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Intervention de Germinal Peiro

Réunion du 29 juin 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGerminal Peiro :

Je veux vous le dire solennellement : nous ne pouvons travailler dans de telles conditions et donner aux Français la sécurité juridique dont ils ont besoin. Tous les praticiens se plaignent aujourd'hui de la piètre qualité des lois. Nous tenons là l'une des causes les plus sérieuses, et les plus graves, de ce dérèglement.

De tels délais ne sont pas seulement une insulte aux oppositions. Ils sont une remise en cause de la démocratie parce qu'ils fragilisent la construction des lois de la République, et donc du droit.

Ces conditions d'examen, vous l'avouerez, sont indignes. Nous sommes bien loin des promesses faites au moment de l'adoption, à une voix de majorité, de la révision constitutionnelle.

Les promesses, le Président de la République et le Gouvernement n'en sont pas avares. Le problème est qu'elles ne deviennent pratiquement jamais réalité. C'est d'ailleurs le point commun à celles faites au Parlement et à celles faites aux Français.

Monsieur le ministre, c'est peu de dire que votre projet de loi ne répond pas aux attentes que le Président de la République et vous-même avez suscitées. Le peu d'enthousiasme avec lequel a été accueillie son adoption par le Sénat démontre que les professionnels ne sont désormais plus dupes de votre politique, laquelle n'a rien à voir avec vos annonces, vos promesses.

Le 11 juin dernier, La Vendée agricole a titré « Bruno Le Maire : champion du monde des annonces ». Voilà qui résume en fait ce que les Français pensent de l'action du Gouvernement.

Un ancien Premier ministre que vous connaissez bien – je veux parler de M. de Villepin, monsieur le ministre – l'a exprimé en termes très clairs la semaine dernière : « Nous sommes confrontés à un déni de réalité, avec un décalage toujours plus grand entre le discours et les actes. »

Quelle est la réalité ? Quel est le bilan de cette majorité après huit années au pouvoir ?

Nous avons assisté l'année dernière à une chute sans précédent du revenu agricole. Il faut sortir de la moyenne toutes productions confondues, et simplement énoncer les résultats, dans leur brutalité dramatique, pour comprendre le séisme auquel sont confrontés les producteurs : vins d'appellation d'origine, -8 % ; polyculture, -31 % ; maraîchage et fleurs, -34 % ; bovins mixtes : -42 % ; céréales, -51 % ; fruits, -53% ; bovins laitiers, -54%.

Dans un secteur apparemment en meilleur santé, l'élevage de bovins à viande, la hausse de 17 % en 2009 n'est finalement qu'un infime rattrapage des pertes précédentes. Sur les trois années 2007 à 2009, le revenu est en baisse de 15 % par rapport aux années 2004 à 2006.

En 2009, l'ensemble des exploitations professionnelles a enregistré une baisse de revenu de 32 %. En valeur, la production française a perdu 8,2 % cette même année. C'est extrêmement grave sur le plan économique. C'est extrêmement grave – chacun en a bien conscience – sur le plan social. C'est également inquiétant pour la souveraineté de la France. Vous le savez, monsieur le ministre, et ce n'est pas moi qui l'ai dit : celui qui produit a entre ses mains celui qui ne produit pas. Lorsque l'on voit la production française faiblir à ce point, dans un domaine où nous étions très en avance, il y a effectivement de quoi sérieusement s'inquiéter.

Voilà le quotidien affronté par les agriculteurs.

Aujourd'hui, nous apprenons qu'une hausse de 10 % du lait est prévue pour 2010. Si nous faisons un calcul rapide, cela signifie que le prix du lait sera, en 2010, inférieur de 49 % à celui de 2008. Nous allons donc assister à la poursuite du plan de délocalisation de notre agriculture.

Dans ce contexte, les agriculteurs, comme l'ensemble des Français, n'attendent plus rien. Ils sont fatigués de la politique menée par votre majorité depuis 2002, qui les a plongés dans le désespoir.

Nous, parlementaires de gauche, nous nous rappelons la suffisance avec laquelle l'UMP donnait des leçons de bonne gestion agricole en 2002. Nous nous rappelons les mots très durs lancés par la droite en 1999, par exemple contre les CTE, les contrats territoriaux d'exploitation, ou contre cette économie régulée sans laquelle nous savions, nous, qu'il n'y a pas d'avenir agricole. Vos certitudes ultralibérales n'ont fait que creuser la tombe d'un nombre toujours plus grand d'exploitants de notre pays.

Le nombre d'exploitations a été divisé par deux depuis 1989. La chute s'accentue désormais dramatiquement, et il est de plus en plus difficile de trouver des jeunes prêts à se lancer en agriculture. Jamais, dans mon département, les nouveaux installés n'ont été si peu nombreux, et il en va de même partout : le nombre des installations est divisé par deux, par trois ou par quatre, selon les départements. La relève est absente. Mais qui pourrait blâmer les jeunes de vouloir faire un métier qui permette simplement de vivre du travail accompli ?

L'horizon est aujourd'hui trop sombre. L'avenir agricole ressemble, pour un jeune, à une porte close.

Il faut ajouter à cela les cessations d'activités, innombrables. Ainsi, 13 % des exploitants agricoles ont déclaré il y a quelques semaines qu'ils souhaitaient ou allaient cesser leur activité au cours de l'année à venir – cela a été publié dans Les Échos –, et j'ai eu l'occasion d'indiquer à cette tribune que 200 000 à 300 000 emplois étaient directement menacés dans les deux années à venir. C'est l'équilibre même de nos territoires qui est désormais sapé.

Si vous reprenez aujourd'hui cet objectif d'équilibre territorial dans vos discours, il apparaît cependant très éloigné des préoccupations de votre texte, qui ne fait qu'accompagner, pour l'après 2013, la fuite en avant vers l'agrandissement et la concentration de l'outil agricole. Il faudra travailler toujours plus pour gagner encore moins. Voilà votre bilan collectif après huit années au pouvoir.

Quelques exemples montrent combien vos leçons étaient malvenues et témoignent du fait que vous n'avez eu comme politique que la constance dans l'erreur.

Dès 2002, vous vous êtes attachés à détruire tous les instruments de régulation : les contrats territoriaux d'exploitation, tout d'abord, que vous vilipendiez et qui sont désormais regrettés par le monde agricole dans son ensemble ; les offices, ensuite, symbole à vos yeux d'une régulation qu'il fallait abandonner. En 2003, les accords de Luxembourg signés par Hervé Gaymard engageaient l'économie agricole dans une dérégulation sans précédent dont les conséquences ont été accentuées par les mauvais choix du gouvernement Raffarin. Le choix des références historiques opéré par ce gouvernement a en effet été strictement franco-français, ce qui a été l'une des principales sources des difficultés énormes dans lesquelles sont plongées certaines filières.

Vous avez décidé de contenter une certaine clientèle agricole qui vous était chère, ce qui signifiait la perpétuation d'un modèle de développement dépassé, ce que vous n'avez pas compris. Les Allemands, quant à eux, ont fait des choix plus courageux qui portent aujourd'hui leurs fruits. Il ne faut pas s'étonner qu'ils viennent à présent nous concurrencer car ils ont réparti les aides sur l'ensemble des filières quand nous les avons concentrées, au profit en particulier des producteurs de céréales.

En 2006, votre majorité n'a eu de cesse de s'attaquer au contrôle des structures mais pour mieux inciter, en réalité, à la concentration agricole. En 2008, sous la présidence française de l'Union européenne, elle a entériné la fin des quotas laitiers. C'est cela le bilan de la droite depuis 2002. Nous comprenons pourquoi vous tentez aujourd'hui de vous en désolidariser, monsieur le ministre.

La situation des agriculteurs rappelle ces formules que vous citez dans votre témoignage sur les années 2005-2007. Dans la situation économique et sociale que les agriculteurs affrontent, « la révolte, c'est rester en vie » et « la grande désobéissance, c'est de vivre sa vie », affronter l'horreur économique, la désespérance sociale et tenter de s'en sortir. Le pire peut-être, c'est que vous-même n'attendez rien de votre texte, comme vous l'avez admis en commission, à l'instar de M. le rapporteur qui, lui, a tout simplement expliqué que la loi n'avait pas pour objectif de répondre à la crise, qu'elle ne pourrait le faire.

C'est plus qu'un aveu d'impuissance, c'est un abandon volontaire. Où est donc la volonté affichée dans l'appel de Paris ?

Votre discours est souvent intéressant, monsieur le ministre. Mais il ne trouve malheureusement pas de traduction juridique. Il ne se nourrit pas non plus d'une force politique qui s'applique sur le terrain. Vous pratiquez l'abandon et vous donnez quelques subventions de soutien lorsque la crise atteint un degré tel qu'il vous faut apaiser le monde agricole. Ce n'est pas ainsi que l'on prépare l'avenir !

Plus grave, faute de présenter de véritables solutions alternatives au modèle économique libéral dominant, le présent texte va encore accentuer le déménagement agricole et la désespérance. La crise agricole dramatique que nous traversons nous impose de revoir le modèle économique, social et environnemental de notre développement agricole dans le monde, en Europe et en France.

Je n'aborderai pas ici la définition d'une politique de l'alimentation, qui relève désormais de la pleine compétence de votre ministère. Dans les dispositions alimentaires présentes dans le projet de loi, il n'y a certes rien qui puisse soulever notre opposition frontale, mais le problème c'est qu'il n'y a rien non plus qui puisse recueillir notre enthousiasme, rien qui puisse changer la situation des agriculteurs et l'on peut penser – l'hypothèse n'est pas à exclure – que ces dispositions favorisent finalement non les producteurs mais les transformateurs et la grande distribution.

La question de la salubrité de ce que nous mangeons mérite d'être posée. Hier soir, à la télévision, vous avez à juste titre dénoncé certaines pratiques d'élevage des saumons en Europe du Nord. Vous vous êtes toutefois montré bien plus prudent s'agissant des pratiques françaises, vous contentant de déclarer que votre mission consistait à faire en sorte que les produits présents dans l'assiette qui vous était proposée ne puissent pas être mis sur le marché. Mais il n'est pas suffisant de dire que certaines pratiques sont anormales et que vous proposerez vos propres produits la prochaine fois. Je dois d'ailleurs vous dire, monsieur le ministre, que j'ai été choqué de voir un ministre de la République refuser de goûter à une assiette préparée avec des produits que l'on trouve dans toutes les grandes surfaces de notre pays. Il est vrai que la journaliste, Élise Lucet, vous avait indiqué au préalable qu'il s'agissait de fruits gorgés de pesticides, de poisson au PCB et de porc contenant un taux excessif d'antibiotiques. Mais tout de même, quel décalage ! Hier soir, vous m'avez rappelé votre collègue Mme Kosciusko-Morizet qui, lors du débat sur les OGM, avait déclaré que si elle avait le choix, elle ne donnerait pas à manger à ses enfants de produits contenant des OGM.

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