Notre collègue Vanneste a parfaitement rappelé les termes du débat : nous avons, de fait, une pratique de nature eugéniste et nous devons saisir l'occasion que nous offre ce texte au moins pour réfléchir à cette question et atténuer cette pratique.
Lors du débat qui s'est déroulé en commission sous votre autorité, monsieur le président de la commission, et en présence de M. le rapporteur, il m'a semblé déceler une certaine sensibilisation à cette question. Je me souviens en particulier du propos de Mme Génisson, qui ne niait pas la réalité du risque d'une telle dérive. Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir ce que nous faisons pour respecter l'article 16-4 du Code civil, qui, je le rappelle, dispose que « toute pratique eugéniste tendant à l'organisation de la sélection de personnes est interdite ».
Tout d'abord, pour la plupart des maladies, le dépistage aboutit à une prise en charge curative. Or, tel n'est pas le cas pour la trisomie 21 : en l'état de nos connaissances, nous ne savons pas soigner cette maladie. Le dépistage prénatal de la trisomie 21 ne peut donc aboutir qu'à une alternative redoutable : soit on garde un enfant que l'on sait différent des autres, soit on choisit l'avortement.
Ensuite, le dépistage systématique n'existe, actuellement, que pour la trisomie 21. On montre ainsi du doigt une population. Or, qu'est ce que l'eugénisme, sinon l'identification d'une population en vue d'organiser sa disparition ?
Par ailleurs, nous plaçons les futures mères dans une situation extrêmement difficile. Il ne s'agit pas, en l'espèce, d'un eugénisme d'État, puisqu'il n'y a pas d'obligation, mais les femmes sont seules à décider. Il faut donc qu'elles bénéficient de tout le soutien, non seulement de leur conjoint – c'est une affaire privée –, mais aussi du médecin. Celui-ci ne doit donc pas être qu'un émetteur d'informations ; il doit délivrer des conseils avisés et adaptés aux circonstances. À défaut, la femme est seule face à ses responsabilités : si elle refuse le diagnostic, « c'est son affaire » ; si, une fois que celui-ci est établi, elle refuse l'avortement, « à elle d'assumer »... De fait, on impose à l'ensemble des parents d'assumer seuls ce choix que l'on imagine extrêmement difficile et qui aboutit, dans 92 % des cas, à un avortement.
Il faut que nous parvenions à mettre fin à cette situation dans laquelle les parents qui gardent un enfant trisomique sont considérés par les uns comme des héros, par les autres comme des déviants. Ces parents, nous devons les assister, les soutenir, les reconnaître. En tout état de cause, ils ne doivent pas se sentir honteux d'être passés à travers les mailles du filet, d'avoir un enfant qui, si l'on obéit à la logique de l'enfant « zéro défaut », n'aurait pas dû être de ce monde. Sachez en outre que l'enfant que ces parents ont su accueillir peut leur donner beaucoup de bonheur et d'amour. J'assistais, il y a quelques jours, à un concert donné par un orchestre dans lequel se produisaient de jeunes trisomiques. Ils concouraient à la production d'une musique qui n'était certainement pas parfaite, mais qu'ils avaient manifestement plaisir à jouer. Donc, ne faisons pas de ces trisomiques des monstres qu'il faudrait refuser. Sachons en faire des enfants qui, bien que n'étant pas comme les autres, ont le droit d'être heureux dans un cadre familial, en évitant, dans la mesure du possible, de les stigmatiser.
Votre amendement, monsieur le rapporteur, me semble préférable au texte émanant du Sénat. Toutefois, je crois que nous pourrions aller au bout de la logique que vous assumez, en revenant au texte de la première lecture. Tel est l'objet de mon sous-amendement, qui vise à ajouter, après le mot : « reçoit », les mots : « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». En effet, la mère doit être particulièrement alertée lorsqu'elle est âgée, car on connaît le lien statistique entre l'âge de la mère et la probabilité que l'enfant soit atteint de trisomie. En revanche, on ne doit pas présenter les choses de la même manière à une jeune femme, car le risque que son enfant soit atteint de trisomie est très différent, et si nous agissions de la même manière, nous serions dans l'optique du « zéro défaut ».
Puisque vous souhaitez, monsieur le rapporteur, que nous en revenions à la logique de l'amendement que nous avions voté en première lecture, allons au bout de cette logique.