La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Odile Saugues et de plusieurs de ses collègues relative au renforcement de la transparence de l'information en matière de sécurité du transport aérien civil et à la mise en oeuvre de la réglementation européenne relative aux enquêtes accidents (n°s 2673, 3924).
La parole est à Mme Odile Saugues, rapporteure de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des transports, mes chers collègues, après le rejet par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de ma proposition de loi présentée au nom du groupe SRC au prétexte qu'il s'agirait d'une remise en cause des autorités de contrôle et du caractère prématuré de cette proposition de loi, je me pose la question et vous la pose, monsieur le ministre : à quoi sert une mission parlementaire ?
Ayant mobilisé en 2004, à la suite de l'accident de Charm el-Cheikh, trente-trois députés sur le sujet de la sécurité aérienne, procédé à l'audition de plus de cent cinquante personnes, tenu dix-sept réunions et neuf tables rondes et proposé au final quarante préconisations approuvées par tous les députés, opposition et majorité confondues, la mission que j'ai présidée n'aurait donc servi à rien ? Pas tout à fait cependant, car l'année 2005, dramatique pour le monde du transport aérien civil, m'a donné la possibilité de défendre les listes noires qui, d'abord adoptées par la France, ont été actées par l'Union européenne en 2006, ce dont le commissaire européen aux transports Antonio Tajani s'est félicité lors de son audition par la commission des affaires européennes le 1er décembre 2009.
Dans les quarante préconisations du rapport, deux concernaient le Bureau d'enquêtes et d'analyses – BEA – dont toutes les personnes auditionnées ont reconnu l'extrême compétence, mais déploré le manque de moyens financiers, et demandé que lui soit donné les conditions d'une véritable indépendance, à l'image du NTSB américain qui a vu, en 1975, la rupture de tous les liens qui le reliaient au Département des transports américain, le DOT.
Le témoignage, lors d'une de nos auditions, de Paul-Louis Arslanian, alors directeur du BEA, est révélateur. À la question « Êtes-vous rattachés à la DGAC ? », Paul-Louis Arslanian répond : « Absolument pas. Nous occupons au sein du ministère une position étrange, car nous sommes dedans, mais personne ne sait exactement où ! » et il poursuit : « Il se pose un problème de financement » – le BEA reçoit ses subsides via la Direction générale de l'aviation civile, la DGAC. C'est pour répondre à ces deux problèmes, qui apparaissent au grand jour à chaque fois qu'une catastrophe aérienne se produit, aggravant le malaise au sein des équipes du BEA, que j'ai élaboré la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui.
Par ailleurs, un règlement européen du 20 octobre 2010 est venu confirmer tout l'intérêt de cette proposition de loi, déposée en juillet 2010. Ce règlement européen crée un réseau de bureaux d'enquêtes européens dans le but de renforcer l'indépendance des organismes d'enquête et de faire partager les informations, sachant qu'aux termes de son article 4 « des enquêteurs ont un statut procurant les garanties d'indépendance nécessaires ». Il spécifie par ailleurs que « les membres du réseau ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucune entité qui pourraient compromettre l'indépendance des enquêtes de sécurité ».
Le règlement de l'Union européenne traite par ailleurs, dans son article 21, de l'assistance aux victimes d'accidents aériens et à leurs proches. Les États membres doivent auditer les plans d'aide des compagnies aériennes sur leur territoire et veiller à désigner une personne devant être le point de contact et d'information des familles. Ces familles de victimes attendent beaucoup de la mise en place de ce règlement et de la reconnaissance de leurs droits à l'information lorsqu'une catastrophe se produit
C'est donc pour mettre en pratique à la fois les conclusions de la mission parlementaire et la transcription en droit français du règlement de l'Union européenne n° 9962010 du Parlement européen et du conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile que je propose à notre assemblée ce texte qui poursuit précisément cet objectif indispensable de deux manières. Premièrement, en instituant un nouvel organisme chargé de veiller à la sécurité aérienne, une Haute autorité de la sécurité aérienne, autorité administrative indépendante chargée de certifier la qualité de cette sécurité et s'appuyant sur un collège de personnalités, pour un tiers d'entre elles étrangères. Deuxièmement, en transformant une institution existante, le BEA, en établissement public administratif.
Adopter cette proposition de loi, par ailleurs approuvée et soutenue par la commission des affaires européennes, c'est, monsieur le ministre, couper le cordon qui relie le ministère et la DGAC au BEA pour lui assurer plus d'indépendance en créant une Haute autorité de la sécurité aérienne dont un tiers des personnalités seraient étrangères afin de garantir son renouvellement. C'est aussi transformer le BEA en établissement public administratif – ce qui convient parfaitement à l'actuel directeur du BEA comme j'ai pu le vérifier personnellement – donnant ainsi la possibilité d'intégrer le réseau européen et d'acter la directive de l'Union européenne. C'est enfin permettre, en lui donnant l'autonomie financière, de mobiliser les financements en provenance de l'Union européenne ou des États-Unis.
La proposition de loi n'a pas été adoptée par la commission, au prétexte qu'elle remettrait en cause le fonctionnement des autorités de contrôle. C'est un véritable aveuglement dont ferait preuve le Gouvernement en ne reconnaissant pas l'existence d'un problème récurrent de contestation de la rigueur du BEA, dû à sa situation, et en refusant de transcrire en droit français un règlement européen, que j'ai certes anticipé, mais qui maintenant s'impose à nous avec, je le répète, les mêmes objectifs c'est-à-dire le renforcement des Bureaux d'enquêtes et d'analyses européens pour un meilleur traitement de la sécurité aérienne.
Je conclurai, monsieur le ministre, en vous lisant deux extraits du courrier que m'avait fait parvenir le 7 mai 2012 le directeur de cabinet de votre prédécesseur : « D'une manière générale, le BEA et la DGAC accueillent favorablement le projet, considérant qu'il peut renforcer la transparence et l'efficacité des enquêtes et analyses en faveur de la sécurité aérienne. (...) La DGAC considère qu'il serait préférable de présenter cette proposition de loi après adoption par l'Union européenne du règlement sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile, afin de pouvoir y inscrire la transcription des nouvelles dispositions communautaires en la matière » – ce qui est le cas.
Monsieur 1e ministre, personne ne comprendrait un refus de votre part sur cette avancée en matière de sécurité aérienne, à moins de vous soupçonner d'un esprit partisan. Je compte donc sur la sagesse du Gouvernement.
Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi qui vient de nous être présentée est principalement motivée par le souci d'asseoir l'indépendance du Bureau d'enquêtes et d'analyses dans la gestion des enquêtes faisant suite à un accident aérien. La sécurité aérienne est une question régalienne fondamentale, comme l'a rappelé la tragédie du vol AF 447 Rio-Paris il y a deux ans.
Votre proposition de loi, madame la rapporteure, tend à améliorer la transparence des enquêtes et la diffusion des informations en matière de sécurité aérienne, ce qui constitue une intention louable. Je me suis moi-même positionné en faveur d'une nécessaire transparence de ces enquêtes au bénéfice de la sécurité aérienne et du respect de la mémoire des victimes et de leurs familles. Dans le cadre de l'enquête en cours sur le Rio-Paris, le Gouvernement a tout mis en oeuvre pour que le BEA produise un rapport d'étape sans délai après la découverte de l'épave et l'analyse du contenu des boîtes noires et des enregistreurs de vol.
J'ai reçu à plusieurs reprises les familles de victimes du vol Rio-Paris qui réclament légitimement de la transparence et de l'information, ce que le BEA et les pouvoirs publics se sont toujours efforcés de leur donner, mais elles attendent surtout que cette enquête continue de se dérouler sereinement.
Votre proposition de loi se fait d'une certaine manière, et je le regrette, l'écho de polémiques régulièrement exprimées dans la presse, notamment sur les liens qui seraient entretenus entre l'État, les transporteurs et les constructeurs. Or la qualité du travail réalisé par le BEA vient d'être reconnue internationalement. La revue américaine – et non pas française, j'y insiste – Flight global lui a remis cette semaine, au salon de l'aéronautique à Dubaï, le prix de l'innovation en matière d'enquête aéronautique à l'occasion de l'enquête sur le vol AF 447. Je le répète, madame la rapporteure, il s'agit d'une revue américaine !
En ce qui concerne la création d'une Haute autorité en matière de sécurité aérienne, celle-ci est fondée sur des motivations laissant entendre que l'administration chargée de la sécurité aérienne, la Direction générale de l'aviation civile, et celle chargée des enquêtes, le Bureau d'enquêtes et d'analyses, ne sont pas en situation d'assurer la transparence et la diffusion des informations utiles en matière de sécurité aérienne.
Au niveau du droit européen, l'autorité compétente en matière de sécurité aérienne est bien la DGAC, au sein de laquelle une des directions est chargée spécifiquement de la sécurité de l'aviation civile. À ce titre, elle est reconnue par l'Agence européenne de sécurité aérienne et par ses homologues en Europe. La création d'une nouvelle autorité entraînerait donc inévitablement de la confusion et une dilution des responsabilités entre la DGAC et l'éventuelle Haute autorité.
Je peux concéder que l'existence de cette proposition de loi reflète certaines interrogations quant au positionnement actuel du BEA. Cela ne justifie pas, loin s'en faut, une remise à plat de l'ensemble de l'architecture existante en matière de sécurité aérienne et de conduite des enquêtes.
En outre, la sécurité et la sûreté aériennes sont des prérogatives régaliennes dont l'État doit être le garant et dont il ne peut s'affranchir eu égard aux intérêts fondamentaux de la nation et à la sûreté de l'État. La question d'octroyer à cette Haute autorité la possibilité d'examiner et de publier tout document au titre de sa mission risquerait de freiner considérablement la collecte d'informations sur les manquements ou les incidents. Or ce sont bien les règles de confidentialité garantissant l'anonymat des déclarants qui permettent aujourd'hui aux autorités d'avoir connaissance des incidents et d'en tirer tous les enseignements nécessaires au bénéfice de la sécurité du transport aérien.
Par ailleurs, la proposition de loi propose de transformer le BEA en établissement public administratif pour assurer son autonomie de gestion. Au-delà du fait que cela entraînerait à court terme des dépenses supplémentaires, peu compatibles avec la politique budgétaire menée actuellement, la structure telle qu'elle est proposée présente d'importants points de faiblesse.
La commission de surveillance qui serait chargée de surveiller avec indépendance le déroulement des enquêtes, semble surtout dotée des pouvoirs d'un conseil d'administration. Elle comporte douze membres, ce qui, pour une structure de cent agents, nous paraît disproportionné. La présence de quatre représentants de l'État risquerait en outre d'entretenir la confusion sur l'indépendance du BEA.
Pour autant, cette idée d'établissement public me semble intéressante et mériterait d'être étudiée en lien notamment avec les départements ministériels concernés. Néanmoins, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, et non pour des raisons politiques, le Gouvernement est défavorable à la proposition de loi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la sécurité aérienne est une préoccupation forte et constante tant pour les Françaises et les Français que pour les pouvoirs publics et les parlementaires. Les accidents aériens sont très traumatisants pour les familles et les enquêtes techniques chargées d'en déterminer les causes se doivent d'être transparentes et leurs conclusions impartiales.
Depuis quelques années, dans notre pays, chaque nouvelle enquête du Bureau d'enquêtes et d'analyses suscite des doutes, des critiques, des remarques et des contestations donnant le sentiment que les conclusions de ses rapports ne sont pas impartiales. Certains vont jusqu'à affirmer que les autorités cherchent à protéger les constructeurs ou les compagnies aériennes. Dans ce contexte, il est urgent que le législateur se penche sur la question de la transparence de la sécurité aérienne.
Nous avons toutes et tous été frappés par le grave accident du vol Air France 447 Rio-Paris qui a coûté la vie à 228 personnes dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009. Le moins que l'on puisse dire c'est que les premières conclusions de l'enquête ont fait couler beaucoup d'encre.
L'objectif de la proposition de loi du groupe SRC est d'améliorer la transparence de l'information sur les accidents et incidents du transport aérien civil. Pour y parvenir, deux grandes mesures sont formulées.
D'une part, elle prévoit la création d'une Haute autorité de la sécurité aérienne, autorité administrative indépendante chargée de certifier – au sens moral uniquement – la qualité de notre sécurité aérienne, en s'appuyant sur un collège de personnalités impartiales.
D'autre part, faisant le constat que le statut actuel du BEA rend difficile son insertion dans un réseau européen, elle nous propose de l'ériger en établissement public à caractère administratif afin d'accorder son statut juridique avec l'indépendance qui lui est reconnue par le droit. Je vous rappelle que sur le plan juridique, le BEA se trouve dans une situation ambiguë puisque c'est un service administratif rattaché à la Direction générale de l'aviation civile, dont l'indépendance est garantie par la loi. Avec cette mesure, l'objectivité des rapports d'accidents ne pourrait plus être remise en cause du fait du lien de subordination hiérarchique existant aujourd'hui entre le BEA et le ministère des transports.
L'Union européenne exerce aujourd'hui l'essentiel des prérogatives dans le domaine de la sécurité aérienne. Seul le contrôle de la bonne application des règlements relève des autorités nationales.
Le 20 octobre 2010, un nouveau règlement européen sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile est entré en vigueur. Ce texte européen préconise la mise en réseau des autorités européennes chargées des enquêtes de sécurité et attribue à l'Agence européenne de sécurité aérienne la responsabilité de tout ce qui concerne la sécurité de l'aviation civile. La France va donc devoir donner au BEA des moyens et un statut juridique à même de lui permettre de travailler dans ce nouveau cadre.
Comme l'a rappelé notre collègue Christophe Caresche lors de l'examen en commission, notre pays est toujours en retard en matière de transposition de textes européens, ce qui affaiblit notre position au sein de l'Union. Chers collègues de la majorité, cette proposition de loi vous permet aujourd'hui de faire mentir les statistiques, en tout cas dans ce domaine précis.
Ce nouveau statut aura également une seconde conséquence : aujourd'hui, le BEA ne dispose pas d'autres moyens financiers que l'enveloppe qui lui est attribuée par la DGAC, laquelle est insuffisante pour réaliser des enquêtes à l'étranger. Le statut d'établissement public que nous proposons d'octroyer au BEA lui permettra d'acquérir une autonomie financière très utile pour mobiliser plus facilement les financements en provenance de l'Union européenne ou d'États tiers. De fait, ses moyens financiers seront accrus.
Lors de l'examen en commission de cette proposition de loi, le porte-parole du groupe UMP a rappelé que la majorité était favorable à la transformation du BEA en établissement public mais que cette mise en oeuvre « prématurée ». Mes chers collègues de la majorité, vous manquez singulièrement d'imagination : à chacune de nos propositions de loi, vous ressortez votre argument passe-partout selon lequel ce ne serait pas le moment !
Ma remarque ne l'était pas non plus.
Avec vous, disais-je, ce n'est jamais le moment. Je me souviens que vous avez utilisé le même refrain il y a quelques mois à cette même tribune, lors de l'examen d'une proposition de loi visant à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage. Avouez quand même que votre argumentation est un peu courte : il n'est pas nécessaire d'attendre qu'un énième rapport soit publié pour renforcer et adopter les mesures proposées.
Toute mesure permettant de renforcer la transparence en matière de sécurité aérienne et, surtout, la confiance des passagers dans ce mode de transport doit être encouragée. Notre rapporteure va jusqu'au bout de cette démarche, en cohérence avec celle de l'Union européenne.
Convaincus que cette action est essentielle, les membres du groupe SRC se prononceront en faveur de cette excellente proposition de loi et j'invite nos collègues de la majorité à en faire de même, en revenant sur leur décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe SRC vise deux objectifs : renforcer la sécurité du transport aérien et améliorer la transparence de l'information.
Si des progrès ont été accomplis en la matière, ces deux objectifs demeurent une préoccupation majeure, compte tenu de l'accroissement du trafic aérien et des conséquences de la libéralisation effrénée de ce secteur. Je me félicite que notre assemblée se penche sur ce sujet crucial, et je tiens à remercier notre rapporteure d'en être à l'initiative. En revanche, je déplore l'attitude de la majorité qui a rejeté en bloc les articles de ce texte d'initiative parlementaire dans le cadre de l'examen en commission.
Les récentes catastrophes aériennes du vol Rio-Paris et de celui de Yemenia Airways aux Comores ont suscité une grande émotion, à la hauteur des interrogations sur les causes de ces tragédies.
L'avion constitue un transport sûr, mais la confiance dans la technologie aéronautique n'en demeure pas moins fragile. Il faut dire que le mode de calcul des ratios de risque, favorable au transport aérien, oriente l'information à disposition des usagers et leur choix de mode de transport. Depuis près de vingt ans, le rapport entre nombre d'accidents et nombre de vols est certes stable mais, compte tenu de l'accroissement du trafic mondial dans les prochaines décennies, devons-nous pour autant nous résoudre à une hausse des catastrophes aériennes ?
Des avancées doivent voir le jour pour éviter ce scénario. Je pense aux progrès technologiques, naturellement, mais aussi au contrôle accru des autorités de régulation et à une harmonisation par le haut des normes sociales et techniques.
Plus que jamais, une intervention publique forte dans ce secteur est indispensable. Les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche sont attachés à ce principe et refusent toute nouvelle volonté de privatisation ou de démantèlement.
Le texte que nous examinons propose de faire évoluer le cadre institutionnel en créant notamment une Haute autorité de sécurité aérienne et en dotant le Bureau d'enquêtes et d'analyses du statut d'établissement public administratif.
La Direction générale de l'aviation civile et son Bureau d'enquêtes et d'analyses jouent un rôle crucial dans la sécurisation du transport aérien sur notre sol et au-delà. La DGAC assure une mission générale de régulation du secteur aérien, à travers la supervision des compagnies et des constructeurs, le contrôle du trafic et la réglementation, laquelle intègre désormais des préoccupations environnementales, même si beaucoup reste à faire. Le Bureau d'enquêtes et d'analyses, qui lui est rattaché, met en oeuvre une politique de retour d'expérience pour tirer les leçons des graves défaillances aéronautiques. Chaque année, le BEA participe ainsi à près de deux cent cinquante enquêtes, dont plus de la moitié dans des pays étrangers, au titre de représentant de l'État de conception ou de l'exploitant. C'est dire l'importance de cet organisme dans le monde de l'aviation civile et la reconnaissance dont il bénéficie. Je profite d'ailleurs de cette discussion pour saluer cette expertise exceptionnelle forgée depuis cinquante ans par le BEA et ses personnels.
Comme l'a indiqué notre rapporteuse, les récentes tragédies aériennes ont rappelé les attentes fortes des familles et du public en matière de contrôle du secteur aérien. Elles ont démontré les atouts, mais également les limites de l'organisation actuelle.
Premier objectif de cette proposition de loi : l'amélioration de l'information communiquée à l'entourage des victimes et au public. Il s'agit là d'une mission essentielle du BEA qui doit être confortée. Après la catastrophe du vol Yemenia Airways, les familles des victimes n'ont pas pu obtenir d'informations satisfaisantes. Cette terrible incertitude s'ajoute à la douleur de la perte d'un proche.
Le présent texte facilite l'accès aux données des enquêtes menées par le BEA, et je m'en réjouis. J'ajoute que la réglementation européenne nous y invite. Les préconisations émises dans les rapports du BEA doivent également bénéficier d'une plus grande publicité.
La création d'une autorité administrative indépendante chargée de s'assurer de la qualité de notre politique de sécurité aérienne est une proposition intéressante. Cette Haute autorité de sécurité aérienne constituerait un verrou supplémentaire contre toute tentative de pression.
Sa saisine par le Gouvernement et le Parlement représente également une avancée importante, tout comme ses larges pouvoirs d'investigation et de communication des pièces. La rédaction par cette Haute autorité d'un rapport annuel sur la sécurité aérienne est une conséquence logique de ce schéma.
Pour autant, la création de cet organisme ne saurait aboutir à un démantèlement de la Direction générale de l'aviation civile et de ses missions. Leurs rôles doivent être clairement dissociés. Le maintien de la DGAC dans ses missions de contrôle est indispensable.
J'en viens au statut d'établissement public administratif dont serait doté le Bureau d'enquêtes et d'analyses. S'agissant d'un domaine aussi sensible, nous partageons le souci d'indépendance de cet organisme formulé par la rapporteure. Il est vrai que le BEA dispose d'un statut original. S'il est rattaché à la direction générale de l'aviation civile, son indépendance est garantie par la loi. D'autres pays ont fait le choix d'organismes totalement indépendants, correspondant davantage à leur tradition juridique.
Le droit européen, particulièrement la récente adoption du règlement sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile, incite ces organismes d'enquête à se doter de la personnalité morale. Une telle évolution présente incontestablement des avantages, notamment en termes d'autonomie financière et de possibilités de levée de fonds auprès de l'Union européenne et des États étrangers. Elle peut toutefois également ouvrir la voie à un affaiblissement de la puissance publique dans cette mission de contrôle a posteriori.
C'est ainsi que doit être comprise l'inquiétude des personnels du BEA et de leurs représentants face au projet de transformation en établissement public administratif. Eu égard aux profondes mutations subies par la DGAC à la suite de l'introduction du ciel unique européen, je partage cette inquiétude. Des réformes douloureuses et néfastes se sont succédé pour répondre aux dogmes libéraux européens, opérant une séparation de l'ensemble des activités pour mieux les mettre à terme en concurrence.
Pour des motifs comptables et budgétaires, la Cour des comptes a préconisé cette évolution statutaire de l'ensemble de la DGAC. Ce scénario figurait parmi les options envisagées par le rapport parlementaire prévu à la loi de finances 2009. Mais après s'être dits favorable à de telles évolutions, le Gouvernement et sa majorité parlementaire ont fait machine arrière. Pour quelle raison ? Le coût de fonctionnement de ces nouveaux organismes. Rien n'échappe à l'austérité budgétaire chère au Président Sarkozy, pas même la sécurité des passagers !
Au-delà des questions statutaires se pose la question de l'effort financier que la nation est prête à assumer pour améliorer la sécurité aérienne, et de la volonté politique qui est à l'oeuvre.
En trois ans, cinq cents emplois de la DGAC seront supprimés et les coûts de fonctionnement seront abaissés de 10 % afin de dégager des marges de manoeuvre financière pour les programmes du ciel unique européen. Cette administration du budget annexe souffre d'un déficit structurel. Comment ne pas voir là un manque de volonté politique ?
Le Bureau d'enquêtes et d'analyses ne dispose pas de moyens suffisants pour mener à bien ses investigations. Cette situation a un impact sur le délai des enquêtes menées. Son budget peut varier considérablement d'une année sur l'autre – l'accident Rio-Paris l'a démontré –, ce qui appelle de nouvelles ressources.
Pour les députés de notre sensibilité, l'amélioration de la sécurité aérienne nécessite de s'affranchir de la pression du marché. Les dépenses de sécurité ne peuvent être considérées comme un coût.
Si la plupart des grandes compagnies ont intégré cette analyse, l'ascension des compagnies du Golfe soulève des inquiétudes tout comme le renforcement des compagnies low cost. À cela s'ajoutent les pratiques hors-la-loi, qui ne sont pas rares pour contourner les législations les plus protectrices.
Cela nous paraît d'autant plus préoccupant que près des deux tiers des accidents proviennent directement ou indirectement d'erreurs humaines et que, selon les dires mêmes de la DGAC, les efforts d'harmonisation sociale se heurtent à la pression économique.
Les opérations de fusion entre compagnies se font au détriment de l'emploi. Air France-KLM a ainsi réduit de 10 % ses effectifs en trois ans. La sous-traitance d'activités stratégiques s'accroît sans apporter de parfaites garanties en matière de sécurité. La guerre des prix ne va-t-elle pas entraîner l'ensemble des compagnies vers une régression des règles de sécurité ?
Sur un autre plan, les évolutions européennes instaurant le ciel unique européen sont également préjudiciables. Sous le motif légitime d'harmoniser les règles et les procédures de contrôle, c'est la voie ouverte à toujours plus de dérégulation.
Cette volonté de favoriser la concurrence dans les activités de navigation et de contrôle aérien ne sera pas sans conséquences à terme sur l'évolution de la sécurité aérienne. C'est ce qui explique l'importance de renforcer la transparence de l'information en matière de sécurité aérienne.
En conséquence, nous voterons la proposition de loi du groupe SRC. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous entamons l'examen de la première proposition de loi inscrite par le parti socialiste à l'ordre du jour de cette journée d'initiative parlementaire. Son objet ne manque pas d'intérêt : la sécurité aérienne nous est chère à tous. Je regrette d'ailleurs qu'il y ait ce matin si peu de monde dans l'hémicycle pour cette discussion d'origine parlementaire.
Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier de l'appréciation que vous avez portée sur cette proposition de loi : « Proposer d'améliorer la transparence des enquêtes et la diffusion des informations en matière de sécurité aérienne constitue une intention louable », avez-vous dit, est un objectif que nous partageons tous.
Vous me permettrez de saluer l'attention que vous avez portée à ces questions sensibles depuis que vous êtes ministre, notamment vis-à-vis des familles des victimes des accidents, notamment celui du vol Rio-Paris. Vous n'avez pas à cette occasion ménagé votre peine, et je voudrais vous rendre hommage : les boîtes noires ont été retrouvées, et je sais que c'était l'une de vos priorités dès votre nomination à ces fonctions par le Président de la République.
Pour autant, ce qui est déplaisant dans cette proposition de loi, c'est qu'elle jette un doute sur les instruments actuels de la sécurité aérienne.
Vous vous êtes appuyée, madame la rapporteure, et vous avez eu raison de le faire, sur les travaux de la commission d'enquête parlementaire de 2004. On ne peut pas dire, toutefois, que cette commission d'enquête n'ait pas eu de suite : sous l'autorité de l'Europe, et à l'initiative de la France, un classement des compagnies aériennes a été établi. Pour avoir assisté il y a quelques instants à une réunion avec un représentant d'un pays qui n'a plus de compagnie, car celle-ci a été inscrite sur la liste noire, je peux vous dire que le travail qui a été fait n'a pas été vain. Il n'est donc pas tout à fait vrai que la commission n'ait servi à rien.
Vous nous dites ensuite qu'il faut que le Bureau d'enquêtes et d'analyses soit indépendant et devienne un établissement public. Croyez-vous que cela améliorerait son efficacité ? En tout cas, je voudrais, pour ma part, comme Mme Billard l'a fait tout à l'heure – et je l'ai alors approuvée –, rendre hommage à nos experts, qui travaillent de façon exemplaire.
Toutefois, monsieur le ministre, la question est louable : transparence et indépendance doivent être nos maîtres mots. La presse est heureusement très vigilante sur ces sujets. Mais je ne crois pas que jeter le doute sur l'indépendance des enquêtes menées soit la bonne solution.
Nous disposons d'un règlement européen. Je parle sous votre contrôle, monsieur le ministre : il a force de loi. Sans doute devrions-nous prendre en compte les propositions des élus de l'opposition pour mieux appliquer ce règlement, et ainsi améliorer sur certains points la transparence et l'efficacité ; peut-être, monsieur le ministre, y a-t-il là une piste intéressante à explorer. Ainsi, la sécurité aérienne pourrait encore gagner en transparence et en efficacité, et, encore une fois, c'est un combat que nous voulons tous mener.
Vous souhaitez, madame la rapporteure, la transformation du BEA en établissement public. Nous ne sommes pas ici dans une réunion de la commission des lois destinée à choisir la meilleure structure juridique possible pour le BEA. Mais je ne pense pas que cette transformation le rendrait plus efficace.
Concernant la Haute autorité que vous préconisez, il me semble que c'est la négation même des prérogatives de l'État ! Monsieur le ministre, vous avez été élevé au rang de ministre à part entière du Gouvernement, alors qu'il y a quelques mois encore, il y avait un secrétaire d'État aux transports. C'est bien l'illustration que la sécurité dans les transports constitue une fonction régalienne.
J'ai envie de dire à mes collègues de l'opposition : lorsque nous avons débattu des autorités administratives indépendantes, vous n'avez jamais évoqué la nécessité de faire du BEA une autorité indépendante. La sécurité aérienne est, à mon sens, une prérogative de l'État.
Monsieur le ministre, pour atteindre l'objectif partagé de sécurité et de transparence, des améliorations peuvent très certainement être apportées, et les élus de l'opposition ont raison de poser des questions : au lieu de balayer cette proposition de loi d'un revers de main, je vous proposerai, monsieur le ministre, au nom du groupe Nouveau Centre, dans la lignée des travaux parlementaires, notamment du remarquable travail de Mme la rapporteure sur ces questions, de permettre à un groupe de parlementaires de veiller à ce que le règlement européen soit appliqué au mieux, afin d'atteindre des objectifs que nous partageons tous.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi relative au renforcement de la transparence de l'information en matière de sécurité du transport civil et à la mise en oeuvre de la réglementation européenne relative aux enquêtes accidents, déposée par Mme Odile Saugues et les membres du groupe SRC.
Je commence par rassurer ma collègue du groupe GDR, Martine Billard : en aucun cas, nous ne songeons à démanteler le BEA. Ce n'est pas le sujet, bien au contraire.
Le texte propose notamment de créer une Haute autorité de la sécurité aérienne, chargée de veiller à la transparence de l'information et de sanctionner les comportements à risque en matière de sécurité aérienne. Il préconise également la transformation du Bureau d'enquêtes et d'analyses en établissement public à caractère administratif.
Mes chers collègues, comme cela a déjà été rappelé, la commission du développement durable n'a pas adopté cette proposition de loi la semaine dernière. Ce texte soulève en effet, je l'ai dit en commission, plusieurs objections de forme et de fond.
L'exposé des motifs évoque les nouveaux moyens de communication et les rumeurs relayées sur Internet. Pour autant, il ne semble pas opportun de remettre en cause l'actuel fonctionnement des autorités de contrôle. Il laisse par ailleurs entendre qu'en matière de sécurité et de gestion des enquêtes en cas d'accident, le secteur aérien est opaque, et qu'il fait l'objet de soupçons de collusion entre administration, transporteurs et constructeurs. Or le Bureau d'enquêtes et d'analyses, chargé des enquêtes, est contrôlé par les inspections ministérielles et par le Parlement.
Je souhaitais ensuite souligner que l'idée, formulée par cette proposition de loi, de transformer le BEA en établissement public administratif souffre de faiblesses majeures.
Ces faiblesses concernent notamment la composition et les pouvoirs de la commission de surveillance, ainsi que le rattachement budgétaire de l'établissement. Vous avez d'ailleurs évoqué ce point, monsieur le ministre. Si la transformation du BEA en établissement public administratif constitue, je l'ai dit en commission et je le redis à cette tribune, une idée intéressante, je me suis entendu attribuer l'idée qu'elle est « prématurée » : cette question mérite effectivement une réflexion plus approfondie, en lien avec les départements ministériels concernés.
De plus, une mission d'information de la commission du développement durable sur la sûreté aérienne, dont les rapporteurs sont nos collègues Gonzales et Goldberg, doit rendre son rapport à la fin du mois de novembre. Je sais bien que c'est un sujet connexe, mais il semble intéressant d'essayer de mener une réflexion d'ensemble sur le sujet de la sûreté et de la sécurité aérienne. Il me paraît donc légitime d'attendre ce rapport avant d'envisager d'aller plus loin.
Par ailleurs, la création d'une Haute autorité de la sécurité aérienne ne semble pas opportune.
D'une part, la création d'une telle instance entraînerait des dépenses supplémentaires, donc chacun reconnaîtra qu'elles seraient peu compatibles avec l'effort majeur de réduction des déficits publics que nous menons. C'est cruellement d'actualité.
D'autre part, la création de cette autorité serait source de confusion et aurait des effets indésirables en risquant de diluer les responsabilités. C'est en effet la Direction générale de l'aviation civile, cela a été dit, qui est aujourd'hui compétente en matière de sécurité aérienne et reconnue comme telle au niveau communautaire, et même au niveau international par ses collègues américains. La création d'une Haute autorité risque de conduire à une confusion et à une dilution des responsabilités.
De plus, les pouvoirs d'examen et de publication que la proposition de loi confie à la Haute autorité risqueraient de freiner considérablement l'information sur les manquements ou les incidents, aujourd'hui recueillie selon des règles qui garantissent l'anonymat du déclarant.
Enfin, les propositions émises dans ce texte ne règlent pas les problèmes qui se posent dans le cadre de procédures judiciaires, l'obligation de respect du secret de l'instruction condamnant les services concernés à ne communiquer qu'a minima et avec énormément de prudence.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe UMP votera contre cette proposition de loi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur une proposition de loi visant à renforcer l'information en matière de sécurité aérienne. La commission du développement durable et les orateurs qui m'ont précédé ont largement analysé et commenté le texte de Mme Saugues, et Yanick Paternotte a précisé la position du groupe UMP. Je veux moi aussi saluer le travail de Mme Saugues ; je partage pleinement ses objectifs.
Loin de moi donc toute volonté de critiquer le travail de notre rapporteure, déjà auteure de plusieurs rapports et propositions sur ce sujet. Toutefois, la création d'une autorité indépendante chargée de l'information en matière de sécurité aérienne, alors que notre pays comme l'Europe disposent déjà de structures compétentes, ne me semble pas constituer une priorité : ce n'est pas une autorité supplémentaire chargée d'informer le public qui améliorera nécessairement la sécurité aérienne.
À titre personnel, pour évoquer comme Yanick Paternotte un sujet connexe, je suis plus préoccupé par les problèmes quotidiens qui touchent les Franciliens.
Cela vous fait rire, monsieur le ministre, mais moi pas tellement.
Si je souris, plutôt, c'est que je vous vois venir.
C'est aujourd'hui même qu'entre en application un arrêté que vous avez signé le 15 novembre, et qui met en oeuvre le relèvement des trajectoires aériennes en Île-de-France.
Les règles applicables à la conduite des aéronefs sont élaborées par l'Organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI, puis transposées en droit français. Elles visent à assurer en toutes occasions la sécurité des vols, et chacune des parties intéressées – pilotes, contrôleurs et compagnies aériennes – s'attache, ce qui est fort heureux, à en respecter les termes et la définition. Les manquements à ces règles font l'objet de comptes rendus d'incidents et sont analysés afin d'améliorer en continu la qualité du service rendu aux usagers, mais aussi la qualité de la conduite des aéronefs, donc la sécurité des vols.
Au moment où l'on sait que l'expansion du transport aérien dans les années à venir sera massive, qu'il me soit permis de suggérer la nécessité absolue – au lieu de créer des autorités, des structures nouvelles, et même si la modification de statut juridique du BEA est certainement une nécessité – de s'appliquer plutôt à améliorer la façon dont les gens perçoivent le transport aérien.
Sauf erreur de ma part, c'est une activité économique qui pèse environ 8 % du PIB mondial : c'est donc loin d'être neutre. Or, manifestement, nous rencontrons dans l'agglomération francilienne un vrai problème à faire accepter cette importance. Mes collègues, je ne crois, ne me démentiront pas.
Monsieur le ministre, nous avons très souvent eu l'occasion d'en parler : l'enquête publique sur le relèvement des altitudes, qui n'a pas été un grand succès à mon sens, montre que le travail d'explication, de pédagogie à destination de tout un chacun, est un vrai sujet.
Madame la rapporteure, je comprends donc bien votre souci, qui est cohérent avec vos travaux précédents, mais il me semble que nous devons tous, profondément, au-delà d'ailleurs de toutes les préoccupations partisanes, aider les populations à accepter le transport aérien. Les gens acceptent plutôt bien les contraintes de sécurité ; mais il y a aussi les nuisances et leurs conséquences. Ce sont aussi des contraintes. À mon sens, à l'occasion de cette enquête publique, même si chaque partie a essayé de faire son travail comme il fallait, on n'a vraiment pas bien mesuré la tension sur le sujet du transport aérien qui existe en Île-de-France. Cela touche moins, bien sûr, certains de nos collègues.
Je crois, et j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet en public, que la proposition du Grenelle de l'environnement, à l'époque saluée par tous les élus et toutes les associations, n'a pas été mise en oeuvre. Il reste donc, je crois, un gros travail à faire. Je sais qu'il se fait dans les organisations internationales, dans lesquelles la France est bien représentée. Nous devrons, dans les années à venir, montrer aux populations que le transport aérien est une activité nécessaire et grand pourvoyeur d'emploi, mais qu'elle peut aussi respecter les populations et les territoires.
Madame la rapporteure, je ne méconnais pas le sérieux de votre proposition, et il n'y a rien dans la position du Gouvernement qui soit politicien. Souvenez-vous d'ailleurs de l'examen d'une proposition de loi dont vous étiez la rapporteure l'année dernière : c'était le premier texte qui m'était soumis ici en tant que ministre, et j'ai alors émis un avis favorable.
J'ajoute que la sécurité aérienne doit tous nous réunir,…
…d'autant que, à en croire Le Canard enchaîné, je suis un bon client du transport aérien... Vous comprendrez donc que je sois – du fait de ma mission, mais aussi au même titre que chacun d'entre nous – attaché autant que vous à ce dossier.
Je répète à Mme Marie-Line Reynaud et à M. Yanick Paternotte que doter le BEA du statut d'établissement public me paraît être une proposition intéressante. Soyons clairs : c'est une évolution vers laquelle on ira. Cependant, la structure proposée me paraît imparfaite et mérite un travail complémentaire de réflexion et de rédaction.
Cela dit, je suis réservé quant à la création d'une Haute autorité de la sécurité aérienne. Chacun sait ici que dans ce genre d'accident, quels que soient les efforts de transparence, il y aura toujours des journalistes plus ou moins bien intentionnés ou des familles dont on peut comprendre la douleur et le chagrin pour expliquer qu'une piste n'a pas été explorée, que des informations ont été cachées, ou que des pressions ont été exercées. Mais franchement, pensez-vous qu'un ministre, qu'il soit de gauche ou de droite, pourrait faire pression sur le BEA pour donner des consignes ? Aucun ministre ne pourrait avoir une idée aussi saugrenue et aussi choquante. Et imaginez-vous les ingénieurs du BEA, dont la qualification vient d'être à nouveau saluée par la presse anglo-saxonne, accepter une telle pression ? Je le répète, même si je comprends vos réflexions, l'indépendance du BEA n'est absolument pas en cause.
Madame Billard, il n'est pas du tout question de démanteler le BEA. Quant à son changement de statut, il ne modifierait rien s'agissant de votre exemple du vol Yemenia Airways. Le problème tient au fait que cette enquête ne dépend pas de la France et que le BEA n'a donc pu que proposer sa collaboration aux autorités yéménites et comoriennes qui l'ont acceptée « officiellement » – vous aurez compris ce que ces guillemets signifient. Pour notre part, nous sommes demandeurs de transparence de l'information : j'ai ainsi rencontré, voilà deux mois, l'ambassadeur d'un des deux pays en question à qui j'ai indiqué que nous attendions un peu plus de coopération et de vérité dans cette affaire. J'y suis d'autant plus sensible qu'une grande partie des citoyens français victimes de la catastrophe était originaire de la région marseillaise. Je recevrai en tout cas bientôt les avocats des familles des victimes.
Sauf à vouloir déclencher une mauvaise polémique, il faut donc bien comprendre que cette enquête ne dépend pas, hélas ! de la France. Nous faisons tout notre possible pour essayer de connaître la vérité, mais le manque de coopération est évident.
Monsieur Hunault, je reprends votre idée d'associer un groupe de parlementaires à l'application du règlement européen sur les autorités d'enquête en cas d'accident aérien. À titre d'exemple, les ministres de la justice et des transports préparent un accord fixant la prorogation respective des enquêtes judiciaire et technique. Comme Mme la rapporteure s'est spécialisée sur ce dossier, je suis favorable à ce qu'elle y participe, de même que vous-même, monsieur le député, et un autre parlementaire de la majorité. Bref, nous sommes ouverts à cette proposition.
Là encore, nous souhaitons la plus totale transparence.
Monsieur Richard, je n'ai fait que sourire et non pas rire en comprenant que vous alliez comme à chaque fois évoquer un sujet qui vous tient à coeur concernant les habitants de votre circonscription – ce qui d'ailleurs vous honore. Qu'il n'y ait donc pas de malentendu : le problème des nuisances sonores ne me fait pas rire. Celles-ci sont de moins en moins acceptées, et on peut le comprendre. Je connais bien le sujet puisqu'une ligne de TGV traverse ma circonscription.
Je prends en tout cas bonne note de vos observations relatives à l'impact environnemental du transport aérien, même si cela nous éloigne un peu du sujet qui nous intéresse aujourd'hui.
Il y a eu, concernant l'environnement, un temps de concertation et de débat : le projet en Île-de-France date de 2007 pour une mise en oeuvre en 2011. Après quatre ans de débats et d'adaptations, il appartient au Gouvernement de trancher dans l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, en application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée, le Gouvernement demande la réserve des votes sur la présente proposition de loi.
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
Je suis saisie d'un amendement n° 6 .
La parole est à Mme la rapporteure, pour le soutenir.
Il s'agit d'un amendement rédactionnel, comme tous les amendements suivants, qui relie ce texte au code des transports qui n'était pas encore en vigueur lors de la rédaction de la présente proposition de loi.
Le Gouvernement étant défavorable, pour les raisons que j'ai évoquées, à la proposition de loi, vous comprendrez qu'il émet un avis défavorable sur cet amendement. Il fera de même sur les amendements suivants.
(Les votes sur l'amendement n° 6 et l'article 1er sont réservés.)
Je suis saisie de deux amendements nos 2 rectifié et 3 rectifié de Mme la rapporteure, auxquels le ministre s'est déclaré défavorable.
(Les votes sur les amendements nos 2 rectifié et 3 rectifié ainsi que sur l'article 3 sont réservés.)
Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi, auront lieu le mardi 22 novembre, après les questions au Gouvernement.
Madame la présidente, en application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles à l'exclusion de tout amendement, sur l'ensemble de la proposition de loi.
Application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures vingt-cinq, est reprise à dix heures trente.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Catherine Quéré, M. Jean-Marc Ayrault et de plusieurs de leurs collègues, relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 (nos 3794, 3926).
La parole est à Mme Catherine Quéré, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la présente proposition de loi vise à supprimer deux discriminations injustifiables que comporte notre droit en matière de répression des injures, diffamations et provocations à la discrimination, la haine et la violence.
Première discrimination : le délai de prescription de l'action pénale est d'un an pour les victimes de propos racistes ou xénophobes et il est de trois mois pour les victimes de propos sexistes, homophobes ou handiphobes. L'article 2 de la proposition de loi, qui vise à appliquer le délai d'un an dans les deux cas, est par conséquent une mesure de bon sens et d'équité.
L'article 1er propose quant à lui de mettre fin à une autre différence de traitement injustifiable qui concerne plus spécifiquement le délit de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence.
Alors que la loi sanctionne les provocations à toute forme de discrimination à caractère raciste, xénophobe ou religieux, seules les provocations à certaines discriminations à caractère sexiste, homophobe ou handiphobe, limitativement énumérées, sont réprimées. Ainsi, inciter des individus à refuser l'entrée de leur domicile aux personnes d'une nationalité déterminée est punissable alors que la même provocation concernant des personnes handicapées ne l'est pas. De même, les provocations aux discriminations en matière de rémunération sont réprimées dans un cas, mais pas dans l'autre.
Une telle différence de traitement est clairement contraire à deux principes constitutionnels : celui de l'égalité devant la loi et celui de l'intelligibilité de la loi.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le principe d'égalité est constante et ferme. Les dérogations à ce principe doivent être justifiées soit par un motif d'intérêt général, soit par une différence objective de situation.
Vous conviendrez tous, je l'espère, qu'aucun de ces deux motifs ne peut être invoqué en l'espèce, à moins que vous ne considériez qu'une injure faite à une personne en raison de son handicap ou de son orientation sexuelle soit moins grave qu'une injure faite à une personne en raison de sa couleur de peau, de sa religion ou de sa nationalité.
Ces délits sont de même nature et font d'ailleurs l'objet des mêmes sanctions : ils ont pour point commun de mettre en cause des personnes pour ce qu'elles sont et non pour ce qu'elles font.
Il convient d'avoir bien conscience qu'établir une différence de traitement des injures revient à établir une hiérarchie entre les catégories d'individus, c'est-à-dire entre une femme handicapée et une femme de couleur, entre un homosexuel, un juif ou un musulman. Voilà qui n'est pas digne, vous l'admettrez, quel que soit votre parti, des valeurs de la République.
Dans une contribution écrite qu'il m'a adressée, M. Emmanuel Dreyer, professeur de droit à l'université Jean-Monnet, confirme qu'« il n'y a aucune raison de traiter différemment les propos sexistes ou homophobes et les propos racistes ou sectaires. Au contraire, dans sa sagesse, le législateur a pris la précaution de fondre ces incriminations dans le même moule puisque c'est le même comportement qui est incriminé. La répression doit donc obéir aux mêmes règles ».
En outre, comme le rappelle constamment le Conseil constitutionnel, le droit se doit aussi d'être intelligible. Or la législation sur les propos discriminatoires est incompréhensible. La différence inexplicable des délais de prescription est évidemment d'abord source d'incompréhension pour les justiciables qui voient leurs plaintes classées sans suite du fait de la brièveté des délais. Elle est également source de confusion dans la qualification des plaintes par les services de police et les professionnels de la justice.
Comme nous tous, ils ignorent fréquemment que le délai pour les injures homophobes, sexistes ou handiphobes est réduit et ont tendance à classer – erreur de bon sens – toutes les injures dans la même catégorie, celle des injures à caractère raciste. Or comme ces dernières sont prescrites au bout d'un an, cette confusion entraîne de fréquents retards et des lenteurs dans le traitement des plaintes qui sont souvent fatals à l'issue du recours.
Les statistiques du ministère de la justice le confirment de manière frappante. Entre 2005 et 2010, c'est-à-dire depuis que le délit existe, une seule condamnation a été prononcée sur le motif de la « provocation à la haine ou à la violence à raison de l'orientation sexuelle ».
M. Hussein Bourgi, président du collectif contre l'homophobie, a constaté que sur trois dossiers de plainte contre des injures à caractère homophobe, deux sont classés sans suite du fait de la brièveté des délais de prescription.
Ainsi, comme le fait remarquer M. Albert Chavanne, professeur à la faculté de droit de Lyon, ce délai de prescription, qui, soulignons-le, est le plus court de toute l'Europe, aboutit à de fréquents dénis de justice, que nous ne pouvons pas tolérer.
Le seul argument avancé contre la présente proposition de loi est la liberté de la presse. Cet argument est irrecevable pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, il est très important d'avoir à l'esprit que ces délits, bien que figurant dans la loi sur la presse, ne concernent que très marginalement la presse. Ce qui est visé, ce sont les propos tenus dans la sphère publique, que ce soit dans la rue, sur une affiche, par écrit, à la télévision, sur internet. Il s'agit d'ailleurs, le plus souvent, d'injures proférées dans la rue, entre voisins et de plus en plus fréquemment sur Internet.
Lors de l'examen du texte en commission, M. Christian Kert a estimé que dans le contexte récent, marqué par les actes de violence inacceptables dont a été victime le magazine Charlie Hebdo, il est indispensable de manifester l'attachement des pouvoirs publics à la garantie de la liberté de la presse, donc de privilégier la défense de la liberté de la presse par rapport à l'harmonisation du droit.
Dans une contribution écrite qu'il m'a adressée, M. Stéphane Charbonnier indique que Charlie Hebdo n'a jamais été attaqué pour propos sexistes, homophobes ou handiphobes. En outre, aucune recrudescence des poursuites pour propos racistes n'a été constatée depuis que le délai de prescription a été porté à un an.
Depuis que l'incrimination existe – et l'on sait combien elle a été obtenue de haute lutte contre d'ardents défenseurs de la liberté de la presse –, la presse quotidienne régionale n'a jamais fait l'objet de condamnation pour propos sexistes, homophobes ou handiphobes.
Mme Dominique Pradalié, secrétaire générale du syndicat national des journalistes, qui représente un journaliste sur deux, a indiqué que cette proposition de loi ne porte aucunement atteinte à la liberté d'expression. Elle rappelle que le délit d'opinion n'existe pas en France et qu'il convient de bien distinguer l'opinion de l'injure. Par conséquent, invoquer la liberté d'expression et la liberté de débattre est selon elle un faux argument.
En mai 2003, M. Dominique Perben, garde des sceaux, avait justifié l'allongement du délai de prescription pour les injures racistes en indiquant que trois mois était un délai trop court, surtout quand les infractions avaient été commises sur Internet. Ce qui vaut pour les propos racistes et antisémites vaut évidemment pour les propos sexistes, homophobes et handiphobes. Vous savez d'ailleurs fort bien qu'il circule sur Internet autant, voire plus, de messages sexistes, handiphobes ou homophobes que de messages racistes.
Mme Dominique Pradalié a par ailleurs rappelé que le foisonnement extraordinaire de propos sur Internet ne permet pas de repérer les propos discriminatoires dans le délai de trois mois.
Internet, outil formidable au service de la liberté d'expression, donne évidemment une dimension nouvelle aux phénomènes de diffamation, d'injures et de provocations à la discrimination. Vous le savez tous, les contenus diffusés sur Internet ne sont pas majoritairement le fait de journalistes soumis à des règles de déontologie, contrairement à la presse. Chacun est désormais en mesure de diffuser ses opinions, fussent-elles injurieuses ou diffamatoires. Chaque citoyen est désormais susceptible de faire l'objet d'un propos diffamatoire ou injurieux qui, trois mois après sa mise en ligne, sera de facto légalisé et consultable à jamais.
Loin de justifier le droit existant par le principe de liberté de la presse, M. Emmanuel Dreyer, spécialiste de la responsabilité civile et pénale des médias, va même jusqu'à s'interroger sur la légitimité d'un délai dérogatoire dans la mesure où ces infractions ne sont, selon lui, pas de vraies infractions de presse : elles sont rarement commises par les médias. Selon M. Dreyer, rien ne justifie donc la situation actuelle et la plus mauvaise des réponses pour la justifier serait d'invoquer la liberté d'expression.
Pour finir, je souligne que le Défenseur des droits, Dominique Baudis, vous a adressé, monsieur le garde des sceaux, un courrier dans lequel il appelle de ses voeux l'adoption de cette proposition de loi. Mes chers collègues, j'en appelle à votre bon sens de législateur : on ne peut, sous le faux prétexte de la liberté d'expression, tolérer une hiérarchisation entre les individus et donner à ceux qui se rendent coupables d'injures un sentiment d'impunité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires culturelles, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, la lutte contre l'homophobie et les discriminations fondées sur le sexe ou le handicap constitue un enjeu démocratique fort. La présente proposition de loi répond donc à une préoccupation essentielle. Elle n'en soulève pas moins certaines difficultés au regard du principe tout aussi fondamental de la liberté de la presse.
Le texte que vous examinez aujourd'hui modifie sur deux points des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin d'accentuer la répression des infractions commises envers les personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. D'une part, elle élargit, de fait, le champ des infractions au motif d'aligner les différents cas de discriminations prévus par la loi de 1881 ; d'autre part, elle propose de porter à un an le délai de prescription de tous les cas de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence, de diffamation et d'injure.
Sur le premier point, s'agissant des provocations à la discrimination fondées sur le sexe, l'orientation sexuelle ou le handicap, la proposition de loi suggère de supprimer, la référence aux discriminations interdites par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.
La référence aux articles du code pénal a été introduite, par amendement du Gouvernement, lors de l'examen du projet de loi relatif à la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Il s'agissait de répondre à une demande de la Commission nationale consultative des droits de l'homme formulée dans son avis du 18 novembre 2004, qui estimait préférable, par souci de garantir la liberté d'expression et la liberté de la presse, de circonscrire de façon précise la définition des discriminations visées.
Il ressort des documents parlementaires relatifs à ce projet de loi que cette précision visait à ce que les propos publics ne puissent être incriminés que s'ils provoquent à la commission d'une discrimination sanctionnée par lesdits articles du code pénal. Du point de vue des éditeurs de presse, mais aussi de toute personne qui s'exprime publiquement, comme les représentants des pouvoirs publics ou les parlementaires notamment, la suppression de la référence à ces articles du code pénal au neuvième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 en modifie sensiblement la portée. Des propos publics pourraient dorénavant tomber très facilement dans le champ des incitations à la discrimination.
C'est pourquoi, il me paraît préférable de ne pas modifier l'article 24 de la loi de 1881 sur ce point, donc de supprimer l'article 1er de la proposition de loi. Le Gouvernement a déposé un amendement en ce sens. Par conséquent, il sera défavorable aux amendements proposés pour élargir le champ de cet article.
Sur le second point, la proposition de loi étend aux délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence et aux délits de diffamation et d'injure envers des personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap, la prescription d'un an de l'action publique instituée par la loi du 9 mars 2004.
Les auteurs de la proposition de loi justifient l'extension de ce régime de prescription en faisant valoir l'identité des peines encourues pour les deux catégories d'infraction et la nécessité d'assurer leur répression dans les mêmes conditions. Cela s'inscrit notamment dans le contexte du développement d'Internet qui favorise la diffusion des messages et les maintient de façon prolongée à la connaissance du public.
Cet allongement du délai de prescription introduit une nouvelle exception à la règle de la prescription de trois mois de l'action publique pour les délits de presse. Ceux-ci constituent l'une des garanties fondamentales de la liberté d'expression, principe de valeur constitutionnelle dont découle celui de la liberté de la presse. À ce titre, le Gouvernement tient à rappeler son attachement à l'équilibre général de la loi de 1881 et à la nécessaire attention qui doit y être portée. Toutefois, il est également sensible à la préoccupation exprimée par de nombreuses associations de ne pas voir traitées différemment dans la loi les différentes formes de provocation à la discrimination. C'est pourquoi il est favorable à la proposition de loi telle qu'elle est formulée dans son article 2.
En revanche, sans vouloir nier les difficultés que rencontrent certaines victimes, il ne paraît pas souhaitable d'étendre, à cette occasion, le champ de la loi de 1881 à de nouvelles formes de discrimination, notamment celles fondées sur l'identité de genre, comme le proposent certains amendements déposés. La proposition de loi doit être circonscrite à son objet initial, qui était d'harmoniser les délais de prescription de l'action publique.
La pénalisation de nouvelles formes de provocations à la discrimination mériterait une concertation approfondie avec les représentants de la presse et des médias qui sont particulièrement sensibles à la garantie des grands équilibres issus de la loi de 1881 en matière de liberté de la presse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite inscrire mon intervention, faite au nom du groupe SRC, dans la perspective historique dans laquelle nous devons placer l'excellente proposition de loi dont Catherine Quéré a pris l'initiative. Qu'elle en soit remerciée.
Nous cheminons à nouveau, ce matin, au sein de cet hémicycle, sur le long, et malheureusement lent, chemin qui mène vers l'égalité des droits. Une à une, nous franchissons les étapes pour faire tomber les discriminations. Avec la proposition de loi en discussion ce matin, nous nous attachons à en traiter trois : l'homophobie, l'handiphobie et le sexisme.
En la matière, rien n'est jamais simple. Souvenons-nous que l'homosexualité a été dépénalisée en France depuis trente ans à peine et qu'il a fallu attendre le milieu des années 1980 et l'initiative d'un excellent collègue aujourd'hui sénateur, Jean-Pierre Michel, pour que soit inscrite, dans l'essentiel article 225-1 du code pénal, la discrimination en fonction de l'orientation sexuelle – de l'orientation des moeurs, disait-on à l'époque. À cet égard, les années 1980 ont connu un foisonnement d'initiatives législatives ou réglementaires tendant à donner une égalité de droits aux individus homosexuels.
Puis, dans les années 1990, eu lieu le débat fondateur sur le pacte civil de solidarité, dit PACS, qui a permis, enfin, de reconnaître le couple homosexuel dans le code civil. De mon point de vue, et du vôtre aussi j'espère, il a été fondateur en ce qu'il a bouleversé le regard que la société française portait sur l'homosexualité.
Dans les années 2000, il a fallu continuer le travail. Je me souviens d'avoir rapporté, en 2003, devant l'Assemblée une proposition de loi visant à modifier la loi sur la liberté de la presse de 1881 pour sanctionner les propos et écrits à caractère discriminatoire en fonction du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap. À l'époque, ce texte avait été rejeté. Toutefois, il avait ouvert un débat qui avait éclairé, en quelque sorte, le Gouvernement d'alors. Celui-ci avait souhaité bouger sur cette question en intégrant les dispositions que j'avais portées en 2003 dans le projet de loi créant la HALDE. Depuis 2004, nous pouvons nous enorgueillir que les propos et écrits à caractère discriminatoire en fonction du sexe, de l'orientation sexuelle et du handicap sont sanctionnés, quand il s'agit de provocation, de diffamation ou d'injures publiques.
Ce matin, il s'agit d'aller encore plus loin en modifiant à nouveau la loi sur la liberté de la presse de 1881, de terminer le travail, si je puis dire. Bien sûr, cette loi sur la liberté de la presse, loi républicaine par excellence, le législateur doit la modifier d'une main tremblante. Je me souviens des débats de 2003 et de 2004. Toutes celles et tous ceux, nous les premiers, qui étaient attachés à la liberté de la presse, notamment ceux qui font les journaux, s'inquiétaient que cette modification puisse limiter la liberté d'expression dans notre pays. Car la loi de 1881 concerne la presse certes, les médias, mais plus généralement les propos et écrits à caractère public.
La loi a été modifiée. Sept ans après, force est de constater que la liberté d'expression et la liberté de la presse dans notre pays n'ont en aucun cas été remises en cause. Par ce rappel j'entends sécuriser ceux que notre démarche d'aujourd'hui pourrait inquiéter.
La loi de 1881 a cette vertu à la fois de garantir la liberté d'expression des médias et d'en sanctionner les excès. La France n'a pas, comme les États-Unis, une Constitution qui garantit, avec son premier amendement, une liberté d'expression si totale que des sites nazis peuvent être hébergés sur le territoire américain sans rencontrer le moindre problème.
S'agissant de la proposition de loi, j'ai noté les propos positifs du garde des sceaux concernant l'article 2, mais je regrette que le Gouvernement n'aille pas jusqu'au bout et n'approuve pas la globalité du texte, notamment l'article 1er, qui a une valeur avant tout symbolique.
Aujourd'hui, un délai de prescription d'un an vise les discriminations en fonction de l'origine, de l'ethnie, de la nation, de la race et de la religion. Il s'agit – en fixant un même délai de prescription quelles que soient les discriminations – de l'appliquer également aux discriminations en raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap. Si l'on peut dire que c'est une mise à niveau, elle est essentielle : elle n'est pas seulement symbolique et n'a pas pour seul souci de répondre à une égalité des droits parfaite. Elle tend à permettre aux individus – et aux associations qui les soutiennent –, lorsqu'ils sont attaqués en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap, d'avoir le temps et les moyens d'engager les poursuites nécessaires pour que les écrits et propos à caractère discriminatoire soient sanctionnés.
À l'heure de la révolution numérique, trois mois c'est beaucoup trop court pour lancer une action contre des sites ou des blogs à caractère discriminatoire. C'est la raison pour laquelle les associations de lutte contre le racisme et l'antisémitisme avaient souhaité, en 2004, que le délai de prescription soit porté à un an. Il s'agit de faire de même pour défendre avec plus d'efficacité les victimes du sexisme, de l'homophobie et de l'handiphobie.
Notre assemblée s'honorerait à voter cette proposition de loi, tant son article 1er que son article 2. Des amendements ont été déposés qui visent l'identité de genre, et je rappelle à cette tribune que le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche approuve toute initiative visant à faire de la discrimination en fonction de l'identité de genre une discrimination comme les autres – excusez le raccourci. Nous voterons donc ces amendements.
En cette fin de législature, me souvenant de la proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe que j'ai rapportée ici même, au printemps dernier, je constate que les étapes sont parfois difficiles à franchir. Je regrette que nous n'ayons pas franchi celle-ci, qui était décisive. Sans doute devrons-nous attendre la décision des Françaises et des Français au printemps prochain pour ne pas rester, en ce domaine, au bord du chemin. Chers collègues, il reste encore beaucoup de travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, pénalise les propos publics discriminatoires, provocation, diffamation, injure. Depuis la loi du 1er juillet 1972, sont ainsi pénalisés les propos publics racistes, xénophobes ou antisémites de provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine, ou à l'encontre des personnes physiques.
Depuis les années 2000, nous avons assisté à l'intensification de la lutte contre les discriminations de façon plus large, du fait de l'articulation entre les mobilisations des associations de défense des droits humains, les normes contraignantes de l'Union européenne et le renforcement de notre droit national tendant à universaliser les dispositifs antidiscriminatoires. C'est dans cette lignée qu'avait été créée par la loi du 30 décembre 2004 feu la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. La pénalisation des propos sexistes, liés à l'orientation sexuelle ou au handicap, avait également été introduite dans la loi, en marge de la création de cette autorité. Les avancées ont donc été constantes.
Si l'ensemble des peines a alors été aligné, il n'en a pas été de même, en revanche, pour le délai de prescription au-delà duquel une action en justice n'est plus recevable. Ce délai est d'un an pour les infractions en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion de la victime, alors qu'il n'est que de trois mois pour les infractions en raison de l'orientation sexuelle, du sexe ou du handicap.
Or l'expérience montre que le délai de trois mois est souvent trop court pour que les associations de lutte contre le sexisme et les discriminations en raison de l'orientation sexuelle ou du handicap, fassent valoir les droits des victimes, notamment en cas de publications sur Internet qui restent longtemps inaperçues, avant d'être contestées en justice. Comme le souligne le rapport, citant une association de lutte contre l'homophobie auditionnée : « sur trois dossiers de plainte contre des injures à caractère homophobe [portés par cette association], deux sont classés sans suite du fait de la brièveté des délais de prescription », alors même que la discrimination est explicite. Cela crée un sentiment d'injustice chez les victimes. Cette hiérarchisation entre motifs de discrimination, contraire aux valeurs d'égalité de la République, n'est plus acceptable.
C'est pour cette raison que les députés du Front de Gauche voteront cette proposition de loi présentée par le groupe SRC, par ailleurs soutenue par le Défenseur des droits – et par le Gouvernement, dans une version modifiée.
À l'occasion de l'étude de cette proposition de loi ayant pour objet la non-hiérarchisation entre les motifs de discriminations, ne faudrait-il pas introduire dans la loi sur la liberté de presse un dispositif reprenant l'ensemble des discriminations contre les personnes physiques énoncées à l'article 225-1 du code pénal, de façon à harmoniser, quel que soit le code, les discriminations prises en compte ?
Ainsi, l'article 225-1 du code pénal prévoit une liste de discriminations plus large : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
Lors des débats parlementaires de la loi du 30 décembre 2004, il n'avait pas été possible d'inscrire tous les motifs souhaités. La majorité avait fait tomber le couperet derrière l'inscription des seuls motifs « sexe, orientation sexuelle et handicap ». Nous estimons qu'il ne faudrait pas différencier ainsi la liste des motifs de discriminations selon les codes. C'est pourquoi j'ai déposé conjointement avec Marie-George Buffet et les députés du Front de Gauche plusieurs amendements en ce sens. Ils visent notamment à introduire un dispositif de lutte contre les propos discriminatoires à raison de l'état de santé, concernant notamment les malades du Sida, sachant que l'état de santé est reconnu comme un motif possible de discrimination dans le code pénal.
En mai dernier, le procès de Dax à l'encontre d'un homme qui avait déclaré vouloir « tuer ce sale pédé qui a le Sida », en menaçant son beau-fils avec une arme à feu, a été éclairant sur la possibilité, dans notre droit, de considérer l'intention discriminatoire à raison de l'orientation sexuelle, dans ce cas l'homosexualité, mais non celle à raison de l'état de santé, ici la séropositivité, comme circonstance aggravante. Si la discrimination envers une personne malade est sanctionnée s'il s'agit d'une différence de traitement dans l'emploi, la location d'un appartement ou l'accès à un bien ou un service, elle n'est pas prise en compte, en revanche, si une personne se fait insulter ou agresser à cause de sa maladie.
Les associations accompagnant les personnes vivant avec le VIH soulignent que lutter contre les discriminations et stigmatisations à l'égard des personnes séropositives, en créant un environnement sécuritaire pour toutes personnes parlant de leur statut de leur plein gré, est un des éléments de lutte contre cette maladie.
Aussi, même s'il ne s'agit pas ici de traiter du dispositif de pénalisation des propos publics discriminatoires, il nous semble important d'introduire le motif de l'état de santé, déjà prévu à l'article 225-1 du code pénal.
Je m'interroge à ce titre sur la nouvelle rédaction prévue à l'article 1er de la proposition de loi. J'ai bien noté, comme le rappelle le rapport, que la liste des discriminations prévues aux articles 225-2 et 432-7 du code pénal est limitative puisqu'ils visent des cas précis : fourniture d'un bien ou service, activité économique, emplois, embauche, licenciement ou stages et personnes dépositaires de l'autorité publique. Mais la nouvelle rédaction proposée à l'article 1er permet de couvrir la provocation à toutes les discriminations à raison du « sexe, orientation sexuelle ou handicap ». Toutefois, les articles 225-2 et 432-7 du code pénal sont plus larges en ce qui concerne le périmètre des motifs de discriminations couverts. J'ai compris que le Gouvernement allait demander la suppression de cet article 1er, ce qui fera tomber les amendements que j'ai déposés pour intégrer les discriminations mentionnées dans le code pénal.
La distinction opérée depuis la loi du 30 décembre 2004 entre la prise en compte de l'orientation sexuelle – homophobie, lesbophobie, biphobie – et la non-prise en compte de l'identité de genre, la transphobie, n'est pas compréhensible. La raison invoquée par le rapporteur lors des débats à l'époque, selon laquelle la lutte contre la transphobie serait déjà incluse dans la lutte contre le sexisme, méconnaît les mécanismes des discriminations à raison de l'identité de genre qui concernent tant des femmes que des hommes, commençant ou achevant un parcours transidentitaire. Mais j'ai aussi compris que le Gouvernement et la majorité de droite n'étaient pas disponibles pour réaliser ces avancées, et qu'il y avait une grande réticence sur l'identité de genre pour certains – nous l'avons vu lors du débat autour des manuels scolaires.
Au niveau international, les textes votés et parfois même portés par la France comprennent toujours les deux mentions : « orientation sexuelle et identité de genre ». Ainsi, le 18 décembre 2008, la France avait porté devant l'Assemblée générale des Nations unies une déclaration « relative aux droits de l'Homme et à l'orientation sexuelle et l'identité de genre ». Il est surprenant que la France le défende devant les Nations unies, mais pas dans les lois françaises. Le 15 juin 2011, le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies a adopté, avec la voix de la France, la résolution « sur les droits de l'homme, l'orientation sexuelle et l'identité de genre ».
Au niveau européen, les textes traitent toujours de pair les discriminations à raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre. Ainsi, le 29 avril 2010, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adoptait la résolution 1728 : « Discrimination sur la base de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre ». Son alinéa 3 dispose : « Le manque de connaissances et de compréhension au sujet de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre est un défi que doit relever la majorité des États membres du Conseil de l'Europe, car il engendre de nombreuses violations (…) Parmi les principaux sujets de préoccupation figurent les violences physiques et verbales (crimes etou discours de haine) ». De même, le 27 septembre 2011, le Parlement européen a adopté une résolution sur : « les droits de l'Homme, l'orientation sexuelle et l'identité de genre aux Nations unies ».
Or nous assistons à de trop nombreux cas de discriminations ou de violences transphobes. Selon le rapport pour l'année 2011 de l'association « SOS homophobie », le nombre de témoignages concernant les cas de transphobie est en très forte augmentation cette année par rapport à 2009, avec pratiquement deux fois plus de témoignages, la hausse est de 95 %, et une augmentation de 120 % des cas signalés. Ils sont le reflet d'une société encore très largement hostile ou méfiante vis-à-vis des personnes transgenres.
Par exemple, en avril 2010, deux comédiennes transgenres ont été violemment prises à partie dans le quartier de Belleville à Paris par des hommes qui les ont chassées à coup de pierres et de bouteilles en leur hurlant que le quartier était interdit aux transsexuels. Très souvent, les personnes qui pratiquent de tels harcèlements physiques ou verbaux, distinguent mal les questions d'orientation sexuelle et celles liées à l'identité de genre.
Néanmoins, comme je l'ai mentionné au début de cette intervention, la proposition de loi représente une avancée supplémentaire par rapport à notre droit, et c'est pourquoi nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, madame la présidente de la commission des affaires culturelles, chers collègues, en préambule, je souhaite rappeler que nous sommes tous ici d'ardents défenseurs de la lutte contre toute forme de discrimination. Il n'y a pas, d'un côté, les défenseurs des victimes de ces atteintes et, de l'autre, ceux qui, pour des raisons idéologiques ou autres, se permettraient de faire une sorte de tri selon la catégorie visée. Quelle que soit la nature de la discrimination, la représentation nationale dans son ensemble s'attachera toujours à la combattre. C'est son honneur et son devoir.
Cela étant dit, il paraît nécessaire d'en revenir au texte même et à ses nombreuses implications telles qu'on peut les découvrir après une lecture fine et juridique alors que l'intitulé évoque simplement les délais de prescription. En effet, le titre de la proposition porte essentiellement sur la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse. Or, comme l'a très bien souligné le garde des sceaux, l'article 1er de ce texte tend à modifier l'article 24 de la loi de 1881, à laquelle nous faisons souvent référence avec MM Patrick Bloche et Michel Françaix, en créant une nouvelle incrimination pour « discrimination », qui s'ajouterait à la nécessaire répression pénale de l'appel à la haine et à la violence ou de la provocation à une discrimination précise. Nous nous éloignons de l'objectif annoncé dans le titre de la proposition de loi et ses conséquences en sont bien plus lourdes qu'annoncées. Je pense que la rapporteure n'a peut-être pas voulu aller aussi loin.
Or, sans autre précision, la référence à la discrimination s'interprète inévitablement selon la définition prévue à l'article 225-1 du code pénal, soit « toute distinction opérée entre les personnes physiques ». Cette rédaction porte en germe un risque d'évolution de notre société vers un ordre social incompatible avec l'équilibre entre les droits des personnes et la liberté d'expression tel qu'il est garanti par la loi de 1881. Je ne pense pas que cela ait été voulu par la rapporteure.
En septembre 2004, la presse s'était déjà inquiétée des effets d'un projet de texte qui consacrait le principe d'« incitation à la discrimination (...) à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle », incrimination beaucoup trop large et imprécise, et dont la menace était susceptible d'anesthésier le débat public. Ces arguments avaient alors été entendus, et le délit de provocation à la discrimination circonscrit, puisque le texte de la loi du 30 décembre 2004 prévoit de sanctionner ceux qui « auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap »
Ce texte était l'aboutissement d'un an de réflexions auxquelles la presse avait contribué dans le cadre du groupe de travail mis en place par le garde des sceaux de l'époque. Or, madame la rapporteure, vos auditions n'ont pas pu être menées à terme en ce qui concerne la presse, et certains éditeurs de presse m'ont dit regretter de ne pas avoir pu être entendus.
C'est pourquoi l'amendement du Gouvernement que vient de nous présenter le garde des sceaux, et qui tend à supprimer l'article 1er de la proposition de loi, nous semble particulièrement sage. La loi de 1881 est précieuse. Nous sommes tous ici d'ardents défenseurs de la liberté de la presse. L'équilibre qui existe aujourd'hui ne peut être remis en cause par un texte qui n'a pas fait l'objet d'une véritable concertation sur ce point précis.
Vous le comprenez, élargir la notion d'incitation à la discrimination incluse dans le champ de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 est une porte ouverte à de multiples revendications et risque de conduire vers une véritable anesthésie du débat public. Je crois que notre commission est unanime à ne pas le souhaiter.
Cette initiative législative propose également d'harmoniser les délais de prescription de l'action publique en cas d'infractions commises envers les personnes, quel que soit leur motif.
Aujourd'hui, les délais de prescription de l'action publique concernant la tenue de propos discriminatoires varient suivant le motif de la discrimination.
Lors de l'examen de cette proposition de loi par la commission des affaires culturelles, les députés de notre groupe n'avaient pas pris part au vote. En effet, nous manquions de recul face aux nombreuses conséquences de ce texte insuffisamment préparé.
Néanmoins, madame la rapporteure, nous avons décidé d'apporter notre soutien à l'article 2 de la proposition de loi que vous nous présentez, qui vise à harmoniser à un an le délai de prescription de l'action publique. La position de notre ancien collègue Dominique Baudis, devenu Défenseur des droits, nous conforte dans cette décision.
En commission, nous nous sommes interrogés sur la liberté de la presse. Il nous paraissait important de protéger cette liberté qui ne peut s'accompagner de délais de prescription trop longs, puisque l'une de ses protections consiste en des délais courts, la règle générale étant de trois mois, l'exception d'un an.
Même vous ne citez dans le rapport, nous a-t-il semblé, que des extraits d'ouvrages juridiques dont les auteurs ne sont connus pour être les plus ardents défenseurs de la liberté de la presse, la règle des trois mois était, jusqu'à présent maintenue. Toutefois, nos collègues socialistes ont avancé en cours de débat des arguments que nous pouvons tout à fait entendre.
Si l'extension à un an des délais de prescription permet de garantir les principes d'égalité devant la loi et son caractère intelligible, sans mettre en cause la liberté de la presse, nous pouvons lever les réserves que nous portions lors des travaux de la commission des affaires culturelles.
Il est vrai qu'il apparaît difficile, comme le soutiennent nos collègues, de cautionner une hiérarchie implicite entre les discriminations, en acceptant que les délais de prescription varient en fonction de la gravité supposée du motif : une discrimination reste une discrimination, qu'elle se fonde sur l'ethnie ou sur l'orientation sexuelle, sur la religion ou sur le handicap.
Par ailleurs, on peut effectivement se rallier au principe d'intelligibilité de la loi : le droit doit être connu de tous. Si cela est presque aujourd'hui impossible, il doit au moins être lisible et compréhensible par tous. Or, la multiplicité des délais de prescription favorise la confusion et accroît les risques pour les justiciables de se tromper dans les délais et de voir un certain nombre de plaintes classées.
Le troisième argument qui emporte notre adhésion, c'est bien sûr l'évolution des nouvelles technologies et la banalisation de l'internet. C'est d'ailleurs l'argument qui avait légitimé en 2004, cela figure dans le rapport, l'extension à un an du délai de prescription de l'action publique pour les infractions motivées par la violence raciale et religieuse. Alors que dans les médias classiques, chaque nouvelle publication chasse l'autre, il n'existe pas de droit à l'oubli sur internet. La toile est ainsi une immense réserve de stockage des données qui ne se désintègrent pas mécaniquement.
Cet espace de liberté, que chacun peut investir sur n'importe quel sujet, implique en contrepartie de donner à toutes les éventuelles victimes les moyens de faire valoir leurs droits. La règle de l'actualité qui prévaut pour les médias classiques perd de sa pertinence dans le cas des contenus publiés sur internet. Nous reconnaissons que les messages racistes et xénophobes n'ont pas, hélas, le monopole du web. Il convient donc d'allonger le délai de prescription pour permettre aussi aux victimes de messages sexistes, handiphobes ou homophobes de se faire entendre de la même façon.
Mes chers collègues, pour l'ensemble des raisons précédemment évoquées, parce qu'il s'agit de questions qui touchent à la dignité humaine, le groupe UMP votera cette proposition de loi bien amendée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Très bien !
Je félicite notre collègue Christian Kert pour les propos de sagesse, qu'il vient de tenir.
Certes, mais pour le trublion qu'il est, il s'agit de grande sagesse. D'autant qu'il avait été précédemment rapporteur et qu'il avait tenu alors des propos bien différents.
La proposition de loi que nous examinons vise à mettre un terme aux discriminations de notre droit républicain dans l'incrimination des injures, diffamations et provocations à la discrimination, la haine et la violence de quelque nature qu'elle soit.
En effet, actuellement, les délais de l'action pénale sont différents selon que les propos discriminatoires relèvent d'un caractère racial, ethnique ou religieux ou qu'ils sont tenus à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap.
Comment peut-on justifier que des propos diffamatoires à caractère sexiste, homophobe ou handiphobe soient considérés comme moins préjudiciables ou douloureux pour qui les reçoit que les injures à caractère racistes ? Ces différences de traitement, cela a été dit, contreviennent au principe constitutionnel de l'égalité de tous devant la loi.
Au reste, l'article 13 du Traité instituant la Communauté européenne stipule – comme l'a rappelé Mme Quéré dans l'introduction de son rapport écrit – que « Le Conseil peut prendre toutes les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ».
Avec le texte que nous proposons aujourd'hui, il s'agit certes de modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui, rappelons-le, concerne également tout moyen de publication et de communication. La loi de 1881 a été modifiée par celle du 9 mars 2004 qui a introduit un article établissant un délai de prescription spécial d'un an pour les délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, diffamation et injure commis à l'encontre de personnes à raison de leur origine, ethnie, nation, race ou religion. Pour de nombreuses raisons historiques, comme l'avait rappelé en commission notre collègueRené Couanau, il était pour ainsi dire dans l'ordre des choses que l'on sanctionne plus durement les discours racistes.
L'allongement du délai de prescription de trois mois à un an tel que défini par la loi de 2004 n'a absolument pas entravé la liberté de la presse. Je tiens à le souligner parce que lors des débats portant sur le texte de 2004, des réserves avaient été émises sur le thème : « on va tuer la liberté de la Presse ». Or, ces dispositions n'ont en rien, affecté cette liberté. Je le répète, parce que, en commission, lors de l'examen du texte, certains ont eu tendance à reprendre cette antienne, même si je constate aujourd'hui avec plaisir qu'elle est abandonnée
Aujourd'hui prôner le statu quo et ne pas uniformiser la répression des provocations à la discrimination quelle que soit la personne visée, c'est de facto permettre à l'injure sexiste ou homophobe de prospérer en toute impunité puisque, comme le soulignait fort justement notre collègue Perben, alors garde des sceaux, « Trois mois, c'est très court surtout quand les infractions ont été commises dans le cyber-espace ».
Le législateur a surtout cherché à gérer l'évolution de l'expression depuis 1881 Aujourd'hui aucun journal, digne de ce nom, ne tomberait sous le coup d'une sanction à raison d'un propos raciste car les journalistes sont des professionnels qui, dans leur grande majorité, obéissent à la déontologie et connaissent la loi. Il n'en est pas de même des internautes.
En effet, avec internet, tout un chacun peut s'improviser patron de presse, se prendre pour un avatar de Théopraste Renaudot et écrire ce que bon lui semble sans se soucier des dégâts qu'il commet. Certes les écrits papiers restent. Mais ce qui y figure reste plus sûrement sur la toile, car comme chacun le sait, le droit à l'oubli n'existe pas.
Au milieu de sites d'information ou de blogs de particuliers de grande qualité, prospèrent des sites où des propos haineux sont échangés et dispensés et peuvent attenter gravement à la dignité des femmes, des homosexuels et des homosexuelles, des handicapés.
Voter cette proposition de loi, c'est rendre à chacun les droits qu'il mérite. Il est juste de réprimer de la même façon et dans les mêmes délais les incitations et provocations à la discrimination, d'autant que les personnes actuellement lésées par la loi le sont, non pour ce qu'elles font, mais pour ce qu'elles sont, dans leur être. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est agréable de se trouver dans notre Assemblée, à un moment où elle sait se rassembler sur quelques combats, dont la noblesse vient effacer d'autres aspects de nos travaux et nous aide à oublier telle ou telle déclaration, tel ou tel dérapage, comme nous avons pu le voir dans l'actualité récente et lors de l'examen de la proposition de loi sur l'égalité des droits que notre groupe avait présentée.
Les intervenants qui m'ont précédé et le garde des sceaux l'ont dit : rien ne saurait justifier que l'on rejette, que l'on insulte, que l'on juge une personne pour la couleur de sa peau, ses origines, ses opinions religieuses, son sexe, son orientation sexuelle ou son handicap. Nous sommes tous rassemblés pour dire que nous ne devons tolérer aucune discrimination ; que chacun a droit au respect, qu'il possède ou non, dans son identité, une caractéristique jugée minoritaire dans la société dans laquelle nous vivons.
Dans le même temps, comme le disait justement notre rapporteure, nous ne pouvons plus accepter qu'il existe une forme de hiérarchie des discriminations, une sorte de discrimination parmi les discriminations, qui ferait qu'être insulté pour son origine ou sa religion serait plus grave qu'être insulté pour son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe.
Or, force est de constater aujourd'hui que cette discrimination existe et que, si l'on constate une certaine homogénéité des peines encourues et des peines appliquées, quelle que soit la discrimination reconnue par les tribunaux, il n'en est pas de même pour les délais de prescription. Cela a été rappelé par les intervenants précédents, qui proposaient l'allongement du délai de prescription à un an pour l'ensemble des insultes et discriminations citées.
De nombreuses associations ont dénoncé cet écart, telle SOS Homophobie. Cette dernière, que notre rapporteure a également citée, est spécialisée dans la lutte contre l'homophobie. Elle fait régulièrement référence, dans son rapport annuel à un certain nombre d'affaires dans lesquelles des discriminations, des insultes, des provocations, notamment à propos des orientations sexuelles, ne peuvent pas être jugées du fait des délais de prescription et d'instruction des affaires. La justice n'a pas le temps, en raison du manque de moyens, donc de l'encombrement des tribunaux, de traiter les infractions présentées au motif d'homophobie, d'handiphobie ou de sexisme, en particulier dans les délais de trois mois, au-delà desquels l'affaire est prescrite. De la même manière, les victimes n'ont pas forcément les moyens de repérer les propos et les discriminations et de les identifier, en particulier lorsqu'elles sont portées sur un média internet.
Ainsi, les propos homophobes prononcés par un groupe de rap en juin 2010 ont été prescrits dès le mois de septembre et n'ont ainsi pu faire l'objet de sanctions, qui auraient certainement été très largement méritées. Le même problème s'est posé à la suite d'un Kiss In, manifestation pour la défense de l'égalité des droits, le 14 février 2010 devant Notre-Dame au cours duquel huit jeunes hommes et femmes ont été insultés en raison de leur orientation sexuelle. Le procès a eu lieu le 30 novembre 2010 et l'avocat des quatre mis en cause a invoqué, à juste titre en l'état actuel du droit, la prescription pour faire annuler les poursuites concernant les insultes.
L'association SOS Homophobie affirme être saisie chaque année de plusieurs centaines de cas pour lesquels cette inégalité juridique empêche des victimes de propos homophobes de pouvoir obtenir réparation.
Nous avons donc aujourd'hui l'occasion, avec cette proposition de loi, d'affirmer que toutes les injures, discriminations, qui visent quelqu'un uniquement en raison de ce qu'il est, de son identité même, doivent faire l'objet des mêmes poursuites et du même traitement, ont la même gravité et méritent les mêmes sanctions, dans les mêmes conditions d'instructions et de poursuites.
Le Conseil constitutionnel a été saisi à cette fin, en novembre 2010 par des associations de lutte contre les discriminations. Mais nous-mêmes avons aujourd'hui, la possibilité de mettre fin à cette injustice, d'envoyer un message clair, de dire qu'aucun d'entre nous ne tolère qu'une discrimination puisse subsister, quel que soit son motif, et que nous les traitons toutes à égalité.
Comment accepter plus longtemps que la République refuse le même niveau de protection à des citoyens en fonction de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur handicap par rapport à d'autres victimes de discrimination ?
Au printemps dernier, lors de l'examen d'une proposition de loi dont Patrick Bloche était le rapporteur, j'avais eu l'occasion de dire que les institutions républicaines et les textes de loi qui encadrent la vie en commun portent un message et qu'en matière de discrimination, d'égalité des droits, les institutions doivent adresser un message d'encouragement à ceux qui attendent un signe de la République pour vivre leur vie sans crainte et s'affirmer tels, qu'ils sont, mais aussi un message de condamnation de ceux qui, à la maison, à l'école, au travail ou dans la rue, se rendent coupables de violences à l'égard de celles et ceux qu'ils jugent inférieurs parce que leur orientation sexuelle, leur caractéristique ou leur identité est jugée minoritaire. Avec cette proposition de loi, nous avons la possibilité de mettre fin à cette situation, à une hiérarchisation des discriminations, qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui, et d'accorder au nom de la République la même protection à tous.
Ma conclusion portera sur deux points.
Je veux d'abord souligner que ce débat est éminemment complexe et que les amendements déposés par Martine Billard, ont le grand mérite d'ouvrir le champ des discriminations qui doivent être traitées par la loi. Les amendements du groupe GDR évoquent l'identité de genre ainsi que les discriminations rencontrées par celles et ceux qui s'engagent dans un processus de changement d'identité. Nous devons avoir tous ces exemples en mémoire, à l'occasion de l'examen de ce texte comme de de la proposition de loi portée par Michelle Delaunay sur la simplification des changements d'état civil.
Les amendements de Martine Billard évoquent aussi la question de l'état de santé, en particulier de ce que l'on qualifie parfois de sérodiscrimination. Au-delà des remarques qu'a pu faire tout à l'heure M. le garde des sceaux à propos de l'article 1er, dont le Gouvernement proposera la suppression, il me paraît important de profiter de ce débat pour rappeler que les questions de la santé, de la séropositivité, de l'identité de genre ne doivent pas être assimilées aux discriminations prévues au titre de l'orientation sexuelle, du sexe ou du handicap, mais faire l'objet d'un traitement particulier. Ce n'est pas que les motifs de discrimination soient fondamentalement différents, mais ils représentent aussi l'un des sujets sur lesquels la société doit se pencher aujourd'hui.
J'ai écouté les arguments du garde des sceaux et les interventions de nos différents collègues, notamment du représentant du groupe UMP. Peut-être l'article 1er sera-t-il supprimé – ce que je ne souhaite pas –, mais l'article 2 restera : son adoption méritera d'être saluée. Quoi qu'il en soit, notre assemblée aura fait oeuvre utile en harmonisant les délais de prescription pour l'ensemble des discriminations, des provocations et des injures. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous examinons ce matin, à l'initiative de notre collègue Catherine Quéré, une proposition de loi qui vise à supprimer la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Cette proposition doit permettre d'harmoniser les délais de prescription et la répression des infractions commises envers les personnes, quel qu'en soit le motif.
Aujourd'hui, les sanctions sont identiques pour tous les propos et écrits publics à caractère discriminatoire, qu'ils portent sur l'origine, l'ethnie, la nation, la race, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle ou le handicap : un an de prison et 45 000 euros d'amende. Il n'en va pas de même pour les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 : selon les cas, ils sont d'un an ou de trois mois. Ainsi, lorsqu'une personne est injuriée pour des raisons racistes ou en fonction de sa religion, le délai de prescription est d'un an. Lorsque des injures sont proférées en raison du sexe d'une personne, de son handicap ou de sa sexualité, le délai de prescription n'est que de trois mois.
Cette différence trouve sa source en 2004, lorsque l'ancien garde des sceaux, M. Perben, a souhaité allonger ce délai de trois mois à un an pour les insultes visant l'origine, l'ethnie, la nationalité, la race ou religion. Mes chers collègues, cette gradation des injures ne repose sur rien et il est temps d'y mettre un terme. Pis, comme l'a rappelé Mme la rapporteure, cette différence de délais est inconstitutionnelle. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le principe d'égalité est constante et très ferme. Les seules dérogations à ce principe qu'aient autorisées les Sages doivent être justifiées soit par un motif d'intérêt général, soit par une différence objective de situation : tout le monde conviendra, sur l'ensemble des bancs de cet hémicycle, qu'aucun de ces deux critères n'est réuni.
Lors de l'examen du texte en commission, la semaine dernière, une partie de la majorité n'a pas souhaité prendre part au vote, justifiant ses réticences par la crainte que ce texte ne mette à mal la liberté de la presse. Il n'en est rien, ce n'est nullement la presse que nous visons et vous le savez bien. Nous souhaitons viser tous les propos à caractère discriminatoire qui circulent dans la sphère publique, en particulier sur internet. Je vois, messieurs de la majorité, monsieur le garde des sceaux, que vous êtes revenus sur les positions que vous aviez adoptées en commission.
Vous êtes donc favorables à l'article 2, mais souhaitez supprimer l'article 1er. En fait, le seul défaut de cette excellente proposition de loi est…
De comporter deux articles ! (Sourires.)
…d'être issue des rangs de l'opposition.
Je rappelle enfin que ce délai de trois mois est le plus bref d'Europe.
Mes chers collègues de la majorité, plus rien ne justifie cette différence. Le législateur a le droit de faire en sorte que toutes les incriminations bénéficient du même délai de prescription. Je vous invite donc, pour l'égalité de tous devant la justice, à adopter cette proposition de loi et à mettre fin à cette discrimination sans fondement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Après avoir remercié tous les orateurs qui se sont exprimés, je voudrais répondre plus particulièrement à M. Kert. Le SPM – Syndicat de la presse magazine – nous a envoyé une contribution écrite dans laquelle il est affirmé, en gras et en lettre capitales, que la presse n'a pas été entendue. La presse doit de vérifier ses informations : cette affirmation est à la limite de la diffamation ! Je n'ai certes pas auditionné les quelque quinze syndicats de la presse, ni tous les titres de presse, mais j'ai entendu Charlie Hebdo, le journal qui était au centre de vos arguments pour justifier le rejet de la proposition de loi. J'ai entendu le Syndicat national des journalistes. J'ai convoqué le Syndicat de la presse quotidienne nationale le 24 octobre : il n'a pas répondu à mon invitation, malgré plusieurs relances le 29 octobre et le 5 novembre. Le Syndicat de la presse quotidienne régionale, pour sa part, a reçu une invitation le 9 et n'a répondu que le 14 ; je lui ai d'ailleurs demandé une contribution écrite. Quant à celle que m'a adressée le SPM, j'en ai bel et bien tenu compte, et je vous en lis d'ailleurs un passage qui se passe de commentaires : « De notre point de vue, les dispositions relatives à la lutte contre le racisme, qui présentent un caractère exceptionnel compte tenu de la limitation qu'elles imposent à la liberté d'expression, peuvent se justifier au regard de leur objectif de dimension institutionnelle. Il s'agit d'éviter que la nation ne se casse sur des groupes ethniques distingués du creuset commun constitutif du sentiment national. La protection des femmes, des handicapés et des minorités sexuelles, qui relèvent des droits personnels, est d'une tout autre nature. » Permettez-moi de vous lire une dernière phrase : « Eu égard à la multiplicité et à l'activisme des organisations de défense des droits des femmes et des homosexuels, fréquemment à la recherche d'une tribune, il est à craindre qu'elles seront promptes à poursuivre à mauvais escient, au nom d'intérêts qui peuvent s'éloigner de l'intérêt général. » (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Je rappelle que ces associations qui font selon moi une oeuvre d'intérêt général tout à fait louable, n'ont jamais poursuivi la presse pour des propos homophobes, sexistes ou handiphobes.
Enfin, monsieur Kert, vous mettez en cause les professeurs de droit qui défendent la légitimité juridique de ma proposition de loi. Avez-vous pu trouver un seul juriste pour affirmer que la différence de traitement entre les injures serait justifiée par la liberté d'expression ?
Ce n'est pas ce qu'il a dit !
Vous aurez l'occasion de me répondre. Pour ma part, je n'en ai pas trouvé et, je vous le rappelle, il est assez évident que les dispositions sont anticonstitutionnelles.
Enfin, vous m'avez accusée de ne pas avoir bien conscience de la portée de l'article 1er. Non seulement je sais très bien ce que j'ai écrit, mais je l'ai clairement expliqué dans mon rapport. Lorsque cet article viendra en discussion, je vous rappellerai l'aberration que constitue le droit actuel.
Nous devons tous nous féliciter de la qualité du débat de ce matin : il fut serein, ce qui n'aurait probablement pas été le cas il y a quelques années. C'est à cela que l'on peut juger de l'évolution des esprits. Je comprends bien Mme Quéré, auteur de la proposition de loi. Mais il faut aller à une vitesse qui permette d'obtenir des résultats. Il est parfois moins bon d'aller très vite et de ne pas arriver à un but que d'aller moins vite et d'arriver à quelque chose…
Dans cette affaire, le Gouvernement a montré son ouverture d'esprit et il n'est pas question pour moi de revenir sur ce que j'ai dit tout à l'heure. Néanmoins, en application de l'article 96 du règlement, le Gouvernement demande la réserve de tous les votes. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ce n'est pas dur ! Du reste, vous le saviez depuis au moins trois jours !
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Je suis saisie d'un amendement n° 12 .
La parole est à M. le garde des sceaux.
Je m'en suis expliqué, il s'agit tout simplement de supprimer l'article 1er. Nous devons trouver un équilibre entre deux droits, entre deux libertés qui ont également valeur constitutionnelle : la protection des droits des personnes et la liberté d'expression, dont découle la liberté de la presse.
En 2004, le délit de provocation à la discrimination a été volontairement circonscrit aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal. En supprimant ce renvoi, comme le proposent les auteurs de la proposition de loi, la référence à la discrimination s'interprète inévitablement selon la définition prévue à l'article 225-1 du code pénal, soit « toute distinction opérée entre les personnes physiques ».
Élargir la notion de provocation à la discrimination incluse dans le champ de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 ouvre la voie à de nombreuses revendications, susceptibles de constituer une réelle entrave au débat public, par le fait d'une prohibition particulièrement large, qui englobe toute manifestation d'opinion fondée sur une distinction qui prendrait appui sur le sexe, l'orientation sexuelle ou d'autres cas de discrimination.
Du fait de la responsabilité pénale automatique du directeur de publication, un tel élargissement de la notion pourrait conduire à renoncer à retranscrire de nombreux propos tenus publiquement, donc porter atteinte à la liberté de la presse.
Je rappelle que l'article 1er vise à mettre fin à une différence de traitement injustifiable, qui concerne plus spécifiquement le délit de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence. J'ai auditionné sur ce point Mme Anne-Marie Sauteraud, vice-présidente de la dix-septième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, qui s'occupe quotidiennement de ce type de délits. Elle a reconnu être tombée des nues en constatant cette rédaction limitative, qui lui avait échappé, et a confirmé qu'il s'agissait d'une anomalie injustifiable. La loi sanctionne en effet les provocations à toute forme de discriminations à caractère raciste, mais seules les provocations à certaines discriminations à caractère sexiste, homophobes ou handiphobes, en référence à deux articles du code pénal, sont réprimées. On a donc le droit d'inciter à refuser l'entrée de son domicile à un handicapé, à une femme ou à un homosexuel. De même, on a le droit d'inciter des employeurs à opérer des discriminations en matière de rémunération au détriment des femmes, des homosexuels ou des handicapés. Autre exemple : on a le droit d'inciter les associations à refuser l'adhésion d'une personne parce qu'elle est handicapée, femme ou homosexuelle. Ces provocations à la discrimination ne sont en revanche pas légales lorsqu'elles sont racistes ou xénophobes. Comment pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, justifier une telle différence de traitement ? Je n'ai pas besoin d'en dire plus : vous êtes suffisamment éclairé sur l'incohérence et l'injustice que vous valideriez en ne supprimant cet article 1er.
Un projet de loi préparé en 2003 proposait une rédaction conforme à l'article 1er et visait toutes les discriminations. Il avait reçu un avis favorable du Conseil d'État, qui ne l'avait pas jugé attentatoire à la liberté d'expression.
Enfin, je rappelle qu'il n'y a pas, en France, de délit d'opinion. Le juge, dont la jurisprudence est particulièrement protectrice de la liberté d'expression, ne sanctionne absolument pas les opinions. Aucun journaliste n'a jamais été sanctionné pour avoir relaté des propos diffamatoires, injurieux, homophobes, sexistes ou racistes. Mais peut-être le nombre des députés de droite présents aujourd'hui dans l'hémicycle explique-t-il que les votes aient été réservés…
Bien entendu, je soutiens l'excellent amendement du Gouvernement.
Mme la rapporteure me semble avoir la peau politique un peu trop sensible ! (Sourires.) Ce n'est pas, madame Quéré, parce qu'on n'est pas toujours d'accord avec vous qu'on est hostile à votre personne.
Lorsque je vous ai parlé de la presse, je ne vous ai pas accusée. Je vous ai dit : « il me semble que… ». Mon propos montre bien qu'il ne s'agit pas d'une d'accusation. Néanmoins, l'intitulé de votre proposition étant la « suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 », vous conviendrez que nous traitons là d'un sujet qui concerne la presse.
Je regrette que les syndicats de la presse n'aient pas répondu à votre invitation, car il me semble qu'une audition d'ensemble eût été une bonne formule ; cela vous aurait permis de mieux comprendre nos réticences à l'égard de l'article 1er.
La proposition de M. le garde des sceaux répond à la préoccupation que nous avons exprimée en commission : selon nous, élargir la notion d'incitation à la discrimination incluse dans le champ de l'article 24 de la loi de 1881, c'est, madame la rapporteure, la porte ouverte à de multiples revendications susceptibles d'aboutir à une totale anesthésie du débat public. Mais, compte tenu de votre honnêteté intellectuelle, je suis intimement persuadé que ce n'est pas ce que vous souhaitez.
Je me range volontiers, au nom de notre groupe, à la proposition de M. le ministre, et je vous assure que cela n'altère pas le deuxième point derrière lequel nous avons accepté de nous ranger, car il s'agit de dignité humaine – et sur ce point, nous vous rejoignons.
Je suis un peu étonnée par les propos du ministre et par ceux de Christian Kert.
Actuellement, la loi sur la presse prévoit de réprimer les propos qui provoquent à la haine ou à la violence. Vous ne voulez pas y ajouter la discrimination. C'est surprenant, car souvent, l'appel à la discrimination va de pair avec l'appel à la violence et à la haine. Dans ce cas, il faudrait utiliser cet argument pour toutes les discriminations. Je ne vois pas pourquoi il y aurait, en l'occurrence, deux poids, deux mesures.
En dehors du fait qu'il comporte une petite erreur de rédaction, la discussion sur l'article 1er ne porte pas sur ce point. Pour nous, l'objet du débat est d'inscrire dans le texte l'ensemble des discriminations, sans les limiter.
(Le vote sur l'amendement n° 12 est réservé.)
Nous proposons d'ajouter l'identité de genre à la liste des motifs de discrimination.
J'ai entendu ce qu'a dit tout à l'heure Christian Kert, au nom de l'UMP. Pour lui – je pense ne pas déformer ses propos – il est difficile de cautionner une hiérarchie entre les discriminations et une discrimination reste une discrimination. C'est exactement ce que je pense pour la discrimination au motif de l'identité de genre et c'est pourquoi je défends cet amendement. Nous ne souhaitons pas établir de hiérarchie entre les discriminations et nous voulons reprendre la définition contenue dans le code pénal. Nous n'arrivons pas à comprendre pourquoi certaines discriminations peuvent être pénalement répréhensibles, tandis que d'autres ne le sont pas – je pense aux propos appelant à la discrimination, à la haine ou à la violence.
Votre argument, monsieur Kert, portait sur la liberté de la presse. Cela étant, les quelques plaintes déposées contre des propos sexistes ne visaient pas la presse, mais la publicité. Je fais partie du mouvement féministe depuis mon plus jeune âge, mais à ma connaissance, il n'y a pas eu de plainte contre la presse pour propos sexistes, à l'exception des publicités.
Aujourd'hui, notamment du fait d'internet, les incitations à la discrimination et à la haine, en particulier à la discrimination en fonction de l'identité de genre, se multiplient. Il nous semble donc fondamental d'inclure cette notion, mais cela n'a rien à voir avec la liberté de la presse, laquelle, de la même manière, n'est pas mise en cause par les poursuites qu'elle peut encourir pour d'autres formes de discrimination. À ce propos, il faudra m'expliquer pourquoi certaines discriminations, comme l'identité de genre, porteraient atteinte à la liberté de la presse, et d'autres non.
Défavorable.
D'abord, je tiens à remercier M. le ministre. En effet, la réserve des votes a, pour une fois, un effet positif puisqu'elle nous permet de défendre des amendements qui auraient dû tomber dans le cadre de la procédure habituelle !
Ensuite, dans le droit fil de ce que j'ai dit tout à l'heure à cette tribune, je rappelle que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté le 29 avril 2010 une résolution 1728 intitulée « Discrimination sur la base de l'orientation sexuelle et de l'identité du genre » ; que le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a adopté le 15 juin 2011, avec la voix de la France, une résolution affirmant l'égalité entre les hommes, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre ; et que le Parlement européen a, lui aussi, adopté, le 27 septembre 2011, une résolution sur les droits de l'homme, l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
Cela montre que, même avec la voix de la France, les sujets ne sont pas traités de manière conjointe, y compris dans l'intitulé des différentes résolutions, et qu'il y a matière à des discriminations différentes selon le sexe, l'orientation sexuelle ou encore l'identité de genre, sujet encore peu appréhendé. C'est aussi un défi à relever que de faire comprendre et accepter par la société les problèmes que rencontrent les personnes qui changent d'identité sexuelle.
Le groupe SRC votera, le moment venu, cet amendement, car la lutte contre le sexisme n'est pas la lutte contre la transphobie. Il s'agit de deux choses différentes et l'identité de genre doit être identifiée en tant que telle.
Je vais tenter d'illustrer nos propos, qui sont restés très théoriques.
Comment lutter contre les discriminations sexistes et les stéréotypes qui peuvent amener à des discriminations – dont Martine Billard dit que, dans la presse, on trouve peu d'exemples ?
Nous avons reçu, la semaine dernière, à la Délégation aux droits des femmes, Catherine Vidal, neurobiologiste et spécialiste du cerveau.
Monsieur le ministre, il serait bon que vous écoutiez, car ce que Mme Vidal a dit portait sur le cerveau, le sexe et le pouvoir ! (Sourires.)
En 2005, elle a écrit un livre – qui pourrait intéresser nombre de députés, particulièrement les hommes – sur les préjugés idéologiques entre sexe et déterminisme biologique.
Au XIXe siècle, un biologiste, Paul Broca, a eu l'idée de peser les cerveaux. Il a observé que le cerveau de l'homme pesait 1,3 kg et celui de la femme 1,1 kg. Il n'a pas hésité à en déduire que cette différence de poids était révélatrice de l'infériorité intellectuelle des femmes et il a publié ses conclusions en 1861. Pour autant, ce genre de propos circule toujours. On se demande encore, en 2011, si le cerveau a un sexe, si les hommes ont davantage la bosse des maths, si les femmes sont plus émotives et sensibles, si elles sont vraiment capables de faire de longues études etc. Tous ces propos sont diffusés sur des sites internet, parfois même dans des revues. Ce sont des stéréotypes, mais au-delà, ce sont des préjugés sexistes.
Comment voulez-vous, en trois mois, lutter contre ces stéréotypes, contre ces préjugés et contre les affirmations de ceux qui parlent d'un déterminisme génétique ? Il faut donc adopter ce texte, ne serait-ce que pour dire que le cerveau n'a pas de sexe !
(Le vote sur l'amendement n° 1 est réservé.)
C'est le même principe que dans l'amendement précédent, cette fois pour l'état de santé.
Il y a malheureusement appel à la discrimination et à la violence contre des personnes atteintes du sida. Ces personnes sont fragiles et connaissent des difficultés telles que la perte de leur emploi ou le manque de stabilité dans l'emploi, il est important de créer un environnement qui leur permette de se soigner en toute quiétude, donc d'empêcher ces appels à la discrimination et à la violence.
Défavorable.
L'état de santé étant un motif de discrimination déjà inscrit à l'article 225-1 du code pénal, l'amendement de Mme Billard et des membres de son groupe est logique.
Après en avoir pris connaissance et même si le vote est réservé, le groupe SRC apporte son soutien à tous les amendements présentés par Mme Billard.
(Le vote sur l'amendement n° 2 est réservé.)
Il est défendu, de même que l'amendement n° 4 et tous les amendements ultérieurs.
La commission a donné un avis défavorable à ces deux amendements comme aux suivants.
Favorable.
(Les votes sur l'amendement n° 11 et sur l'article 2 sont réservés.)
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi auront lieu le mardi 22 novembre, après les questions au Gouvernement.
Application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures, est reprise à douze heures cinq.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Christophe Sirugue, Jean-Marc Ayrault et plusieurs de leurs collègues tendant à lutter contre la précarité professionnelle des femmes (n°s3795,3921).
La parole est à M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Madame la présidente, monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, mes chers collègues, le phénomène des travailleurs pauvres prend une dimension alarmante. Or l'écrasante majorité de cette pauvreté laborieuse est féminine. Si, aujourd'hui, les femmes représentent 47 % des actifs et ont donc massivement investi le marché du travail depuis les années 1960, elles restent surreprésentées dans les emplois non qualifiés, en particulier dans le secteur tertiaire, emplois qu'elles occupent, pour beaucoup, à temps partiel. Ainsi, sur les quelque cinq millions d'actifs travaillant à temps partiel dans notre pays, 82 % sont des femmes, dont l'écrasante majorité est aujourd'hui en situation de sous-emploi et 70 % des 3,7 millions de travailleurs pauvres sont des femmes. Ce n'est pas le fruit du hasard. La dégradation des ressources d'activité se concentre sur une partie précise de la population. Il faut en comprendre les raisons. Pourquoi les femmes sont-elles davantage exposées que les hommes à la précarité professionnelle ? À cela je vois trois raisons essentielles : le temps partiel subi, les services à la personne, en tout cas une partie de leur développement, et l'impossible articulation entre vie professionnelle et vie familiale.
Premièrement, la dernière décennie a vu le monde professionnel opérer une mutation. L'encouragement des entrepreneurs à développer le temps partiel dans les années 1990 a fait florès. Proposé, au départ, comme un moyen de concilier vies privée et professionnelle, le temps partiel s'est retourné contre les femmes. Il est désormais subi pour nombre d'entre elles. Ainsi, 82 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. La moitié d'entre elles est sous le seuil de pauvreté avec un revenu inférieur à 750 euros mensuels. En dépit de ce que j'ai entendu en commission, je maintiens ce constat. Il faut reconnaître que les temps partiels dans la restauration, l'hôtellerie ou encore la grande distribution sont des trappes à pauvreté et refuser d'y voir une fatalité. Il faut tout autant reconnaître qu'aussi invraisemblable que cela puisse paraître, avoir un employeur unique, travailler en un lieu unique, bénéficier d'horaires stables et d'un contrat de travail classique est devenu, pour un très grand nombre de femmes, un privilège.
Deuxièmement, la loi Borloo de 2005 a permis de sortir les services à la personne de l'économie souterraine, ce dont les femmes ont, au moins en apparence, largement bénéficié. Un exemple parmi d'autre dans ce secteur hyper segmenté : 98 % des aides à domicile sont des femmes. Mais, ici, la dislocation du temps de travail est telle que les femmes de ménage, elles-mêmes, ne parlent plus jamais d'emploi ni même de sous-emploi mais de « trouver des heures ». Car il s'agit bien de cela. Une employée de service à la personne, à longueur de journée, fait la jonction entre tous ses employeurs, tous ses lieux de travail. Ses horaires très matinaux, très tardifs, interrompus, fractionnés donnent à la journée une amplitude qu'aucun employé de bureau ne supporterait. Cette dispersion des heures de travail l'empêche d'augmenter son activité et la maintient, en plus de la pauvreté monétaire, dans une situation d'imprévisibilité permanente.
Enfin, troisième et dernière raison essentielle de la précarisation rampante des femmes : l'impossible articulation entre vie professionnelle et vie privée. La maternité, les problèmes de garde d'enfant et l'inégale répartition de la domesticité ont des impacts sur l'insertion professionnelle des femmes. À cela se surajoutent les difficultés des familles monoparentales qui sont pour l'écrasante majorité des femmes seules avec enfant. Tout s'accélère alors : le manque de moyens oblige à s'éloigner des centres-villes, allongeant ainsi les temps de trajet et contraignant ces femmes à demander une réduction de leur temps de travail.
Les femmes souffrent davantage de précarité professionnelle que les hommes, elles doivent donc en être davantage protégées. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche défend aujourd'hui cette proposition de loi.
Le titre Ier vise tout d'abord à renforcer les droits des salariés du secteur des services à la personne, qui est aujourd'hui un très gros pourvoyeur d'emplois féminins à temps partiel et à horaires atypiques. Si le développement du secteur est une bonne chose, il se fait, dans de nombreux cas, au détriment de la qualité des emplois proposés. L'esprit du texte est ici de favoriser une intermédiation de qualité entre l'employeur et l'employée et d'éviter le gré à gré, vecteur d'une moindre protection pour les salariées. L'amélioration de cette intermédiation peut remédier à l'absence de formation professionnelle, aux carences de la médecine du travail et, plus globalement, à l'isolement de ces salariées dans leur pratique professionnelle.
Nous proposons ainsi, à l'article 1er, de créer un label « Inclusion sociale », récompensant les efforts des employeurs de ce secteur pour réduire la précarité. L'obtention du label sera conditionnée au respect de bonnes pratiques. Il pourra s'agir d'indemniser le temps de déplacement entre deux employeurs ou de normaliser les horaires de travail par la concomitance des heures de ménage et des heures de bureau. Les possibilités d'amélioration sont nombreuses. L'obtention de ce label pourrait, en outre, ouvrir droit à des réductions de cotisations patronales : tel est l'objet d'un amendement que nous avons déposé.
L'article 2 vise à instaurer une journée d'information des salariés de ce secteur sur leurs droits, notamment en matière de santé, de sécurité et de formation professionnelle.
L'article 3 vise à garantir l'accès des salariés des services à la personne à la médecine du travail et à les faire bénéficier d'un suivi renforcé en posant le principe d'une visite médicale annuelle obligatoire. La pénibilité de ces différents métiers est, en effet, aujourd'hui insuffisamment prise en compte. Les services à la personne exigent souvent une station debout, un travail répétitif, des postures contraignantes, sans parler des déplacements et des horaires nocturnes. Les employées y sont sujettes aux troubles musculo-squelettiques. La prévention et la santé au travail ne doivent pas se cantonner à l'industrie, au bâtiment et aux transports.
Avec l'article 4, nous voulons permettre aux salariés du secteur d'accéder réellement à la formation professionnelle et à la validation des acquis de l'expérience. Dans un secteur très éloigné de toute culture syndicale, nous invitons donc les partenaires sociaux à se saisir du parcours professionnel des employées de service à la personne. Pour cela, nous renvoyons à des accords collectifs de branche le soin de définir des modalités spécifiques de mise en oeuvre des dispositifs de formation et de valorisation des acquis de l'expérience dans le secteur. Il est aujourd'hui quasiment impossible, pour un salarié à temps partiel travaillant chez plusieurs employeurs, de se former sur son temps de travail.
Au travers du titre II, nous souhaitons proposer des mesures concrètes pour lutter contre le recours abusif au temps partiel. Il ne s'agit évidemment pas de condamner le temps partiel, qui est nécessaire, mais de lutter contre certaines pratiques qui font des contrats précaires un moyen d'apporter toujours plus de flexibilité dans la gestion de la masse salariale et de la durée du travail au détriment des emplois stables. L'article 5 prévoit ainsi que soient désormais pris en compte dans les critères d'attribution des marchés publics les efforts mis en oeuvre par les entreprises pour réduire la précarité. Cette mesure incitative est complétée par une mesure corrective figurant à l'article 6, avec l'instauration d'un « malus précarité » majorant de 10 % les cotisations patronales des entreprises de plus de vingt salariés employant plus d'un quart de leur personnel à temps partiel.
Afin de compenser la précarité des salariés à temps partiel, l'article 7 prévoit en outre le doublement de la prime de fin de contrat due lors de la rupture d'un contrat de travail à durée déterminée lorsque le salarié licencié était employé à temps partiel, et l'article 8 propose de majorer de 25 % les heures complémentaires dès la première heure effectuée au-delà de la durée de travail prévue au contrat.
Enfin, ce même article limite les possibilités de déroger aux règles protectrices du code du travail dans le but de mettre fin aux amplitudes horaires excessives, à la discontinuité et à l'imprévisibilité du temps de travail des salariés à temps partiel. Seul un accord collectif de branche étendu pourra ainsi désormais autoriser de telles dérogations.
Afin de favoriser l'insertion des femmes dans l'emploi durable, je souhaite enfin vous proposer de compléter la proposition de loi en y insérant un titre III relatif à l'articulation entre vie privée et vie professionnelle.
En dépit des progrès accomplis dans la répartition des tâches domestiques et familiales entre les hommes et les femmes, les charges familiales continuent en effet malheureusement de peser de manière disproportionnée sur les femmes. La maternité constitue ainsi un risque professionnel à l'embauche, alors que la paternité n'influe en rien sur l'accès des hommes à l'emploi, dans la mesure où les ajustements professionnels liés à la parentalité continuent de se reporter majoritairement sur les femmes.
Il convient donc de mieux impliquer les hommes, les pères, dans le partage des responsabilités familiales et, parallèlement, de produire un effort supplémentaire en matière de structures collectives d'accueil des enfants en bas âge.
Faute de pouvoir déposer des amendements visant directement à mettre en oeuvre nos propositions, nous avons dû nous contenter de demander le dépôt de plusieurs rapports examinant ces propositions : le premier sur l'allongement du congé de paternité, qui constitue l'une des solutions mises en avant pour neutraliser les discriminations à l'embauche liées à la maternité ; le deuxième sur un congé parental d'éducation partagé, susceptible d'être pris en alternance par les deux parents ; le troisième, sur la création d'un véritable service public de la petite enfance.
J'espère, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'un débat constructif pourra avoir lieu sur la base de ce texte, tant il apparaît aujourd'hui indispensable d'agir de manière concrète pour lutter contre la précarité professionnelle des femmes.
Contrairement à ce que nous avons entendu en commission, je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une vision extrêmement négative de la situation des femmes, bien au contraire. C'est un constat, malheureusement partagé depuis de trop nombreuses années, et il faut un jour passer à des dispositions permettant d'apporter des corrections. Les évolutions législatives que nous vous proposons vont dans ce sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Madame la présidente, mesdames, messieurs, vrai sujet, mauvaises réponses. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Plusieurs députés du groupe SRC. Ça commence mal !
Vrai sujet parce que cette proposition de loi a un objectif noble : lutter contre la précarité professionnelle des femmes. Cet objectif, franchement, quelle que soit notre sensibilité, nous le partageons et il est d'ailleurs l'une des priorités du Gouvernement et des parlementaires.
Je peux d'autant plus le dire qu'en tant que ministre du travail et de l'emploi je me suis personnellement saisi de ce sujet dès 2007 avec, par exemple, tout un travail sur la charte de la parentalité en entreprise, qui couvre une partie du sujet. En 2009, dans un document d'orientation remis aux partenaires sociaux, le Gouvernement avait rappelé que valoriser le travail, favoriser un meilleur accès des femmes à tous les secteurs d'activité et maintenir le lien avec le monde du travail constituaient des objectifs intangibles.
Il reste que la teneur de votre proposition de loi ne peut nous conduire à soutenir ce texte, qui a d'ailleurs été rejeté en commission.
Tout d'abord, l'approche adoptée peut être qualifiée de maximaliste : pour vous, tout travail partiel est précaire et subi. C'est ainsi que je lis le texte et je ne suis pas le seul. C'est oublier un peu vite que le travail à temps partiel peut être un choix dans certaines situations.
C'est le cas de certains étudiants qui à côté de leurs études, exercent une activité, forcément à temps partiel. C'est le cas de certaines mères de famille, qui s'éloigneront moins longtemps du marché du travail si on leur offre la possibilité d'effectuer un temps partiel en attendant de revenir à un plein-temps.
Les dispositions de votre texte pour réduire le temps partiel ne nous semblent donc pas adaptées.
Vous proposez par exemple de majorer de 10 % les cotisations sociales. C'est même, pourrait-on dire, une forme de déclaration de guerre au travail à temps partiel. Dans les entreprises comptant plus d'un quart de salariés à temps partiel, vous ne faites aucune différence entre le temps partiel subi et le temps partiel choisi. Or, ce dernier existe bien. Soyons clairs, si les contraintes pesant sur le temps partiel sont alourdies, les employeurs en proposeront moins, au détriment de l'emploi et du pouvoir d'achat des salariés concernés. Tout le monde sous la même toise, cela ne marche pas. La dernière fois que nous l'avons vu, c'était avec les 35 heures obligatoires de Mme Aubry. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Par ailleurs, vous proposez d'encadrer les droits des salariés dans les services à la personne, où les femmes, c'est vrai, sont particulièrement nombreuses. Or certaines de ces dispositions sont déjà satisfaites.
C'est le cas par exemple de la recherche de la qualité de l'emploi, avec un label d'inclusion sociale. Dans son contrat d'objectifs et de moyens 2010-2012, l'Agence nationale des services à la personne prend déjà en considération des critères de réduction de la précarité. La recherche de qualité est un souci constant de l'Agence.
De même, la loi du 20 juillet 2011 sur la réforme de la médecine du travail prévoit le suivi par les services de santé au travail de tous les salariés des particuliers employeurs, à temps partiel comme à temps plein. Une négociation a déjà débuté.
S'agissant des accords collectifs de branche en matière de formation professionnelle, l'État a pris ses responsabilités pour faciliter dans le secteur des services à la personne des négociations qui devraient déboucher sur l'adoption de conventions collectives pour les entreprises des services à la personne.
Quant à la proposition de subordonner l'attribution de marchés publics à une clause sociale, la réglementation relative aux marchés publics le permet déjà.
Ainsi, la plupart des dispositions de votre proposition soit sont déjà satisfaites, soit font l'impasse sur le fait qu'une grande partie du temps partiel n'est pas subi, soit rendent plus strictes des dispositions sur le temps partiel, déjà très réglementé. Si c'est pour que certaines tâches rebasculent vers le travail au noir, je ne suis pas partant ! Cela réduirait à néant les efforts de notre majorité pour professionnaliser ce secteur. La loi du 26 juillet 2005 sur le développement des services à la personne, portée par Jean-Louis Borloo, a permis de sortir ces services à la personne de l'économie souterraine, et cela intéresse tout le monde.
Un grand nombre de femmes peu ou pas qualifiées ont ainsi pu entrer sur le marché du travail. Il serait dommage de nous priver des effets positifs de cette loi.
Par ailleurs, le Gouvernement a mis en oeuvre de nombreuses mesures, depuis 2007, pour améliorer l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Je pense d'abord à la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, avec le développement de modes de garde,…
…car nous ne pouvons accepter qu'une femme soit obligée de choisir entre travailler et garder son enfant. D'ici à 2012, l'État aura créé plus de 200 000 places supplémentaires d'accueil du jeune enfant afin de permettre aux parents, en particulier aux femmes, de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale.
Permettez-moi à cette occasion de saluer le succès de la formule innovante des maisons d'assistantes maternelles, dont cette majorité est à l'origine, qui, un an après la promulgation de la loi, permet déjà à plus de 3 000 familles de trouver une solution d'accueil pour leur enfant et aux assistantes maternelles qui le souhaitent de sortir de l'isolement du travail à domicile.
En outre, la loi portant réforme des retraites prévoit une sanction allant jusqu'à 1 % de la masse salariale des entreprises qui ne négocieraient pas sur le thème de l'égalité professionnelle, et une obligation de publicité des indicateurs et objectifs de progression de l'entreprise. Les entreprises devront donc rendre publiques des informations en matière d'égalité professionnelle. Agir sur l'image de l'entreprise en ce domaine, c'est un moyen d'avoir des résultats, et je remercie tout particulièrement Anne Grommerch pour les efforts qu'elle déploie dans ce domaine. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Plusieurs députés du groupe SRC. Elle est un peu seule aujourd'hui dans l'hémicycle !
Enfin, nous oeuvrons pour améliorer le travail des femmes en incitant les entreprises à accentuer leurs efforts en matière de responsabilité sociale. Roselyne Bachelot s'y emploie également en tant que ministre des solidarités et de la cohésion sociale.
Ainsi, si chacun partage l'objectif, votre proposition de loi, n'apporte pas les bonnes solutions et contient de réelles menaces pour l'emploi et le pouvoir d'achat des personnes à temps partiel. Le Gouvernement ne peut donc apporter son soutien à ce texte, qui a été rejeté en commission.
Plusieurs députés du groupe SRC. Le ministre n'est pas applaudi !
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être parmi nous, car il a été, je crois, un peu compliqué de trouver un membre du Gouvernement disponible. Pour un sujet prioritaire, paraît-il, les membres de votre majorité sont absents et je salue la présence de Mme Grommerch.
Vrai sujet, avez-vous dit, monsieur le ministre. Nous le pensons vraiment et la proposition de loi présentée par Christophe Sirugue est une réponse indispensable.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les femmes, particulièrement en France, ont réalisé une « révolution silencieuse ». Elles sont arrivées massivement dans le monde du travail, 84 % d'entre elles travaillent aujourd'hui. À l'école, à l'université les filles réussissent mieux que les garçons. Elles ont conquis la maîtrise de leur fécondité. Même dans la vie politique, elles sont à parité dans les conseils municipaux et régionaux, je ne parle évidemment pas de l'Assemblée…
Ces avancées ne se sont pas faites sans tension, sans investissement, sans équilibrisme pour les femmes. La société n'a pas mesuré cette mutation et les politiques publiques ne l'ont pas accompagnée.
Surtout, depuis les années 1990, cette révolution marque le pas : la marche vers l'égalité semble s'être figée, voire régresser. Le travail des femmes n'assure plus l'autonomie et la protection attendues. Dérégulation économique, flexibilité universelle, multiplication des temps partiels – 17 % en 1970, 30 % en 2010 – ont eu raison de la marche vers l'égalité, et les écarts salariaux entre les hommes et les femmes se creusent à nouveau.
La précarité touche plus souvent et plus durablement les femmes que les hommes. En 2011, en France, 3 700 000 femmes occupent des emplois précaires. Sont-ils tous utiles à la société ? Ce sont des « travailleuses pauvres » car, aujourd'hui, travail et pauvreté se conjuguent.
Ces salariés précaires, à 80 % des femmes, sont devenus des variables d'ajustement, un mode de gestion des emplois, une adaptation au marché. La flexibilité, l'imprévisibilité du temps de travail se sont généralisées pour améliorer le fonctionnement des entreprises, sans contrepartie pour les salariés.
C'est un groupe hétérogène, mais on les retrouve massivement dans les métiers de services à la personne, où les soins sont assurés à 97 % par des femmes, dans la restauration, l'hôtellerie, le commerce et la grande distribution. De nouveaux secteurs sont touchés, je pense aux téléopératrices, aux laborantines et aux techniciennes de labo, sans parler des contrats très précaires dans la fonction publique – je ne citerai que les auxiliaires de vie scolaire de l'éducation nationale, qui sont très maltraitées. Bref, ces femmes ont de très bas salaires, des vies désorganisées, insécurisées, sans maîtrise de leur temps. C'est une telle galère que certaines « choisissent » de s'arrêter. C'est un faux choix.
En 2011, est-ce une fatalité que ce type de places soient réservées aux femmes, que les femmes gagnent toujours moins que les hommes, que 82 % des emplois à temps partiel soient occupés par des femmes, qu'une femme sur trois travaille à temps partiel, qu'elles soient plus souvent embauchées en CDD ou en intérim, qu'elles subissent plus que les hommes des horaires réduits, des temps de travail imprévisibles, des faibles salaires, des coupures de carrière et, en conséquence, des retraites inférieures de 40 % à celle des hommes ?
En juillet 2011, un rapport de la délégation aux droits des femmes a montré qu'il y a une urgence sociale et présenté toutes les mesures qui restent encore à prendre. Votre majorité, monsieur le ministre, ne semble pas l'avoir lu, je l'ai bien vu en commission des affaires sociales.
Voici ce qu'on pouvait y trouver : « Les femmes forment aujourd'hui un sous-salariat précaire, disposant de revenus réduits, privées de certains acquis sociaux et bien souvent enfermées à vie dans cette situation ».
Le tableau est connu, depuis peu reconnu, Christophe Sirugue a rappelé les chiffres dans l'exposé des motifs de la proposition.
Une telle situation n'est ni le souhait ni la faute des femmes. Elles veulent massivement rester dans le monde du travail, avoir des enfants et continuer à travailler, assurer leur vie de femmes et de famille sans sacrifier leur carrière et, quand elles ont pris un temps partiel, pouvoir revenir à temps plein.
Alors pourquoi cette précarité ? Pourquoi la pauvreté se conjugue-t-elle au féminin ? Les causes sont à chercher dans les inégalités entre les hommes et les femmes, et je voudrais en souligner trois aspects.
Il y a d'abord les mentalités et les stéréotypes. Les salaires des femmes seraient-ils encore des salaires d'appoint ? En période de crise, certains seraient tentés de penser que les femmes prennent la place des hommes, sans voir qu'elles veulent avoir leur autonomie, avoir une carrière et assumer leur rôle familial.
Dans cette démarche d'autonomie, le conflit entre famille et travail continue d'influer négativement sur la carrière des femmes. Les femmes françaises sont les plus fécondes en Europe, mais ce sont aussi elles qui s'arrêtent le plus après la naissance du deuxième ou du troisième enfant. Elles voudraient reprendre un emploi mais cela est très difficile lorsqu'elles ont un emploi peu qualifié ou à temps très partiel, d'autant que le partage des tâches est toujours aussi mal partagé. Seuls 12 % des hommes assument plus de 30 % des tâches ménagères, 88 % ne les assument pas. La dernière enquête de l'INSEE indique que les femmes font trente-cinq heures par semaine de travail domestique !
Dans un excellent rapport sur les femmes dans les médias, Valérie Létard demandait à la rédactrice en chef d'un magazine féminin : « Pourquoi ne montrez-vous jamais de femme au travail ? ». Réponse : « Parce que nos lectrices ne sont pas concernées par la carrière ; ce sont les problèmes quotidiens qui les préoccupent, pas le travail. » Les stéréotypes ont la vie dure !
Deuxième raison : le manque de qualité des emplois féminins. Je veux souligner, monsieur le ministre, la sous-représentation des femmes dans les postes à responsabilité et chez les partenaires sociaux. Les femmes sont le maillon faible des négociations salariales et de la défense des salaires. Cela explique pourquoi, en dépit de trois lois, les rapports de situation comparée ne sont toujours par sortis et pourquoi la loi de 2008 modifie la hiérarchie des normes en faisant prévaloir l'accord d'entreprise qui laisse les femmes sans défense.
Troisième raison : la législation sociale qui devrait les protéger se retourne contre elles. Chaque fois qu'une dérogation est introduite dans le droit du travail, elle devient la norme. Ainsi, nous sommes indignées par votre décret de juillet 2011, qui interprète la loi sur les retraites de telle façon que l'égalité salariale n'avance pas.
En conclusion, les textes que nous présentons sont des textes d'urgence sociale. Il s'agit d'un enjeu d'information, de dialogue, de justice. Je voudrais, monsieur le ministre, appeler votre attention sur une notation de la France moins médiatisée que le triple A : dans le classement du Forum économique mondial, notre pays vient de passer de la 127e à la 131e place pour les écarts de salaire entre hommes et femmes. Nous sommes entre la Jamaïque et le Kazakhstan.
Voilà les résultats de votre politique ou de votre absence de politique, voilà le bilan de votre législature. Tel est le sort que vous réservez aux femmes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, au nom des députés communistes et du Parti de gauche, je trouve que ce texte vient à point nommé. Nous avons d'ailleurs déjà déposé, avec Marie-George Buffet, plusieurs propositions de loi sur le sujet.
Il est certain qu'il faudrait, de façon plus générale, que l'organisation de la société soit revue pour sortir de la domination patriarcale. Toujours répondre que ce n'est pas le bon moment revient à maintenir les différences entre les femmes et les hommes et les inégalités au détriment des premières.
Je vous rappelle, monsieur le ministre, que votre candidat aux élections présidentielles, Nicolas Sarkozy, dans un discours du 6 avril 2007, déclarait : « Je donnerai deux ans aux entreprises pour aligner les salaires des femmes sur ceux des hommes sous peine de sanctions car cela fait cinquante ans que, sans sanctions, on n'y arrive pas. »
Vous-même avez à deux reprises, en 2007 puis 2009, préconisé « des sanctions financières suffisamment importantes pour être dissuasives ».
Certes, la loi sur les retraites a alourdi l'amende en cas de non-ouverture des négociations sur l'égalité professionnelle, mais tant que nous en resterons à une obligation de moyens et que nous n'affirmerons pas une obligation de résultats, il ne se passera rien.
Malgré les nombreuses lois passées sur l'égalité professionnelle et l'égalité salariale, les choses n'avancent pas. C'est pourquoi nous avons déposé une proposition de loi visant à punir d'une amende l'amende la non-réalisation de l'égalité professionnelle. Sans cela, la situation peut perdurer pendant des siècles !
Vous avancez, monsieur le ministre, que le travail partiel n'est pas toujours subi, qu'il y a du travail partiel choisi. Si vous lisez le rapport de la délégation aux droits des femmes, dont la présidente n'est autre que Marie-Jo Zimmermann, membre de l'UMP, vous apprendrez que « le temps partiel contraint ne permet ni d'accéder au temps plein ni de cotiser pour une retraite décente, et bien souvent il ne permet tout simplement pas de vivre ». Le président de la commission des affaires sociales m'accuse souvent de faire du Zola : en l'occurrence, ce n'est pas moi qui mais un membre de l'UMP, et elle dit la vérité, car la situation des femmes au XXe siècle est malheureusement digne d'un roman de Zola.
Il faudrait savoir si l'on veut vraiment avancer. Les femmes représentent aujourd'hui 78 % des emplois non qualifiés et 83 % des emplois à temps partiel, un temps partiel souvent imposé. Vous affirmez, monsieur le ministre, qu'un tel recours permettrait d'éviter le travail dissimulé. Ce matin, la radio a évoqué le procès de l'employeur de l'hypermarché Leclerc de Montbéliard, qui n'avait rien trouvé de mieux que d'enfermer à clé dans un local cinquante salariées, parce que ces femmes n'étaient pas déclarées et qu'un contrôle de l'URSSAF avait lieu ce jour-là, avec l'aide de la police, pour détecter le travail dissimulé. Comme quoi, le fait de ne pas sanctionner le nombre trop important de contrats partiels dans une entreprise n'empêche guère le travail dissimulé ! Il conviendrait plutôt de renforcer les moyens de l'inspection du travail.
Aujourd'hui, 80 % des travailleurs pauvres sont des femmes ; ce sont les chiffres de l'INSEE.
Le temps partiel imposé donne rarement des revenus au-dessus du SMIC ; ils sont même généralement en dessous. Les femmes sont les plus touchées, dans les secteurs où elles travaillent massivement, la grande distribution, l'hôtellerie-restauration, les services à la personne, le nettoyage.
Le cas des services à la personne est emblématique du sort réservé aux femmes. Cette activité exercée à plus de 80 % par des femmes cumule tous les handicaps : salaires au SMIC horaire, quasiment jamais de temps plein, temps de déplacement entre les interventions non rémunéré, ce qui avait d'ailleurs amené certaines salariées, au moment de l'explosion du prix de l'essence, à renoncer à des heures de travail car elles leur rapportaient moins que ce que leur coûtait le déplacement. Surtout, ce secteur n'est ni valorisé ni valorisant car il ne permet quasiment aucune évolution professionnelle.
Dès lors, on peut dire beaucoup de choses sur les propositions de nos collègues mais elles permettraient du moins des avancées, telles que le label, l'instauration de la journée d'information, le rétablissement de la visite médicale annuelle, la formation, pour que ces femmes puissent progresser et s'orienter vers d'autres métiers. Le frein à ces avancées reste l'éclatement en multiples branches et le fait que certaines des activités concernées sont hors convention. Quelles que soient les limites de cette proposition, elle représente à nos yeux un progrès.
Nous continuerons à nous battre pour l'égalité professionnelle des hommes et des femmes aux côtés de tous ceux qui s'engagent dans ce combat, que ce soit avec cette proposition de loi, avec la délégation aux droits des femmes présidée par Marie-Jo Zimmermann… Pour qu'il soit un succès, il faut passer par la législation car les incitations ne permettent plus d'avancées pour l'égalité des droits. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Le seul orateur masculin inscrit dans la discussion générale n'étant pas présent, la parole est à Mme Anne Grommerch.
Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de nos collègues socialistes qui vise à lutter contre la précarité professionnelle des femmes. Force est de reconnaître que l'emploi des femmes est marqué par le temps partiel, voire très partiel, et par son corollaire, le temps discontinu, qu'a notamment dénoncé Florence Aubenas dans son ouvrage le Quai de Ouistreham. Le constat est clair et ne saurait être remis en question, les femmes occupent 75 % des emplois à temps partiel et 80 % des emplois de service à la personne.
Contrairement à ce qu'ont dit nos collègues, ce sujet est une vraie priorité pour le Gouvernement. Pour preuve, je rappellerai simplement que, sur la question des femmes, notre arsenal législatif est complet. Il nous faut, en tant que législateur, en tirer les conséquences et pousser les acteurs sur le terrain, plutôt que de cautionner une surenchère législative.
Il est plus utile d'évaluer l'action publique et, dans cette perspective, de suivre les actions engagées par l'Agence nationale des services à la personne, l'opérateur de l'État pour le développement des aides à la personne, que de voter une nouvelle proposition de loi sur le sujet. Si la création d'un label « inclusion sociale » ne se justifie pas, c'est parce que l'ANSP prend déjà en compte les critères de réduction de la précarité dans son contrat d'objectifs et de moyens pour 2010-2012. Ayant vocation à accroître une offre de services structurée et de qualité, elle mène déjà différentes actions pour améliorer le niveau de formation et les conditions de travail des salariés du secteur. Vous nous avez assurés de votre vigilance, monsieur le ministre, quant à la mise en oeuvre de ces actions et au bilan qui en sera tiré.
L'échelle législative n'est pas l'échelle pertinente ; il faut laisser la main aux partenaires sociaux. L'obligation de négocier sur la validation des acquis de l'expérience et sur le droit individuel à la formation est également satisfaite par l'obligation triennale de négocier sur les priorités, les objectifs et les moyens de la formation professionnelle. L'État engage les moyens nécessaires pour faciliter les négociations dans ce secteur. Elles sont en cours…
…et devraient déboucher prochainement sur l'adoption de conventions collectives.
D'autres dispositions sont déjà satisfaites au niveau législatif et il convient d'éviter les redondances dans la loi.
La visite médicale annuelle pour les salariés à temps partiel figure déjà dans notre législation : l'article 10 de la loi du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail a étendu le droit commun pour les salariés à temps partiel du secteur du service à la personne et a confié aux partenaires sociaux la définition des modalités d'organisation de la visite médicale annuelle.
De même, l'octroi des marchés publics en fonction de la politique de l'entreprise contre la précarité ne fait que répéter la clause sociale incluse dans la réglementation relative aux marchés publics qui prévoit que « les performances en matière d'insertion des publics en difficulté » constituent un critère d'attribution des marchés publics.
Notre troisième réserve porte sur la charge que risquent de présenter la plupart des dispositions du titre II pour les entreprises. Mes chers collègues, nous sommes aux prises avec les mécanismes d'une crise très profonde, et nous nous accordons tous à dire, à droite comme à gauche, que la réduction de la dépense ne doit pas se faire au détriment de la croissance. Dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons, est-ce vraiment le moment de pénaliser lourdement un secteur qui constitue un vivier d'emploi à fort potentiel pour l'avenir ? (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Donner des droits aux travailleurs, c'est pénaliser un secteur ? Bravo !
Donner des droits aux travailleurs, c'est ce que nous faisons !
Je pense à la majoration de 10 % des cotisations sociales de l'employeur dans les entreprises de plus de vingt salariés comptant 25 % de salariés à temps partiel. En plus de risquer de pénaliser les entreprises qui fonctionnent majoritairement avec des temps partiels – non seulement dans le secteur du service à la personne mais aussi dans celui de la restauration, par exemple –, cette mesure ne fait aucune différence entre le temps partiel subi et le temps partiel choisi. Le temps partiel en soi serait pénalisé alors qu'il peut résulter d'un choix temporaire pour les jeunes parents qui souhaitent concilier de cette manière leur vie familiale et professionnelle.
Faut-il pénaliser ces parents ? Je ne crois pas.
Je pense aussi à la majoration de 10 à 20 % de l'indemnité de fin de contrat. Encore une fois, en plus de représenter une charge supplémentaire importante pour les entreprises en cette période de conjoncture difficile, cette majoration – soyons objectifs – n'aurait aucun effet sur la hausse du taux d'embauche en CDI.
Je pense enfin à la majoration des heures complémentaires, qui aurait un coût très important non seulement pour les employeurs mais aussi pour l'État et la sécurité sociale au titre de l'allégement social et fiscal des heures supplémentaires. Cette question étant légitime, il apparaît néanmoins indispensable de laisser au préalable les partenaires sociaux s'exprimer sur la question. Il faut souligner aussi que la rédaction de cet article est inefficiente et ne modifie pas en l'état le droit actuel.
Enfin, la pénalisation de la discontinuité du travail par la modification du régime d'interruption d'activité ne semble pas évoluer vers une situation plus favorable. Le texte souhaite interdire le cumul de plus d'une interruption d'activité supérieure à deux heures par jour, ce qui n'empêcherait pas la multiplicité des interruptions inférieures à deux heures. Que faites-vous de ces dernières ?
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP préfère obtenir du Gouvernement l'assurance que la lutte contre le temps partiel et l'amélioration des conditions de travail des femmes concernées figure parmi ses priorités…
…plutôt que voter une proposition de loi redondante et pénalisante pour nos entreprises.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l'entrée massive des femmes sur le marché du travail salarié – rappelons que les femmes ont de tout temps travaillé, même si ce n'était pas dans ce secteur – a sans conteste été l'une des grandes révolutions du siècle passé, la réalité sociale d'aujourd'hui nous pousse à relever un défi de ce nouveau siècle, celui de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cela passe notamment par la lutte acharnée et déterminée contre la précarité professionnelle dans laquelle sont engluées des millions de femmes. Les chiffres, éloquents, ont été rappelés par plusieurs de nos collègues, je n'y reviens pas.
Je tiens tout d'abord à remercier mon collègue Christophe Sirugue, dont je salue l'investissement constant et de longue date sur l'articulation entre la précarité et les inégalités de genre, pour le travail accompli avec d'autres collègues sur cette proposition de loi.
Il faut le dire et le redire, la précarité est sexuée, elle a un sexe et ce sexe est féminin. Le dire et le dénoncer, c'est déjà se donner les moyens de lutter contre le prétendu ordre naturel des choses qui voudrait que l'on se contente de constater que « les métiers occupés essentiellement par des femmes sont les moins valorisés et les plus précaires, c'est comme ça » ! Le ménage, le repassage, la préparation des repas quotidiens, l'éducation des enfants et le soin aux personnes dépendantes reposent essentiellement sur les femmes, et c'est considéré comme normal.
Lorsque nous avons voulu mettre en cause ce prétendu ordre naturel des choses, nous avons constaté que c'était tout bonnement inacceptable pour certains. Que n'avons-nous fait là ! J'ai été effarée par les propos tenus en commission.
Certains collègues de la majorité n'ont pas eu de mots assez durs pour dénigrer et dévaloriser ce texte contre la précarité des femmes : « naïveté et exagérations », « bons sentiments », « bonnes intentions », ont-ils lancé. Ils ont remis en question la notion même de pénibilité des métiers de service à la personne, des métiers du commerce et du secteur du nettoyage. Quelle vision archaïque et machiste de la pénibilité !
Manutention de patients, travail morcelé, postures contraignantes, exposition à certains produits de nettoyage chimiques nocifs, horaires entrant en conflit avec les obligations familiales, charge mentale et émotionnelle lourde du fait d'un contact direct avec la souffrance et la mort : de telles réalités sont partagées par des milliers et des milliers de femmes et d'hommes salariés dans ces secteurs. Les métiers dits féminins sont autant marqués par la pénibilité physique ou mentale que ceux des hommes. Ils exposent même davantage aux risques musculo-squelettiques et psychosociaux. Cette proposition de loi est l'occasion de le souligner à nouveau, puisque c'est encore aujourd'hui nécessaire. Il faut toutefois reconnaître à nos collègues leur constance dans la volonté de ne pas voir les choses telles quelles sont.
Ajoutons que leurs critiques acerbes et infondées, que nous entendrons sans doute encore aujourd'hui, interviennent après qu'ils ont pris maintes fois le soin de rappeler leur attachement viscéral à l'égalité entre les femmes et les hommes. Le contraire contreviendrait bien sûr au politiquement correct…
La cohérence voudrait que cet engagement affiché de nos collègues de la majorité s'accompagne du soutien à une proposition de loi qui vise la déprécarisation des secteurs concentrant aujourd'hui la majorité des femmes salariées.
Nous, nous voulons encadrer les conditions de travail dans le secteur des services à la personne, permettre la valorisation et une meilleure reconnaissance de ces métiers qui, je le souligne, sont indispensables à notre vie en société. Nous voulons protéger la santé de ces salariés et les accompagner dans leur évolution professionnelle.
La déprécarisation, c'est aussi faire reculer le temps partiel. Notre collègueMarie-Jo Zimmermann, dans son excellent rapport sur les contraintes du temps partiel subi – je rappelle que c'est le cas de 80 % des temps partiels –…
…écrivait que c'est « une source de précarité pour les femmes et un facteur aggravant des inégalités professionnelles ».
Enfin, la lutte contre la précarité des femmes et pour l'égalité professionnelle passe nécessairement par une véritable répartition des tâches domestiques dans la sphère privée et la fin d'une répartition des tâches sexuées dans la sphère publique.
Pour élargir la réflexion, j'ajoute que les études de genre – ce n'est pas un gros mot, mais un terme scientifique – nous permettent de penser différemment les types d'inégalité et de rapports de domination, non pas séparément mais ensemble, dans leurs interactions et leurs dynamiques. C'est ce que l'on nomme – ce n'est pas non plus un gros mot – l'intersexionnalité. Le sujet d'aujourd'hui illustre bien les interactions entre inégalités sociales, inégalités de genre et discriminations liées à la couleur de peau ou à la consonance du nom.
Derrière cette proposition de loi se jouent les parcours de vie de centaines de milliers de femmes, bien souvent des femmes migrantes ou d'origine immigrée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je tiens tout d'abord à remercier les députés socialistes, en particulier Christophe Sirugue, qui, avec ce texte, nous rappellent de cruelles vérités et tentent d'y remédier.
Les chiffres de l'Observatoire des inégalités semblent vous avoir échappé, monsieur le ministre – pardon, je croyais m'adresser encore à M. Bertrand et je m'aperçois que le ministre a changé…
Le Gouvernement est toujours le même, ne vous inquiétez pas ! (Sourires.)
Vous avez raison : cela ne change rien à mon intervention. (Sourires.)
L'Observatoire des inégalités, disais-je, montre que 5,5 % des actifs, soit 1 250 000 personnes, sont employés à temps partiel quand bien même ils souhaiteraient travailler davantage. Ce n'est pas rien. Et il s'agit à 75 % de femmes. La part de personnes en sous-emploi est particulièrement importante dans les populations les moins qualifiées, celles qui occupent les postes les plus précaires, notamment dans les secteurs du nettoyage et de la distribution. Or ces emplois, comme dans les services aux personnes ou le milieu hospitalier, sont majoritairement féminins. En 2011, force est de constater que ces métiers sont mal rémunérés, et dévalorisés aussi sur le plan social. Les chiffres sont implacables : au total, 9 % des femmes salariées sont en situation de temps partiel subi contre seulement 2,5 % des hommes – mais c'est déjà beaucoup ; le taux grimpe à 13,9 % pour les femmes non diplômées, 12,9 % pour celles de moins de 29 ans, 13,1 % pour les employées, et 16,4 % pour les femmes d'origine étrangère. Lorsqu'on est jeune, femme et d'une famille immigrée, il faut donc surmonter une triple discrimination sociale.
Or la situation ne fait que s'aggraver. Depuis 2003, le taux de travail à temps partiel subi a augmenté de plus d'un point. Les personnes qui souhaitent travailler plus ne le peuvent pas. Voilà le bilan d'un gouvernement qui avait promis le « travailler plus pour gagner plus ».
En fait, le travail à temps partiel ne permet pas d'échapper à la pauvreté. C'est notamment le cas pour les cheffes – car dans neuf cas sur dix ce sont des femmes – de famille monoparentale. Ces familles ont des taux de pauvreté quatre à cinq fois plus élevés que les couples sans enfant.
Cela entraîne aussi des situations de mal logement. Ce sont à ces femmes que l'on propose des emplois sous payés et elles doivent quitter leur foyer à l'heure où leurs enfants se lèvent ou en partir au moment où ils rentrent de l'école. Inutile de démontrer l'angoisse des enfants et de leur mère.
Nos collègues socialistes nous proposent une série de mesures pour diminuer la précarité dans les structures de services à la personne. En effet, la qualité de service va de pair avec la qualité des conditions de travail. Il serait par conséquent indispensable, même si ce n'est pas prévu dans la proposition de loi, que les temps de transport soient inclus dans les heures rémunérées.
Il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin. La grande distribution, les entreprises de nettoyage et les structures de santé doivent aussi veiller à ce que leurs salariées travaillent dans les meilleures conditions possibles en prenant en compte toutes les pénibilités, qu'elles soient physiques ou psychiques.
De plus, nous le savons bien, organiser la précarité, les temps de travail coupés, c'est aussi désorganiser l'action collective donc les mobilisations syndicales. Aussi, la proposition de loi de nos collègues socialistes prévoit des mesures qui peuvent limiter le temps partiel subi. Mais le label d'inclusion sociale et les pénalités prévus seront-ils suffisants pour interdire aux entreprises de recourir aux temps très partiels, de morceler les emplois, de salarier des personnes au-dessous du seuil de pauvreté ? On peut craindre que cela ne soit pas suffisant. Pourtant, le Gouvernement trouve que même cette proposition de loi est trop extrême.
En ces temps de crise où les risques de précarisation de l'emploi sont accrus, il faut redonner au politique la primeur sur l'économie. Le travail, oui, mais pas à n'importe quel prix. Contrairement à ce que dit le Président de la République, nous ne pensons pas qu'on redonne de la dignité avec sept heures de travail obligatoires, mais plutôt en assurant des salaires décents et des conditions de travail correctes. Pour cela, il faudrait déjà faire respecter le code du travail, avec des inspecteurs du travail en nombre suffisant.
Quant à la lutte contre les discriminations professionnelles entre les femmes et les hommes, nous le savons, elle passe aussi par une refonte du congé parental et, vous l'avez rappelé, monsieur Sirugue, un véritable service public de la petite enfance. Encore faut-il s'en donner l'ambition, ce qui n'est pas le cas du gouvernement actuel. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de le déplorer.
Pour conclure, je veux moi aussi inciter mes collègues de droite à lire le livre de Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham.
Mme Grommerch semble l'avoir lu, ce qui m'étonne puisqu'elle continue à penser qu'il ne faut pas légiférer.
Je me demande comment on pourrait arriver à trouver des solutions sans que la loi ne s'en mêle puisqu'actuellement cela n'avance pas, ma chère collègue. Ce livre est particulièrement intéressant parce qu'il rappelle la réalité que vivent tant d'hommes et de femmes qui doivent affronter, chaque jour, toutes les difficultés du temps partiel haché sans pouvoir, à la fin du mois, espérer payer leur loyer. C'est rarement le cas des traders, vous en conviendrez, mes chers collègues de droite. Pourtant, beaucoup d'entre vous ont plus le nez sur le cours de la Bourse qu'ils ne prêtent attention à la situation de ces femmes en grande difficulté.
Je remercie encore nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Nous débattrons cet après-midi avec le ministre du travail lors de l'examen des amendements, mais je veux déjà souligner que la réponse qui nous est systématiquement faite prêterait à sourire si le sujet n'était aussi important : « C'est un vrai sujet, nous partageons vos objectifs, mais votre proposition n'est pas bonne. » Le ministre du travail dit en même temps que nous avons une approche maximaliste. C'est l'un ou l'autre ! Il faut rappeler que le constat de la précarité, particulièrement chez les femmes, est partagé par tous, ce qui veut donc bien dire que les dispositions législatives existantes ne sont pas satisfaisantes.
Quand on nous dit : « Les clauses sociales existent déjà », je réponds que c'est vrai, mais qu'elles sont optionnelles.
Quand on nous dit, s'agissant de l'égalité professionnelle hommes-femmes dans l'entreprise, qu'il y a des points de pénalité pour les contrevenants, je réponds oui, mais encore faut-il que les femmes concernées soient dans l'entreprise. Le dispositif ne permet pas aux femmes précarisées d'y accéder.
Quand on nous dit que si on pénalise les entreprises, cela va dégrader leur situation, je réponds : et la situation des hommes et des femmes, en l'occurrence celle des femmes, passe-t-elle après la situation de l'entreprise ?
Quand il n'y aura plus d'entreprises, il n'y aura plus de travail, monsieur Sirugue !
Vous me répondez oui, ma chère collègue, ce qui mériterait d'être débattu plus longuement que lors des quelques minutes qui nous restent ce matin.
Je tiens à rappeler que sur un tel sujet, il ne peut pas y avoir seulement des déclarations de bonnes intentions. Ce n'est pas possible. Il faut aller au-delà. Notre proposition de loi est sans aucun doute critiquable et devrait faire l'objet d'apports complémentaires, personne n'en disconvient, mais considérer que la situation d'aujourd'hui est acceptable n'est à l'évidence pas à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le rapporteur, M. Xavier Bertrand répondra aux orateurs à l'ouverture de la prochaine séance puis vous aurez, lors de l'examen des amendements, le débat que vous souhaitez et tout à fait le temps de vous exprimer.
À l'issue de cette discussion générale, le Gouvernement, en application de l'article 96 du règlement demande la réserve des votes sur les articles et amendements de la présente proposition de loi. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Cela n'empêchera évidemment pas le débat de cet après midi avec M. Bertrand. (Mêmes mouvements.)
La réserve est de droit.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion de la proposition de loi tendant à lutter contre la précarité professionnelle des femmes ;
Proposition de loi relative à l'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles ;
Proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés ;
Proposition de résolution sur le lien de causalité entre l'exposition aux radiations suite à un accident nucléaire et la maladie ou le décès.
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron