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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 29 juin 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Je lui dirai, lorsque je rentrerai, que vous pensez qu'il travaille à mi-temps et qu'il est normal qu'il ne gagne que 600 euros !

Dans ce contexte, ce projet de loi n'apparaît même pas comme un traitement palliatif. Chers collègues, je vous pose la question : est-ce donc le moment de renoncer à toute politique publique en matière de prix ? La situation des agriculteurs serait-elle devenue si paradisiaque que le soutien des politiques publiques soit devenu inutile ? N'est-il pas encore temps de revoir la copie pour ne pas lâcher les producteurs ? À en croire les propos des différentes organisations syndicales que nous avons auditionnées, et notamment ceux de M. Lemétayer, il n'en est pas beaucoup pour partager votre enthousiasme sur la contractualisation telle qu'elle est présentée. Elle fait, en effet, plus office de leurre que de solution.

Jean-Michel Lemétayer a d'ailleurs lourdement insisté sur la nécessité d'une politique de régulation des marchés et d'outils d'intervention sur la définition des prix. Je pourrais également citer les revendications d'autres organisations syndicales. Aujourd'hui, la Confédération paysanne nous a fait part de ses propositions. Demain, nous aurons le MODEF et sans doute d'autres encore. J'espère que nous aurons le temps, durant nos débats, de revenir sur leurs propositions. Elles vont toutes dans le même sens : garantir aux producteurs des prix rémunérateurs.

Je prends acte de tous les propos des syndicats, en me disant que les dispositions de la proposition de loi que j'avais déposée paraissent de plus en plus consensuelles et qu'elles auraient sans doute mérité plus de mansuétude de votre part, monsieur le ministre, en décembre dernier. Mais peut-être assisterons-nous dans quelques instants, avec le vote de cette motion, à une séance de rattrapage bien utile.

Car il me semble impensable de vous en tenir aux prétendues vertus intrinsèques de la contractualisation, surtout dans un monde sans régulation, sans quotas laitiers, sans outils de stockage. Car comment comprendre que les agents économiques qui accaparent aujourd'hui l'essentiel de la plus-value et des marges soient soudain disposés à faire preuve de générosité envers les producteurs dans une négociation de gré à gré, à renoncer à une partie de leurs profits pour le redistribuer généreusement à ceux qui en sont la source ? A-t-on déjà vu pareille preuve d'humanité, pareil signe d'empathie dans toute l'histoire des relations commerciales entre dominants et dominés ? A-t-on déjà vu un distributeur renoncer à jouer sur le moins-disant que pourraient lui proposer d'autres producteurs pour le même produit ? Aucun exemple ne me vient à l'esprit, mais je sais, monsieur le ministre, que vous savez faire preuve de beaucoup d'imagination pour me prouver le contraire, comme vous le faites pour justifier les mérites de l'application de la loi de modernisation de l'économie.

Quelle tromperie de faire croire que les prix d'achat aux producteurs vont augmenter, alors qu'aucun cadre en termes de volumes de production n'est fixé, alors que certains détiennent tous les pouvoirs de négociation dans le cadre d'un marché ouvert sans restriction, alors que les industriels et les centrales d'achat sont passés maîtres depuis des années dans l'art de tirer toujours vers le bas les prix d'achat ! Et je ne peux m'empêcher de crier à « l'enfumage » quand le Président de la République pavoise fièrement aux côtés des géants de la grande distribution, avec un accord non contraignant de « modération des marges dans le secteur des fruits et légumes » ne concernant d'ailleurs que la relation distributeurs-consommateurs ! Comme son prédécesseur, l'idée ne lui a sans doute jamais été suggérée d'appliquer le coefficient multiplicateur inscrit dans la loi depuis 2005.

En définitive, je crains qu'avec les premiers articles du titre II de ce texte, vous ne nous proposiez des contrats de dupes, dont le seul objectif tendrait à légitimer les pratiques commerciales toujours plus scandaleuses de la grande distribution.

La même logique est à l'oeuvre pour les articles suivants qui concernent l'organisation des interprofessions et les organisations de producteurs. Ce qui est en jeu en réalité derrière ce texte est une simple question de taille, non pas pour donner plus de poids aux producteurs, mais pour répondre plus efficacement aux besoins du marché, aux prix de marché, c'est-à-dire aux attentes des transformateurs et des distributeurs. C'est d'un « ajustement » territorial aux besoins de l'aval de la filière qu'il est question, et, ce faisant, d'un vaste plan social à l'échelle nationale à travers des restructurations.

Le texte est d'ailleurs volontairement flou sur la forme et le contenu des organisations de producteurs, tout comme sur les principes de représentation au sein des interprofessions. Avec cette logique de compétition permanente dans laquelle nous enferme un monde sans régulation, les agriculteurs perdront au contraire toute indépendance. L'exemple du secteur coopératif et des mutations qui le traversent est d'ailleurs particulièrement éclairant. Que gagnent les producteurs à voir les coopératives locales ou régionales être progressivement rachetées par des coopératives-monde ou par des groupes industriels dépendant directement des groupes de la distribution ? SODIAAL est-il plus généreux avec ses producteurs que ne l'était UNICOPA ? Qu'en est-il de l'emploi salarié dans le secteur de l'agro-alimentaire sur les territoires ? À la lumière de la concentration à l'oeuvre dans le secteur coopératif, j'émets de sérieuses réserves sur les motivations qui conduisent aujourd'hui à vouloir restructurer toute l'organisation des producteurs sur le territoire national. D'autant que la question de la représentativité et du respect des règles démocratiques au sein de ces structures n'est pas abordée.

En l'état, ce projet de loi joue à plein la carte de la concentration de la production autour de grandes unités spécialisées, et partiellement intégrées au sein de grands groupes coopératifs ou industriels, dont certains sont détenus par la grande distribution et qui détermineront seuls demain les volumes de production qui leur sont nécessaires avec le transfert des quotas aux laiteries. La logique est simple : mettre en face des cinq majors de la distribution en France cinq grandes structures de transformation pour accentuer la pression à la baisse des prix d'achat. Seules les plus grosses structures agricoles y survivront et se concentreront dans des bassins de production hyperspécialisés, les plus aptes à fournir les produits demandés. Certains parlent, sans doute, à juste titre, d'une transposition du modèle danois ou hollandais à la France, avec toutes ses conséquences pour les régions les moins productives et celles qui subissent des handicaps naturels.

Je résumerai ma crainte, notamment pour les zones de montagne, par cette question : « Le camion passera-t-il encore quand on n'aura que 150 000 litres de lait à offrir ? » Une des plus graves menaces est aussi au mieux de voir l'agriculteur confiné à un rôle d'exécutant et, au pire, de le voir totalement intégré, ficelé à l'industriel, sans recul sur ses pratiques, sur la conduite de son exploitation, sur l'orientation de sa production. Mes chers collègues, est-ce de ce modèle que nous rêvons pour l'agriculture française de demain ? N'est-il pas encore temps de revoir ce texte avant qu'il ne soit trop tard ?

Enfin, je ne reviendrai pas longuement sur les dispositions concernant l'extension du secteur assurantiel et je ne vous surprendrai pas en disant que les députés communistes et républicains y sont fermement opposés. En effet, avec les articles 9 et 10 du projet de loi, vous faites un nouveau cadeau à un secteur de l'assurance privée, bien content de booster ses profits sur le dos de l'État, en lieu et place de toute réflexion sur la mise en oeuvre d'un régime d'assurance mutuel public susceptible de bénéficier à tous les métiers du vivant, de la terre, de la mer et de la forêt, et à toutes les exploitations sans distinction. Vous allez même jusqu'à garantir leurs profits aux assureurs, en mettant à l'étude le principe d'une réassurance publique. Cela me rappelle un mauvais film que nous avons vécu avec le secteur bancaire, qui a d'ailleurs un goût d'inachevé. Qu'à cela ne tienne, vous y trouvez sans doute un petit goût de revenez-y.

Ce projet de loi s'écrit aussi en creux, en omettant volontairement l'essentiel. Non seulement il n'aborde pas les questions structurelles de la gestion des marchés, les niveaux des prix agricoles et les conditions de leur fixation, mais il ne fixe aucune « orientation » pour l'avenir. Il ne fait à aucun moment allusion au modèle agricole durable que nous devons construire. Aucun article par exemple sur la question essentielle de la réduction de la dépendance aux importations de protéagineux pour l'alimentation animale, aucun article sur les orientations agricoles pour les filières de qualité, l'agriculture biologique ou les productions de montagne, alors que l'inscription d'une « politique de l'alimentation » dans le droit français aurait dû permettre l'inscription d'objectifs précis en faveur de la production et de la consommation de ces produits.

Aucune ambition en matière de recherche et de diffusion de pratiques culturales adaptées aux exigences du XXIe siècle. Aucun volet concernant la formation continue des agriculteurs. Aucune référence à la problématique des retraites agricoles, aucun titre consacré au volet social du régime agricole. Quasiment rien sur la politique de l'installation.

En revanche, monsieur le ministre, vous n'êtes pas avares de reculs quand il s'agit de défaire ce qui fonctionne, avec le retrait de la mission de service public des ADASEA, avec la volonté de concentrer toujours plus les établissements publics d'enseignement agricole au grand dam d'une présence territoriale indispensable pour satisfaire les besoins des jeunes.

Je ne peux achever cette énumération sans évoquer l'hypocrisie environnementale de la majorité. La rédaction initiale de ce texte n'avait aucun lien avec les ambitions qui avaient pu être portées lors des tables rondes du Grenelle de l'environnement pour ce secteur. C'était un moindre mal, compte tenu de la surenchère à laquelle votre majorité s'est livrée en commission. Ainsi, certains députés se sont senti le devoir d'assouplir les conditions d'extension des structures de production les moins durables et les plus intensives, dont les conséquences sur l'environnement mais également sur l'emploi sont connues de tous. Monsieur le ministre, même si vous vous êtes opposé à cet amendement, le débat sur ce point est révélateur. Il est révélateur du sens de ce texte. L'objectif premier qui en ressort, tel qu'il est rédigé, est de pousser toujours plus à la concentration et à la spécialisation pour répondre au marché. Il ne faut donc pas s'étonner de voir des amendements tels que ceux qui ont été votés par la commission. Car, si ce texte fonctionne souvent en creux, pèche par omission, il n'est en effet pas vide de sens. Il préfigure un avenir bien éloigné des besoins du monde agricole, bien éloigné des enjeux alimentaires mondiaux, bien éloigné de la détresse de nos paysans.

Mes chers collègues, ce n'est pas pour rejeter le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche que je vous demande de voter cette motion de renvoi. C'est pour éviter l'examen d'un texte qui ne se résume pour l'instant qu'à un plan d'adaptation à la PAC 2013, à un nouveau plan de licenciements pour l'agriculture.

Ce n'est pas pour déconstruire le travail qui a déjà été réalisé par tous les acteurs du monde agricole sur la question des prix et des revenus que je vous demande d'adopter cette motion de renvoi en commission, mais pour revoir en profondeur son contenu afin d'apporter des mesures concrètes et ne pas se fier aux simples artifices de la contractualisation et de la gestion assurantielle des risques.

Ce n'est pas contre ce gouvernement ou contre le Président de la République que je vous propose de voter cette motion, …

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