire et permettre à la France de garder son rang de grande puissance agricole et agroalimentaire, on ne peut ignorer les fondamentaux de l'économie.
Il ne s'agit pas de contourner l'Europe ou le marché, mais de convaincre nos partenaires d'aller dans le même sens que nous, de mieux réguler ce marché, de donner plus de pouvoirs aux agriculteurs pour s'organiser, plus de marges de manoeuvre aux interprofessions et plus d'informations utiles au consommateur.
C'est ce à quoi s'emploie, avec brio, le ministre de l'agriculture dans les négociations à Bruxelles.
De notre côté, employons-nous à écrire une bonne loi ; une loi utile aux agriculteurs de notre pays, et une loi qui simplifiera un certain nombre de dossiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Louis Guédon, co-rapporteur de la commission des affaires économiques.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi s'inscrit dans un contexte de crise pour notre pêche, laquelle, depuis quelques décennies, a perdu la moitié de ses bateaux, de ses marins et de son tonnage de production. Elle évolue sans liberté d'entreprendre, totalement encadrée par des taux autorisés de capture décidés par l'Union européenne.
La France, avec 5 000 kilomètres de côtes, possède le plus grand littoral de l'Union européenne. Elle a vocation à rester une puissance maritime. Notre pays possède 7 389 navires, dont près de 5 000 en métropole, navires souvent construits avant 1980. Leurs équipages sont composés de plus de 24 000 marins, et le tonnage débarqué approche les 570 000 tonnes, auxquelles s'ajoutent près de 300 000 tonnes de l'aquaculture, 193 000 tonnes de production conchylicole, avec une mortalité considérable dans l'ostréiculture.
Le texte ne prétend pas avoir l'ambition de la loi d'orientation de la pêche de 1997, porteuse d'espoirs malheureusement restés sans lendemain.
Ne vous laissez pas interrompre, monsieur le rapporteur : malgré le talent de M. Brottes, vous seul avez la parole.
Je veux tout de même lui répondre, car les premiers malheurs de la pêche sont venus du plan Mellick : c'est ce premier plan pluriannuel qui nous a mis dans le pétrin, passez-moi l'expression ! Nos collègues socialistes devraient le savoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
En effet, il ne faut jamais chercher un marin ! (Sourires.)
Si ce texte, disais-je, n'a pas l'ambition de la loi de 1997, il a le grand mérite de réorganiser la filière, de répondre aux besoins de la nouvelle situation et de remédier aux déséquilibres engendrés par la distorsion entre l'activité actuelle et des structures inadaptées, car mises en place à une époque où chaque port était, pour beaucoup de cités maritimes, la première zone industrielle ou économique.
Le Gouvernement a le mérite de présenter, à travers le titre IV, un texte adapté à notre situation et attendu par les professionnels. Il répond à diverses questions que nous ne cessions de formuler. Il associe tout d'abord les parlementaires – déjà largement sollicités sur les dossiers économiques, l'organisation des marchés, la formation, l'emploi, les relations sociales ou la gestion de la ressource – aux travaux du conseil supérieur d'orientation des politiques halieutiques, aquacoles et agroalimentaires. Mais son objet est surtout de créer un comité de liaison scientifique et technique des pêches maritimes et de l'aquaculture.
Sa vocation première sera d'éviter des affrontements qui ne sont que trop fréquents. Il rapprochera les points de vue des scientifiques et des marins sur des questions techniques et sur l'évaluation de la ressource halieutique, dans le cadre d'une analyse conjointe des données issues tout à la fois de la recherche scientifique et de la connaissance empirique des professionnels. Ce comité devra, au moins une fois par an, examiner la recherche et l'évolution des implantations en matière d'aquaculture marine.
À la demande du Sénat, il est proposé de mettre en oeuvre des conférences régionales de l'utilisation de la mer et du littoral. Ces conférences sont adossées à un dispositif figurant dans le code de l'environnement et complémentaire des stratégies de la façade maritime. Elles auront une périodicité annuelle et seront placées sous la responsabilité des préfets maritimes et des préfets de région.
Il est également prévu d'étudier la mise en place d'un plan de lutte contre la pollution marine engendrée par le chlordécone, ce produit antiparasitaire longtemps utilisé dans les Antilles françaises et qui présente une forte toxicité.
La création de schémas régionaux de développement et d'aquaculture marine est la bienvenue. Après avoir été à la pointe de la recherche, la France est désormais distancée par différents pays alors que le poisson consommé dans l'Hexagone est pour moitié fourni par l'aquaculture. Il convient donc de confier à l'aquaculture des espaces nécessaires et de prévenir les conflits d'usage et d'objectifs en développant une approche restrictive sous forme de planification stratégique.
Dans chaque région, ces schémas permettront de recenser les sites existants et d'identifier ceux qui sont propices au développement d'une aquaculture durable. Leur élaboration appartiendra aux préfets de région, en concertation avec les collectivités territoriales, les professionnels, les établissements publics et les personnalités qualifiées dans la protection de l'environnement et la mise en valeur de la mer et du littoral.
L'articulation avec les autres documents de planification, tels que les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux et les schémas de mise en valeur de la mer et le suivi des schémas régionaux de développement de l'aquaculture est assurée par le préfet de région qui établira un bilan porté à la connaissance du public.
Afin de limiter les pratiques de ventes sauvages qui déstabilisent le marché, il nous est proposé d'encadrer les modalités de premières mises en vente des produits de la pêche soit dans des criées modernes, soit par des ventes de gré à gré aux premiers acheteurs enregistrés selon les réglementations communautaires, et, lorsque cela n'est pas possible, par la vente au détail limitée à des fins de consommation privée.
La réglementation d'accès à la ressource et à la gestion des autorisations de pêche à travers la répartition des compétences entre l'État, les comités de pêche et les organisations de producteurs reste une préoccupation majeure et constitue évidemment un point important du dispositif concerné.
Cette réglementation est élaborée à l'échelon européen depuis l'instauration, en 1983, de la PCP. Elle se traduit, au fur et à mesure de l'évolution de la ressource, par des restrictions sous forme de taux admissibles de capture – TAC – ou de limitation d'effort de pêche. Les modalités d'application relèvent de la compétence des États membres.
Il vous est proposé de clarifier les compétences des différents intervenants selon une clé de répartition acceptable pour tous. Le principe est le suivant : l'autorité administrative délègue ses compétences aux organisations de producteurs pour les espèces soumises à un TAC ou à des quotas de capture, et au comité national ou aux comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins pour les autres espèces. Ces sous-quotas de capture et d'efforts de pêche ne sont affectés à des navires ou à des groupements de navires que si ceux-ci n'adhèrent pas à une organisation de producteurs, l'organisation de l'exploitation rationnelle de la ressource relevant de la compétence de l'autorité administrative. Les organisations de producteurs disposent de la capacité de délivrer des sanctions à l'encontre de leurs adhérents en cas de manquements aux règles de gestion durable.
La diminution régulière du nombre de nos bateaux et de nos marins au cours de ces dernières années a déstabilisé nos structures portuaires, entraînant certains de nos comités de pêche en dessous du seuil critique de l'équilibre financier. Il est donc devenu impératif de clarifier le rôle des comités, leur composition et leurs compétences, la filière pêche pouvant légitimement constituer une véritable interprofession chargée des intérêts économiques de l'ensemble de la profession.
L'organisation professionnelle des pêches comprend désormais un comité national, des comités régionaux, des comités départementaux et interdépartementaux, tous dotés de la personnalité juridique et de l'autonomie financière. Ils peuvent mettre en place des antennes locales auxquelles il leur est permis de déléguer certaines fonctions d'accueil et de conseil relevant de leur mission de proximité.
Le comité national aura un statut de droit privé et sera chargé d'une mission de service public. À l'échelon national, il représentera la profession auprès des pouvoirs publics. Il pourra recevoir tout ou partie d'une taxe affectée. Il sera composé de représentants des chefs d'entreprise – entreprises de pêches, coopératives, organisations de producteurs – et de représentants de comités régionaux. Les représentants des entreprises de premier achat et de transformation peuvent participer aux travaux de ce comité, mais seulement avec voix consultative.
Les membres des comités régionaux qui représentent les équipages et les chefs d'entreprise sont élus et formellement nommés par l'autorité administrative au vu des résultats. Les membres du comité national, ainsi que les autres membres des comités départementaux et régionaux sont nommés par l'autorité administrative sur proposition de leurs organisations représentatives.
Nous avons évoqué l'importance de la conchyliculture et les difficultés qu'elle rencontre. Le projet de loi a pour vocation de clarifier l'organisation interprofessionnelle de ce milieu dont l'activité est considérable. Il précise que les comités régionaux peuvent être créés dans un bassin de production ou dans un ensemble de bassins. Il tire les conséquences du caractère interprofessionnel des comités susceptibles d'assurer la production des produits de la conchyliculture et l'adaptation de l'offre à la demande sur le plan quantitatif et qualitatif.
Il crée un registre d'immatriculation obligatoire des entreprises conchylicoles. Il tient compte des représentants de l'aval de la filière : distribution et commercialisation.
Toute décision publique encadrant l'exercice de la pêche maritime en application de la charte de l'environnement paraît très sensible : c'est ce qui incite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relatives à l'information du public. C'est ainsi qu'une décision de personne publique en application de la législation nationale ou des règlements communautaires sera soumise à participation du public lorsqu'elle aura une incidence directe ou significative sur l'environnement et que l'autorité compétente devra procéder à une information par voie électronique pendant une durée de quinze jours afin d'informer le public du délai qui lui permet de formuler ses observations. Il est également prévu, pour ceux qui n'auraient pas accès à internet, des modalités de consultation sur place. En cas d'urgence, si un danger imminent est avéré, ces procédures ne seront pas applicables afin d'assurer la protection maximale du public concerné.
J'appelle enfin votre attention sur l'article additionnel qui, dans le respect de la loi de finances, a vocation à créer une taxe annuelle sur les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, dès lors qu'elles sont situées dans les eaux intérieures ou sur le territoire des mers territoriales. Cette taxe est actuellement répartie, à parts égales, entre les communes du littoral d'où ces installations sont visibles et un fond départemental pour les activités maritimes de pêche et de plaisance. Il apparaît logique que les pêcheurs bénéficient d'une partie de la taxe par l'intermédiaire de leurs organisations professionnelles, le lien entre le développement des éoliennes installées en mer et la perte de zones de pêche étant en effet évident. Ces dispositions permettraient d'assurer le financement et de pérenniser les comités de pêche qui, nous l'avons vu, sont gravement obérés par suite de la démission de nombreux marins et par la disparition de bateaux.
Mes chers collègues, la pêche est en crise, mais la France a besoin d'une marine et d'une pêche. Je compte sur le Gouvernement et sur votre soutien pour maintenir cette activité nécessaire à l'harmonie d'un pays qui dispose du plus grand littoral d'Europe, qui a toujours été un grand pays maritime et qui doit trouver, dans ses rangs, des défenseurs de la mer pour mettre en oeuvre une véritable politique maritime. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Christian Patria, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne répéterai ce que viennent de dire excellemment Michel Raison et Louis Guédon : tel n'est pas mon rôle et je partage la quasi-totalité de leurs opinions. Nous avons procédé aux mêmes auditions, en compagnie de collègues siégeant sur tous les bancs, et nous avons entendu les mêmes propos, les mêmes interrogations, les mêmes craintes face à un avenir incertain.
Les réponses qu'apporte le texte ne sont ni dogmatiques ni partisanes. J'ai pu le constater lors des débats en commission du développement durable, comme dans l'examen par la commission des affaires économiques, nous sommes tous attachés à améliorer les choses, à aider les agriculteurs à sortir de l'ornière. Les réponses qu'apporte le texte traduisent le bon sens, la logique et une ambition que nous partageons tous : donner à l'agriculture française les moyens de survivre à la terrible crise qu'elle traverse. Je rappelle que le revenu moyen des agriculteurs s'est réduit d'un quart en 2008 et s'est à nouveau effondré d'un tiers en 2009. Il faut que les agriculteurs puissent vivre du fruit de leur travail. Nous devons aussi faire en sorte que l'activité agricole reprenne sereinement une fois les cours mondiaux restaurés à un niveau convenable. C'est dans cette perspective que la commission du développement durable m'a chargé de rapporter son avis.
À l'initiative du président Christian Jacob, nous n'avons pas abordé l'ensemble du projet de loi, mais plus particulièrement son titre III : « Inscrire l'agriculture et la forêt dans un développement durable des territoires ». Certains sujets m'ont particulièrement interpellé : le développement durable de l'agriculture – autrement dit la préservation d'un espace foncier suffisant pour cette activité – et celui de la forêt. Les auditions m'ont en effet démontré que les autres points faisaient consensus, ou peu s'en faut : je pense notamment à la définition d'un indice national du fermage, dont le principe est salué, même si les modalités de mise en oeuvre provoquent le débat entre fermiers et propriétaires ; au plan régional de l'agriculture durable, qui établira l'ordre des priorités dans l'action de l'État ; à la nouvelle organisation territoriale des chambres d'agriculture, introduite par le Sénat, qui met des outils à la disposition de la diversité des territoires.
Je me suis donc plus particulièrement concentré sur deux points. Le premier est la forêt. Je l'avoue : je connaissais imparfaitement le monde sylvicole avant d'entamer mes investigations. J'ai découvert un potentiel extraordinaire, une forêt française qui pourrait être un atout formidable pour un développement économique respectueux de l'environnement. Elle est l'une des plus vastes d'Europe, la plus vaste même, si l'on écarte les massifs scandinaves, et elle est en expansion continue depuis le XIXe siècle. Hélas, nous sommes incapables de mettre cette manne en valeur. La croissance forestière est désordonnée, donc inutilisable. Il y a plusieurs raisons à cela. L'une d'elles saute aux yeux : le morcellement excessif, la fragmentation en toutes petites parcelles dont l'exploitation n'est ni envisagée ni envisageable.
Songez, chers collègues, que les trois quarts de la forêt française sont propriété privée, qu'il y a trois millions et demi de propriétaires de forêt, qui possèdent, en moyenne, 2,6 hectares. Songez également que 2,5 millions d'entre eux possèdent moins d'un hectare. Le bornage par un géomètre coûterait plus cher que la parcelle. Même les frais de notaire coûteraient pratiquement plus cher que le produit de la vente du terrain. Les familles ont donc laissé les successions diviser les parcelles, et le souvenir même de leur possession s'est perdu.
Le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi des mesures qui favoriseront la mise en valeur de la forêt, mais j'ai acquis la conviction que ce n'est pas une affaire de plan ou de stratégie : nous devons provoquer un remembrement, ce qui n'est pas facile. Nous en avons parlé, en commission des affaires économiques, avec le Gouvernement, avec le rapporteur, avec la majorité, avec l'opposition, et nous avons imaginé des mécanismes dont il est permis de penser qu'ils auront un impact.
J'en viens maintenant à mon deuxième axe de travail : la préservation du foncier agricole.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement met en place un dispositif à trois étages : tout d'abord, un observatoire pour suivre le rythme de la consommation des terres agricoles ; ensuite, des commissions départementales qui conseilleront les élus locaux pour éviter une artificialisation excessive ; enfin, une taxe sur les changements d'usage pour inciter les propriétaires à conserver leur terrain à l'agriculture. J'avoue avoir eu du mal à accepter le principe de cette taxe, mais je dois ici rendre hommage aux qualités et à la disponibilité du ministre de l'agriculture, qui a consacré à cette question le temps nécessaire lors de la discussion en commission du développement durable.
Monsieur le ministre, si cette loi est un succès – et elle en est un –, vous en êtes le premier et le meilleur architecte.
Le niveau de taxation envisagé pouvait apparaître trop faible pour dissuader un propriétaire de vendre un terrain situé en zone périurbaine. Il n'était pas possible de l'augmenter, sauf à rendre l'impôt confiscatoire, car il se cumule avec la taxe sur les plus-values et avec la taxe facultative que peuvent instaurer les communes.
Quant à son affectation au bénéfice de l'agriculture, elle me semblait bien trop vague et imprécise. Surtout, elle était vouée à être tôt ou tard récupérée par Bercy.
Monsieur le ministre, vous vous étiez engagé devant la commission du développement durable à travailler à une rédaction plus précise, qui mentionnât plus directement l'affectation du produit de la taxe à l'installation des jeunes agricultures. Avec votre amendement n° 995 , vous avez tenu parole, ce dont je vous remercie grandement.
Je n'ai donc plus d'objections à opposer au mécanisme des articles 12 et 13 du projet de loi.
L'examen en séance publique s'ouvre sur un texte qui me satisfait pleinement ou presque. Je défendrai donc un nombre réduit d'amendements.
La commission saisie au fond souscrit aux principales orientations de la commission du développement durable, soit que nos suggestions aient été accueillies favorablement, soit que d'autres aient exprimé une orientation similaire. Je pense notamment à l'instauration d'un droit de préférence lors de la vente de petites parcelles forestières, sujet sur lequel Michel Raison et moi-même avons retenu la même option.
La discussion a été libre et fructueuse, ce dont il faut remercier tous les acteurs : M. le ministre et les parlementaires de l'opposition comme ceux de la majorité, dont, au premier chef, le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier.
C'est mérité !
Mes chers collègues, la réponse à la crise que traverse l'agriculture française passe à la fois par cette loi de modernisation et par les négociations que mène le Gouvernement à Bruxelles. Il est important que l'Assemblée nationale fasse preuve de cohésion pour montrer à l'Europe combien nous sommes attachés à notre modèle agricole et à quel point nous voulons le voir perdurer. Il ne s'agit pas seulement de légiférer, il s'agit de garantir la présence future d'une agriculture sur nos territoires.
Tel est l'objet du texte. C'est pourquoi la commission du développement durable a émis un avis favorable à son adoption. C'est pourquoi je vous appelle maintenant à voter ce texte. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Germinal Peiro.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui l'un des textes les plus attendus du moment. C'est malheureusement aussi l'un des textes les plus décevants que nous ayons eu à étudier ces derniers mois.
Avant de présenter nos objections de fond sur l'économie du projet de loi tel qu'il a été adopté, je voudrais tout de même dire quelques mots des conditions dans lesquelles votre texte est discuté. Déposé sur le bureau du Sénat en janvier 2010, le texte a été voté par la Haute assemblée fin mai, soit un délai d'un peu plus de trois mois pour l'examen. On ne peut déjà pas dire que l'on ait traîné en route.
Cela étant, que dire de nos conditions de travail ? Entre l'adoption du projet de loi par le Sénat et le dépôt des amendements en commission, l'Assemblée nationale a disposé d'une seule semaine, une semaine pour analyser, arbitrer et discuter avant d'amender le texte. Pour une loi que vous dites si importante, c'est plus que de la légèreté, cela ressemble à de la manoeuvre politicienne pour étouffer les oppositions.
Mieux, après la discussion en commission – au galop, comme l'a dit jeudi matin le président Ollier –, nous n'avons disposé du texte final que trois jours avant la date limite du dépôt des amendements. Je dois ici féliciter l'équipe de la commission des affaires économiques pour le travail qu'elle a accompli. Elle a pourtant dû oeuvrer dans des conditions indignes du Parlement.
Ces efforts ne peuvent cependant rattraper les choix inacceptables du calendrier d'examen de la loi. Pour nous permettre de bien travailler, notre collègue François Brottes a demandé un délai supplémentaire de deux jours, auquel, je le sais, vous étiez, monsieur le président Ollier, favorable. Je déplore que le Président de l'Assemblée nationale ait, lui, choisi de rejeter cette demande.
Je veux vous le dire solennellement : nous ne pouvons travailler dans de telles conditions et donner aux Français la sécurité juridique dont ils ont besoin. Tous les praticiens se plaignent aujourd'hui de la piètre qualité des lois. Nous tenons là l'une des causes les plus sérieuses, et les plus graves, de ce dérèglement.
De tels délais ne sont pas seulement une insulte aux oppositions. Ils sont une remise en cause de la démocratie parce qu'ils fragilisent la construction des lois de la République, et donc du droit.
Ces conditions d'examen, vous l'avouerez, sont indignes. Nous sommes bien loin des promesses faites au moment de l'adoption, à une voix de majorité, de la révision constitutionnelle.
Les promesses, le Président de la République et le Gouvernement n'en sont pas avares. Le problème est qu'elles ne deviennent pratiquement jamais réalité. C'est d'ailleurs le point commun à celles faites au Parlement et à celles faites aux Français.
Monsieur le ministre, c'est peu de dire que votre projet de loi ne répond pas aux attentes que le Président de la République et vous-même avez suscitées. Le peu d'enthousiasme avec lequel a été accueillie son adoption par le Sénat démontre que les professionnels ne sont désormais plus dupes de votre politique, laquelle n'a rien à voir avec vos annonces, vos promesses.
Le 11 juin dernier, La Vendée agricole a titré « Bruno Le Maire : champion du monde des annonces ». Voilà qui résume en fait ce que les Français pensent de l'action du Gouvernement.
Un ancien Premier ministre que vous connaissez bien – je veux parler de M. de Villepin, monsieur le ministre – l'a exprimé en termes très clairs la semaine dernière : « Nous sommes confrontés à un déni de réalité, avec un décalage toujours plus grand entre le discours et les actes. »
Quelle est la réalité ? Quel est le bilan de cette majorité après huit années au pouvoir ?
Nous avons assisté l'année dernière à une chute sans précédent du revenu agricole. Il faut sortir de la moyenne toutes productions confondues, et simplement énoncer les résultats, dans leur brutalité dramatique, pour comprendre le séisme auquel sont confrontés les producteurs : vins d'appellation d'origine, -8 % ; polyculture, -31 % ; maraîchage et fleurs, -34 % ; bovins mixtes : -42 % ; céréales, -51 % ; fruits, -53% ; bovins laitiers, -54%.
Dans un secteur apparemment en meilleur santé, l'élevage de bovins à viande, la hausse de 17 % en 2009 n'est finalement qu'un infime rattrapage des pertes précédentes. Sur les trois années 2007 à 2009, le revenu est en baisse de 15 % par rapport aux années 2004 à 2006.
En 2009, l'ensemble des exploitations professionnelles a enregistré une baisse de revenu de 32 %. En valeur, la production française a perdu 8,2 % cette même année. C'est extrêmement grave sur le plan économique. C'est extrêmement grave – chacun en a bien conscience – sur le plan social. C'est également inquiétant pour la souveraineté de la France. Vous le savez, monsieur le ministre, et ce n'est pas moi qui l'ai dit : celui qui produit a entre ses mains celui qui ne produit pas. Lorsque l'on voit la production française faiblir à ce point, dans un domaine où nous étions très en avance, il y a effectivement de quoi sérieusement s'inquiéter.
Voilà le quotidien affronté par les agriculteurs.
Aujourd'hui, nous apprenons qu'une hausse de 10 % du lait est prévue pour 2010. Si nous faisons un calcul rapide, cela signifie que le prix du lait sera, en 2010, inférieur de 49 % à celui de 2008. Nous allons donc assister à la poursuite du plan de délocalisation de notre agriculture.
Dans ce contexte, les agriculteurs, comme l'ensemble des Français, n'attendent plus rien. Ils sont fatigués de la politique menée par votre majorité depuis 2002, qui les a plongés dans le désespoir.
Nous, parlementaires de gauche, nous nous rappelons la suffisance avec laquelle l'UMP donnait des leçons de bonne gestion agricole en 2002. Nous nous rappelons les mots très durs lancés par la droite en 1999, par exemple contre les CTE, les contrats territoriaux d'exploitation, ou contre cette économie régulée sans laquelle nous savions, nous, qu'il n'y a pas d'avenir agricole. Vos certitudes ultralibérales n'ont fait que creuser la tombe d'un nombre toujours plus grand d'exploitants de notre pays.
Le nombre d'exploitations a été divisé par deux depuis 1989. La chute s'accentue désormais dramatiquement, et il est de plus en plus difficile de trouver des jeunes prêts à se lancer en agriculture. Jamais, dans mon département, les nouveaux installés n'ont été si peu nombreux, et il en va de même partout : le nombre des installations est divisé par deux, par trois ou par quatre, selon les départements. La relève est absente. Mais qui pourrait blâmer les jeunes de vouloir faire un métier qui permette simplement de vivre du travail accompli ?
L'horizon est aujourd'hui trop sombre. L'avenir agricole ressemble, pour un jeune, à une porte close.
Il faut ajouter à cela les cessations d'activités, innombrables. Ainsi, 13 % des exploitants agricoles ont déclaré il y a quelques semaines qu'ils souhaitaient ou allaient cesser leur activité au cours de l'année à venir – cela a été publié dans Les Échos –, et j'ai eu l'occasion d'indiquer à cette tribune que 200 000 à 300 000 emplois étaient directement menacés dans les deux années à venir. C'est l'équilibre même de nos territoires qui est désormais sapé.
Si vous reprenez aujourd'hui cet objectif d'équilibre territorial dans vos discours, il apparaît cependant très éloigné des préoccupations de votre texte, qui ne fait qu'accompagner, pour l'après 2013, la fuite en avant vers l'agrandissement et la concentration de l'outil agricole. Il faudra travailler toujours plus pour gagner encore moins. Voilà votre bilan collectif après huit années au pouvoir.
Quelques exemples montrent combien vos leçons étaient malvenues et témoignent du fait que vous n'avez eu comme politique que la constance dans l'erreur.
Dès 2002, vous vous êtes attachés à détruire tous les instruments de régulation : les contrats territoriaux d'exploitation, tout d'abord, que vous vilipendiez et qui sont désormais regrettés par le monde agricole dans son ensemble ; les offices, ensuite, symbole à vos yeux d'une régulation qu'il fallait abandonner. En 2003, les accords de Luxembourg signés par Hervé Gaymard engageaient l'économie agricole dans une dérégulation sans précédent dont les conséquences ont été accentuées par les mauvais choix du gouvernement Raffarin. Le choix des références historiques opéré par ce gouvernement a en effet été strictement franco-français, ce qui a été l'une des principales sources des difficultés énormes dans lesquelles sont plongées certaines filières.
Vous avez décidé de contenter une certaine clientèle agricole qui vous était chère, ce qui signifiait la perpétuation d'un modèle de développement dépassé, ce que vous n'avez pas compris. Les Allemands, quant à eux, ont fait des choix plus courageux qui portent aujourd'hui leurs fruits. Il ne faut pas s'étonner qu'ils viennent à présent nous concurrencer car ils ont réparti les aides sur l'ensemble des filières quand nous les avons concentrées, au profit en particulier des producteurs de céréales.
En 2006, votre majorité n'a eu de cesse de s'attaquer au contrôle des structures mais pour mieux inciter, en réalité, à la concentration agricole. En 2008, sous la présidence française de l'Union européenne, elle a entériné la fin des quotas laitiers. C'est cela le bilan de la droite depuis 2002. Nous comprenons pourquoi vous tentez aujourd'hui de vous en désolidariser, monsieur le ministre.
La situation des agriculteurs rappelle ces formules que vous citez dans votre témoignage sur les années 2005-2007. Dans la situation économique et sociale que les agriculteurs affrontent, « la révolte, c'est rester en vie » et « la grande désobéissance, c'est de vivre sa vie », affronter l'horreur économique, la désespérance sociale et tenter de s'en sortir. Le pire peut-être, c'est que vous-même n'attendez rien de votre texte, comme vous l'avez admis en commission, à l'instar de M. le rapporteur qui, lui, a tout simplement expliqué que la loi n'avait pas pour objectif de répondre à la crise, qu'elle ne pourrait le faire.
C'est plus qu'un aveu d'impuissance, c'est un abandon volontaire. Où est donc la volonté affichée dans l'appel de Paris ?
Votre discours est souvent intéressant, monsieur le ministre. Mais il ne trouve malheureusement pas de traduction juridique. Il ne se nourrit pas non plus d'une force politique qui s'applique sur le terrain. Vous pratiquez l'abandon et vous donnez quelques subventions de soutien lorsque la crise atteint un degré tel qu'il vous faut apaiser le monde agricole. Ce n'est pas ainsi que l'on prépare l'avenir !
Plus grave, faute de présenter de véritables solutions alternatives au modèle économique libéral dominant, le présent texte va encore accentuer le déménagement agricole et la désespérance. La crise agricole dramatique que nous traversons nous impose de revoir le modèle économique, social et environnemental de notre développement agricole dans le monde, en Europe et en France.
Je n'aborderai pas ici la définition d'une politique de l'alimentation, qui relève désormais de la pleine compétence de votre ministère. Dans les dispositions alimentaires présentes dans le projet de loi, il n'y a certes rien qui puisse soulever notre opposition frontale, mais le problème c'est qu'il n'y a rien non plus qui puisse recueillir notre enthousiasme, rien qui puisse changer la situation des agriculteurs et l'on peut penser – l'hypothèse n'est pas à exclure – que ces dispositions favorisent finalement non les producteurs mais les transformateurs et la grande distribution.
La question de la salubrité de ce que nous mangeons mérite d'être posée. Hier soir, à la télévision, vous avez à juste titre dénoncé certaines pratiques d'élevage des saumons en Europe du Nord. Vous vous êtes toutefois montré bien plus prudent s'agissant des pratiques françaises, vous contentant de déclarer que votre mission consistait à faire en sorte que les produits présents dans l'assiette qui vous était proposée ne puissent pas être mis sur le marché. Mais il n'est pas suffisant de dire que certaines pratiques sont anormales et que vous proposerez vos propres produits la prochaine fois. Je dois d'ailleurs vous dire, monsieur le ministre, que j'ai été choqué de voir un ministre de la République refuser de goûter à une assiette préparée avec des produits que l'on trouve dans toutes les grandes surfaces de notre pays. Il est vrai que la journaliste, Élise Lucet, vous avait indiqué au préalable qu'il s'agissait de fruits gorgés de pesticides, de poisson au PCB et de porc contenant un taux excessif d'antibiotiques. Mais tout de même, quel décalage ! Hier soir, vous m'avez rappelé votre collègue Mme Kosciusko-Morizet qui, lors du débat sur les OGM, avait déclaré que si elle avait le choix, elle ne donnerait pas à manger à ses enfants de produits contenant des OGM.
Certes, certains Français ont les moyens de se payer des produits différents, reste que la qualité sanitaire des aliments doit s'imposer à tous les produits, y compris ceux mis en vente par la grande distribution.
Je vous conseille, mes chers collègues, si vous n'avez pas vu l'émission de France 3 hier soir de la télécharger : elle est assez édifiante et pour tout dire assez effrayante.
Il faut donner les moyens à l'État d'interdire les pratiques dangereuses et d'orienter l'agriculture vers de nouvelles pratiques et cela a un coût que nous devons collectivement assumer.
Nous savons bien que le Président de la République a déclaré : « L'environnement, ça commence à bien faire ! » Mais, pour nous, environnement et santé sont des notions imbriquées l'une dans l'autre. Mes collègues d'outre-mer vous parleront à ce propos du chlordécone. Derrière l'environnement, il y a le respect dû à la nature et, par extension, la question des pratiques d'élevage. En France, un lapin élevé en batterie sur quatre meurt avant d'aller à l'abattoir !
Quel processus économique peut subsister avec 25 % de pertes ? Depuis la crise de la vache folle, nous ne pouvons plus dire que nous ne savons pas. L'efficience économique et la recherche des coûts les plus bas ne peuvent justifier la mise en danger des consommateurs. Le développement d'une résistance aux antibiotiques du fait de l'alimentation est une question extrêmement sérieuse.
Monsieur le ministre, vous êtes conscient des problèmes que cela soulève, je n'en doute pas, mais, au-delà des contrôles, n'est-il pas temps de remettre en cause certaines pratiques et certains dogmes qui nous mènent tout droit à la catastrophe ? Le devoir de transparence doit être total en ce domaine.
Nous avons pu mesurer combien le modèle de l'efficience économique était encore ancré dans les esprits de la majorité s'agissant de tous les aspects de l'économie agricole. Vous n'avez collectivement pas compris la nécessité d'un nouveau pacte agricole, en rupture avec le modèle construit dans les années soixante. L'amendement de notre collègue Le Fur, dont nous discuterons sans doute longuement,…
…est la preuve de cet entêtement à ne pas voir la réalité. L'agriculture concentrationnaire sera de plus en plus difficilement acceptée par notre société. Nous sommes conscients des difficultés, notamment des problèmes de distorsion de concurrence, mais nous considérons que nous devrions tous nous attacher – et surtout votre majorité, monsieur le ministre – à prôner une harmonisation sociale et fiscale en Europe, que tous les libéraux européens refusent, plutôt que de chercher des solutions qui vont une nouvelle fois stigmatiser les agriculteurs, creusant un fossé plus grand encore entre ceux qui produisent et le reste de la société.
Parler des élevages, c'est parler des éleveurs et de leur situation sociale. S'ils baissent les coûts, ce n'est pas par plaisir mais pour vivre de productions dont on ne veut plus au prix normal. De ce point de vue, vous n'êtes pas exempt de critiques. Alors que tout le monde met en cause les marges de la grande distribution, en commission, vous vous êtes montré réticent à améliorer les missions de l'observatoire des prix et des marges. Votre timidité sur ce sujet nous choque. Elle augure mal de la volonté d'appliquer une politique de fermeté. Et ce n'est pas une grand-messe annuelle à l'Élysée, où l'on convoque les amis du Fouquet's, qui changera durablement le comportement de la grande distribution que votre gouvernement a placée dans une situation ultra-favorable avec la loi de modernisation de l'économie.
Cela s'appelle tout simplement de la communication. Mais les agriculteurs n'ont pas besoin de cette communication-là, ils ont besoin que la loi change !
L'agglomération d'un catalogue de bonnes intentions ne suffit pas à la réussite d'une politique, encore faut-il se donner les moyens de cette réussite.
Il s'agit de moyens juridiques tout d'abord avec l'application stricte du droit français, notamment des dispositions prises dans la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001, qui proclamait que l'entente est possible pour sauvegarder l'emploi – j'y reviendrai. Il faudrait aussi modifier les règles de la concurrence. D'ores et déjà, nous pouvons agir. Mais le moins que l'on puisse dire est que votre texte n'y incite pas.
Nos partenaires allemands savent très bien imposer leur régulation contre le dogme libéral dans certains secteurs, au nom de l'environnement par exemple, et, que je sache, cela n'a pas entravé leur compétitivité, bien au contraire. Or on ne trouve rien de cela dans vos interventions ; rien de cela dans la doctrine de votre majorité, empêtrée dans ses certitudes désormais battues en brèche par les faits.
Il s'agit de moyens financiers ensuite. Or, ces moyens, votre gouvernement les enlève au ministère de l'agriculture : 2 800 suppressions de postes supplémentaires sont annoncées d'ici à deux ans. La réalité des chiffres heurte les discours volontaristes qui prônent l'intervention. Un petit amendement adopté par la majorité en commission engage même à terme la fin des ADASEA, associations ou organismes départementaux pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles qui distribuent les subventions, comme vous le savez.
Hier, un journal agricole de référence titrait avec le futur « régime minceur » qui se prépare dans votre ministère. Vous organisez le transfert des tâches vers les interprofessions, donc vers les agriculteurs, qui devront financer la politique publique. Vous avez affirmé qu'il ne s'agira pas d'« un coup de hache brusque ». Vous appelez de vos voeux des économies sur le fonctionnement et sur les interventions, ce qui revient ni plus ni moins à admettre que l'État fera moins en termes de solidarité.
La question qui doit être posée est celle des moyens de l'intervention. Comment intervenons-nous pour aider les agriculteurs ? Le montant des dépenses fiscales rattachées aux programmes opérationnels du ministère de l'agriculture, qui s'élève à plus de 2,5 milliards d'euros pour 2009, est déjà très supérieur à celui des dépenses d'intervention, qui n'est que de 1,7 milliard. Depuis 2002, le montant de la dépense fiscale a doublé et un choix clair a été fait, celui de réduire la fiscalité et les cotisations sociales.
Nous ne partageons pas ces choix. Ce n'est pas en creusant les déficits des générations à venir et en sacrifiant peu à peu les solidarités sociales que nous serons davantage compétitifs. Comme vous l'avez vous-même dit, monsieur le ministre, nous ne serons jamais compétitifs sur le plan social avec les pays d'Amérique latine, d'Asie ou d'Afrique.
Je voudrais vous dire que nous ne pouvons d'ailleurs pas souhaiter que la compétitivité de notre pays se fasse au détriment des travailleurs, dont il faudrait abaisser les rémunérations et les protections sociales. À ce jeu, nous ne gagnerons jamais. Nous appauvrirons, au contraire, tout le monde, comme c'est le cas aujourd'hui dans l'agriculture. La solution n'est pas dans cette fuite en avant libérale que votre texte nous propose et que votre majorité souhaite un peu plus encore. Mes collègues auront l'occasion de revenir au développement de l'assurance individuelle, qui, telle qu'elle est mise en place, favorise les plus aisés et organise le désengagement de l'État, donc porte atteinte à la nécessaire solidarité nationale.
Après l'agriculture, vous vous attaquez à la forêt dans un article 16 bis très critiqué. Là même où les propriétaires forestiers ne peuvent sérieusement envisager l'auto-assurance, compte tenu des manques à gagner qu'ils subissent, vous imposez l'auto-assurance comme condition de la solidarité future contre les aléas climatiques. Votre doctrine c'est : « Aide-toi et l'État t'aidera ! »
Pourtant, la solution ne se trouve pas dans les chimères libérales que certains discours voudraient faire passer pour une nouvelle régulation. La solution réside dans une politique clairement assumée de relocalisation des productions à l'échelle européenne. Elle passe par une Europe plus solidaire, socialement et fiscalement.
Elle passe encore par la mise en avant de la préférence communautaire.
Monsieur le ministre, nous savons tous votre engagement européen. Les objectifs de l'article 33 du traité sont connus de nous tous : assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements. Or tout cela est désormais oublié.
Pouvez-vous nous expliquer quel dogme libéral supérieur oblige les États membres et la Commission à ne pas appliquer le Traité de l'Union européenne ? Quel dogme supérieur peut autoriser l'abandon volontaire de la préférence communautaire ?
Sur cette question, il va bien falloir passer aux actes. Les États-Unis, la Chine et l'Inde n'ont jamais transigé sur les importations pour protéger leurs propres productions. La Chine a récemment rappelé ses intentions de sauvegarder son indépendance et vous avez même cité le cas de pays qui louent ou achètent à l'étranger pour assurer la souveraineté alimentaire. Nous en sommes bien loin.
L'Europe ne peut se désarmer seule, sacrifier ses agriculteurs et ses emplois sur l'autel du marché total qu'elle a érigé en norme suprême. La politique agricole commune a été la première politique intégrée. Elle est au fondement de la solidarité européenne. Attaquer les solidarités qu'elle a mises en place, c'est attaquer l'Europe.
Je me souviens de cette interrogation d'un chef d'entreprise rencontré par Erik Orsenna dans son remarquable Voyage au pays du coton. « Que vaut-il mieux : acheter un peu plus cher avec son salaire ou acheter au plus bas prix avec ses indemnités de chômeurs ? » La question est là. Voulons-nous garder des Européens qui seront producteurs de biens agricoles et industriels, ou faire des Européens des clients qui seront désargentés dans dix, vingt ou trente ans ?
Comment refuser alors l'exigence de relocalisation qui s'impose aussi pour des raisons environnementales ? Avec 9 milliards d'habitants, la planète ne supportera pas notre modèle de développement actuel. Si l'on veut réserver les échanges aux humains, il faut d'ores et déjà limiter les mouvements inutiles de marchandises. Or, rien dans le texte n'est suffisant en la matière.
Comment s'étonner d'ailleurs que vous ayez refusé des amendements issus des bancs de l'opposition mais aussi de votre majorité – je pense à ceux de M. Patria – qui visaient à intégrer dans le code des marchés publics l'élément de proximité. C'est vous qui le refusez en prétendant que l'Europe ne l'acceptera pas au motif que cela dérogerait aux règles de la concurrence. Monsieur le ministre, c'est faux, parce que les directives européennes permettent, par le biais de la protection de l'environnement, de prendre de telles mesures. Je vous invite donc à revoir votre position lors de l'examen des amendements. Alors il pourra rester au moins quelque chose de ce texte : la volonté de relocaliser et de travailler au plus près des consommateurs.
Il y a quelques minutes, vous nous avez dit que le contrat constituait une nouveauté, qu'il allait faire de nous les pionniers en Europe, qu'il serait l'alpha et l'oméga de la politique agricole future. Or vous savez parfaitement que le contrat existe déjà depuis plusieurs années, et dans d'autres pays. Le Courrier picard d'aujourd'hui indique que 477 éleveurs de moutons de l'Est de la France ont contractualisé avec une grande surface pour trois ans. Dans le département dont je suis élu, une grande société qui produit des veaux de boucherie a déjà contractualisé depuis huit ou dix ans.
Cet hiver, une laiterie britannique a décidé d'appliquer un prix d'achat du lait fixe pour deux ans. Ce contrat à prix fixe, dont la mise en place était initialement prévue pour cet été, a été finalement avancé au mois de mars, en raison de l'adhésion forte des producteurs à cette proposition. Le mécanisme en est simple : le prix est garanti pour deux ans. Il reste fixe si les variations de marché sont inférieures à 2,30 cents ; si le prix de marché varie de plus de 2,30 cents dans un sens ou dans l'autre, le prix proposé par la laiterie augmentera ou diminuera proportionnellement. Peut-être est-ce ce modèle que les contrats types suivront en France. Pour l'instant, nous n'en savons rien.
Les contrats incluant des modalités d'évolution des prix existent aussi en France, dans certains secteurs, comme le transport routier. Dans ce cas, la loi est intervenue pour fixer un cadre général d'évolution : les modalités d'intégration de la fluctuation des prix du pétrole, par exemple, dans le prix final de la prestation de transport.
Les contrats ne sont pas non plus inconnus des agriculteurs. La loi du 6 juillet 1964 a en effet organisé l'économie contractuelle en agriculture. Les accords interprofessionnels à long terme, les conventions de campagne existent ; elles n'ont abouti finalement qu'à peu de chose au moment de la crise.
Dois-je vous rappeler que l'article L. 631-4 du code rural dispose déjà : « L'accord interprofessionnel a pour but, simultanément : 1° De développer les débouchés intérieurs et extérieurs et d'orienter la production afin de l'adapter quantitativement et qualitativement aux besoins des marchés ; 2° D'améliorer la qualité des produits ; 3° De régulariser les prix ; 4° De fixer les conditions générales de l'équilibre du marché et du déroulement des transactions. »
Tous ces contrats collectifs vont dans le bon sens. Il est possible de conférer un caractère obligatoire aux contrats de campagne, les contrats types existent. Nos prédécesseurs avaient compris combien la démarche commune était essentielle pour sortir l'agriculture de la misère et assurer la souveraineté alimentaire.
Cependant, nous devons le reconnaître, cela n'a pas apporté toute la protection nécessaire. La crise actuelle en est la preuve. Mais l'État a sa part de responsabilité dans cette faillite. Mieux, parfois même, votre gouvernement a fait le choix de mettre à l'index des démarches collectives pourtant anciennes. Dois-je vous rappeler, monsieur le ministre, que le 21 avril 2008, la DGCCRF adressait ainsi une lettre au CNIEL pour imposer la fin de la pratique de la recommandation nationale trimestrielle d'évolution des prix du lait ? Que vous le vouliez ou non, ce fut l'un des facteurs déclenchants de la crise du lait dans notre pays. L'article 81 du Traité de l'Union européenne laissait pourtant clairement penser que le secteur laitier était exempté des règles sur les ententes. Votre gouvernement n'a pas cédé à une injonction communautaire, mais aux sirènes libérales qui sont au coeur de sa doctrine.
À quelques semaines de la loi de modernisation de l'économie, l'administration française orientait le secteur dans le marché total. La date est importante. Le Président de la République et le Gouvernement n'avaient de cesse alors de dire qu'il fallait faire baisser les prix. Le libéralisme dans toute sa dureté a été appliqué au monde agricole. La solution trouvée a reposé sur la fin des démarches collectives. Les cocontractants des éleveurs laitiers ne se sont pas fait prier pour accélérer la baisse des prix. Un agriculteur seul est fragilisé face à l'industrie ou à la grande distribution.
Que vont changer les contrats ajoutés dans l'arsenal juridique par votre loi ? Sans doute rien. C'est du moins l'opinion très largement majoritaire des professionnels de l'agriculture. Un contrat n'a jamais garanti la décence d'une rémunération. Le contrat de travail des salariés devrait vous servir de point d'approche de cette question. Combien y a-t-il aujourd'hui de salariés pauvres ? Le contrat ne garantit que l'emploi – et encore quel emploi ? – mais certainement pas la juste rémunération du travail et des efforts accomplis. Monsieur le ministre, évitez-nous ce discours, contentez-vous de dire que le contrat permettra la transparence.
Nous avons d'ailleurs déjà tout le loisir d'être inquiets sur ce contrat. Aux dernières nouvelles, les acteurs de la filière laitière, la première touchée par la crise, ne parviennent pas, en effet, à se mettre d'accord autour de la contractualisation. Les modalités de cette contractualisation divisent les acteurs. Là encore, l'avenir est bien incertain.
Ce qui est certain, en revanche, ce sont les insuffisances du texte. Le développement de l'assurance, je l'ai dit, pose la question des moyens de s'assurer. L'État peut servir de caisse de réassurance, mais les agriculteurs auront-ils les moyens de s'assurer ?
Autre point inquiétant : l'installation, initialement absente de votre projet de loi. Moderniser ne passe sans doute pas, dans votre esprit, par l'idée de favoriser le renouvellement des générations. Les mesures actuellement contenues dans le texte sont insuffisantes. Même la création d'une taxe sur le changement de destination des terres agricoles est bien timide. Certes, nous ne pouvons que nous féliciter de cette création que nous avons réclamée de tous nos voeux depuis des années, par la voix notamment de notre collègue Jean Gaubert. Mais croyez-vous que 5 % soit un taux suffisant, sachant que cette taxe ne s'appliquera qu'aux terres qui seront vendues plus de dix fois leur prix d'achat ? Croyez-vous que votre mécanisme sera efficace ? Nous avons noté, en commission, que vous admiriez le modèle germanique, où la taxe, efficace avez-vous dit, est de 20 %. Nous vous proposerons ce taux. Mais nous savons déjà que votre majorité n'est favorable au modèle allemand que dans ce qu'il a de plus critiquable, que lorsqu'il applique les normes minimales, environnementales et sociales, pas lorsqu'il applique d'autres pratiques plus dures que les nôtres.
Enfin, comment ne pas souligner l'entêtement de la majorité à refuser ce qui paraît comme un minimum de démocratie sociale, à savoir la reconnaissance de la pluralité syndicale ? Aucune de vos justifications n'est acceptable aujourd'hui, monsieur le ministre. À l'instant, je vous ai entendu dire que vous y étiez favorable. Encore faudrait-il que cela se traduise dans les faits.
Franchement, monsieur le ministre, ce n'est pas de votre niveau. Ce n'est pas sérieux de nous faire croire que vous y êtes favorable alors que vous votez contre tous les amendements que nous avons proposés.
Décidément, monsieur le ministre, en faisant des efforts, nous ne pouvons pas dire que votre texte soit susceptible d'emporter l'approbation générale, pas même sur la pêche, où le travail à accomplir est immense. Là encore, d'autres collègues vous diront combien tout cela est insuffisant.
Enfin, s'agissant de l'outre-mer, nous ne pouvons qu'être une fois de plus déçus. Nous avons cru M. Bussereau en 2005 lorsqu'il nous promettait ici même une grande loi agricole pour l'outre-mer. Force est de constater que les ordonnances annoncées ne font pas une grande loi. Et force est de constater encore une fois la maltraitance dont font l'objet ces territoires qui, pourtant, nous apportent une diversité agricole fondamentale.
Monsieur le ministre, nous savons que vous aimez à relire la dernière lettre de Virginia Woolf. Elle y écrit une belle formule : « Alors, je fais ce qui me semble la meilleure chose à faire. »
Chacun de nous peut faire de cette formule sa religion politique. Nous faisons tous aujourd'hui le constat de 1'échec du libéralisme. C'est un échec social, financier, environnemental et humanitaire. Sur les six milliards d'habitants de notre planète, un milliard souffrent de malnutrition, et ce sont pour la plupart des paysans auxquels les techniques modernes de production sont refusées.
Ce que vous croyez aujourd'hui être la meilleure chose à faire en matière agricole n'apportera pas de solution aux agriculteurs parce que vous refusez de changer l'axe économique de la politique agricole. Vous êtes prisonnier du dogme ultralibéral de votre gouvernement, qui considère les échanges agricoles mondiaux et l'ouverture des marchés comme le principal objectif à tenir, même si vous nous affirmez le contraire. Vous considérez, avec votre majorité, que le droit social et l'environnement doivent être livrés à la prédation des intérêts du court terme et que la compétitivité de notre économie se fera sur l'abaissement des normes, l'abaissement des droits des Français. Rompre avec votre dogme, c'est cela la meilleure chose à faire.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose de voter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le député, j'ai écouté attentivement votre long discours. Mais, à ma grande stupéfaction, je n'ai pas entendu une seule proposition du parti socialiste pour moderniser l'agriculture française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
J'ai relevé un certain nombre d'inexactitudes dans vos propos. Je vous répondrai, sans fuir le débat, sur le libéralisme, la comparaison avec l'Allemagne et les contrats.
S'agissant du prix du lait, je rappelle que si la France n'avait pas demandé l'intervention de l'Union européenne sur les marchés du lait en octobre, novembre et décembre 2009, jamais la Commission n'aurait mis 300 millions d'euros sur la table pour faire remonter le prix du lait. En janvier 2010, le prix du lait était supérieur de 10 % par rapport à janvier 2009. Depuis, il n'a cessé d'augmenter, atteignant aujourd'hui plus de 310 euros la tonne. Je ne dis pas que c'est suffisant, mais il a augmenté grâce à l'action du Gouvernement français auprès de la Commission européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
En ce qui concerne les produits agricoles, je partage votre avis sur la nécessité d'améliorer l'étiquetage, l'information du producteur. Reste que tout ce qui ne sera pas conforme aux règles européennes, je refuserai de l'inscrire dans le texte ! Les agriculteurs de France ont payé trop longtemps l'impéritie de certains ministres – je n'hésite pas à l'affirmer – qui se sont permis d'enfreindre ces règles en promettant des lendemains meilleurs pour que leurs successeurs soient ensuite contraints d'exiger le remboursement des aides ou le règlement des amendes consécutives à de mauvaises pratiques condamnées par la Commission européenne. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Vous citez l'exemple allemand que je connais quelque peu. Je me rends en Allemagne environ une fois par mois pour tâcher de définir une position commune. Travailler avec les Allemands ne revient pas, à mon sens, à s'aligner sur leurs positions, qu'il s'agisse de la question agricole ou d'autres. Si vous nous demandiez de copier intégralement le modèle allemand, je vous répondrais par la négative, et Dieu sait pourtant que je suis proche de ce pays.
Sinon, cela signifierait que la France serait favorable à des contrats de service permettant d'embaucher des Polonais ou des ressortissants d'autres pays membres de l'Union européenne à des tarifs scandaleusement bas – de 6 euros par heure – dans des conditions sociales qui ne sont pas conformes à notre modèle.
Cela signifierait également que nous serions favorables à une extension sans bornes des exploitations à laquelle je ne souscris pas, que nous serions favorables à l'autorisation des OGM sur les pommes de terre destinées à la fabrication d'amidon – nous la désapprouvons tout autant –, que nous serions favorables, enfin, à la concentration des abattoirs, comme en Allemagne où trois abattoirs concentrent 57 % de l'abattage de l'élevage de porcs, ce qui n'est pas conforme à notre souhait d'une répartition des abattoirs sur tout le territoire.
France et Allemagne doivent donc se rencontrer pour construire une politique agricole commune, et non pour que l'une copie le modèle de l'autre, attitude inacceptable pour l'un ou l'autre peuple.
À propos du dogme libéral, l'un de vos angles d'attaque favoris, je répondrai sous forme de boutade. Je suis libéral aux yeux du parti socialiste français, interventionniste étatique d'après les vingt-six autres États membres de l'Union européenne et probablement néo-marxiste selon le gouvernement américain. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Voilà la réalité de mon libéralisme supposé.
Vous pouvez toujours me taxer ou taxer le Gouvernement français de libéralisme en matière agricole, il se trouve que nous sommes à la pointe de la régulation européenne des marchés agricoles, qu'il n'y a pas un pays en Europe qui demande davantage d'intervention de l'État sur les marchés agricoles, que c'est nous qui avons demandé la création d'un groupe à un haut niveau sur la régulation du marché du lait, que c'est nous qui avons souhaité la constitution d'un observatoire de la transparence sur les volumes, que c'est nous qui avons soutenu que l'on ne pouvait pas abandonner les quotas en 2015 sans trouver des systèmes de remplacement. Aussi la seule critique formulée par les vingt-six autres membres de l'Union européenne consiste-t-elle à reprocher à la France un interventionnisme excessif et un libéralisme insuffisant.
Il n'est que le parti socialiste pour penser encore que nous sommes trop libéraux et pas assez interventionnistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Vous n'avez pas suffisamment conscience de la réalité du monde européen tel qu'il est. Je préfère, pour ma part, la prendre telle qu'elle est et tenter de l'améliorer plutôt que de tenir des discours qui ne seront pas suivis d'effets.
Pour ce qui est des contrats, bien sûr qu'ils existent. Vous ne m'en apprenez pas l'existence dans certaines filières. Seulement, ils ne sont pas obligatoires. Si de tels contrats étaient obligatoires pour tous les industriels en France, je n'aurais pas été contraint de réunir plusieurs représentants de la filière du lait tous les mois ou tous les deux mois pour exiger qu'ils s'entendent sur un prix et pour exiger la signature d'un accord avec les producteurs pour qu'ils soient décemment payés.
Je ne connais pas d'autre activité économique en France où l'on peut livrer un produit en l'absence d'un contrat écrit. Je n'imagine pas un constructeur de meubles ni un professionnel de quelque autre activité économique fournir un produit à son client sans un contrat écrit. Pourquoi le monde agricole échapperait-il systématiquement aux règles économiques ? Pourquoi les producteurs seraient-ils systématiquement lésés en ne disposant pas des instruments économiques à leur disposition pour défendre leurs revenus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je ne vois rien dans vos propositions, malgré tout, qui soit plus performant que les contrats. Le système dans lequel nous évoluons est caractérisé par un marché où se confrontent l'offre et la demande. Vous n'avez pas vu que nous avons changé de monde !
Le monde agricole européen est demeuré fondé sur une régulation administrative de l'offre pendant quarante à cinquante ans. Nous sommes passés à un monde agricole européen où l'offre et la demande s'équilibrent en fonction de la décision du consommateur.
Dans ce nouveau monde, des contrats écrits sont obligatoires pour que le producteur ne soit pas lésé. L'industriel, le distributeur doivent proposer un contrat écrit prévoyant un prix, un volume, un engagement de durée, en vue de garantir un revenu stable au producteur agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Pour toutes ces raisons, je propose à la majorité de rejeter la motion de rejet préalable présentée par le groupe SRC. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe GDR.
Quand on examine ce texte, on peut se demander quelle politique nous souhaitons. Je répondrai, pour ma part, par l'article 33 B du Traité de Rome : « La politique agricole commune a pour but d'assurer un niveau de vie équitable de la population agricole. » C'est bien l'exigence du présent texte et l'on peut s'interroger sur le fait de savoir si son application permettra de résoudre les problèmes du monde agricole.
Prenons l'exemple d'un exploitant agricole du département du Puy-de-Dôme, dans les Combrailles, qui possède cinquante vaches allaitantes. Il touche des primes à hauteur de 41 543 euros, qu'il s'agisse du droit à paiement unique, de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes, de la prime à l'herbe, ou de la prime montagne ou indemnité compensatrice de handicap nature.
Les ventes de l'exploitation atteignent la somme de 55 515 euros. Autrement dit, les primes représentent environ 80 % du chiffre d'affaires réel. Notre exploitant travaille dans une filière de qualité, encadrée, contractualisée.
Les charges liées à la production représentent 34 700 euros.
Les charges de structure – MSA, matériel, fioul, emprunts – s'évaluent à 48 700 euros.
Le résultat courant de l'exploitation est donc de 18 680 euros.
Ma question est simple : le présent texte permettra-t-il à cet agriculteur de vivre ? Je réponds : non !
Votre réponse à vous est de deux ordres : l'aspect assurantiel, sur lequel je reviendrai ultérieurement, et, essentiellement, la contractualisation. Vous avez sorti ce dispositif de votre poche en considérant que vous aviez là la solution pour résoudre les difficultés des agriculteurs.
Vous estimez ensuite que l'interprofession doit être renforcée.
Afin de ne pas être trop long (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), je me contenterai d'un seul exemple concernant un secteur caractérisé par la contractualisation et l'interprofession. Le 22 juin dernier, la Fédération des industries laitières, la FNIL, a unilatéralement décidé une hausse du prix du lait de 10 % pour 2010. Cette décision a été assortie de commentaires : « Chaque laiterie fera une proposition à ses producteurs, qui accepteront ou pas. » Le directeur de la FNIL de préciser : « C'est le but de la contractualisation. »
La contractualisation, présentée comme un remède miracle, donne en fait aux industries agro-alimentaires ou à la grande distribution le pouvoir d'imposer ses prix sans qu'en face on ait la possibilité de les négocier puisque chacun sait que dans un tel contexte les plus puissants sont destinés à l'emporter sur les producteurs les plus faibles obligés de se soumettre.
Vous présentez cette contractualisation comme un résultat.
Or l'interprofession, pourtant puissante dans ce secteur, ne peut pas contractualiser avec les industries laitières parce que ces dernières font valoir leur vérité et n'admettent pas la moindre résistance ou le moindre débat.
Nous allons certes examiner le texte pendant plusieurs jours, mais, sur le terrain, on vit déjà la réalité que je viens de décrire. Je l'affirme donc avec force : nous avons là un projet de loi mort-né parce que les dispositions qu'il contient ne peuvent en aucun cas résoudre les problèmes de l'agriculture.
Vous vous doutez bien que, dans ces conditions, le groupe GDR votera en faveur de la motion de rejet préalable présentée par Germinal Peiro. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Il faut bien admettre que Germinal Peiro est un très bon connaisseur des pratiques agricoles…
…et des souffrances liées à la crise actuelle dans ce secteur. Sa vision politique n'est toutefois pas la nôtre.
Un passage de son intervention m'a paru des plus limpides – et il s'agissait peut-être là des propositions du groupe socialiste, monsieur le ministre –, celui où notre collègue prône une hausse des exigences environnementales et sociales en France, avec l'État à la manoeuvre, ajoutant que cela aura un coût qu'il faudra payer. Mais il ne nous a pas révélé qui paiera et comment.
La vision d'une France seule, drapeau au vent, qui lave plus blanc que blanc, les agriculteurs n'en veulent pas et ils nous le crient tous les jours, cher Germinal Peiro.
Nous, centristes, vous demanderons pendant cinq jours de mettre nos agriculteurs à armes égales avec leurs compétiteurs allemands, italiens, hollandais. Commençons donc à lutter à armes égales au sein même de l'Union européenne.
On ne peut faire l'inverse, monsieur Peiro. Nous proposons une autre voie que la vôtre : les centristes ont soutenu les amendements de M. Le Fur parce qu'ils visent à établir une compétition intra-européenne à armes égales. Nous la voulons dans le secteur phytosanitaire, dans le secteur de l'eau, mais également en matière de charges sociales.
C'est au niveau européen et au niveau européen seulement qu'il faudra établir cette harmonisation sociale et environnementale. C'est tous ensemble ou rien.
L'objectif affiché par Germinal Peiro est louable : qui s'opposerait à la relocalisation de l'agriculture ? Qui s'opposerait à l'harmonisation fiscale et sociale au niveau européen ?
Certainement pas nous !
Soyons honnêtes : il est si lointain, cet objectif !
En revanche, et nous le savons parce que nos agriculteurs nous le répètent tous les jours, le chemin proposé par Germinal Peiro, la hausse des exigences nationales impulsée par l'État seul, nous conduirait à la catastrophe.
J'ai trouvé la vision du groupe socialiste quelque peu désespérante : condamnation du libéralisme, altermondialisme sympathique… Et après ? Quelles sont vos propositions ? Comme le ministre, nous les avons cherchées. Or, comme ce fut en vain, nous voterons contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
« A armes égales », monsieur Dionis du Séjour ? Il y a une dizaine d'années, lorsque j'étais rapporteur de la loi forestière et que j'ai fait en sorte que l'on produise du bois écocertifié et seulement écocertifié, je me souviens que les membres de votre groupe nous faisaient les mêmes reproches : « Qu'est-ce que c'est que cette nouvelle contrainte que vous imposez aux forestiers et aux transformateurs du bois ? » Et trois ou quatre ans après, on a constaté que les clients demandaient du bois écocertifié, parce qu'ils en avaient marre des produits issus de la déforestation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Pour l'agriculture, c'est la même chose.
Monsieur le ministre, je comprends que la pédagogie dont a fait preuve Germinal Peiro vous ait un peu agacé. Il a dit juste, il a dit vrai, et sa démonstration peut gêner, je le comprends. Parce que l'exercice que vous avez à mener n'est pas facile, il faut le reconnaître.
Nous aurions beau jeu de surfer sur la désespérance du monde agricole. Nous ne le ferons pas. Ce serait indigne de notre part. Le sujet est extrêmement grave.
Nous serions aussi malhonnêtes si nous ne reconnaissions pas que vous connaissez bien tous ces sujets, monsieur le ministre. Vous les connaissez tellement bien, d'ailleurs, que vous n'hésitez pas à reprocher à vos prédécesseurs, y compris ceux de votre bord, de ne pas avoir su les connaître convenablement. Nous avons cherché, dans le peu de temps qui nous était imparti pour vous répondre, si c'est M. Vasseur que vous visiez, tout à l'heure, en ce qui concerne le remboursement des aides indues, ou encore si vous visiez M. Sarkozy, qui était ministre de l'économie et des finances lorsque le fonds de prévention des aléas de la pêche a été mis en place, avant d'être déclaré incompatible avec les règles européennes. Nous poursuivrons nos recherches, et le cours du débat nous apportera peut-être les réponses. Quoi qu'il en soit, je vous sais gré de l'honnêteté dont vous faites preuve.
Germinal Peiro a eu raison de souligner que la méthode est critiquable. Il fallait rappeler, parce que l'on finirait presque par l'oublier, que des milliers d'amendements ont été déposés sur ce texte que nous discutons dans le cadre d'une procédure d'urgence, ce qui signifie que nous ne disposerons pas des jours – et des nuits – qui seraient nécessaires pour en débattre. Il n'est que de voir comment, en commission, nous avons découvert des amendements à la pelle. D'autres nous sont promis, d'ailleurs, dans les réunions qui se tiendront demain. Tout cela n'est pas convenable. Le président de la commission n'y est pour rien, d'ailleurs, parce qu'il subit le flot, le flux des amendements. On n'a jamais connu un tel volume d'amendements à examiner dans des délais aussi courts. C'est une première. Ce n'est pas convenable. Nous faisons la loi, nous essayons de faire quelque chose de sérieux, et les conditions de travail qui nous sont imposées ne nous le permettent absolument pas.
Vous nous proposez une loi de « modernisation » de l'agriculture. Je ne crois pas que l'agriculture ait besoin de modernisation. Comme l'a démontré Germinal Peiro, elle a besoin de considération. Elle a besoin que l'on reconnaisse les métiers. Elle a besoin que l'on reconnaisse des prix dignes. Elle a besoin que l'on reconnaisse son rôle social et environnemental.
Elle n'a pas plus besoin de modernisation que l'économie n'en avait besoin. Cette loi de modernisation de l'économie a tué la relation entre le producteur-transformateur et le distributeur. C'est elle qui a fragilisé le producteur. C'est elle qui a fragilisé les transformateurs. Et aujourd'hui, vous essayez de corriger le tir avec ce texte, parce que vous vous êtes rendu compte des dégâts collatéraux colossaux que cela a produits.
Et puis, il ne fallait pas défaire les contrats territoriaux d'exploitation : ils permettaient d'avoir une vision dans la durée. Il ne fallait pas défaire les quotas : ils permettaient la régulation. Il ne fallait pas défaire la péréquation des primes européennes : c'était de la justice. Il ne fallait pas défaire les offices : ils permettaient l'organisation des filières. Il ne fallait pas défaire le contrôle des structures, qui permettait aux jeunes de s'installer partout sur le territoire, comme Germinal Peiro l'a parfaitement démontré.
Ce n'est pas vous, monsieur le ministre, qui l'avez défait, mais ce sont vos prédécesseurs de droite, après que Jean Glavany et notre majorité l'avaient instauré.
Ce texte, bien sûr, c'est l'apologie du contrat. Rien à voir avec ce qui peut se passer dans certains territoires. Finalement, c'est par le contrat que tous les bonheurs vont arriver ! Eh bien non, ce contrat, c'est la toise par laquelle tout le monde devra passer, qui va instaurer un prix moyen, tiré vers le bas. La conséquence sera la concentration des structures.
Ce texte, c'est l'apologie des interprofessions à marche forcée. Mais on ne travaille bien ensemble que si cette collaboration est librement consentie. Dès l'instant où l'on oblige, et que c'est la loi du plus fort qui l'emporte, le contrat et l'interprofession à marche forcée vont laminer les territoires, vont laminer les petites exploitations, vont laminer l'agriculture qui produit de la qualité.
Nous n'avons pas confiance en ce texte, nous l'avons dit. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que vous puissiez vous rattraper en votant cette motion.
La forêt, j'en ai parlé il y a un instant. J'en redis deux mots. Je suis heureux que le rapporteur Patria ait découvert l'état de la forêt française, avec cette propriété morcelée. Tout les outils juridiques existent pour que l'on puisse mutualiser, pour que l'on puisse faire de la coopération. Mais ce qui manque, aujourd'hui, alors qu'elles étaient prévues dans la loi d'orientation forestière, ce sont les structures d'animation – je pense aux centres régionaux de la propriété forestière – qui pouvaient faire en sorte que les gens se regroupent. Les outils juridiques sont une chose, l'animation sur les territoires, pour faire en sorte que l'on prenne conscience de l'intérêt qu'il y a à se regrouper, c'en est une autre. Les postes ont été supprimés, la RGPP étant passée par là. On ne peut pas tout à la fois pleurer et allumer les flammes au contact desquelles on se brûle. Sur ce dossier, la situation est donc extrêmement difficile, et le texte n'apportera pas de réponse.
Je pourrais ajouter de nombreuses autres raisons de voter cette motion, mais je sens que le président s'impatiente, parce qu'il souhaite que nous passions au vote, même si le temps de parole n'est décompté que pour notre groupe. En tout cas, nous avons beaucoup de choses à dire, dans ce débat, beaucoup d'amendements à apporter. Je ne serai pas plus long. J'invite les collègues à voter la motion de rejet préalable, ce qui nous permettra de prendre le temps qu'il faut, enfin, pour examiner convenablement ce texte ainsi que la totalité des amendements qui ont été déposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Au travers de la motion défendue par Germinal Peiro, le groupe SRC recommande l'arrêt immédiat de la discussion du projet de loi. C'est un point de procédure qu'il faut expliquer à nos concitoyens.
Face à la gravité de la crise économique et morale que traversent l'agriculture et la pêche – la pêche dont vous n'avez pas dit un mot, d'ailleurs –, vous demandez le statu quo et le report des solutions à plus tard. Quant à nous, nous considérons au contraire que les difficultés rencontrées par les agriculteurs exigent de notre part des réponses absolument urgentes.
Quel est l'objectif premier de ce projet de loi, sinon de garantir aux agriculteurs un revenu qui leur permette de vivre dignement de leur activité ? Qui, aujourd'hui, ne partage pas l'ambition, qui est celle de ce texte, de préserver nos exploitations agricoles dans leurs fonctions de production, d'aménagement du territoire et, bien entendu, de maintien du tissu rural ?
Quels sont ceux qui, dans cet hémicycle, prendraient la responsabilité, en votant cette motion de rejet préalable, de ne pas même pas débattre pour accroître le revenu des producteurs et favoriser leur insertion dans les filières économiques ?
Considérez-vous, monsieur Peiro, que l'heure n'est pas venue d'assurer une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre les producteurs et les distributeurs ?
Alors que la France est encore la première puissance agricole et agro-alimentaire de l'Union européenne, nos agriculteurs sont accablés par l'effondrement de leurs revenus. Et vous, vous proposez de remettre la discussion à plus tard !
Face à la situation dramatique de l'agriculture française, ce texte apporte des réponses en termes de compétitivité et de visibilité. Je crois que nous n'avons pas lu le même texte, chers collègues. Il défend la conception que nous nous faisons de l'agriculture, qui repose notamment sur des exploitations familiales et des spécificités liées aux territoires.
Ce texte offre aux producteurs des garanties pour résister à la pression toujours plus grande des distributeurs. C'est d'ailleurs l'un de ses thèmes centraux. Il instaure une véritable régulation des relations entre producteurs et acheteurs, tout en donnant aux interprofessions un rôle central dans sa mise en oeuvre. Mais vous ne voulez pas en parler !
Depuis des années, on ne cesse de dénoncer les marges indécentes de la grande distribution sur les productions agricoles.
Les exploitations qui n'ont pas encore fermé sont obligées de s'aligner pour survivre. Voilà encore un sujet que vous ne voulez pas aborder aujourd'hui !
Vous ne voulez pas parler non plus : de la réassurance publique dans l'agriculture et de la possibilité offerte à l'État d'être assureur en dernier recours ; de la taxation de la spéculation foncière et de l'affectation du produit de cette taxe à l'installation des jeunes agriculteurs ; de l'assurance forêt ; de l'interdiction du renvoi aux producteurs des marchandises livrées mais non vendues ; de la suppression des remises, rabais et ristournes ; de la modification des règles du code des marchés publics pour favoriser les circuits ; ou encore des mesures fiscales en faveur de la filière bio.
Vous ne voulez pas non plus parler des excellents amendements déposés par notre non moins excellent rapporteur, Michel Raison, sur les GAEC en famille.
C'est maintenant qu'il faut parler de tout cela. Et contrairement à ce que vous dites, la philosophie générale de ce texte n'est en rien celle de la libéralisation et de la dérégulation, mais au contraire celle de la responsabilité et de la régulation.
Pour finir, chacun aura remarqué que, comme d'habitude, vous adoptez une position de rejet sans faire aucune proposition. On peut remarquer que le groupe SRC développe de plus en plus cette curieuse méthode qui consiste à contester les propositions du Gouvernement, mais aussi celles de la commission, avant de les reprendre une à une pour en revendiquer la paternité. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.) C'est ce que vous faites de plus en plus, chers collègues. C'est peut-être ce que vous avez l'intention de faire sur ce texte.
Mais pour rétablir la vérité, je veux rappeler que la France a été chef de file en Europe afin d'obtenir l'accord de vingt-deux pays pour demander une régulation. Notre pays a exigé et obtenu de la Commission européenne que soient débloqués 300 millions d'euros pour faire remonter les cours du lait.
Le Gouvernement français a fait de même sur la régulation européenne des marchés agricoles.
La réforme de la politique agricole commune se fera, mais elle prendra du temps.
Alors, ne reportons pas davantage l'opportunité qui nous est offerte aujourd'hui. Répondons aux attentes du monde agricole. Les agriculteurs méritent mieux que ces amalgames et ces renoncements. Partant de là, confortons l'action que le Gouvernement français devra mener au niveau européen. Rejetons cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Ce rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1, monsieur le président. Compte tenu du vote qui vient d'avoir lieu, et pour clarifier la suite de nos débats, j'indique à M. le ministre que nous tenons à sa disposition les vingt-cinq propositions des socialistes pour une révolution agricole et alimentaire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Tout à l'heure, dans la précipitation, j'ai oublié de lui préciser qu'elles étaient à sa disposition.
J'ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. André Chassaigne.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun conviendra de l'extrême importance pour notre pays de la question agricole. Dans cette motion de renvoi en commission, j'aurai avant tout un discours de vérité par rapport aux enjeux qui sont posés aujourd'hui. Nous commençons l'examen d'un projet de loi attendu de tous les acteurs du monde agricole. Un projet de loi censé « moderniser » notre agriculture, censé soutenir aux yeux de nos concitoyens la volonté politique de ce gouvernement en faveur d'un modèle agricole durable. Un projet de loi censé démontrer la clairvoyance de notre pays sur les enjeux agricoles de notre temps.
Dès le début de mon intervention, à la lecture de ce texte, je ne peux m'empêcher de vous féliciter, monsieur le ministre : vous faites preuve d'une grande clairvoyance, d'une perspicacité d'une rare portée. En effet, vous vous êtes avec brio projeté en 2013, dans une Europe qui aurait cessé de croire aux vertus d'une politique agricole commune.
Cependant, j'ai une interrogation. N'avez-vous pas été effleuré par le sentiment d'exclure de votre vision les vraies problématiques des hommes et des femmes qui vivent de l'agriculture et qui font vivre nos territoires ruraux ? Je parle bien sûr de ce qui est au coeur de leur quotidien, la question du prix de ce qu'ils produisent, et celle des outils de régulation des marchés, laquelle est indispensable à la garantie d'un revenu.
Par cette anticipation, vous avez voulu soumettre à la représentation nationale une sorte de transposition anticipée d'une directive européenne « n° 2013-quelque chose », décrivant de la façon la plus opaque et la moins contraignante possible ce que notre pays doit entendre par « politique de l'alimentation ». Puis, comme il sied à toute bonne directive européenne, vous avez tenu à préciser le contenu et la portée de quelques outils économiques de marché susceptibles d'être déployés largement dans le secteur de l'agriculture, de la forêt et de la pêche. Enfin, vous avez rappelé les éléments marginaux qui permettent encore à l'État, en application du principe de subsidiarité, de porter quelques appréciations sur les orientations agricoles régionales.
La rédaction actuelle de ce texte pourrait sans doute aussi servir de modèle-type de mesure d'ajustement structurel pour l'agriculture et tous les services qui lui sont directement liés. Je pense notamment aux secteurs de la santé publique vétérinaire et du contrôle sanitaire, abordés à l'article 2 et que l'on souhaite traiter par ordonnance. Car ce projet prévoit dans le même temps la livraison définitive de nos agriculteurs aux lois du marché, autrement dit à ce qu'il faut bien appeler la loi de la jungle, et l'ouverture, inéluctable dans ces conditions, à toutes les dérives, en assouplissant notamment notre système de contrôle sanitaire.
Les auteurs de ce texte se soumettent ainsi par avance aux attentes de ceux qui préparent depuis des mois, des années, le démantèlement de la PAC, en commençant par son premier pilier. Cette politique agricole commune qui a été pendant longtemps le symbole de l'intégration européenne, la seule politique communautaire dotée de véritables moyens d'action. Une politique devenue insoutenable aux yeux des libéraux, car freinant par trop l'appétit des spéculateurs et des géants mondiaux de l'agroalimentaire et de la grande distribution.
À n'en pas douter, ce projet de loi fait un pari sur un budget communautaire lourdement amputé, sur la suppression définitive des derniers outils de gestion de l'offre, sur une refonte en profondeur des soutiens directs aux agriculteurs, et, globalement, le pari d'une bonne cure d'austérité pour l'Europe. En procédant de la sorte, vous énoncez et vous intégrez une prophétie que le sociologue Pierre Bourdieu aurait qualifiée d'autoréalisatrice mais que, pour ma part, je dirai autodestructrice, tant elle anticipe des décisions aux effets catastrophiques, au lieu de les combattre pour éviter ces effets. Elle aura des conséquences terribles pour l'agriculture européenne et les enjeux alimentaires et environnementaux mondiaux. En procédant ainsi, vous prenez le risque d'appuyer sur l'accélérateur au moment même où le moteur s'emballe, c'est-à-dire au moment où la majorité de nos agriculteurs éprouvent les pires difficultés à sauver leur outil de travail, leur exploitation.
Fondamentalement, ce qui est en cause dans votre texte, c'est la disparition de politiques publiques fortes dans le domaine agricole. Vous dites que grâce à votre volontarisme un accord européen est en vue, une forme de consensus même, puisque vous comptez le nombre de pays qui peuvent être convaincus. Mais un accord est-il forcément une victoire, un consensus est-il forcément positif ? Une position commune au niveau européen ne signe-t-elle pas plutôt une capitulation ? N'auriez-vous pas plutôt renoncé â porter la voix déterminée de la France dans le concert européen sur cette question ? Si c'est le cas, ce renoncement préfigure un avenir bien sombre pour l'agriculture française, pour ces 600 000 hommes et femmes qui ont fait le choix de nourrir leurs semblables, un choix auquel la Commission européenne ne souhaite déjà plus apporter de reconnaissance.
Face à cette incertitude, vous me permettrez aussi de m'interroger sur les motivations profondes qui vous auraient conduit à un tel basculement idéologique, lequel serait le fruit d'une conversion récente. En 2007, en effet, nous avions reçu devant la commission des affaires économiques la commissaire européenne chargée de l'agriculture, Mariann Fischer Boel. Elle s'était voulue visionnaire, persuadée de l'avènement du bonheur suprême pour nos agriculteurs. Son chant de sirène laissait croire que tous les cours allaient s'envoler, garantissant ainsi un revenu suffisant aux producteurs sans qu'il soit besoin que l'Union européenne prévoit des soutiens spécifiques ou des mécanismes de stabilisation des marchés. C'était quelques mois avant la chute vertigineuse des prix et des revenus. À juste raison, nous n'en avions pas cru un mot.
Et d'ailleurs la proposition de résolution de la délégation parlementaire française pour l'Union européenne, que nous avions rédigée quelques mois après, avait traduit cette conviction en apportant des réflexions bien plus engageantes. Cette proposition de résolution, que tous, sur tous les bancs, nous avions adoptée, estimait « impératif » de « conserver au sein de la PAC un premier pilier fort, orienté vers une agriculture productive et respectueuse de l'environnement, afin de ne pas limiter notre seule politique commune à un dispositif d'accompagnement social et rural de l'agriculture et d'éviter toute renationalisation de celle-ci », et que l'on « ne devait pas vider le premier pilier des moyens financiers qui lui sont nécessaires ».
La résolution jugeait également « indispensable » que l'Union européenne « conserve des mécanismes d'intervention sur les marchés et engage rapidement, dans la perspective de la prochaine réforme de la PAC, plusieurs chantiers de réflexion portant notamment sur la pérennisation et le financement des aides du premier pilier, ainsi que leur finalité – favoriser la création d'emplois, le développement d'une agriculture à la fois productive et durable, etc ; la création de nouveaux outils de stabilisation des marchés et d'orientation des productions agricoles » permettant notamment « aux agriculteurs de mieux vivre du prix de leurs produits ». Elle rappelait aussi la nécessité d'engager la réflexion pour l'après 2013 sur « la mise en oeuvre de la préférence communautaire » et « le développement d'une véritable politique de recherche et d'innovation, permettant de renforcer l'excellence environnementale de notre agriculture. »
J'avais d'ailleurs souligné, lors de son examen en commission des affaires économiques, la pertinence de l'initiative qui permettait de dresser un historique relativement complet et objectif de la politique agricole européenne, en partant de ses enjeux initiaux, en retraçant les multiples réformes et en mettant au grand jour les motivations qui guidaient sa remise en cause.
Ce texte n'était certes pas exempt d'insuffisances et d'aspects critiquables, mais il avait avant tout le mérite de fournir l'état de la réflexion française, avec une vision d'avenir pour le modèle européen et des pistes de travail. Il confirmait aussi le fait que l'agriculture n'est pas un « tiers secteur » à traiter vulgairement et à abandonner au libre arbitrage idéologique des négociateurs de l'OMC. Il réaffirmait courageusement des principes aussi essentiels à notre avenir commun que ceux de la souveraineté et de la sécurité alimentaire. Il avait le mérite de poser les bonnes questions sur la pérennité de notre agriculture : la préférence communautaire, la régulation de l'offre, les soutiens aux agriculteurs, la problématique des prix et des revenus.
Conscient de l'importance de transmettre une appréciation commune et offensive de la représentation nationale sur une question touchant aux besoins fondamentaux de l'humanité, je l'avais d'ailleurs soutenu. Nous l'avions tous soutenu. La traduction française de ce bilan de santé, partagé par nous tous, avait ensuite permis un certain rééquilibrage des aides en direction de l'élevage.
Mes chers collègues, je cherche quelque traduction de ces orientations dignes d'intérêt dans le présent projet de loi qui prétend moderniser notre agriculture et notre pêche. En vain ! Je cherche…
…et n'en trouve malheureusement pas la trace. Faut-il comprendre que ces propos sont tombés dans l'oubli ou qu'il s'agit d'une simple distraction passagère du législateur ? Fort heureusement, je l'espère du moins, le renvoi en commission nous permettra de revenir sur cet oubli.
Je voudrais aussi revenir sur l'épisode qui suivit ce bilan de santé : la chute brutale des prix agricoles intervenue fin 2008 et courant 2009, qui a provoqué une baisse généralisée des revenus mettant en péril la majorité des exploitations agricoles de notre pays, fragilisant l'ensemble du tissu agricole européen. Pendant des mois, les responsables syndicaux et les agriculteurs ont réclamé que la question des prix et des revenus agricoles soit prise à bras-le-corps afin d'apporter des réponses structurelles concrètes et rapides en complément des mesures d'urgence. Nous convenions tous alors que le revenu des agriculteurs était à la fois trop faible et trop instable et que la crise était à la fois conjoncturelle et structurelle.
Le Président de la République lui-même trouva là l'occasion de s'adonner à son sport favori : un discours sur la régulation, fort et dithyrambique, bien que rechapé puisqu'il reprenait un discours précédent. Ce fut son allocution du 27 octobre 2009 à Poligny, dans le Jura. Il tira des larmes dans les chaumières, tant ses propos étaient empreints de volontarisme. Permettez-moi de le citer encore une fois pour mieux en révéler le sublime : « La crise révèle en premier lieu un défaut de régulation européenne et mondiale auquel il est urgent de répondre. Elle révèle en second lieu des défaillances nationales réelles dans la répartition de la valeur au sein de nos filières agricoles. Entre le mois de septembre 2008 et le mois de septembre 2009, l'indice des prix à la production des produits agricoles a baissé de 20 %. Sur la même période, les prix à la consommation des produits alimentaires ont baissé de 1 % » – je le revois en train de dire cela ! « Cet écart est sans précédent. Cet écart est inacceptable ! Il révèle une répartition inéquitable de la valeur ajoutée au sein des filières. Cet écart met notre production alimentaire en danger ».
Comme vous vous en doutez, malgré tous mes efforts, je n'avais pas été mis dans la confidence du contenu de ce discours. J'avais cependant, quelques jours plus tôt, anticipé la volonté du Palais en déposant, au nom des députés communistes, républicains et du parti de gauche, une proposition de loi qui visait précisément à répondre aux interrogations du monde agricole reprises par le chef de l'État, et dressait quelques pistes pour que les agriculteurs aient enfin droit à un revenu. Dans le cadre d'une séance réservée à l'opposition, le 3 décembre, je défendais devant notre Assemblée et en votre présence, monsieur le ministre – et je vous en remercie, car la présence d'un ministre dans ces circonstances est suffisamment rare pour être signalée –, les dispositions de cette proposition de loi visant à assurer un véritable droit au revenu des agriculteurs. Sans revenir trop longuement sur son contenu, je veux rappeler qu'elle s'articulait autour de deux axes : le renforcement ou la création de mécanismes permettant d'évaluer et d'agir efficacement sur le niveau des prix payés aux producteurs, la mise en place d'un dispositif plus réactif d'alerte et d'application de mesures d'urgence en période de crise, associant largement les représentants du monde agricole.
Cette proposition de loi avait pour objectif de proposer certains outils, immédiatement disponibles et applicables, visant à apporter des garanties de prix rémunérateurs pour tous les producteurs. Nous soulevions d'abord la nécessité de reconnaître dans la loi l'existence de l'observatoire des prix et des marges afin de voir ses missions renforcées, notamment à travers un suivi précis des prix et des marges au niveau de chacun des acteurs des filières, en fonction des différents types de produits, mais aussi des territoires. Un observatoire qui ne se contenterait pas d'observer, mais qui aurait aussi un rôle pro-actif en période de crise, afin de proposer à l'autorité administrative l'instauration d'un coefficient multiplicateur étendu à toutes les productions lors des baisses de prix brutales opérées par les agents économiques de la filière.
Nous proposions aussi de définir au sein de chaque interprofession des prix minimum indicatifs, et la mise en place d'une conférence annuelle sur les prix rassemblant producteurs, transformateurs et distributeurs, ouverte à tous les syndicats agricoles et donnant lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix. D'autres mesures concernaient la mise en place d'un dispositif réactif d'alerte et de mise en oeuvre de mesures d'urgence assis sur un avis d'alerte de FranceAgriMer.
Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositifs, mais ils avaient reçu un accueil favorable sur le fond et suscité un grand intérêt auprès des parlementaires présents. Mon souhait était effectivement de proposer une réponse immédiate et concrète, sans doute incomplète, mais qui avait le mérite d'exister et pouvait être améliorée collectivement par la représentation nationale. Certains membres de votre majorité avaient même soutenu le principe de l'extension du coefficient multiplicateur et n'ont pas pris part au vote. Malheureusement, une fois de plus, la majorité parlementaire avait préféré botter en touche plutôt que de jouer le jeu du travail collectif et de l'intérêt général. C'est d'autant plus regrettable que l'argumentaire invoqué pour rejeter ce texte se résumait en une seule phrase : « Il est urgent d'attendre le projet de loi de modernisation de l'agriculture. »
Poursuivant votre argumentaire de pure forme, monsieur le ministre, vous m'aviez invité à patienter pour traduire sous la forme d'amendements l'essentiel des dispositions du texte. Je vous rends donc grâce d'avoir si bien rejeté en commission les amendements qui reprenaient l'essentiel des articles de la proposition de loi ! Est-ce là votre manière particulière de respecter vos engagements ? Ou bien, permettez-moi cette petite pointe d'humour : êtes-vous atteint du virus de l'amnésie ? Ce serait un comble pour un gouvernement si prompt à distribuer les doses vaccinales aux hommes comme aux bêtes !
Vous connaissez, mes chers collègues, mon caractère vindicatif, mais aussi ma soif de construction partagée. Je l'ai montré à plusieurs reprises. Aussi, je vous fais la proposition de débattre à nouveau sur le fond de certaines de ces dispositions devant la commission des affaires économiques – c'est l'objet de cette motion de renvoi. Naturellement, je ne manquerai pas de les défendre à nouveau en séance avec la même conviction, si d'aventure – on ne sait jamais ! –, vous faisiez le choix de rejeter cette motion de renvoi.
Votre projet s'en tient donc à agiter le seul épouvantail de la contractualisation volontaire et de l'assurance privée, pour repousser les menaces liées à la libéralisation totale des échanges agricoles : contractualisation, assurance privée, la boucle est ainsi bouclée. Il n'y a pas de place pour les politiques publiques dans la sphère marchande, pas de place pour des mesures cohérentes de gestion de l'offre et d'orientation en matière de prix. Cela doit faire saliver encore un peu plus les grandes centrales d'achat qui pourront continuer d'imposer leur loi sur les contrats et leurs marges sur les produits !
Cela doit enthousiasmer un secteur bancaire et assurantiel avide de nouvelles perspectives spéculatives ! C'est cela qui me porte aussi à croire que nous assistons avec un tel texte à un basculement idéologique, un décrochage indéniable par rapport aux positions partagées, que nous portions tous ensemble, voilà peu.
Pourtant, depuis 2008, les prix d'achat aux producteurs, quelle que soit la production, n'ont jamais retrouvé des niveaux couvrant a minima les coûts de production. Le prix moyen des 1 000 litres de lait s'établissait en mars en moyenne à 275 euros, en baisse de 10 % par rapport à la même période de la campagne 2009. Les accords conclus entre les industriels et les producteurs de lait AOC l'année dernière ne sont d'ailleurs toujours pas respectés sur l'ensemble du territoire, du moins pas réactualisés dans beaucoup de secteurs. Le prix moyen des gros bovins à l'entrée de l'abattoir était en mars 2010 de 2,90 euros par kilo, soit 20 centimes au-dessous des cours de la campagne 2009 à la même période ; le prix moyen de l'agneau de boucherie est de 5,50 euros le kilo, 30 centimes en dessous de la cotation 2009 à la même période. Et la liste pourrait s'allonger à tous les secteurs des productions végétales ou animales. Je prendrai aussi l'exemple des revenus dégagés par un agriculteur de ma circonscription, dans ma petite commune du Puy-de-Dôme, qui a bien voulu me transmettre son résultat 2009 pour rendre compte de la situation. Sur son exploitation de 70 hectares occupant un temps plein en élevage bovin allaitant, son résultat économique courant baisse de 5 300 euros en 2009 par rapport à 2008, malgré une hausse de ses ventes. La rémunération mensuelle moyenne qu'il dégage est passée de 1 200 euros les années précédentes à moins de 600 euros aujourd'hui pour 45 bêtes environ.
Je lui dirai, lorsque je rentrerai, que vous pensez qu'il travaille à mi-temps et qu'il est normal qu'il ne gagne que 600 euros !
Dans ce contexte, ce projet de loi n'apparaît même pas comme un traitement palliatif. Chers collègues, je vous pose la question : est-ce donc le moment de renoncer à toute politique publique en matière de prix ? La situation des agriculteurs serait-elle devenue si paradisiaque que le soutien des politiques publiques soit devenu inutile ? N'est-il pas encore temps de revoir la copie pour ne pas lâcher les producteurs ? À en croire les propos des différentes organisations syndicales que nous avons auditionnées, et notamment ceux de M. Lemétayer, il n'en est pas beaucoup pour partager votre enthousiasme sur la contractualisation telle qu'elle est présentée. Elle fait, en effet, plus office de leurre que de solution.
Jean-Michel Lemétayer a d'ailleurs lourdement insisté sur la nécessité d'une politique de régulation des marchés et d'outils d'intervention sur la définition des prix. Je pourrais également citer les revendications d'autres organisations syndicales. Aujourd'hui, la Confédération paysanne nous a fait part de ses propositions. Demain, nous aurons le MODEF et sans doute d'autres encore. J'espère que nous aurons le temps, durant nos débats, de revenir sur leurs propositions. Elles vont toutes dans le même sens : garantir aux producteurs des prix rémunérateurs.
Je prends acte de tous les propos des syndicats, en me disant que les dispositions de la proposition de loi que j'avais déposée paraissent de plus en plus consensuelles et qu'elles auraient sans doute mérité plus de mansuétude de votre part, monsieur le ministre, en décembre dernier. Mais peut-être assisterons-nous dans quelques instants, avec le vote de cette motion, à une séance de rattrapage bien utile.
Car il me semble impensable de vous en tenir aux prétendues vertus intrinsèques de la contractualisation, surtout dans un monde sans régulation, sans quotas laitiers, sans outils de stockage. Car comment comprendre que les agents économiques qui accaparent aujourd'hui l'essentiel de la plus-value et des marges soient soudain disposés à faire preuve de générosité envers les producteurs dans une négociation de gré à gré, à renoncer à une partie de leurs profits pour le redistribuer généreusement à ceux qui en sont la source ? A-t-on déjà vu pareille preuve d'humanité, pareil signe d'empathie dans toute l'histoire des relations commerciales entre dominants et dominés ? A-t-on déjà vu un distributeur renoncer à jouer sur le moins-disant que pourraient lui proposer d'autres producteurs pour le même produit ? Aucun exemple ne me vient à l'esprit, mais je sais, monsieur le ministre, que vous savez faire preuve de beaucoup d'imagination pour me prouver le contraire, comme vous le faites pour justifier les mérites de l'application de la loi de modernisation de l'économie.
Quelle tromperie de faire croire que les prix d'achat aux producteurs vont augmenter, alors qu'aucun cadre en termes de volumes de production n'est fixé, alors que certains détiennent tous les pouvoirs de négociation dans le cadre d'un marché ouvert sans restriction, alors que les industriels et les centrales d'achat sont passés maîtres depuis des années dans l'art de tirer toujours vers le bas les prix d'achat ! Et je ne peux m'empêcher de crier à « l'enfumage » quand le Président de la République pavoise fièrement aux côtés des géants de la grande distribution, avec un accord non contraignant de « modération des marges dans le secteur des fruits et légumes » ne concernant d'ailleurs que la relation distributeurs-consommateurs ! Comme son prédécesseur, l'idée ne lui a sans doute jamais été suggérée d'appliquer le coefficient multiplicateur inscrit dans la loi depuis 2005.
En définitive, je crains qu'avec les premiers articles du titre II de ce texte, vous ne nous proposiez des contrats de dupes, dont le seul objectif tendrait à légitimer les pratiques commerciales toujours plus scandaleuses de la grande distribution.
La même logique est à l'oeuvre pour les articles suivants qui concernent l'organisation des interprofessions et les organisations de producteurs. Ce qui est en jeu en réalité derrière ce texte est une simple question de taille, non pas pour donner plus de poids aux producteurs, mais pour répondre plus efficacement aux besoins du marché, aux prix de marché, c'est-à-dire aux attentes des transformateurs et des distributeurs. C'est d'un « ajustement » territorial aux besoins de l'aval de la filière qu'il est question, et, ce faisant, d'un vaste plan social à l'échelle nationale à travers des restructurations.
Le texte est d'ailleurs volontairement flou sur la forme et le contenu des organisations de producteurs, tout comme sur les principes de représentation au sein des interprofessions. Avec cette logique de compétition permanente dans laquelle nous enferme un monde sans régulation, les agriculteurs perdront au contraire toute indépendance. L'exemple du secteur coopératif et des mutations qui le traversent est d'ailleurs particulièrement éclairant. Que gagnent les producteurs à voir les coopératives locales ou régionales être progressivement rachetées par des coopératives-monde ou par des groupes industriels dépendant directement des groupes de la distribution ? SODIAAL est-il plus généreux avec ses producteurs que ne l'était UNICOPA ? Qu'en est-il de l'emploi salarié dans le secteur de l'agro-alimentaire sur les territoires ? À la lumière de la concentration à l'oeuvre dans le secteur coopératif, j'émets de sérieuses réserves sur les motivations qui conduisent aujourd'hui à vouloir restructurer toute l'organisation des producteurs sur le territoire national. D'autant que la question de la représentativité et du respect des règles démocratiques au sein de ces structures n'est pas abordée.
En l'état, ce projet de loi joue à plein la carte de la concentration de la production autour de grandes unités spécialisées, et partiellement intégrées au sein de grands groupes coopératifs ou industriels, dont certains sont détenus par la grande distribution et qui détermineront seuls demain les volumes de production qui leur sont nécessaires avec le transfert des quotas aux laiteries. La logique est simple : mettre en face des cinq majors de la distribution en France cinq grandes structures de transformation pour accentuer la pression à la baisse des prix d'achat. Seules les plus grosses structures agricoles y survivront et se concentreront dans des bassins de production hyperspécialisés, les plus aptes à fournir les produits demandés. Certains parlent, sans doute, à juste titre, d'une transposition du modèle danois ou hollandais à la France, avec toutes ses conséquences pour les régions les moins productives et celles qui subissent des handicaps naturels.
Je résumerai ma crainte, notamment pour les zones de montagne, par cette question : « Le camion passera-t-il encore quand on n'aura que 150 000 litres de lait à offrir ? » Une des plus graves menaces est aussi au mieux de voir l'agriculteur confiné à un rôle d'exécutant et, au pire, de le voir totalement intégré, ficelé à l'industriel, sans recul sur ses pratiques, sur la conduite de son exploitation, sur l'orientation de sa production. Mes chers collègues, est-ce de ce modèle que nous rêvons pour l'agriculture française de demain ? N'est-il pas encore temps de revoir ce texte avant qu'il ne soit trop tard ?
Enfin, je ne reviendrai pas longuement sur les dispositions concernant l'extension du secteur assurantiel et je ne vous surprendrai pas en disant que les députés communistes et républicains y sont fermement opposés. En effet, avec les articles 9 et 10 du projet de loi, vous faites un nouveau cadeau à un secteur de l'assurance privée, bien content de booster ses profits sur le dos de l'État, en lieu et place de toute réflexion sur la mise en oeuvre d'un régime d'assurance mutuel public susceptible de bénéficier à tous les métiers du vivant, de la terre, de la mer et de la forêt, et à toutes les exploitations sans distinction. Vous allez même jusqu'à garantir leurs profits aux assureurs, en mettant à l'étude le principe d'une réassurance publique. Cela me rappelle un mauvais film que nous avons vécu avec le secteur bancaire, qui a d'ailleurs un goût d'inachevé. Qu'à cela ne tienne, vous y trouvez sans doute un petit goût de revenez-y.
Ce projet de loi s'écrit aussi en creux, en omettant volontairement l'essentiel. Non seulement il n'aborde pas les questions structurelles de la gestion des marchés, les niveaux des prix agricoles et les conditions de leur fixation, mais il ne fixe aucune « orientation » pour l'avenir. Il ne fait à aucun moment allusion au modèle agricole durable que nous devons construire. Aucun article par exemple sur la question essentielle de la réduction de la dépendance aux importations de protéagineux pour l'alimentation animale, aucun article sur les orientations agricoles pour les filières de qualité, l'agriculture biologique ou les productions de montagne, alors que l'inscription d'une « politique de l'alimentation » dans le droit français aurait dû permettre l'inscription d'objectifs précis en faveur de la production et de la consommation de ces produits.
Aucune ambition en matière de recherche et de diffusion de pratiques culturales adaptées aux exigences du XXIe siècle. Aucun volet concernant la formation continue des agriculteurs. Aucune référence à la problématique des retraites agricoles, aucun titre consacré au volet social du régime agricole. Quasiment rien sur la politique de l'installation.
En revanche, monsieur le ministre, vous n'êtes pas avares de reculs quand il s'agit de défaire ce qui fonctionne, avec le retrait de la mission de service public des ADASEA, avec la volonté de concentrer toujours plus les établissements publics d'enseignement agricole au grand dam d'une présence territoriale indispensable pour satisfaire les besoins des jeunes.
Je ne peux achever cette énumération sans évoquer l'hypocrisie environnementale de la majorité. La rédaction initiale de ce texte n'avait aucun lien avec les ambitions qui avaient pu être portées lors des tables rondes du Grenelle de l'environnement pour ce secteur. C'était un moindre mal, compte tenu de la surenchère à laquelle votre majorité s'est livrée en commission. Ainsi, certains députés se sont senti le devoir d'assouplir les conditions d'extension des structures de production les moins durables et les plus intensives, dont les conséquences sur l'environnement mais également sur l'emploi sont connues de tous. Monsieur le ministre, même si vous vous êtes opposé à cet amendement, le débat sur ce point est révélateur. Il est révélateur du sens de ce texte. L'objectif premier qui en ressort, tel qu'il est rédigé, est de pousser toujours plus à la concentration et à la spécialisation pour répondre au marché. Il ne faut donc pas s'étonner de voir des amendements tels que ceux qui ont été votés par la commission. Car, si ce texte fonctionne souvent en creux, pèche par omission, il n'est en effet pas vide de sens. Il préfigure un avenir bien éloigné des besoins du monde agricole, bien éloigné des enjeux alimentaires mondiaux, bien éloigné de la détresse de nos paysans.
Mes chers collègues, ce n'est pas pour rejeter le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche que je vous demande de voter cette motion de renvoi. C'est pour éviter l'examen d'un texte qui ne se résume pour l'instant qu'à un plan d'adaptation à la PAC 2013, à un nouveau plan de licenciements pour l'agriculture.
Ce n'est pas pour déconstruire le travail qui a déjà été réalisé par tous les acteurs du monde agricole sur la question des prix et des revenus que je vous demande d'adopter cette motion de renvoi en commission, mais pour revoir en profondeur son contenu afin d'apporter des mesures concrètes et ne pas se fier aux simples artifices de la contractualisation et de la gestion assurantielle des risques.
Ce n'est pas contre ce gouvernement ou contre le Président de la République que je vous propose de voter cette motion, …
…mais contre un basculement idéologique, inscrit dans le texte actuel, qui serait vécu comme un nouvel abandon par le monde paysan.
Je vous demande de voter cette motion parce que ce texte est à la fois inquiétant pour l'agriculture française et muet sur les questions fondamentales des prix et des revenus, de l'installation, des pratiques agricoles, de la recherche.
Je vous demande de voter cette motion parce que nous avons tous besoin d'explications de la part de M. le ministre sur la vision de la France qu'il compte porter dans les semaines et les mois à venir dans le cadre des négociations à vingt-sept sur l'avenir de la PAC.
Mes chers collègues, notre agriculture mérite mieux que ce texte incomplet qui, s'il était adopté en l'état, ne manquerait pas d'attiser le scepticisme, la rancoeur ou la colère.
Nous avons l'occasion de le retravailler en profondeur en commission. C'est pourquoi je vous demande de vous déterminer en conscience. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques.
M. Chassaigne a développé une position idéologique, certes respectable, mais que nous ne partageons pas.
J'aurais souhaité qu'il la défende avec autant d'ardeur en commission des affaires économiques. Nous l'avions invité et il a participé à quelques-unes de nos nombreuses réunions. Selon lui, un retour en commission s'impose, mais il suffit de soupeser le volumineux rapport de M. Raison et de M. Guédon pour avoir une idée du travail approfondi de la commission !
Vous avez chargé la Commission européenne, mais épargné la commission des affaires économiques, ce dont je vous remercie.
Je rappelle, pour le compte rendu, que nous avons travaillé en étroite collaboration avec M. le ministre et toute son équipe, qui étaient présents aux neuf réunions de commission qui se sont tenues. Nous avons auditionné le ministre, l'ensemble des organisations syndicales. Au total, nous avons travaillé trente heures, monsieur Chassaigne. Vous avez donc eu tout loisir – vous et les membres de votre groupe – de développer vos arguments. Pour autant, nous ne les partageons pas et nous ne sommes pas obligés de suivre vos conclusions.
Au cours de ces trente heures, nous avons examiné 1 175 amendements, cher collègue, la plupart ayant été rejetés. L'excellent rapporteur Michel Raison, pour la partie agriculture, et le non moins remarquable rapporteur Louis Guédon, pour la partie pêche, ont auditionné 230 personnalités. Le rapporteur pour avis M. Patria a fait sa part de travail en organisant des auditions dans le cadre de la commission du développement durable.
Vous souhaiteriez, monsieur Chassaigne, poursuivre un travail de commission dans l'hémicycle. Nous ne persistons pour notre part à ne pas être d'accord avec la théorie que vous avez développée. Je demande à nos collègues qui ne seraient pas convaincus de lire le « petit » rapport de la commission qui compte tout de même quelque 900 pages !
C'est dire la qualité des travaux que nous avons menés en commission ! Je vous invite par conséquent à rejeter la motion de renvoi en commission de M. Chassaigne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à Mme Frédérique Massat.
Toutes les filières agricoles sont touchées. Partout et particulièrement dans les zones de montagne, vous rencontrez des agriculteurs désespérés, parce qu'ils seront demain dans l'obligation de cesser leur activité. Or, monsieur le ministre, votre projet de loi n'est guère porteur d'espoir. Nous n'approuvons pas sa philosophie générale. Nous regrettons la faiblesse des moyens que vous y consacrez et nous déplorons l'absence d'outils nouveaux qui donneraient une perspective à l'agriculture de demain.
La contractualisation, pilier de votre projet, n'est pas une nouveauté, loin s'en faut. Pourtant, vous la présentez comme une potion magique susceptible de résoudre tous les maux de l'agriculture. La loi de modernisation de l'économie que vous avez votée il y a deux ans a eu un effet dévastateur sur les agriculteurs. La grande distribution les a étranglés. Aujourd'hui, avec votre dispositif, vous souhaitez vous offrir une séance de rattrapage. Les prix et les outils de régulation sont au centre des problèmes agricoles. Avec votre texte, vous ne sauvez ni l'agriculture, ni les agriculteurs. Les politiques publiques fortes en matière agricole sont abandonnées. Vous renoncez à porter la voix de la France en Europe, ce qui est en contradiction avec vos propos. Vos discours et ceux du Président de la République ne sont suivis d'aucun acte. Face à la gravité de la crise, reconnue pas tous, vous ne proposez aucune solution. Pourtant, des propositions émanant de la majorité comme de l'opposition vous ont été soumises, mais elles n'ont trouvé aucun écho. Vous vous entêtez à ne pas reconnaître la pluralité syndicale. Vous avez choisi de consacrer une politique publique de l'alimentation – ce qui est louable –, mais cette initiative ne donne aucun pouvoir au citoyen et au consommateur. À part un catalogue de bonnes intentions, vous ne proposez rien de concret pour avancer sur ce dossier. Je vous renvoie à cet égard à l'émission diffusée par France 3 hier soir et consacrée à la sécurité alimentaire. Le constat faisait froid dans le dos. Avec un emploi à outrance de PCB et d'antibiotiques, le danger est dans l'assiette.
Non, cher collègue. La sécurité alimentaire doit être une priorité pour vous, monsieur le ministre. Elle est un enjeu de société, pour notre agriculture.
Que constatons-nous ? l'échec du libéralisme, l'échec social, aucune solutions pour les agriculteurs. Ce projet de loi oublie les politiques publiques. Vous ne proposez pas la garantie de prix rémunérateurs. Vous avez prôné la concentration de la production au sein de grands groupes coopératifs ou industriels. Seules les plus grosses structures survivront. Cela fait froid dans le dos lorsqu'on pense aux zones de montagne où les petits agriculteurs devront mettre la clé sous la porte.
Le modèle agricole durable est resté dans les placards, monsieur le ministre. Et l'on déplore de nombreuses lacunes sur la formation, les protections, l'installation entre autres.
De nombreux amendements ont été rédigés, émanant tant de la majorité que de l'opposition. Nous avons du reste appris qu'il restait plus de 1 000 amendements à examiner au titre de l'article 88, dont 461 pour le groupe UMP, mais que nous devrons examiner au titre de l'article 91 dans la mesure où nos débats ont commencé.
Nous avons en effet passé beaucoup de temps en commission, monsieur le président Ollier. M. le ministre a toujours été présent, je tiens à le souligner. (« Très bien » sur les bancs du groupe UMP.) Il a répondu à nos questions et nous avons même été amenés à le « sauver » sur un certain nombre de sujets, notamment lorsqu'il a refusé certains amendements. Il faut le reconnaître et nous le reconnaissons.
Mais, face au nombre important d'amendements qu'il nous reste à examiner, un retour du texte en commission nous permettrait peut-être d'en faire passer quelques-uns, et au moins d'avoir une écoute plus attentive de M. le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Pour commencer, je souhaite saluer la verve habituelle de notre collègue Chassaigne. Malheureusement, elle n'a pas suffi à nous convaincre. Nous ne sommes pas ici pour faire un inventaire à la Prévert de tous les malheurs qui frappent nos agriculteurs. Nous en sommes tout à fait conscients, monsieur Chassaigne.
Nous ne sommes pas ici pour faire de la technique, mais pour faire de la politique et tracer les sillons d'une nouvelle politique agricole commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Le ministre de l'agriculture ne dit pas autre chose lorsqu'il nous invite à faire passer un cap à nos agriculteurs. J'ai le sentiment, monsieur Chassaigne, que vous préférez rester en arrière et que les agriculteurs ne puissent pas se donner les moyens de répondre aux nouveaux défis…
…à moins que vous ne souhaitiez qu'ils restent enfermés dans l'image bucolique que vous nous en donnez habituellement. Acceptez au moins le terme de « révolution » – cela devrait vous plaire (Exclamations sur les bancs du groupe GDR), révolution copernicienne certes, une nouvelle façon de concevoir la production agricole.
Avec ce projet, il s'agit de mettre l'alimentation au coeur de la politique agricole, non plus une politique qui s'adresserait seulement à une catégorie socioprofessionnelle, mais une politique qui réponde à l'attente de l'ensemble de nos concitoyens et qui permette d'apporter des réponses raisonnées et raisonnables à un certain nombre de démagogues qui sévissent dans des émissions télévisées à longueur de soirée.
Il est important d'avoir une vraie politique pour protéger la terre, cette ressource non renouvelable qui garantira notre capacité de production alimentaire pour les générations futures.
Il importe d'ouvrir la possibilité à nos agriculteurs d'accéder à des métiers nouveaux par le biais de la valorisation de la biomasse. Il faut répondre également à l'inquiétude des travailleurs de la mer. Enfin, s'agissant de la contractualisation, je comprends que le terme vous heurte – vous l'aviez pourtant utilisé à une certaine époque lorsqu'il s'agissait de parler des contrats territoriaux d'exploitation. Pour vous, il n'y a de contrat valable qu'avec la puissance publique. Je pense que le contrat a aussi sa place dans le cadre des relations privées.
Le projet de loi vise à mettre en oeuvre des politiques de gestion des risques. Je vous invite, monsieur Chassaigne, à nous rejoindre dans une politique qui regarde vers le futur.
Hélas, j'ai le sentiment que vous vous y refusez toujours. C'est pourquoi j'invite mes collègues à rejeter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
À mon tour, je veux déplorer les conditions dans lesquelles nous examinons ce texte. Je rassure d'emblée M. Ollier, le président de la commission des affaires économiques qu'il ne s'agit pas de mettre en cause, bien au contraire. Les conditions de travail des personnels de la commission sont sans doute déplorables. On ne les voit que lors des réunions de la commission, mais j'imagine le travail qu'ils font lorsque je constate que les documents ne sont mis en ligne que quelques jours avant le début de la discussion.
Ce qui impose aux personnels des commissions – pour ce qui est de nos collaborateurs, c'est notre responsabilité – des conditions de travail qui ne sont pas acceptables. Tout ce qui a été dit à cet égard tant par M. Peiro que par Mme Massat, je le partage, et je tenais à le dire au nom du groupe GDR.
Je souhaite par ailleurs rassurer M. le ministre. Nous voulons bien lui délivrer une attestation établissant qu'il n'est pas marxiste, même pas néomarxiste ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.)
Je suis européen !
Bref, pour assurer votre tranquillité au sein du Gouvernement, nous sommes prêts à vous la donner !
France 3 a diffusé hier soir – hasard de la programmation ? – une excellente émission dont les conclusions justifieraient à elles seules un renvoi en commission. Ce qui y fut dit, en particulier concernant la pêche, était des plus éloquents. Il y a lieu en effet de s'interroger sur la qualité d'un certain nombre de poissons. Votre propre réaction, monsieur le ministre, à la proposition d'Élise Lucet de goûter le plat qui vous était présenté était également très instructive. Les PCB, les antibiotiques, les pesticides sont le quotidien d'un certain nombre de nos concitoyens, et même sans doute de la majorité de la population française. Voilà la réalité.
Comment sortir de cette problématique ? Un retour en commission serait tout à fait justifié afin que votre texte aborde ces questions.
La mauvaise qualité des produits liée à un environnement déplorable s'ajoute à la pression sur les droits sociaux et sur les prix. Comment feront les millions de consommateurs qui, faute d'information ou, surtout, faute de moyens, ne peuvent se passer d'une telle nourriture ?
Dans le même temps, nous assistons à une chute sans précédent des revenus agricoles : jusqu'à 50 % de baisse des prix de certaines productions. Oui, le quotidien, monsieur le ministre, est bien sombre pour une grande partie du monde agricole en matière de revenus, d'autant que cette situation s'accompagne de la baisse du nombre d'exploitants, de leur non-renouvellement, ce qui met en péril l'équilibre même de nos territoires et conduit à une désagrégation du monde rural. C'est le signe que l'agriculture ne permet plus aux producteurs de bien vivre et d'assurer la sécurité alimentaire, y compris celle des consommateurs. Or cela ne devrait-il pas être le fondement d'une politique agricole ?
C'est aussi le signe que la politique européenne est vissée au dogme libéral. Vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre : en Allemagne, la compétitivité, c'est aussi l'embauche de Polonais à bas coût. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Voilà qui en dit suffisamment sur l'Europe agricole en marche.
Vos solutions ne sortent pas du cadre libéral dont on constate les conséquences sur les territoires et sur les producteurs. En réalité, elles intègrent toujours davantage les producteurs, en particulier, à des contrats imposés par les grands intérêts qui se nourriront de la compétition permanente présentée comme la panacée, avec des systèmes assuranciels qui étoufferont de plus en plus les producteurs. J'oserai le dire, monsieur le ministre : agriculture et industrie, même combat. En effet, les enjeux sont identiques.
Notre but et notre mot d'ordre à tous devrait être de produire de la qualité et de la sécurité ici, en France…
On produit de la qualité ! Il ne faut tout de même pas dire n'importe quoi !
…, en faisant en sorte que les consommateurs puissent acheter les produits et, bien évidemment, que les producteurs, dans l'industrie comme dans l'agriculture, vivent de ce qu'ils produisent. Mais votre politique revient à garantir que les grands intérêts du secteur seront toujours préservés, ce qui entraîne de nouvelles coupes dans notre agriculture, et votre texte franchit une nouvelle étape en ce sens.
Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, il y a lieu de renvoyer le texte en commission. Permettez-moi de vous dire qu'en « examinant » 1175 amendements dans les conditions qui nous sont imposées non par vous, mais par le rythme que vous imprimez à ce que vous appelez vos réformes, nous risquons d'aboutir à un ensemble législatif peu cohérent et sur lequel il faudra probablement revenir assez rapidement dans plusieurs domaines. Cela ne me semble pas être du bon travail législatif, monsieur le président de la commission des affaires économiques.
Quoi qu'il en soit, nous le déplorons et nous appelons à voter la motion de renvoi en commission présentée par André Chassaigne. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Je veux moi aussi saluer le talent oratoire de M. Chassaigne (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et confirmer qu'il y aurait sans doute matière à débattre un peu plus longuement en commission – une commission qui travaille bien, mais qui est tout de même en légère surchauffe en cette fin d'année, monsieur le président.
Nous, centristes, tenons à saluer le personnel de la commission, qui a été au rappel ces derniers temps.
Nous aurons l'occasion de le dire, nous approuvons certaines critiques qui ont visé le manque d'ambition du texte sur plusieurs points, en particulier le partage de la valeur ajoutée ou la mise à contribution de la grande distribution.
Mais, pour une raison essentielle…
En effet, nous, centristes, voulons éviter un véritable divorce entre le monde rural et la démarche du Grenelle de l'environnement. Or, si l'on vous suit, ce divorce surviendra dans toute son ampleur.
Je l'ai dit à Germinal Peiro : sur l'eau, les phytosanitaires et bien d'autres sujets, les agriculteurs ont perçu le Grenelle comme un véritable danger. Il faut donc leur parler et parvenir à des compromis satisfaisants. On a commencé à le faire à propos des phytosanitaires ; il faudra impérativement le faire à propos de l'eau. Je le dis alors même que nous, centristes, militons en faveur du Grenelle en matière d'énergie, de transports, de logement. Mais, à nos yeux, nous ne parviendrons pas à enraciner le Grenelle contre les paysans.
J'ai écouté Germinal Peiro ; je vous ai écouté, monsieur Chassaigne ; j'ai écouté Mme Massat. En disant, comme vous l'avez fait, que « le danger est dans notre assiette », vous prononcez une phrase extrême, mes amis. Je vous demande de le mesurer. Vous n'avez pas le droit de dire cela alors que, chaque année, nous gagnons un trimestre d'espérance de vie. De telles phrases me font réagir vivement, parce qu'elles stigmatisent nos agriculteurs.
Pour notre part, nous proposerons une autre ligne politique, qui vise à permettre à nos agriculteurs de lutter à armes égales avec les agriculteurs allemands, italiens, espagnols, sans supporter une charge plus lourde qu'eux. Assurément, monsieur le ministre, nous devrons aborder certains sujets, dont l'exonération de charges patronales sur le travail permanent, puisqu'il s'agit d'un chantier important qu'il faudra bien ouvrir.
Nous, nous voulons débattre ici, dans l'hémicycle, puisque c'est ici qu'a lieu le vrai débat. Et nous interpellerons le ministre sur certains points : pourquoi, je le répète, n'y a-t-il pas d'exonérations de charges patronales sur le travail permanent ? Nous nous sommes aussi un peu écharpés, je l'ai dit, à propos de la mise à contribution de la grande distribution. En revanche, nous dirons notre soutien aux contrats-type, à l'assurance récolte et au plan national d'alimentation.
Voilà ce dont nous voulons débattre. Le renvoi en commission, auquel vous ne croyez guère vous-même, ne nous conduirait pas bien loin. Nous ne le voterons donc pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous voilà rassurés !
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi portant engagement national pour l'environnement ;
Suite du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma