Madame la présidente, monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, mes chers collègues, le phénomène des travailleurs pauvres prend une dimension alarmante. Or l'écrasante majorité de cette pauvreté laborieuse est féminine. Si, aujourd'hui, les femmes représentent 47 % des actifs et ont donc massivement investi le marché du travail depuis les années 1960, elles restent surreprésentées dans les emplois non qualifiés, en particulier dans le secteur tertiaire, emplois qu'elles occupent, pour beaucoup, à temps partiel. Ainsi, sur les quelque cinq millions d'actifs travaillant à temps partiel dans notre pays, 82 % sont des femmes, dont l'écrasante majorité est aujourd'hui en situation de sous-emploi et 70 % des 3,7 millions de travailleurs pauvres sont des femmes. Ce n'est pas le fruit du hasard. La dégradation des ressources d'activité se concentre sur une partie précise de la population. Il faut en comprendre les raisons. Pourquoi les femmes sont-elles davantage exposées que les hommes à la précarité professionnelle ? À cela je vois trois raisons essentielles : le temps partiel subi, les services à la personne, en tout cas une partie de leur développement, et l'impossible articulation entre vie professionnelle et vie familiale.
Premièrement, la dernière décennie a vu le monde professionnel opérer une mutation. L'encouragement des entrepreneurs à développer le temps partiel dans les années 1990 a fait florès. Proposé, au départ, comme un moyen de concilier vies privée et professionnelle, le temps partiel s'est retourné contre les femmes. Il est désormais subi pour nombre d'entre elles. Ainsi, 82 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. La moitié d'entre elles est sous le seuil de pauvreté avec un revenu inférieur à 750 euros mensuels. En dépit de ce que j'ai entendu en commission, je maintiens ce constat. Il faut reconnaître que les temps partiels dans la restauration, l'hôtellerie ou encore la grande distribution sont des trappes à pauvreté et refuser d'y voir une fatalité. Il faut tout autant reconnaître qu'aussi invraisemblable que cela puisse paraître, avoir un employeur unique, travailler en un lieu unique, bénéficier d'horaires stables et d'un contrat de travail classique est devenu, pour un très grand nombre de femmes, un privilège.
Deuxièmement, la loi Borloo de 2005 a permis de sortir les services à la personne de l'économie souterraine, ce dont les femmes ont, au moins en apparence, largement bénéficié. Un exemple parmi d'autre dans ce secteur hyper segmenté : 98 % des aides à domicile sont des femmes. Mais, ici, la dislocation du temps de travail est telle que les femmes de ménage, elles-mêmes, ne parlent plus jamais d'emploi ni même de sous-emploi mais de « trouver des heures ». Car il s'agit bien de cela. Une employée de service à la personne, à longueur de journée, fait la jonction entre tous ses employeurs, tous ses lieux de travail. Ses horaires très matinaux, très tardifs, interrompus, fractionnés donnent à la journée une amplitude qu'aucun employé de bureau ne supporterait. Cette dispersion des heures de travail l'empêche d'augmenter son activité et la maintient, en plus de la pauvreté monétaire, dans une situation d'imprévisibilité permanente.
Enfin, troisième et dernière raison essentielle de la précarisation rampante des femmes : l'impossible articulation entre vie professionnelle et vie privée. La maternité, les problèmes de garde d'enfant et l'inégale répartition de la domesticité ont des impacts sur l'insertion professionnelle des femmes. À cela se surajoutent les difficultés des familles monoparentales qui sont pour l'écrasante majorité des femmes seules avec enfant. Tout s'accélère alors : le manque de moyens oblige à s'éloigner des centres-villes, allongeant ainsi les temps de trajet et contraignant ces femmes à demander une réduction de leur temps de travail.
Les femmes souffrent davantage de précarité professionnelle que les hommes, elles doivent donc en être davantage protégées. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche défend aujourd'hui cette proposition de loi.
Le titre Ier vise tout d'abord à renforcer les droits des salariés du secteur des services à la personne, qui est aujourd'hui un très gros pourvoyeur d'emplois féminins à temps partiel et à horaires atypiques. Si le développement du secteur est une bonne chose, il se fait, dans de nombreux cas, au détriment de la qualité des emplois proposés. L'esprit du texte est ici de favoriser une intermédiation de qualité entre l'employeur et l'employée et d'éviter le gré à gré, vecteur d'une moindre protection pour les salariées. L'amélioration de cette intermédiation peut remédier à l'absence de formation professionnelle, aux carences de la médecine du travail et, plus globalement, à l'isolement de ces salariées dans leur pratique professionnelle.
Nous proposons ainsi, à l'article 1er, de créer un label « Inclusion sociale », récompensant les efforts des employeurs de ce secteur pour réduire la précarité. L'obtention du label sera conditionnée au respect de bonnes pratiques. Il pourra s'agir d'indemniser le temps de déplacement entre deux employeurs ou de normaliser les horaires de travail par la concomitance des heures de ménage et des heures de bureau. Les possibilités d'amélioration sont nombreuses. L'obtention de ce label pourrait, en outre, ouvrir droit à des réductions de cotisations patronales : tel est l'objet d'un amendement que nous avons déposé.
L'article 2 vise à instaurer une journée d'information des salariés de ce secteur sur leurs droits, notamment en matière de santé, de sécurité et de formation professionnelle.
L'article 3 vise à garantir l'accès des salariés des services à la personne à la médecine du travail et à les faire bénéficier d'un suivi renforcé en posant le principe d'une visite médicale annuelle obligatoire. La pénibilité de ces différents métiers est, en effet, aujourd'hui insuffisamment prise en compte. Les services à la personne exigent souvent une station debout, un travail répétitif, des postures contraignantes, sans parler des déplacements et des horaires nocturnes. Les employées y sont sujettes aux troubles musculo-squelettiques. La prévention et la santé au travail ne doivent pas se cantonner à l'industrie, au bâtiment et aux transports.
Avec l'article 4, nous voulons permettre aux salariés du secteur d'accéder réellement à la formation professionnelle et à la validation des acquis de l'expérience. Dans un secteur très éloigné de toute culture syndicale, nous invitons donc les partenaires sociaux à se saisir du parcours professionnel des employées de service à la personne. Pour cela, nous renvoyons à des accords collectifs de branche le soin de définir des modalités spécifiques de mise en oeuvre des dispositifs de formation et de valorisation des acquis de l'expérience dans le secteur. Il est aujourd'hui quasiment impossible, pour un salarié à temps partiel travaillant chez plusieurs employeurs, de se former sur son temps de travail.
Au travers du titre II, nous souhaitons proposer des mesures concrètes pour lutter contre le recours abusif au temps partiel. Il ne s'agit évidemment pas de condamner le temps partiel, qui est nécessaire, mais de lutter contre certaines pratiques qui font des contrats précaires un moyen d'apporter toujours plus de flexibilité dans la gestion de la masse salariale et de la durée du travail au détriment des emplois stables. L'article 5 prévoit ainsi que soient désormais pris en compte dans les critères d'attribution des marchés publics les efforts mis en oeuvre par les entreprises pour réduire la précarité. Cette mesure incitative est complétée par une mesure corrective figurant à l'article 6, avec l'instauration d'un « malus précarité » majorant de 10 % les cotisations patronales des entreprises de plus de vingt salariés employant plus d'un quart de leur personnel à temps partiel.
Afin de compenser la précarité des salariés à temps partiel, l'article 7 prévoit en outre le doublement de la prime de fin de contrat due lors de la rupture d'un contrat de travail à durée déterminée lorsque le salarié licencié était employé à temps partiel, et l'article 8 propose de majorer de 25 % les heures complémentaires dès la première heure effectuée au-delà de la durée de travail prévue au contrat.
Enfin, ce même article limite les possibilités de déroger aux règles protectrices du code du travail dans le but de mettre fin aux amplitudes horaires excessives, à la discontinuité et à l'imprévisibilité du temps de travail des salariés à temps partiel. Seul un accord collectif de branche étendu pourra ainsi désormais autoriser de telles dérogations.
Afin de favoriser l'insertion des femmes dans l'emploi durable, je souhaite enfin vous proposer de compléter la proposition de loi en y insérant un titre III relatif à l'articulation entre vie privée et vie professionnelle.
En dépit des progrès accomplis dans la répartition des tâches domestiques et familiales entre les hommes et les femmes, les charges familiales continuent en effet malheureusement de peser de manière disproportionnée sur les femmes. La maternité constitue ainsi un risque professionnel à l'embauche, alors que la paternité n'influe en rien sur l'accès des hommes à l'emploi, dans la mesure où les ajustements professionnels liés à la parentalité continuent de se reporter majoritairement sur les femmes.
Il convient donc de mieux impliquer les hommes, les pères, dans le partage des responsabilités familiales et, parallèlement, de produire un effort supplémentaire en matière de structures collectives d'accueil des enfants en bas âge.
Faute de pouvoir déposer des amendements visant directement à mettre en oeuvre nos propositions, nous avons dû nous contenter de demander le dépôt de plusieurs rapports examinant ces propositions : le premier sur l'allongement du congé de paternité, qui constitue l'une des solutions mises en avant pour neutraliser les discriminations à l'embauche liées à la maternité ; le deuxième sur un congé parental d'éducation partagé, susceptible d'être pris en alternance par les deux parents ; le troisième, sur la création d'un véritable service public de la petite enfance.
J'espère, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'un débat constructif pourra avoir lieu sur la base de ce texte, tant il apparaît aujourd'hui indispensable d'agir de manière concrète pour lutter contre la précarité professionnelle des femmes.
Contrairement à ce que nous avons entendu en commission, je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une vision extrêmement négative de la situation des femmes, bien au contraire. C'est un constat, malheureusement partagé depuis de trop nombreuses années, et il faut un jour passer à des dispositions permettant d'apporter des corrections. Les évolutions législatives que nous vous proposons vont dans ce sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)