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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 29 juin 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun conviendra de l'extrême importance pour notre pays de la question agricole. Dans cette motion de renvoi en commission, j'aurai avant tout un discours de vérité par rapport aux enjeux qui sont posés aujourd'hui. Nous commençons l'examen d'un projet de loi attendu de tous les acteurs du monde agricole. Un projet de loi censé « moderniser » notre agriculture, censé soutenir aux yeux de nos concitoyens la volonté politique de ce gouvernement en faveur d'un modèle agricole durable. Un projet de loi censé démontrer la clairvoyance de notre pays sur les enjeux agricoles de notre temps.

Dès le début de mon intervention, à la lecture de ce texte, je ne peux m'empêcher de vous féliciter, monsieur le ministre : vous faites preuve d'une grande clairvoyance, d'une perspicacité d'une rare portée. En effet, vous vous êtes avec brio projeté en 2013, dans une Europe qui aurait cessé de croire aux vertus d'une politique agricole commune.

Cependant, j'ai une interrogation. N'avez-vous pas été effleuré par le sentiment d'exclure de votre vision les vraies problématiques des hommes et des femmes qui vivent de l'agriculture et qui font vivre nos territoires ruraux ? Je parle bien sûr de ce qui est au coeur de leur quotidien, la question du prix de ce qu'ils produisent, et celle des outils de régulation des marchés, laquelle est indispensable à la garantie d'un revenu.

Par cette anticipation, vous avez voulu soumettre à la représentation nationale une sorte de transposition anticipée d'une directive européenne « n° 2013-quelque chose », décrivant de la façon la plus opaque et la moins contraignante possible ce que notre pays doit entendre par « politique de l'alimentation ». Puis, comme il sied à toute bonne directive européenne, vous avez tenu à préciser le contenu et la portée de quelques outils économiques de marché susceptibles d'être déployés largement dans le secteur de l'agriculture, de la forêt et de la pêche. Enfin, vous avez rappelé les éléments marginaux qui permettent encore à l'État, en application du principe de subsidiarité, de porter quelques appréciations sur les orientations agricoles régionales.

La rédaction actuelle de ce texte pourrait sans doute aussi servir de modèle-type de mesure d'ajustement structurel pour l'agriculture et tous les services qui lui sont directement liés. Je pense notamment aux secteurs de la santé publique vétérinaire et du contrôle sanitaire, abordés à l'article 2 et que l'on souhaite traiter par ordonnance. Car ce projet prévoit dans le même temps la livraison définitive de nos agriculteurs aux lois du marché, autrement dit à ce qu'il faut bien appeler la loi de la jungle, et l'ouverture, inéluctable dans ces conditions, à toutes les dérives, en assouplissant notamment notre système de contrôle sanitaire.

Les auteurs de ce texte se soumettent ainsi par avance aux attentes de ceux qui préparent depuis des mois, des années, le démantèlement de la PAC, en commençant par son premier pilier. Cette politique agricole commune qui a été pendant longtemps le symbole de l'intégration européenne, la seule politique communautaire dotée de véritables moyens d'action. Une politique devenue insoutenable aux yeux des libéraux, car freinant par trop l'appétit des spéculateurs et des géants mondiaux de l'agroalimentaire et de la grande distribution.

À n'en pas douter, ce projet de loi fait un pari sur un budget communautaire lourdement amputé, sur la suppression définitive des derniers outils de gestion de l'offre, sur une refonte en profondeur des soutiens directs aux agriculteurs, et, globalement, le pari d'une bonne cure d'austérité pour l'Europe. En procédant de la sorte, vous énoncez et vous intégrez une prophétie que le sociologue Pierre Bourdieu aurait qualifiée d'autoréalisatrice mais que, pour ma part, je dirai autodestructrice, tant elle anticipe des décisions aux effets catastrophiques, au lieu de les combattre pour éviter ces effets. Elle aura des conséquences terribles pour l'agriculture européenne et les enjeux alimentaires et environnementaux mondiaux. En procédant ainsi, vous prenez le risque d'appuyer sur l'accélérateur au moment même où le moteur s'emballe, c'est-à-dire au moment où la majorité de nos agriculteurs éprouvent les pires difficultés à sauver leur outil de travail, leur exploitation.

Fondamentalement, ce qui est en cause dans votre texte, c'est la disparition de politiques publiques fortes dans le domaine agricole. Vous dites que grâce à votre volontarisme un accord européen est en vue, une forme de consensus même, puisque vous comptez le nombre de pays qui peuvent être convaincus. Mais un accord est-il forcément une victoire, un consensus est-il forcément positif ? Une position commune au niveau européen ne signe-t-elle pas plutôt une capitulation ? N'auriez-vous pas plutôt renoncé â porter la voix déterminée de la France dans le concert européen sur cette question ? Si c'est le cas, ce renoncement préfigure un avenir bien sombre pour l'agriculture française, pour ces 600 000 hommes et femmes qui ont fait le choix de nourrir leurs semblables, un choix auquel la Commission européenne ne souhaite déjà plus apporter de reconnaissance.

Face à cette incertitude, vous me permettrez aussi de m'interroger sur les motivations profondes qui vous auraient conduit à un tel basculement idéologique, lequel serait le fruit d'une conversion récente. En 2007, en effet, nous avions reçu devant la commission des affaires économiques la commissaire européenne chargée de l'agriculture, Mariann Fischer Boel. Elle s'était voulue visionnaire, persuadée de l'avènement du bonheur suprême pour nos agriculteurs. Son chant de sirène laissait croire que tous les cours allaient s'envoler, garantissant ainsi un revenu suffisant aux producteurs sans qu'il soit besoin que l'Union européenne prévoit des soutiens spécifiques ou des mécanismes de stabilisation des marchés. C'était quelques mois avant la chute vertigineuse des prix et des revenus. À juste raison, nous n'en avions pas cru un mot.

Et d'ailleurs la proposition de résolution de la délégation parlementaire française pour l'Union européenne, que nous avions rédigée quelques mois après, avait traduit cette conviction en apportant des réflexions bien plus engageantes. Cette proposition de résolution, que tous, sur tous les bancs, nous avions adoptée, estimait « impératif » de « conserver au sein de la PAC un premier pilier fort, orienté vers une agriculture productive et respectueuse de l'environnement, afin de ne pas limiter notre seule politique commune à un dispositif d'accompagnement social et rural de l'agriculture et d'éviter toute renationalisation de celle-ci », et que l'on « ne devait pas vider le premier pilier des moyens financiers qui lui sont nécessaires ».

La résolution jugeait également « indispensable » que l'Union européenne « conserve des mécanismes d'intervention sur les marchés et engage rapidement, dans la perspective de la prochaine réforme de la PAC, plusieurs chantiers de réflexion portant notamment sur la pérennisation et le financement des aides du premier pilier, ainsi que leur finalité – favoriser la création d'emplois, le développement d'une agriculture à la fois productive et durable, etc ; la création de nouveaux outils de stabilisation des marchés et d'orientation des productions agricoles » permettant notamment « aux agriculteurs de mieux vivre du prix de leurs produits ». Elle rappelait aussi la nécessité d'engager la réflexion pour l'après 2013 sur « la mise en oeuvre de la préférence communautaire » et « le développement d'une véritable politique de recherche et d'innovation, permettant de renforcer l'excellence environnementale de notre agriculture. »

J'avais d'ailleurs souligné, lors de son examen en commission des affaires économiques, la pertinence de l'initiative qui permettait de dresser un historique relativement complet et objectif de la politique agricole européenne, en partant de ses enjeux initiaux, en retraçant les multiples réformes et en mettant au grand jour les motivations qui guidaient sa remise en cause.

Ce texte n'était certes pas exempt d'insuffisances et d'aspects critiquables, mais il avait avant tout le mérite de fournir l'état de la réflexion française, avec une vision d'avenir pour le modèle européen et des pistes de travail. Il confirmait aussi le fait que l'agriculture n'est pas un « tiers secteur » à traiter vulgairement et à abandonner au libre arbitrage idéologique des négociateurs de l'OMC. Il réaffirmait courageusement des principes aussi essentiels à notre avenir commun que ceux de la souveraineté et de la sécurité alimentaire. Il avait le mérite de poser les bonnes questions sur la pérennité de notre agriculture : la préférence communautaire, la régulation de l'offre, les soutiens aux agriculteurs, la problématique des prix et des revenus.

Conscient de l'importance de transmettre une appréciation commune et offensive de la représentation nationale sur une question touchant aux besoins fondamentaux de l'humanité, je l'avais d'ailleurs soutenu. Nous l'avions tous soutenu. La traduction française de ce bilan de santé, partagé par nous tous, avait ensuite permis un certain rééquilibrage des aides en direction de l'élevage.

Mes chers collègues, je cherche quelque traduction de ces orientations dignes d'intérêt dans le présent projet de loi qui prétend moderniser notre agriculture et notre pêche. En vain ! Je cherche…

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