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Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 8 juillet 2009 à 15h00
Dérogations au repos dominical — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Vidalies :

On voit donc quelles dérives sont possibles. J'en profite pour signaler ici – mais sans doute le Gouvernement aura-t-il des réponses à nous apporter sur le sujet – qu'une décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 27 novembre 2007 établit que le recours éventuel d'un employeur ou de salariés n'est pas recevable en la matière, car ni les syndicats de salariés ni les syndicats d'employeurs n'ont d'« intérêt à agir » à l'encontre de la décision préfectorale qui procède au classement d'une zone.

Autrement dit, en l'état actuel du droit et contrairement à ce qui a été affirmé, aucun recours n'est possible. Il n'existe pas aujourd'hui de contrôle juridique du classement d'une zone d'affluence touristique exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente.

J'en viens maintenant à une dernière question juridique, peut-être la plus inquiétante, que les rapporteurs n'ont pas abordée et sur laquelle nous n'avons pas d'étude d'impact. Quelle est la compatibilité de notre droit avec les principes européens qui prévalent en matière de droit de la concurrence ? Belle question, puisqu'il suffirait que l'on juge que ce texte fait anormalement obstacle à l'exercice du droit de la concurrence pour que, du fait de la prévalence de la norme européenne sur la norme nationale, tout ce que nous faisons ne serve strictement à rien et que toute personne située à proximité des zones concernées puisse bénéficier des mêmes dérogations.

Un arrêt du Conseil d'État confirme de manière inquiétante cette hypothèse. Il s'agit du fameux arrêt Paris Look, du 28 juillet 2004, rendu à la suite de la plainte de cette entreprise dont un concurrent se trouvait dans une zone où il pouvait ouvrir le dimanche, dont je vous livre ici l'un des considérants : « Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'en raison de la spécificité de sa clientèle composée de touristes de passage pour de brefs séjours, de son emplacement et de la situation de son principal concurrent qui bénéficie de la dérogation à la fermeture hebdomadaire le dimanche, le repos simultané le dimanche de tout le personnel de la société Paris Look serait de nature à compromettre son fonctionnement normal ; » Le Conseil d'État a donc annulé la décision de la cour administrative d'appel.

Comment donc comptez-vous concilier les définitions que vous voulez inscrire dans le droit du travail avec cette jurisprudence ? Vous avouerez, monsieur le ministre, que c'est une question qui mérite que l'on s'inquiète.

Par ailleurs, si ce texte entre en vigueur, la pression des commerçants, voire celle des élus, se fera incessante pour obtenir ce classement, ne serait-ce que pour lutter contre la concurrence de la commune voisine qui l'aura obtenu. Avec ce texte, vous donnez à ce type de pressions des arguments légitimes.

Je rappelle au passage que, dans ces zones, les salariés n'auront aucun droit particulier et que le travail le dimanche sera automatiquement inclus dans leur contrat de travail, à l'exclusion de tout respect du volontariat. Je n'insiste pas sur ce point mais me permets de signaler au Gouvernement que cette rupture manifeste d'égalité entre les salariés nous paraît de nature à intéresser de près le Conseil constitutionnel…

J'ai vainement cherché dans les rapports la moindre explication sur ce traitement différencié de salariés travaillant dans différentes zones. Je n'ai pas été le seul, puisqu'un amendement présenté devant la commission propose que cette question fasse l'objet d'une négociation avec les salariés.

Mais qui va négocier, monsieur le ministre ? Il y a en effet, dans cette affaire, une petite difficulté, car l'amendement en question commence par évoquer la négociation de branche – ce qui est l'idéal – pour mentionner ensuite la négociation d'entreprise.

Si vous souhaitez une négociation d'entreprise, mieux vaudrait renvoyer l'examen de cette proposition de loi à une date ultérieure et attendre le résultat des négociations en cours entre les partenaires sociaux sur la représentation des salariés et la négociation dans les petites entreprises. Nous sommes en train de mettre la charrue avant les boeufs, en prétendant adopter des dispositions inapplicables – et d'autres que moi, spécialistes des relations sociales, vous diront que c'est un drôle de bricolage juridique.

J'ai approuvé le Gouvernement lorsqu'il a voulu élargir le champ de la négociation sociale et mieux définir les conditions de négociation et d'élaboration de la norme conventionnelle dans les petites entreprises ; vous nous renvoyez à une négociation en cours et annoncez un texte de loi, mais cela ne vous empêche pas de déposer des amendements censés organiser ces négociations, alors que personne ne sait encore comment les choses se feront ! Les accords de branche ou la négociation locale ne régleront pas tout, et cette proposition de loi comporte beaucoup trop d'incertitudes.

Pour Plan-de-Campagne, vous avez imaginé les périmètres d'usage de consommation exceptionnels.

Là aussi, le risque ou la stratégie de la tache d'huile – ou de l'effet domino – sont évidents : les zones limitrophes des périmètres d'usage de consommation exceptionnels seront à l'évidence des candidates permanentes à l'extension de la zone, sur la base du respect de la libre concurrence.

Il est d'ailleurs paradoxal – cela a déjà été dit – d'évoquer la réglementation au-delà des frontières de notre pays pour justifier les dérogations dans les zones frontalières, sans prendre conscience que la même logique s'imposera aux limites des PUCE, dès lors que vous allez ainsi créer, juridiquement, des frontières commerciales sur le territoire national.

Certes, la proposition de loi prévoit, dans les PUCE, des compensations sociales minimales pour les salariés : il y aura obligatoirement un repos compensateur et le salaire sera, le dimanche, majoré de 100 %. Mais vous avez une bien étrange façon d'écrire le droit du travail ! Vous dites : « Voilà les droits des salariés, mais s'il y a un accord d'entreprise, c'est celui-ci qui s'appliquera ! »

Beaucoup d'esprits innocents, ou bien-pensants, comprennent que le texte pose un socle minimal, qui peut être amélioré par des négociations – qui pourraient prévoir une majoration salariale de 125 %, par exemple, ou un meilleur repos compensateur. Non ! Il faut le lire dans l'autre sens : la négociation collective aura la possibilité de remettre en cause la majoration salariale et l'existence du repos compensateur. Si, dans une entreprise, un accord prévoit la suppression du repos compensateur et de la majoration salariale de 100 %, y compris dans les PUCE…

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