C'est pourquoi l'amendement du Gouvernement que vient de nous présenter le garde des sceaux, et qui tend à supprimer l'article 1er de la proposition de loi, nous semble particulièrement sage. La loi de 1881 est précieuse. Nous sommes tous ici d'ardents défenseurs de la liberté de la presse. L'équilibre qui existe aujourd'hui ne peut être remis en cause par un texte qui n'a pas fait l'objet d'une véritable concertation sur ce point précis.
Vous le comprenez, élargir la notion d'incitation à la discrimination incluse dans le champ de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 est une porte ouverte à de multiples revendications et risque de conduire vers une véritable anesthésie du débat public. Je crois que notre commission est unanime à ne pas le souhaiter.
Cette initiative législative propose également d'harmoniser les délais de prescription de l'action publique en cas d'infractions commises envers les personnes, quel que soit leur motif.
Aujourd'hui, les délais de prescription de l'action publique concernant la tenue de propos discriminatoires varient suivant le motif de la discrimination.
Lors de l'examen de cette proposition de loi par la commission des affaires culturelles, les députés de notre groupe n'avaient pas pris part au vote. En effet, nous manquions de recul face aux nombreuses conséquences de ce texte insuffisamment préparé.
Néanmoins, madame la rapporteure, nous avons décidé d'apporter notre soutien à l'article 2 de la proposition de loi que vous nous présentez, qui vise à harmoniser à un an le délai de prescription de l'action publique. La position de notre ancien collègue Dominique Baudis, devenu Défenseur des droits, nous conforte dans cette décision.
En commission, nous nous sommes interrogés sur la liberté de la presse. Il nous paraissait important de protéger cette liberté qui ne peut s'accompagner de délais de prescription trop longs, puisque l'une de ses protections consiste en des délais courts, la règle générale étant de trois mois, l'exception d'un an.
Même vous ne citez dans le rapport, nous a-t-il semblé, que des extraits d'ouvrages juridiques dont les auteurs ne sont connus pour être les plus ardents défenseurs de la liberté de la presse, la règle des trois mois était, jusqu'à présent maintenue. Toutefois, nos collègues socialistes ont avancé en cours de débat des arguments que nous pouvons tout à fait entendre.
Si l'extension à un an des délais de prescription permet de garantir les principes d'égalité devant la loi et son caractère intelligible, sans mettre en cause la liberté de la presse, nous pouvons lever les réserves que nous portions lors des travaux de la commission des affaires culturelles.
Il est vrai qu'il apparaît difficile, comme le soutiennent nos collègues, de cautionner une hiérarchie implicite entre les discriminations, en acceptant que les délais de prescription varient en fonction de la gravité supposée du motif : une discrimination reste une discrimination, qu'elle se fonde sur l'ethnie ou sur l'orientation sexuelle, sur la religion ou sur le handicap.
Par ailleurs, on peut effectivement se rallier au principe d'intelligibilité de la loi : le droit doit être connu de tous. Si cela est presque aujourd'hui impossible, il doit au moins être lisible et compréhensible par tous. Or, la multiplicité des délais de prescription favorise la confusion et accroît les risques pour les justiciables de se tromper dans les délais et de voir un certain nombre de plaintes classées.
Le troisième argument qui emporte notre adhésion, c'est bien sûr l'évolution des nouvelles technologies et la banalisation de l'internet. C'est d'ailleurs l'argument qui avait légitimé en 2004, cela figure dans le rapport, l'extension à un an du délai de prescription de l'action publique pour les infractions motivées par la violence raciale et religieuse. Alors que dans les médias classiques, chaque nouvelle publication chasse l'autre, il n'existe pas de droit à l'oubli sur internet. La toile est ainsi une immense réserve de stockage des données qui ne se désintègrent pas mécaniquement.
Cet espace de liberté, que chacun peut investir sur n'importe quel sujet, implique en contrepartie de donner à toutes les éventuelles victimes les moyens de faire valoir leurs droits. La règle de l'actualité qui prévaut pour les médias classiques perd de sa pertinence dans le cas des contenus publiés sur internet. Nous reconnaissons que les messages racistes et xénophobes n'ont pas, hélas, le monopole du web. Il convient donc d'allonger le délai de prescription pour permettre aussi aux victimes de messages sexistes, handiphobes ou homophobes de se faire entendre de la même façon.
Mes chers collègues, pour l'ensemble des raisons précédemment évoquées, parce qu'il s'agit de questions qui touchent à la dignité humaine, le groupe UMP votera cette proposition de loi bien amendée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)