La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle la discussion et le vote sur la motion de censure déposée, en application de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution, par M. Jean-Marc Ayrault, M. Gérard Charasse et cent quarante-deux de leurs collègues.
La parole est à M. Laurent Fabius, premier orateur inscrit, pour vingt minutes.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, il y a de cela un peu plus de deux semaines, M. le Président de la République réunissait le Congrès dans le cadre majestueux du château de Versailles. C'était la première fois depuis plus de cent ans qu'une intervention de ce type avait lieu.
Malheureusement, les termes de la Constitution révisée interdisant tout débat en présence du Président de la République, celui-ci n'a pas eu lieu. Vous-même, monsieur le Premier ministre, n'avez pas eu l'occasion de prendre la parole ; nous non plus. Pourtant, des sujets fort importants furent abordés.
Le lendemain, il y eut un changement de gouvernement. Nous attendions, monsieur le Premier ministre, de même d'ailleurs que M. le président du groupe UMP, que vous prononciez une déclaration de politique générale suivie d'un vote. Malheureusement, vous n'en avez pas eu l'autorisation.
C'est donc aujourd'hui, même si cela ne durera quelques dizaines de minutes, que nous aurons ce débat sur la situation générale et les propositions pour la France. La motion de censure que je défends au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, n'a pas pour objectif – je lève un suspense difficilement soutenable – de renverser le Gouvernement (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP),…
…mais d'aborder les sujets de fond. Sachant, et cela devrait tout de même faire réfléchir, qu'un grand quotidien économique nous a appris ce matin que les Français qu'il avait interrogés avaient en majorité répondu qu'ils étaient favorables à la motion de censure des socialistes.(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le Premier ministre, lorsque vous monterez à la tribune, vous ne manquerez pas de nous fournir toute une série d'explications ; mais, pour suivre toujours avec attention vos propos, je me doute déjà que vous aurez recours à un argument : le coupable de toutes les difficultés que nous traversons, c'est la crise internationale. Il est vrai que la crise internationale a une responsabilité fort importante ; mais, pour éviter toute ambiguïté entre nous, je vous renvoie immédiatement aux propos que vous avez tenus à Calvi au mois de septembre 2007, alors qu'aucune crise ne se profilait à l'horizon : « La France est en faillite ». Si ce n'était pas la crise, il fallait bien des responsables. Vous étiez au Gouvernement et la droite avec vous, depuis déjà plus de cinq ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je me situerai sur le fond et je partirai évidemment de la crise, ou plutôt de ce qui se produit en ce moment, qui est à la fois une révolution dans le monde et une crise. Les deux phénomènes existent, mais ils sont distincts.
Sur la révolution dans le monde, il n'est pas besoin d'être long. Tout le monde a ces choses présentent à l'esprit : mondialisation, révolution écologique, révolution démocratique, vieillissement. Tout cela, c'est vrai, modifie totalement l'ordre des facteurs. S'y ajoute la crise internationale qui n'est pas un accident, comme le croient ou l'affirment certains, mais un enchaînement très précis des exigences financières, de rentabilité du capitalisme…
…sans commune mesure avec les possibilités de croissance de l'économie. Ce qui conduit à une baisse de la rémunération du travail par rapport au capital, à une augmentation des emprunts et de l'endettement. Vient le jour où le château de cartes s'effondre : c'est ce qui s'est produit en 2009.
Face à cela, permettez-moi de vous le dire, bon nombre d'entre nous – jugement partagé dans bien des commentaires de presse – ont trouvé que les propositions de M. le Président de la République étaient un peu courtes. Les observateurs en auront retenu trois.
Première proposition, le grand emprunt. Là-dessus, monsieur le Premier ministre, il faut avoir les idées claires. Ou bien ce grand emprunt a une finalité économique, auquel cas il faut le banaliser. Pour l'heure, en dépit de son endettement massif, la France emprunte à un taux qui n'a rien d'excessif. Vous confirmerez-nous que ce sera bien un emprunt banal ? Mais s'il est banal, il n'est pas besoin d'une communication aussi forte. Et il faut être cohérent : si vous lancez emprunt banal pour couvrir des dépenses supplémentaires, est-ce à dire que vous vous rendez finalement à nos raisons et que vous considérez que votre plan de relance était insuffisant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Et s'il s'agit d'une opération économique, de grâce, n'amputez pas les dépenses et les moyens des collectivités locales qui, rappelons-le, assurent 75 % de l'investissement public en France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Ou bien il s'agit de tout autre chose, d'une opération à vocation essentiellement publicitaire, et cela coûtera beaucoup plus cher.
Cela portera le nom du Président de la République et ce sera proposé juste quelques jours avant les élections régionales… Je crains fort que votre choix, monsieur le Premier ministre, ne se porte sur ce second terme ! Nous vous entendrons avec plaisir sur ce point.
La première réponse du Président de la République n'est donc pas à la hauteur du défi.
Deuxième réponse : le recul de l'âge de la retraite. M. Hortefeux, le ministre alors en charge de ce problème, avait même précisé qu'il serait porté à soixante-sept ans.
Mais non !
Si, je vous ai entendu, monsieur Hortefeux !
Soyons clairs : si vous croyez que c'est la bonne réponse à la crise mondiale et financière, vous passez totalement à côté de la question. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SRC. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.) Au-delà de tous les arguments que l'on peut avancer sur ce sujet, il n'est pas besoin d'être un grand spécialiste pour comprendre que la plupart des salariés français quittant leur entreprise, faute de pouvoir y demeurer, à cinquante-deux, cinquante-quatre ou cinquante-huit ans, porter l'âge de la retraite à soixante-sept ans revient, qu'on le veuille ou non, à réduire les possibilités de la retraite. Et cela, nous ne l'accepterons pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Sans oublier qu'il y avait une surprise pour le lendemain du discours présidentiel : l'annonce de la généralisation du travail du dimanche, dont nous discutons ces jours-ci. Cela non plus n'est pas une solution.
Et puis il y a eu tous ces discours magnifiques, dont celui tenu devant l'Organisation internationale du travail. Il est vrai que, lorsque le Président s'exprime à l'étranger sur les questions sociales, il parle impeccablement à gauche ; mais une fois revenu sur le sol national, il agit toujours à droite. Cela, nous ne l'acceptons pas non plus ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mais il y avait une troisième proposition ; et même si elle passée un peu inaperçue dans les déclarations de M. le Président de la République, elle est très importante : elle a trait au scrutin territorial. On nous a parlé d'une réforme territoriale ; peut-être nous la préciserez-vous. Nous ne sommes pas ennemis d'une certaine réforme territoriale, j'en parlerai dans un instant. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais s'il s'agit – et c'est ce que nous croyons comprendre – de manipuler le scrutin territorial (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et sur quelques bancs du groupe GDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP) pour faire en sorte que des départements et des régions de gauche soient gérés par la droite, cela non plus, nous ne l'accepterons pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et sur quelques bancs du groupe GDR. – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.) Il ne s'agit pas d'un procès d'intention ! Il n'est qu'à voir le découpage électoral que vous proposez – et j'aimerais vous entendre sur cette question lorsque vous monterez à la tribune : les spécialistes parlent d'un véritable déni de démocratie. En effet, avec ce découpage, il suffirait à ce côté de l'hémicycle d'obtenir 49 % des voix pour qu'il détienne 51 % des sièges ! Cela, c'est bien un déni de démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et sur quelques bancs GDR.)
La réalité est toute simple. Aujourd'hui, la situation des Français est évidente. Premièrement, le chômage : 2 000 chômeurs de plus par jour – le nouveau ministre du travail parle de 800 000 chômeurs supplémentaires à la fin de l'année. Deuxièmement, le commerce extérieur, clé de la compétitivité : 20 milliards de déficit en 2006,…
…40 milliards en 2007, et en 2008, où il n'était toujours pas question de crise, mais seulement de l'action du gouvernement Fillon, il a grimpé à 55 milliards ! Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Ce à quoi il faut, pour faire bonne mesure, ajouter l'endettement. M. Séguin, qui n'est pas suspect de partialité, estime qu'avec tout l'endettement que vous avez accumulé, la France devra rembourser, cette année, plus que le produit de l'impôt sur le revenu. M. Sarkozy s'est fait élire comme le candidat du pouvoir d'achat ; aux yeux de tous les Français, il est devenu M. Chômage et M. Déficit ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, on nous demande de faire des propositions. Les voilà ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Le plan B ! Le plan B !
Monsieur Raoult, je vous me faites penser à cette formule de Cocteau qui disait de quelqu'un comme vous : « Il parle au-dessus de ses moyens. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
S'agissant de nos propositions, à court terme, monsieur le Premier ministre, nous vous demandons de suspendre à court terme le bouclier fiscal (Protestations sur les bancs du groupe UMP), dont M. Goulard, avec honnêteté, précisait hier que, pour les cent premiers bénéficiaires, qui sont à la tête d'un patrimoine de plus de 15 millions d'euros, cela représente un chèque annuel du Trésor public à leur égard de plus de 1 million d'euros. C'était déjà inacceptable en période habituelle ; cela devient proprement scandaleux en temps de crise financière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Deuxième mesure : nous vous proposons de suspendre les dizaines de milliers de suppressions d'emplois publics auxquelles vous vous apprêtez à procéder. « Mon idéal, le coeur de mon action, c'est l'emploi, c'est l'avenir », dites-vous ; mais dans l'éducation nationale, clé de l'avenir, vous allez supprimer à nouveau plus de 10 000 postes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous vous demandons également, en urgence, d'allonger l'indemnisation des travailleurs précaires et des CDD – et pas seulement pour les CDI, qui ont fait l'objet d'une mesure bienvenue. Ils sont des centaines de milliers d'hommes et de femmes – et ils sont nombreux dans vos circonscriptions – qui n'obtiendront rien si l'on ne change pas la donne.
Il faut avoir, bien sûr, une vision plus générale. Elle doit d'abord passer, monsieur le Premier ministre, par une croissance solidaire. Qu'est-ce que j'entends par là ?
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Rien !
Nous avons voté avec vous le Grenelle de l'environnement. Nous attendons son application.
Nous savons tous dans nos circonscriptions qu'il y a besoin de transports publics, mais les crédits n'arrivent pas. Qu'il faut améliorer le logement, y compris le logement existant, mais les crédits ne sont pas là.
Qu'il faut encourager l'innovation et la recherche, mais les crédits sont insuffisants. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Bien sûr, il faut que les recettes soient au rendez-vous, et c'est la raison pour laquelle nous vous demandons de revenir sur un certain nombre de mesures iniques que vous avez prises depuis deux ou trois ans, par exemple toute une série de niches fiscales qui ne se justifient pas ou ne se justifient plus. On pouvait avoir des approches différentes sur les stock-options ; mais, aujourd'hui, il faut les réserver aux entreprises nouvelles. Il faut aussi, comme le demandent l'ensemble des organisations syndicales, subordonner les exonérations de cotisations sociales des entreprises, en particulier des PME, à la conclusion d'accords salariaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Enfin, nous devons à l'évidence revenir d'une façon plus générale sur tout ce qui est injustice fiscale ; mais nous devons en même temps, monsieur le Premier ministre, car les choses sont liées, respecter pleinement la démocratie. On parle d'omniprésidence, d'egoprésidence. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il faut aller vers le respect de la démocratie. Démocratie parlementaire, démocratie référendaire : à ce propos, monsieur le Premier ministre, nous voudrions savoir quand sortira le texte qui permettra à la population, appuyée par les députés, de réclamer un référendum d'initiative populaire. Nous vous prévenons d'ores et déjà que, si une telle procédure devient possible, le premier référendum visera à contrer la privatisation de La Poste, tout à la fois inique et dangereuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Respect de la démocratie également pour ce qui touche aux médias : nous attendons avec impatience le moment où vous établirez l'égalité médiatique entre la majorité et l'opposition. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Respect de la démocratie en matière judiciaire : nous vous demandons que le Président de la République se mette enfin à suivre les avis du Conseil supérieur de la magistrature. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Respect de démocratie sociale enfin en consultant les organisations syndicales, ce que vous n'avez pas fait pour le travail du dimanche, et en faisant en sorte, par exemple, que des représentants des salariés siègent désormais dans les comités de rémunération. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le Premier ministre, il faut en même temps, et je sais que vous vous y attelez, une vision nouvelle de l'Europe.
Les élections européennes, qui vous ont été favorables ainsi qu'aux écologistes, qui ont été défavorables au parti socialiste, ont été surtout favorables à l'abstention. Cela qui veut dire, leçon numéro un, que nos concitoyens souhaitent une Europe différente, une Europe plus démocratique, une Europe plus écologique, une Europe plus sociale. Nous attendons de vous que vous agissiez pour qu'une directive européenne empêche la privatisation du service public que l'on s'apprête à organiser en France, pour qu'il y ait davantage de coopérations renforcées en matière de recherche, d'énergie et de défense.
Je m'étais exprimé à cette tribune à propos de la réintégration de la France dans le commandement de l'OTAN. « Il y aura davantage de défense européenne », m'avait-on alors répondu, j'en ai encore le souvenir. Nous n'en voyons pas le début du début. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
De manière plus générale, il faut aussi, bien évidemment, une action plus forte, plus coordonnée, un europlan de cet eurogroupe dont nous souhaitons le renforcement. Car la grande question qui se pose, c'est de savoir si le siècle qui s'est ouvert sera dominé par la Chine, par l'Amérique, par la Chine et l'Amérique peut-être, ou si l'Europe, comme nous le souhaitons, y aura sa place, défendant à la fois ses valeurs et les pays qui la composent, au premier rang desquels la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Vous avez voté contre !
Je conclus par deux observations toutes simples.
J'ai dit en commençant mon propos que les Français, interrogés sur l'opportunité de cette motion de censure, dans leur majorité, en soutenaient le principe. Pourquoi ? Parce que nos compatriotes voient avec beaucoup d'inquiétude, et nous la partageons, les inégalités croître, la jeunesse privée de toute perspective, les problèmes d'emploi comme de pouvoir d'achat s'aggraver ; et ils n'ont pas le sentiment, c'est le moins que l'on puisse dire, que les décisions que vous prenez permettront de lever ces difficultés. D'où une défiance, qui s'adresse sans doute à l'ensemble des couches politiques…
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. À vous !
Ma seconde observation est simple elle aussi : ce que l'on attend d'un gouvernement, c'est qu'il puisse faire face au présent et préparer l'avenir.
Or si les Français ne vous font pas confiance, c'est qu'ils ont le sentiment qu'en dépit de la crise, les choses n'ont pas changé dans le bon sens. Les banquiers continuent à ne pas prêter aux PME, les financiers continuent à se doter de rémunérations inacceptables, les jeunes continuent à ne pas se voir proposer de perspectives, les agriculteurs continuent à être pénalisés, en particulier dans le domaine du lait, les commerçants continuent à se faire pénaliser par les grandes surfaces ; d'une façon générale, on n'a pas le sentiment que les problèmes de la France pour aujourd'hui et pour demain soient pris à bras-le-corps comme ils devraient l'être. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Nous savons que les choses sont difficiles aujourd'hui, mais nous savons aussi que la France a besoin de changement. C'est dans cet esprit que nous travaillons et dans un esprit de rassemblement.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, et en application de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous demander de censurer la politique économique et sociale du Président et du Gouvernement. (Les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR. – Huées sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. François Fillon, Premier ministre. (Les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent.)
Nous avons en commun, monsieur Fabius, d'avoir éprouvé la gravité de gouverner la France. Face à une crise mondiale, vous conviendrez qu'il est plus aisé de blâmer que de décider. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Il y a cependant un point, parmi de nombreux autres, qui nous distingue. Vous avez été nommé à Matignon en 1984 pour tenter de mettre un terme à une politique économique désastreuse. Ce fut le tournant de la rigueur,…
…qui marqua une rupture avec le programme commun et une déchirure avec une partie de la gauche, qui refusa de participer à votre gouvernement. Pour ma part, j'ai été nommé pour moderniser notre pays dans le cadre des engagements pris par le Président de la République. C'est ce que nous faisons depuis deux ans, et c'est ce que nous allons continuer de faire avec notre majorité, qui, elle, ne se sent ni déjugée dans ses valeurs, ni désavouée dans ses engagements. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Comme c'est parfaitement son droit, l'opposition présente sa troisième motion de censure en deux ans,…
…et ce n'est pas sans satisfaction que mon gouvernement et la majorité lui opposeront une nouvelle fois leur unité et leur détermination. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est mou !
Le groupe socialiste, m'a-t-on dit, a hésité à déposer cette motion de censure. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Franchement, je le comprends : cette motion arrive un mois après votre défaite aux élections européennes. Plutôt que de vous livrer à l'autocritique, vous choisissez le confort de la critique du Gouvernement. Vous voulez censurer notre action pour ne pas voir que les électeurs ont sanctionné la vôtre. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Croyez-moi, les Français ne seront pas dupes de cette esquive.
À moins de vouloir banaliser son usage, qu'est-ce qu'une motion de censure ? C'est certes un acte de défiance vis-à-vis du gouvernement, mais c'est aussi un signe lancé à l'opinion sur sa capacité à gouverner autrement et à rassembler une autre majorité. Sans vouloir offenser l'opposition, rien n'indique qu'elle soit en mesure d'assumer l'une ou l'autre de ces exigences, n'ayant ni projet ni l'appui des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
En réalité, cette motion de censure en dit bien davantage sur le parti socialiste que sur le Gouvernement et la majorité.
Face à la crise, nous ajustons nos stratégies et nos idées en permanence. La gauche au contraire ne renouvelle aucune de ses propositions.
Dans l'épreuve, nous croyons au consensus national. Vous le repoussez, comme si tout compromis était à vos yeux une compromission. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Nous sommes acquis à l'ouverture, l'opposition l'est au manichéisme.
Il y a un paradoxe : plus notre époque est complexe, plus votre jugement est tranché. Plus nos concitoyens en appellent à une démocratie constructive, plus vous versez dans l'opposition systématique. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Dans une récente interview, Martine Aubry regrettait que le parti socialiste ait perdu le sens du collectif, du travail et du débat.
Cette motion est à l'image de ce verdict.
Dans la foulée du Congrès et du remaniement gouvernemental, l'opposition prétend qu'il fallait engager la responsabilité du Gouvernement. Pourquoi donc devrais-je vous solliciter sur deux événements qui ne modifient pas notre cap politique ? Pourquoi réclamer une confiance que la majorité ne cesse d'afficher depuis deux ans par le vote d'une soixantaine de réformes importantes ? La question de la confiance ne se pose pas entre le Gouvernement et la majorité ; elle se pose entre l'opposition et les Français.
Il est d'ailleurs étrange d'entendre ceux qui ont refusé de prendre la parole au Congrès exiger du Gouvernement une procédure d'explication que nous avons, au surplus, déjà utilisée à deux reprises : lors de la déclaration de politique générale en juillet 2007, et sur notre politique étrangère en mars 2008.
Dois-je rappeler qu'entre 1984 et 1986, la responsabilité du Gouvernement ne fut engagée qu'une seule fois, lors de votre prise de fonction ?
En cinq années d'exercice du pouvoir, Lionel Jospin fit exactement de même. Il y eut pourtant des occasions où cette responsabilité aurait mérité d'être éclairée : lors de l'ouverture du capital de France Télécom, puisque cette décision rompait avec tous les engagements que vous aviez pris devant vos électeurs ; lors de la démission fracassante de Jean-Pierre Chevènement à la suite des accords de Matignon. Quant au remaniement de mars 2000, qui vit quatre ministres sortir du gouvernement et huit y arriver, et non des moindres puisque vous-même, monsieur Fabius, y avez fait votre entrée, il ne fit naturellement l'objet d'aucun débat dans cette enceinte.
Bref, l'opposition exige de nous ce qu'elle n'a pas exigé d'elle-même lorsqu'elle était aux affaires ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Elle prétend que la réunion du Congrès et le refus d'engager notre responsabilité sont les signes d'une « dérive » institutionnelle. C'est la thèse du « coup d'État permanent » qui continue. Il est toujours pittoresque d'entendre la gauche se faire le gardien sourcilleux de nos institutions, elle qui les combattit si longtemps du temps du général de Gaulle, mais qui fut si révérencieuse sous l'autorité du président Mitterrand. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Vous feignez de vous inquiéter pour le statut du Premier ministre, mais nous n'avons pas changé de République. Conformément à l'article 20 de notre Constitution, le Premier ministre reste chargé de conduire la politique de la nation, et il est responsable devant le Parlement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Responsable devant le Parlement, monsieur Fabius, mais aussi devant le Président de la République qui l'a nommé. Vous le savez parfaitement : hors cohabitation, tous les présidents de la Ve République ont été, sont et seront au coeur de la décision, et vous n'avez pas été le dernier à en faire l'expérience. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La primauté institutionnelle du Chef de l'État n'est pas contestable au regard de la légitimité démocratique de son mandat. Il en a toujours été ainsi depuis 1962. Le Président et moi-même avons élaboré ensemble le projet que nous appliquons.
Nous sommes complémentaires et soudés dans l'action, et aucun de nous deux n'a besoin de souligner que « lui, c'est lui, et moi c'est moi ». (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Cette lapalissade ne correspond ni à ma lecture de nos institutions ni à l'idée que je me fais du service de la France. Toutes deux exigent l'unité et l'efficacité du pouvoir exécutif.
Depuis des mois, j'entends la gauche faire le procès d'un régime qui non seulement « détournerait les institutions »,…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est vrai !
…mais aussi « musellerait l'opposition »…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est vrai !
…et « broierait les libertés publiques ».
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est vrai ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Démocratie et libertés publiques, dites-vous ! Mais qu'avez-vous fait à l'époque pour renforcer les droits du Parlement ?
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Rien !
C'est nous qui avons élargi les pouvoirs de l'Assemblée nationale. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) C'est cette majorité qui a offert une des principales commissions à l'un des membres de votre groupe. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) C'est nous qui avons introduit l'exception d'inconstitutionnalité qui permet à tout citoyen de saisir le Conseil constitutionnel. C'est nous qui avons donné au Parlement le pouvoir de se prononcer sur les principales nominations publiques.
Je n'ai pas le souvenir, monsieur Fabius, que, dans les années 1980, la gauche se soit montrée particulièrement oecuménique sur cette question des nominations ! Hier discrétionnaire, ce pouvoir est désormais partagé avec votre assemblée.
Démocratie et libertés publiques, nous dit l'opposition. Mais si la démocratie est à ce point menacée, pourquoi donc le peuple français ne se mobilise-t-il pas derrière le dernier rempart avant la « tyrannie », c'est-à-dire le parti socialiste ? Pourquoi des personnalités proches de la gauche, comme Michel Rocard, et d'autres avant lui, acceptent-elles de travailler avec nous ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Pourquoi le Président de la République a-t-il renoncé à présider le Conseil supérieur de la magistrature, ce qu'aucun de ces prédécesseurs n'avait envisagé de faire ?
Pourquoi le dialogue social, comme l'a encore montré la rencontre du 1er juillet, est-il aussi soutenu depuis deux ans ?
La réponse est simple : parce que les Français ne croient pas, mais alors pas du tout, aux fantasmes de l'opposition qui joue à se faire peur en voyant partout la liberté en danger. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mesdames et messieurs les députés, nous agissons dans le cadre d'une crise mondiale, et je suis frappé d'entendre la gauche parler de la France comme si l'environnement international n'existait pas.
Tous les pays développés sont en récession.
Avec le Président de la République, nous avons défini une stratégie. Elle est à la fois défensive, pour protéger du mieux que nous pouvons nos compatriotes, et offensive, pour aller chercher la reprise.
L'opposition dénonce notre politique, mais les faits sont là : cette stratégie permet à la France de mieux tenir le choc que la plupart de nos voisins.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est faux !
Les dernières études de l'OCDE et du FMI reconnaissent que notre économie a mieux résisté que celles de nos partenaires.
Sur l'ensemble de l'année 2009, le PIB de la zone euro devrait chuter de 4,8 %. En Allemagne, la chute devrait atteindre 6 %, en Italie 5,5 %, au Royaume Uni 4, 3 %, et en France 3 %. J'avance, bien sûr, ces chiffres avec humilité : je sais que, derrière les statistiques, beaucoup de nos concitoyens vivent des heures difficiles.
Face à cette crise, nous poursuivons quatre objectifs.
Il s'agit, tout d'abord, de sécuriser le fonctionnement de notre système bancaire et de garantir les dépôts des Français.
Sur les 360 milliards du plan de soutien, 112 milliards ont été mobilisés, et dois-je préciser que ce plan n'a rien coûté au contribuable et qu'il rapporte à l'État un revenu de 1,4 milliard d'euros utilisé au bénéfice des mesures sociales décidées et gérées par le Fonds d'investissement social ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Par rapport au mois de mai 2008, les encours de crédits ont progressé de 4,3 % pour les entreprises et de 5,2 % pour les ménages. Bref, nous avons réussi à échapper à l'asphyxie ; et, franchement, l'opposition ne se déshonorerait pas en le reconnaissant !
Ensuite, nous avons fait le choix de miser à fond sur l'investissement public et privé.
Il s'agit, malgré la récession, de faire tourner nos entreprises et de protéger autant d'emplois que possible, mais aussi de préparer l'avenir.
L'exécution du plan de relance de 26 milliards d'euros est bien avancée puisque 11 milliards ont déjà été engagés.
Plus de 500 chantiers ont été lancés dans toute la France ; l'État a remboursé de manière anticipée 10 milliards d'euros aux entreprises ; 19 000 collectivités territoriales se sont engagées, dans le cadre du FCTVA, à accroître leurs investissements ; et, cette année, nous allons supprimer définitivement la part de la taxe professionnelle qui frappe les investissements.
Ce choix de l'investissement, nous allons l'amplifier en nous engageant sur de grandes priorités nationales. Nourrir la reprise économique tout en prenant dix ans d'avance sur les grands enjeux du futur, c'est l'objectif que vous a proposé le Président de la République. Il s'agit notamment, dans la lignée du Grenelle de l'environnement que M. Fabius a évoqué, d'orienter notre modèle économique et social vers la croissance verte.
Il vous reviendra dans quelques mois, avec nous, de cibler ces priorités structurantes,…
…et j'attends naturellement avec beaucoup d'intérêt les suggestions de la gauche…
…comme de la droite.
Puis, vous devrez débattre à la fin de l'année des modalités de financement de ces priorités. C'est à ce moment-là que nous aborderons les modalités de l'emprunt, évoquées par M. Fabius.
Notre choix de nous concentrer sur l'investissement partait d'un constat simple et pourtant négligé par la gauche : celui que la relative faiblesse de l'endettement des ménages français ainsi que nos stabilisateurs automatiques soutiendraient la consommation.
De fait, c'est bien ce que nous avons observé jusqu'ici.
Il y quelques mois, l'opposition réclamait à corps et à cris une baisse globale de la TVA, à l'instar de ce qui avait été décidé au Royaume-Uni. Force est de constater que, pour l'heure, cette mesure n'a pas eu l'effet escompté. La consommation des ménages britanniques a chuté de 1,3 % au premier trimestre et devrait, selon l'OCDE, baisser de 3,4 % sur l'année.
L'INSEE prévoit dans le même temps pour la France une hausse de la consommation de 0,7 %, alors qu'elle devrait chuter dans l'ensemble de la zone euro de 1,6 %.
Oui, mesdames et messieurs les députés, la consommation des ménages en France tient. Et elle tient parce que nous avons choisi de renforcer notre socle social et non, comme l'opposition le laisse entendre, de laisser les Français se débattre seuls face à la crise. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Le pouvoir d'achat continue de progresser en 2009, et ceci pour la troisième année consécutive.
Cela s'explique par la progression de 4 % des prestations sociales, par la mise en place de la prime de solidarité active, qui a été versée à 4 millions de foyers, par la revalorisation de 7 % du minimum vieillesse, par la suppression des deuxième et troisième tiers provisionnels pour 6 millions de Français issus des classes moyennes et modestes. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Et la mise en oeuvre du revenu de solidarité active viendra désormais relayer cet effort.
La résistance de notre consommation s'explique aussi par notre décision de soutenir des secteurs clés comme celui du logement et de l'automobile. Nous affichons les meilleurs chiffres de vente d'automobiles en Europe, notamment pour les véhicules propres. Le choix de la prime à la casse et du bonus écologique que votre assemblée a validé était un bon choix, tant pour l'environnement que pour notre économie.
Monsieur Fabius, vous avez raison de souligner la rudesse de cette crise : beaucoup de nos compatriotes subissent la violence de la récession. Mais je n'accepte pas que l'opposition abrite l'insuffisance de son projet sous l'étendard de la justice sociale. La solidarité n'est pas une valeur de gauche ; c'est une valeur de la République. (Applaudissements vifs et prolongés sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Bouclier fiscal ! Bouclier fiscal !
De nombreux députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et de la Gauche démocrate et républicaine. Bouclier fiscal ! Bouclier fiscal ! Bouclier fiscal !
Parmi les défis que nous avons à relever, celui de l'emploi est le plus difficile et le plus douloureux. Il en va de même partout autour de nous, que les pays soient gérés par la droite, par la gauche ou par le centre.
Le taux de chômage en Europe se situe aujourd'hui à 9,2 % ; il atteint 18 % chez nos voisins espagnols. Avec 3 % de croissance, la France restait encore à l'époque l'un des États européens les plus mal classés en matière d'emploi. Avec moins 3 % de croissance, qui, dans cet hémicycle, oserait prétendre qu'il a la solution miracle ? Oui, l'année 2009 sera très difficile sur le plan de l'emploi, et ce n'est que dans le courant de 2010 que nous devrions assister à une reprise très graduelle qui pourrait permettre une détente du marché de l'emploi. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous mettons tous les outils en action pour amortir le choc : l'amélioration de l'indemnisation de l'activité partielle, l'extension du contrat de transition professionnelle et de la convention de reclassement personnalisé, le lancement d'un plan d'urgence doté de 1,3 milliard d'euros pour le développement de l'alternance, l'exonération totale des charges dans les TPE, qui a déjà bénéficié à 350 000 embauches, la création, suggérée par les organisations syndicales, du Fonds d'investissement social, qui a été abondé par l'État à hauteur de plus de 1,5 milliard d'euros.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, comment nous nous battons, dans la crise, pour sortir de la crise. Le Gouvernement fait son devoir, avec combativité mais aussi avec humilité,…
…parce que nous savons que le regard des Français sur leurs responsables est plus exigeant que jamais.
Ce combat exige une maîtrise sérieuse de nos dépenses publiques et la poursuite résolue des réformes. Je n'ai pas attendu l'opposition pour m'inquiéter de l'état de nos finances publiques, et je ne crois pas qu'elle soit la mieux placée pour nous donner des leçons. (« Ah si ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Malgré plusieurs années de croissance, la gauche n'a jamais entrepris d'effort significatif. En 2000, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suède, la Belgique, les Pays-Bas, l'Irlande étaient redevenus excédentaires alors que nous restions en déficit avec une croissance de près de 4 %. De 1997 à 2000, ces États ont réduit leur dette de façon parfois spectaculaire : moins 7 % pour le Royaume-Uni, moins 18 % pour la Suède, moins 14 % pour les Pays-Bas, moins 15 % pour la Belgique. La dette française, elle, est restée inchangée.
Durant toutes ces années, qu'avez-vous fait des fruits de la croissance ? Vous les avez dispersés dans le financement des 35 heures et l'embauche de 48 000 agents publics supplémentaires alors même que notre pays rencontrait un problème de compétitivité et était déjà l'un des plus administrés d'Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Durant ces années pourtant fastes, aucune réforme de structure n'a été engagée. (« C'est faux ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Les dépenses d'assurance maladie ont progressé sans retenue. Sur les retraites, vous avez mis tous les rapports qui vous intimaient d'agir au placard et, non contents de n'avoir rien fait pour sauver les retraites, certains à gauche n'ont pas hésité à manifester contre la réforme des régimes spéciaux. (Huées sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Mesdames et messieurs les députés, depuis des années, notre laxisme budgétaire ronge les capacités d'action de la puissance publique, érode notre compétitivité et fragilise notre pacte social.
Cette question des déficits n'a pas été résolue depuis trente ans, et elle est naturellement encore plus difficile à gérer en période de récession. Certaines dépenses, et donc certains déficits, liés à la crise et à l'investissement, sont inéluctables, voire même nécessaires à la croissance future. Les sacrifier aujourd'hui serait suicidaire.
Mais pour les autres, il faut réaliser un effort considérable. Ce n'est pas maintenant que nous allons augmenter les impôts…
…pour combler les déficits, parce que cela accentuerait la récession. Et ce n'est pas non plus au moment de la reprise, parce que cela briserait la croissance.
Il ne reste donc que deux solutions : être inflexible sur les dépenses structurelles de l'État et continuer de réformer. Cette année, comme les deux années précédentes, le budget de l'État sera strictement reconduit. Le non-remplacement d'un agent public sur deux partant à la retraite est et sera intégralement respecté (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC) ; vous vouliez une réponse, monsieur Fabius, vous l'avez : en l'espace de trois ans, 87 000 fonctionnaires ne seront pas renouvelés.
Depuis cinquante ans, jamais aucun gouvernement n'avait été aussi volontariste sur cette question.
Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la réforme des administrations va s'amplifier ; celle des hôpitaux doit entraîner une meilleure maîtrise des dépenses de santé. Avec l'aide du Parlement, nous allons identifier toutes les dépenses inutiles. Il n'y aura pas de tabou : l'effort portera aussi sur les dépenses sociales, y compris sur les niches sociales, si rarement évaluées.
La réforme des collectivités territoriales doit permettre d'optimiser les moyens et les politiques locales : en réduisant le nombre d'élus et en fusionnant les responsabilités de conseiller général et de conseiller régional,…
…nous mettrons un terme à la redondance et à l'enchevêtrement de ces politiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
À la mi-2010, nous assumerons, avec le Président de la République, nos responsabilités sur les retraites. Si nous voulons conserver le régime de retraite par répartition, si nous voulons que les pensions restent à un niveau élevé, nous n'avons pas d'autre choix que d'augmenter la durée d'activité. Le problème des retraites n'est ni de droite ni de gauche : il est implacablement démographique.
Pourrait-on alors espérer, pour une fois, que l'opposition nous aide à agir ? Je veux y croire parce que j'ai en mémoire le discours courageux deJean-Marc Ayrault à La Rochelle, il y a deux ans : « Il faut, disait-il, augmenter le nombre de Français au travail et accroître la durée de la vie professionnelle (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC) parce que ce n'est pas l'augmentation continue des prélèvements qui sauvera les retraites et la sécurité sociale. » Il ajoutait, en forme d'avertissement : « Si la gauche continue de se mettre la tête dans le sable, elle connaîtra les mêmes déboires que sur la valeur travail. » Je ne saurais mieux dire. (« Ayrault ! Ayrault ! » et longs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Laurent Fabius s'inquiète pour nos comptes publics, et il a raison. Mais, mesdames, messieurs les députés, il faut être cohérent : on ne peut pas, d'un côté, tirer la sonnette d'alarme et, de l'autre, dire non à la réforme des retraites, non à la réforme de l'hôpital, non à la réforme de l'État, non à la réduction du nombre de fonctionnaires, non à la maîtrise des dépenses de l'État et des comptes sociaux. Sans réformes et sans efforts de gestion des deniers publics, jamais nous n'arriverons à rééquilibrer nos finances. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Pour l'opposition, les seules sources d'économies, c'est, encore et toujours, la suppression des mesures fiscales adoptées à l'été 2007, alors que celles-ci bénéficient principalement aux classes moyennes et populaires ! (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Sur ce sujet, votre goût de la revanche idéologique écrase toute raison économique. Supprimer l'exonération des heures supplémentaires, le crédit d'impôt logement, l'exonération des petites successions et des petites donations serait socialement injuste ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Supprimer les mesures qui favorisent les investissements dans les PME en les rendant déductibles de l'ISF, ce serait une faute économique. (Approbations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Quant à la suppression du bouclier fiscal (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC), ce n'est pas avec les 500 millions d'euros qu'elle rapporterait à l'État que vous combleriez les déficits. Nous sommes l'un des pays de l'Union où les prélèvements obligatoires demeurent les plus élevés, et le seul à conserver l'impôt sur la fortune puisque même la Suède et l'Espagne y ont renoncé… Est-il vraiment nécessaire d'en rajouter ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
D'ailleurs, en mars 2000, Laurent Fabius, alors ministre de l'économie, se fixait des objectifs auxquels je souscrits volontiers : « Nous devons alléger l'impôt sur le revenu pour l'ensemble du barème : en bas, afin d'éviter les trappes d'inactivité ; au milieu, pour réduire la charge des classes moyennes ; et, en haut, afin d'éviter la fuite ou la démotivation des contribuables aux revenus les plus élevés. » (« Fabius ! Fabius ! » et vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Monsieur Fabius, vous aviez parfaitement raison. Cette motion de censure, mesdames, messieurs les députés, ce n'est pas la voie de l'avenir, mais celle du passé. Devant l'histoire qui s'accélère, c'est la complainte des utopies perdues. Cette motion est terriblement caricaturale et défensive.
« Mentalement enfermée dans le pessimisme, la gauche est victime du syndrome du Fort Alamo », disait récemment Manuel Valls. (« Valls ! Valls ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Jamais la majorité ne suivra l'opposition sur le chemin de la nostalgie et de l'immobilisme ! Nous allons continuer d'agir, parce que nous n'avons pas d'autre choix que d'être audacieux pour tenir le choc de la crise et pour aller chercher la croissance. Dès les prochains jours, votre Assemblée sera invitée à légiférer sur la formation professionnelle afin de consacrer l'accord des partenaires sociaux – ce qui répond aux remarques de M. Fabius sur notre absence de dialogue social – ; à la rentrée, le Grenelle 2 sera examiné au Parlement, et il confortera notre choix du développement durable ; à l'automne, votre Assemblée débattra de l'organisation de nos collectivités territoriales ; et cet hiver, vous serez conduits à fixer par la loi les grandes priorités qui seront financées par l'emprunt.
Mesdames, messieurs les députés, avec le Président de la République et la majorité, toute la volonté du Gouvernement est tendue vers le redressement de la France ; tous nos engagements prolongent les efforts et les rêves d'une nation qui a encore le pouvoir de rayonner. Il n'y aura pas de pause, parce que l'avenir n'attend pas ! Il n'y aura pas de tergiversations, parce que nous respecterons notre projet ! Il n'y aura pas de relâchement, parce que nous savons que l'histoire sera juge de nos actes ! Pour tout dire, mesdames, messieurs les députés, dès que nous en aurons terminé avec cette motion de censure, nous allons continuer à servir la France ! (Les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent longuement.)
La parole est à M. Jean-François Copé, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, dans votre discours que, vous l'avez bien compris, nous avons trouvé excellent, vous avez répondu point par point aux attaques très caricaturales que nous venons d'entendre.
Ce n'est pas ce qui me caractérise le plus spontanément, monsieur Glavany !
Mais nous avons de la chance par rapport à vous, monsieur le Premier ministre : nous, nous avons déjà entendu hier, par la bouche de M. Ayrault, exactement ce qu'a dit M. Fabius aujourd'hui. Entendre par deux fois le même propos appelant à la censure du Gouvernement, c'est un privilège, et un excellent moyen de voir tout ce qui nous sépare des responsables de l'opposition nationale !
Je vous invite à ce propos, mes chers collègues, je vous invite à lire le texte de la motion de censure : vous pourrez ainsi mesurer une nouvelle fois le décalage abyssal qui existe entre les propos, les discours, les critiques de la gauche française aujourd'hui, et la réalité que les Français vivent au quotidien. Je vous le dis d'autant plus clairement que, quel que soit le sujet, je n'entends jamais, à aucun moment, l'opposition nous rejoindre.
Prenons l'exemple de ce que vous dites, monsieur Fabius, à propos du Congrès de Versailles. Vous expliquez que le Parlement y est condamné « à la relégation », « au recueillement muet de la parole présidentielle ». Puis-je vous faire observer que c'est vous qui avez refusé de prendre la parole au Congrès ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Puis-je me permettre de vous rappeler que, sur tous les sujets que vous venez d'évoquer, vous avez préféré le silence et la fuite au débat…
…alors que nous, nous essayons en permanence de le proposer, au service des Français. À Versailles, vous avez manqué à beaucoup d'entre nous, et nous sommes finalement assez contents de vous voir revenir cette semaine : ce sera au moins être l'occasion – peut-être – de se parler franchement !
D'abord parce qu'en vous écoutant bien, vous et vos collègues de l'opposition, je constate que vous passez votre temps à dire non à tout,…
…y compris sur des sujets que vous avez vous-mêmes préconisé de traiter pendant des années : non à la réforme des institutions qui donnent plus de prérogatives aux parlementaires – à l'opposition comme à la majorité – ; non au service minimum, réclamé par les Français depuis des années ; non à la suppression de la publicité à la télévision publique, qui pourtant figurait dans votre projet ; non au RSA pour venir en aide aux plus fragiles, idée pourtant issue de vos rangs ; non à la loi « Création et Internet », dont je dois tout même rappeler qu'elle vise d'abord à protéger la création française, ce qui rend votre opposition totalement incompréhensible. Sur tous ces sujets, je mesure donc les différences qui nous opposent, monsieur Fabius.
Pour vous avoir écouté très attentivement, je me demande comment on peut mettre un tel talent oratoire au service d'idées aussi conservatrices. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je vous le dis d'autant plus franchement que vous en avez appelé à une France moderne dans une Europe moderne, alors que vous-même et vos amis passez votre temps à vous opposer avec la plus grande force à la possibilité d'ouvrir enfin les commerces le dimanche dans les zones touristiques. Mesurez-vous le décalage entre vos péroraisons et la réalité de ce que veulent les Français au quotidien ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Tout à l'heure, quelques-uns de mes amis, entendant que vous nous annonciez des propositions, se sont demandés, avec le sourire, quel plan B vous alliez nous présenter. J'ai d'ailleurs constaté que cette réaction vous avait un peu irrité. Je le regrette, car ce n'était absolument pas notre intention. Nous voulions simplement vous remettre en mémoire…
…ce qu'un homme de votre qualité a pu faire, uniquement par opposition de principe. Devant les propositions fulgurantes qui sont les vôtres – suppression du bouclier fiscal, allongement des indemnités de chômage, augmentation des effectifs de la fonction publique –, j'ai constaté combien vous étiez, là encore, en décalage total avec la réalité du monde d'aujourd'hui.
Dans ce contexte, je veux faire quelques propositions.
Tout d'abord, je propose de travailler autrement. Mesdames, messieurs les députés de l'opposition, je m'adresse à chacune et chacun d'entre vous en faisant comme si, pendant un très bref instant, Martine Aubry, Laurent Fabius et Jean-Marc Ayrault n'existaient pas. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Je vous ai entendus vous plaindre de ce que la coproduction législative ne concernerait que la majorité. Je vous ai entendus regretter d'être parfois sur la touche, en train d'attendre la fin du match, espérant être parfois sélectionnés, un jour ou l'autre.
J'ai donc une proposition à vous faire. Je vous rappelle tout d'abord que le Président de la République, au début de son quinquennat, a fait une avancée considérable avec ce que l'on a appelé l'ouverture : il a invité un certain nombre de personnalités de gauche…
…à quitter leur famille politique pour rejoindre le Gouvernement au service du pays. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
C'est ainsi que certaines de ses personnalités – je pense à Bernard Kouchner, à Éric Besson, à Fadela Amara ou à Martin Hirsch – sont venus mettre leurs talents au service de notre pays. (Mêmes mouvements.)
Ce mouvement d'ouverture symbolise notre conviction, confirmée par les mots épouvantables que vous êtes en train de prononcer (Protestations sur les bancs du groupe SRC) : le sectarisme est la forme la plus aboutie de la bêtise humaine. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) C'est pourquoi nous devons être capables d'enclencher une nouvelle étape dans l'ouverture. Celle-ci serait de nature quelque peu différente de la précédente : elle ne consisterait pas à proposer à certaines personnalités de quitter leur camp pour venir au Gouvernement, mais de leur permettre d'y rester tout en travaillant avec nous lorsqu'il s'agit de sujets qui relèvent de l'intérêt supérieur du pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Je vais vous donner quelques exemples très concrets qui montrent qu'une telle ouverture est possible.
Il y a quelques années, ensemble, un parlementaire de gauche et un parlementaire de droite se sont trouvés pour imaginer la modification de notre constitution budgétaire, afin de rendre la gestion de l'État plus lisible, plus transparente, plus efficace : c'était la LOLF. Cela s'est passé sous un gouvernement de gauche ; la droite l'a votée.
Dans cet esprit, je voudrais vous faire une proposition. Lors du séminaire qui vous a réunis, hier, je ne peux pas imaginer qu'il n'y en ait pas eu au moins un parmi vous – peut-être dans la jeune génération – à se lever pour dire : « Et si une fois, au service des Français, on travaillait de manière constructive à une réforme pour la France ? » (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
De ce point de vue, les sujets ne manquent pas. Prenons l'exemple du grand emprunt dont, monsieur Fabius, vous avez dit tant de mal. Mais enfin, vous oubliez presque que dans le programme des socialistes pendant la campagne européenne, l'idée d'un grand emprunt avait été évoquée…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Un grand emprunt européen !
… et même écrite ! Il a suffi que ce soit le Président de la République qui le propose pour que vous n'en n'ayez plus envie !
Eh bien moi, je voudrais proposer que sur le grand emprunt – au même titre que nous, députés de la majorité avons commencé à travailler sur les dépenses d'avenir – et sur toute une série de sujets qui intéressent les Français, certains d'entre vous nous rejoignent, simplement pour apporter la contribution d'une opposition moderne, résolument moderne, à l'avenir de la France.
La deuxième piste est celle des retraites. Monsieur Fabius, votre message sur la réforme des retraites est accablant. Vous résumez les propositions sur la réforme des retraites à une attaque un peu personnelle et très désobligeante à l'égard de Brice Hortefeux concernant le recul de l'âge de la retraite.
Or vous savez pertinemment que de très nombreux partis socialistes européens ont proposé des réformes très courageuses sur le sujet. Rien à voir avec les propos un peu tièdes que vous tenez, oubliant qu'un jour vous avez été le patron de Bercy et qu'à ce moment-là vous saviez ce qu'était le courage politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Puisque nous devons aller loin dans les réformes, nous avons aussi besoin d'une opposition constructive pour celle des collectivités locales. Personne ne peut imaginer que l'on en reste au statu quo sur ce sujet. Nous sommes le seul pays d'Europe à ne plus se poser aucune question sur ses structures de collectivités locales, alors que les Français nous demandent constamment d'améliorer l'efficacité et le coût de l'administration publique.
Imaginons pour l'avenir une administration locale plus efficace pour les citoyens et moins coûteuse pour les contribuables. Il est vrai que nous avons une jolie jurisprudence : vous qui êtes à la tête des régions et d'une moitié de départements, vous nous avez fait une magnifique démonstration de ce qu'il ne faut plus jamais faire : les impôts locaux qui explosent, ça laisse des traces ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Alors vous pouvez peut-être nous donner un petit coup de main, et nous aider à réfléchir à la manière de regrouper les structures départementales et régionales par exemple, afin de répondre aux attentes des Français au lieu d'aligner les services, les compétences, les fonctionnaires, les élus.
Peut-on imaginer de moderniser notre démocratie ?
En ce qui me concerne, je pense que ce serait beaucoup mieux de le faire avec l'opposition. Ce serait beaucoup mieux que vous ne nous fassiez pas ce procès d'intention de tout petit calibre sur le mode de scrutin, tout en sachant pertinemment que nous n'envisageons pas de traiter un tel sujet autrement que dans un esprit de consensus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Vous ayant fait cette offre de services, je veux vous dire que, dans ce contexte – les sujets si difficiles que nous venons d'aborder, la crise mondiale que nous affrontons, les pistes que nous cherchons tous les jours avec courage, tout en sachant que les combats que nous menons sont d'autant plus difficiles que nous sommes dans l'inédit –, la majorité ne votera pas votre motion de censure.
En revanche, nous défendons l'idée simple que la démocratie moderne et apaisée que nous appelons de nos voeux nécessitera peut-être que certains d'entre vous, à gauche, se lèvent et reconnaissent que, au-delà des différences qui peuvent nous opposer, nous pouvons être capables de nous retrouver,
Dans le contexte actuel, la meilleure réponse que nous puissions faire à cette motion de censure que vous déposez en désespoir de cause est celle-ci : nous avons besoin d'une opposition constructive ; nous savons que nous ne pouvons pas porter les débats actuels sans avoir la contradiction moderne qui s'impose.
Monsieur Fabius, ne pensez pas que vous récupérerez des électeurs en venant nous expliquer que vous ne voulez même pas moderniser La Poste ! Ne croyez pas une seconde que vous récupérerez des électeurs en continuant d'opposer – comme vous le faites régulièrement avec vos amis – les bons et les mauvais Français, les méchants riches qui ne sont là que pour déposséder les autres.
Ne pensez pas une seconde que nous pouvons réussir dans un pays comme le nôtre si nous n'assumons pas une démocratie de rassemblement.
Voyez-vous, monsieur Fabius, au-delà des polémiques qui évidemment nous opposent – c'est aussi cela la démocratie – je voudrais terminer en formulant un voeu : je souhaite que les débats que nous aurons après la trêve estivale tournent autour d'un thème qui me tient profondément à coeur et qui doit nous toucher tous dans nos engagements politiques : le rassemblement de notre nation. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Je sais ce qu'est la polémique ; nous la pratiquons tous ici, cela fait partie du jeu parlementaire. Pourtant, en y regardant de près, le vrai débat est de savoir si nous sommes capables de dépasser nos différences de sensibilité, afin de nous rassembler à certains moments au service de notre pays.
Beaucoup de nos compatriotes ne regardent plus les débats politiques, n'écoutent plus les discours, parce qu'ils ne pensent pas y trouver la voie du courage, de l'engagement, de l'esprit de sacrifice que nous devons avoir pour réussir. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nombre de nos compatriotes attendent beaucoup de nos propositions.
Sur des sujets aussi difficiles que celui de la burqa, nous avons réussi à nous retrouver entre députés de la majorité et de l'opposition, parce qu'il y va de l'intérêt de la République et parce que des extrémistes veulent tester la résistance de la République.
Puisque nous sommes capables de nous rassembler de temps en temps, peut-être y a-t-il des hommes et des femmes qui, à l'occasion de la trêve estivale, peuvent réfléchir à la manière de travailler ensemble. En tout cas, au nom de notre majorité UMP, c'est la proposition que je vous fais, c'est la main que je vous tends…
Nous parlons ensemble de ces sujets, parce que c'est au service de la France. Ma conviction est faite depuis longtemps : jamais nous ne redresserons la République si nous ne sommes pas capables de le faire dans l'intérêt général. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Yves Cochet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Mes chers collègues, si vous quittez l'hémicycle, je vous prie de le faire dans le silence et discrètement.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, la motion de censure présentée par le groupe SRC est justifiée et nous la voterons.
Cependant, les raisons qui nous y incitent sont parfois différentes de celles évoquées par le président Fabius. Avec vous, je veux d'abord comprendre d'où vient la récession mondiale actuelle, en reconstituant l'enchaînement des causes et des conséquences, autrement dit en replaçant les dominos dans le bon ordre de leur chute.
L'hypothèse initiale est simple : si la dépense en énergie et en matières premières croît plus vite que le revenu, alors la part du revenu destinée aux autres dépenses décroît – par exemple les remboursements d'un emprunt contracté pour acheter un logement.
Or la stagnation, puis le déclin de la production de pétrole brut conventionnel depuis 2005 ont entraîné la hausse rapide des produits pétroliers jusqu'en juillet 2008. Ainsi, dès l'été 2007, la crise des crédits hypothécaires – les subprimes – émerge de l'incapacité des ménages les moins riches à rembourser leurs emprunts…
À budget domestique égal, ces ménages ont restructuré leurs dépenses en continuant d'acheter l'obligatoire plus cher – les carburants ou l'alimentation par exemple – et en économisant sur le non-obligatoire – les remboursements des emprunts immobiliers, par exemple.
Vous n'avez pas d'hameçon, au Gouvernement ? Parce que celui-là, on vous le donne !
De même, au printemps 2008, les émeutes de la faim étaient aussi une conséquence, dans le secteur alimentaire, de la hausse des produits pétroliers dont dépend lourdement l'agriculture productiviste : le machinisme, les engrais, les pesticides et autres dépenses.
En outre, la raréfaction du brut a amplifié la production d'agrocarburants en lieu et place de l'agriculture alimentaire. Ce n'était plus le pétrole qui servait l'agriculture, mais l'agriculture qui produisait un mauvais substitut de pétrole… Hélas ! Dès septembre 2005, la France a choisi ces agrocarburants catastrophiques.
Premier domino à basculer : le cours du baril à New York. Second domino : les défauts de remboursement d'emprunts hypothécaires des ménages. Le troisième, par agrégation des seconds dominos par dizaines de millions : une perte de rentrées financières pour les banques qui, un certain volume étant dépassé et la folie de la titrisation aidant, perdirent brutalement confiance les unes dans les autres en septembre 2008.
À ces facteurs lourds, s'ajoutait l'immense dette étasunienne, constamment croissante depuis une décennie. La crise actuelle est donc d'abord et avant tout une crise du sous-sol, une crise des énergies fossiles et des matières premières. C'est l'économie matérielle qui est à l'origine de la crise financière et non l'inverse.
Cette conclusion peut être obtenue une deuxième fois en regardant l'histoire réelle – telle qu'elle s'est déroulée au cours de ces dernières années et non pas en racontant les fantasmes du libéralisme économique – et en raisonnant par l'absurde.
Si c'était le resserrement du crédit qui avait engendré la récession, les économies européennes auraient plongé après septembre 2008, alors que leur croissance a chuté dès mars 2008, est devenue nulle en mai, puis négative – selon la célèbre expression de la ministre de l'économie Christine Lagarde ici présente – ensuite.
En effet, il faut éliminer un autre cliché : les économies de la zone euro et du Japon sont beaucoup plus vulnérables aux pointes de prix des matières premières et du pétrole que l'économie des États-Unis, pays qui produit encore un quart de sa consommation de pétrole, entre autres. Cette sensibilité négative aux prix élevés du pétrole et des matières premières, les quatre cinquièmes de l'économie réelle des pays de l'OCDE la ressentent, notamment dans les secteurs des transports et de l'agriculture.
Cette analyse matérialiste s'accorde mieux que les autres aux cinq dernières récessions mondiales que nous avons connues depuis 1973 – je pourrais reprendre les propos tenus depuis lors, à droite comme à gauche, ce qui pourrait être un sujet d'intérêt pour les historiens. À l'exception de la crise dite asiatique de 1998-1999, je l'avoue, les quatre autres récessions furent précédées de fortes hausses du cours du baril et des matières premières.
La dernière de ces hausses atteint 500 % entre 2002 et la mi-2008, soit trois à quatre fois plus que les hausses observées lors des premier et deuxième chocs pétroliers des années soixante-dix ou lors de la guerre du Golfe en 1991.
Tandis que la bulle immobilière incitait les ménages américains défavorisés à résider plus loin de leur travail pour acquérir une maison moins chère, la hausse concomitante des carburants les frappa plus lourdement encore, à proportion de leur éloignement. Ce qu'ils avaient espéré gagner en vivant loin de la ville avec un gallon d'essence à moins de deux dollars, ils le perdirent lorsque celui-ci dépassa les trois dollars.
L'implosion de la bulle immobilière seule aurait pu ralentir les économies américaine et mondiale ; il aura fallu la forte hausse des produits pétroliers depuis 2007 jusqu'à la mi-2008 pour engendrer la récession.
La quasi-totalité des commentateurs de révérence, des responsables politiques – comme ceux qui viennent de s'exprimer – et des économistes orthodoxes et conformistes s'en tiennent à une analyse interne du système financier et de ses tares qui ne constituent pourtant que le quatrième domino qui tombe.
Les plus prolixes d'entre eux nous abreuvent de longs discours et d'articles outrés sur les scandales que constituent les revenus démesurés des « patrons voyous », les bonus et autres parachutes dorés des dirigeants de telle ou telle entreprise, les dérégulations opérées ces dernières années par le capitalisme financier, sous l'égide du gourou Alan Greenspan que tout le monde voue aujourd'hui aux gémonies – mais Dieu sait si on l'a adulé pendant une quinzaine d'années –, et sur les risques insensés pris par les investisseurs immobiliers. Nous avons tous été incapables d'imaginer un possible retournement des prix depuis 1945 : la croissance devait durer toujours ; seuls quelques analystes avisés nous ont aidés à penser les mécanismes cognitifs de l'aveuglement au désastre que nous connaissons aujourd'hui.
Mais pour essayer, comme nous y invitait M. le Premier ministre, d'avoir une pensée un peu plus complexe et d'apprécier le retour des conséquences sur les causes, approfondissons maintenant le raisonnement que je viens de tenir pour affiner l'évaluation que nous pouvons faire, à ce stade, de l'ampleur et de la durée de la récession. Il convient de complexifier un peu la chaîne causale des dominos en examinant comment la chute des derniers d'entre eux – d'ordre financier – provoque une accélération de la chute des premiers dans une boucle de rétroaction positive de ceux-là sur ceux-ci. Convenons d'abord qu'il existe un domino zéro, lequel n'est autre que le déclin géologique de la production de pétrole brut conventionnel depuis 2005 : ce fait est avéré tous les mois par les statistiques de l'AIE et de l'EIA – pour ceux qui comprennent de quoi je parle. Je vois que cela vous fait rire, madame la ministre de l'économie : rira bien qui rira le dernier ! Prenons date pour les mois qui viennent : nous verrons bien ce qu'il adviendra de votre plan de relance !
Vous avez demandé, monsieur Cochet, si l'on comprenait ce que vous disiez : c'est ce qui a fait sourire certains, qui avaient compris. (Sourires.)
L'AIE est l'Agence internationale de l'énergie, et l'EIA, l'Energy information administration, c'est-à-dire le ministère américain de l'énergie.
Dont acte, monsieur le président : je vous remercie de cette mise au point.
Face à une demande mondiale croissante, disais-je, le pétrole supplémentaire ne provient plus que de l'extraction des réserves non conventionnelles, extraction coûteuse qui entraîne la chute du premier domino : la hausse des cours du baril et des prix des produits pétroliers. Le second domino – la bulle immobilière, laquelle implose d'ailleurs plus qu'elle n'explose – se dédouble, puisqu'il entraîne, d'une part, la crise de remboursement des crédits hypothécaires risqués puis la baisse des prix de l'immobilier et, d'autre part, les difficultés des compagnies aériennes et des industries automobiles. Ainsi, le plus grand pays libéral du monde a nationalisé General Motors : fait stupéfiant pour les tenants du libéralisme ! En France, l'État a injecté quelque 10 milliards d'euros dans les entreprises Renault et Peugeot, moyennant quoi celles-ci ont instantanément licencié environ 11 000 salariés. J'ai vu, d'ailleurs, que Peugeot avait lancé un nouveau « crossover » – c'est ainsi qu'on les appelle désormais, le terme « 4x4 » étant devenu écologiquement incorrect. Quant à Renault, il a lancé le modèle Koleos l'an dernier, sans aucune étude de marché : autre exemple de marketing irresponsable.
J'ai évoqué les compagnies aériennes : on sous-estime les difficultés de Lufthansa, British Airways ou Air France. On verra dans quelques années – M. Christian Blanc le sait sans doute mieux que d'autres – que même une compagnie comme Air France sera durement touchée par le prix du kérosène, indexé sur le cours du baril qui ne tardera pas à augmenter, pour des raison objectives indépendantes de tout volontarisme politique.
Les deux facteurs que j'évoquais provoquent la crise bancaire, puis le resserrement du crédit et enfin la récession. D'autres dominos tombent alors : affaissement du marché des produits dérivés sur le marché pétrolier, diminution de la demande mondiale de pétrole, laquelle diminution provoque la baisse des prix du pétrole et la réduction de la production. Évidemment, l'OPEP tente de faire remonter le cours du baril en fermant un peu les robinets, mais cela ne marche pas. Il s'ensuit un ralentissement général des investissements dans l'exploration et la production pétrolières visant à compenser la déplétion géologique : extraire un baril pour 80 dollars pour le vendre 60 dollars, autrement dit à perte, n'offre évidemment aucun intérêt. C'est pourquoi la production mondiale de pétrole décroît et continuera à décroître, pour conduire bientôt à quelques pénuries et à un deuxième choc sur les prix après celui de 2008. La boucle sera alors bouclée, après la hausse rapprochée des prix des produits pétroliers et de toutes les énergies, dont on sait, quoi qu'en disent Mme la ministre de l'économie et M. le Premier ministre, qu'il n'ont rien à voir avec des prix de marché : ce sont, depuis 1947, des prix soviétiques, administrés ; bref, des prix politiques.
Cette croissance des prix de l'énergie reviendra heurter à la baisse les prix de l'immobilier hors agglomération, à la hausse le coût des transports et de l'alimentation – comme en 2007 et en 2008 –, et à la baisse la santé déjà défaillante des compagnies aériennes et des industries automobiles. La récession deviendra dépression par quelques événements économiques et sociaux importants, tels que des faillites de grands États : M. Schwarzenegger a ainsi annoncé il y a quelques jours que la Californie, neuvième économie du monde, était au bord de la faillite, et que les fonctionnaires n'y seraient plus payés pendant trois jours par mois. Quant à la situation en Hongrie, en Espagne ou, plus grave encore, en Grande-Bretagne, nous en reparlerons peut-être dans quelques mois : on peut certes débloquer quelques milliards pour l'Islande, mais pour la Grande-Bretagne, madame la ministre de l'économie, c'est tout autre chose.
Outre la probable faillite d'un grand pays, on assistera à une dislocation du système financier mondial qui dépassera celle que nous avons connue, et à une très forte augmentation du chômage – c'est malheureusement une quasi-certitude. Quand ? Bientôt. Autrement dit, il n'y aura plus de « reprise », comme le prétendent M. le Premier ministre et les commentateurs aveugles qui l'annoncent éventuellement pour 2010. La croissance du PIB est terminée ; la décroissance n'est même plus un objet de débat mais une réalité : elle est notre destin. Je l'avais déjà dit en octobre 2008, et je le répète aujourd'hui. Pour le moment, l'histoire me donne raison.
Ces affirmations péremptoires, me demanderez-vous, sont elles partagées par d'autres analystes ?
Oui, notamment par les experts du LEAPE2020 – Laboratoire européen d'anticipation politiqueEurope 2020 –, un groupe européen de réflexion prospective. La crise systémique pourrait évoluer vers des situations de chaos social, faites de violentes révoltes populaires. Dans son bulletin du 15 février 2009, le LEAPE2020 annonce le « début de la phase 5 de la crise systémique globale : la phase de dislocation géopolitique mondiale ».
J'espère que les interruptions de certains collègues seront consignées au Journal officiel.
Les dirigeants du monde n'ont pas tiré les conséquences de l'effondrement en cours du système qui organise la planète depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. « Hélas, à ce stade, il n'est plus vraiment permis d'être optimiste en la matière », poursuit le LEAP. « Aux États-Unis comme en Europe, en Chine ou au Japon, les dirigeants persistent à faire comme si le système global en question était seulement victime d'une panne passagère et qu'il suffisait d'y ajouter quantité de carburants (liquidités) » par dizaines ou centaines de milliards « et autres ingrédients (baisse de taux, achats d'actifs toxiques, plans de relance des industries en quasi-faillite…) pour faire repartir la machine. » Nous avons encore entendu ce refrain aujourd'hui. « Or […] le système global est désormais hors d'usage. Il faut en reconstruire un nouveau au lieu de s'acharner à sauver ce qui ne peut plus l'être. »
Dans son dernier bulletin, daté du 16 juin, le LEAP envisage l'arrivée, dans quelques mois, de trois « vagues scélérates » : la vague du chômage massif et brutal ; la vague déferlante des faillites en série – entreprises, banques, immobilier, régions, villes et peut-être États ; la vague de la crise terminale des bons du Trésor américain, du dollar et de la livre sterling, et le retour de l'inflation. « Ces trois vagues », indique le LEAP, ne sont pas successives mais « simultanées, asynchrones et non parallèles. De ce fait, leur impact sur le système mondial est générateur de dislocation puisqu'elles l'atteignent sous divers angles, à différentes vitesses, avec des forces variables ».
Que faire ? disait Lénine il y a un siècle (« Ah ! » sur les bancs du groupe NC) et mon ami Daniel Cohn-Bendit il y a trois mois. Un Green New Deal, c'est-à-dire un nouveau contrat vert et social pour l'Europe et pour la France. Nos concitoyens en ont partiellement ressenti la nécessité en nous accordant quelques suffrages le 7 juin dernier. Ici même, la majorité – peu présente à ce moment du débat – et le Gouvernement auraient pu s'emparer du sujet lorsque, en janvier dernier, nous avons présenté une proposition de loi tendant à faire de l'empreinte écologique un indicateur prioritaire des politiques publiques. Vous l'avez hélas rejetée. Une seconde chance vous a été offerte le 28 mai par François de Rugy et les députés Verts, avec la proposition de loi sur la transformation écologique de l'économie, texte que vous avez lui aussi rejeté.
Mais il n'est pas trop tard pour bien faire, à condition, bien sûr, d'abandonner les vieilles lunes de la croissance – dont on vient encore de nous rebattre les oreilles – comme les prétendues loi de l'économie néoclassique, et de présenter au pays un vaste programme d'urgence écologique et sociale, fondé sur la sobriété et la solidarité, et inspiré par les raisonnements géologiques, thermodynamiques et systémiques que j'ai développés. Mais sans doute n'est-on guère habitué à manipuler ces concepts à Bercy et ailleurs.
Je vous demande donc, monsieur le Premier ministre, de renoncer à votre plan de relance symbolisé par les mille chantiers présentés en février dernier, et de vous convertir à la transformation écologique de notre économie telle que nous l'avons longuement expliquée lors de la campagne des élections européennes. En février dernier, vous avez déclaré sur Europe 1 : « Aucun plan de relance ne permettra d'éviter la crise. Personne aujourd'hui ne peut savoir quand on sortira de cette crise. Ce qu'on sait, c'est que toute l'année 2009 sera une année de crise. »
Vous pressentiez alors le caractère hors normes du phénomène actuel, mais formuliez aussi un aveu d'impuissance sidérée.
Si nous consentons tous à décoloniser notre imaginaire et à changer de paradigme de pensée, comme j'ai tenté de le faire sommairement aujourd'hui, nous pouvons proposer un autre plan à notre pays : un plan d'urgence écologique et social – euphémisme de ma part, je le reconnais, tant la crise pourrait être beaucoup plus grave encore. Notre pays a donc besoin d'un sursaut intellectuel et politique dans les mois et les années à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens à saluer la présence de nombreux membres du Gouvernement, à commencer par le Premier ministre, qui conduit la politique de la nation : elle témoigne bien du respect qu'il a pour le Parlement…
…et du rôle important que joue celui-ci dans l'élaboration de la loi au service de nos compatriotes.
C'est la troisième fois au cours de la législature que le parti socialiste dépose une motion de censure. Chaque fois, c'est la même rengaine, la même critique de la dérive présidentialiste ; chaque fois ce sont les mêmes accusations assénées en boucle ; chaque fois, il ne nous est fait aucune proposition alternative qui permettrait d'avoir un vrai débat, pour affronter la crise que traversent la France, l'Europe et le monde.
J'ai lu avec attention le texte de votre motion de censure, monsieur Fabius, et j'ai noté qu'elle était en complet décalage avec la réalité. J'y ai lu des mots comme « sacre présidentiel », pour désigner le moment où le Président de la République avait choisi de venir s'exprimer devant les parlementaires ; j'y ai lu la dénonciation d'un pouvoir exécutif qui présenterait ses orientations au Parlement sans que celui-ci puisse se prononcer. Permettez-moi de vous le dire, tout cela n'a aucun sens. Le Parlement s'exprime au contraire sur chacun des textes mettant en oeuvre les orientations du Gouvernement et du Président, son pouvoir d'initiative et de contrôle a été renforcé, et c'est là, ici même, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, que se forge une part essentielle du destin du pays. Nous n'avons pas le droit d'éluder la responsabilité qui est la nôtre dans la réponse à apporter à la crise.
Je voudrais faire un bref rappel à l'intention de M. Fabius. Si le chef de l'État a pris la parole devant le Congrès, c'est en application de la Constitution.
Chacun peut avoir sa vision de ce que serait une Constitution idéale. Telle qu'elle a été modifiée, celle qui est en vigueur n'a pas vocation à pleinement satisfaire chacun, mais à être notre règle commune. Qu'on en partage ou non l'esprit, qu'on ait ou non voté sa révision – et le groupe Nouveau Centre l'a votée –,…
…elle est la Constitution de la République et, à ce titre, s'applique à tous. Je le dis avec d'autant plus de force que, au Nouveau Centre, nous étions de ceux qui souhaitaient que le débat suivant la déclaration du Président de la République puisse se tenir en sa présence.
Vous êtes toujours contre, mais vous finissez toujours par vous coucher ! (Protestations sur les bancs du groupe NC.)
Ce n'est pas la décision qui a été prise : nous avons cependant participé au débat qui a suivi et n'avons pas déserté les bancs du Congrès au moment où les Français attendaient de chaque groupe politique qu'il exprime son opinion sur les propositions du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
Quant à la dérive présidentialiste de notre régime, monsieur Fabius…
…vous devez vous souvenir mieux que quiconque, vous qui avez été le Premier ministre de François Mitterrand, de ce qu'on disait alors sur la monarchie républicaine : je pourrais vous le rappeler, car, à l'époque, j'étais journaliste.
Nous avons soutenu le quinquennat : il a fait du Président de la République non seulement l'homme chargé de l'essentiel et du destin du pays, dans un contrat singulier avec les Français, mais aussi, naturellement, le chef de la majorité.
Ce Président de la République dont vous dénoncez sans cesse ce que vous appelez les « dérives » est précisément celui qui aura enfin permis de rééquilibrer nos institutions, d'asseoir le pluralisme et de revitaliser le rôle du Parlement.
On ne peut pas nier les avancées que représentent l'ordre du jour partagé ou le temps d'initiative parlementaire – qui a par exemple permis à notre groupe, la semaine dernière, de faire voter, avec l'accord du Gouvernement, une proposition de loi visant à interdire le reclassement des salariés dans des pays tiers à 69 euros par mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.) Est-ce que cela doit être passé par pertes et profits ? Est-ce que cela n'est pas utile pour le pays et pour la solidarité qu'on doit marquer à l'égard de ceux de nos compatriotes qui sont frappés de plein fouet par la crise ? Ce sont les Français que sert cette possibilité d'initiative.
D'autres avancées sont à signaler : la création de nouveaux outils de contrôle de l'action du Gouvernement, qui permettra au Parlement de s'assurer que les actions engagées répondent bien aux objectifs que nous nous sommes fixés ensemble, l'encadrement de l'article 49-3, la possibilité d'être consulté sur l'envoi de troupes à l'étranger. Lorsque nous avons eu, pour la première fois en septembre dernier, à nous exprimer sur le maintien de nos troupes en Afghanistan, lequel d'entre nous n'a pas eu le sentiment que les choses avaient changé en profondeur dans des domaines où nous n'avions, par le passé, pas notre mot à dire par un vote ? De tels changements sont historiques.
Quant au fait que le président de la commission des finances doive désormais être issu des rangs de l'opposition, est-ce vraiment un recul de la démocratie ?
Certes, il a été mis fin aux possibilités d'obstruction systématique qui vous avaient conduits, il n'y a pas si longtemps, à combattre la suppression de la publicité sur le service public à coup de leçons sur l'art de cuisiner le homard. Avouez que l'Assemblée nationale mérite mieux que ces pratiques. Elle doit se concentrer sur l'essentiel.
Vous prétendez souvent que les droits de l'opposition sont bafoués. Mais n'avez-vous pas obtenu un temps exceptionnel pour le texte concernant le travail dominical, et le groupe socialiste n'a-t-il pas, ainsi, la possibilité de défendre ses amendements ?
Le fait que ce soit le texte voté en commission qu'on examine en séance publique est encore une avancée considérable. Lorsque les commissions deviennent le nouveau pivot du travail parlementaire, c'est le travail législatif lui-même, largement modernisé, qui prend une nouvelle dimension. Ces droits nouveaux du Parlement, je suis fier d'avoir été, avec mon groupe, de ceux qui les ont portés et votés.
Le caractère systématique et disproportionné des critiques qui ont été formulées encore récemment n'a pas convaincu les Français, qui l'ont prouvé lors des récentes élections européennes.
Avec cette motion de censure, la gauche entend faire le procès de la politique menée par le Gouvernement depuis plus de deux ans. Elle offre ainsi la possibilité d'en faire un bilan d'étape. En 2007, les Français ont fait un choix clair.
Sans aucune ambiguïté, ils ont choisi la voie de la réforme, la seule qui puisse permettre à notre pays de tenir à l'avenir son rang parmi les nations.
Nombreux sont les gouvernements – toutes tendances confondues – qui, par le passé, se sont cassé les dents sur plusieurs des réformes qu'a engagées celui-ci. Certaines, réputées impossibles, ont été menées à bien. Je me souviens du débat que nous avons eu, monsieur le Premier ministre, sur la fin des régimes spéciaux, sur l'équité qui devait présider à l'effort partagé des Français. Qui, aujourd'hui, oserait affirmer que nous n'avons pas à prendre à bras-le-corps le sujet des retraites, afin de garantir leur niveau et de sauvegarder le système pour nos enfants ?
Le boulet de la dette, qui a été alourdi par tous les gouvernements depuis plus de vingt ans…
…comprime aujourd'hui à l'extrême nos marges de manoeuvre budgétaires. Qui, dans ces conditions, peut raisonnablement oser dire qu'il ne fallait pas relancer le chantier de la réforme de l'État ? Nos concitoyens réclament de l'État qu'il remplisse ses missions de manière à la fois plus efficace et plus économe des deniers publics. Nous avons ainsi pu saisir les occasions de promouvoir une vision nouvelle du service au public, en engageant cette réforme et une vaste réorganisation de l'appareil administratif.
Face à l'impasse dans laquelle nous avait plongé le rejet de la Constitution européenne – vous l'avez à peine évoqué, mais vous avez porté, monsieur Fabius, une lourde responsabilité dans ce rejet, qui nous a fait perdre un temps précieux pour engager des réformes nécessaires et aboutir à l'Europe beaucoup plus protectrice qu'attendent nos compatriotes –,…
…le Président de la République et la Chancelière allemande ont permis à la France de sortir de son isolement pour relancer le processus européen. La présidence française elle-même a largement bousculé les habitudes, en laissant entrevoir la possibilité d'une Europe beaucoup plus volontariste, plus en prise avec les aspirations concrètes de nos concitoyens, et aussi plus protectrice. C'est bien dans cette Europe que croit le Nouveau Centre, c'est celle que nous voulons voir s'installer durablement au Parlement de Strasbourg.
Depuis deux ans, le Gouvernement a mis sur les rails l'imposante dynamique du Grenelle de l'environnement. Il s'agit bien sûr de jeter les bases d'une révolution verte, d'encourager de nouveaux comportements pour inventer un mode de croissance plus durable où la production de richesses se trouverait réconciliée avec la protection de l'environnement. Les Français attendent ces mesures, nous les avons engagées.
Avec le Grenelle, il s'agit également de bouleverser en profondeur des modes de gouvernance, de rassembler tous les acteurs de la société civile, tous ceux qui veulent participer au débat public et qui sont associés aux prises de décision. Cette démarche a fonctionné et abouti à des mesures fortes, durables, qui ont d'ailleurs été engagées au plan européen et portées au plan mondial.
Monsieur Fabius, vous auriez pu parler aussi du revenu de solidarité active. Vingt ans après la création du RMI, il s'agissait de rompre avec la logique de l'assistanat pour soutenir et valoriser le retour à l'emploi et sortir de la trappe à chômage. Aujourd'hui, quand j'entends, dans les départements – dont le mien, la Côte-d'Or –, les socialistes critiquer le RSA qui participe au pouvoir d'achat des travailleurs modestes, je me demande franchement qui, de la majorité ou de l'opposition, défend le pouvoir d'achat des plus modestes. Je voudrais aussi vous rappeler, monsieur Fabius, que c'est à l'initiative des députés centristes de la majorité et du Président de la République qu'a été décidé le plafonnement des niches fiscales, qui a permis à ce mécanisme de solidarité innovant de se voir financé de manière juste et équitable.
Nous voyons au contraire, dans la mise en oeuvre du RSA et dans le plafonnement des niches fiscales, la marque d'un gouvernement et d'une majorité ouverts, ouverts aux autres familles politiques, puisque le RSA a été porté par Martin Hirsch, aux autres courants de pensée et à la société civile, dans l'intérêt des Français. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, et M. le Premier ministre l'a rappelé : être utile à la France.
Les mesures de justice que nous avons prises, la crise les a rendues encore plus indispensables aujourd'hui. Et je voudrais réaffirmer ici que, pour le Nouveau Centre, la solidarité va de pair avec l'initiative, que l'un ne se conçoit pas sans l'autre.
Cela implique aussi qu'il faut investir dans des projets porteurs de richesse future. Je ne comprends pas que certains, à gauche, aient balayé d'un revers de main l'idée d'un grand emprunt. La responsabilité du politique, c'est d'ouvrir des chemins pour l'avenir, et c'est d'autant plus nécessaire quand les temps sont difficiles. Il ne s'agit pas simplement de dire aux Français que tout va mal, qu'il y a des difficultés : ils le savent.
Il n'y a qu'un seul point sur lequel je pourrais être d'accord avec vous, monsieur Fabius, c'est lorsque vous avez rappelé que la France et le monde traversent la pire crise que nous ayons connue depuis un siècle, que celle-ci n'est plus seulement source d'inquiétude pour nos compatriotes, mais une réalité humaine, avec la multiplication des licenciements.
Certes, nous divergeons sur les réponses que l'État se doit de mettre en place, mais je ne comprends pas que vous ayez refusé de voter le plan de relance présenté par le Gouvernement. À l'époque, vous aviez d'ailleurs déposé une motion de censure : hélas, il n'y avait rien de bien nouveau dans vos propositions, si ce n'est un retour à des méthodes qui ont montré leurs limites, et cela – M. le Premier ministre l'a rappelé – en période de croissance : c'est dire ce qu'elles donneraient en temps de crise. Pour nous, la relance passe par le soutien à l'investissement. L'investissement, c'est l'emploi, celui d'aujourd'hui comme celui de demain.
Je ne peux que répéter ce que je vous avais dit au nom de mon groupe lors du débat sur la précédente motion de censure : pourquoi n'assumez-vous pas l'effort de relance là où vous vous trouvez aux responsabilités ? Qu'attendez-vous, dans les régions, pour être force d'initiative, de proposition et d'engagement afin de relayer l'effort considérable accompli par le Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
L'emprunt national proposé par le Président de la République est une bonne idée. Nous n'avons qu'une seule exigence, réaffirmée par nombre de nos collègues du Nouveau Centre : c'est qu'il serve bien la croissance, la création de richesses, l'investissement pour notre avenir collectif. Le nouveau Parlement que nous avons voulu avec la révision constitutionnelle doit prendre toute sa place dans les débats qui détermineront nos grandes priorités. Ce débat est devant nous, et j'aurais aimé, aujourd'hui, entendre les propositions du parti socialiste.
Je voudrais aussi saluer la décision qu'a prise le Président de la République de confier à deux anciens Premiers ministres, dont un membre de la famille politique de gauche, une mission de réflexion à ce sujet. Les Français attendent de nous que, dans les difficultés qu'ils traversent, nous mettions nos compétences, fût-ce en faisant taire nos divergences, au service de l'intérêt national. Ils n'attendent pas des gesticulations, monsieur Fabius, et je trouve cette motion de censure bien décalée par rapport à cette exigence. Ce qu'ils attendent de nous, c'est que nous mettions tout en oeuvre pour passer la crise, que nous soyons solidaires, que nous travaillions ensemble, parce que c'est dur pour les Français et que nous devons préparer l'avenir de nos enfants.
C'est pourquoi vous avez créé le bouclier fiscal et les franchises médicales !
Cette motion de censure s'apparente à un véritable détournement de procédure, car elle laisse croire aux Français qu'elle est de nature à apporter un début de réponse aux difficultés que rencontre notre pays.
Oui, il s'agit bien de l'avenir. Le projet d'emprunt national que propose le Président de la République n'aura de sens que s'il s'accompagne d'une lutte sévère contre nos déficits de fonctionnement – et non pas ceux liés à la crise, car les ressources peuvent manquer de manière temporaire. Il s'agit de traquer les dépenses inutiles, celles dont nous n'avons pas l'assurance qu'elles soient au service du pays, celles que protège le cocon des conformismes.
À cet égard, nous attendons toujours, après ce débat sur la motion de censure, les propositions de l'opposition qui, pour sa part, est restée dans le « toujours plus ». J'interroge les membres du groupe socialiste : où étiez-vous lorsque le Congrès a pris la décision de graver dans le marbre constitutionnel l'objectif de l'équilibre des comptes pour l'ensemble des administrations publiques, que le Nouveau Centre a proposé ? Au lieu de venir aujourd'hui nous donner des leçons, j'aurais aimé que vous votiez avec nous cette exigence. Or, je me souviens que vous l'avez combattue, alors qu'elle s'impose à nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
Revenir à un déficit nul n'est pas qu'un simple objectif ; c'est une exigence première, pour nos enfants et pour notre avenir collectif !
Le Parti socialiste, monsieur le Premier ministre, parle aujourd'hui de censurer le Gouvernement. Les membres du groupe Nouveau Centre, quant à eux, convaincus de participer à un moment décisif pour l'avenir de notre pays, ont choisi d'agir au sein de la majorité. Nous sommes aux côtés du Président de la République et du Gouvernement, dont nous souhaitons la réussite – pas pour nous-mêmes, mais pour les Français, parce qu'ils l'attendent de nous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
La discussion est close.
Chers collègues, je vais mettre aux voix la motion de censure.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je rappelle que seuls les députés favorables à la motion de censure participent au scrutin, et que le vote se déroule dans les salles voisines de l'hémicycle.
Le scrutin va être ouvert pour trente minutes : il sera donc clos à dix-sept heures quinze.
Discussion et vote
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures vingt.)
La séance est reprise.
Voici le résultat du scrutin :
Majorité requise pour l'adoption de la motion de censure, soit la majorité absolue des membres composant l'Assemblée…….289
Pour l'adoption….225
La majorité requise n'étant pas atteinte, la motion de censure n'est pas adoptée.
Discussion et vote
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-deux, est reprise à dix-sept heures trente.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi sur le repos dominical et les dérogations à ce principe (nos 1685, 1782, 1742).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de treize heures quatre minutes pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire, treize heures cinquante-sept minutes pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, six heures quarante-quatre minutes pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, six heures neuf minutes pour le groupe Nouveau Centre et vingt-quatre minutes pour les députés non-inscrits.
Ce matin, l'Assemblée a continué d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à Mme Corinne Erhel.
Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui de la quatrième version de ce texte, mais les Français ne veulent pas plus de cette version que des précédentes, en témoignent les nombreux mails, courriers et autres interpellations dont nous sommes tous destinataires.
Vous devez vous faire une raison, quelle que soit la forme sous laquelle vous le présentez, ce texte se heurte à une forte opposition dans l'opinion publique et à des réserves au sein de votre majorité, même si celles-ci se font plus silencieuses. Vous avez, dès le départ, mal mesuré l'ampleur des divergences sur ce sujet de société.
Vous développez un double argumentaire : d'une part, les Français auraient absolument besoin du dimanche pour faire leurs courses ; d'autre part, en temps de crise, les salariés devraient saisir toute opportunité, quelles que soient les conditions.
Ce texte est emblématique de l'action menée par ce gouvernement : boulimie des réformes et impact social fort. Il répond à une idéologie très claire de détricotage du droit du travail que vous jugez, à tort, trop contraignant et archaïque.
Vous ouvrez, une fois de plus, une brèche dans le pacte social. Vous légiférez par pallier : après la défiscalisation des heures supplémentaires malgré la dépression économique et sociale que nous connaissons, vous exprimez la volonté de reporter à tout prix l'âge de départ à la retraite – à soixante-sept ans semble-t-il –, vous donnez la possibilité de s'installer sans qualification avec le statut de l'auto-entrepreneur, et j'en passe. C'est à une véritable dérégulation sociale que vous vous livrez, qui ne laisse de place qu'au développement de la loi du plus fort. On peut se demander jusqu'où vous comptez aller.
Parce qu'il ne répond pas à la vision de la société qui est la nôtre, parce qu'il constitue une véritable régression sociale, parce qu'il est anti-écologique, parce qu'il n'a aucune efficacité économique réelle, nous nous opposons à ce texte.
Cette proposition de loi représente une vision de la société à laquelle nous n'adhérons pas, pas plus, semble-t-il, que la majorité des Français, comme en témoigne un sondage paru hier dans un grand quotidien national.
En effet, 55 % des Français se déclarent opposés au travail le dimanche et 82 % considèrent le dimanche comme un jour fondamental pour la vie de famille, sportive, culturelle ou spirituelle. Cela semble plutôt clair.
En réalité, le dimanche conserve un caractère structurant pour bon nombre de nos concitoyens.
Il est de notre responsabilité de défendre la vision de la société dans laquelle nous souhaitons vivre : voulons-nous vraiment une société rythmée par la consommation, une société du caddie et du passage en caisse ? Nous pensons, au contraire, que la société a besoin de moments de respiration, de détente, de rencontres amicales, culturelles, sportives et familiales. La consommation ne peut constituer une fin en soi.
Mais, au-delà de l'argument sociétal, votre texte constitue également une régression sociale pour les salariés.
Certes, le principe du volontariat est réaffirmé pour certains, mais n'exagérons rien. En effet, quoi que vous en disiez, la réalité du lien de subordination entre employeur et salarié fait que, par nature, le salarié, s'il ne peut être contraint, est soumis à une pression. De fait, s'il ne souhaite pas travailler le dimanche, de toute manière, il n'osera pas s'y opposer. En outre, le fait de rendre le travail dominical « de droit » dans certaines zones touristiques efface bien évidemment toutes les supposées avancées de ce texte par rapport à ses précédentes versions.
Il ne saurait être question de ne pas considérer le dimanche comme un jour exceptionnel et de ne pas accorder à tous les salariés qui travaillent ce jour-là les mêmes garanties. Pour nous, le travail dominical doit être considéré comme une exception, et ce en toutes circonstances. Le rendre « de droit », même si cela ne concerne que certaines zones, constitue réellement une banalisation du travail du dimanche, que vous le vouliez ou non.
J'avoue ne pas avoir bien compris combien de communes seront réellement concernées : 500, si l'on s'en tient à la définition des stations classées…
…ou 5000, si l'on écoute le conseil national du tourisme ? Vos explications sont floues. Quelle est la bonne définition ? Qu'est-ce qu'une zone d'influence touristique ? Vous jouez sur les mots, pour rassurer, je pense, votre propre majorité mais j'aimerais que vous nous disiez clairement quelle est la différence entre une zone touristique et une zone d'influence touristique.
Votre texte, en outre, tourne le dos aux engagements pris dans le Grenelle de l'environnement.
En effet, avec les périmètres d'usage de consommation exceptionnel, les PUCE, vous favorisez la consommation dans les grandes surfaces, même si vous vous en défendez. Or c'est le principe même de la consommation dans ces magasins qui n'est pas bon pour l'environnement : transports individuels et collectifs supplémentaires, livraisons supplémentaires, consommations énergétiques majorées et j'en passe. En décembre dernier, la précédente secrétaire d'État à l'écologie le reconnaissait d'ailleurs sur certaines radios.
Votre texte, enfin, est inefficace économiquement. Des études de l'OFCE, du Conseil économique et social ou encore du CREDOC relativisent l'intérêt de l'ouverture le dimanche pour la consommation et pour l'emploi.
La consommation induite par une ouverture dominicale consiste en un déplacement dans le temps de l'acte d'achat qui s'inscrit dans un budget contraint. Je vous rappelle que le pouvoir d'achat, c'est la quantité de biens et de services qu'un revenu donné permet d'acquérir. Si l'on veut aller au-delà, il faut faire appel, sans raison et sans compter, au crédit à la consommation. Il me semble que ce n'est pas une bonne voie. J'aurais aimé vous entendre sur ce point. L'exemple anglais le prouve, non seulement les avancées économiques sont nulles, mais, fait plus grave, la banalisation du travail dominical a entraîné la banalisation de sa rémunération.
En conclusion, ce texte est brouillon et ne manquera pas, puisque vous faites référence à deux codes en ce qui concerne la définition des communes touristiques ou zones d'influence touristique, de provoquer de multiples contentieux.
Vous touchez, avec ce texte, à un symbole qui est cher aux Français. N'en déplaise au Président de la République, qui a déclaré hier que « travailler le dimanche n'est pas un drame », en réalité, pour la majorité de nos concitoyens, ça l'est. Il est vrai que les symboles sociaux ne représentent pas grand-chose à vos yeux. Cette loi n'est qu'une marche de plus vers la déconstruction des droits sociaux que vous semblez souhaiter à tout prix. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, j'ai travaillé plusieurs mois avec Richard Mallié, rapporteur de la proposition de loi d'aujourd'hui.
En fait, nous y avons travaillé toute l'année 2008, comme Richard Mallié et Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales, l'ont dit hier.
Après les nombreuses auditions que nous avons menées, j'avais, à l'époque, admis que nous avions besoin de régler certaines questions.
Ces points concernaient Paris, Plan-de-Campagne, les zones frontalières.
Mais j'avais, dans le même temps, mesuré l'attachement de nombreux partenaires sociaux et de plusieurs de nos collègues à la non-généralisation du travail le dimanche. J'ai enfin reçu un grand nombre de contributions de la part de mes concitoyens exprimant leur refus de toute généralisation du travail le dimanche.
Personnellement, si je pense qu'il faut adapter notre législation à la vie d'aujourd'hui, j'ai toujours considéré qu'il fallait également préserver le repos dominical, pour des questions de choix de société et je le dis, madame Erhel, je ne reste pas silencieux. C'est pour cela que la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui me satisfait dans son titre et ses attendus : « Réaffirmer le principe du repos dominical et adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires ».
Madame Erhel – je m'adresse à vous, mais ce propos pourrait s'adresser à beaucoup de nos collègues socialistes –, quelle caricature de dire que nous aurions la « vision du caddie ». Nous n'avons pas la vision du caddie !
Bien sûr que non !
Il faut éviter de faire ces amalgames. Ce n'est pas parce que nous sommes d'accord avec cette PPL, que nous avons cadrée,…
…que nous sommes pour une généralisation du travail le dimanche et pour la vision du caddie. Franchement, c'est mal connaître les députés de l'UMP, groupe auquel j'appartiens.
Aujourd'hui, vous le savez, il y a 180 dérogations, notamment pour couvrir les besoins de services publics.
Il fallait prévoir l'extension de l'ouverture des commerces de détail de douze heures à treize heures.
C'est une question d'adaptation à la vie de la société. Quand nos concitoyens vont faire leurs courses le dimanche matin dans les petits commerces, c'est après midi, jusqu'à treize heures.
Vous n'avez rien contre mais il faut quand même légiférer dessus.
Les PUCE, dont je ne redonnerai pas la définition, régleront les cas de Plan-de-Campagne, des zones frontalières et des grandes agglomérations. Ils seront mis en place à la demande des conseils municipaux, des maires, après avis des intercommunalités et sur décision du préfet. La non-autorisation d'ouverture toute la journée des grandes surfaces alimentaires au-delà de cinq dimanches me satisfait, le rapporteur le sait bien. Je l'avais demandée dès les premiers mois de discussion et je n'étais pas favorable à l'extension à douze dimanches, ni même à huit dimanches, parce que je pensais qu'en augmentant le nombre de dimanches, nous allions vers une éventuelle généralisation.
Ce n'était pas dans la proposition de loi de Mallié, les cinq dimanches !
Je l'affirme encore aujourd'hui, et ce n'est pas parce que je dis que ce texte va permettre d'avancer qu'il faut nous cataloguer comme des défenseurs du dimanche du caddie.
Pas du tout, mon cher collègue.
En disant cela, je ne vais pas contre les grandes surfaces. Le directeur et les employés de l'une d'elles, située dans ma commune, m'ont d'ailleurs apporté une pétition hostile au travail du dimanche. Sur ce sujet, il n'y a donc pas lieu d'opposer les grandes surfaces et les petits commerces.
Une autre raison me pousse à refuser l'ouverture des grandes surfaces alimentaires le dimanche : la vie des petits commerces dans les centres-bourgs. Il y va de l'aménagement du territoire.
Ils pourront ouvrir jusqu'à treize heures ! Si, pour des questions de frais fixes, les grandes surfaces ne sont pas intéressées par ce créneau horaire, les petits commerces font 30 % de leur chiffre d'affaires le dimanche.
Reste la question des communes des zones touristiques. Rendons-nous à l'évidence : la situation de Paris, la plus grande ville touristique du monde, appelle un aménagement de la loi.
D'ailleurs, d'autres communes ont besoin que leurs commerces ouvrent le dimanche. Le président du groupe socialiste, M. Ayrault,…
…a posé une question importante, comme d'ailleurs d'autres députés de la majorité – UMP et Nouveau Centre –, sur la définition des communes touristiques.
Mais, comme M. Fabius aujourd'hui, il y a mêlé une déclaration politicienne de politique socialiste.
De ce fait, il a introduit non seulement une confusion des genres, mais une confusion entre les codes du tourisme et du travail.
Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir expliquer clairement à la représentation nationale la différence entre la définition des communes touristiques selon le code du travail, auquel se réfère ce texte, et selon le code du tourisme, qui est beaucoup plus large.
Si on ne veut pas la leur expliquer, ils ont nécessairement du mal à la comprendre !
Votre explication vaudra pour nos concitoyens. Je vous remercie également d'accepter des amendements de nature à prévenir tout amalgame ou toute crainte que les objectifs de ce texte soient dépassés. Il s'agit en effet d'un texte de dérogation…
…qui doit respecter ses engagements, sans aller au-delà. Merci de nous en donner l'assurance et de nous apporter ces précisions. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi sur le travail dominical est la traduction parlementaire d'une volonté du Président de la République. On peut donc s'étonner qu'elle n'ait pas pris la forme d'un projet de loi. Elle résulte « d'un caprice présidentiel, fondé sur un reliquat idéologique », pour reprendre le mot d'un député de la majorité, M. Dupont-Aignan.
C'est plutôt un député extra-majoritaire !
Si vous considérez qu'il n'appartient pas à la majorité ou qu'il en est exclu, apportez-en la preuve. Pour l'instant, ce n'est pas le cas !
La proposition, qui figurait dans le programme présidentiel, a suscité un grand nombre d'interrogations, voire de désaccords, au sein de la majorité, au point qu'on nous en présente une quatrième mouture, alors que le projet de M. Devedjian, sous le gouvernement Raffarin, avait déjà échoué.
Ceux qui demandent l'ouverture des commerces le dimanche ont-il conscience de toutes les conséquences de leur revendication ? Les 30 000 prétendus « emplois créés » ne seront que transférés de la semaine au week-end, car on n'effectue pas d'achats supplémentaires quand le pouvoir d'achat n'est pas en hausse.
L'homme contemporain est-il uniquement un consommateur ou est-il encore l'animal social que définissait Aristote ? C'est la question que posent nombre de députés de la majorité, que vous n'avez pas exclus, que je sache : MM. Marc Le Fur, Jean-Yves Cousin, Philippe Gosselin, Michel Grall, Guénhaël Huet, Michel Hunault, Mmes Fabienne Labrette-Ménager, Marguerite Lamour, MM. Jacques Le Guen, Christian Ménard et Thierry Benoit.
Tous ces députés soutiennent la proposition de loi !
Vous avez raison : ils soutiennent ce texte, soit parce qu'on leur a demandé d'apporter la preuve de l'unité de la majorité, soit parce que, comme l'a indiqué le rapporteur, on les a convoqués à l'Élysée pour une piqûre de rappel.
Ce sont du moins les propos que vous prêtent les journalistes. Si vous les dénoncez, faites-le savoir par un communiqué de presse !
Pourquoi donc s'entêter à vouloir légaliser coûte que coûte le travail dominical, que la législation actuelle autorise sans pour autant le banaliser ? Aujourd'hui, dans notre pays, 2,5 millions de personnes travaillent régulièrement le dimanche, et 3,5 millions le font occasionnellement. Le code du travail prévoit des dérogations accordées par le maire ou par le préfet. Cependant, dans tous les cas, un repos hebdomadaire doit être prévu pour le salarié qui travaille le dimanche, au même titre qu'une rémunération supplémentaire.
Avec 7 % de salariés travaillant habituellement le dimanche, la France se situe dans la norme européenne, et même dans la fourchette supérieure, si l'on tient compte de ceux qui travaillent occasionnellement le dimanche. En outre, la France est le pays européen où l'on travaille le plus le samedi.
Pourquoi donc revenir sur un débat qui suscite tant de polémiques ? Pourquoi remettre en cause le congé de fin de semaine, acquis social inscrit dans les lois de la République ? Pourquoi s'entêter à propos d'une régression sociale que les Français rejettent majoritairement, comme le prouvent tous les sondages ? Quel est l'intérêt de faire voter un texte que même M. Le Fur considère comme « complètement désossé » ? Veut-on régulariser les situations existantes…
…ou adopter un dispositif qui « fera tache d'huile », pour reprendre l'expression de M. Dionis du Séjour ? Si le seul but du texte est de justifier la formule « travailler plus pour gagner plus », encore faudrait-il que tout travail le dimanche soit mieux indemnisé et que sa banalisation n'entraîne pas celle de sa rémunération, ce qui est malheureusement à craindre.
Cette banalisation, nous l'avons observée récemment avec la multiplication des ouvertures illégales, qui ont donné lieu à un référé devant les tribunaux, juste avant que le préfet accorde la dérogation, dans le Val-d'Oise ou les Yvelines. Le doute sur l'avenir existe, même dans la majorité. Jean-Pierre Grand avoue en effet : « Deux thèses s'affrontent : quelqu'un dit la vérité, mais on ne sait pas qui. » Céleste Lett, qui était prêt à s'abstenir, reconnaît : « Là, je ne sais plus. » Même doute chez Jacques Le Guen, qui s'abstiendra, craignant que ce texte ne soit « un premier coup de ciseaux dans le pacte social », ou chez Jean-Frédéric Poisson, qui souhaite que le Gouvernement s'engage à ce que les critères définissant les zones touristiques soient permanents et non susceptibles d'une modification par décret. Voilà qui montre non seulement une inquiétude, mais presque une certitude sur les changements à venir. « Les risques de la généralisation sont contenus dans la proposition », observe-t-il.
Cette proposition de loi n'a strictement aucun intérêt. Il s'agit d'une ineptie économique, car elle ne créera aucun emploi supplémentaire et portera le dernier coup aux commerces des centres-villes.
C'est une atteinte grave au droit du travail. Il est facile de comprendre que les salariés n'auront pas le choix : on désignera les volontaires soit lors de l'embauche, soit dans la pratique.
C'est un leurre en ce qui concerne l'augmentation des rémunérations, car la banalisation du travail du dimanche en fera une norme sociale, qui ne justifiera plus une majoration du salaire.
C'est un contresens écologique, qui augmentera les déplacements motorisés individuels pour les substituer aux transports en commun.
Enfin, c'est une atteinte grave aux droits sociétaux et à la vie familiale, sociale, associative, culturelle et sportive.
Alors, pourquoi vous entêter, monsieur le ministre, à faire voter une loi dont on mesurera rapidement qu'elle est avant tout un recul social sans précédent et, pour citer à nouveau un parlementaire de la majorité, « un premier coup de ciseaux dans le pacte social » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc la proposition de loi sur le travail du dimanche qui fait son retour dans sa quatrième version. Pourtant, aucune nécessité n'imposait de changer la législation relative au repos dominical, ni sur le principe de base – qui veut qu'un employeur ne peut occuper un salarié plus de six jours par semaine et doit accorder un jour de repos hebdomadaire le dimanche – que sur les nombreux aménagements, certes nécessaires, qui adaptent le principe aux réalités locales.
On aurait pu admettre la recherche d'une meilleure application de la loi, afin d'adapter plus finement les dérogations locales aux évolutions des pratiques de consommation et de vérifier qu'aucune activité légitime n'est empêchée. Il serait bon, par exemple, que l'instruction des demandes de dérogation au travail du dimanche n'incombe plus à la seule autorité administrative, mais à des commissions pluralistes rassemblant représentants des syndicats et des associations de consommateurs, prenant en compte tous les enjeux économiques, sociaux et sociétaux, même à Paris.
Pourquoi le texte bénéficie-t-il de l'urgence estivale ? Pour profiter de la discrétion des médias inhérente à cette période ?
Oui, c'est raté !
Non, puisque tel n'était pas notre but !
Est-ce pour profiter du moment où les salariés sont en vacances ou se préparent à partir, de la torpeur engendrée par la canicule ou de celle qui atteint nos collègues de la majorité…
…pour atténuer les désaccords qui s'étaient manifestés au sein de l'UMP, provoquant le report sine die du texte ? Mais son inscription à l'ordre du jour de la session extraordinaire s'explique peut-être aussi par le fait que le Président de la République s'est offusqué que Mme Obama et sa fille n'aient pas pu faire du shopping rue du faubourg Saint-Honoré un dimanche…
Est-ce leur présence un dimanche à Paris qui nous a fait passer du « Yes, we can » du président Obama au « No week-end » du président Sarkozy ? Quelle autre justification trouver au retour de ce texte, après son report sine die ?
En la matière, que l'on n'invoque ni les comparaisons internationales ni les arguments économiques ou sociaux. Examinons-les, les uns après les autres. Mais je veux souligner au préalable que le principe du travail dominical admet déjà de nombreux assouplissements. En effet, 6 millions de Français travaillent ce jour-là de manière habituelle ou occasionnelle, et le système de dérogation locale accordée par les maires et les préfets permet une adaptation aux traditions de chaque territoire, opérant un maillage fin, au plus près des besoins réels.
Qu'en est-il des comparaisons internationales ? Avec 10 % de salariés travaillant habituellement le dimanche, la France se situe dans la moyenne européenne. Elle est même dans le peloton de tête, si l'on inclut le travail dominical occasionnel, qui concerne 25 % des salariés. C'est également le pays européen où l'on travaille le plus le samedi. Contrairement à une idée reçue, la France arrive en tête des pays où l'on travaille le plus le week-end.
À cet égard, je veux dénoncer l'idée selon laquelle les Français n'aimeraient pas le travail, laquelle est professée dans les milieux bon chic bon genre et dans une certaine élite,…
…et dont l'éditorial proprement hallucinant de Christophe Barbier hier matin sur LCI a donné un exemple caricatural. Mais peut-être ne vise-t-elle qu'à stigmatiser les Français qui se disent épuisés après le travail, déclassés ou mal payés, avec de très faibles perspectives de promotion et des temps de transport interminables.
Les arguments économiques sont-ils plus convaincants pour justifier cette proposition ? Accroître l'offre favoriserait la consommation, nous dit-on, et contribuerait au déstockage de l'épargne de précaution – certes élevée – des Français.
Pourtant, aucun indicateur ne révèle de goulot d'étranglement de la consommation. Au contraire, les conditions de l'offre en France sont favorables le samedi mais aussi le dimanche, qu'il s'agisse des commerces touristiques, des hôtels, restaurants, musées, ou des commerces alimentaires de détail. Je n'évoque pas les secteurs de l'industrie et de la santé, qui ne sont pas concernés par ce texte.
Le seul argument qu'on avance est qu'il faudrait éviter de faire faire la queue aux clients, trop nombreux le samedi, en ouvrant aussi le dimanche. Mais que se passera-t-il quand les automates, censés supprimer les attentes aux caisses, auront complètement remplacé les caissières ?
Quant aux effets positifs sur l'emploi, l'enquête du CREDOC les dément : face aux 100 000 emplois qui risquent d'être supprimés dans le commerce et l'artisanat alimentaire, que sont les quelques milliers de CDD, pour des étudiants par exemple, pour lesquels on réclame déjà une exonération des charges sociales ? Une niche de plus !
Et la bonification de salaire actuellement consentie pour le travail du dimanche en raison des contraintes qu'il engendre, pour la garde des enfants par exemple, et des sacrifices familiaux qu'il impose, disparaîtra lorsque le travail du dimanche deviendra la norme. Le cas de la Grande-Bretagne est révélateur : le salarié qui travaille dans un site ouvert en continu ne perçoit pas de prime pour le dimanche. Ce processus est déjà à l'oeuvre en France. L'amendement Debré adopté le 20 décembre 2007 – sur lequel nous attendons les précisions que M. Eckert vous a demandées, monsieur le ministre – a prévu la possibilité d'ouvrir le dimanche pour les magasins d'ameublement. Auparavant, une majoration de salaire et un repos compensateur étaient prévus par la convention collective de branche. Mais l'arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2008 rend inapplicables ces dispositions dès lors que le salarié travaille habituellement le dimanche. D'ailleurs le principe du paiement double ne figure pas dans la proposition de loi. Seule l'absence d'accord collectif ouvrirait ce droit dans les PUCE. Actuellement, dans la plupart des accords collectifs de la grande distribution, le travail du dimanche donne droit à un repos compensateur sans avantage salarial. Le doublement du salaire le dimanche est extrêmement rare. Dans les communes touristiques où l'ouverture le dimanche sera autorisée, il n'y aura ni volontariat ni augmentation de salaire.
En aucun cas le travail du dimanche ne peut donc être considéré comme une réponse à la faiblesse des salaires ou à la baisse du pouvoir d'achat.
Enfin, je voudrais évoquer les arguments sociétaux contre la banalisation du travail dominical. À l'évidence, il est peu compatible avec la vie familiale et sociale. Selon de nombreuses études, l'impossibilité de prendre ses loisirs en famille déclenche des processus favorisant la dépression, et dans un rapport pour le conseil d'analyse économique, Patrick Artus, Pierre Cahuc et André Zylberberg ont montré que l'absence de plages de temps en commun suffisantes, à cause de la mauvaise coordination des temps de repos et de loisirs, provoque un délitement du capital social et accroît la désocialisation caractéristique de notre société.
Il me revient à l'esprit un déjeuner débat passionnant que nous avions passé, parlementaires de la majorité et de l'opposition, en compagnie de Luc Ferry, ancien ministre et philosophe. Il avait retracé pour nous en une fresque talentueuse, l'histoire des valeurs sur lesquelles se sont construites les civilisations, pour terminer par une critique sévère, alarmiste, de la façon dont la financiarisation de l'économie et la mondialisation conduisaient à la marchandisation de tous les aspects de la vie sociale, à l'effacement des valeurs éthiques et des relations entre les hommes telles que les avaient promues philosophies et religions.
Je participais hier, de même que M. Gest, à un colloque organisé par l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, sur l'apport des sciences humaines et sociales dans la gestion des crises sanitaires et des politiques de prévention. Vous n'avez pas réalisé d'étude d'impact sur les conséquences du travail le dimanche sur l'emploi. Mais vous auriez dû en réaliser une également sur ses conséquences sociétales. L'étude du CREDOC commandée par Bercy donne bien des indications. Elles sont négatives : effet économique négligeable, effet déstabilisateur pour les commerces alimentaires, effet nocif pour le moral des ménages, qui n'on ont pas vraiment besoin. L'offre supplémentaire se heurterait à un pouvoir d'achat en berne, et le mécontentement en serait accru. Ajoutons enfin le bilan énergétique négatif et le coût environnemental d'une telle mesure. Comment dès lors en justifier le vote ? Pour bon nombre de membres de la majorité, la seule justification est, une fois de plus, un diktat présidentiel. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Sur quel article vous fondez-vous et quel est l'article qui a été enfreint ?
Je vous rappelle que les rappels au règlement, même dans le temps législatif programmé, sont de deux minutes. Si votre rappel au règlement est en rapport avec le déroulement de la séance, il ne sera pas comptabilisé dans le temps de parole de votre groupe. S'il n'a pas de rapport avec le déroulement de la séance, il sera décompté.
La parole est à M. Jean Gaubert.
Monsieur le président, vous constaterez que mon rappel au règlement a un vrai rapport avec le déroulement de la séance. En effet, la question qui se pose maintenant, comme Gérard Bapt vient de l'évoquer, est de savoir s'il y a un véritable avantage économique à mettre en place cette mesure. Les études récentes montrent qu'il n'y a pas d'avantage économique.
Il y a un simple déplacement de la consommation, non une consommation supplémentaire. D'ailleurs, ceux qui demandent cet élargissement pour la zone de Plan-de-Campagne, soit un million d'habitants de la région marseillaise ou d'Éragny pour la région parisienne seront les grands perdants : ils ne seront plus les seuls à ouvrir le dimanche. Les gens ne se précipiteront plus dans leurs magasins, ils iront également dans les autres.
C'est pourquoi, à ce point de notre débat, je voudrais que Mme la ministre de l'économie, si tant est que ce texte a un aspect économique, vienne suppléer ou aider monsieur le ministre du travail, dont je sais qu'il n'est pas tout à fait dans ses compétences, même si le Gouvernement est un, et qui me semble un peu s'ennuyer à sa place. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Qu'elle vienne nous dire si les études mentionnées par Gérard Bapt sont justes, si elle en a d'autres à fournir, et en quoi l'affirmation du Président de la République selon laquelle nous aurions besoin de cette mesure pour relancer la croissance pourrait être justifiée.
Vous aurez constaté, monsieur le président, que cette intervention avait un vrai rapport avec le déroulement de la séance.
Non, ce n'est pas évident. Il s'agit en fait d'une opinion sur le fond de la proposition de loi. Vous n'avez pas montré qu'un article du règlement a été méconnu. En conséquence votre temps de parole sera comptabilisé dans celui de votre groupe.
C'est militaire !
(M. Marc Le Fur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Le repos dominical existe depuis 1906, ou plutôt il fut alors rétabli car, en 1880, une loi avait supprimé le repos dominical instauré en 1814, soucieux qu'étaient les députés de l'époque « des conséquences néfastes de l'oisiveté des ouvriers, de la baisse de la production et de la fermeture des pâtisseries le dimanche ».
Aujourd'hui les consommateurs ont remplacé les ouvriers, la consommation la production, et les pâtisseries sont restées des pâtisseries. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)
On veut nous faire croire que l'oisiveté des consommateurs serait néfaste et qu'il faudrait les envoyer en rangs serrés dans les grandes surfaces, sinon la consommation baisserait. Quel programme, quel projet !
Vous avez raison. Là où la loi affirmait « le repos hebdomadaire est donné le dimanche », on va écrire « dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ». Quelle nouveauté !
Le problème est que le travail du dimanche existe déjà. Il touche même plus de 3 millions de personnes…
…et probablement le même nombre de façon occasionnelle, soit environ 7 millions de salariés.
Il existe, mais il est réglementé. S'il l'est, c'est qu'il faut encadrer son utilisation par les employeurs afin de préserver le droit au repos dominical des salariés. Lacordaire disait qu'entre le fort et le faible c'est la liberté qui opprime et la loi qui protège.
S'attaquer à ce droit par une généralisation, ne toucherait-t-elle qu'une partie de l'activité économique et pas les autres, un espace géographique et pas les autres, c'est entrer dans un engrenage sans fin.
C'est cet engrenage, « l'engrenage du travail dominical » que Michel Urvoy avait pris comme thème de son éditorial dans Ouest-France du lundi 6 juillet. Je le cite : « Sous le prétexte d'une modeste – et sans doute nécessaire – adaptation de la règle du repos dominical dans les communes et zones touristiques, le Gouvernement enfourche un véritable cheval de Troie. Les cinquante heures de débat parlementaire, arrachées par la gauche,…
… vont montrer, à partir de demain, qu'il y a loin entre un slogan au bon sens apparent – la liberté de travailler et de consommer comme on veut – et sa faisabilité économique, sociétale et juridique. » Consommer, montre-t-il ensuite, n'a jamais créé de pouvoir d'achat.
Il poursuit : « S'il s'agit d'offrir des dimanches de shopping à l'américaine, disons-le tout de suite. Encourager des rythmes de vie dissociés risque d'accentuer le délitement des relations familiales. On sait trop à quoi conduit la dégradation du lien familial, l'éloignement subi des couples, l'espacement des relations amicales, l'émiettement du temps collectif, de l'espace consacré aux retrouvailles, aux échanges,…
Personne n'aura la naïve illusion de croire qu'un refus, même légal et motivé, de travailler le dimanche n'entraînera jamais de discrimination à l'embauche ou à la promotion. »
Il conclut enfin : « Les soixante députés chrétiens et sociaux de droite qui s'étaient opposés, en plus de la gauche, à la première mouture du projet, feraient bien de regarder si cette version dite allégée n'est pas un coup de ciseaux dans notre pacte social. Et de se demander si nous ne sommes pas autre chose qu'une addition d'individus mus par l'unique besoin de satisfaire un plaisir consumériste. »
Car c'est de cela qu'il s'agit et j'y reviendrai dans un instant.
Mais je résume d'abord mon propos : le travail le dimanche est réglementé et il faudrait modifier cette réglementation au nom des prétendus problèmes posés par la loi actuelle. Pourquoi y a t il des problèmes ? Parce qu'on fait un usage abusif des exceptions prévues par la loi.
La jurisprudence n'est pas tatillonne : elle rappelle seulement invariablement que le travail du dimanche est une exception, et le repos dominical un droit pour tous, a priori. Mais voilà bien le problème qui justifie que nous examinions cette proposition de loi. J'imagine Richard Mallié se dire : « Maudite jurisprudence qui empêche de consommer en rond, ou plutôt de faire des affaires en rond ! »
Évidemment, il est aisé de mettre sur le devant de la scène les quelques centaines de salariés qui travaillent dans les lieux ouverts, de façon illégale, le dimanche, et de poser la question, comme l'a fait Xavier Bertrand, en interpellant l'opposition : « Que direz-vous aux salariés qui travaillent à Plan-de-Campagne – dans la circonscription de Richard Mallié –, si vous supprimez leurs emplois ? Voulez-vous vraiment supprimer leurs emplois ? »
Je pourrais tout aussi bien, monsieur Darcos, vous demander ce que vous direz aux 15 000 jeunes qui souhaitaient entrer dans l'éducation nationale et qui vont trouver portes closes, puisque vous aurez supprimé autant de postes auxquels ils pouvaient prétendre. Vous voyez bien qu'en posant les questions en ces termes, vous faites tout simplement de la démagogie.
En fait, vous mettez en avant les quelques centaines de personnes qui travaillent à Plan-de-Campagne ou à Éragny pour imposer à des milliers d'autres salariés de travailler le dimanche.
Cette conception de la liberté, vous nous la servez en permanence : « Comment, vous, socialistes, voulez interdire à celui qui veut travailler jusqu'à soixante-dix ans de le faire ? Seriez-vous liberticides ? » Je dis soixante-dix ans, mais pourquoi pas quatre-vingt-dix ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Si quelqu'un a envie de travailler jusqu'à quatre-vingt-dix ans, nous direz-vous, pourquoi pas ?
Monsieur Rogemont, parlez-nous plutôt de la cuisson du homard, vous étiez meilleur !
« Vous voulez interdire à celle qui veut travailler durant son congé maternité de le faire ? » Rachida Dati l'a fait, nous direz-vous, pourquoi pas les autres femmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) « Voulez-vous interdire à celui qui veut travailler durant son congé de maladie de le faire ? » Voilà les questions que vous nous posez, comme si nos réponses allaient faire de nous des liberticides !
Aujourd'hui, vous nous servez la liberté pour chacun de travailler le dimanche en évoquant le volontariat. Je cite le porte-parole de l'UMP : « Ce texte va permettre de répondre à l'attente de nombreux Françaises et Français qui subissent une forme de harcèlement des syndicats et de la justice quand ils ont décidé de travailler le dimanche. » Voilà maintenant que les syndicats et la justice empêchent les gens de travailler le dimanche. Ah, les méchants ! Mais de qui se moque-t-on ?
Nous n'acceptons pas cette façon de présenter les choses. Lorsque l'on légifère, on doit d'abord mettre en avant l'intérêt général et non l'intérêt particulier – même s'il est partagé par quelques-uns –, surtout lorsque l'intérêt d'une personne ou d'un quarteron de personnes entre en conflit avec ceux de la très grande majorité des salariés
Au nom d'une prétendue liberté, vous nous demandez de légaliser tout travail qui s'effectue hors de la loi. En fait, vous voulez tout simplement donner force de loi à la politique du fait accompli que certaines enseignes veulent nous imposer. Ainsi, le cas des Usines Center est très significatif. Ces centres commerciaux ouvraient le dimanche en toute illégalité. Des condamnations ont été prononcées.
L'arrêt de la cour d'appel de Versailles de juin 2006 condamnait les commerçants d'un tel centre. Mais qu'a fait le préfet en février 2007 ? Il a accordé une dérogation aux cent vingt commerçants concernés au motif – écoutez bien ! – que les ventes du dimanche, pourtant réalisées en toute illégalité, ne pouvaient pas être compensées par une augmentation de l'activité en semaine. Une telle motivation est tout de même extraordinaire : il suffit donc de créer du chiffre d'affaires en toute illégalité pour que le préfet vous donne raison a posteriori. Bref, désormais, en contradiction avec les principes de notre droit, on peut se prévaloir de ses turpitudes. Et si une pratique est interdite par la loi, alors on change la loi pour que les turpitudes cessent d'être des turpitudes. Où est la morale dans cette façon de faire ?
Vos lois sont dures avec les délinquants quand ils sont petits, mais faibles avec eux lorsqu'ils sont puissants. Ce texte vise uniquement à permettre aux hors-la-loi de ne plus l'être. Dès lors cette proposition de loi est inique : c'est une amnistie payée sur le dos des salariés. Cela est absolument intolérable.
M. Maillé, rapporteur de ce texte, parle, pour justifier la proposition de loi, d'une habitude de consommation le week-end, sous-entendu le dimanche.
Je n'utilise pas le franglais mais le français, je parle donc de la fin de semaine.
Comment peut-on parler d'habitude de consommation le week-end, ou en fin de semaine, alors que cela est interdit le dimanche – sauf dans les cas prévus par la loi ? En fait, la création d'une telle habitude n'est possible que si on ne respecte pas la loi. Finalement, le texte que nous examinons constitue un encouragement à ne plus appliquer celle-ci ; un encouragement délictueux intolérable.
Il y a quelques instants, Serge poignant, qui se déclarait favorable à cette proposition de loi, relevait qu'elle contenait quelques zones d'ombres qu'il faudrait bien traiter concernant, par exemple, l'alternative entre l'application du droit du travail et le droit du tourisme. En fait, à défaut de savoir lequel doit s'appliquer, on va créer un troisième droit !
À nouveau, cela est tout à fait édifiant !
Je voudrais maintenant examiner quelques arguments venant à l'appui de cette proposition de loi.
Le code du travail serait un carcan empêchant l'initiative privée en France. Regardons donc ce qui se passe en Europe : la vérité en deçà des Pyrénées est-elle vérité au-delà ?
Au sein de l'Union européenne, la situation de la France au regard du travail le week-end est particulièrement intéressante. Comme le rappelait Gérard Bapt, la France est le pays qui travaille le plus en fin de semaine, et nous sommes, malheureusement, dans le peloton de tête pour ce qui concerne le seul dimanche. Il n'y a donc aucune distorsion entre la France et ses voisins. S'il est vrai que certains pays ont totalement accepté le travail du dimanche, ce n'est pas le cas de la majorité des pays membres de l'Union européenne. L'argument tombe.
Autre argument : le commerce le dimanche serait utile pour la relance. Comme le constatait, Michel Urvoy, dans l'article de Ouest-France, dont je vous lisais un extrait : « Consommer le dimanche ne crée pas de pouvoir d'achat supplémentaire. » Les salariés conservent le même salaire qu'ils le consomment en semaine ou le dimanche. Nombreux sont ceux qui font la même analyse, je lisais dans une revue de presse que c'était le cas de Bernard Thibault. En fait, toute consommation le dimanche se fera au détriment de celle de la semaine. On ouvre des commerces le dimanche, mais on en fermera d'autres toute la semaine pour cause de faillite !
Pis, on allègue de l'utilité de l'ouverture le dimanche en zone frontalière pour cause de concurrence déloyale, avec les commerces belges par exemple. Mais si cet argument vaut pour les zones frontalières, il vaut aussi pour les commerces qui se situent à proximité du PUCE ou de la commune touristique autorisée à ouvrir le dimanche. En effet, il y aura nécessairement une distorsion de concurrence entre ces zones, ou entre une rue dans laquelle le travail du dimanche est autorisé et une rue voisine dans laquelle il ne l'est pas. Si vous appliquez ce raisonnement, inexorablement, de fil en aiguille, la généralisation partielle sera de moins en moins partielle, jusqu'à devenir la règle.
Y aura-t-il des contreparties au travail le dimanche ?
Je crains qu'il n'y en ait pas.
L'exemple nous est donné par la loi autorisant l'ouverture le dimanche des commerces d'ameublement. Selon un arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier dernier, les salariés travaillant habituellement le dimanche du fait de l'autorisation légale d'ouverture des magasins d'ameublement le dimanche ne peuvent se voir appliquer la convention collective qui prévoit le repos compensateur et une rémunération double.
Oui, la banalisation du travail du dimanche conduit inexorablement à la banalisation des avantages qui y étaient liés et à celle de sa rémunération. Doit-on rappeler que cette banalisation de la rémunération est revendiquée par le rapporteur du texte pour l'essentiel du travail du dimanche ? De même, est revendiqué le fait que le volontariat ne sera pas applicable dans la très grande majorité des cas.
Le volontariat n'est évoqué que pour masquer la réalité des rapports dans l'entreprise, qui, en raison du lien de subordination, place le salarié dans une situation de dépendance par rapport à la décision de son employeur. Voici, extrait d'un article de presse, le témoignage de Mme Fernandez, quarante-cinq ans, travaillant tous les samedis, parfois de neuf heures à dix-neuf heures quarante-cinq, ce qui, dit-elle, créait déjà des tensions avec son mari : « Au mois de janvier, ils nous ont convoqués un par un pour nous demander si on acceptait de travailler le dimanche, sachant que le salaire de cette journée serait majoré de 20 %, ce qui pour moi représente une prime horaire de 5,03 euros. Je leur ai dit que je ne voulais pas : ma vie de famille ne vaut pas cinq euros de l'heure. » Résultat : Mme Fernandez s'est fait virer de son entreprise.
Voilà la réalité, voilà comment sont traités les salariés, voilà le volontariat dont vous parlez !
Par ailleurs, certains salariés seront effectivement payés double et bénéficieront éventuellement de repos compensateurs, tandis que d'autres n'auront rien du tout. Une telle distorsion de concurrence nous mènera forcément, elle aussi, vers le recul des dispositifs particuliers qui régissent le travail du dimanche.
Après d'autres, ce texte est une brèche dans le droit du travail. Ces réformes ont comme seul dénominateur commun d'abattre le droit du travail au profit du droit des sociétés.
Ce ne sont même plus les dirigeants, le management comme on dit, qui prennent les décisions, mais les actionnaires. Quels seront, alors, les rapports entre les salariés et les actionnaires, même médiatisés par le management ? Aucun ! Aucun contact ne sera pris : seule l'obéissance sera de mise.
Votre proposition de loi va dans ce sens, et elle considère, pour la première fois, le droit du travail, non plus comme un élément de régulation du marché, mais comme un élément de concurrence dans le marché. Le droit du travail, tel que vous l'écrivez dans ce texte, sera nécessairement un élément de concurrence entre les entreprises, entre les grandes surfaces, entre les grandes surfaces et les moyennes surfaces, voire les petits commerces. Dès lors, nous irons inéluctablement vers un affaiblissement de ce droit et de la protection des salariés.
Votre proposition de loi est nocive. Vous voulez nous faire croire que les acquis – rémunération, repos compensateur – qui limitaient, par les contraintes qu'ils faisaient peser, le recours au travail du dimanche, pourraient ne pas être supprimés dans la très grande majorité des cas. Or ils le seront, concurrence oblige. À qui voudriez-vous faire croire le contraire ? Pas à nous, ni aux salariés concernés par le texte. Et si vous parlez, ici ou là, de dialogue social, celui-ci n'inclut aucune obligation de résultat.
Au reste, là est probablement la raison pour laquelle nous sommes aujourd'hui saisis de ce texte sous la forme d'une proposition de loi. En effet, si le Gouvernement – pardon : le Président de la République – avait présenté un projet de loi, une négociation collective avec l'ensemble des syndicats aurait été nécessaire. J'ajoute, monsieur le rapporteur, que celle-ci n'a rien à voir avec une simple audition des syndicats.
Le 1er juillet, on préside un sommet social, mais, une semaine après, on s'assoit dessus ! Comme si le dialogue social dépendait des seuls intérêts du Président de la République, et non des entreprises et des salariés ! De qui se moque-t-on ?
C'est bien à l'Élysée que le texte qui nous est présenté aujourd'hui a été concocté, rédigé. À preuve, sitôt la lettre de Jean-Marc Ayrault reçue par les députés de l'UMP, le Président de la République les a réunis à l'Élysée autour d'un repas – René Dosière n'aurait d'ailleurs pas manqué de relever les dépenses supplémentaires ainsi occasionnées (Protestations sur les bancs du groupe UMP) – pour les faire rentrer dans le rang.
Faut-il que le Président de la République doute de vous, mes chers collègues, pour vous convoquer au seul motif que Jean-Marc Ayrault vous a adressé une lettre !
Qu'aurait donné une négociation collective sur ce sujet ? Sans doute nous aurait-elle rappelé que chaque Française, chaque Français est volontaire pour le repos dominical. N'oublions pas, en effet, que souhaiter que d'autres travaillent le dimanche, c'est, in fine, accepter de travailler soi-même le dimanche. Mais jamais les instituts de sondages ne posent la question en ces termes : ils préfèrent demander aux personnes interrogées ce qu'elles pensent du travail le dimanche pour les autres !
Autre argument avancé par la majorité : nombreux sont les salariés qui travaillent déjà le dimanche. C'est vrai – ce sont même, pour 62 % d'entre eux, des femmes. Mais est-ce une raison pour l'imposer aux autres ? Non, d'autant que ceux qui travaillent le dimanche en subissent les conséquences dans leur vie familiale. Ainsi, le taux de divorce des femmes – public cible de votre mesure – qui travaillent le dimanche est très sensiblement plus élevé que celui des autres femmes. De même, plus du tiers des femmes qui ont arrêté de travailler à la naissance d'un enfant travaillaient régulièrement le week-end dans leur emploi précédent.
Le travail le dimanche est donc un puissant moteur de désorganisation des équilibres de vie. C'est ce constat qui doit primer, car nous avons été élus pour organiser la vie commune et non pour verser dans un consumérisme effréné ; pour appeler chacun au bonheur et non pour réduire nos concitoyens au rôle de consommateurs.
À ce propos, je remarque que l'un des chapitres du rapport de la commission des affaires économiques, saisie pour avis, s'intitule : « La règle du repos dominical doit épouser les évolutions de la société et des modes de consommation. » Parmi ces évolutions, le rapporteur cite les familles monoparentales, lesquelles sont composées à 86 % de femmes seules avec leurs enfants. Davantage présentes sur le marché du travail que les femmes vivant en couple, elles auraient besoin de consommer le dimanche.
Elles peuvent en effet faire leurs courses dans un certain nombre de commerces ou au marché le dimanche matin.
Mais elles le font déjà, monsieur Ollier : une nouvelle loi n'est pas nécessaire. Actuellement, vous pouvez faire vos courses à Rueil-Malmaison le dimanche matin. Point n'est besoin d'ouvrir les grandes surfaces !
En outre, chacun sait que ces femmes occupent les emplois les plus précaires, notamment dans le commerce. Elles seront donc les plus touchées par l'extension des dérogations au repos dominical.
Non, la règle du repos dominical ne doit pas épouser les évolutions des modes de consommation, au contraire. Car la première question que nous devons nous poser est celle de la société que nous voulons.
Notre réponse est claire : nous n'avons pas besoin d'une nouvelle loi étendant le travail le dimanche. Au reste, Laurence Parisot elle-même a dit qu'elle aurait préféré que l'on maintienne le cadre législatif actuel, quitte à permettre la conclusion d'accords locaux entre les partenaires sociaux et les élus. C'est d'ailleurs ce qui passe à Rennes, où une charte d'urbanisme commercial régit les conditions de travail des salariés dans les commerces.
Cette proposition de loi est un coup de canif dans notre pacte social, et je veux dire à ceux qui s'apprêtent à la voter au motif qu'un amendement écarte de son application les commerces de leur circonscription, comme à ceux qui la voteront pour réguler l'ouverture des commerces de leur commune, que les conséquences de cette loi dépasseront, hélas ! leurs petits arrangements. La France et notre mission de législateur valent plus qu'une loi de complaisance.
La recherche, ici et maintenant, du bonheur de nos compatriotes : tel est le sens de notre action. Or celui-ci ne se résume pas à la consommation le dimanche, dont il n'a nullement besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comment expliquer l'obstination qui pousse le Président de la République à forcer la main de sa majorité pour lui imposer l'ouverture des commerces le dimanche, qui est, chez lui, une véritable obsession ?
S'agit-il d'un impératif économique ? Non – j'y reviendrai.
S'agit-il d'une demande de nos concitoyens ? Non plus. Le sondage publié hier dans Libération révèle ainsi que 55 % des Français sont opposés à cette mesure et que 86 % d'entre eux considèrent le dimanche comme un jour fondamental pour la vie familiale, sportive, culturelle ou spirituelle.
S'agit-il de mettre fin à une exception française en Europe ? Non. Mes collègues Gérard Bapt et Marcel Rogemont ont rappelé que la France est le pays où l'on travaille le plus le samedi et qu'elle figure parmi les pays européens où l'on travaille le plus le dimanche.
S'agit-il de répondre à une demande des partenaires sociaux ou des associations de commerçants ? Non. Les syndicats y sont tous opposés, de même que la CGPME, la Confédération des commerçants de France et la Fédération française des associations de commerçants, qui dénoncent tous une loi qui détruira des emplois.
C'est d'ailleurs l'opposition des partenaires sociaux à une telle mesure qui vous a conduit à choisir une initiative parlementaire, plutôt qu'un projet de loi, car elle vous permet de contourner l'obligation de les consulter. Comment prétendre développer le dialogue social dans notre pays et le contourner sur chaque sujet majeur ?
Surtout, on peut s'interroger sur ce qui a poussé un certain nombre de nos collègues de l'UMP farouchement opposés à la généralisation du travail dominical à prêter la main à cette opération en signant cette proposition de loi.
Car si cette quatrième mouture prétend, avec un titre trompeur, n'autoriser le travail du dimanche que dans quelques zones et sur la base du volontariat, la réalité est tout autre. En faisant sauter tous les verrous que le législateur avait posés pour limiter le travail le dimanche, notamment dans les communes touristiques, elle ouvre la porte à une généralisation du travail dominical dans un très grand nombre de communes, notamment dans toutes les grandes agglomérations, telles que Paris, Lyon – oui, Lyon –, Marseille, Nantes, Toulouse.
Cette proposition de loi est en réalité le cheval de Troie du démantèlement d'un droit fondamental : le droit au repos dominical. Un droit séculaire, qui plonge ses racines au coeur même de notre civilisation et qui fonde l'équilibre de notre société.
Avions-nous besoin d'une nouvelle législation ? Non. Je ne suis pas de ceux qui pensent que, chaque fois que la loi est contournée, il faille l'affaiblir en légalisant l'illégalité. Il est vrai que le mauvais exemple vient du sommet de l'État. Relève-t-il des attributions d'un Président de la République de faire ouvrir les boutiques des Champs-Élysées pour l'épouse d'un chef d'État en visite à Paris ? Est-il acceptable que des ministres fassent l'éloge de chaînes commerciales qui développent leur activité en toute illégalité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La législation actuelle est équilibrée. Elle autorise les activités indispensables – hôpitaux, transports en commun –, celles qui répondent aux besoins spécifiques du public – commerces alimentaires, hôtels, cafés, restaurants, fleuristes, musées – et, dans les zones touristiques où cette ouverture est nécessaire, elle limite étroitement les autorisations aux commerces concernés et aux périodes touristiques. Enfin, elle autorise des périodes d'ouverture exceptionnelles, accordées par le maire et limitées à cinq dimanches par an, ce qui correspond largement aux besoins de nos concitoyens comme aux souhaits des associations de commerçants.
Adjoint au maire de Lyon chargé de l'économie et du commerce pendant sept ans, je n'ai jamais eu à répondre à plus de trois ou quatre demandes d'ouverture dominicale exceptionnelle de la part des associations de commerçants.
Et, contrairement à ce que j'entends, je ne pense pas que Lyon soit, à cet égard, une exception. Certes, après avoir tenté de passer de cinq à huit, vous avez reculé sur ce point, mais pour mieux faire avaler à la majorité le texte dont nous discutons aujourd'hui.
Un premier accroc a été porté à l'équilibre de la législation par la loi qui a autorisé l'ouverture le dimanche pour les commerces de détail d'ameublement. Avec la présente proposition de loi, vous introduisez deux brèches majeures. Vous faites sauter toutes les contraintes d'ouverture dans les communes et les zones touristiques. Dans toutes ces zones, l'ouverture des commerces le dimanche sera de plein droit, sans aucune contrepartie pour les salariés. Il n'y aura ni volontariat, ni salaire doublé, ni repos compensateur.
À l'occasion de la parution, en mars de cette année, du décret d'application de la loi d'avril 2006 redéfinissant la notion de commune touristique, la lettre du cadre territorial indiquait qu'« il existe aujourd'hui 3 500 communes touristiques et que le potentiel est de 6 000 communes à vocation touristique en France ». Avec 6 000 communes, dont toutes les grandes agglomérations, nous ne sommes pas loin de la majorité de la population française.
Vous nous répondez qu'au sens du code du travail, les communes touristiques sont moins nombreuses, mais il y en a tout de même 500, dont toutes les grandes villes, y compris la mienne, Lyon, qui est commune touristique depuis 1921 – il ne s'agit pas d'une simple zone touristique au sein de la commune, mais de la commune tout entière. En outre, les conditions pour être classées communes touristiques au sens du code du travail étant moins exigeantes, il y en aura potentiellement beaucoup plus !
À qui ferez-vous croire sérieusement qu'un préfet amené à se prononcer sur la demande d'un maire pour classer sa commune en commune touristique au sens du code du tourisme pourrait refuser de le faire au sens du code du travail, lequel est moins exigeant sur les critères touristiques ? Vous êtes tellement embarrassés par cette évidence que vous avez introduit hier matin un amendement tendant à substituer à la formule « commune touristique » la formule « commune d'affluence touristique ». Il y aurait ainsi, en France, des communes touristiques qui n'auraient pas d'affluence touristique. On est en plein délire !
La seconde brèche concerne l'ouverture dominicale dans les « périmètres d'usage de consommation exceptionnel », qui concerne les quatre unités urbaines de plus d'un million d'habitants. Contrairement à ce que vous dites, la ville de Lyon est évidemment concernée par ce texte, même si l'exposé des motifs indique qu'« il n'existe pas d'usage de consommation le samedi et le dimanche dans l'agglomération lyonnaise ».
Sur quelle base peut-on affirmer qu'« il n'existe pas », à Lyon, d'« usage de consommation de fin de semaine » ?
Ce n'est évidemment pas vrai du samedi, où le commerce lyonnais réalise plus de 40 % de son chiffre d'affaires hebdomadaire. Quant au dimanche, il suffira qu'un commerce d'ameublement ouvre le dimanche dans l'aire urbaine de Lyon, pour qu'une autre enseigne fasse un recours en arguant des différences de traitement avec Paris et Marseille et elle sera sûre de gagner. Je trouve que mes collègues lyonnais de l'UMP qui étaient opposés à l'ouverture dominicale ont été bien imprudents de signer ce texte.
Cette proposition de loi, dont le but initial était de légaliser des pratiques illégales dans les agglomérations parisienne et marseillaise, ouvre une véritable brèche dans le principe du repos dominical.
Pour quel impact économique ? Dépenser le dimanche le revenu que l'on n'a pas dépensé dans la semaine n'a jamais créé de pouvoir d'achat. Ce déplacement de la consommation n'aura qu'un seul effet : développer les grandes surfaces au détriment du commerce de centre-ville.
Non seulement cela aura, à terme, un impact négatif sur l'emploi, car les artisans et commerçants de proximité emploient en moyenne trois fois plus de personnel que les grandes surfaces. Mais ce sera surtout ravageur pour l'équilibre de nos agglomérations, car cela remettra en cause tous les efforts que nous menons dans nos villes pour préserver le commerce de centre-ville.
Pour satisfaire le marché, hier vous précarisiez le salariat, aujourd'hui vous sacrifiez les dimanches. Demain, vous continuerez à démanteler le modèle social français. La loi de 1906 sur le repos dominical, adoptée à la quasi-unanimité du Parlement, rassemblait ceux qui luttaient pour l'émancipation des salariés comme ceux qui voulaient que les valeurs spirituelles, qu'elles soient religieuses ou philosophiques, ne disparaissent pas au profit du seul intérêt matériel. Elle est encore pleinement d'actualité aujourd'hui, à un moment où un quart de siècle de mondialisation libérale a conduit l'économie mondiale dans le mur.
Pour satisfaire les intérêts mercantiles d'une petite minorité, vous êtes en train de mettre en danger les fondements même de notre société. Que deviendront les activités associatives, sportives, culturelles et spirituelles quand l'économie aura envahi l'ensemble de la sphère privée ?
Monsieur le ministre, il est profondément choquant d'entendre tenir de grands discours sur le programme du Conseil national de la résistance et vanter les mérites du modèle social français, par ceux-là même qui passent leur temps à le démanteler !
Mes chers collègues, n'inscrivons pas dans la loi des dispositions qui feront éclater demain ce bien commun essentiel à l'équilibre de notre société qu'est le repos dominical. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson. (« Ah ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Georges Pompidou expliquait que le propre de la politique était d'avoir à choisir entre des inconvénients. (« C'est vrai ! » sur divers bancs.) À mon sens, notre débat illustre parfaitement cette citation, dans la mesure où je n'ai jamais entendu personne demander la fermeture immédiate des commerces ouverts le dimanche, pas même ceux ouverts de façon illégale.
Si, nous avons demandé la fermeture des commerces ouverts illégalement !
De même, je n'ai jamais entendu personne souhaiter la généralisation de l'ouverture des magasins le dimanche. Ce n'est donc ni en fermant tout ce qui est actuellement ouvert le dimanche, ni en libéralisant l'ouverture du dimanche d'une manière exagérée que nous réglerons la question. C'était au nom de ce risque de généralisation qu'un certain nombre de mes collègues et moi-même avions, à l'automne dernier, pris position de manière énergique contre les premières versions du texte de Richard Mallié.
Le problème est complexe, c'est pourquoi j'invite l'ensemble de nos collègues à se méfier des généralisations en la matière et je les appelle à une certaine forme de cohérence.
Comme je le disais dernièrement en réponse à Mme Billard, si l'ouverture des magasins le dimanche n'a aucune conséquence positive, si elle ne crée ni richesses ni emplois, je peux vous garantir que les magasins concernés ne resteront pas ouverts très longtemps ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous assistons dans cette affaire à une opposition de philosophies et de styles. Pour notre part, nous estimons que la création de richesses – l'une des raisons pour lesquelles les entreprises se créent – sera, dans certains cas, d'une faiblesse telle qu'elle ne permettra pas une ouverture dominicale continue.
La complexité du sujet est accrue par la situation dans laquelle se trouvent les salariés en ce qui concerne la rémunération et le traitement social du travail dominical. D'une part, nombre de dérogations ont été accordées ; d'autre part, les métiers génèrent leur propre réglementation en la matière ; par ailleurs, les territoires, les conventions collectives, les saisons sont également à l'origine d'une grande diversité de cas. Pour toutes ces raisons, il me semble, monsieur le rapporteur, que la loi n'était sans doute pas le meilleur outil.
Tout cela – et je parle sous le contrôle de M. le président de la commission des affaires économiques, qui n'a rien à se reprocher dans ce qui est arrivé – a été bigrement aggravé par l'amendement relatif à l'ameublement, descendu par gravitation lors de la discussion de la loi de modernisation économique au Sénat. Il semblerait que cet amendement ait été adopté de justesse à la suite d'une conversation très tendue en commission mixte paritaire. Or, il fausse considérablement le débat que nous avons aujourd'hui…
…et le fait que des amendements ayant de telles conséquences puissent être adoptés de cette manière nous fait douter d'une part de la procédure accélérée et de son organisation, d'autre part de la capacité des CMP à arbitrer sur des sujets pareils, en particulier quand la première chambre n'a pas été saisie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Il fallait traiter le sujet en ayant la volonté de préserver certains équilibres. Malheureusement, c'est là que les choses se compliquent, et j'assume parfaitement ce que j'ai signé précédemment.
Notre collègue Mallié voulait équilibrer quatre éléments à la fois. Nous sommes en train de faire une loi d'exception, qui ne vaut que si le principe qui la fonde est rappelé en toute fermeté. On peut gloser à l'envi et se demander si l'ajout de la formule « dans l'intérêt des salariés » affaiblit ou renforce le principe de base. (« Il l'affaiblit ! » sur les bancs du groupe SRC. – « Il le renforce ! » sur les bancs du groupe UMP.) J'avais déposé l'amendement correspondant avec le président Méhaignerie, et suis donc en mesure d'expliquer que la mention de l'intérêt des salariés vise uniquement à faire référence à la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation. C'est un motif qui explicite le sens de ces arrêts et non une restriction à la portée de la loi. Telle est, en tout cas, l'intention des auteurs de cet amendement.
La deuxième chose à préserver était le choix des salariés. On peut être très insatisfait de la notion de volontariat.
Chacun sait que, dans la relation entre l'employeur et son salarié, il y a une forme de déséquilibre. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Eh oui, mes chers collègues, vous paraissez surpris, mais sachez que nous pouvons avoir, nous aussi, une certaine pratique des relations sociales et du contrat de travail.
Pour autant, il faut choisir son camp : ou bien le volontariat est de la poudre aux yeux…
…auquel cas il ne s'agirait que d'une opération de cosmétique ; ou bien il faut considérer que, dans les accords signés par les syndicats, la condition préalable et nécessaire du volontariat des salariés n'est d'aucune valeur, mais à moins de vouloir être plus syndicalistes que les syndicats, on peut sans doute reconnaître à ceux-ci une certaine autorité sur ces sujets.
Vous ne pouvez pas dire ça, mon cher collègue ! L'accord national sur la formation professionnelle et l'accord de l'UIMM sur le prêt de main-d'oeuvre ne sont pas des textes marginaux ! Je vous renvoie à la liste des accords sur lesquels figure la notion de volontariat, vous pourrez constater que ce ne sont pas de petits textes.
Le fait même de qualifier de marginaux des textes signés par les partenaires sociaux a, de mon point de vue, quelque chose de choquant.
Le troisième point à préserver a trait à la pérennité des entreprises. J'attends encore des réactions d'indignation au sujet de l'ouverture ponctuelle de tel ou tel magasin le dimanche. J'observe au passage que nombre des chefs d'entreprise dont nous parlons aujourd'hui ont sollicité leurs salariés dans le cadre de consultations internes, ainsi que les instances représentatives du personnel. M. Poniatowski citait ce matin l'exemple de la librairie du Grand Cercle, située dans sa circonscription, un exemple très instructif : l'ouverture de ce magasin s'est faite avec l'autorisation du préfet ; la consultation interne des instances représentatives du personnel s'est faite dans les formes ; enfin, ayant rencontré le chef d'entreprise et les représentants du personnel, je puis confirmer que le traitement social a été effectué de manière irréprochable. Or, le chef d'entreprise a été condamné, la dérogation préfectorale ayant été cassée par le tribunal administratif à la demande du syndicat Force ouvrière. Il a dit à ses salariés que, désormais, la librairie n'ouvrirait plus. Mais ceux-ci ont décidé, depuis le mois d'avril, d'ouvrir l'entreprise sans son autorisation.
Je vois M. Eckert dodeliner du chef. J'imagine, mon cher collègue, ce que vous avez envie de me dire : on ne peut pas faire une généralité d'un exemple. Certes. Mais c'est aussi ce genre de situations que nous sommes amenés à traiter. Fallait-il le faire en prévoyant une loi ? On peut en effet s'interroger sur la méthode.
Je partage cette interrogation. De mon point de vue, la meilleure solution aurait consisté à laisser émerger du dialogue social territorial, des accords interprofessionnels pour régler cette question.
J'en reste à la priorité donnée au règlement du problème sur le choix de la méthode. Constatant qu'il faut toujours traiter la situation, je le fais avec la méthode qui m'est proposée. Je n'ai pas le pouvoir d'en changer.
Non ! Je prends la situation comme elle est. À cet égard, je rends à nouveau hommage à Richard Mallié, à sa constance et à son sens de l'écoute.
Nous aurions dû déplacer Plan- de-Campagne en Moselle : il n'y aurait pas eu de loi !
Les trois versions précédentes comportaient, de mon point de vue et de celui d'un certain nombre de mes collègues, des risques objectifs et avérés de généralisation d'ouverture dominicale.
Nous n'avons pas accepté ces trois premières versions. Elles contenaient des risques de banalisation du dimanche alors que ce jour doit rester particulier.
Elles prétendaient régler des situations existantes, ce que nous souhaitions. Mais elles étaient insatisfaisantes sur la question du volontariat pour les salariés.
Notre lecture de cette quatrième version a été différente. De notre point de vue, la limitation à un certain nombre de périmètres circonscrits sur le plan géographique réduit le risque.
Par ailleurs, la question du volontariat est mieux traitée, même s'il faudra y apporter quelques améliorations supplémentaires. Des amendements en ce sens ont été déposés.
Pas tous, monsieur Muzeau.
Voilà pourquoi nous soutenons la présente proposition de loi. S'agit-il d'un texte parfait ? Non.
Mais il ne peut pas y avoir de texte parfait pour régler par la loi des situations si diverses qu'aucun discours général ne peut s'y appliquer pleinement. Soyons lucides, acceptons cette imperfection – cela fait partie de l'activité politique – et considérons que nous sommes parvenus à une solution de compromis satisfaisante au regard de nos exigences de départ.
Pour conclure, j'appelle l'attention de M. le ministre et de l'Assemblée sur trois amendements qui me tiennent particulièrement à coeur : le premier, que j'ai déposé avec mon collègue Marc Le Fur, sur la question de la réversibilité, le deuxième de Francis Vercamer, qui a été adopté par la commission hier, et le troisième du président Méhaignerie tendant à charger un groupe paritaire de parlementaires de suivre l'application du texte. Il me paraît très important, en effet, de surveiller l'application de cette loi. Ce groupe aura tout son sens dans la mesure où il tendra à corriger la situation s'il s'avère que l'intention du législateur, que nous exprimons, ici, n'est pas respectée, et où elle confortera le texte si ces dispositions s'appliquent comme nous le souhaitons. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai entendu cet après midi le président du groupe UMP nous expliquer que nous devrions être une opposition responsable, qui s'associe à la nouvelle façon de faire le travail législatif. Je regrette qu'à l'heure des travaux pratiques il ne soit pas parmi nous car nous aurions des questions à lui poser sur les conditions dans lesquelles ce texte est examiné par notre assemblée.
Cette proposition de loi restera, en effet, comme l'histoire d'un passage en force organisé contre la volonté de tous les syndicats de salariés, contre la volonté de certains chefs d'entreprise, contre la volonté même d'une partie de la majorité de cette assemblée – dont on se demande, y compris après avoir entendu Jean-Frédéric Poisson, comment, après avoir partagé nos arguments en décembre dernier, elle peut aujourd'hui rendre les armes alors que le texte proposé relève de la même démarche et se révèle, sur certains points, plus dangereux que le précédent.
Le passage en force, c'est aussi le choix de la procédure de la proposition de loi. Cette démarche est parfaitement étrangère à une quelconque revalorisation du Parlement et n'a en réalité qu'un seul objectif : écarter l'application des dispositions de la loi sur le dialogue social qui oblige le Gouvernement à saisir préalablement les partenaires sociaux de tout projet de loi modifiant les règles du code du travail.
Le passage en force, c'est ensuite l'application du nouveau règlement de l'Assemblée nationale. Chacun sait qu'il existe un lien étroit entre la bataille parlementaire annoncée au mois de décembre et ce nouveau règlement. Vous ne faites d'ailleurs même pas semblant de cacher ce mauvais coup, puisque vous avez attendu l'entrée en vigueur du nouveau règlement pour inscrire à nouveau ce texte à l'ordre du jour de nos travaux.
La question de fond reste la même. Pourquoi cette proposition de loi ? Quel est l'objectif ? Quel est l'intérêt pour la société française en 2009 ? Force est de constater que les réponses à toutes ces questions varient au gré des propositions de loi successives, et qu'à ce jour les expressions de la majorité restent diverses, voire divergentes : la lecture des rapports respectifs de la commission saisie au fond et de la commission saisie pour avis montre qu'elles ne sont manifestement pas sur la même longueur d'ondes.
Au coeur d'une crise économique sans précédent, alors que notre pays compte 350 000 chômeurs de plus en cinq mois seulement et que l'on en attend 700 000 supplémentaires pour l'année 2009 – voire 800 000 si j'en crois vos déclarations, monsieur le ministre –, l'extension de l'ouverture des magasins le dimanche présente-t-elle un intérêt, même minime, en termes de croissance ou de création d'emplois ?
À l'origine de ce débat, il y avait une déclaration de M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail et aujourd'hui secrétaire général de l'UMP. Voici ce qu'il déclarait dans un entretien accordé au journal Les Échos, le 19 janvier 2008 : « Le chiffre d'affaires réalisé le dimanche est en plus des autres jours, pas à la place. »
M. Bertrand nous expliquait ainsi qu'il suffisait d'ouvrir un septième jour pour avoir un septième jour de recettes, ce qui allait dynamiser la croissance et donc les créations d'emplois. Nous attendons toujours la démonstration à l'appui de cette brillante thèse selon laquelle l'argent dépensé le dimanche est toujours dans la poche du consommateur le lundi !
Naturellement, aucune étude n'est avancée à l'appui de cette affirmation singulière. D'ailleurs, en faisant le choix de la proposition de loi, vous vous êtes dispensés d'une étude d'impact qui aurait pu apporter une réponse fort intéressante à deux questions simples : cette loi va-t-elle créer des emplois ? Ne risque-t-elle pas de détruire des emplois existants ?
Le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, membre de l'UMP, tout en soutenant un texte qu'il estime de portée limitée, écrit à propos du seul élargissement – et non de la généralisation – du travail le dimanche : « Un tel élargissement dans un contexte de contraintes fortes pesant sur le pouvoir d'achat des ménages serait sans effet sur la croissance et risquerait de se traduire par une captation de la clientèle du petit commerce de proximité par les grandes surfaces. Le gain engendré par les éventuelles créations d'emplois dans ces grandes surfaces serait annulé par les conséquences dramatiques de la baisse d'activité, voire de la fermeture, des petits commerces. »
Voilà qui est bien dit. Nous n'aurions pas osé aller si loin.
Le rapport publié par le CREDOC, en novembre 2008, a, d'une certaine façon, clos le débat. Il a en tout cas freiné les enthousiasmes, et notamment ceux de M. Bertrand. Du reste, vous avez globalement changé de discours sur ce texte. Le rapporteur pour avis parle ainsi de « scénario simpliste » à propos de l'intérêt économique de la mesure – je vous renvoie à son appréciation.
Le rapport du CREDOC parle de la généralisation de la mesure !
Si l'on veut bien admettre l'idée que l'augmentation de la consommation dépend d'abord de l'augmentation du pouvoir d'achat, on ne peut alors que constater que l'augmentation, parfois réelle, du chiffre d'affaires le dimanche se fait au détriment, non seulement des autres jours de la semaine, mais surtout des magasins qui sont fermés le dimanche. C'est là que réside toute la difficulté sur le plan économique.
C'est une sorte de captation de la clientèle au profit de commerçants agissant aujourd'hui souvent dans l'illégalité. Car tel est bien le début de l'affaire et la démarche de notre rapporteur pour obtenir la régularisation de la zone de Plan-de-Campagne.
Je veux rappeler ici que le premier recours engagé contre Plan-de-Campagne est venu, non pas des syndicats de salariés, mais, en 1997, de la Société des commerçants, industriels, artisans de Marseille et de la région – la SOCIAM – qui a saisi le tribunal administratif de Marseille pour se plaindre du déséquilibre concurrentiel résultant de cette pratique. Dès le début, le problème évoqué aujourd'hui, y compris en termes concurrentiels et de risques de distorsion de concurrence, était posé par les commerçants de Marseille. La question n'était donc pas seulement sociale. Depuis cette date, les condamnations se sont succédé sans que rien ne change.
Nos concitoyens doivent comprendre que les infractions répétées par des magasins multirécidivistes deviennent subitement des « usages constatés ». Vous nous proposez de légaliser l'action de ceux qui, depuis tant d'années, bafouent la loi, les droits des salariés, le droit de la concurrence. Pour ces multirécidivistes-là, pas de peines plancher, mais une sorte de prime à la délinquance !
Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes attaché aux principes républicains. Eh bien, ce qui me gêne le plus aujourd'hui c'est que les pédagogues du respect de la loi que nous devrions tous être – que nous soyons parlementaires ou représentants du Gouvernement –, devront maintenant porter ce mauvais exemple comme un fardeau. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
En l'absence de tout intérêt économique, la question reste entière : pourquoi ce texte et pourquoi maintenant ?
Votre proposition de loi intervient dans un contexte économique grave, mais aussi à un moment où nos concitoyens expriment leur préoccupation à propos de la protection de l'environnement. Alors que le Grenelle de l'environnement fait l'actualité, il est surprenant, monsieur le ministre, que vous écartiez totalement de ce débat l'impact de l'extension de l'ouverture des magasins le dimanche sur l'environnement. Plus de magasins ouverts le dimanche, c'est à l'évidence un surcroît de dépenses énergétiques, une multiplication des déplacements, bref une sorte de gabegie organisée par les pouvoirs publics. Je suppose que vous allez vous racheter une conscience environnementale, en exigeant que ces magasins nouvellement ouverts le dimanche utilisent des ampoules à basse consommation ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)
Dépourvu d'intérêt économique, légalisant des comportements délictueux, inepte sur le plan environnemental, ce texte répond-il au moins à une attente de nos concitoyens ? « Le dimanche n'est pas un jour comme les autres » : cette formule du Conseil économique et social résume l'opinion très majoritaire des Français.
Certes, 3 millions de Français travaillent déjà habituellement le dimanche et 3,3 millions occasionnellement ; il s'agit pour l'essentiel de fonctionnaires ou d'agents publics, travaillant par exemple dans des hôpitaux ou des tribunaux, mais aussi de salariés du privé. Mais tous ceux qui suivent ces questions savent que même pour ces gens-là le travail du dimanche n'est jamais banalisé, qu'il n'est jamais anodin, et que les conventions collectives dans le privé ou l'organisation du travail dans le public abordent toujours cette question comme une sujétion particulière.
Le travail du dimanche est parfois un passage obligé, mais il doit le rester sur la base d'un objectif d'intérêt général. Et l'on touche là au coeur du problème. La loi, par définition, exprime la volonté générale et vise l'intérêt général. Or, quel est l'intérêt général auquel votre texte serait censé répondre ? La question reste sans réponse, alors que c'est la première question à se poser avant d'examiner une modification de la loi.
Bien au contraire, cette proposition va à l'encontre de l'intérêt général, à l'encontre d'un acquis de civilisation, résultat de multiples courants de pensée qui ont forgé l'identité nationale. Oui, le dimanche doit rester un jour à part, celui du repos, des activités sportives et culturelles, de la rencontre avec sa famille, ses amis. Le dimanche doit rester le jour du « vivre ensemble » et non devenir celui du « consommer toujours plus ». Nous ne voulons pas de la civilisation du caddie, de la transformation du monde en une immense galerie marchande aseptisée.
Je sais que cette approche est largement partagée, et pas seulement sur les bancs de la gauche. Alors, pour se sortir de ce mauvais pas, on nous explique qu'au fond ce texte n'est pas grand chose, qu'il s'agit d'une adaptation, d'un assouplissement à la marge du droit positif. Il n'est plus question d'enjeu économique, de création d'emplois, d'un chemin vers la modernité. Non, il s'agirait seulement d'une petite loi, pour de petites adaptations, avec de petites conséquences.
Ce contre-pied, en quelques mois, relève de l'enfumage politique et médiatique ! Non, ce texte est aussi inacceptable que les précédents, dès lors qu'il ouvre des brèches qui conduiront inexorablement vers l'extension, voire la généralisation de l'ouverture des magasins, et donc du travail le dimanche.
En effet, les choix retenus organisent les conditions d'une extension du phénomène, selon un effet tâche d'huile ou, si vous préférez, un effet domino. C'est d'abord évidemment le cas pour les communes ou les zones touristiques. Votre proposition est claire : tous les magasins, tous les dimanches, sans aucune contrepartie pour les salariés et sans la protection du volontariat. En termes de déréglementation sociale, on peut difficilement faire mieux !
Reste la question majeure du champ d'application dans un pays qui est la première destination touristique du monde. Vous êtes d'ailleurs totalement incapables, à ce stade de nos débats, de nous dire le nombre de communes et, surtout, la part de la population française potentiellement concernée.
Face à cette difficulté, vous avez modifié le texte pour proposer une définition qui ne soit pas celle du code du tourisme, et intégrer dans le droit du travail la notion de zone d'affluence touristique. Il se trouve que cette idée d'affluence figure déjà dans le code du travail, à propos d'une autre disposition. J'ai donc regardé de quelle manière elle avait pu être interprétée, et mes recherches n'ont fait qu'accroître mon inquiétude.
En effet, une zone d'affluence touristique exceptionnelle ou une zone d'animation permanente peuvent, au sens du code du travail, être situées hors d'une commune classée touristique ou thermale, ce qui multiplie à l'infini le risque pour les salariés de devoir travailler le dimanche.
Ainsi, dans le droit positif, de simples terres agricoles, non construites, ont été classées en zone d'affluence touristique exceptionnelle par arrêté préfectoral du 11 décembre 2000, portant inscription du site de « La Vallée Shopping Village » en zone touristique d'affluence exceptionnelle dans la commune de Serris, au simple motif qu'elles étaient situées à une station de RER d'Eurodisney ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Que ceci me permette de dire à ceux qui se montraient rassurés par votre texte qu'ils vont avoir des surprises…
Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. En effet le centre commercial Usines Center de Gonesse a été classé en zone d'affluence touristique exceptionnelle au motif qu'il était situé à proximité de l'aéroport de Roissy.
Pas le centre, la commune !
On voit donc quelles dérives sont possibles. J'en profite pour signaler ici – mais sans doute le Gouvernement aura-t-il des réponses à nous apporter sur le sujet – qu'une décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 27 novembre 2007 établit que le recours éventuel d'un employeur ou de salariés n'est pas recevable en la matière, car ni les syndicats de salariés ni les syndicats d'employeurs n'ont d'« intérêt à agir » à l'encontre de la décision préfectorale qui procède au classement d'une zone.
Autrement dit, en l'état actuel du droit et contrairement à ce qui a été affirmé, aucun recours n'est possible. Il n'existe pas aujourd'hui de contrôle juridique du classement d'une zone d'affluence touristique exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente.
J'en viens maintenant à une dernière question juridique, peut-être la plus inquiétante, que les rapporteurs n'ont pas abordée et sur laquelle nous n'avons pas d'étude d'impact. Quelle est la compatibilité de notre droit avec les principes européens qui prévalent en matière de droit de la concurrence ? Belle question, puisqu'il suffirait que l'on juge que ce texte fait anormalement obstacle à l'exercice du droit de la concurrence pour que, du fait de la prévalence de la norme européenne sur la norme nationale, tout ce que nous faisons ne serve strictement à rien et que toute personne située à proximité des zones concernées puisse bénéficier des mêmes dérogations.
Un arrêt du Conseil d'État confirme de manière inquiétante cette hypothèse. Il s'agit du fameux arrêt Paris Look, du 28 juillet 2004, rendu à la suite de la plainte de cette entreprise dont un concurrent se trouvait dans une zone où il pouvait ouvrir le dimanche, dont je vous livre ici l'un des considérants : « Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'en raison de la spécificité de sa clientèle composée de touristes de passage pour de brefs séjours, de son emplacement et de la situation de son principal concurrent qui bénéficie de la dérogation à la fermeture hebdomadaire le dimanche, le repos simultané le dimanche de tout le personnel de la société Paris Look serait de nature à compromettre son fonctionnement normal ; » Le Conseil d'État a donc annulé la décision de la cour administrative d'appel.
Comment donc comptez-vous concilier les définitions que vous voulez inscrire dans le droit du travail avec cette jurisprudence ? Vous avouerez, monsieur le ministre, que c'est une question qui mérite que l'on s'inquiète.
Par ailleurs, si ce texte entre en vigueur, la pression des commerçants, voire celle des élus, se fera incessante pour obtenir ce classement, ne serait-ce que pour lutter contre la concurrence de la commune voisine qui l'aura obtenu. Avec ce texte, vous donnez à ce type de pressions des arguments légitimes.
Je rappelle au passage que, dans ces zones, les salariés n'auront aucun droit particulier et que le travail le dimanche sera automatiquement inclus dans leur contrat de travail, à l'exclusion de tout respect du volontariat. Je n'insiste pas sur ce point mais me permets de signaler au Gouvernement que cette rupture manifeste d'égalité entre les salariés nous paraît de nature à intéresser de près le Conseil constitutionnel…
J'ai vainement cherché dans les rapports la moindre explication sur ce traitement différencié de salariés travaillant dans différentes zones. Je n'ai pas été le seul, puisqu'un amendement présenté devant la commission propose que cette question fasse l'objet d'une négociation avec les salariés.
Mais qui va négocier, monsieur le ministre ? Il y a en effet, dans cette affaire, une petite difficulté, car l'amendement en question commence par évoquer la négociation de branche – ce qui est l'idéal – pour mentionner ensuite la négociation d'entreprise.
Si vous souhaitez une négociation d'entreprise, mieux vaudrait renvoyer l'examen de cette proposition de loi à une date ultérieure et attendre le résultat des négociations en cours entre les partenaires sociaux sur la représentation des salariés et la négociation dans les petites entreprises. Nous sommes en train de mettre la charrue avant les boeufs, en prétendant adopter des dispositions inapplicables – et d'autres que moi, spécialistes des relations sociales, vous diront que c'est un drôle de bricolage juridique.
J'ai approuvé le Gouvernement lorsqu'il a voulu élargir le champ de la négociation sociale et mieux définir les conditions de négociation et d'élaboration de la norme conventionnelle dans les petites entreprises ; vous nous renvoyez à une négociation en cours et annoncez un texte de loi, mais cela ne vous empêche pas de déposer des amendements censés organiser ces négociations, alors que personne ne sait encore comment les choses se feront ! Les accords de branche ou la négociation locale ne régleront pas tout, et cette proposition de loi comporte beaucoup trop d'incertitudes.
Pour Plan-de-Campagne, vous avez imaginé les périmètres d'usage de consommation exceptionnels.
Là aussi, le risque ou la stratégie de la tache d'huile – ou de l'effet domino – sont évidents : les zones limitrophes des périmètres d'usage de consommation exceptionnels seront à l'évidence des candidates permanentes à l'extension de la zone, sur la base du respect de la libre concurrence.
Il est d'ailleurs paradoxal – cela a déjà été dit – d'évoquer la réglementation au-delà des frontières de notre pays pour justifier les dérogations dans les zones frontalières, sans prendre conscience que la même logique s'imposera aux limites des PUCE, dès lors que vous allez ainsi créer, juridiquement, des frontières commerciales sur le territoire national.
Certes, la proposition de loi prévoit, dans les PUCE, des compensations sociales minimales pour les salariés : il y aura obligatoirement un repos compensateur et le salaire sera, le dimanche, majoré de 100 %. Mais vous avez une bien étrange façon d'écrire le droit du travail ! Vous dites : « Voilà les droits des salariés, mais s'il y a un accord d'entreprise, c'est celui-ci qui s'appliquera ! »
Beaucoup d'esprits innocents, ou bien-pensants, comprennent que le texte pose un socle minimal, qui peut être amélioré par des négociations – qui pourraient prévoir une majoration salariale de 125 %, par exemple, ou un meilleur repos compensateur. Non ! Il faut le lire dans l'autre sens : la négociation collective aura la possibilité de remettre en cause la majoration salariale et l'existence du repos compensateur. Si, dans une entreprise, un accord prévoit la suppression du repos compensateur et de la majoration salariale de 100 %, y compris dans les PUCE…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Pas du tout ! Il a raison !
Alors les partenaires sociaux sont fous, car ce sont eux qui ont demandé cette clause !
Il est normal que le débat ait lieu : le problème est majeur. Monsieur Mallié, j'accepte votre observation ; admettons que j'aie mal compris. Dès lors tout est simple : nous allons écrire un amendement rédactionnel, qui lèvera toutes les ambiguïtés. Si vous êtes prêts à inscrire dans la loi que la négociation sociale ne pourra pas aboutir à remettre en cause la protection minimale des 100 % de majoration salariale et du repos compensateur, je vous donnerai acte d'une avancée extrêmement importante.
Passons donc aux travaux pratiques, car, en l'état du droit, tous les commentateurs ont compris l'inverse : la rédaction actuelle du texte fait donc naître un risque majeur.
En effet, un employeur fera un jour valoir à ses salariés que son entreprise rencontre des difficultés – peut-être réelles, au demeurant – et qu'un effort des salariés pourrait seul permettre de ne pas fermer boutique. Quand c'est l'emploi qui est en jeu, tous les salariés acceptent naturellement ces propositions ! On peut, en l'état de ce texte et même dans les PUCE, signer un accord prévoyant la renonciation à la majoration salariale et au repos compensateur. Et l'entreprise d'à côté, même dans les PUCE, convoquera à son tour ses salariés.
Voilà pourquoi ce texte ne correspond absolument pas, même dans les PUCE, à ce que vous dites de la situation des salariés. Voilà comment on peut en arriver à une situation où les gens travailleront le dimanche sans aucune avancée supplémentaire du point de vue du statut du salarié. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous évoquez aussi le respect du volontariat.
En droit du travail – mettons de côté la partie conventionnelle – le concept même de volontariat est une novation. Car personne ne sait de quoi il s'agit, et ce n'est pas étonnant.
Au principe même du contrat de travail, il y a en effet le constat de l'existence d'un lien de subordination : c'est ce qui justifie l'existence d'un code du travail, dérogatoire au droit des contrats.
La rencontre des volontés pour la conclusion des contrats, c'est un principe de droit civil. Vous ne pouvez à la fois reconnaître l'existence d'un lien de subordination – que personne ici ne conteste – et appliquer des principes de droit civil sur la rencontre des volontés. Le lien de subordination empêche d'exprimer une volonté de façon libre ; c'est pour cela qu'il y a un code du travail et que dans ce cas, ce ne sont pas le code civil, ou le code commercial, qui s'appliquent.
C'est une nouvelle trahison ! Ce sont des dizaines de milliers d'emplois supprimés !
La rupture conventionnelle se fait sous le contrôle de l'inspection du travail : ce n'est pas du tout la même chose.
Vous savez parfaitement que, dans la pratique, il faudra accepter de travailler le dimanche pour être recruté : le salarié qui a besoin de travailler pour vivre n'exercera aucun choix. Il sera tout simplement contraint d'accepter cet emploi, parce que, souvent, ce sera le seul qui lui sera proposé.
Pour le moins, et afin d'éviter que l'acceptation du travail du dimanche ne devienne le motif essentiel du choix de l'employeur, il conviendrait de préciser que l'accord écrit du salarié ne peut intervenir qu'à l'issue de la période d'essai.
Quelques autres l'ont déjà proposé.
Cela paraît logique. Si tout le monde ici est de bonne foi, et veut éviter que les salariés ne soient recrutés que s'ils acceptent de travailler le dimanche, alors vous n'avez aucun autre moyen de contrôle : il faut que la question ne puisse pas être posée à l'embauche, et que le salarié ne donne son accord écrit qu'une fois que son renvoi ne peut plus intervenir que dans des conditions particulières, c'est-à-dire après la fin de la période d'essai.
Dans son discours devant le Parlement, le Président de la République a vanté les mérites du modèle social français. Cela me rappelle la défense de certains prévenus qui, devant les tribunaux, affirment qu'ils aiment bien leurs victimes (Rires sur les bancs du groupe SRC) – à moins que ce ne soit tout simplement une version présidentielle de l'adage « qui aime bien châtie bien ».
On ne peut à la fois se référer au modèle social français à la tribune du Congrès, ou à celle de l'Organisation internationale du travail, et passer son temps à le fragiliser, voire à le démanteler. De ce point de vue, votre proposition de loi est une vraie régression collective.
M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques justifie son ralliement à ce texte en écrivant que cette nouvelle proposition de loi ne modifie la règle que de manière « chirurgicale ». Je me permets de lui préciser qu'il existe aussi de la chirurgie lourde (Rires sur les bancs du groupe SRC) et que c'est manifestement le traitement que vous avez décidé d'infliger à la société française.
Personne ne pourra nous démontrer que cette proposition de loi présente une avancée sur le plan économique, social, culturel ou environnemental. Au contraire, dans tous ces domaines, elle aura des conséquences négatives.
Voilà pourquoi cette proposition de loi n'est pas une réforme, mais une régression, et même un abandon de principes qui faisaient pourtant consensus jusqu'à aujourd'hui.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous avez pris la parole au début de ces débats pour dire que, comme maire de Vitré, vous n'appliquerez pas ce texte. Eh bien, voyez-vous, nous faisons ici la loi, et peut-être un jour un autre maire de Vitré aura-t-il envie d'appliquer celle-ci. Je préfère vous dire que vous feriez mieux, en tant que législateur, de ne pas faire du tout cette loi : vous iriez ainsi dans le sens de l'intérêt général. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Il y aura des réponses à faire, monsieur le ministre ! Nous n'allons pas vous lâcher facilement.
En cette fin d'après-midi, après l'intervention d'Alain Vidalies, de nombreuses interrogations doivent se faire jour – non seulement dans la majorité,…
… et dans l'esprit des membres de la commission et de M. le ministre du travail.
J'approuve pour ma part entièrement ce que vient de dire Alain Vidalies, et ce que d'autres ont dit avant lui. Nous sommes dans une logique de démantèlement du droit du travail et des droits des salariés. Voilà qui est grave.
Votre proposition de loi met en cause une partie importante des liens sociaux qui unissent nos concitoyens. Sur le plan économique, votre proposition ne servira à rien. Votre maître à penser, M. Sarkozy, parlait de « travailler plus pour gagner plus » – on incite d'ailleurs les salariés à travailler plus, mais où a-t-on vu qu'ils gagnaient plus ?
Vous nous dites aujourd'hui de consommer plus. Mais pour consommer plus, chers collègues de la majorité, encore faudrait-il avoir en poche de quoi consommer davantage ! Or qui peut aujourd'hui affirmer raisonnablement devant l'Assemblée qu'il n'y a pas aujourd'hui en France une baisse catastrophique du pouvoir d'achat d'un grand nombre de nos concitoyens ?
Monsieur le ministre, si vous aviez la volonté d'aider les plus modestes à accéder à la consommation, on pourrait peut-être vous suivre dans votre raisonnement. Mais vous aviez l'occasion de donner à un certain nombre de nos concitoyens la chance de disposer d'un pouvoir d'achat supplémentaire : vous pouviez donner un coup de pouce au SMIC.
Mais vous avez refusé ! Vous avez refusé de donner à un certain nombre de nos concitoyens le droit de consommer plus – et pourtant, ils en avaient bien besoin.
Quant aux créations d'emplois – je vois bien que ce n'est pas votre problème, puisque vous discutez avec M. Darcos, mais nous, c'est bien notre souci – votre proposition ne créera pas d'emplois, et vous le savez bien.
Vous ne créerez pas d'emplois, car il n'y aura pas d'augmentation de la consommation – dès lors que les gens pourront consommer le dimanche, ils ne consommeront pas le lundi. Vous allez peut-être être obligés de demander la fermeture des magasins le lundi et le mardi, puisqu'ils seront ouverts le dimanche.
Votre argumentation ne tient donc pas.
Monsieur Darcos, vous étiez ministre de l'éducation nationale.
Et dans ces fonctions, je vous ai déjà souvent entendu. (Sourires)
Eh bien, nous allons continuer l'échange.
Vous aviez dit qu'il fallait absolument libérer le samedi, pour que les familles puissent éduquer leurs enfants, pour que ceux-ci aient une véritable vie de famille puisque, le samedi, les parents ne travaillent pas.
Monsieur le ministre, c'était peut-être une bonne idée – encore que j'aurais souhaité que vous envisagiez qu'on puisse quand même instruire les enfants le mercredi : peut-être pourriez-vous conseiller à votre successeur de revenir aux neuf demi-journées et de faire en sorte que l'on puisse avoir le mercredi matin des activités éducatives, sous le contrôle de l'Éducation nationale.
Je ne l'ai jamais interdit !
Vous dites, monsieur le ministre, qu'il est très important que les familles agissent pour l'éducation des enfants. Il est vrai que vous n'avez pas rencontré un grand succès quand vous avez milité pour cette action éducative – mais au moins avez-vous essayé. Pensez-vous que ce sera encore possible si les parents travaillent le dimanche ?
Il faut garder à l'esprit cette question de l'éducation et souligner l'importance de l'action des familles.
Vous savez parfaitement que, le dimanche – et j'espère qu'il en va dans vos communes comme dans celles du Puy-de-Dôme –, il y a de nombreuses activités culturelles, sportives et éducatives. Il est souhaitable que, lorsque les enfants pratiquent de telles activités, les parents puissent les accompagner et participer.
Allez-vous priver un certain nombre de nos concitoyens d'activités sportives qui se déroulent souvent le dimanche parce qu'ils seront, eux, contraints de travailler ?
Vous devez réfléchir à cette question, monsieur le ministre. En effet, à une époque où l'on parle beaucoup du lien social, ouvrir les magasins le dimanche, c'est participer à rompre cet indispensable lien social !
Imaginons, monsieur le ministre, que votre proposition de loi débouche sur une augmentation de la consommation.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est impossible !
Aujourd'hui, pour consommer, je vous le disais tout à l'heure, il faut avoir un peu de monnaie dans sa poche. Si vous incitez à la consommation un certain nombre de nos concitoyens qui n'en ont pas les moyens, je crains que vous ne contribuiez à leur surendettement ! Nous devrons alors de nouveau faire face au surendettement lié au crédit à la consommation pour l'alimentation. En effet, certains de concitoyens ne peuvent plus subvenir à leurs dépenses alimentaires normales sans recourir au crédit à la consommation. Nous aurons l'occasion de discuter de ce sujet.
Enfin, et certains collègues l'ont souligné, chacun doit avoir la possibilité de pratiquer sa religion. Or cela a effectivement souvent lieu le dimanche.
Monsieur Mallié, vous présentez la quatrième mouture de votre proposition de loi. Vous avez donc déjà fait quatre actes de contrition, faites le dernier : retirez votre texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à vous dire que j'ai été choquée, ce matin, par la manière dont vous avez moqué et fustigé la qualité et la pertinence de nos arguments. Quel manque de respect vis-à-vis du Parlement !
Je peux aussi avoir un avis, madame !
Pas du tout, madame !
Mais si nous avons été si nombreux à nous exprimer à cette tribune, c'est parce que nous sommes décidés à nous battre pour rejeter ce texte qui nous paraît dangereux.
Vous ne m'interdirez pas pour autant d'avoir un avis, madame !
C'est donc sans complexe et sans ambages que je souhaite m'exprimer devant la représentation nationale sur la proposition de loi sur le travail dominical qui nous occupe aujourd'hui.
Peu importe que vous l'ayez légèrement modifiée ! Oui, mes chers collègues, l'idée même de cette proposition est un symbole de plus envoyé par la majorité UMP contre les grands principes de notre droit du travail et contre le droit des salariés !
L'arrogance que vous mettez, depuis deux législatures, à faire croire aux Français qu'ils ne travaillent pas suffisamment, est inadmissible. Il faudrait encore, selon vous, qu'ils travaillent le dimanche ! Tout cela est, bien entendu, éminemment symbolique et idéologique.
Dans le rapport de la commission, vous vous alarmez des contrôles effectués par les inspecteurs du travail dans les établissements qui ne respectent pas la loi sur le repos dominical. Vos véritables intentions apparaissent, ici, clairement. C'est une opération de blanchiment de certaines enseignes commerciales hors-la-loi. Oui, car votre texte apparaît bien comme un petit arrangement entre amis ! Les arguments économiques invoqués dans ce rapport sont bien pâlots, bien maigres, face à votre intention à peine voilée de faire la part belle à ceux qui ne se conforment pas à la loi en vigueur. D'ailleurs, les rapports sur l'utilité économique en période de crise ne vous donnent guère raison.
Dans ce même rapport, il me semble que vous vous défendez bien vite de remettre en cause le principe du repos dominical alors que vous continuez à ouvrir, volontairement, consciemment et consciencieusement, la boîte de Pandore de la déréglementation du droit du travail.
Les députés de gauche refusent le modèle de société consumériste et ultralibérale que vous tentez de nous imposer à tout prix. Ainsi, toujours dans ce même rapport de la commission, lorsque, au désoeuvrement et à la solitude du dimanche éprouvés par une partie de la population, vous apportez comme réponse la possibilité de fréquenter les magasins, je m'interroge sur le sérieux de votre proposition de loi. Je demeure même bien perplexe. Le développement et l'encouragement des associations et manifestations sportives et culturelles me semblent une réponse bien plus adaptée.
De plus, à l'heure du Grenelle de l'environnement, le modèle consumériste qu'engendre, de fait, votre proposition de loi est absurde. Il y aura plus de trafic routier, plus d'électricité, plus de chauffage : ces dépenses ne vont pas le sens du paquet « énergie-climat ». Votre souci de l'environnement n'est, comme d'habitude, qu'effet d'annonce.
Vous invoquez les bénéfices que tireraient les entreprises, les salariés et les consommateurs de l'ouverture des établissements commerciaux le dimanche. Vous vous avancez bien vite. Les artisans et commerçants indépendants seront, bien au contraire, pénalisés. La liberté du salarié, quoi que vous en disiez – évitons l'hypocrisie, – sera amoindrie. Je n'ai, de plus, pas entendu les associations de consommateurs réclamer à cor et à cri ce type de législation.
Pour les achats raisonnés qui s'effectuent en famille, en particulier l'achat du canapé ou du bureau qui semble vous tenir tant à coeur, il existe d'autres alternatives que le dimanche. En effet, dans votre triptyque « entreprises-salariés-consommateurs », vous semblez oublier qu'il y a avant tout des citoyens, des êtres humains, des grands-parents, des parents et des enfants dont le bonheur ne dépend pas des achats effectués.
J'étais déjà informé de cela ! C'était déjà dans mon esprit, madame ! Je sais que, dans la vie, il y a autre chose que les canapés !
Le dimanche est le temps de la famille, des amis, du sport, de la culture, mais ne doit certainement pas être celui du consumérisme effréné !
Que deviendront les enfants, quand leurs deux parents travailleront le dimanche ? Seront-ils livrés à eux-mêmes, devant n'importe quel écran, privés de moments privilégiés avec leurs parents ? Comptez-vous ouvrir des crèches, des garderies le dimanche pour les plus petits ?
Comme le dit le sociologue Jean Viard, « Toutes les sociétés ont besoin de marqueurs de temps. Le dimanche doit rester un jour différent des autres, car il marque le passage de la semaine et un rythme collectif qui permet à l'individu de redémarrer. »
Cette proposition de loi est donc un très mauvais signe envoyé à la société. Elle est hautement symbolique et se veut comme telle. Notre combat l'est également. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je tiens à commencer mon propos en vous plaignant, monsieur le ministre.
C'est gentil !
Il y a encore quelques semaines, vous étiez ministre de l'éducation nationale, et le seul texte que vous ayez eu à défendre, en tant que ministre de l'éducation nationale, devant le Parlement, était celui sur le service minimum d'accueil. Souvenez-vous, c'était l'an dernier, et déjà en été ! À l'époque, nous avions passé de longues heures à vous expliquer que ce texte serait inutile, inefficace et inapplicable, ce qui est aujourd'hui une réalité.
Non !
Vous êtes maintenant devenu ministre du travail, et le premier texte que vous avez à assumer, en l'occurrence une proposition de loi de notre collègue Richard Mallié, sera inefficace, inutile et inapplicable.
En effet, toutes les études, en particulier celle du CREDOC, le montrent : ce texte ne créera pas d'activité économique supplémentaire, pas d'emplois supplémentaires et pas de pouvoir d'achat supplémentaire. Il arrive, de plus, à contretemps dans une période de crise économique et sociale qui justifierait que nous légiférions sur des questions beaucoup plus importantes, comme le pouvoir d'achat, l'emploi, les contrats aidés et l'emploi des jeunes. Au lieu de cela, nous débattons de cette proposition de loi !
Il y a eu quatre versions, trois ministres, et malheureusement pas d'enterrement ! (Sourires.) Il n'y a pas eu d'enterrement, tout simplement parce que ce texte est le fruit d'une obstination et d'une obsession : obstination de Richard Mallié, ce qui est tout à son honneur, et obsession du Président de la République dont j'ai trouvé les déclarations, hier devant le groupe UMP, particulièrement choquantes.
Elles ont été rapportées par la presse libre et démocratique. Le chef de l'État a dit que ce texte serait la marque d'une famille politique qui assume ses convictions. En tant que législateurs, nous devons nous interroger et savoir pourquoi nous sommes là. Sommes-nous là pour légiférer dans le sens de l'intérêt général ou pour qu'il y ait un marqueur idéologique sur un texte qui plaise aujourd'hui à l'UMP ou qui soit la préférence du Président de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous sommes là aujourd'hui au coeur des difficultés que crée ce texte.
Je souhaite en tout cas bonne chance à M. Darcos, à M. Mallié, et à M. le chef de l'État quand ils devront expliquer aux Français que, comme l'a souligné hier Nicolas Sarkozy, travailler le dimanche n'est pas un drame, alors que 86 % d'entre eux pensent aujourd'hui que le dimanche doit demeurer un jour de repos…
…et que 55 % se prononcent contre cette proposition de loi.
Cette proposition n'est pas simplement une nouvelle usine à gaz juridique. Elle représente surtout, et nous l'avons répété ce soir, un nouveau recul social, lequel s'ajoute à de trop nombreux autres. Oui, cette proposition de loi s'inscrit dans le droit fil des textes votés depuis maintenant plus de deux ans par cette majorité. Ces textes détricotent, dynamitent le code du travail et suppriment sournoisement les garanties fondamentales et les protections élémentaires des salariés. C'est ce que vous appelez les rigidités du code du travail et que nous nommons, nous, les garanties fondamentales et les protections élémentaires des salariés.
De ce point de vue, oui, effectivement, monsieur Darcos, en endossant cette proposition de loi, au nom du Gouvernement, vous allez parachever l'oeuvre incomplète de votre prédécesseur Xavier Bertrand qui, depuis plus de deux ans, nous avait déjà infligé les déplafonnements des heures supplémentaires, le rachat des RTT, les forfaits-jours, la possibilité de travailler jusqu'à soixante-dix ans, la remise en cause du repos compensateur et l'approbation par ce gouvernement de la directive européenne sur le temps de travail permettant de travailler jusqu'à soixante heures par semaine. Telle est la réalité de ce texte !
J'en viens à la question de la flexibilité. Aujourd'hui, il y a déjà 1,6 million de salariés qui travaillent la nuit, 2 millions qui ont un travail posté, 12 millions des contraintes posturales et 19 millions des horaires alternants. Deux salariés sur trois ont donc déjà des horaires atypiques, et la banalisation du travail le dimanche va encore ajouter de la flexibilité à des conditions de travail fortement dégradées. J'ajoute que 60 % des salariés sont exposés à une pénibilité physique, et je regrette que Jean-Frédéric Poisson ne soit plus là pour m'écouter. J'aurais préféré que nous soyons en train d'examiner un texte sur la pénibilité au travail, ce qui est un engagement de la loi de 2003 sur les retraites,…
Vous l'aurez !
…plutôt qu'un texte sur la banalisation du travail le dimanche, qui joue contre les conditions de travail et la santé des travailleurs. Selon une étude de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de travail, la probabilité de contracter une maladie professionnelle ou d'être absent est de 30 % plus élevée dans les entreprises où l'on travaille le samedi et le dimanche que dans les autres.
Je termine sur l'enjeu de société car, avec ce texte, et c'est pourquoi nous sommes nombreux à être présents et à intervenir dans le débat, nous sommes bien devant un choix de société. Nous le savons, notre société a besoin de temps collectif, de repères collectifs, c'est-à-dire, aussi, de jours communs à l'ensemble de la société, pour la vie familiale, sociale, associative ou pour le sport. Le dimanche est quelque part le dernier rempart contre une désynchronisation totale des temps de vie familiaux.
Je veux simplement insister sur un aspect qui me tient particulièrement à coeur, et je sais que de nombreux députés y sont viscéralement attachés : il s'agit de la vie associative. C'est une spécificité du modèle français, nous avons une vie associative d'une richesse incroyable, avec 1,5 million d'associations, 15 millions de bénévoles. C'est particulièrement difficile aujourd'hui parce que les subventions diminuent, que les associations et les bénévoles ne se sentent pas reconnus et soutenus, notamment par les pouvoirs publics. Ce sont eux qui font vivre le lien social au quotidien dans nos territoires, qui font vivre des espaces de solidarité et de fraternité.
Alors qu'ils ont besoin d'être confortés, c'est un signe de défiance sans précédent que vous êtes en train de leur envoyer avec la banalisation du travail le dimanche, et c'est pourquoi aussi nous nous battons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la proposition de loi sur le repos dominical et les dérogations à ce principe.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma