…et n'en trouve malheureusement pas la trace. Faut-il comprendre que ces propos sont tombés dans l'oubli ou qu'il s'agit d'une simple distraction passagère du législateur ? Fort heureusement, je l'espère du moins, le renvoi en commission nous permettra de revenir sur cet oubli.
Je voudrais aussi revenir sur l'épisode qui suivit ce bilan de santé : la chute brutale des prix agricoles intervenue fin 2008 et courant 2009, qui a provoqué une baisse généralisée des revenus mettant en péril la majorité des exploitations agricoles de notre pays, fragilisant l'ensemble du tissu agricole européen. Pendant des mois, les responsables syndicaux et les agriculteurs ont réclamé que la question des prix et des revenus agricoles soit prise à bras-le-corps afin d'apporter des réponses structurelles concrètes et rapides en complément des mesures d'urgence. Nous convenions tous alors que le revenu des agriculteurs était à la fois trop faible et trop instable et que la crise était à la fois conjoncturelle et structurelle.
Le Président de la République lui-même trouva là l'occasion de s'adonner à son sport favori : un discours sur la régulation, fort et dithyrambique, bien que rechapé puisqu'il reprenait un discours précédent. Ce fut son allocution du 27 octobre 2009 à Poligny, dans le Jura. Il tira des larmes dans les chaumières, tant ses propos étaient empreints de volontarisme. Permettez-moi de le citer encore une fois pour mieux en révéler le sublime : « La crise révèle en premier lieu un défaut de régulation européenne et mondiale auquel il est urgent de répondre. Elle révèle en second lieu des défaillances nationales réelles dans la répartition de la valeur au sein de nos filières agricoles. Entre le mois de septembre 2008 et le mois de septembre 2009, l'indice des prix à la production des produits agricoles a baissé de 20 %. Sur la même période, les prix à la consommation des produits alimentaires ont baissé de 1 % » – je le revois en train de dire cela ! « Cet écart est sans précédent. Cet écart est inacceptable ! Il révèle une répartition inéquitable de la valeur ajoutée au sein des filières. Cet écart met notre production alimentaire en danger ».
Comme vous vous en doutez, malgré tous mes efforts, je n'avais pas été mis dans la confidence du contenu de ce discours. J'avais cependant, quelques jours plus tôt, anticipé la volonté du Palais en déposant, au nom des députés communistes, républicains et du parti de gauche, une proposition de loi qui visait précisément à répondre aux interrogations du monde agricole reprises par le chef de l'État, et dressait quelques pistes pour que les agriculteurs aient enfin droit à un revenu. Dans le cadre d'une séance réservée à l'opposition, le 3 décembre, je défendais devant notre Assemblée et en votre présence, monsieur le ministre – et je vous en remercie, car la présence d'un ministre dans ces circonstances est suffisamment rare pour être signalée –, les dispositions de cette proposition de loi visant à assurer un véritable droit au revenu des agriculteurs. Sans revenir trop longuement sur son contenu, je veux rappeler qu'elle s'articulait autour de deux axes : le renforcement ou la création de mécanismes permettant d'évaluer et d'agir efficacement sur le niveau des prix payés aux producteurs, la mise en place d'un dispositif plus réactif d'alerte et d'application de mesures d'urgence en période de crise, associant largement les représentants du monde agricole.
Cette proposition de loi avait pour objectif de proposer certains outils, immédiatement disponibles et applicables, visant à apporter des garanties de prix rémunérateurs pour tous les producteurs. Nous soulevions d'abord la nécessité de reconnaître dans la loi l'existence de l'observatoire des prix et des marges afin de voir ses missions renforcées, notamment à travers un suivi précis des prix et des marges au niveau de chacun des acteurs des filières, en fonction des différents types de produits, mais aussi des territoires. Un observatoire qui ne se contenterait pas d'observer, mais qui aurait aussi un rôle pro-actif en période de crise, afin de proposer à l'autorité administrative l'instauration d'un coefficient multiplicateur étendu à toutes les productions lors des baisses de prix brutales opérées par les agents économiques de la filière.
Nous proposions aussi de définir au sein de chaque interprofession des prix minimum indicatifs, et la mise en place d'une conférence annuelle sur les prix rassemblant producteurs, transformateurs et distributeurs, ouverte à tous les syndicats agricoles et donnant lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix. D'autres mesures concernaient la mise en place d'un dispositif réactif d'alerte et de mise en oeuvre de mesures d'urgence assis sur un avis d'alerte de FranceAgriMer.
Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositifs, mais ils avaient reçu un accueil favorable sur le fond et suscité un grand intérêt auprès des parlementaires présents. Mon souhait était effectivement de proposer une réponse immédiate et concrète, sans doute incomplète, mais qui avait le mérite d'exister et pouvait être améliorée collectivement par la représentation nationale. Certains membres de votre majorité avaient même soutenu le principe de l'extension du coefficient multiplicateur et n'ont pas pris part au vote. Malheureusement, une fois de plus, la majorité parlementaire avait préféré botter en touche plutôt que de jouer le jeu du travail collectif et de l'intérêt général. C'est d'autant plus regrettable que l'argumentaire invoqué pour rejeter ce texte se résumait en une seule phrase : « Il est urgent d'attendre le projet de loi de modernisation de l'agriculture. »
Poursuivant votre argumentaire de pure forme, monsieur le ministre, vous m'aviez invité à patienter pour traduire sous la forme d'amendements l'essentiel des dispositions du texte. Je vous rends donc grâce d'avoir si bien rejeté en commission les amendements qui reprenaient l'essentiel des articles de la proposition de loi ! Est-ce là votre manière particulière de respecter vos engagements ? Ou bien, permettez-moi cette petite pointe d'humour : êtes-vous atteint du virus de l'amnésie ? Ce serait un comble pour un gouvernement si prompt à distribuer les doses vaccinales aux hommes comme aux bêtes !
Vous connaissez, mes chers collègues, mon caractère vindicatif, mais aussi ma soif de construction partagée. Je l'ai montré à plusieurs reprises. Aussi, je vous fais la proposition de débattre à nouveau sur le fond de certaines de ces dispositions devant la commission des affaires économiques – c'est l'objet de cette motion de renvoi. Naturellement, je ne manquerai pas de les défendre à nouveau en séance avec la même conviction, si d'aventure – on ne sait jamais ! –, vous faisiez le choix de rejeter cette motion de renvoi.
Votre projet s'en tient donc à agiter le seul épouvantail de la contractualisation volontaire et de l'assurance privée, pour repousser les menaces liées à la libéralisation totale des échanges agricoles : contractualisation, assurance privée, la boucle est ainsi bouclée. Il n'y a pas de place pour les politiques publiques dans la sphère marchande, pas de place pour des mesures cohérentes de gestion de l'offre et d'orientation en matière de prix. Cela doit faire saliver encore un peu plus les grandes centrales d'achat qui pourront continuer d'imposer leur loi sur les contrats et leurs marges sur les produits !