Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est agréable de se trouver dans notre Assemblée, à un moment où elle sait se rassembler sur quelques combats, dont la noblesse vient effacer d'autres aspects de nos travaux et nous aide à oublier telle ou telle déclaration, tel ou tel dérapage, comme nous avons pu le voir dans l'actualité récente et lors de l'examen de la proposition de loi sur l'égalité des droits que notre groupe avait présentée.
Les intervenants qui m'ont précédé et le garde des sceaux l'ont dit : rien ne saurait justifier que l'on rejette, que l'on insulte, que l'on juge une personne pour la couleur de sa peau, ses origines, ses opinions religieuses, son sexe, son orientation sexuelle ou son handicap. Nous sommes tous rassemblés pour dire que nous ne devons tolérer aucune discrimination ; que chacun a droit au respect, qu'il possède ou non, dans son identité, une caractéristique jugée minoritaire dans la société dans laquelle nous vivons.
Dans le même temps, comme le disait justement notre rapporteure, nous ne pouvons plus accepter qu'il existe une forme de hiérarchie des discriminations, une sorte de discrimination parmi les discriminations, qui ferait qu'être insulté pour son origine ou sa religion serait plus grave qu'être insulté pour son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe.
Or, force est de constater aujourd'hui que cette discrimination existe et que, si l'on constate une certaine homogénéité des peines encourues et des peines appliquées, quelle que soit la discrimination reconnue par les tribunaux, il n'en est pas de même pour les délais de prescription. Cela a été rappelé par les intervenants précédents, qui proposaient l'allongement du délai de prescription à un an pour l'ensemble des insultes et discriminations citées.
De nombreuses associations ont dénoncé cet écart, telle SOS Homophobie. Cette dernière, que notre rapporteure a également citée, est spécialisée dans la lutte contre l'homophobie. Elle fait régulièrement référence, dans son rapport annuel à un certain nombre d'affaires dans lesquelles des discriminations, des insultes, des provocations, notamment à propos des orientations sexuelles, ne peuvent pas être jugées du fait des délais de prescription et d'instruction des affaires. La justice n'a pas le temps, en raison du manque de moyens, donc de l'encombrement des tribunaux, de traiter les infractions présentées au motif d'homophobie, d'handiphobie ou de sexisme, en particulier dans les délais de trois mois, au-delà desquels l'affaire est prescrite. De la même manière, les victimes n'ont pas forcément les moyens de repérer les propos et les discriminations et de les identifier, en particulier lorsqu'elles sont portées sur un média internet.
Ainsi, les propos homophobes prononcés par un groupe de rap en juin 2010 ont été prescrits dès le mois de septembre et n'ont ainsi pu faire l'objet de sanctions, qui auraient certainement été très largement méritées. Le même problème s'est posé à la suite d'un Kiss In, manifestation pour la défense de l'égalité des droits, le 14 février 2010 devant Notre-Dame au cours duquel huit jeunes hommes et femmes ont été insultés en raison de leur orientation sexuelle. Le procès a eu lieu le 30 novembre 2010 et l'avocat des quatre mis en cause a invoqué, à juste titre en l'état actuel du droit, la prescription pour faire annuler les poursuites concernant les insultes.
L'association SOS Homophobie affirme être saisie chaque année de plusieurs centaines de cas pour lesquels cette inégalité juridique empêche des victimes de propos homophobes de pouvoir obtenir réparation.
Nous avons donc aujourd'hui l'occasion, avec cette proposition de loi, d'affirmer que toutes les injures, discriminations, qui visent quelqu'un uniquement en raison de ce qu'il est, de son identité même, doivent faire l'objet des mêmes poursuites et du même traitement, ont la même gravité et méritent les mêmes sanctions, dans les mêmes conditions d'instructions et de poursuites.
Le Conseil constitutionnel a été saisi à cette fin, en novembre 2010 par des associations de lutte contre les discriminations. Mais nous-mêmes avons aujourd'hui, la possibilité de mettre fin à cette injustice, d'envoyer un message clair, de dire qu'aucun d'entre nous ne tolère qu'une discrimination puisse subsister, quel que soit son motif, et que nous les traitons toutes à égalité.
Comment accepter plus longtemps que la République refuse le même niveau de protection à des citoyens en fonction de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur handicap par rapport à d'autres victimes de discrimination ?
Au printemps dernier, lors de l'examen d'une proposition de loi dont Patrick Bloche était le rapporteur, j'avais eu l'occasion de dire que les institutions républicaines et les textes de loi qui encadrent la vie en commun portent un message et qu'en matière de discrimination, d'égalité des droits, les institutions doivent adresser un message d'encouragement à ceux qui attendent un signe de la République pour vivre leur vie sans crainte et s'affirmer tels, qu'ils sont, mais aussi un message de condamnation de ceux qui, à la maison, à l'école, au travail ou dans la rue, se rendent coupables de violences à l'égard de celles et ceux qu'ils jugent inférieurs parce que leur orientation sexuelle, leur caractéristique ou leur identité est jugée minoritaire. Avec cette proposition de loi, nous avons la possibilité de mettre fin à cette situation, à une hiérarchisation des discriminations, qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui, et d'accorder au nom de la République la même protection à tous.
Ma conclusion portera sur deux points.
Je veux d'abord souligner que ce débat est éminemment complexe et que les amendements déposés par Martine Billard, ont le grand mérite d'ouvrir le champ des discriminations qui doivent être traitées par la loi. Les amendements du groupe GDR évoquent l'identité de genre ainsi que les discriminations rencontrées par celles et ceux qui s'engagent dans un processus de changement d'identité. Nous devons avoir tous ces exemples en mémoire, à l'occasion de l'examen de ce texte comme de de la proposition de loi portée par Michelle Delaunay sur la simplification des changements d'état civil.
Les amendements de Martine Billard évoquent aussi la question de l'état de santé, en particulier de ce que l'on qualifie parfois de sérodiscrimination. Au-delà des remarques qu'a pu faire tout à l'heure M. le garde des sceaux à propos de l'article 1er, dont le Gouvernement proposera la suppression, il me paraît important de profiter de ce débat pour rappeler que les questions de la santé, de la séropositivité, de l'identité de genre ne doivent pas être assimilées aux discriminations prévues au titre de l'orientation sexuelle, du sexe ou du handicap, mais faire l'objet d'un traitement particulier. Ce n'est pas que les motifs de discrimination soient fondamentalement différents, mais ils représentent aussi l'un des sujets sur lesquels la société doit se pencher aujourd'hui.
J'ai écouté les arguments du garde des sceaux et les interventions de nos différents collègues, notamment du représentant du groupe UMP. Peut-être l'article 1er sera-t-il supprimé – ce que je ne souhaite pas –, mais l'article 2 restera : son adoption méritera d'être saluée. Quoi qu'il en soit, notre assemblée aura fait oeuvre utile en harmonisant les délais de prescription pour l'ensemble des discriminations, des provocations et des injures. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)