…et dont l'éditorial proprement hallucinant de Christophe Barbier hier matin sur LCI a donné un exemple caricatural. Mais peut-être ne vise-t-elle qu'à stigmatiser les Français qui se disent épuisés après le travail, déclassés ou mal payés, avec de très faibles perspectives de promotion et des temps de transport interminables.
Les arguments économiques sont-ils plus convaincants pour justifier cette proposition ? Accroître l'offre favoriserait la consommation, nous dit-on, et contribuerait au déstockage de l'épargne de précaution – certes élevée – des Français.
Pourtant, aucun indicateur ne révèle de goulot d'étranglement de la consommation. Au contraire, les conditions de l'offre en France sont favorables le samedi mais aussi le dimanche, qu'il s'agisse des commerces touristiques, des hôtels, restaurants, musées, ou des commerces alimentaires de détail. Je n'évoque pas les secteurs de l'industrie et de la santé, qui ne sont pas concernés par ce texte.
Le seul argument qu'on avance est qu'il faudrait éviter de faire faire la queue aux clients, trop nombreux le samedi, en ouvrant aussi le dimanche. Mais que se passera-t-il quand les automates, censés supprimer les attentes aux caisses, auront complètement remplacé les caissières ?
Quant aux effets positifs sur l'emploi, l'enquête du CREDOC les dément : face aux 100 000 emplois qui risquent d'être supprimés dans le commerce et l'artisanat alimentaire, que sont les quelques milliers de CDD, pour des étudiants par exemple, pour lesquels on réclame déjà une exonération des charges sociales ? Une niche de plus !
Et la bonification de salaire actuellement consentie pour le travail du dimanche en raison des contraintes qu'il engendre, pour la garde des enfants par exemple, et des sacrifices familiaux qu'il impose, disparaîtra lorsque le travail du dimanche deviendra la norme. Le cas de la Grande-Bretagne est révélateur : le salarié qui travaille dans un site ouvert en continu ne perçoit pas de prime pour le dimanche. Ce processus est déjà à l'oeuvre en France. L'amendement Debré adopté le 20 décembre 2007 – sur lequel nous attendons les précisions que M. Eckert vous a demandées, monsieur le ministre – a prévu la possibilité d'ouvrir le dimanche pour les magasins d'ameublement. Auparavant, une majoration de salaire et un repos compensateur étaient prévus par la convention collective de branche. Mais l'arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2008 rend inapplicables ces dispositions dès lors que le salarié travaille habituellement le dimanche. D'ailleurs le principe du paiement double ne figure pas dans la proposition de loi. Seule l'absence d'accord collectif ouvrirait ce droit dans les PUCE. Actuellement, dans la plupart des accords collectifs de la grande distribution, le travail du dimanche donne droit à un repos compensateur sans avantage salarial. Le doublement du salaire le dimanche est extrêmement rare. Dans les communes touristiques où l'ouverture le dimanche sera autorisée, il n'y aura ni volontariat ni augmentation de salaire.
En aucun cas le travail du dimanche ne peut donc être considéré comme une réponse à la faiblesse des salaires ou à la baisse du pouvoir d'achat.
Enfin, je voudrais évoquer les arguments sociétaux contre la banalisation du travail dominical. À l'évidence, il est peu compatible avec la vie familiale et sociale. Selon de nombreuses études, l'impossibilité de prendre ses loisirs en famille déclenche des processus favorisant la dépression, et dans un rapport pour le conseil d'analyse économique, Patrick Artus, Pierre Cahuc et André Zylberberg ont montré que l'absence de plages de temps en commun suffisantes, à cause de la mauvaise coordination des temps de repos et de loisirs, provoque un délitement du capital social et accroît la désocialisation caractéristique de notre société.