La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale. Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de trois heures et trente-huit minutes pour le groupe UMP, quatre heures et cinquante-quatre minutes pour le groupe SRC, deux heures et quarante-trois minutes pour le groupe GDR, une heure et cinquante-six minutes pour le groupe NC, vingt minutes pour les députés non inscrits.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Dominique Orliac.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État chargée de la santé, mes chers collègues, la position des députés radicaux de gauche n'a pas changé au cours de la navette parlementaire alors que le texte a sensiblement évolué. Le Sénat a apporté de substantielles améliorations – qui ne nous satisfont pas pleinement pour autant – mais nous regrettons certains retours en arrière proposés par notre rapporteur et la commission spéciale chargée d'examiner ce projet de loi très attendu depuis plus de cinq ans. Disons-le très clairement : le texte issu des travaux du Sénat était bien meilleur que celui auquel nous étions parvenus ici même en première lecture. Il faut se rendre à l'évidence : en matière de bioéthique, tout porte à croire que le Sénat est plus progressiste que le Gouvernement mais aussi que sa majorité à l'Assemblée nationale.
Comme en première lecture, je ferai porter l'essentiel de mon intervention sur le sujet qui me semble être le plus emblématique de ce texte, la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Inutile de rappeler que l'Assemblée nationale, malgré des amendements très nombreux venus des bancs de l'opposition, avait consacré en première lecture le principe de l'interdiction des recherches sur l'embryon. Sur cette question, les sénateurs ont, contre l'avis du Gouvernement, procédé à une réécriture globale de l'article 23 du projet de loi afin de substituer au régime actuel d'interdiction – assorti de dérogations – des recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, un régime d'autorisation encadrée. Si je regrette profondément que notre commission spéciale ait adopté lors des réunions des 10 et 11 mai derniers des amendements tendant à rétablir le texte de l'Assemblée nationale, notamment sur les conditions mises à l'autorisation des recherches, je me réjouis toutefois qu'elle n'ait pas réintroduit le principe de l'interdiction des recherches sur l'embryon. C'est donc de ce point de vue un progrès, un progrès très relatif, mais un progrès tout de même ! Par conséquent, les députés radicaux de gauche s'opposeront à tous les amendements qui auront pour objet de réintroduire dans le texte ce principe d'interdiction.
Faut-il rappeler à nouveau à cette tribune combien ce principe est synonyme pour nous d'obscurantisme et que le devoir, pour ne pas dire la responsabilité, d'un parlementaire, c'est justement tout le contraire : permettre au progrès scientifique d'apporter une vie meilleure pour tous ?
Faut-il rappeler que l'enjeu du débat est, en l'espèce, ni plus ni moins que d'ouvrir la voie au traitement d'affections graves, incurables aujourd'hui, comme les maladies neurodégénératives – Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques –, les cancers et nombre d'autres affections, dont les maladies rares ?
Faut-il redire que l'interdiction pénaliserait tout particulièrement la recherche française par rapport à celles des autres pays ? Depuis 1988 et la découverte ainsi que l'isolement de la première souche embryonnaire humaine, de grands espoirs sont nés dans la recherche biomédicale. Le risque est donc bien réel de voir les chercheurs français distancés dans la compétition scientifique internationale alors que leurs travaux devraient être valorisés. Maintenir l'interdiction des recherches sur l'embryon aurait pour conséquence de pénaliser nos chercheurs, ce qui n'est pas acceptable : faire de la recherche sur les cellules souches embryonnaires n'est pas une dérive eugéniste ! Nos chercheurs sont des hommes et des femmes responsables,
respectueux de l'éthique et bien évidemment soucieux du respect de la loi.
C'est pourquoi, je le réaffirme à cette tribune, la recherche encadrée sur les cellules embryonnaires doit constituer une priorité. Nous, parlementaires d'une République laïque et éclairée, nous devons de désentraver la recherche et de l'accompagner. C'est pourquoi nous saluons le passage du régime de « l'interdiction avec dérogations », issu de nos travaux en première lecture, vers un système d'« autorisations avec contrôles » par l'agence de biomédecine. Cela représente, au moins sur le plan des principes, une véritable avancée législative, et je regrette que notre rapporteur n'en soit pas convaincu, lui qui indique dans son rapport que « la cohérence de notre corpus juridique en matière de bioéthique, pour laquelle la norme de référence essentielle demeure le principe constitutionnel de dignité humaine, exige de rétablir le principe de l'interdiction, assortie de dérogations, de la recherche sur l'embryon ». Eh bien non, monsieur le rapporteur, je ne partage pas cette vision ! Je crois au contraire que ce même principe de la dignité humaine, tout comme ceux du progrès scientifique et de la responsabilité politique convergent pour que nous franchissions enfin le pas et que nous autorisions, sous conditions bien sûr, les recherches sur l'embryon ! Encore une fois, je salue sur cette question la rupture législative introduite par nos collègues sénateurs et je ne doute pas un seul instant de son caractère constitutionnel. Je précise d'ailleurs que le texte sénatorial reprend les recommandations aussi bien du Conseil d'État que de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui préconisaient tous deux « un régime permanent d'autorisation enserrée dans des conditions strictes ».
Le droit n'a-t-il pas pour mission d'accompagner et d'encadrer les évolutions de notre société et les progrès de la science ? Et certainement pas de nous maintenir dans un corpus de règles figées ! Aussi, plus que jamais, les radicaux de gauche se situent du côté du mouvement et du progrès quand le conservatisme se confond clairement avec l'archaïsme, la crainte et des convictions religieuses ou spirituelles qui ne doivent en aucune façon interférer lorsqu'il s'agit d'écrire la loi dans une République laïque comme la nôtre.
De la même manière, sur bon nombre d'autres dispositions contenues dans le projet de loi nous devons être à l'avant-garde des possibilités offertes par la science. Une loi sur la bioéthique doit naître de la confrontation et de la rencontre à un moment donné entre progrès scientifique et valeurs morales d'une société, la société d'aujourd'hui, celle du temps présent et pas celle du passé. Il ne s'agit pas de légiférer avec des préjugés d'un autre temps, et en la matière cinq ans c'est long ! Mais c'est au moins la garantie d'une clause de révision et d'un rendez-vous assuré au sein du Parlement sur les questions de bioéthique. C'est pourquoi, sur le volet institutionnel, nous sommes favorables à la réintroduction par le Sénat d'une clause de révision plutôt qu'un retour au texte de l'Assemblée nationale fondé sur un simple renforcement de l'information mais sans aucune garantie d'une révision de la législation. Mieux vaut être sûr de se revoir tous les cinq ans plutôt que prendre le risque de ne pas se revoir du tout !
Concernant l'assistance médicalisée à la procréation, les radicaux de gauche sont favorables à l'autorisation du transfert d'embryons post-mortem rétablie par notre commission alors que celle du Sénat l'avait supprimée, mais aussi à l'anonymat du don de gamètes. Quant à la gestation pour autrui, elle demeure toujours – et nous le regrettons – la grande absente du texte. L'évolution de notre société nous amènera à nous poser ces questions en des termes nouveaux et à bien distinguer le droit à l'enfant du droit de l'enfant afin de parvenir au juste équilibre, sachant que l'équilibre d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier et probablement pas non plus celui de demain. D'où l'intérêt de fixer des échéances précises pour des clauses de révision.
Les députés radicaux de gauche, privilégiant toujours l'intérêt général sur les cas particuliers et le progrès sur l'obscurantisme, espèrent l'adoption d'un texte ambitieux par le Parlement : si nous sommes sur la bonne voie à l'occasion de cette deuxième lecture, de profondes modifications peuvent – et doivent –, particulièrement en ce qui concerne la recherche sur les cellules souches embryonnaires, venir améliorer la version actuelle, sans quoi nous ne pourrions toujours pas lui apporter notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collèges, notre assemblée examine aujourd'hui, en seconde lecture, le projet de loi relatif à la bioéthique, dont le titre II, intitulé Organes et cellules, a été modifié par le Sénat sur de nombreux points.
Comme l'a rappelé le rapporteur de la commission dans son propos liminaire, l'article 5 du projet de loi prévoit d'autoriser les dons croisés d'organes entre personnes vivantes en France, comme cela existe dans de nombreux pays étrangers. En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à élargir le cercle des donneurs vivants potentiels, au-delà du cercle familial, à toute personne ayant un lien affectif étroit, stable et avéré avec le receveur, permettant ainsi d'augmenter le nombre des donneurs potentiels. Mais la commission des affaires sociales du Sénat a cru utile de limiter les dons entre personnes vivantes hors cercle familial aux seules personnes pouvant apporter la preuve d'un lien affectif, étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur.
L'instauration de ce nouveau critère de durée appelle plusieurs remarques. Tout d'abord, pourquoi le rapporteur du texte au Sénat a-t-il arbitrairement instauré une période de deux ans ? À quoi renvoient ces deux années ? Lors de l'examen du texte en commission spéciale, le groupe SRC a proposé de revenir au texte issu de nos travaux en première lecture et de s'en tenir à un lien stable et avéré.
Je regrette, monsieur le rapporteur, que vous ayez fait le choix de maintenir cette période voulue par le Sénat. Mais nous aurons l'occasion d'en débattre de nouveau puisque mon groupe a déposé un amendement sur ce point.
Certains invoquent le risque de marchandisation des organes pour imposer cette disposition temporelle, mais votre limite de deux ans n'empêchera en rien le développement de cette pratique. De même, cette nouvelle durée n'a rien à voir avec l'effectivité de la volonté du donneur, puisque celle-ci reste à l'appréciation, dans tous les cas, du corps médical.
Enfin, la crainte de voir ce nouveau type de dons affaiblir les dons cadavériques est également infondée. En matière de don d'organes cadavériques, une meilleure information de la population et des familles est plus que jamais nécessaire et c'est cette politique qui permettra de les développer.
À l'heure où la pénurie de greffons est importante, faisons attention de ne pas instaurer de trop nombreuses contraintes qui risquent de limiter le don. Aujourd'hui, le don cadavérique et le don entre personnes vivantes doivent être conjointement une priorité de la politique menée par les pouvoirs publics.
Je souhaite également, après Mme Génisson, revenir sur l'article 5 quinquies AA, modifié par le Sénat. Cet article, issu de l'adoption d'un amendement du sénateur Bernard Cazeau, vise à inscrire dans le code de la santé publique le principe selon lequel « nul ne peut être exclu du don de sang en dehors de contre-indications médicales ». La question des donneurs de sang homosexuels est ici posée. Aujourd'hui, ils se trouvent exclus du don, en application d'un arrêté du 12 janvier 2009, qui introduit un critère sexuel au titre des contre indications médicales.
Madame la secrétaire d'État, ma question est simple : cette nouvelle disposition législative va-t-elle permettre une réécriture de cet arrêté ? Je rappelle que le temps de la découverte et de la méconnaissance du virus du sida est révolu et nous savons que cette disposition sur l'orientation sexuelle est aujourd'hui non seulement obsolète d'un point de vue médical mais également très vexatoire et stigmatisante pour les homosexuels.
En conclusion, au fil des lectures dans les deux assemblées, on observe que les garde-fous et les précautions en tous genres fleurissent. Je vous invite néanmoins, mes chers collèges, à être vigilants et à ne pas handicaper ou réduire les dons possibles.
En 2009, 250 personnes sur liste d'attente sont décédées faute d'avoir reçu une greffe d'organes à temps. Même si la France se situe au quatrième rang mondial en termes de prélèvements d'organes, l'augmentation des besoins génère une pénurie. Élargir le cercle des donneurs est donc une priorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collèges, à l'issue de la première lecture, nous avions manqué une occasion en votant un texte a minima, sans réelles évolutions alors que notre société a profondément changé. Car si le législateur a fixé, en 2004, rendez-vous tous les cinq ans, c'est bien pour que notre législation s'adapte à l'évolution de la société et de la science, tout en respectant les principes éthiques fondamentaux que nous nous sommes fixés.
Ce serait donc un manquement à notre rôle de législateur que de nous limiter, au travers d'un mini-toilettage, à un statu quo déguisé, alors que l'évolution technologique et scientifique est majeure et que notre société se transforme de façon rapide et profonde.
Si je souhaite insister sur l'autorisation encadrée de la recherche sur les embryons surnuméraires, j'évoquerai d'une phrase d'autres thèmes.
Il me semble nécessaire de saluer le maintien, par le Sénat, de l'interdiction de la gestation pour autrui, interdiction que nous devons confirmer au nom de la non-disponibilité du corps humain, de la dignité de la femme et du droit de l'enfant et non à l'enfant.
Quant à l'assistance médicale à la procréation, le Sénat l'a ouverte à l'ensemble des couples, quelle que soit leur orientation sexuelle, dès lors qu'ils ont un projet familial. Cela me semble juste. En effet, nous ne pouvons prendre en compte l'orientation sexuelle des parents, qui relève de la seule vie privée, pour leur refuser ce que les progrès scientifiques permettent aux autres couples. Cette posture nie de façon manifeste une réalité de notre société, à savoir que le modèle parents mariés avec enfants n'est plus exclusif.
Enfin, le Sénat a finalement interdit la levée de l'anonymat du don de gamètes, interdiction que j'avais aussi défendue, afin de ne pas perturber la vie familiale des donneurs, des parents et des enfants issus du don. En effet, c'est parce qu'il va pouvoir disposer d'un gamète libre de tout lien affectif que le receveur parlera du recours au don.
L'anonymat ne signifie pas le secret sur les modes de conception de l'enfant. Bien au contraire, il est le meilleur garant contre le secret. Et l'on sait combien l'information de l'enfant sur sa conception est essentielle pour son équilibre. Y renoncer, comme le prévoient certains parents si le don n'était plus anonyme, aurait donc des conséquences dévastatrices sur l'enfant et sa famille.
J'en viens maintenant à l'autorisation encadrée de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, que le Sénat, dans sa grande sagesse, a votée.
Le régime actuel d'une interdiction avec dérogation ne satisfait personne et relève d'une hypocrisie qu'il est temps de lever. De plus, il ne permet pas aux chercheurs de travailler sereinement dans la durée et il maintient une suspicion sur leurs travaux.
Le régime préconisé établit un encadrement très strict.
D'abord, la recherche sur l'embryon humain ne sera autorisée que si la pertinence scientifique de la recherche est établie et si elle permet des progrès médicaux majeurs.
Ensuite, cette recherche n'intervient que lorsqu'il est impossible de mener des recherches similaires sans le cours à des cellules souches.
Par ailleurs, le projet de recherche et les conditions de sa mise en oeuvre doivent respecter les principes éthiques relatifs à la recherche sur les embryons. En particulier, la recherche n'est possible que sur des embryons surnuméraires conçus in vitro et qui ont, d'une certaine façon, vocation à être détruits. De plus, elle doit faire l'objet d'un consentement préalable écrit du couple dont sont issus les embryons et autorisée par l'Agence de biomédecine.
Enfin, les embryons ayant fait l'objet de recherche ne peuvent être transférés à des fins de gestation et il est évidemment exclu que des embryons soient conçus à des fins de recherche.
Mes chers collègues, alors que des recherches sur ces embryons pourraient permettre des avancées médicales sur l'infertilité ou le traitement de maladies, je ne peux ni accepter ni comprendre qu'on opte délibérément pour la destruction – et je reprends l'expression d'Axel Kahn – d'embryons voués à n'être rien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collèges, la bioéthique en tant que discipline reconnue a émergé au xxe siècle du fait de l'importance des progrès biologiques et partant des questions soulevées par les possibilités nouvelles.
Cependant, la réflexion bioéthique existe depuis que l'homme réfléchit, qu'il se penche sur la justification de ses choix. En particulier, la réflexion bioéthique est consubstantielle à l'activité scientifique des chercheurs.
Mais les choix éthiques ne doivent pas, ne peuvent pas relever seulement des chercheurs. Toutes les composantes de la société y ont nécessairement leur part.
De la même façon, la réflexion bioéthique ne se limite pas à un seul moment précis, cette année, et à un seul lieu, notre pays.
Comme pour la Déclaration des droits de l'homme, il y a une ambition future de davantage d'universalité. Même si l'on ne doit pas suivre les recommandations éthiques d'autres pays, il serait déraisonnable de les ignorer, de les méconnaître. Ainsi, si nous pouvons récuser aujourd'hui la GPA en France, nous ne pouvons pas nous exonérer du fait que de nombreux couples de Français infertiles obtiennent la pratique de la GPA dans les divers pays où elle est considérée positivement sur le plan éthique et juridique. Dès lors, nous devons définir le statut de ces enfants des familles françaises.
Quant à l'analyse historique et aux leçons tirées de l'expérience acquise, nous ne pouvons pas ignorer que les interdits primaires opposés au progrès des connaissances ont toujours été voués à l'échec. Oui, il faut admettre que la terre tourne autour du soleil, même si la réhabilitation de Galilée a attendu jusqu'à 1992. Non, la chirurgie ne peut pas être interdite sous le prétexte qu'elle serait cruelle. L'opposition à l'autopsie n'a fait que retarder les connaissances et les traitements de la médecine occidentale. Dans le futur, une attitude de déni comparable serait jugée encore plus sévèrement, car nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas, que nous n'avions pas d'expérience.
Face aux incertitudes qui habitent logiquement chacun de nous, l'on peut être tenté de se tourner vers les croyances, les vérités préétablies, les prêts à penser. Je vous propose plutôt de démontrer notre foi en l'homme, en son intelligence, en sa capacité de réfléchir et de décider en toute indépendance. C'est être humaniste que de penser au rôle majeur que doit tenir l'homme dans la définition de son destin, de sa dignité.
Aujourd'hui, deux grandes questions alimentent nos discussions : la recherche sur les cellules souches et les embryons surnuméraires soumis à destruction d'une part, les modalités du diagnostic prénatal ou préimplantatoire d'autre part.
Il semble que les adeptes du refus de la recherche sur les cellules souches ne disposent guère d'arguments convaincants puisqu'ils sont obligés d'aligner toute une série de mensonges dont Jean-Yves Le Déaut a dressé la liste tout à l'heure. J'en rappellerai quelques-uns.
Premièrement, la recherche sur l'embryon entraînerait sa destruction. C'est faux puisqu'une recherche puisqu'une recherche peut être faite en maintenant l'embryon en possibilité de vie. De plus, quand on prend des cellules sur un embryon sorti d'un congélateur, c'est parce qu'il est déjà dans ce que l'on pourrait qualifier un état de mort clinique puisqu'il n'y a pas de projet parental.
Deuxièmement, ce serait conférer à l'embryon une dignité que de ne pas l'inclure dans la chaîne de la recherche. Au contraire, la dignité impose pour tout être humain, de sa conception jusqu'au-delà de la mort, de pouvoir être l'objet d'observations et de recherches dans des conditions encadrées.
Pourquoi, si l'on peut faire de la recherche sur le foetus, n'aurait-on pas le droit de le faire sur l'embryon, auquel cas on ne signifierait pas à l'embryon sa dignité humaine comparable ?
Troisièmement, il y aurait d'autres variétés de cellules souches que l'on pourrait substituer aux cellules souches embryonnaires. C'est faux, cela n'a bien évidemment rien à voir. Il y a autant de différences entre une cellule souche embryonnaire et une cellule souche du sang du cordon ou une cellule souche reprogrammée qu'il y a de différences entre un nouveau-né et un vieillard. Les caractéristiques de différenciation de prolifération sont diamétralement opposées.
Quatrièmement, l'interdit qui pèse sur la recherche dans notre pays n'aurait, soi-disant, pas gêné les chercheurs. C'est faux. En effet, toutes les personnes concernées saluent les difficultés et soulignent le retard de la France dans ce domaine. Plusieurs chercheurs se sont expatriés pour pouvoir prolonger leurs recherches quand ils n'ont pas évolué vers d'autres variétés de recherches. Cette interdiction a donc provoqué d'immenses difficultés malgré les dérogations occasionnelles susceptibles d'être accordées.
Tous les chercheurs – mensonge supplémentaire – considéreraient qu'un refus assorti de dérogations reviendrait au même qu'une autorisation encadrée. C'est bien sûr totalement faux : accorder une autorisation constitue un encouragement alors qu'opposer un refus, fût-ce avec dérogation, représente un moyen de dissuasion.
Je ne prolongerai pas cette liste de mensonges qui sont autant d'entraves à la possibilité d'accorder une autorisation.
Choisissons au contraire la voie de la dignité et du progrès, qui permettra, grâce à un accord sur la recherche en matière de cellules souches et d'embryons, de diminuer le nombre d'embryons surnuméraires dans les congélateurs – ce que certains d'entre nous souhaitent. Si leur nombre est aujourd'hui si considérable, c'est parce qu'on n'a pas mené de recherches permettant d'accroître le taux de succès des fécondations in vitro. Je vous rappelle que ce taux, en France, ne dépasse guère 20 %.
De la même manière, au-delà de la seule recherche fondamentale, il est très important de trouver le moyen de diminuer les nombreuses complications survenant après une fécondation in vitro. La fréquence de maladies telles que l'autisme ou des maladies liées à l'empreinte, dont le syndrome de Beckwith-Wiedemann, est bien plus importante après une fécondation in vitro. Il est donc primordial de réduire ces pathologies par les recherches appropriées.
Ces éléments plaident pour une autorisation avec encadrement de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée à la thérapeutique.
C'est d'ailleurs ce qu'ont décidé en toute logique, en toute raison, le Conseil d'État, le Sénat et la commission spéciale de l'Assemblée en prévoyant un encadrement légitime par l'agence de la biomédecine. Ne faisons donc pas de l'Assemblée un lieu de réflexion marginal et extrémiste et plaçons-nous dans la logique de toutes les assemblées qui ont eu à se pencher sur le sujet.
J'en viens au diagnostic prénatal et au diagnostic préimplantatoire. On brandit parfois, ici, le spectre de l'eugénisme, pire : de l'eugénisme d'État. Eh bien, madame la présidente, il faut mettre un terme à cet abus de langage coupable. Nous n'accepterons pas d'être qualifiés d'eugénistes dès lors que nous entendons faire bénéficier toute mère de la connaissance sur l'identification de maladies et de handicaps graves au cours des premiers stades du développement embryonnaire, afin de lui laisser une totale liberté de choix dans l'attitude à adopter.
L'eugénisme, le vrai, nous le connaissons ; il a été théorisé et pratiqué ici, en France, au XXe siècle, par des médecins encouragés et soutenus par l'Église catholique. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Écoutez donc M. Touraine !
Mes chers collègues, seul l'orateur a la parole. Merci de bien vouloir continuer, monsieur Touraine.
Ce ne sont pas des insinuations mais des vérités établies. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Alexis Carrel a décrit puis organisé l'élimination de personnes adultes ou d'enfants affectés de maladies mentales ou de handicaps très lourds. Voilà ce qu'est l'eugénisme. Ne comparez donc pas ces crimes avec l'humanisme des médecins et des chercheurs de notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le texte marque un progrès en matière de transplantation puisque, de fait, certains encouragements aux transplantations à partir de donneurs vivants, notamment pour les transplantations rénales, permettront de réduire quelque peu les durées d'attente. Cela ne sera cependant pas suffisant, même s'il faut, bien sûr, encourager les dons croisés et prendre toutes les mesures permettant le développement des greffes de donneurs vivants. Il convient aussi d'améliorer les conditions de prélèvement après la mort cérébrale. La France accuse en ce domaine un certain retard et les impossibilités de prélèvements provoquent de longs délais d'attente.
Il serait utile de faire appliquer la loi qui dispose qu'en l'absence de refus exprimé par une personne de son vivant, le prélèvement peut être effectué. Mais l'application de cette disposition suppose que le Gouvernement en ait informé toute la population. On ne peut pas imaginer que quelqu'un se sera inscrit sur un registre de refus s'il n'a pas été instruit de cette possibilité. J'avais dès lors proposé un amendement prévoyant que le Gouvernement informe la population. Il a été rejeté au prétexte de l'article 40 de la Constitution alors que la loi elle-même prévoit l'obligation, pour le Gouvernement, d'informer les Français. S'il y procédait, il n'y aurait plus, demain, de non-prélèvements. Il s'agit bien de résoudre en grande partie la pénurie d'organes.
Notre devoir, au sein de notre République laïque, n'est ni d'imposer à tous une conception philosophique ou religieuse unique, alors que les opinions sont diverses, ni de chercher un subterfuge empreint de jésuitisme destiné à faire croire à un consensus ou à faire passer un interdit assorti de dérogations pour un compromis, alors qu'il s'agit d'un marché de dupes, les uns et les autres ne donnant pas le même sens aux mêmes mots.
Toute personne de bonne foi sait que les questions que nous évoquons trouveront dans le futur une solution positive. Toute l'histoire le prouve. La seule alternative qui s'offre à nous consiste soit à accompagner et à encadrer cette évolution bénéfique, soit à chercher à la retarder. J'espère que nous ferons ensemble le choix de l'humanisme, de l'avenir, de l'espoir confiant et raisonné. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
L'examen en seconde lecture de ce texte indispensable montre tout l'intérêt de la navette entre les assemblées et me fait regretter que cette procédure ne s'applique pas à un plus grand nombre de textes. (Approbation sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
La principale disposition en discussion reste la recherche sur les embryons. Le paradoxe veut qu'un consensus relatif se dégage sur les conditions de cette recherche – d'une part sur l'existence d'un enjeu médical majeur, de l'autre sur l'impossibilité de faire appel à des moyens de recherche de substitution –, mais que nous divergions sur la valeur de l'embryon humain.
Je conçois tout à fait que pour certains l'idée de porter une atteinte quelconque à l'embryon mette en cause le principe fondamental du respect de la vie. Je formulerai à ce sujet trois remarques. D'abord, biologiquement, un grand nombre d'embryons, parce que surnuméraires, ne sont pas destinés à survivre.
Ensuite, l'élément déterminant pour l'avenir d'un embryon est le projet du couple ou tout au moins celui de la mère. Enfin, même si l'on considère que l'embryon est un être vivant, refuser qu'il soit objet de recherches pourrait conduire à refuser que tout être vivant et notamment l'être humain soit lui-même objet de recherche.
C'est pourquoi je soutiendrai la position de la commission spéciale tendant à établir un régime d'autorisation encadrée car il me paraît concilier les convictions légitimes de chacun avec le développement nécessaire de la recherche.
Je regrette néanmoins que l'anonymat des dons de gamètes, prévu dans le texte initial et repris par la commission des affaires sociales du Sénat, ait été définitivement écarté. Restait certes la difficulté de l'avant et de l'après 1er janvier 2014. Je pense cependant que les solutions proposées par le Sénat permettaient de répondre à une exigence très forte pour certains : celle de la quête des origines. En éliminant ce dispositif, on a choisi la paix sociale ou familiale, mais non la paix des esprits.
En outre, alors que l'extension des possibilités de dons croisés d'organes constitue une avancée, je regrette que la question des dons d'organes en général n'ait pas réellement progressé. Il est bon de renforcer les possibilités d'information, mais la consultation élargie des proches introduite par le législateur en 2004 se traduit par la perte de nombreuses greffes possibles tandis que les files d'attente s'allongent et que l'angoisse qui en résulte s'aggrave.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le travail accompli sur ce texte est certes important, mais il serait heureux que l'on renonce à attendre cinq années supplémentaires pour le remettre en chantier. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La discussion générale est close.
La parole est à Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé.
Mesdames et messieurs les députés, vos interventions montrent une nouvelle fois que le texte suscite des échanges souvent de qualité sur les questions essentielles touchant à la bioéthique. Il est vrai que l'on peut se trouver en désaccord avec le projet de loi, mais il importe de maintenir le climat de sérénité, de respect mutuel, souhaité par le président et le rapporteur de la commission spéciale.
La recherche sur l'embryon demeure le principal point de désaccord. Certains souhaitent l'autoriser en l'encadrant, d'autres souhaitent qu'aucune dérogation ne soit apportée au principe d'interdiction. J'ai exprimé la position du Gouvernement avant le début de la discussion générale, position qui constitue un point d'équilibre.
Je souhaite insister sur le fait que le système d'interdiction assortie de dérogations n'a pas pénalisé la recherche. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Le bilan dont nous disposons le prouve. Par ailleurs, j'ai été quelque peu saisie par certains propos et je ne peux pas laisser prétendre qu'autoriser des recherches sur l'embryon humain dans le cadre strict des dérogations prévues pourrait conduire à une situation où l'embryon humain souffrirait d'une moindre protection que l'embryon animal. Il s'agit d'une contrevérité absolue. Tous les critères d'autorisation prévus y font obstacle.
Quant au diagnostic prénatal, le texte n'en prévoit nullement la systématisation. Sont proposés des examens de dépistage et non pas de diagnostic – je tiens à souligner cette nuance majeure. Toute femme est par ailleurs libre de les refuser, et, du reste, une femme sur cinq n'y recourt pas.
Certains ont déploré que le texte manque d'audace. Il me paraît plutôt mesuré.
Le Gouvernement en assume pleinement la configuration. La société n'attend pas de révolution mais des évolutions constructives.
Au-delà de la question des recherches sur l'embryon, le texte apporte quelques ajustements nécessaires que Mme Fraysse, M. Jardé ou M. Jeanneteau ont soulignés. Je souhaite que la discussion permette de nouveaux ajustements tout aussi constructifs.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Sur l'article 1er A, je suis saisie d'un amendement n° 7 .
La parole est à M. Olivier Jardé.
Il s'agit d'un amendement important dans la mesure où il supplante la totalité de ce texte sur la bioéthique. La science, loin d'être réfutée, doit au contraire être remise à sa juste place. Cela peut paraître superflu, mais il me paraît très important d'affirmer que la science doit être au service de l'homme et uniquement au service de l'homme.
La parole est à M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale, pour donner l'avis de la commission sur cet amendement.
La commission spéciale a repoussé cet amendement. Les principes énoncés, aussi légitimes soient-ils, n'ont en effet pas de valeur normative. Cet amendement purement déclaratif serait sûrement déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel en vertu de ses jurisprudences antérieures. Je comprends très bien le fond, mais, sur la forme, je ne peux être que défavorable à cet amendement.
Avis défavorable, pour les mêmes raisons. Cet amendement n'a pas de valeur normative. Par ailleurs, étant dépourvue de critères objectifs, une telle disposition ne pourrait pas faire l'objet d'un quelconque contrôle.
Nous en venons à l'examen de l'article 1er.
La parole est à M. Jean-Marc Nesme, inscrit sur l'article.
Le président de la commission spéciale a tenu, cet après-midi, des propos assez durs à l'endroit d'une initiative que nous avons prise, avec soixante-deux de nos collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conflits d'intérêts potentiels en matière de recherche biotechnologique. Vous avez dit, monsieur le président, que c'était « un acte grave », et qu'il créait le « soupçon ».
Cette initiative se fonde sur des éléments factuels, pas sur des soupçons. Je voudrais simplement en citer quelques-uns, que vous connaissez d'ailleurs comme moi.
Dans le domaine de la médecine prénatale, vous savez très bien qu'il s'est créé une coordination, le Comité pour sauver la médecine prénatale, composé de 800 gynécologues et professionnels de santé. Son coordinateur a écrit ceci dans Le Quotidien du Médecin : « Allons-nous devenir les agents d'un nouvel eugénisme d'Etat ? 800 000 femmes enceintes équivaudraient à 800 000 tests sériques maternels par an, en France. Ce serait une véritable manne pour les firmes de génie génétique. Juteux marché. D'autres tests de dépistage suivront celui de la trisomie 21. »
S'agissant de la recherche sur l'embryon humain, Jacques Testart, directeur honoraire de recherche à l'INSERM, que nous avons auditionné le 12 janvier dernier, nous a dit ceci : « L'important ne me paraît pas de trancher entre interdiction des recherches sur l'embryon humain assortie de dérogations ou autorisations de ces recherches sous conditions, puisque les recherches seront possibles dans les deux cas, avec destruction des embryons humains. Ce débat me paraît vain. On devrait défendre l'idée d'une expertise indépendante des promesses médicales et des conflits d'intérêts qui y sont assortis. Il peut y avoir confusion entre des intérêts médico-scientifiques et des intérêts commerciaux. »
Alain Privat, ancien directeur d'unité à l'INSERM, et Monique Adolphe, ancienne présidente de l'Académie de pharmacie écrivaient, dans Le Quotidien du Médecin du 5 avril 2011 : « Ce lobbying est incompréhensible sur le plan médical et scientifique, sauf à y voir la nécessité pour certains organismes de justifier auprès de leurs généreux contributeurs les investissements très importants réalisés dans la recherche sur l'embryon humain, recherche qui n'a, en fait, conduit à aucune thérapeutique efficace jusqu'à présent, nulle part dans le monde. L'industrie du médicament et celle de la procréation assistée ne sont sans doute pas étrangères à cette véritable "chasse" aux cellules souches embryonnaires humaines. »
À la fin du mois d'avril, le LEEM, Les entreprises du médicament, ont adressé un courrier à Mme Valérie Pécresse, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et à M. Éric Besson, ministre de l'industrie. Je ne sais pas si vous l'avez reçu également, madame la secrétaire d'État. J'ai la copie des courriers dont les deux ministres que je viens de citer ont été destinataires, et qui visent, fin avril, à exercer encore une fois sur le Gouvernement une pression en faveur de l'autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
Je pourrais citer d'autres exemples, mais je ne veux pas être plus long, madame la présidente.
Vous comprenez pour quelles raisons, avec soixante-deux de mes collègues, UMP et Nouveau Centre – et je sais que certains collègues de l'opposition s'interrogent de la même manière que nous –, nous avons pris cette initiative tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conflits d'intérêts potentiels – nous ne faisons de procès d'intention à personne – en matière de recherche biotechnologique. Je vous demande, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, ce que vous pensez de cette initiative, sachant – mais vous vous en doutez bien – que, s'il y a un refus, c'est ce refus qui créera un soupçon. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Monsieur Nesme, je pourrais reprendre mot pour mot les propos que j'ai prononcés tout à l'heure. Quel est le sens de votre démarche ? Il s'agit de dire que le Parlement aurait été trompé par des avis qui seraient guidés par des intérêts économiques. Voilà l'accusation que vous lancez, indirectement, à vos collègues.
Qu'il existe, dans la recherche médicale, des contrats entre des laboratoires, publics ou privés, et des groupes pharmaceutiques, c'est l'évidence. Mais comment avons-nous forgé notre opinion ? Nous l'avons forgée à partir d'un certain nombre d'avis. Je vais vous en citer quelques-uns.
Lorsque moi-même et Jean-Sébastien Vialatte – que je ne veux pas prendre en otage, mais nous avons travaillé suffisamment pour que je me permette de le citer – avons fait notre travail dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, je n'ai pas le sentiment qu'on nous ait tenu la main pour écrire notre rapport.
Je n'ai pas le sentiment que le Conseil d'État, lorsqu'il s'est exprimé, ait été l'agent souterrain des entreprises pharmaceutiques.
Je n'ai pas le sentiment que le Comité national d'éthique ait été téléguidé par je ne sais qui.
Je pourrais multiplier les avis qui vont dans le même sens.
Je crois que votre argument est malhonnête. Je n'ai pas l'habitude, en tant que parlementaire, d'employer ce mot. Mais je l'emploie ce soir.
Moi-même, en tant que président de la commission spéciale, j'ai toujours répété, en ce qui concerne les recherches sur les cellules souches embryonnaires, deux choses.
La première, c'est qu'elles me paraissent utiles au niveau de la recherche fondamentale, et ce en raison des spécificités qui sont les leurs. Les cellules IPS, qui sont apparues à certains comme la solution miracle permettant d'échapper aux cellules souches embryonnaires, ont fait l'objet de découvertes qui ont pu être réalisées grâce au travail sur les cellules souches embryonnaires.
Mais j'ai toujours ajouté, y compris vis-à-vis de certains de mes collègues, il y a quelques années, que, aujourd'hui, concernant les cellules souches embryonnaires, nous n'étions pas encore arrivés, à part un ou deux essais cliniques dans le monde, à des applications thérapeutiques.
Je l'ai dit à la tribune, je l'ai répété dans les rapports. Et en disant tout cela, je n'ai pas le sentiment d'être entre les mains de je ne sais qui.
Par contre, vous, si vous faites un tri entre les thèmes de recherche, c'est pour des raisons qui vous appartiennent. Vous considérez que la recherche sur l'embryon devrait être interdite. Je respecte votre position, mais je préfère que vous la défendiez avec vos arguments, plutôt que de salir ceux de vos collègues qui ont une position différente. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe Nouveau Centre.)
Je voudrais m'associer à ce que vient de dire mon collègue Alain Claeys.
On ne peut pas tenir le discours que vous tenez, monsieur Nesme, à savoir qu'il ne faut pas travailler sur les cellules souches embryonnaires parce qu'aucun résultat n'a été obtenu, tout en affirmant, d'autre part, qu'il y a des conflits d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
On ne peut pas dire, comme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche le dit très souvent ici, qu'après la recherche il y a l'innovation, et que celle-ci est nécessaire pour développer un certain nombre de technologies et faire avancer la médecine, tout en affirmant, d'autre part, qu'il y a des conflits d'intérêts.
Vous avez le droit d'avoir les positions qui sont les vôtres, monsieur Nesme, et de les exprimer. Mais ce que nous constatons, et il faut le dire avec force, c'est que des choses fausses ont été dites. Vous avez redit tout à l'heure quelque chose que l'on entend dire aussi par quelques-unes des plus hautes autorités morales et religieuses, et pas plus tard qu'hier, dans la presse : la recherche sur l'embryon conduirait à la destruction de l'embryon. Ce n'est pas vrai ! C'est faux ! On peut, au stade de huit cellules, prélever une cellule et l'analyser, tout en continuant à implanter cet embryon parce que l'on aura obtenu un certain nombre de renseignements, y compris en soignant cet embryon.
Vous ne pouvez pas dire qu'il faut réserver les soins à tous les stades de la vie sauf au stade de l'embryon, tout cela par idéologie. Vous avez le droit d'être idéologue, mais vous n'avez pas le droit de dire des choses fausses.
Vous ne pouvez pas dire, comme certains d'entre vous le disent, que congeler un embryon, c'est congeler un être vivant. Ce n'est pas vrai. Quand vous travaillez sur une cellule souche embryonnaire, vous ne congelez pas un être vivant, vous congelez une cellule.
À partir du moment où des choses fausses sont dites au grand public, comment voulez-vous qu'il puisse, sur cette question complexe, se forger sa propre opinion ? Vous assénez des choses qui ne sont pas vraies. Et vous nous trompez en disant qu'il y a des conflits d'intérêts, alors que sur tous les autres sujets, vous dites qu'il faut développer l'innovation parce que cela va développer l'emploi et l'activité économique chez nous.
Je regrette. À un moment donné, et même si c'est pour défendre des préoccupations ou des convictions qui sont légitimes, vous n'avez pas le droit de dire des choses fausses. Nous tenions à le dire ici, à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, je voudrais dire mon émotion. Je suis meurtri par les propos de M. Nesme. Je ne peux pas accepter que, parce que nous n'avons pas la même opinion que lui, il se permette de jeter la suspicion sur un certain nombre d'entre nous.
De même, que je n'ai pas pu accepter, en lisant l'article de Mgr Vingt-Trois paru ce matin, qu'il se permette les mêmes propos.
Oui, nous sommes un certain nombre à penser qu'il faut autoriser ces recherches en les encadrant. Et je respecte parfaitement toutes les positions : on peut être contre, on peut être contre en admettant des dérogations, et on peut être favorable, comme je le suis, à une autorisation encadrée.
Au cours du long travail que nous avons fait, je me suis étonné du peu d'empressement de l'industrie pharmaceutique à soutenir les recherches sur les cellules souches. Cela n'intéresse pas l'industrie pharmaceutique, dont le modèle économique ne correspond pas du tout, mais alors pas du tout, aux cellules souches embryonnaires. C'est une hérésie, c'est une erreur, c'est une fausseté. Aucun grand laboratoire pharmaceutique n'investit dans la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Oui, les laboratoires investissent dans la recherche sur les cellules souches IPS, qui les intéressent pour faire du criblage. Mais les cellules souches embryonnaires ne les intéressent pas.
Non seulement vous jetez la suspicion sur un certain nombre de vos collègues, ce qui est insupportable, mais vous dites en plus des contre-vérités. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs des groupes UMP et NC.)
Pouvons-nous débattre d'avis opposés, sans pour autant essayer de blesser notre interlocuteur ? J'ai entendu les propos « d'obscurantisme » et de « suspicion ». N'y aurait-il, dans cet hémicycle, que des personnes vendues à l'industrie pharmaceutique, ou sous la menace de l'église catholique ? N'y aurait-il pas un certain nombre de députés qui se sont fait une opinion, qui ont écouté toutes les grandes religions monothéistes ? Il est d'ailleurs bien normal que ces dernières s'expriment, et c'est important dans une société telle que la nôtre.
Nous avons écouté l'ensemble des philosophes laïcs et des sociologues. Pourquoi faut-il, comme je viens de l'entendre, que quelqu'un crie : « faux » ! Y a-t-il quelque chose de totalement vrai, ou de totalement faux, dans le domaine de la bioéthique, lorsque l'on est partagé entre deux valeurs ?
Je ne dis pas n'importe quoi. Un certain nombre d'entre nous ont effectivement changé d'avis après nos auditions, et je regrette qu'ils ne viennent pas avouer ici le doute qui naît du conflit entre deux valeurs. Est-il difficile de dire que l'embryon n'est pas un amas de cellules, qu'il n'est pas une chose ? Est-il difficile de dire que même s'il a le droit au respect et à la dignité, une expérimentation encadrée dans le but humanitaire de sauver une partie de la population est légitime ? Est-il difficile de reconnaître qu'entre l'autorisation encadrée et l'interdiction avec dérogation, il n'y a pas de grande différence pour le chercheur, comme l'ont dit les Pr. Ménaché et Peschanski, qui ont reconnu que le blocage dans leurs recherches était surtout dû au délai de cinq ans, alors que la recherche a besoin de temps ?
Pouvons-nous essayer de ne pas caricaturer obligatoirement la vision de l'autre ? Et pouvons-nous essayer, même si nous n'aboutissons pas à des positions identiques, d'exprimer à la fois nos doutes, nos nuances, nos divergences, sans pour autant essayer de jeter l'anathème sur l'autre ?
J'appelle les uns et les autres à la raison. Je connais Jean-Sébastien Vialatte, Alain Claeys,Jean-Marc Nesme, toutes ces personnes sont-elles obligées d'affirmer qu'ils ont raison, et que les autres ont tort ?
Vous essayez de recoller les morceaux en permanence, mais vous savez bien qu'il existe de profonds clivages !
Il existe des clivages partout, y compris dans vos rangs.
Nous pouvons être d'avis différents sans pour autant dire que l'autre a obligatoirement tort, et conserver cette part de doute propre à un débat de bioéthique.
Qu'est-ce qu'une loi de bioéthique ? C'est la recherche d'un équilibre entre le respect fondamental de l'homme, et la possibilité d'une recherche médicale. Cette éthique est mouvante, d'autant plus que la science progresse. Les questions que nous posons aujourd'hui ne sont pas celles que nous posions il y a cinq ou dix ans, du fait des avancées de la science.
Il y a néanmoins une chose que je ne peux pas accepter, c'est d'entendre dire qu'au niveau scientifique, les cellules embryonnaires, les cellules souches adultes et les IPS sont la même chose, c'est totalement faux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe UMP).
Actuellement, certaines recherches ne peuvent être faites que sur les cellules embryonnaires. Peut-être les cellules IPS ouvriront-elles des voies, mais ce n'est pas encore le cas. Nous serons donc obligés de maintenir une recherche sur ces cellules embryonnaires un certain temps. Je ne souhaite pas que cela se pérennise, mais nous n'avons pas le choix aujourd'hui.
Je ne vois pas en quoi dire cela constituerait un conflit d'intérêt. Il y a un problème de lisibilité entre l'interdiction avec dérogation et l'autorisation avec encadrement. Au niveau franco-français, effectivement, il n'y a pas eu de limitations. Néanmoins, au niveau de la lisibilité internationale, nos équipes sont fortement pénalisées. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs des groupes NC et UMP).
Monsieur Claeys, vous me traitez de malhonnête. Cela ne fait pas beaucoup avancer le débat, et ce n'est pas très agréable, ni pour moi, ni pour les soixante-deux parlementaires qui ont exactement la même légitimité que vous.
Par ailleurs, je n'ai rien affirmé, je n'ai fait que citer des scientifiques qui s'interrogent. Je n'accepte pas que vous nous traitiez de malhonnêtes, ou que vous fassiez croire que nous avançons des affirmations.
Le doute est le commencement de la sagesse. En me qualifiant de malhonnête, ainsi que les soixante et un collègues signataires de cette résolution, ce sont également les scientifiques qui ont été auditionnés par la mission d'information et la commission spéciale que vous traitez de malhonnêtes.
Vous qualifiez également de malhonnêtes les huit cents gynécologues et professionnels de santé qui s'interrogent, comme nous le faisons. Nous avons le droit de nous interroger, et nous continuerons de le faire.
La mise en place de cette commission d'enquête est le meilleur moyen pour faire disparaître tout soupçon. Il ne s'agit pas de tenir quiconque en suspicion, mais de permettre au Parlement d'avoir un vote aussi éclairé que possible sur un sujet complexe.
Proposez la création d'une mission d'information, et non d'une commission d'enquête !
Pour terminer, je me félicite, monsieur le président de la commission spéciale, de la qualité des travaux de la mission parlementaire et des travaux de la commission spéciale que vous avez présidées, ainsi que du travail de M. le rapporteur. Que les choses soient claires, il n'est pas dans mon habitude de créer des soupçons, et moins encore de traiter mes collègues de malhonnêtes.
Monsieur Nesme, je me suis adressé à vous seul. C'est vous qui m'interpelliez. J'ai dit avoir le sentiment que vos propos étaient malhonnêtes. Pourquoi ai-je dit cela ? Vous avez essayé de participer à la mission d'information et à la commission spéciale. Nous avons été saisis de rapports, d'avis, pour nous faire notre opinion.
Si vous avez cette suspicion, que cela veut-il dire ? Cela voudrait dire que l'agence de biomédecine nous a menti.
Considérez-vous que le Conseil d'État nous a menti ? Je trouve que ces propos sont graves dans notre démocratie parlementaire. Voilà ce que je voulais vous dire.
Je n'ai jamais laissé croire, en tant que président de cette mission, depuis que je m'occupe de bioéthique, que les recherches offriraient des résultats à portée de main. J'ai même déclaré à la télévision ou sur les radios que je trouvais parfois irresponsable qu'aux heures de grande écoute, un journaliste mal informé explique à des personnes souffrant peut-être de la maladie de Parkinson que les découvertes récentes pouvaient trouver des applications dès le lendemain matin. J'ai toujours eu cette attitude, et je l'ai rappelé à la tribune, parce que la recherche est un temps long.
Personne n'est ici capable de dire que ces recherches déboucheront sur des traitements. Simplement, je considère en tant que parlementaire que de ne pas faire ces recherches, encadrées, pour protéger le vivant conformément à des valeurs que nous partageons, serait une erreur.
Je connais votre position concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires, vous y êtes opposé. Cela ne me choque pas, c'est votre responsabilité. Mais comme vous m'y invitiez, sortez de l'ambiguïté, assumez votre position et ne vous réfugiez pas dans la position consistant à interdire sauf dérogation. En tant que président, je respecte totalement vos positions, mais assumez-les, et dites que vous considérez que ces recherches sont inutiles, que vous y êtes opposé au nom de vos valeurs.
Un certain nombre de parlementaires ont été extrêmement présents au cours de nos travaux, et ont des positions à l'opposé des miennes sur la procréation médicalement assistée. Ils les ont assumées avec courage durant toute la mission. Je crois que c'est l'honneur du débat.
Enfin, monsieur le rapporteur, je suis souvent d'accord avec vous, le doute est une bonne chose. Mais en tant que législateur, malgré le doute, vient un moment où il est nécessaire de prendre position. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs des groupes UMP et NC).
J'ai cosigné la proposition de notre collègue Nesme, et j'y souscris pleinement. J'étais peut-être réticent en la signant, je le suis moins après ces débats.
Je crois qu'il faut remettre de l'ordre dans nos débats. Nous discutons de la demande de création d'une commission d'enquête parlementaire sur les conflits d'intérêts potentiels sur ces questions de recherche biotechnologiques.
Notre collègue Nesme n'a mis personne en cause. J'ai été frappé, comme d'autres ici, par la violence des réponses qui lui ont été adressées, particulièrement par M. le président de la commission spéciale. J'ai le sentiment que la violence de ces réponses témoigne que nous avons mis le doigt sur un point qui fait mal, comme souvent.
Ce point fait mal parce que ces groupes pharmaceutiques, ce n'est pas le syndicat de la boulangerie ! Ce sont des experts dans la relation avec le monde politique.
Mais on vous a dit qu'ils se fichaient de la recherche sur les cellules souches embryonnaires !
Ils multiplient, qui les colloques, qui les relations diverses et variées avec le monde de la politique, et ce faisant, veulent exercer une influence. Ce n'est pas illégitime en soi, mais il faut le savoir.
L'ambiance n'est pas neutre. Des événements récents se sont produits, qui peuvent nous alerter. Je voudrais que chacun ait à l'esprit – et j'imagine que c'est le cas pour beaucoup d'entre nous – les événements liés au Médiator.
Je crois donc qu'il faut aller au fond des choses, c'est-à-dire s'interroger sur un certain nombre de courriers diffusés par le LEEM – Les entreprises du médicament. Aller au fond des choses, cela peut aboutir à disculper tout le monde. Mais encore faut-il que l'on aille au fond des choses, que l'on sache ce qui se passe, que l'on ne reste pas dans cette incertitude. Ce serait le meilleur service à rendre à la qualité de nos débats.
Je souhaite que nous y allions conjointement, collectivement, de manières diverses et variées. Je suis convaincu qu'il y a peut-être des gens à gauche aussi qui s'interrogent sur les méthodes d'un certain nombre de ces groupes.
Monsieur Claeys, l'adjectif que vous avez employé à l'égard de notre collègue Nesme ne vous ressemble pas du tout. Il me semble déplacé de votre part. J'espère que vous aurez la délicatesse de le retirer.
Madame la présidente, sur le plan scientifique, je travaille depuis 1973 sur les cellules souches, au vu et au su de tous, puisque plusieurs articles ont été publiés dans diverses revues scientifiques internationales. Tout au long de ces quarante dernières années, aucun laboratoire ne m'a approché pour subventionner aucune de mes recherches.
Celles-ci n'ont pu être effectuées que grâce à des subventions publiques. Il faut sortir de cette folie, de cette déraison, de ce fantasme, qui ferait croire que l'industrie pharmaceutique est intéressée. Elle ne l'a pas été pendant quarante ans, elle ne l'est pas, elle ne le sera pas dans les années à venir.
Seules les cellules IPS pourraient éventuellement l'intéresser, mais non les cellules souches dont nous parlons aujourd'hui.
Madame la présidente, vous comprendrez mon étonnement à l'écoute des propos de MM. Le Fur et Nesme sur le LEEM et ses conflits d'intérêts. Cela fait trois ans exactement que les groupes d'opposition déposent des amendements sur des conflits d'intérêt avérés de l'industrie pharmaceutique avec des décisions prises, qui, dans un système arachnoïde, sont dans la Haute autorité de santé.
Je vous rappelle l'avis du Conseil d'État qui vient de faire tomber deux recommandations sur de vrais conflits d'intérêts,…
…et non sur ceux que vous êtes en train d'inventer.
À chaque fois, nos amendements ont été rejetés. Jeudi dernier encore – vous n'étiez pas présent sur les bancs – la majorité a fait tomber tous les amendements défendus par l'opposition sur les conflits d'intérêts. Il s'agissait pourtant de conflits d'intérêts prouvés par des avis du Conseil d'État sur la Haute autorité de santé notamment. Il en va de même pour l'AFSSAPS, mais nous en reparlerons, puisque les assises du médicament devraient régler tout cela – c'est en tout cas ce que vous m'avez répondu, madame la secrétaire d'État.
Lorsque je vous entends aujourd'hui vous interroger sur d'éventuels conflits d'intérêts dans un domaine de recherches où – comme l'ont rappelé mes collègues – le LEEM n'est pas intéressé, permettez-moi d'exprimer ma colère compte tenu du nombre très important d'amendements déposés par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
On peut se demander si tous ces propos relatifs aux supposés conflits d'intérêts dans l'industrie pharmaceutique, qui, peuvent certes exister, ne sont pas un peu l'arbre qui cache la forêt.
Il y a, je crois, malhonnêteté intellectuelle. J'ai trouvé sur le site de Valeurs actuelles le texte signé par vous-même, monsieur Nesme, et soixante de vos collègues. Avez-vous ou non signé la phrase : « Cette recherche implique l'utilisation des embryons surnuméraires issus de la fécondation in vitro et donc la destruction de l'embryon » ? Vous savez parfaitement que les recherches sur les cellules souches ne conduisent pas à la destruction de l'embryon, comme l'a rappelé Jean-Yves Le Déaut il y a quelques instants. Il y a donc là malhonnêteté intellectuelle.
Vous avez envie de vous battre aujourd'hui pour décrédibiliser cette recherche sur les cellules souches, en disant éventuellement n'importe quoi sur la destruction de l'embryon humain.
Ma chère collègue, je crois que vous n'avez pas lu le texte de la proposition de résolution
J'ai parlé tout à l'heure d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conflits d'intérêts potentiels – possibles, si vous préférez – en matière de recherches de biotechnologie.
Prenez l'exposé des motifs et vous pourrez voir que cela n'a rien à voir avec les propos que vous avez tenus.
L'objet de la proposition de résolution est très simple : faut-il ou non créer une commission d'enquête parlementaire sur les conflits d'intérêts potentiels ou non ? Je voudrais connaître la position de Mme la secrétaire d'État chargée de la santé.
Je suis saisie d'un amendement n° 62 .
La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.
Les tests génétiques se multiplient. Même s'ils sont très encadrés en France ; en Espagne ou en Allemagne, il est possible de faire procéder, grâce à des prélèvements de salive ou de cheveux à une batterie de tests génétiques et obtenir ainsi des renseignements sur ses risques personnels de développer un cancer, une maladie coronarienne. Mais ces personnes ne sont pas préparées à recevoir ce type de renseignements dans la mesure où les tests n'ont pas été demandés par un médecin, ils seront donc reçus « brut de décoffrage ».
Inscrire dans la loi la reconnaissance du droit à l'intimité génétique permettrait que les renseignements non demandés ne soient pas fournis. Il est très simple de faire pratiquer ces tests en cliquant sur Google, mais les résultats peuvent être difficiles psychologiquement à assumer.
C'est pourquoi je voulais, puisque nous en sommes aux déclarations d'intention, que soit inscrit au début du texte : « Le droit à l'intimité génétique est reconnu ».
Avis défavorable. Les termes sont très flous pour caractériser une infraction.
L'amendement est au demeurant satisfait puisque, dans le code de santé publique comme dans le code pénal, les sanctions sont prévues pour réprimer ce type d'infraction.
Avis défavorable.
Le code de la santé publique permet à la personne de refuser systématiquement l'information sur un acte médical. De surcroît, le droit de ne pas savoir est protégé. Enfin, les données génétiques bénéficient comme toutes données de santé de la protection du secret médical, ainsi que les dispositifs de protection de la confidentialité des données.
Je ne comprends pas, madame la secrétaire d'État, la fin de votre argumentation. Le secret médical, c'est entre le patient et le médecin. Cela suppose donc nécessairement l'information.
Je vous ai dit que le code de la santé publique prévoit le respect des personnes s'agissant de l'information qu'elles ont envie d'avoir ou non.
J'ai sans doute commis un lapsus. L'idée est que tout patient a le droit d'être informé, et également de refuser une information.
(L'amendement n° 62 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 108 .
La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.
L'utilisation des cellules souches ne figure pas dans la liste de ce qui n'est pas brevetable. L'amendement vise à rectifier cet oubli et à préciser la nature de ce qui peut être brevetable.
Les gènes, en tant que tels, des éléments du corps humain, les races animales ont été déclarés non brevetables. Nous n'avions pas parlé des cellules souches, elles ne figuraient donc pas sur la liste de procédés non brevetables. L'amendement vise donc à rétablir ce point.
Il est évident que le travail sur des cellules souches ne doit pas être brevetable ; cela permettra ainsi d'éviter ce que craignait notre collègue.
Avis défavorable.
Cette demande est satisfaite par l'Office européen des brevets, qui a tranché récemment cette question en novembre 2008.
Avis défavorable, puisqu'il est déjà satisfait.
L'article L. 611-18 exclut de la brevetabilité les procédés de clonage des êtres humains, les modifications de l'identité génétique de l'être humain, les séquences totales ou partielles d'un gène en tant que tel et les utilisations d'embryon humain à des fins industrielles et commerciales.
Madame la secrétaire d'État, les gènes en tant que tels n'ont rien à voir avec les cellules souches, de même que tout ce que vous avez indiqué.
Nous sommes ici pour faire avancer la loi. Il serait sage d'ajouter les cellules souches dans la liste des procédés que vous avez cités.
Les cellules souches embryonnaires en tant que telles sont couvertes par l'interdiction de brevetabilité. En revanche, les procédés de transformation des cellules souches embryonnaires sont possibles, en lignée de cellules souches qui sont brevetables.
Cette protection des résultats de la recherche est destinée à faciliter, le cas échéant, le développement des thérapies prometteuses pour des pathologies graves.
Je ne souhaite pas prolonger le débat, mais je pense qu'il y aura, à terme, un problème.
Pour avoir un peu travaillé, il y a quelques années, sur la brevetabilité, je reconnais qu'il existe une ambiguïté. À l'époque – il s'agissait d'un gouvernement de cohabitation – le Président Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin avaient saisi la Commission européenne au moment de la transposition européenne de la directive européenne sur la brevetabilité du vivant.
Un certain nombre de contradictions figuraient dans les différents alinéas. J'avais eu l'occasion d'en parler, à l'époque, à M. Pompidou, président de l'Office européen des brevets. Au moment du cryptage du génome, des start up, aux États-Unis ou ailleurs, ont déposé des brevets larges, sur le gène et son application par exemple. De ce fait, des chercheurs qui trouvaient à partir du même gène d'autres applications étaient dépendants de la première découverte.
Suite à cela, l'Office européen des brevets a tenté de limiter les choses, mais – M. Le Déaut a raison – les problèmes se posent aujourd'hui sur les lignées de cellules souches embryonnaires. En théorie, c'est vrai, elles ne sont pas brevetables, mais, dans le monde, il y a deux ou trois lignées de cellules souches embryonnaires qui ont été brevetées.
Lorsque l'on dit : « Non » à la marchandisation du vivant, je crois qu'il faut être vigilant sur ce sujet.
(L'amendement n° 108 n'est pas adopté.)
(L'article 1er est adopté.)
Sur l'article 2, je suis saisie d'un amendement n° 63 rectifié .
La parole est à M. Philippe Vuilque.
Les techniques médicales évoluent rapidement et l'Agence de biomédecine accomplit un travail remarquable, reconnu de tous. Un arrêté du ministre chargé de la santé peut intervenir très tardivement, alors que les recherches évoluent rapidement. L'Agence de biomédecine étant en première ligne, il nous paraît évident qu'elle est l'autorité de référence sur l'ensemble de ces aspects pour prendre les décisions qui s'imposent.
Avis défavorable car ce serait accorder un pouvoir réglementaire à l'Agence de biomédecine. Nous avons toujours voulu conserver à l'exécutif et au Parlement le pouvoir de décider en ces matières éminemment politiques, au bon sens du terme. Cet amendement risque d'entraîner une dérive et à faire de l'Agence de la biomédecine un organisme totalement indépendant qui déciderait sans connexion avec le pouvoir exécutif ou le Parlement.
Même avis que la commission.
(L'amendement n° 63 rectifié n'est pas adopté.)
(L'article 2 est adopté.)
Sur l'article 3, je suis saisie d'un amendement n° 30 .
La parole est à M. Jean Leonetti.
Amendement de cohérence.
(L'amendement n° 30 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 112 .
La parole est à M. le rapporteur.
Amendement de coordination.
(L'amendement n° 112 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 3, amendé, est adopté.)
Volontiers, madame la présidente. Mais je souhaite au préalable faire une remarque à notre collègue Jean-Marc Nesme à propos de son intervention. Je me suis fait transmettre le compte rendu de l'audition de M. Peschanski qu'il a cité tout à l'heure, ainsi que M. Leonetti.
« Je partage les propos de Philippe Ménashé sur le rôle positif qu'a joué l'Agence de la bioéthique pour nos travaux de thérapie cellulaire ainsi que les dangers auxquels nous expose le maintien du cadre législatif actuel. Pourquoi Philippe Ménashé et moi-même, mais aussi tous les scientifiques qui travaillent sur les cellules souches et les industriels qui les accompagnent, demandent-ils qu'on passe d'un régime d'interdiction à un régime d'autorisation ? »
Il est pour le moins fâcheux de ne pas rapporter exactement les propos tenus par ceux qui ont été auditionnés en commission et de leur faire dire le contraire.
J'en viens à l'amendement n° 64 . Toute personne ne peut demander l'examen des caractéristiques génétiques la concernant ou celles d'un tiers qu'auprès d'un laboratoire agréé par l'Agence de la biomédecine. Il est aujourd'hui possible, madame la secrétaire d'État, de demander un test génétique avec un numéro de téléphone en France. Il suffit de mettre de la salive, un cheveu ou un mégot de cigarette dans une enveloppe, et ces données seront analysées en Espagne ou en Allemagne, en contradiction avec la loi française.
C'est pourquoi nous souhaitons que seuls les laboratoires agréés puissent procéder à ces tests dans le respect de la loi française. Si la loi est transgressée, il faut des sanctions. Une telle précision est importante pour encadrer les tests génétiques, et avait été adoptée en première lecture.
Sur le fond, je suis d'accord avec M. Le Déaut, mais, dans la mesure où nous avons réécrit l'article 4 ter, qui précise la sanction pénale, ses deux amendements sont satisfaits.
Je suis d'accord sur le principe, mais, pour des raisons rédactionnelles, je vous demande de bien vouloir retirer vos amendements au profit de l'amendement n° 32 rectifié tendant à rédiger l'article 4 ter.
Contrairement à vos affirmations, monsieur Le Déaut, je n'ai pas cité M. Peschanski, mais M. Jacques Testart qui déclarait : « Ce débat me paraît vain. On devrait défendre l'idée d'une expertise indépendante des promesses médicales et des conflits d'intérêts qui y sont assortis. Il peut y avoir confusion entre les intérêts médicaux scientifiques et les intérêts commerciaux. »
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Cette précision étant faite, retirez-vous vos amendements, monsieur Le Déaut ?
Sur l'article 4 ter, je suis saisie d'un amendement n° 32 deuxième rectification.
La parole est à M. le rapporteur.
Cet amendement apporte plusieurs précisions quant aux sanctions et répond aux propositions de M. Le Déaut.
(L'amendement n° 32 deuxième rectification, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
La commission a maintenu la suppression de l'article 4 quater.
Je suis saisie d'un amendement n° 76 tendant à le rétablir.
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Cet amendement vise à rétablir l'article 4 quater adopté par notre assemblée qui supprime l'ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale.
Lors de l'examen de la loi HPST qui a habilité le Gouvernement à prendre cette ordonnance, nous avions déjà exprimé nos craintes de voir le secteur de la biologie médicale praticienne et de proximité dépecé par les appétits financiers et industriels. Malheureusement, ces craintes se trouvent validées ; les regroupements de petites structures qui jusqu'alors assuraient un maillage territorial pertinent en termes de santé publique ont commencé. Nous assistons à un début de concentration de type industriel qui permet à quelques investisseurs de prendre le contrôle financier du secteur. Bien entendu, les professionnels, les biologistes, s'inquiètent de cette situation à la fois contreproductive en termes de santé publique, mais aussi pour les professionnels eux-mêmes qui deviendraient de simples exécutants, qui perdraient la maîtrise de leur outil de travail et, par conséquent, leur indépendance.
Le risque que fait peser cette ordonnance sur les laboratoires de petite taille qui participent à leur manière à la satisfaction des besoins de santé de proximité est trop important.
Avis défavorable. Le texte a été examiné dans la loi HPST – je parle sous le contrôle d'Olivier Jardé et de Jean-Sébastien Vialatte – et n'a pas lieu d'être réexaminé dans le cadre de ce texte.
Nous avons examiné la proposition de loi Fourcade – vous étiez présente, madame Fraysse. L'ordonnance a fait l'objet d'aménagements.
Avis défavorable donc.
J'avais proposé le même amendement en première lecture, qui avait du reste été adopté.
Dans le cadre de la proposition de loi Fourcade, notre assemblée a apporté un certain nombre de modifications qui donnent satisfaction à la profession des biologistes.
(L'amendement n° 76 n'est pas adopté.)
Sur l'article 5, je suis saisie d'un amendement n° 8 .
La parole est à M. Olivier Jardé.
Cet amendement s'inscrit dans le même esprit que celui que j'ai déposé à l'article 1er A et qui rappelait que la science est au service de l'homme.
Là, il s'agit des greffes. L'humain est d'abord un être mortel, sa survie ne doit pas être assurée au détriment d'autrui, c'est un préambule éthique qu'il est nécessaire de rappeler afin de prévenir toute pression qui pourrait exister à l'avenir sur les personnes ayant l'intention de faire don de leurs organes. Cela reste un choix personnel. La greffe reste une stratégie palliative, qui n'est pas systématiquement synonyme de guérison.
Avis défavorable. On est tous d'accord sur le fait que le don cadavérique doit primer sur le don entre vifs, mais le don entre vifs n'est pas totalement dénué de risques. Dire qu'on ne privilégie que les dons d'organes totalement dénué de risques supprimerait le don entre vifs. Je crains que l'objectif louable d'Olivier Jardé n'aboutisse au contraire à une restriction du don d'organes.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques n'a pas vocation de définir les programmes de recherche. Il donne un avis sur les politiques publiques comme les grandes orientations en matière de recherche. Il appartient au ministre en charge de la recherche de définir ces programmes.
Avis défavorable, donc.
(L'amendement n° 8 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 67 .
La parole est à M. Philippe Vuilque.
La parole est à M. Philippe Vuilque. Cet amendement vise à revenir à la rédaction que nous avons adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale en supprimant l'obligation de faire la preuve d'un lien affectif d'au moins deux ans d'autant que le rôle des équipes médicales est important dans l'accompagnement du patient au cours d'un bilan médical et psychologique. Il existe un certain nombre de garde-fous.
Cet amendement vise à revenir à la rédaction que nous avons adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale en supprimant l'obligation de faire la preuve d'un lien affectif d'au moins deux ans d'autant que le rôle des équipes médicales est important dans l'accompagnement du patient au cours d'un bilan médical et psychologique. Il existe un certain nombre de garde-fous.
Cet amendement vise aussi à élargir le champ des donneurs potentiels, actuellement restreint à la famille nucléaire, c'est-à-dire aux conjoints et aux personnes ayant une vie commune.
Le retour à la rédaction retenue par notre assemblée en première lecture nous semble préférable. Les termes « stable et avéré » nous paraissent suffisants. Faisons confiance aussi aux équipes médicales à qui il reviendra de vérifier les motivations du donneur.
Sur le fond, nous sommes tous d'accord pour élargir le champ des donneurs au-delà du cercle familial. Cependant, il faut avoir à l'esprit les décisions qui doivent être prises. Les mots « stable et avéré » sont flous, ils doivent être étayés par des éléments objectifs. Le critère d'une durée de deux ans, s'il n'est pas suffisant, est nécessaire. Il permet de disposer d'une première base pour estimer le caractère oblatif du don et conclure à l'absence de commercialisation, ce qui est particulièrement important puisqu'il s'agit d'une personne extérieure à la famille.
Avis défavorable pour les mêmes raisons. La durée de deux ans constitue un élément de stabilité suffisant pour permettre à un donneur de donner un organe. Cela permet également de prévenir les risques de marchandisation.
La durée de deux ans, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, n'apporte aucune garantie supplémentaire.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le recueil du consentement libre et éclairé s'effectue auprès du magistrat du tribunal de grande instance qui vérifie les intentions du donneur.
Enfin, en adoptant cette disposition, la France harmoniserait sa législation avec la plupart des pays européens et se conformerait aux recommandations du Conseil de l'Europe.
(L'amendement n° 67 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 77 .
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Nous nous félicitons, bien sûr, de l'élargissement du cercle des donneurs et de l'introduction de la possibilité des dons croisés, évolution que nous considérons comme positive.
Toutefois, nous sommes préoccupés par les éventuels contournements de cette disposition. La loi prévoit déjà dans le code pénal des sanctions en cas de dérives, mais celles-ci ne concernent que les mises en relation rémunérées entre donneurs potentiels et malades. Elles ne couvrent pas l'ensemble des dérives.
Pour protéger les deux parties, nous estimons que la mise en relation du donneur et du receveur ne doit pouvoir se faire que dans deux cas précis : soit par l'intermédiaire du corps médical, dans le cadre du don anonyme direct ou croisé, soit grâce à une personne proche, avec laquelle le lien préexiste et n'est donc pas généré par la demande d'organe.
Toutes les autres circonstances de mise en relation des donneurs et de receveurs sont interdites et sanctionnées. Par cet amendement, nous proposons de préciser les sanctions qui doivent intervenir en cas de dérive, au-delà des sanctions déjà prévues pour les mises en relation rémunérées.
Votre objectif est louable, madame Fraysse, et il est déjà satisfait.
L'article du code de santé publique que modifie l'article 5 renvoie à un article du code pénal qui prévoit 100 000 euros d'amende et sept d'emprisonnement, que la mise en relation soit rémunérée ou non.
Je vous invite donc à retirer votre amendement, madame Fraysse.
Je suis saisie d'un amendement n° 99 .
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Cet amendement vise à créer un registre positif. Je vais tenter d'exposer nos motivations en étant bien consciente que cette proposition fait débat.
Actuellement, n'existe qu'un registre du refus du don d'organes et l'absence d'inscription vaut approbation du prélèvement d'organe. La famille est informée et interrogée et il lui revient in fine de prendre la décision.
Nous souhaitons donc inviter les personnes qui le souhaitent à notifier leur accord de leur vivant dans un registre positif, qui côtoierait le registre négatif, étant entendu que les personnes qui ne figurent ni sur le registre positif ni sur le registre négatif sont toujours considérées comme étant donneurs, en accord avec la famille.
Il nous semble que cela fournirait l'occasion de lancer une grande campagne d'information, élément essentiel qui nous manque.
Par ailleurs, connaître la décision de la personne exprimée de son vivant faciliterait peut-être le choix que les familles ont à faire alors qu'elles sont dans la détresse au moment du décès de leur proche – bien souvent jeune car les organes des personnes jeunes sont recherchés en priorité.
Enfin, j'ai bien entendu les interrogations de certains qui considèrent que l'absence d'inscription sur le fichier positif risquerait d'être considérée comme un refus. Cela me paraît être un argument discutable, car, en cas de refus, il est toujours possible de s'inscrire sur le registre négatif.
Notre but est de faciliter la décision des équipes médicales et des familles qui ne savent souvent pas quel choix faire.
Mme Fraysse évoque un sujet très important. Rappelons les diverses législations européennes : en Allemagne, c'est le consentement explicite de dons d'organe qui prévaut et il y a pénurie ; en Belgique, le passage du consentement explicite au consentement présumé a permis de tripler le nombre des dons d'organe ; en Espagne, où le dispositif est identique au nôtre, le taux de refus est de 15 % contre 30 % chez nous.
Tout cela montre que le système du consentement explicite peut être positif à condition, comme l'a noté la commission spéciale, qu'une campagne extrêmement active d'information soit menée afin d'expliquer le processus du don, notamment le fait que l'absence d'inscription au fichier négatif vaut consentement.
Je crains en outre qu'entre ces deux fichiers, un no man's land ne se crée : ceux qui ne figureraient ni dans le fichier de refus, ni dans le fichier de l'accord se trouveraient plus facilement catalogués comme s'opposant au don. Il est toujours difficile d'approcher les familles en pareilles circonstances et les équipes se heurteraient à de grandes difficultés pour les convaincre.
Nous avons déjà débattu de la question. Les états généraux de la bioéthique avaient opté pour un changement de régime. Mais il me semble que le consentement présumé – les exemples espagnols et belges le montrent – doit être conservé. Cependant, nous devons consentir des efforts importants pour élaborer des campagnes d'explication plus claires et plus fréquentes qu'aujourd'hui.
Avis défavorable.
Avis défavorable également.
Mettre en place un enregistrement par consentement exprès donnerait davantage de complexité au système actuel qui repose sur le consentement présumé. Un double emploi entre les deux registres fragiliserait excessivement le dispositif en vigueur.
Mme Fraysse soulève une question délicate. Nous avons évoqué tout à l'heure la possibilité de développer les dons entre vivants, avec les dons croisés. Nous abordons ici la question du don post mortem. Lorsque la famille est avertie, bien souvent, il y a refus, parce qu'elle se pose la question de savoir ce qu'aurait voulu l'enfant, le fils, le père, malgré ce consentement présumé.
Il faut donc en rester à un registre du refus pour éviter toute confusion liée au sort de ceux qui seraient absents des deux fichiers.
Au-delà, cet amendement est l'occasion de mettre l'accent sur la nécessité l'information. Nous devons sensibiliser, communiquer, faire en sorte que le sujet soit abordé en famille même s'il est délicat et qu'on ne l'évoque pas aussi facilement que d'autres sujets au petit-déjeuner.
Aujourd'hui, la majeure partie de la population sait qu'il faut manger cinq fruits et légumes par jour. Il faudrait arriver à un semblable résultat et faire en sorte que 100 % des Français sachent que le refus doit être notifié dans un registre et qu'à défaut, le consentement est présumé. Pour cela, il s'agirait d'informer dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées, à l'occasion des journées de citoyenneté.
L'Agence de biomédecine a mené plusieurs campagnes d'information, intéressantes du reste. Mais il faut aller au-delà avec des campagnes d'envergure, grand public, sur les grands médias nationaux, sur les chaînes publiques.
Le don d'organes pourrait devenir une grande cause nationale au même titre que la sécurité routière – je ne ferai pas de polémique ce soir –, le plan cancer ou le plan Alzheimer. Il nécessite réellement cet investissement, compte tenu des enjeux humains auxquels il renvoie : 14 000 personnes attendent une greffe, plusieurs centaines meurent chaque année, faute d'avoir pu recevoir un organe à temps. Bien sûr, la greffe n'est pas une solution miracle, il faut pouvoir être soigné par d'autres moyens. Mais il faut absolument informer, sensibiliser, communiquer. C'est l'occasion de le rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
L'amendement de Mme Fraysse pose un problème fondamental, celui de l'accessibilité des organes et a contrario de la pénurie d'organes qui entraîne le décès de plusieurs centaines de personnes chaque année.
Il me semble que la proposition de faire coexister les registres positif et négatif est dangereuse. En effet, nous avons déjà du mal à faire connaître le registre négatif ; or il est important de préserver ce registre en développant encore bien davantage une information citoyenne.
Il est un point sur lequel je veux insister. Si l'on souhaite favoriser les décisions positives, il faut que l'on puisse, à l'hôpital, recevoir les familles dans des lieux décents,…
… avoir avec elles une discussion décente, dans des conditions décentes, et disposer d'équipes de professionnels capables de leur expliquer l'importance du don et de les accompagner de manière humaniste.
Lorsque ces conditions sont réunies, je peux vous garantir que, même si c'est très difficile, on parvient à obtenir l'assentiment de la famille et des proches au prélèvement en vue du don.
J'y insiste, étant donné la situation dans laquelle se trouvent aujourd'hui nos hôpitaux : il faut leur donner les moyens qui rendent les prélèvements et les dons possibles.
D'une part, on ne peut pas dire que le consentement présumé complété par l'avis des familles, règle en vigueur actuellement, soit d'une grande clarté. Au contraire, cette condition est largement incomprise. Les chiffres sont peut-être bons, mais, à nos yeux, seul un consentement peut susciter une mobilisation. Pour nous, ce n'est pas une cause perdue : les chiffres peuvent encore s'améliorer. Si le message est clair et si la cause est bonne, ils peuvent même devenir très satisfaisants.
D'autre part, l'amendement de nos collègues du groupe GDR est-il un bon amendement ? Il s'agit d'un amendement de transition. Pour notre part, nous le voterons car, au Nouveau Centre, nous sommes persuadés qu'il faut aller vers le registre positif, le seul qui puisse nous conduire à nous mobiliser pour cette grande cause qu'est le don d'organes.
Je le répète, cette question est en effet très délicate. Elle a fait l'objet d'un débat au sein de notre groupe, et nous avons finalement décidé de déposer cet amendement.
J'ai entendu vos interventions. Je maintiendrai l'amendement. Mais, je le répète – et je ne m'exprimerai donc pas sur l'article suivant –, on peut bien mettre en balance les avantages et les inconvénients de tous les registres que l'on voudra, l'essentiel est de lancer de grandes campagnes d'information et de sensibilisation dans tous les milieux, …
… comme le propose l'article suivant.
Des préoccupations ont été exprimées ; je les ai entendues. Je n'ai pas la solution, et j'ignore si quiconque la connaît.
Je suis en revanche convaincue que Mme Génisson a raison d'insister sur la manière dont on reçoit les familles, sur les lieux où on le fait et sur les équipes qui le font. Car quoi que l'on inscrive dans la loi, en tout état de cause et en dernière instance, ce sont les familles qui décideront, dans des circonstances particulièrement douloureuses. Il faut donc pouvoir les accueillir et leur parler sereinement, dans de bonnes conditions.
Je ne veux pas contredire notre collègue, seulement poser une question.
Lors de nos premiers échanges, il y a quelques semaines, le ministre avait envisagé de lancer un programme d'action explicitement consacré au don d'organes à la fin du mois de mai ou courant juin. Où en sommes-nous ?
L'engagement sera-t-il bien honoré ? Disposerons-nous d'ici au mois de juin de bilans et de propositions à ce sujet, lesquels viendraient prolonger la grande cause nationale 2009 que j'avais eu l'honneur de présider et qui concernait le don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse et d'organes ?
En somme, je voulais savoir si cette perspective restait d'actualité et profiter de l'occasion pour faire une petite piqûre de rappel, si nécessaire.
(L'amendement n° 99 n'est pas adopté.)
Le don, surtout celui de lobe de foie, n'est pas sans risque pour les donneurs vivants. Or la prise en charge financière dont ces derniers bénéficient connaît des limites. C'est à cette situation que le présent amendement tend à remédier.
Certains des remboursements auxquels les donneurs ont droit ne leur sont pas versés. Nous proposons donc de garantir la prise en charge des pertes de rémunération des donneurs vivants en supprimant le plafond de remboursement en vigueur, en prenant en considération tous les débours liés au don et en créant un fonds spécifique.
Cet amendement a déjà été adopté en première lecture par la commission spéciale et le Sénat a confirmé son adoption ; la disposition figure donc dans le texte.
Cela prouve que votre idée était excellente, mon cher collègue : elle a fait l'objet d'un large consensus. (Sourires et exclamations sur divers bancs.) Je vous suggère donc de retirer l'amendement.
Cet amendement est satisfait ; il a été voté. Même avis.
(L'amendement n° 9 est retiré.)
(L'article 5 est adopté.)
Sur l'article 5 quater, je suis saisi d'un amendement n° 69 .
La parole est à M. Jean-Louis Touraine.
Cet amendement est satisfait : la disposition est déjà incluse dans le texte.
Je précise que j'avais déposé un autre amendement à l'article 5 quater, aux termes duquel le ministère devait organiser l'information de la population sur la transplantation d'organes.
Cette demande est très largement relayée sur tous les bancs de cet hémicycle. Tous les Français de dix-huit ans au moins seraient concernés.
Cet amendement a été repoussé au titre de l'article 40, ce qui m'a beaucoup surpris puisque la précédente loi dispose que le Gouvernement doit informer la population.
Si une telle information était organisée, on pourrait enfin tirer pleinement profit du registre des refus : on serait fondé à penser que les personnes qui n'y sont pas inscrites ne s'opposent pas au prélèvement, puisqu'elles auraient été dûment informées.
Défavorable : la disposition proposée a déjà été votée ; elle figure à l'article 5 nonies.
Je précise que M. Touraine a formulé deux propositions.
La première, on l'a dit, a déjà été votée. La seconde consisterait à demander à tous nos concitoyens une réponse expresse et à inscrire dans le registre des refus ceux qui n'agréeraient pas cette demande.
L'amendement n° 69 est satisfait. Mais l'autre amendement dont vous parliez ne saurait être accepté par la commission. En effet, vous y proposez non pas qu'on lance une campagne d'information, ce que le texte prévoit déjà, mais que l'on adresse une demande expresse à tous les Français.
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, inscrite sur l'article 5 quinquies AA.
Nous y reviendrons sans doute à propos de l'amendement n° 103 de Mme Lemorton. Quoi qu'il en soit, j'appelle l'attention de l'Assemblée sur le fait que le Sénat avait proposé d'inscrire dans le code de la santé publique le principe selon lequel « nul ne peut être exclu du don en raison de son orientation sexuelle ».
Nous étions favorables à cette proposition, qui a fait l'objet d'un débat.
Depuis 1983, du fait du contexte de l'époque, il est interdit à tout homme ayant eu des relations sexuelles avec un autre homme de donner son sang. Cette interdiction a été confirmée par un arrêté pris par Mme Bachelot en janvier 2009. Ces personnes sont donc exclues du don du sang en raison de leur orientation sexuelle.
À nos yeux, cette disposition est médicalement et scientifiquement infondée, puisque tout prélèvement de sang fait l'objet de vérifications et de contrôles quelle que soit l'identité du donneur. En outre, elle est inefficace, car les candidats au don apportent aux questions qui leur sont posées les réponses qu'ils veulent, et que ces réponses, en l'occurrence, ne préjugent pas de la qualité de leur sang. Enfin, elle est stigmatisante.
Une autre rédaction nous est proposée ici : « Nul ne peut être exclu du don en dehors de contre-indications médicales. » Cette formulation ne nous paraît pas suffire à éviter la stigmatisation que je viens d'évoquer.
Je demande donc à Mme la secrétaire d'État de revenir sur l'arrêté du 12 janvier 2009. D'autre part, nous approuvons l'amendement n° 103 de Mme Lemorton et nous le soutiendrons.
Il s'agit d'un amendement d'appel, destiné à ouvrir un débat important.
Nos compatriotes sont généreux en matière de don du sang. J'ai la chance d'être issu d'une région où le don excède largement les besoins, et j'en tire une certaine fierté.
Cela étant, je rencontre aussi des jeunes qui me demandent pourquoi, étant mineurs, il leur est interdit de donner leur sang. J'aimerais qu'on leur réponde – je ne prétends pas connaître la réponse.
En matière de limites d'âge, on a bien accepté d'ouvrir un autre débat : à l'extrémité opposée, on a porté l'âge maximal du don du sang de soixante-cinq à soixante-dix ans – je parle sous le contrôle de M. le rapporteur.
Je veux donc répondre à ces jeunes, qui font valoir que, si l'on peut travailler à seize ans ou s'engager dans l'armée à dix-sept, on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas, au même âge, donner son sang.
Je propose d'encadrer très précisément cette autorisation. Elle serait assortie de conditions médicales, que le Gouvernement pourra définir. En outre, il ne s'agit pas de rompre avec l'autorité parentale, puisque celle-ci doit valider l'acte volontaire du jeune, lequel doit prouver qu'il n'agit pas contre elle.
Je sais bien que tout cela est compliqué. Mais c'est un débat de principe. Pourquoi ne peut-on donner son sang lorsque la croissance a atteint un certain stade, lorsqu'on s'en estime capable, et moyennant des conditions qui pourraient être relativement sévères, propres aux donneurs âgés de seize ou dix-sept – sur ce point non plus, je ne connais pas la réponse – à dix-huit ans ?
Je souhaiterais ouvrir ce débat, qui est déjà ouvert chez nos jeunes, qui bien souvent sont très généreux.
Marc Le Fur a raison de dire que c'est un sujet complexe. Combien de fois constatons-nous qu'un jeune homme ou une jeune fille de seize ans apparaît comme un adulte, et pourrait physiquement – je dirais presque médicalement – donner son sang sans inconvénient ?
Néanmoins, l'un des grands principes de notre droit est de protéger les mineurs et d'interdire toute atteinte à leur intégrité physique qui ne soit pas directement liée à un bénéfice pour eux-mêmes, même s'ils ont reçu l'autorisation parentale ou l'autorisation du tuteur.
La volonté de don entre en contradiction avec ce principe. Il faut, je crois, considérer l'intérêt majeur du mineur (Sourires) et protéger les jeunes de toute atteinte à leur intégrité physique qui ne viserait pas à les soigner.
J'émets donc un avis défavorable, tout en félicitant M. Le Fur dont la région a non seulement suffisamment de dons pour couvrir les besoins, mais aussi suffisamment de jeunes capables de s'engager pour donner aux autres une partie d'eux-mêmes.
En dessous de dix-sept ans, le don de sang des mineurs est interdit par la directive européenne 200433CE. Entre dix-sept ans et la majorité légale, cette même directive permet le don de sang, sous réserve de l'autorisation des titulaires de l'autorité parentale. Mais le fait que le don d'une personne soit soumis à l'autorisation d'un tiers ne correspond pas à la vision française d'un don volontaire et consenti. De plus, cela poserait problème du point de vue du secret médical : le tiers qui détient l'autorité parentale pourrait recevoir des informations, par exemple sur l'orientation sexuelle de son enfant. Cela serait contraire à ce que nous souhaitons.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
Je souligne que tout don de sang donne lieu à un interrogatoire très poussé sur les pratiques des donneurs potentiels.
Je suis totalement en accord avec l'amendement n° 103 qui vise à supprimer l'exclusion de donneurs potentiels en fonction de leur orientation sexuelle.
J'insisterai plus, pour ma part, sur les pratiques de toxicomanie, car, comme vous le savez, la toxicomanie favorise la propagation de virus nombreux. Il faut absolument insister sur cet aspect, plus que sur l'orientation sexuelle.
Je crois que M. Jardé a anticipé sur l'amendement suivant. (Sourires.)
Je voudrais, comme M. Le Fur, faire preuve de chauvinisme régional ; je prends Mme Hostalier à témoin pour dire que la région Nord-Pas-de-Calais est également extrêmement solidaire en matière de don de sang ; souvent excédentaire, elle participe à la solidarité nationale. (Exclamations et sourires.)
J'approuve les arguments de notre rapporteur lorsqu'il émet des réserves sur le prélèvement de sang chez les mineurs. En revanche, il me semble important de maintenir l'organisation de dons du sang y compris dans les petites communes, afin d'entretenir le militantisme citoyen sur ce sujet ô combien important.
(L'amendement n° 13 n'est pas adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 103 .
La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Mme Fraysse l'avait anticipé, M. Jardé aussi, qui l'avait approuvé avant même que je ne le défende – mais je vous remercie, puisque vous étiez d'accord. (Sourires.)
Il s'agit de mettre fin à une discrimination insupportable : le fait, pour un homme, d'avoir eu des relations sexuelles avec un autre homme constitue aujourd'hui une contre-indication permanente au don du sang, sous prétexte qu'il y aurait une prévalence de certaines infections virales dans des populations qui ont des orientations sexuelles dites « différentes » – différentes de l'hétérosexualité.
Cette discrimination est insupportable. Je vais toutefois pousser plus loin mon raisonnement : elle pose la question de la sûreté de la décontamination des poches de sang.
En effet, la transmission du SIDA ou des hépatites est due à des comportements individuels – que l'on soit hétérosexuel ou homosexuel. Mais si la décontamination était parfaite, on pourrait accepter n'importe quelle poche de sang ; si on exclut les personnes homosexuelles, c'est que l'on a un problème de sûreté des décontaminations.
Cela me semble un vrai problème ! La discrimination des populations homosexuelles ou bisexuelles, bien sûr, en est un ; mais ce problème-là existe aussi.
J'ai donc interrogé le Centre national de transfusion sanguine, qui m'a répondu que, si l'on est sûr de la décontamination pour les plaquettes et le plasma, la décontamination concernant les globules rouges n'est pas certaine à 100 % – ce serait la raison de l'exclusion des hommes qui ont eu des rapports avec d'autres hommes. Monsieur le ministre, c'est une question que je vous pose. Il nous faut des assurances !
On accepte en effet – après avoir éliminé toute contre-indication médicale – les poches de sang d'une personne qui déclare être hétérosexuelle ; est-on certain que ces poches pourront être décontaminées à 100 % ?
Cet amendement m'amène donc à poser deux questions : d'une part, nous vous demandons de supprimer cette discrimination, insupportable en 2011 ; d'autre part, quel est le degré de certitude aujourd'hui, en France, que les poches de sang sont décontaminées – que ce soit pour les plaquettes, le plasma ou les globules rouges ?
Je comprends très bien votre émotion et le caractère insupportable d'une discrimination liée aux pratiques sexuelles.
Le texte que nous avons adopté dispose que toute exclusion du don doit reposer sur des contre-indications médicales. Cependant, vous avez raison d'évoquer le problème – je me tourne vers Mme la secrétaire d'État et vers M. le ministre – car un arrêté daté du 12 janvier 2009 mentionne l'homosexualité comme une contre-indication au prélèvement.
Dans ces conditions, le texte législatif doit, je crois, rester ce qu'il est car il est, je crois, assez large.
Je rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, on n'acceptait de poche de sang ni de personnes qui avaient des antécédents de toxicomanie, ni de personnes emprisonnées. La discrimination ne concernait donc pas les seuls homosexuels ; elle concernait des populations considérées à l'époque comme « à risque ». Cela ne se justifie plus aujourd'hui.
Il me semble donc suffisant d'imposer que toute exclusion du don soit fondée sur des éléments médicaux. Reste à remettre l'arrêté en conformité avec la volonté du législateur.
La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, pour donner l'avis de la commission.
C'est un sujet sur lequel je me suis exprimé à plusieurs reprises, notamment lors d'un précédent passage dans ce ministère.
L'idée qu'il puisse y avoir des populations à risque me gêne profondément. Il y a des comportements à risques, c'est sûr ; mais des populations à risques, je ne sais même pas ce que cela veut dire. Que l'on m'explique comment une personne hétérosexuelle qui a des rapports nombreux, non protégés, avec des partenaires multiples, pourrait ne pas présenter de risque !
J'entends donc bien ce qui est dit sur ce sujet, depuis bien longtemps. Toute exclusion sur le fondement de l'orientation sexuelle est de toute façon gênante en soi.
Cela étant, je connais aussi les données épidémiologiques. Pour y voir clair, le Conseil de l'Europe mène une enquête ; il devrait adopter au mois de novembre prochain une résolution pour que tous les États membres soient éclairés sur cette question. J'attends les résultats de cette enquête avec impatience.
Je sais bien tout ce que l'on a dit sur le sujet ; je me suis exprimé à l'époque, cela a fait couler beaucoup d'encre et même déclenché des polémiques, mais je l'assume. Le terme de « populations à risque », pour moi, n'est pas acceptable. C'est aussi avec cette grille de lecture que l'on doit avancer sur ce sujet.
Je sais bien, aussi, que presque tous nos voisins européens pratiquent cette exclusion ; seule l'Italie, je crois, fait exception, car elle considère que la contre-indication est décidée par le médecin en charge du prélèvement. Mais ce n'est pas parce que tous nos voisins agissent de cette façon que nous ne devons pas, nous, poser cette question et y apporter des réponses.
Je vous le répète, j'attends avec impatience les résultats de l'enquête du Conseil de l'Europe, parce que je ne change rien à la position que j'avais exprimée en 2006-2007.
Avis défavorable.
Monsieur le ministre, vous ne répondez pas à la seconde question, qui est dans toutes les têtes, dès lors que l'on met de côté une population où la prévalence virale est plus importante – j'en conviens, les chiffres sont là – et cela pour des raisons de pratiques individuelles – nous sommes d'accord sur ce point. Mais quelle est la sécurité des poches de sang données aujourd'hui par un hétérosexuel, qui n'a jamais eu de rapports homosexuels, et qui donne son sang ? Cette personne peut très bien avoir été contaminée et se trouver au moment où la sérologie est encore négative.
Certes. Mais peut-on être certain que les poches sont décontaminées à 100 % ?
La question est simple ; je la pose autrement : si on est sûr de la décontamination des poches en France, alors pourquoi écarter des gens qui auraient des comportements à risque, alors que forcément certains porteurs de virus passeront à travers les mailles du filet ?
Évidemment, on cherche des antigènes et des anticorps. Bien sûr. Mais est-on sûr de la décontamination ? Si on en est sûr, alors acceptons tout le monde : je ne vois pas où est le problème.
Je voudrais juste m'assurer que nous sommes tous d'accord : je comprends que nous allons exclure définitivement toute référence à une population dite « à risque ». Nous considérons qu'il existe des comportements à risque, mais pas des populations.
Si on considère le virus du SIDA, la population féminine, de par le monde, est plus touchée que la population masculine. Nous n'allons tout de même pas exclure du don toutes les femmes du monde parce que la séropositivité est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes !
Il serait totalement illogique de définir des populations à risque, en plus de l'effet stigmatisant, discriminatoire, qui paraît intolérable à toutes ces populations.
S'il vous plaît, ne discriminons ni la population féminine, ni la population homosexuelle, et considérons que tout le monde peut être donneur – sauf contre-indication médicale, et sauf pratiques à risque, ce qui est quelque chose de complètement différent de l'appartenance à une population au sens large du terme.
(L'amendement n° 103 n'est pas adopté.)
(L'article 5 quinquies AA est adopté.)
Cet amendement tend à supprimer un article qui n'apporte rien en réalité. Indiquer que la personne décédée avait été informée sur le don d'organe ne va pas résoudre le problème du prélèvement. Et qui informerait, sous quelle forme ? Un article aussi vague rend la loi bavarde.
Sans en faire une affaire personnelle, j'y suis d'autant plus défavorable que je suis le promoteur de cette mesure.
L'objectif est de favoriser au maximum le don d'organe. Pour cela, certains veulent changer la loi. Mais notre loi a la portée la plus générale. Comme on ne pouvait indiquer sur le carte Vitale que la personne est prête à faire un don d'organe, car cela serait en contradiction avec la loi, on voulait au moins y mentionner que la personne était informée sur le sujet. Sur les nouvelles cartes, c'est fait. Je vous ai donné rendez-vous en juin car j'ai demandé à l'assurance maladie de procéder à une évaluation complète pour savoir si l'information est véritablement lisible. Je pense que si cette mesure atteint vraiment son objectif, nous parviendrons à favoriser le don d'organe.
J'ai contribué à faire voter cette disposition en proposant un amendement. Je reconnais qu'elle ne règle pas entièrement le problème du prélèvement, mais ce qu'il faut c'est informer, sensibiliser, communiquer : tout est bon pour informer et la carte Vitale, sans être la panacée, est un excellent moyen pour le faire, et à des dizaines de millions d'exemplaires.
Je pense au contraire que la carte Vitale n'est pas forcément le bon support. Ce n'est pas une carte individuelle, elle peut être familiale. Le bon support, c'est le DMP – un objet non identifié pour l'instant, certes.
Justement, en attendant, qu'y a-t-il de mieux que la carte Vitale ?
La carte Vitale n'est peut-être pas la panacée, mais elle est quand même diffusée à des dizaines de millions d'exemplaires. Pour l'avenir, je me rallie volontiers à l'utilisation du DMP. Mais en attendant sa généralisation, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.
(L'amendement n° 3 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse pour défendre l'amendement n° 78 .
La carte Vitale, mise en place par l'ordonnance du 24 avril 1996, contient essentiellement des données administratives sur un bénéficiaire de l'assurance maladie. Or elle pourrait être le support d'un testament de vie adapté au don d'organes et simplifier l'accès au prélèvement chez les patients en état de mort encéphalique. C'est possible sur le plan technique. Accéder ainsi à ces informations personnelles serait un gain de temps considérable pour les équipes médicales chargées de prélever l'organe à transplanter. Cela déchargerait aussi les familles de décisions impossibles à prendre au moment où vient de survenir un événement dramatique.
J'ai personnellement vécu à deux reprises cette situation. Mon frère est décédé d'un accident. Seul son cerveau avait été touché, il aurait pu subir un prélèvement d'organes. Aucune équipe médicale ne nous a demandé notre avis. Si on nous l'avait alors demandé, dans l'état de choc où nous nous trouvions, nous aurions sûrement refusé. Quelques mois plus tard, un de mes cousins est décédé faute d'obtenir une transplantation qu'il attendait depuis plus de dix ans…
Porter certaines de ces informations sur la carte Vitale permettrait d'alléger les lourdeurs administratives et de sauver énormément de vies.
Avis défavorable. Porter sur une carte qui n'est pas secrète, mais dont la personne se sert souvent, le fait qu'elle refuse le prélèvement peut être un élément discriminant, voire stigmatisant.
Mieux vaut s'en tenir à la solution proposée par M. le ministre, qui est d'indiquer sur la carte que la personne a été informée, et conserver le registre des refus, qui est secret et que l'on peut consulter à tout instant.
Même avis.
Au nom de mon groupe, j'appuie la position de M. Leonetti. La carte Vitale est un document essentiellement administratif. Si l'on veut y porter d'autres indications, il serait plus efficace de savoir quels médicaments prend la personne et de quelles allergies elle souffre. Cela renvoie à un usage quotidien. La question du don d'organes est déjà à un autre niveau.
Une carte Vitale passe dans les mains du médecin, du pharmacien, de l'infirmier, du kinésithérapeute, du dentiste. La personne a droit de ne pas vouloir que tous les professionnels de santé sachent si elle a ou non accepté de donner ses organes. Dès lors qu'on met en place un DMP, c'est celui-ci qui doit contenir ce type d'informations. Pour utiliser tous les jours des cartes Vitale, je peux vous assurer que ce n'est pas le support idoine.
Je partage également l'avis du rapporteur. Mais j'observe que Mme Irles nous a dit, à propos du cas qu'elle a décrit, que la famille n'avait pas été consultée. On sait qu'il y a une grande disparité dans le taux de donneurs selon les régions. Cela tient à l'attitude des professionnels qui prélèvent et des médecins coordinateurs. Nous devons nous interroger sur le fait que dans certaines régions il n'y a pas assez de prélèvements.
Monsieur le rapporteur, par cet amendement je ne veux pas instituer un registre négatif mais au contraire un registre positif.
Cet amendement tend à porter la mention « donneur d'organe » sur le DMP.
(L'amendement n° 10 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 5 sexies est adopté.)
Il est de coordination.
(L'amendement n° 33 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 6, amendé, est adopté.)
Le prélèvement des cellules hématopoïétiques de sang de cordon et de sang placentaire représente une grande avancée dans le traitement des maladies du sang et de la moelle. Ces produits faciles à prélever peuvent être conservés dans des banques agréées pour pallier le manque de donneurs de moelle compatibles.
Le comité consultatif national d'éthique a d'ailleurs publié dès 2002 un rapport qui indiquait que « l'avantage des cellules de sang de cordon dans le cadre des greffes allogéniques sur les cellules souches de moelle osseuse repose sur leur jeunesse, leur caractère immature qui diminue le risque de rejet immunologique, même en cas de compatibilité HLA imparfaite, et réduit aussi la réaction du greffon contre l'hôte. »
Des prélèvements de sang de cordon sont déjà effectués en Île-de-France dans les services des hôpitaux Trousseau et Debré et à l'hôpital franco-britannique.
Conscientes des propriétés de ces cellules, des sociétés étrangères privées qui en stockent déjà, auraient approché de nombreux parents dans les maternités françaises pour qu'ils leur cèdent ces produits contre une rémunération pouvant aller jusqu'à 2000 euros.
Nous devons veiller à la sauvegarde des principes éthiques du don anonyme et gratuit et résister à la demande de certains de conserver ces cellules pour une éventuelle utilisation personnelle.
Seul le cas prévu par la présente loi, c'est-à-dire le don dédié à un frère ou une soeur déjà né et qui fait face à une nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée, peut faire l'objet d'une dérogation.
Même si la disposition prévoyant la création d'espaces dédiés à ces dons a été supprimée par la commission des affaires sociales, nous devons rester vigilants sur d'éventuelles dérives toujours possibles.
Toutes les garanties doivent être prises pour empêcher la constitution de banques autologues en vue d'une utilisation ultérieure par les donneurs. De telles perspectives aiguisent les appétits de sociétés privées alors qu'elles seraient sans objet au plan thérapeutique.
Cultivant la peur, ces sociétés sans scrupules pourraient proposer aux parents de stocker ces cellules à des prix très élevés. Dans le rapport que je mentionnais, le CCNE déclarait : « il n'y a pas d'indication de transfusion à un enfant, de cellules souches provenant du sang placentaire conservé à partir de son propre cordon ombilical. Les publicités pour la constitution de telles banques créent à dessein une ambiguïté entre cette absence d'indication et l'utilisation potentielle future des propriétés des cellules souches. […] La conservation du sang placentaire pour l'enfant lui-même apparaît comme une destination solitaire et restrictive en regard de la pratique solidaire du don. Il s'agit d'une mise en banque de précaution, d'une capitalisation biologique préventive, d'une assurance biologique dont l'utilité effective, dans l'état actuel de la science, apparaît bien modeste. […] Une autoconservation systématique, en dehors d'une justification médicale exceptionnelle, nie le don et constitue un obstacle à la constitution de banques pour les autres ».
Je tenais à appeler attention de notre assemblée sur ces sujets essentiels pour notre société.
Je suis saisie d'un amendement n° 107 .
La parole est à Mme Catherine Génisson.
Madame la présidente, si vous le permettez je soutiendrai en même temps l'amendement n°106 .
Il s'agit de deux amendements d'appel.
En France, le don du sang est anonyme et gratuit, mais tel n'est pas le cas dans d'autres pays européens. Nous voulons savoir comment le Gouvernement compte préserver ce que j'appelle le « don éthique » – même si l'expression peut paraître étrange car a priori tout don est éthique.
Le sang collecté donne lieu à un commerce une fois que toutes les vérifications relatives à la validité du don ont été effectuées. Cela concerne les hématies et les plaquettes, mais aussi le plasma. Ce composant du sang fait l'objet d'une très forte concurrence, en particulier entre les pays européens, qui s'explique notamment par les différences de statuts juridiques du prélèvement. L'Établissement français du sang nous a alertés à ce sujet.
Le Gouvernement peut-il nous donner sa position ?
Mme Génisson vient de parler d'amendements d'appels : la commission y est défavorable puisque de tels amendements n'ont pas vocation à être votés. Ils sont seulement déposés afin que leurs auteurs puissent interroger le Gouvernement.
Seuls les médicaments dérivés de sang issu de prélèvements non rémunérés peuvent bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché en France.
À titre exceptionnel, un médicament dérivé de sang issu de plasma dont le prélèvement a été rémunéré peut recevoir une autorisation de mise sur le marché lorsqu'il apporte une amélioration en termes d'efficacité ou de sécurité thérapeutique, ou lorsque des médicaments équivalents ne sont pas disponibles en quantité suffisante sur le marché français.
À la suite du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales sur les conditions de l'autosuffisance en produits sanguins du marché national, j'ai demandé aux services d'engager une réflexion sur les moyens de renforcer nos principes éthiques en matière de médicaments dérivés du sang. Toutefois, ces médicaments sont soumis à la directive européenne 200183CE instaurant le code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, qui consacre la libre circulation des médicaments. Une saisine de la Commission européenne est donc nécessaire pour garantir la sécurité juridique des mesures envisagées, soit en obtenant la confirmation de la compatibilité de ces mesures avec la directive, soit en demandant l'évolution de cette dernière.
À ce stade, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements.
Madame la secrétaire d'État, je comprends que vous répondiez sur le terrain juridique en faisant référence à la directive européenne, cependant il ne faut jamais manquer l'occasion de rappeler qu'en France s'applique un grand principe : l'indisponibilité du corps humain.
Fondé sur l'article 16 du code civil, ce principe, auquel l'ensemble des fédérations de donneurs est très attaché, emporte un certain nombre de conséquences ; il explique que, dans notre pays, le don soit gratuit, anonyme et altruiste.
J'estime qu'il faut à tout prix promouvoir le modèle français selon lequel le corps et ses dérivés ne sont pas à vendre. Il faut clairement affirmer que le corps humain n'est pas une marchandise.
Dans cet esprit, je partage la position de Mme Fraysse sur la limitation – pour ne pas dire l'interdiction – des banques de sang de cordon autologue. Il ne doit pas être possible de conserver le sang du cordon pour un usage personnel : on doit pouvoir donner. Ce geste de solidarité est le fondement de la mutualisation ; dans notre pays, il constitue l'essence du don.
Il faut préserver ce modèle et ne pas laisser l'argent s'immiscer dans ce qui fait notre raison d'être.
Mme la secrétaire d'État, je vous remercie pour votre réponse, mais elle me semble incomplète.
Vous avez évoqué le code communautaire relatif aux médicaments et l'éventualité d'une saisine de la Commission, mais quelle est la position du Gouvernement sur le contenu excessivement libéral de l'actuelle directive ?
La situation devient délicate : nous posons des questions essentielles et nous n'avons pas de réponse de la part du Gouvernement !
Certes, il y a la directive mais de deux choses l'une : soit elle est transcrite en droit interne, soit le Gouvernement saisit la Commission européenne. Madame la secrétaire d'Etat, auriez-vous l'amabilité de nous dire ce qu'il en est ?
Faut-il vous rappeler que la gratuité du don est le principe même qui fonde les valeurs éthiques du don dans notre pays ?
À titre exceptionnel, nous pouvons avoir recours à des produits ayant donné lieu à un prélèvement rémunéré. Il a été demandé aux services de réfléchir à un renforcement de l'éthique qui doit encadrer ces pratiques.
Par ailleurs, une saisine doit s'opérer au niveau européen car cette question dépasse les frontières. Elle nécessite la mise en place d'une réglementation transeuropéenne.
(Les amendements nos 107 et 106 , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
(L'article 7 est adopté.)
Avec l'article 9 nous abordons la question du diagnostic prénatal, ce qui me donne l'occasion de parler du principe de précaution et, sans mauvais jeu de mots, des risques que l'on court à en abuser.
Si l'on pratique le diagnostic prénatal de façon trop systématique et trop propre à stimuler les angoisses d'une future mère, on a des chances de lui faire courir des risques plutôt que de la protéger, elle et son futur enfant.
Je veux parler de l'eugénisme, c'est-à-dire de la volonté toujours plus forte de nos contemporains de mettre au monde un enfant zéro défaut, un enfant parfait. Cette aspiration me semble être une faute.
C'en est une au regard de la philosophie humaniste. Toutes les philosophies humanistes reposent sur l'idée que l'homme est un être à la fois fini et imparfait. Cette idée court depuis Pascal, selon qui l'homme n'est ni ange ni bête, jusqu'aux magnifiques analyses de Claude Lévi-Strauss sur Œdipe. Entre être chtonien et dieu, Œdipe ne marchait pas droit : il n'était pas parfait ; il était un homme avec ses défauts.
En dehors du champ de la philosophie, d'autres réflexions plus concrètes rejoignent cette analyse. Axel Kahn a déjà été cité ; je veux à mon tour m'appuyer sur ses analyses. Chacun sait qu'il est partisan de l'IVG et que ses choix spirituels ne l'ont pas poussé à s'opposer à cette pratique. Il n'en demeure pas moins qu'il dénonce un mécanisme qu'il appelle de façon extrêmement fine le « maléfice du doute ». Selon lui, dans un passé relativement récent, il existait encore entre le médecin et la parturiente un préalable favorable en faveur de la vie, un choix pour la vie, à laquelle on accordait le bénéfice du doute.
Or, tel qu'il nous est soumis, le projet de loi nous fait courir un risque – et un certain nombre d'amendements et de sous-amendements ne modifient en rien les choses. Il se trouve, en effet, à la croisée du mythe de l'enfant dépourvu de toute malfaçon et de l'extension du concept de responsabilité des professionnels. Axel Kahn observe en effet qu'un avortement volontaire injustifié ne comporte aucun risque pour le praticien, alors que la naissance d'un enfant handicapé peut avoir pour lui de redoutables conséquences.
Mes chers collègues, je veux simplement appeler votre attention sur le fait que la conséquence de trop de précautions peut être un grand risque : celui d'une mort parfaitement inutile et odieuse.
Je suis l'auteur d'un amendement adopté en première lecture qui dispose que si l'information doit s'adresser à tous, le dépistage ne doit pas être systématiquement proposé ni, surtout, systématiquement effectué.
Au-delà du dépistage de la trisomie, j'anticipais sur un futur que nous imaginons tous : à terme, il est probable qu'une simple analyse du sang de la mère permettra, à partir de cellules de l'enfant, de disposer du génome complet de ce dernier. Il sera alors possible d'établir une fiche listant la prévalence de telle ou telle maladie chez le futur enfant.
Dans ces conditions le dépistage total obligatoire n'aurait pas lieu d'être et on n'aurait pas à tirer les conséquences de données qui ne constituent que des aléas de la vie. Le doublement du risque d'infarctus ou de cancer peut sembler significatif pour une mère mais, en fait, si l'on passe d'une chance sur cinquante mille à une chance sur vingt-cinq mille, la probabilité reste très faible. Avec les progrès de la science, nous devrions pouvoir faire la part de ce qui doit être dépisté – ce qui a un impact fort sur l'enfant à naître et sur la mère – et ce qui n'a qu'une incidence mineure.
L'amendement que j'ai défendu s'appuyait sur le fait que l'évolution des connaissances scientifiques était de nature à avoir une influence sur l'information donnée à la mère et sur le dépistage qui ne devait pas être systématique. Mais cet amendement a été compris, notamment par certains groupes de gynécologues, comme signifiant que chaque médecin, en fonction de ses convictions, pouvait soit donner l'information à la femme enceinte et lui proposer des tests de dépistage, soit ne pas le faire. Or cette interprétation n'est pas conforme à mes intentions. De plus, elle transforme en choix individuel du médecin ce qui doit, au contraire, relever de la loi applicable à tous, du respect du libre choix de la femme et du devoir d'information.
En conséquence, je vous propose une modification de l'article 9, qui reprend les règles du code de déontologie et affirme que toute femme enceinte reçoit une information qui n'est pas standardisée. Cette information doit être claire, pour que la femme puisse user de son libre arbitre, loyale, afin d'éviter que certaines femmes soient orientées vers une décision sans pouvoir réellement choisir, et appropriée, car les circonstances dans lesquelles l'information est donnée varient d'une femme à l'autre. Quant aux tests de dépistage, ils doivent être effectués à la demande de la femme : là encore, c'est elle qui décide en fonction de son libre arbitre. Tout à l'heure, on a indiqué qu'une femme sur cinq refusait les examens qui lui sont proposés ; elle en a le droit, c'est son libre choix.
Mon amendement 34 vise donc à assurer aux femmes enceintes une information totale et conforme aux règles de la déontologie médicale – l'ensemble de nos confrères ne devraient donc pas être choqués –, afin qu'elles soient parfaitement éclairées et puissent ainsi user de leur libre arbitre au moment de prendre leur décision. Car il faut être parfaitement éclairé pour pouvoir décider librement.
Notre collègue Vanneste a parfaitement rappelé les termes du débat : nous avons, de fait, une pratique de nature eugéniste et nous devons saisir l'occasion que nous offre ce texte au moins pour réfléchir à cette question et atténuer cette pratique.
Lors du débat qui s'est déroulé en commission sous votre autorité, monsieur le président de la commission, et en présence de M. le rapporteur, il m'a semblé déceler une certaine sensibilisation à cette question. Je me souviens en particulier du propos de Mme Génisson, qui ne niait pas la réalité du risque d'une telle dérive. Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir ce que nous faisons pour respecter l'article 16-4 du Code civil, qui, je le rappelle, dispose que « toute pratique eugéniste tendant à l'organisation de la sélection de personnes est interdite ».
Tout d'abord, pour la plupart des maladies, le dépistage aboutit à une prise en charge curative. Or, tel n'est pas le cas pour la trisomie 21 : en l'état de nos connaissances, nous ne savons pas soigner cette maladie. Le dépistage prénatal de la trisomie 21 ne peut donc aboutir qu'à une alternative redoutable : soit on garde un enfant que l'on sait différent des autres, soit on choisit l'avortement.
Ensuite, le dépistage systématique n'existe, actuellement, que pour la trisomie 21. On montre ainsi du doigt une population. Or, qu'est ce que l'eugénisme, sinon l'identification d'une population en vue d'organiser sa disparition ?
Par ailleurs, nous plaçons les futures mères dans une situation extrêmement difficile. Il ne s'agit pas, en l'espèce, d'un eugénisme d'État, puisqu'il n'y a pas d'obligation, mais les femmes sont seules à décider. Il faut donc qu'elles bénéficient de tout le soutien, non seulement de leur conjoint – c'est une affaire privée –, mais aussi du médecin. Celui-ci ne doit donc pas être qu'un émetteur d'informations ; il doit délivrer des conseils avisés et adaptés aux circonstances. À défaut, la femme est seule face à ses responsabilités : si elle refuse le diagnostic, « c'est son affaire » ; si, une fois que celui-ci est établi, elle refuse l'avortement, « à elle d'assumer »... De fait, on impose à l'ensemble des parents d'assumer seuls ce choix que l'on imagine extrêmement difficile et qui aboutit, dans 92 % des cas, à un avortement.
Il faut que nous parvenions à mettre fin à cette situation dans laquelle les parents qui gardent un enfant trisomique sont considérés par les uns comme des héros, par les autres comme des déviants. Ces parents, nous devons les assister, les soutenir, les reconnaître. En tout état de cause, ils ne doivent pas se sentir honteux d'être passés à travers les mailles du filet, d'avoir un enfant qui, si l'on obéit à la logique de l'enfant « zéro défaut », n'aurait pas dû être de ce monde. Sachez en outre que l'enfant que ces parents ont su accueillir peut leur donner beaucoup de bonheur et d'amour. J'assistais, il y a quelques jours, à un concert donné par un orchestre dans lequel se produisaient de jeunes trisomiques. Ils concouraient à la production d'une musique qui n'était certainement pas parfaite, mais qu'ils avaient manifestement plaisir à jouer. Donc, ne faisons pas de ces trisomiques des monstres qu'il faudrait refuser. Sachons en faire des enfants qui, bien que n'étant pas comme les autres, ont le droit d'être heureux dans un cadre familial, en évitant, dans la mesure du possible, de les stigmatiser.
Votre amendement, monsieur le rapporteur, me semble préférable au texte émanant du Sénat. Toutefois, je crois que nous pourrions aller au bout de la logique que vous assumez, en revenant au texte de la première lecture. Tel est l'objet de mon sous-amendement, qui vise à ajouter, après le mot : « reçoit », les mots : « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». En effet, la mère doit être particulièrement alertée lorsqu'elle est âgée, car on connaît le lien statistique entre l'âge de la mère et la probabilité que l'enfant soit atteint de trisomie. En revanche, on ne doit pas présenter les choses de la même manière à une jeune femme, car le risque que son enfant soit atteint de trisomie est très différent, et si nous agissions de la même manière, nous serions dans l'optique du « zéro défaut ».
Puisque vous souhaitez, monsieur le rapporteur, que nous en revenions à la logique de l'amendement que nous avions voté en première lecture, allons au bout de cette logique.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir le sous-amendement n° 114 .
Mon sous-amendement est plus modeste. Je ne reviendrai pas sur le mythe de l'enfant sans défaut ni sur les risques d'eugénisme qui ont été largement exposés tout à l'heure et en première lecture. Je souscris à l'approche de notre rapporteur. Il faut en effet promouvoir la liberté de choix de la femme enceinte, en lui garantissant une information « loyale, claire et appropriée ». Mais, puisque, dans l'amendement n° 34 , notre rapporteur reprend les termes de l'article R. 4127-35 du code de la santé publique, je propose qu'on le fasse avec exactitude et que l'on ajoute, après le mot : « appropriée », les mots : « à son état ». Il s'agit en effet, ici, de tenir compte de la personnalité de la femme enceinte et de personnaliser l'information qui lui est donnée.
La parole est à M. Dominique Souchet, pour soutenir l'amendement n° 96 .
Les amendements nos 34 et 96 ont le même objet : il s'agit de prévenir le risque de dérive eugénique que comporterait le dépistage systématique. Les deux rédactions sont assez proches, mais j'ai souhaité, pour ma part, qu'il soit fait explicitement référence, dans l'article 9, aux articles pertinents du code de déontologie relatifs à la fois à la prescription médicale et à la nature du droit à l'information du patient. Cette référence me paraît en effet préférable à l'extrait de ces articles qu'a proposé Jean Leonetti.
Monsieur Souchet, l'amendement n° 34 me paraît plus lisible que celui que vous proposez, dans la mesure où il établit bien l'équilibre entre, d'une part, l'information systématique et, d'autre part, le dépistage non systématique.
Monsieur Le Fur, j'avais moi-même déposé, en première lecture, l'amendement auquel vous souhaitez que nous revenions. Puisqu'il a jeté le trouble et la confusion et donné lieu à de mauvaises interprétations, j'ai voulu le clarifier et expliciter l'interprétation que nous en avions.
Monsieur Gosselin, le code de déontologie dispose que la femme enceinte reçoit, non pas une information appropriée « à son état », comme vous le proposez, mais une information appropriée « sur son état ». Il est en effet fait référence, dans le code, à l'information que l'on donne généralement au malade sur sa pathologie. Or, en l'espèce, l'information doit porter, non pas sur le fait que la femme est enceinte, mais sur le risque que l'enfant soit porteur d'une maladie. Le terme « appropriée » seul me paraît donc plus justifié, dès lors qu'il s'agit, non pas d'une patiente, mais d'une parturiente.
Enfin, je précise que Xavier Breton, qui avait déposé un amendement similaire au mien, et moi-même avons fusionné nos deux amendements. L'amendement n° 34 me semble ne pas dénaturer notre volonté initiale et clarifier les choses. Chacun, sur ces bancs, souhaitait que l'information soit systématique, mais que le dépistage ne le soit pas. En effet, tout ce qui est possible en médecine n'est pas forcément souhaitable, et peut-être aurons-nous demain des moyens de dépister des pathologies que nous ne souhaiterons pas proposer systématiquement à l'ensemble des femmes enceintes.
Je souhaiterais rassurer mon collègue Le Fur : il ne s'agit pas d'éliminer une seule sorte d'embryons, ceux qui sont porteurs de la trisomie 21. Le diagnostic anténatal permet en effet de dépister bien d'autres pathologies, notamment les anomalies du tube neural.
Par ailleurs, vous dites que la décision revient à la mère seule. Hélas ! c'est bien souvent la mère seule qui accompagnera et élèvera tout au long de sa vie cet enfant, notamment dans le cas, fréquent, d'une famille monoparentale. C'est pourquoi l'information et l'aide de la société sont nécessaires. C'est parce que la société n'aide pas les mères à élever leurs enfants handicapés que, parfois, celles-ci ne se sentent pas la force de les accueillir. La réponse réside donc surtout dans l'accueil, plutôt que dans une volonté de ne pas informer. L'information des femmes enceintes leur permettra, par exemple, de rencontrer des associations, afin de savoir ce que représente l'accueil d'un tel enfant. Peut-être, alors, auront-elles la force nécessaire. Du reste, des personnes adoptent de petits enfants trisomiques, et cela se passe très bien.
Une femme peut donc décider de garder l'enfant, et être suffisamment aidée par la société pour cela. Mais pourquoi vouloir lui refuser l'information ? Les termes employés par le rapporteur dans son amendement sont tout à fait conformes à la déontologie. Celui-ci est rédigé, comme le dit le serment d'Hippocrate, « avec tact et mesure ». C'est pourquoi je vous encourage à le voter.
J'ai l'impression qu'on ne se dit pas les choses franchement, et je le regrette. L'amendement du rapporteur me paraît déjà en retrait par rapport au texte initial, qui dit, au troisième alinéa de l'article 9, que « le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales, y compris l'échographie obstétricale et foetale, ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité. » C'est dans ce cadre que nous menons notre réflexion, et ce n'est qu'au quatrième alinéa qu'il est précisé que « des examens de biologie médicale et d'imagerie permettant d'évaluer le risque que l'embryon ou le foetus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de la grossesse sont proposés à toute femme enceinte au cours d'une consultation médicale. »
Je ne vois pas où est le problème lorsqu'on se trouve face à une telle situation. Certes, l'amendement du rapporteur constitue un recul, une concession par rapport au texte initial. Mais depuis ce soir, j'ai l'impression que le débat n'est plus aussi serein, franc et tranquille qu'il l'a été durant toute la mission d'information : je sens que des menaces pèsent, de votre côté, qui empêchent certains d'entre vous d'aller au bout de leurs convictions et de dire librement ce qu'ils auraient dit autrement. J'apprécie d'autant plus l'intervention de notre collègue Vialatte qui, lui, sur la question de la recherche de l'embryon, a maintenu sa position initiale. Mais cette constance devient de plus en plus rare sur les bancs de la majorité, ce que je trouve préoccupant. Nous avions pris l'habitude de discuter sereinement sur les thèmes de la bioéthique, sans que des positions dogmatiques ou partisanes viennent fausser le débat, et je trouve très dommage que les choses soient en train de changer.
Le sous-amendement n° 113 précise que l'information est donnée à la femme enceinte « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Franchement, comment peut-on penser que le médecin ne va pas, de lui-même, faire des propositions adaptées à la situation ? La seule motivation que l'on puisse trouver à ce sous-amendement est la volonté de peser sur les décisions du médecin. Ce faisant, on remet donc en cause à la fois la liberté de la femme enceinte et celle du médecin.
Les situations susceptibles de se présenter sont extrêmement diverses, tant en ce qui concerne les pathologies pouvant être détectées – il n'y a pas que la trisomie 21 – qu'en ce qui concerne l'accueil que les familles sont en mesure de réserver à l'enfant à naître. Au bout du compte, c'est à la mère de décider ce qu'elle doit faire quand elle se trouve face à cette situation difficile.
Je suis navré de constater qu'au lieu d'avancer, on recule dans ce débat. Comment avoir envie d'aller au bout d'un échange constructif, quand on sait que les jeux sont joués d'avance ? Cela ne me paraît pas acceptable lorsqu'on débat sur des questions d'une telle importance.
Je veux dire à M. Le Fur qu'il ne faut pas s'arrêter sur un instantané. Vous avez vu un groupe de personnes porteuses de la trisomie 21 jouer de la musique et vous avez considéré que finalement, ces personnes s'en sortaient plutôt bien. Mais avez-vous demandé à leurs parents si un dépistage avait été pratiqué avant la naissance de leurs enfants, et quelle avait été leur décision ?
Il n'y a rien d'effrayant dans ce que je dis.
J'ai accompagné un groupe de handicapés mentaux à l'Assemblée. Bien sûr, une fois que l'enfant est là, les parents font tout pour que les choses se passent le mieux possible, mais arrêtez de dire que c'est une vie facile pour les parents !
Ces parents vivent dans l'angoisse en se demandant ce que vont devenir leurs enfants lorsqu'eux-mêmes ne seront plus là.
Pourquoi suis-je favorable à un dépistage systématique en imagerie ou en biologie ? Parce que toutes les pathologies ne donnent pas forcément lieu à l'eugénisme à tous crins que vous dénoncez. Certaines pathologies peuvent être traitées et nécessitent parfois une prise en charge médicale dès les premiers instants de la naissance – je pense à cette malformation que l'on appelle communément bec-de-lièvre. Dans ce cas, il est important de prévenir les parents que l'enfant pourra éventuellement leur être retiré dès sa naissance afin de faire l'objet d'une intervention immédiate. D'une certaine manière, votre position n'est pas très humaniste, puisqu'elle aboutit à priver certaines familles d'être préparées à ce qu'on leur enlève leur enfant dans les minutes qui suivront sa naissance, du fait de problèmes cardiaques, rénaux, pulmonaires ou autres, nécessitant une opération urgente. J'ai personnellement pu constater la différence entre une famille préparée à une telle situation et une autre qui ne l'avait pas été, ce qui m'a fait prendre conscience de l'importance de la préparation lorsque celle-ci est possible.
Cessez de parler d'eugénisme, monsieur Le Fur : nous défendons simplement une position humaniste.
Le lourd silence qui pèse sur notre hémicycle montre que nous évoquons un sujet grave. Vous avez évoqué, monsieur Le Fur, un orchestre dans lequel jouaient des personnes trisomiques. Chacun d'entre nous a sans doute un exemple semblable en tête et je pourrais, pour ma part, vous citer une compagnie théâtrale à laquelle prennent part des personnes handicapées et dont la qualité artistique est reconnue. Je suis également une amie de la famille de la jeune Eléonore, porteuse de la trisomie 21, dont nous avons beaucoup parlé ces derniers temps. Je suis donc parfaitement consciente du fait que le sujet n'est pas simple.
Comme le disait M. Vaxès, alors que nous avions été habitués à débattre en confiance en dépit de nos divergences d'appréciation, nous avons aujourd'hui le sentiment que le débat est biaisé, c'est-à-dire que certains se sentent obligés de défendre une autre position que celle qui est réellement la leur, plutôt que de défendre loyalement ce qui correspond à leurs convictions profondes.
L'amendement présenté par le rapporteur s'éloigne sensiblement de la rédaction de l'article 9 tel qu'il a été voté au Sénat. M. Leonetti défend une information systématique, alors que le Sénat s'est prononcé en faveur de la mise en oeuvre de tous les examens nécessaires à une prise de décision par la femme concernée. Notre groupe est favorable à la rédaction du Sénat, tout en considérant qu'il est nécessaire de prévoir un accompagnement fort de la femme ou du couple concerné, de nature à leur permettre de prendre la décision la plus adaptée.
Je me suis insurgée, lors des débats de la mission d'information et de la commission spéciale, contre le fait que des décisions aient été prises sans qu'il y ait débat. Pour autant, le débat ne préjuge aucunement de la décision prise, ne serait-ce qu'en raison du fait qu'une même anomalie peut avoir des conséquences extrêmement variables. Ainsi, certaines personnes porteuses de la trisomie 21 peuvent avoir une vie sociale et professionnelle normale…
…alors que d'autres ont une activité physique et intellectuelle extrêmement réduite, le handicap mental pouvant d'ailleurs être aggravé par des problèmes physiques importants, notamment des malformations cardiaques – qui, de nos jours, peuvent néanmoins être opérées avec succès.
Il me paraît très important de permettre à la femme ou au couple concerné de prendre sa décision en toute connaissance de cause, c'est-à-dire en étant en possession de tous les éléments cliniques, et en bénéficiant d'un accompagnement psychologique adapté – qui, à mon avis, a souvent fait défaut ces derniers temps.
J'ai indiqué tout à l'heure les raisons pour lesquelles je considère que parler d'eugénisme est un abus de langage. Sur un débat de cette importance, nous devons nous garder d'employer des termes inappropriés.
Comme l'a dit Mme Lemorton, le diagnostic prénatal peut aboutir à des traitements à la naissance, mais aussi in utero – par une greffe de cellules, par l'administration de corticoïdes ou d'autres médicaments –, qui peuvent permettre à l'enfant de naître avec une amélioration de son état.
Nous ne voterons pas ces amendements, le texte du Sénat nous paraissant préférable, dans la mesure où il est précis et n'induit pas de pressions sur la femme : il dit simplement que des examens sont proposés à toute femme enceinte au cours d'une consultation médicale. Ajouter des indications qui ne font que reprendre le code de déontologie est superflu. Vouloir préciser que l'information donnée à la femme enceinte est « loyale, claire et appropriée » me paraît même choquant, car cela sous-entend que dans certains cas, la consultation médicale aboutit à une information déloyale, obscure et inappropriée !
Si je lis bien le texte qui nous est proposé, dans tous les cas où l'embryon ou le foetus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de la grossesse, il faut qu'une information loyale, claire et appropriée soit donnée à la femme enceinte. Est-ce à dire que dans tous les autres cas, il n'est pas nécessaire de fournir une information loyale, claire et appropriée ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ce texte est à la fois très ambigu et superflu, puisque figurant déjà dans le code de déontologie médicale. Personnellement, je ne connais pas un médecin qui ne se sente pas l'obligation d'informer sa patiente comme il se doit lors d'une consultation.
Le texte initial, qui n'induit pas de pressions et laisse la femme enceinte totalement libre de son choix, ne souffre pas des ambiguïtés que nous risquerions d'introduire avec l'un ou l'autre des amendements en cours de discussion.
Je veux simplement dire que les termes de l'amendement proposé par le rapporteur me paraissent équilibrés et parfaitement choisis. Comme l'a dit Mme Antier, ils respectent la liberté de la femme et son droit à l'information. C'est un choix éclairé qui est proposé à la femme, dans le respect des principes éthiques de base de la médecine. Je soutiens cet amendement s'adressant à toute femme enceinte, qui a droit à un dépistage et au respect de son autonomie.
J'aimerais revenir brièvement sur les propos de Michel Vaxès, sans esprit de polémique et tout à fait amicalement, car j'apprécie toujours les interventions tout en retenue de notre collègue, notamment celles qu'il a faites lors de la mission d'information sur les lois de bioéthique. Je veux lui dire qu'au sein de ma famille politique, chacun est libre de s'exprimer comme il l'entend. Cela se voit tous les mardis après-midi, lors des votes solennels ; cela s'est vu lors du vote de ce texte en première lecture et cela se verra encore lors du vote en deuxième lecture ! Je lui demande donc, et le remercie d'avance, de ne pas interpréter les prises de parole ou les silences de mes collègues.
Pour aller dans le même sens, j'ajouterai que l'on peut avoir un dialogue avec soi-même et évoluer en écoutant les autres. C'est du moins ce que nous faisons dans cette partie de l'hémicycle, et je ne doute pas que, à un moment ou à un autre, l'esprit soufflant – au sens laïque du terme, rassurez-vous ! –, il puisse parvenir jusqu'à vous ! (Sourires.)
Cela étant, et plus sérieusement, il est bien évident que les familles doivent être préparées. La situation dans laquelle elles se trouvent est extrêmement difficile et angoissante ; elles ressentent la peur du lendemain. Chacun connaît des situations aussi douloureuses dans son entourage familial, amical, voire professionnel, ce qui nous amène à beaucoup de modestie. Mais, au-delà de ce constat, il faut aussi que la société accepte la différence et soit prête à accueillir le handicap. C'est là un vrai débat, qui reste permanent.
Pour revenir sur les propos de notre rapporteur, j'avais proposé un sous-amendement n° 114 visant à compléter son amendement par les termes : « à son état ». La réponse que Jean Leonetti m'a fournie me permet de comprendre qu'il s'agit bien de s'adapter à des cas très particuliers en fournissant une information suffisamment personnalisée. À partir du moment où il n'y a pas de doute, je retire mon sous-amendement et me rallie très volontiers aux trois éléments présentés préalablement. Le sous-amendement aura au moins permis de mettre le doigt sur cette difficulté.
Je voudrais d'abord revenir sur l'utilisation du terme « eugénisme ». C'est en effet un mot que nous devons utiliser avec beaucoup de précautions. C'est pourquoi je me permettrai de lire le rapport établi par M. Leonetti, qui cite une étude du Conseil d'État, intitulée La Révision des lois de bioéthique et datée de mai 2009, selon laquelle les conditions d'accès au diagnostic prénatal, centrées sur la recherche d'affection d'une particulière gravité, « ne permettent pas d'écarter totalement d'éventuelles dérives » eugéniques.
Pour le Conseil d'État, l'eugénisme « peut être désigné comme l'ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l'espèce humaine. Il peut être le fruit d'une politique délibérément menée par un État et contraire à la dignité humaine. Il peut aussi être le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents, dans une société où primerait la recherche de l'« enfant parfait », ou du moins indemne de nombreuses affections graves ».
Le Conseil d'État fait remarquer ce qui suit : « Le cas de la trisomie 21 appelle toutefois à la vigilance : en France, 92 % des cas de trisomie sont détectés, contre 70 % en moyenne européenne, et 96 % des cas ainsi détectés donnent lieu à une interruption volontaire de grossesse, ce qui traduit une pratique individuelle d'élimination presque systématique des foetus porteurs. […] Il convient de rester vigilant afin que la politique de santé publique ne contribue pas, par effet de système, à favoriser un tel comportement collectif, mais permette au contraire la meilleure prise en charge du handicap. »
Tout cela pour dire, à partir de cette étude du Conseil d'État qui est d'une grande clarté, que le terme d'eugénisme doit être utilisé avec précautions.
Par ailleurs, on constate bien un clivage dans notre assemblée. Il y a ceux qui veulent un dépistage systématique, notamment de la trisomie 21 – mais en réalité de toutes les pathologies – et ceux qui ne le souhaitent pas. Ces derniers entendent retrouver un exercice serein de la médecine entre, d'une part, un médecin qui ne vivrait pas dans la crainte d'un procès au motif qu'il n'aurait pas vu telle ou telle anomalie, et, d'autre part, une femme enceinte pour qui les premiers jours et les premières semaines d'une grossesse ne seraient pas, comme c'est maintenant le cas, synonymes de menaces et d'inquiétude mais de bonheur.
Il y a très clairement un choix à faire. Il y avait eu diverses appréciations en première lecture et nous avions souhaité écarter cette systématisation. Cela a déjà été fait dans tout le processus d'information puis de décision. Il s'agit aujourd'hui de poursuivre ce mouvement.
Je me suis rallié dès le début à la rédaction de l'amendement de notre rapporteur. Effectivement, on peut dire les choses plus clairement ; tout ce qui concourt à éviter cette systématisation va dans le bon sens. Mais il faut, pour cela, trouver une formule qui permette que la femme soit informée tout en restant ensuite complètement libre de son choix. C'est pour cela que je me suis rallié à la rédaction proposée par Jean Leonetti.
Si l'on veut définir l'eugénisme, il ne faut pas oublier l'une de ses formes encore plus évidentes, celle que pratiquait Alexis Carrel, qui éliminait les patients des hôpitaux psychiatriques en les affamant, de même que les personnes atteintes de lourds handicaps.
Si vous voulez avoir l'acception la plus large possible du terme, il faut aussi y intégrer les recommandations visant à éviter, dans notre société, les mariages consanguins. Il s'agit bien d'eugénisme car le but est d'éviter les maladies, notamment en empêchant la transmission autosomique récessive, fréquente dans les mariages entre cousins germains.
Il faudrait également inclure les pratiques de certains pays du pourtour méditerranéen consistant à diagnostiquer chez les adolescents le trait porteur de la thalassémie en vue de décourager certains mariages. C'est bien de l'eugénisme, parce que l'on dissuade des personnes porteuses de ce trait de se marier ensemble et d'avoir des enfants en raison du risque de faire apparaître la maladie. Je ne crois pas pour autant que cette pratique soit découragée ni par les États des pays concernés, ni par la plupart des mouvements spirituels.
S'agissant de l'amendement n° 34 du rapporteur, l'avis du Gouvernement est favorable. Il n'est pas inutile de réaffirmer que toute femme a le droit de bénéficier d'une information qui soit – je reprends l'expression du rapporteur – « claire, loyale et appropriée », dans la mesure où, pour toute femme, l'information doit être accessible, de manière à la conduire à une décision éclairée et qui lui appartient.
Je ne suis pas favorable en revanche au sous-amendement n° 113 visant à ajouter les mots : « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». En effet, on ôterait ce qui relève de la décision de la mère et de son conjoint sur ce qu'ils comptent faire avec l'enfant à naître.
Je suis opposée au fait que le médecin puisse décider de donner une information à telle femme, mais pas à telle autre. On sait que le risque augmente avec l'âge pour certaines pathologies. Est-ce pour autant au médecin de décider de donner une information seulement à celle pour laquelle le risque est le plus élevé ? Le rôle du médecin est d'informer et de faire de la pédagogie ; il doit s'assurer que cette information soit lisible et comprise, de façon à ce que la femme puisse décider de façon tout à fait responsable et en toute conscience. Ce n'est pas au médecin de décider pour elle. C'est la raison pour laquelle j'annonce d'ores et déjà que je serai défavorable à l'amendement n° 16 . S'agissant de l'amendement n° 96 , je trouve que sa rédaction est un peu moins claire que celle proposée par le rapporteur. J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement, au profit de l'amendement n° 34 .
(Le sous-amendement n° 113 n'est pas adopté.)
(L'amendement n° 34 est adopté.)
Nous proposons de supprimer la dernière phrase de l'alinéa 6 de l'article 9. En effet, vous voulez qu'il y ait clarté et transparence pour la femme enceinte et son conjoint ou compagnon. Mais il leur sera difficile de se prononcer dans un sens ou dans l'autre à partir du moment où vous leur imposerez des informations concernant des associations spécialisées dans la prise en charge d'enfants atteints de pathologies particulières. S'ils refusent de contacter ces associations, ils se sentiront peut-être coupables. Si au contraire ils acceptent, je serais fort étonnée que, dans ces associations, des parents leur disent que l'IVG est obligatoire, qu'ils ne peuvent pas garder cet enfant et qu'eux-mêmes vivent un enfer ! Si ces parents se sont organisés pour que leurs enfants vivent le moins mal possible, ils vont plutôt essayer de conseiller à la future mère de garder l'enfant.
Je crois donc que le fait d'imposer cette dernière phrase revient à faire subir aux couples une torture morale, qu'ils acceptent ou non d'aller voir ces associations. J'en suis quasiment persuadée, et cela quelle que soit la pathologie. En effet, vous êtes obnubilés par la trisomie 21, mais il n'y a pas qu'elle. Je pense notamment aux pathologies rénales pour lesquelles on ne connaît pas les chances de survie pour les enfants à la naissance.
Si je me réfère aux amendements que vous avez présentés, notamment à celui de M. Leonetti qui vise simplement, au fond, à rappeler le code de déontologie qui s'applique à chaque médecin dans l'exercice de sa profession, le praticien doit être seul en capacité de donner l'information sur la vie d'un enfant à venir avec la pathologie qui serait éventuellement détectée. Faire entrer les parents en contact avec des associations ne me paraît pas la meilleure solution pour arriver à la décision la plus sereine possible – je le dis avec la plus grande précaution – sur la question de savoir s'ils vont ou non garder cet enfant.
Cet amendement, identique à celui de nos collègues, vise à supprimer la dernière phrase de l'alinéa 6, qui porte sur les associations.
Les alinéas 5 et 6 de cet article 9 prévoient, dans le cas où une affection grave serait détectée chez le foetus, que le couple ou la femme enceinte soient orientés par le médecin vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal afin de recevoir, sauf opposition de leur part, « des informations sur les caractéristiques de l'affection suspectée, les moyens de la détecter, et les possibilités de prévention, de soin ou de prise en charge adaptée du foetus ou de l'enfant né. »
Cela revient à dire que les informations nécessaires à la décision du couple ou de la femme enceinte sont fournies. Pourquoi, dès lors, prévoir cette dernière phrase de l'alinéa 6, si ce n'est avec d'autres intentions que celle de créer les conditions d'une décision éclairée de la femme enceinte ?
La phrase en question éclaire la discussion que nous avions tout à l'heure. Moi non plus, mon cher collègue Jeanneteau, je ne veux pas polémiquer. Ce n'est pas mon état d'esprit. J'ai simplement exprimé ce que je ressentais et je maintiens mes propos. Je suis convaincu, sauf à voir le nez d'un certain nombre de mes collègues s'allonger, qu'on ne répondra pas à la question que j'ai posée. Je respecterai ce silence, mais je suis persuadé que je ne me trompe pas dans mon appréciation.
Cela dit, je ferme la parenthèse pour en revenir à l'essentiel. Pourquoi, si ce n'est pour peser sur la décision de la femme enceinte, l'enverrait-on, avant que cette décision soit prise, voir des associations spécialisées dans le suivi de situations postérieures à une telle décision ? Le temps médical est assorti de toutes les précautions prévues aux alinéas 5 et 6 ; et ensuite, si la femme enceinte décide de garder son enfant, il faut qu'elle soit accompagnée. Les associations doivent donc pouvoir intervenir, mais après cette décision, pas avant. Si elles interviennent avant, cela revient à faire pression, ce que je refuse. Je l'ai dit tout à l'heure : il faut respecter la liberté de la femme enceinte de prendre la décision qui convient au moment qui convient. Je fais confiance au médecin pour lui donner l'information, comme c'est d'ailleurs prévu aux alinéas 5 et 6. Je ne vois pas pourquoi on en rajoute ! Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de la dernière phrase de l'alinéa 6.
Il faut que l'information soit équilibrée, que l'on ait des propositions, non des impositions. Si, comme je l'ai entendu dire, il s'agissait d'imposer à la femme enceinte d'aller consulter une association, vous auriez raison de vous y opposer. Mais l'association peut être consultée à deux étapes, comme vient de le dire Michel Vaxès : au moment où la femme enceinte hésite, cela peut lui permettre de se faire une idée et de décider sereinement ; si ensuite cette femme décide de garder l'enfant atteint d'un handicap, qui n'est pas forcément une trisomie, l'association spécialisée pourra l'accompagner jusqu'à la fin de sa grossesse et la préparer à vivre avec un enfant pas tout à fait comme les autres.
Le texte prévoit non pas de « donner » ou d'« imposer » une liste d'associations, mais de la proposer. Il ne fait que prévoir une possibilité pour la femme enceinte de consulter ces associations. Cela ne me paraît pas être incitatif dans un sens ou dans l'autre.
On touche ici à un droit fondamental : le droit à l'information. Nous avons précédemment parlé du droit de la femme de disposer de toutes les informations sur le dépistage qui lui est proposé, mais il est maintenant question de l'information sur la maladie qui touche son enfant. Ensuite, libre à elle de poursuivre ou non sa grossesse, mais il est fondamental que l'on puisse lui proposer une liste d'associations lui permettant d'être davantage éclairée.
Les patients atteints de certaines pathologies – je pense au cancer ou au VIH – sont pris en charge médicalement, mais quand ils repartent on a à coeur de les accompagner, de ne pas les laisser tout seuls, de leur donner cette information selon laquelle des associations peuvent les renseigner, les aider à suivre un certain parcours de vie. Pourquoi en l'espèce le droit d'une patiente ne serait-il pas respecté au même titre que celui d'autres patients ? Pourquoi se priverait-on de cette occasion de donner à la femme enceinte le droit de connaître les associations susceptibles de compléter son information et de l'aider dans son parcours de grossesse ?
Si j'étais un peu malicieux je m'étonnerais de voir nos amis, toujours si prompts à défendre le monde associatif, le faire un peu moins !
Mais je ne serai pas malicieux !
Mme Lemorton disait tout à l'heure qu'il fallait préparer les familles, leur expliquer les difficultés qui les attendent. Je fais miens ces propos et je pense que si l'on permet à ces familles de rencontrer, si elles le souhaitent, des parents qui se sont constitués en associations, elles pourront mieux comprendre ce qui se passe, elles seront mieux préparées, comme vous le souhaitez. Elles pourront ainsi profiter d'un retour d'expérience, car il n'y a rien de pire que l'inconnu. Quand la nouvelle vous tombe sur la tête, vous ne savez plus quoi faire. Dans ce cas, échanger, savoir comment cela se passe sur le long terme permet de voir les choses différemment. Cette notion d'accompagnement, d'appui, est donc tout sauf cette espèce de torture, de supplice dont vous parlez. Il y a donc un vrai intérêt à maintenir cette possibilité d'échange d'informations, donc au final de mieux-vivre.
De quoi s'agit-il ? Une femme enceinte dont le foetus est atteint d'une maladie grave, d'une malformation ou d'un handicap, a le droit de choisir en son âme et conscience d'interrompre sa grossesse ou de la poursuivre, auquel cas elle devra accompagner cet enfant porteur du handicap ou de la maladie avec son conjoint. Si l'on estime nécessaire d'inscrire dans la loi qu'une liste d'associations spécialisées doit lui être proposée pour alimenter sa réflexion, il faut donner à cette femme la totalité des informations. Il faut aussi prévoir qu'elle consulte le planning familial, les organismes chargés de l'interruption de grossesse.
Si la commission spéciale a prévu cette phrase c'est justement parce que les femmes ne recevaient qu'une information : l'adresse du centre d'orthogénie.
Et le médecin avait même parfois déjà pris le rendez-vous avec le centre d'orthogénie avant même que la patiente ait eu connaissance du diagnostic. C'est donc dans le souci d'offrir un véritable choix que nous avons prévu cette disposition. En effet, dans la pratique, quand une femme se présente dans le cabinet de son obstétricien et que celui-ci lui annonce la mauvaise nouvelle, elle est bouleversée et la première des réactions est de lui prendre un rendez-vous au centre d'orthogénie le plus proche. On pourrait aussi lui dire que certaines familles élèvent de tels enfants et le fait de les rencontrer lui permettra de se rendre compte elle-même non seulement des joies que l'on peut avoir avec ces enfants, mais aussi des difficultés à les élever.
Les propos de Mme la secrétaire d'État m'ont étonné. Un amendement précédent, que nous n'avons pas voté, évoquait une « information loyale, claire et appropriée ». Le code de déontologie médicale permet de garantir une telle information ; c'est une norme vérifiable. On ne peut pas comparer les associations de patients atteints de cancer, de diabète, d'asthme, de la maladie d'Alzheimer avec les associations spécialisées dans le handicap. En effet, les malades atteints de cancer, de diabète ne sont pas devant une décision à prendre sur la suite d'une grossesse, ils doivent apprendre à vivre du mieux possible avec leur pathologie. La notion d'association de patients n'a pas du tout le même sens dans ces deux contextes.
Or le monde associatif doit normalement garantir en permanence une neutralité philosophique, religieuse et politique. C'est la loi de 1901. Mais je ne suis pas sûr que toutes les associations représentant les parents d'enfants ayant eu ce type de problème puissent être considérées comme philosophiquement, religieusement et politiquement neutres. On voit bien ce qui sous-tend ce débat. Nous avons des conceptions philosophiques, religieuses, politiques différentes de ce que sont la vie et le début de la vie. À partir de là, il est impossible de garantir que l'information que l'on va fournir en donnant une liste d'associations sera « loyale, claire et appropriée ».
Je me garderai bien de porter un jugement sur les motivations qui ont conduit à l'inscription dans le texte de cette dernière phrase, car je pense qu'elles relèvent de l'introspection intime.
Chacun est appelé à faire la sienne et à réfléchir sur ce qui le pousse à vouloir maintenir ou supprimer cette phrase.
Et puis, je voudrais vérifier s'il me reste encore quelque capacité de lecture et de compréhension des textes. Je cite les alinéas 5 et 6 de l'article 9 :
« Le prescripteur, médecin ou sage-femme, communique les résultats de ces examens à la femme enceinte et lui donne toute l'information nécessaire à leur compréhension.
« En cas de risque avéré, la femme enceinte et, si elle le souhaite, l'autre membre du couple sont pris en charge par un médecin et, le cas échéant ou à sa demande, orientés vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. Ils reçoivent, sauf opposition de leur part, des informations sur les caractéristiques de l'affection suspectée, les moyens de la détecter et les possibilités de prévention, de soin ou de prise en charge adaptée du foetus ou de l'enfant né. »
Est-ce que tout n'est pas dit ? Est-ce que le médecin ou le centre pluridisciplinaire n'est pas conduit à donner l'ensemble des explications pour que la femme enceinte prenne une décision éclairée ? Une fois qu'elle aura pris sa décision, elle sera ensuite libre de se faire accompagner par telle ou telle association.
Je maintiens – j'ai le droit d'avoir mon point de vue ! – que l'objectif de la dernière phrase de l'alinéa 6 est de peser sur la décision de la femme enceinte. (« Mais non ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Je suis complètement d'accord avec M. Vaxès. Tout était déjà dit et ajouter cette phrase introduit un déséquilibre.
M. Vialatte indiquait que, dans certains endroits, l'interruption de grossesse était presque systématiquement proposée. Oui mais, dans d'autres endroits, c'est le contraire. Certains obstétriciens, pour des raisons philosophiques ou religieuses personnelles, tentent de dissuader d'une interruption de grossesse même si le diagnostic prénatal la justifie.
Cela veut dire qu'il y a 8 % d'autres cas.
Donc, soit nous en restons au texte initial qui, comme l'a fait observer M. Vaxès, dit tout et n'a pas besoin d'être complété ; soit vous tenez à être redondants et à préciser qu'il faut une information supplémentaire et, dans ce cas, nous proposons d'élaborer un sous-amendement qui indique que les patientes pourront se voir délivrer non seulement une liste d'associations s'occupant de la pathologie en question, mais également la liste des centres de planning familial pouvant les accompagner dans l'interruption de grossesse. Si les deux propositions ne figurent pas dans la loi, cela introduit un déséquilibre susceptible de peser sur la décision et qui ne respecte pas le libre choix de la parturiente.
Monsieur Touraine, vous souhaitez donc proposer un sous-amendement ajoutant à la liste des associations une liste des centres de planning familial.
La parole est à M. le rapporteur.
Cette idée d'un complément d'information n'est pas née un beau matin du cerveau d'un député de droite, pas plus qu'elle n'a été dictée par une quelconque autorité extérieure à caractère religieux. Elle est issue des états généraux de la bioéthique. Ces états généraux ne se sont peut-être pas déroulés de manière idéale, mais chacun reconnaît que les panels citoyens qui y ont participé ont, pour émettre leurs avis, reçu au préalable une information « claire, loyale et équilibrée ». Pour émettre ces avis, ils sont restés seuls un week-end entier, sans personne pour influencer leurs décisions. Et, après avoir fait réfléchir ces citoyens tirés au hasard pendant trois week-end entiers, il était difficile de ne pas tenir compte de leurs avis.
Non, ils sont contre. Le seul élément sur lequel nous ne les avons pas suivis, c'est qu'ils souhaitaient un fichier positif des donneurs d'organes, alors que les expériences étrangères nous ont convaincus que, compte tenu de la pénurie que connaît la France, il était préférable de rester sur le dispositif antérieur, mais avec une information plus offensive. Hors ce point précis, je me suis efforcé de reprendre dans les amendements toutes les propositions faites.
Le panel – marseillais, en l'occurrence, et donc plein de sagesse ! (Sourires) – a suggéré que, lorsque cela était possible, on transmette au couple les coordonnées des associations susceptibles de compléter son information sur la maladie détectée chez l'embryon ou le foetus, estimant judicieux de le mettre en relation « avec des personnes ayant déjà été confrontées à cette expérience ou des associations spécialisées sur le sujet ».
Ce panel, je le rappelle, a été tiré au sort, et pas dans un fichier d'adhérents à l'UMP ni dans un fichier du diocèse. Il faut donc dépassionner le débat, se souvenir que cette information n'a rien d'obligatoire, qu'elle ne constitue nullement une incitation à quoi que ce soit mais que c'est une simple proposition. Cessons donc d'être dans la suspicion, car ce n'est pas dans cet esprit que nous avons travaillé. On va sans doute dire que j'essaie encore de recoller les morceaux, mais ne reprochez pas au groupe UMP d'être arrivé sur la question à un consensus : ce n'est pas un gros mot ! Et il n'est pas non plus grossier d'essayer de vous convaincre sur un aspect qui n'est pas le plus essentiel de notre débat sur la bioéthique.
Sur la gestation pour autrui ou la levée de l'anonymat sur le don de gamètes, notre débat, nourri par des arguments philosophiques forts de part et d'autre, aurait pu ne pas être aussi apaisé. Pour l'heure, nous discutons simplement de la pertinence de fournir une liste d'associations à des femmes, pleinement informées auparavant et libres de faire le choix qu'elles veulent. Revenons à la réalité : il n'y a pas l'obscurantisme d'un côté et le progrès de l'autre ! Nous proposons simplement une liste d'associations : si la parturiente en veut elle la prend, sinon non ; et si elle l'a prise parce qu'elle était impressionnée par le médecin, elle la déchire en sortant ! Vous connaissez quand même les citoyens français : ils sont encore capables d'exercer leur libre arbitre après une réflexion personnelle, surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant, qui engage votre vie tout entière. Il serait donc bon de ne pas trop infantiliser ces femmes, en imaginant que les médecins sont dotés de pouvoirs surhumains. Depuis 1968, le temps de la médecine paternaliste est révolu !
Je ne peux donc que maintenir cette proposition en l'état, les panels citoyens n'ayant pas spécifié qu'il fallait également orienter les personnes concernées vers le planning familial.
L'alinéa 6 reprend les propositions issues des états généraux de la bioéthique et avancées par des citoyens tirés au sort, ayant délibéré à huis clos pour arrêter cette suggestion qui n'est pas totalement incongrue.
Monsieur Touraine, l'amendement n° 71 aura du mal à être sous-amendé, puisqu'il s'agit d'un amendement de suppression. Il aurait donc fallu déposer un autre amendement. Or, vous savez que, malheureusement, le délai de dépôt des amendements est forclos.
La parole est à M. Marc Le Fur.
Ce débat est extrêmement intéressant, car la transmission de cette liste est tout sauf anecdotique.
Nous sommes dans la situation où une jeune femme attend un enfant et prépare son arrivée, jusqu'à ce qu'on lui annonce que cet enfant ne sera pas comme les autres. C'est un drame, et il faut que, dans ce drame, elle soit accompagnée. Certes, il y a les médecins, les experts, mais ce n'est pas une affaire d'expertise ! Face à un drame de ce genre, on veut rencontrer des personnes ayant vécu la même chose.
Ce que j'espère de ce réseau associatif, c'est qu'il contribue à faire diminuer le taux funeste de 92 % d'avortements. Cela devrait être possible en permettant aux personnes touchées de relativiser leur situation. Sans doute est-ce cette perspective qui vous trouble, monsieur Touraine, quand vous évoquez votre inquiétude face aux 8 % de grossesses menées à terme. Ce qui nous trouble, ce sont les 92 % ; ce qui semble vous troubler, ce sont les 8 %.
J'espère sincèrement qu'au-delà des listes d'associations naîtront des échanges permettant à la jeune femme de ne plus être seule et acculée à un choix redoutable. C'est ce qui se pratique avec certaines maladies graves, dont les victimes partagent des expériences identiques. Essayons donc d'éviter, grâce à ces informations et aux échanges qui en découleront, ces 92 % d'échecs.
Ce débat, même à une heure trente du matin, est essentiel. Il ne s'agit pas de faire de procès d'intention aux uns ou aux autres. Tout le monde s'est exprimé le plus clairement possible en fonction de ses convictions. La position de Marc Le Fur est respectable mais elle n'est pas forcément partagée par l'ensemble de cet hémicycle.
Pour ma part, c'est la dernière intervention de Michel Vaxès qui m'a le plus convaincu. Tout figure en effet dans le texte qu'il a lu tout à l'heure, et il me semble qu'il faudrait idéalement en rester là.
Je m'adresserai d'ailleurs une critique et concède, pour aller dans le sens de Jean-Louis Touraine, qu'il aurait fallu sous-amender l'amendement n° 71 et ajouter aux associations le planning familial. On évitait ainsi tout problème d'interprétation.
Mais les synthèses ne sont pas toujours possibles. Vos querelles de chiffres – 92 % d'un côté, 8 % de l'autre – effraient le citoyen que je suis. Cela ne m'empêche pas d'avoir entendu les arguments des uns et des autres. Et puisque cet amendement ne peut être sous-amendé, je me rallie à la position de Michel Vaxès, qui a le mérite de la clarté.
Je serai bref, mais je voudrais réagir à l'intervention de notre rapporteur. Il ne s'agit certes pas de nier la clairvoyance des Marseillais, mais encore faudrait-il bien mesurer la portée de leurs propositions. J'ignore si le planning familial faisait partie des associations pouvant être consultées, même si on peut imaginer que c'était le cas.
Jean-Louis Touraine a parlé avec raison de déséquilibre. Je rappelle que l'on parle ici de fournir une liste d'associations à la femme enceinte, alors qu'elle a déjà reçu, comme le précisent les alinéas précédents, une information complète. C'est à elle de décider ensuite quelle sera sa décision, c'est sa liberté de femme. Et il serait tendancieux de mettre en cause la capacité des médecins ou des centres pluridisciplinaires à accomplir leur devoir et à fournir toute l'information nécessaire, y compris sur une prise en charge adaptée de l'enfant après sa naissance. Tenons-nous-en donc là, et laissons la future maman ou la personne ayant décidé de d'interrompre sa grossesse choisir de se faire accompagner ou non par telle ou telle association.
Voilà ce que je souhaitais dire. J'accepte mal qu'on m'accuse de ne pas accepter la différence. Cela me fait souffrir. Je vis dans une commune où il y a 95 % d'immigrés bien intégrés pour 5 % d'autochtones. Ce n'est pas le cas partout !
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Cela n'a rien à voir !
Je suis saisie d'un amendement n°80 .
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
L'article 9 de ce texte dispose en son alinéa 7 qu'en cas de risque avéré pour le foetus, de nouveaux examens de biologie médicale et d'imagerie à visée diagnostique peuvent être proposés à la femme enceinte par le médecin. Nous souhaitons que cette proposition soit systématique dans un tel cas, la femme restant bien sûr libre de choisir d'y procéder ou non. Notre amendement tend donc à remplacer « peuvent être proposés » par « sont proposés ».
Avis défavorable car, selon les situations, un examen complémentaire n'est pas forcément nécessaire.
(L'amendement n° 80 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n°72 .
La parole est à M. Jean-Louis Touraine.
Il est défendu.
(L'amendement n° 72 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 9, amendé, est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n°73 .
La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Il est défendu.
(L'amendement n° 73 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 11 bis est adopté.)
Prochaine séance, mercredi 25 mai à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Suite de la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif à la bioéthique.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 25 mai 2011, à une heure cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma