La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
La parole est à M. Henri Jibrayel, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le président, ma question, à laquelle j'associe ma collègue Sylvie Andrieux, s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, le drame qui a eu lieu la semaine dernière dans les quartiers nord de Marseille illustre une fois de plus le manque d'effectifs de police nationale dans cette ville. Ce n'est pas faute de vous avoir alerté à plusieurs reprises. Même le maire de Marseille a tiré la sonnette d'alarme en réclamant le renforcement des dispositifs policiers.
Aujourd'hui, un adolescent est mort et un enfant de onze ans est gravement blessé. Depuis le début de l'année, ce sont plus d'une quinzaine de règlements de compte, sur fond de trafic de drogue, qui ont eu lieu à Marseille. La police réalise chaque jour un travail considérable sur le terrain, avec peu de moyens, hélas, pour agir durablement. Les syndicats de policiers ne cessent de réclamer des renforts.
Après avoir supprimé 9 500 postes de policiers et de gendarmes sur l'ensemble du territoire, dont 400 à Marseille, le ministre de l'intérieur vient annoncer des mesures ponctuelles qui ne régleront rien.
Ce ne sont pas cinq policiers spécialisés et quelques CRS qui vont stopper la délinquance dans ces quartiers. Le trafic de la drogue, la circulation d'armes de guerre, les agressions sur les personnes sont en progression permanente. Le constat est accablant : votre politique de sécurité a échoué.
Quand allez-vous enfin procéder à de véritables affectations de policiers, de manière pérenne, à Marseille et dans l'ensemble du territoire, pour assurer la sécurité que les Français sont en droit d'attendre du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le député, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser Brice Hortefeux, qui est actuellement aux côtés du Président de la République, au Congrès des maires de France.
Les règlements de compte à Marseille, qui ont occasionné une tragédie épouvantable, avec le décès de ce jeune de seize ans et la mise en danger d'un autre jeune de onze ans, alertent évidemment l'opinion et confortent le Gouvernement dans sa stratégie, qui consiste à déployer, dans l'ensemble des quartiers difficiles de nos territoires urbains, des moyens supplémentaires, des effectifs supplémentaires, et une organisation de la carte de sécurité publique suffisamment pertinente pour être adaptée à l'évolution de ces rixes.
Ces bandes qui commettent des actes inacceptables seront évidemment sanctionnées, et seront interpellées avec des moyens complémentaires.
Pour répondre très précisément à votre question à laquelle nous avons été sensibilisés par le député Muselier et le maire Jean-Claude Gaudin, ainsi que par Mme Andrieux et l'ensemble des membres de la représentation nationale qui ont évidemment souhaité que les effectifs soient confortés : ils le sont, et ils le seront. Pour être précis, 117 nouveaux adjoints de sécurité seront affectés à la zone de Marseille. Deux unités de forces mobiles, soit 150 CRS immédiatement opérationnels, resteront autant que nécessaire.
Et l'efficacité de ces renforts a déjà porté ses fruits, après quelques heures, puisque quelques opérations ciblées ont été conduites sous l'autorité du préfet,…
…et en liaison étroite avec le parquet. Huit individus ont été interpellés.
Une kalachnikov, onze fusils, huit armes de poing, 20 000 euros en espèces ont été saisis. Sept nouvelles interpellations ont eu lieu ce matin.
Vous le voyez, le Gouvernement est déterminé. Il agit pour la sécurité des Marseillais comme pour l'ensemble de nos compatriotes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Martine Aurillac, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.
Les vendredi 19 et samedi 20 novembre derniers, s'est tenu le sommet de l'OTAN. Plusieurs sujets lourds y ont été évoqués, et tout d'abord le nouveau concept stratégique. Il doit bien sûr tenir compte de l'expérience afghane, mais nous devrons aussi veiller à ce que le nouveau format ne conduise pas à une Europe « tigre de papier », selon les termes du secrétaire général, M. Rasmussen.
Ensuite, la défense anti-missile : elle ne peut être que complémentaire de la dissuasion nucléaire, à laquelle nous participons très activement. Le bouclier anti-missiles a aussi pour corollaire nécessaire une coopération approfondie avec la Russie.
Enfin, les nouveaux partenariats avec des pays comme l'Australie ou le Japon ont aussi été abordés.
Pouvez-vous nous dire ici, monsieur le ministre, quels sont les premiers résultats de ce sommet, et, plus largement, quels sont aujourd'hui, plusieurs mois après notre retour dans le commandement intégré de l'OTAN, le rôle et la place de notre pays dans cette organisation ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.
Madame la députée, le sommet de Lisbonne a été un sommet important et positif. Je me bornerai ici à souligner quatre aspects principaux.
Tout d'abord, comme vous l'avez dit, le nouveau concept stratégique. Il nous convient, et il nous permet d'adapter l'Alliance aux nouvelles menaces qui se sont fait jour : non seulement le terrorisme – depuis plusieurs années –, mais aussi les cyber-attaques, ou les attaques de missile.
Il insiste aussi beaucoup sur les partenariats à développer, que ce soit avec l'Union européenne ou la Russie. J'y reviendrai.
La déclaration finale affirme, et vous savez que pour nous c'était très important, que la défense anti-missile n'est pas une alternative à la dissuasion,…
…mais que, au contraire, elle la renforce.
Deuxième aspect : la réforme de l'Alliance elle-même. Le secrétaire général a pris des engagements forts, par exemple une diminution de 30 % des effectifs des commandements, pour que l'Alliance soit moins bureaucratique et plus efficace.
Troisième grand dossier : l'Afghanistan. Nous avons entendu le Président Karzai et le général Petraeus. La situation reste très difficile, mais des progrès sont accomplis, en termes aussi bien de sécurité que de développement.
L'année 2011 sera une année de transition, c'est-à-dire non pas de retrait, mais de redéploiement en direction des forces de sécurité afghanes. Et il est apparu très clairement qu'au-delà de 2014, un partenariat de longue durée entre l'Alliance et l'Afghanistan serait nécessaire.
Enfin, la Russie. Le Président Medvedev était là. Et c'est un succès pour la diplomatie française, puisque le Président Sarkozy, avec Mme Angela Merkel, l'avait vivement souhaité. On a vu un climat tout à fait nouveau se créer – le Président Obama a salué le Président Medvedev comme un ami –, avec une volonté de partenariat réciproque. Le Président Medvedev a même proposé de participer à la défense anti-missile des populations et des territoires européens. C'est une proposition qui mérite examen, et qui ouvre de belles perspectives. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La parole est àM. Michel Vaxès, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la menace de fermeture de l'usine Fralib de Gémenos suite à la décision du leader mondial Unilever de délocaliser sa production en Belgique et en Pologne est emblématique de l'immoralité du capitalisme que vous défendez.
Pour son installation, Fralib avait bénéficié des subventions européennes qui ont accompagné la fermeture des chantiers navals de La Ciotat. Depuis 1989, la productivité par salarié de ce site a augmenté de 50 %. Cent quatre-vingt-deux emplois, et l'économie d'un territoire, sont aujourd'hui menacés par la décision d'un groupe dont le chiffre d'affaires atteignait 40 milliards d'euros en 2009, qui étend aujourd'hui son empire par le rachat de l'américain Culver pour 3,7 milliards, et qui réalise ce trimestre une augmentation de 20 points de base de sa marge d'exploitation. En avril 2010, j'avais déjà alerté le Gouvernement sur ces scandaleuses méthodes, en soulignant une stratégie exclusivement guidée par le souci de gaver ses plus gros actionnaires.
En 2006, Unilever a créé en Suisse une chaîne d'approvisionnement, l'USCC. Grâce à la méthode du partage de bénéfices, l'USCC s'approprie 25 % du profit estimé pour chaque société européenne du groupe. Ce stratagème permet à Unilever de déclarer artificiellement une usine insuffisamment compétitive, et rend possible chaque année une fuite des profits d'exploitation à hauteur de 200 millions d'euros, ainsi qu'une évasion fiscale évaluée à plus de 60 millions d'euros par an. Depuis 2007, près de 200 millions d'euros ont ainsi échappé au fisc français.
Que compte faire le Gouvernement pour que la collectivité nationale ne souffre plus de la logique spéculative que lui impose un groupe en excellente santé économique, et pour que soit maintenu le seul et dernier site de conditionnement de thé en France, avec ses 182 emplois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
Monsieur le député, nous partageons avec vous la conviction que la France n'a pas d'avenir sans une industrie forte.
Nous allons nous y employer ; c'est la volonté du Premier ministre et du Gouvernement.
En ce qui concerne le dossier particulier de l'usine Fralib que vous venez de citer, le groupe Unilever a effectivement annoncé le 28 septembre dernier son intention de fermer le site de Gémenos à l'horizon 2011.
Cette entreprise a pour activité le mélange et le conditionnement de thés et d'infusions. La direction d'Unilever justifie cette fermeture par des raisons liées à la fois à l'évolution du marché du thé – en clair : la montée en gamme des catégories de produits – et par les caractéristiques propres du site de Gémenos qui représente 5 % de la production européenne de thé d'Unilever, mais 27 % des coûts.
Face à cette volonté de fermer le site de Gémenos, et à la suggestion de votre collègue Bernard Deflesselles, j'ai demandé au préfet des Bouches-du-Rhône de se saisir du dossier, afin qu'aucun salarié ne soit laissé au bord du chemin, si d'aventure la fermeture était confirmée. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Il organisera ce vendredi une table ronde avec l'ensemble des acteurs concernés. Il étudiera particulièrement trois points : les mesures d'accompagnement à mettre en oeuvre afin qu'un avenir soit assuré à chacun des cent quatre-vingt-deux salariés du site de Gémenos ;…
…l'impact sur les sous-traitants de l'usine ; et les engagements d'Unilever en matière de revitalisation du territoire.
Soyez assuré, monsieur le député, que nous ferons tout pour l'avenir industriel du site, et pour la situation particulière des salariés.
Madame la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, après la Grèce, c'est donc au tour de l'Irlande d'avoir recours au soutien de l'Union européenne et du Fonds monétaire international, via le fonds de stabilisation de 700 milliards d'euros mis en place en urgence au printemps. Nous savions depuis longtemps déjà que l'Irlande était un maillon particulièrement faible de la zone euro, du fait de l'ampleur exceptionnelle de la bulle immobilière qu'elle avait connue avant la crise, et de la taille colossale de la dette qui en avait résulté, fragilisant gravement son système bancaire.
Cette crise est due pour l'essentiel aux décisions du dernier sommet européen fin octobre annonçant une profonde modification des règles du jeu au sein de la zone euro.
En effet l'aide apportée par le fonds de stabilisation devra désormais aller de pair avec une restructuration de la dette des États concernés. Cela signifie que les créanciers qui détiennent des titres de dette émis par l'État concerné, devront accepter de perdre une partie de leur capital. C'est ce qui a mis le feu aux poudres : les investisseurs en ont en effet logiquement déduit que détenir des titres de dettes irlandais, portugais ou encore espagnols était devenu beaucoup plus risqué. D'où la forte hausse des taux d'intérêt exigés de ces États.
Le cas irlandais nous montre à quel point la frontière entre les dettes privées des banques et les dettes publiques de l'État est floue, le sauvetage des banques irlandaises ayant eu comme conséquence l'explosion du déficit public.
La solution adoptée par l'Union européenne et le FMI est certes indispensable mais ne résout rien à moyen terme et elle démontre qu'il n'existe pas de mécanisme de résolution de crise pour sortir un pays de la zone euro d'un niveau de dette devenu trop important
Ma question est simple : fallait-il être plus radical avec les banques irlandaises ? Plus globalement, ne convenait-il pas plutôt d'affirmer aux marchés que nous ne rembourserions pas une partie de l'ardoise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur Perruchot, je vous remercie de cette question qui démontre une fois de plus l'attachement de votre groupe à la cohésion européenne et la nécessité de la solidarité. (Applaudissements sur divers bancs du groupe NC.)
Vous soulevez la question du mécanisme de résolution de crise.
Le président du Conseil européen, M. Van Rompuy, a été chargé de travailler pour définir, en accord avec l'ensemble des États-membres, le mécanisme de résolution de crise qui devra prendre la suite du Fonds européen de stabilité lequel est aujourd'hui l'outil dont nous disposons face aux difficultés rencontrées par l'Irlande.
Compte tenu d'un certain nombre de doutes, les ministres de l'économie et des finances européens participants au sommet du G20 à Séoul ont émis un communiqué dans lequel ils clarifient trois points.
Premièrement, ce mécanisme de résolution de crise est destiné à tous les programmes d'assistance postérieurs à 2013. Il n'a donc absolument pas vocation à s'appliquer à des programmes d'assistance que nous mettrions en place maintenant.
Deuxièmement, le mécanisme européen de stabilité qui existe aujourd'hui a vocation à s'appliquer même en l'absence de participation du secteur privé.
Troisièmement, cette participation du secteur privé peut prendre des formes diverses et variées, telles que les clauses d'action collective ou l'engagement pris par les banques de maintenir leur exposition sur des pays à risque.
Le mécanisme de résolution de crise est en réflexion ; il faudra qu'il aboutisse pour prendre la suite du Fonds européen de stabilité. En attendant, pour les programmes d'assistance actuels, ces trois principes s'appliquent. Par conséquent, en contrepartie d'engagements très solides de l'Irlande sur lesquels je reviendrai, nous pouvons activer ce Fonds d'assistance pour venir en aide à un pays de la zone euro. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Laurent Fabius, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le Premier ministre, demain vous allez prononcer un discours important de politique générale et demander la confiance. J'ai eu la curiosité de me reporter au précédent discours de politique générale, que vous avez prononcé au mois de juillet 2007. J'y ai vu deux séries de constats.
D'abord, vous n'avez à l'époque pas dit un mot sur toute une série d'éléments très importants. Pas un mot en matière de retraites – les soixante-sept ans et les soixante-deux ans (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) –, pas un mot sur la réforme territoriale, pas un mot sur le bouclier fiscal, pas un mot sur la réintégration de la France dans le commandement militaire de l'OTAN, pas un mot sur d'éventuelles difficultés économiques et pas un mot sur la crise. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
En revanche, vous nous disiez : « Nous rétablirons une situation budgétaire à l'équilibre en 2012 au plus tard », « Mon gouvernement se fixe pour objectif un taux de chômage de 5 % à la fin du quinquennat ».
Quand on considère ces deux aspects, on ne peut qu'être frappé par l'océan qui sépare vos propos de la réalité. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez une explication, vous nous dites : « C'est la crise. » La Cour des comptes a rendu justice de cet argument en expliquant que la crise expliquait un tiers des mauvais résultats obtenus dont les deux tiers étaient dus aux politiques gouvernementales. Dois-je vous rappeler que vous et vos amis êtes au Gouvernement depuis huit ans !
Monsieur le Premier ministre, au nom de quoi pourrait-on faire confiance à une équipe qui n'a pas tenu ses engagements ? Vivement demain ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le Premier ministre Laurent Fabius, je vous écoute toujours avec beaucoup d'intérêt et vos interventions ne sont jamais médiocres. J'ai simplement l'impression qu'aujourd'hui vous êtes fâché avec le calendrier.
D'abord, vous voulez ouvrir le débat de politique générale de demain aujourd'hui, mais surtout vous avez prétendu, il y a quelques instants, que j'aurais commis l'erreur dans mon discours de politique générale de 2007 de ne pas parler de la crise économique et financière qui est intervenue en 2008. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La vérité, c'est que, depuis le premier jour où nous avons gouverné avec la majorité en 2007, le parti socialiste nous demande de changer de cap. Il le fait sans jamais nous présenter un projet alternatif qui soit crédible. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Est-ce le projet que défend M. Hollande ? Est-ce celui que défend M. Montebourg ? Est-ce celui de Mme Aubry ? Est-ce celui de Mme Royal ? Est-ce le vôtre, monsieur Fabius ? Pendant la crise économique et financière, toutes les solutions que vous avez proposées ont été marquées par l'absence totale de réalisme : la baisse de la TVA, la nationalisation des banques, l'interdiction des licenciements, l'augmentation du SMIC. Quant à la réforme des retraites, le parti socialiste, n'écoutant que son courage, s'est refusé à dire la vérité aux Français et l'on voit bien aujourd'hui, d'ailleurs, que vous commencez à en payer le prix en termes de crédibilité. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Non, monsieur Fabius, nous ne changerons pas de cap, parce que nous sommes engagés par la campagne de 2007 et l'élection du Président de la République. Nous ne changerons pas de cap, parce que la crise économique et financière, notamment en Europe – et nous le voyons avec ce qui se passe aujourd'hui en Irlande – n'est pas terminée.
Enfin, nous ne changerons pas de cap, monsieur Fabius, parce que nous avons une majorité. C'est toute la différence avec la situation que vous avez connue en 1984, lorsque vous êtes venu vous exprimer à cette tribune et que le parti communiste avait décidé de quitter le Gouvernement. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Je tiens à y associer mes collègues Roland Blum, Jean Roatta, Renaud Muselier, Guy Teissier et Dominique Tian, qui m'entourent dans cet hémicycle, ainsi que l'ensemble des Marseillaises et des Marseillais.
Marseille a été, ce week-end, le triste théâtre d'une nouvelle fusillade qui s'est déroulée dans le XIIIe arrondissement dans la cité "Le Clos" à la Rose, au coeur de ma circonscription.
En tant que députée et adjointe au maire de ce secteur, je suis scandalisée par ce nouveau règlement de comptes à l'arme de guerre, qui a coûté la vie à un jeune garçon de seize ans et blessé grièvement un enfant de onze ans, tout cela sur fond de trafic de drogue. Quel que soit le mobile du crime, je voudrais avoir une pensée pour les familles touchées par ce drame, qui sont dans la peine après avoir perdu si brutalement un enfant aussi jeune. J'espère que les coupables seront retrouvés et sévèrement punis, car on ne peut pas s'attaquer impunément à des enfants dans notre pays. Il s'agit de la deuxième victime mineure, en moins d'une semaine, dans le XIIIe arrondissement de Marseille. Il y a eu, depuis le début de l'année 2010, douze décès et seize blessés sur fond de règlement de comptes à Marseille. C'est inacceptable.
Je comprends la détresse des Marseillais, mais il ne faut pas que la peur s'installe dans l'esprit de nos concitoyens qui réclament plus de sécurité, car je le dis haut et fort : Il fait bon vivre à Marseille, et en particulier dans ces arrondissements.
Le Gouvernement a immédiatement réagi et je voudrais remercier M. le ministre de l'intérieur d'être venu dimanche à Marseille.
Pour que la prévention puisse se faire, il est indispensable que la sécurité et l'ordre public soient assurés durablement dans nos quartiers. La police nationale a besoin d'effectifs et de moyens supplémentaires pour remplir correctement sa mission régalienne à Marseille.
C'est pourquoi, je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir nous rappeler les mesures que vous avez prises pour démanteler les réseaux de trafic de drogue et d'armes et pour renforcer la sécurité de nos concitoyens. Comment entendez-vous faire le lien avec les autres acteurs de la sécurité ?
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour qu'à Marseille, ainsi que sur l'ensemble du territoire, la police et la gendarmerie puissent avoir des moyens pérennes pour travailler et assurer la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
Madame Boyer, je renouvelle la compassion du Gouvernement pour les familles. Le Gouvernement partage la douleur de la famille qui a perdu un jeune de seize ans. Pour ces familles, c'est une immense épreuve, ainsi que pour la collectivité nationale, d'autant que cette mort si injuste ne trouve sa source que dans des règlements de comptes, des trafics de stupéfiants et des rivalités de bandes dans les quartiers.
Il faut que l'ordre soit rétabli. Madame la députée, vous avez rappelé que le ministre de l'intérieur s'était rendu à Marseille aux côtés de l'équipe municipale pour mettre en place un dispositif opérationnel et renforcer les modalités des effectifs et le caractère d'interaction entre les différents services.
Je rappelle les quatre mesures annoncées par M. Brice Hortefeux. D'abord, le renforcement des effectifs liés aux renseignements accrus, puisque cinq policiers spécialisés supplémentaires seront affectés, dès le 1er décembre de cette année, au service départemental d'information générale. La sécurisation et la surveillance des quartiers sensibles seront améliorées avec les deux unités de police, CRS – 150 CRS supplémentaires. Des équipes d'enquête seront renforcées au sein de la police judiciaire et il y aura une coordination supplémentaire de l'action du groupe d'intervention régionale de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui sera centrée sur la lutte contre l'argent sale, en lien étroit et permanent avec l'autorité judiciaire. Le nouveau préfet M. Parant a toute latitude, sous l'autorité et le contrôle du ministre de l'intérieur, pour consacrer sa mission prioritairement à la lutte contre les trafics dans les quartiers de Marseille.
Le Gouvernement est aux côtés des élus de Marseille. Le Gouvernement est aux côtés de Marseille. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, vous avez, de nouveau, la responsabilité de la santé de notre pays. Quelle responsabilité ! Comme vous le savez, il s'agit, à juste titre, de l'une des préoccupations majeures de nos concitoyens.
La loi HPST, dite loi Bachelot, a créé les agences régionales de santé et précisé les missions de la médecine de premier recours, reposant sur les médecins généralistes.
En dehors du financement – ce qui n'est pas rien –, de nombreux problèmes demeurent, tels la démographie des professionnels de santé et les dépassements d'honoraires. Dans certains départements, et pour certaines spécialités, il devient très difficile d'avoir accès à des médecins à tarif remboursable.
Monsieur le ministre, qu'envisagez-vous pour permettre une régulation harmonieuse des professionnels sur le territoire, inciter les jeunes à s'installer où l'on a besoin d'eux ? Que proposez-vous pour encadrer les dépassements d'honoraires ? Une revalorisation régulière des actes prenant en compte l'augmentation des charges ne serait-elle pas la meilleure solution ?
Un accord est intervenu, il y a déjà un an, entre les syndicats, les caisses d'assurance maladie et les assurances complémentaires pour mettre en place le secteur optionnel. Certes, ce n'est pas la panacée, car il laisse de côté les spécialistes cliniques qui sont pourtant les plus défavorisées actuellement. Qu'en pensez-vous ?
Comme vous l'avez constaté, les professionnels de santé publics et privés sont, pour des raisons diverses, aujourd'hui désabusés. Comptez-vous les écouter, prendre en compte leur malaise et les réconforter ?
Nous avons besoin d'eux pour assurer à tous nos concitoyens des soins de qualité sur l'ensemble du territoire. Merci, monsieur le ministre, de leur remonter le moral et pour votre réponse. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
La santé fait partie des priorités de l'action du Président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement. (Rires et vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Tel doit être le cas pour l'ensemble des élus.
L'avenir du système de santé repose sur deux piliers : l'hôpital et la médecine libérale, la médecine de proximité, ou de premier recours comme vous l'avez indiqué. Pour ma part, je préfère l'expression « médecine de proximité ».
Concernant ces deux volets, beaucoup a été fait et nous irons jusqu'au bout. Nous consacrerons au monde hospitalier toute l'attention nécessaire.
S'agissant de la médecine de proximité, de nombreuses questions se posent. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a confié à Elisabeth Hubert une mission de concertation sur la médecine de proximité. (Murmures sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Elle remettra très prochainement son rapport au Président de la République. Au vu de ces conclusions, certains dossiers seront à reprendre. Cela méritera un débat.
Vous avez parlé de régulation, monsieur Préel. Pour ma part, je crois à l'incitation pour lutter contre la désertification médicale. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
N'oublions pas que nous sommes dans un système libéral.
Il ne faut donc pas porter atteinte à ce principe d'exercice. Je dis très clairement à ceux qui pensent que l'on peut régler le problème de manière autoritaire qu'ils se trompent.
Je pense au contraire que nous devons aller jusqu'au bout de l'incitation.
Vous avez parlé de revalorisation ; vous avez raison monsieur Préel. En 2011, le tarif de consultation sera porté à 23 euros, mais ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.
L'accès aux soins, c'est la présence des médecins en milieu rural, mais aussi dans les quartiers de nos villes.
Et les dépassements d'honoraires ? Vous n'avez pas répondu à la question !
Nous savons pertinemment quelle est notre feuille de route : garantir que le système français reste le meilleur au monde. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Jean-Michel Villaumé, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question à laquelle j'associe mes collègues Jacques Valax et Michel Vergnier s'adresse à M. le Premier ministre.
Alors que s'ouvre leur congrès, on peut faire le constat que 2011 sera une année noire pour les maires de France. Le Président Nicolas Sarkozy ne pourra d'ailleurs pas les entendre car, selon mes informations, la salle a été remplie par des élus UMP. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
En effet, le gel annoncé des dotations de l'État aux collectivités est une véritable erreur économique. Cette décision entraînera une baisse des ressources pour plus de 20 000 communes et mettra les collectivités au régime sec. Associé à la réforme territoriale, le gel des dotations provoquera un recul néfaste de l'investissement public aux dépens de la croissance. Les communes vont différer la modernisation des équipements et retarder leurs investissements, lesquels ont d'ailleurs déjà diminué en 2010.
Alors que l'État emprunte pour payer ses dépenses quotidiennes, chaque euro emprunté par les collectivités est lié à un investissement. Après les errements pour la réforme de la taxe professionnelle, c'est donc une double peine que vous leur infligez.
Cette réforme, ressentie dans les territoires comme une véritable usine à gaz, accroît les inégalités et plonge les communes dans l'incertitude budgétaire alors qu'aucun dispositif de péréquation n'a été mis en place. Au lieu d'une nouvelle décentralisation, la réforme du Gouvernement est une vraie régression territoriale avec la fragilisation financière des collectivités.
Cela aura des conséquences graves sur le maintien et le fonctionnement des services publics locaux utiles aux Français. En vous attaquant aux finances locales, c'est à la vie quotidienne des Français que vous portez atteinte. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Les ménages seront directement concernés car cette baisse des ressources aura deux conséquences : la réduction des services rendus aux habitants ou la hausse des impôts acquittés par les ménages.
Monsieur le Premier ministre, jusqu'où comptez-vous organiser l'asphyxie financière des collectivités territoriales ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.
Permettez-moi tout d'abord d'excuser mes collègues Brice Hortefeux et Philippe Richert qui, comme vient de le rappeler François Baroin, sont actuellement aux côtés du Président de la République au salon des maires.
La réforme territoriale a fait l'objet d'une large concertation avec l'ensemble des associations représentatives des collectivités territoriales. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Votre question m'amène à rappeler les avancées de cette réforme.
D'abord, cette réforme est respectueuse des territoires. Elle est à l'écoute des besoins exprimés sur le terrain et elle améliorera les services rendus à nos concitoyens.
Plusieurs députés du groupe SRC. C'est faux !
Ensuite, les communes sont confortées dans leur rôle (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Par ailleurs, les régions et les départements seront amenés à mieux travailler ensemble, tout simplement parce que les conseillers territoriaux qui siégeront à la fois au conseil général et au conseil régional pourront relever ce défi.
Enfin, pour la première fois, les partis politiques seront lourdement sanctionnés s'ils ne respectent pas l'exigence de parité à l'élection territoriale.
En outre, les compétences des uns et des autres sont précisées et les financements seront répartis de manière raisonnable.
Je réponds à votre question : l'État n'a aucune stratégie d'étouffement des collectivités territoriales (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) au point de menacer leur niveau d'investissement.
Si les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales seront stabilisés en valeur, ce n'est ni plus ni moins que la règle que l'État appliquera à ses propres dépenses.
Le Gouvernement a mis en place plusieurs mesures d'accompagnement comme un moratoire sur les normes et, surtout, un effort maintenu en faveur de la péréquation. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Par ailleurs, la suppression de la taxe professionnelle a été intégralement compensée en préservant l'autonomie financière des collectivités territoriales. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Avec le plan de relance, plus de 22 000 collectivités ont bénéficié d'un effort de 4 milliards d'euros.
La parole est à M. Jean-Marc Roubaud, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Madame la ministre, la mondialisation entraîne des conséquences majeures sur la vie de nos concitoyens. En 2008, au plus fort de la crise économique et financière internationale, le Président de la République a lancé le G20 afin de réagir à cette crise : il eût été illusoire de croire que l'on pouvait agir sans associer les pays émergents à cette action. Plusieurs mesures ont été adoptées depuis lors, dont la plus emblématique visait à lutter contre les paradis fiscaux.
Aujourd'hui, au terme du sommet de Séoul, d'autres mesures ont été adoptées. Il a ainsi été établi qu'il faut agir de manière coordonnée afin de lutter contre les croissances inégales et des déséquilibres de plus en plus marqués, et instaurer des indicateurs des grands équilibres commerciaux en vue d'actions préventives et correctives.
Par ailleurs, des accords ont été conclus. L'un vise à aller vers des taux de change déterminés par le marché ; un autre concerne le problème du protectionnisme ; un autre accord a pour but d'éviter des dévaluations compétitives de monnaie ; un autre encore porte sur la réforme du FMI ; un autre enfin doit permettre d'aborder les questions climatiques.
Dans ce contexte, l'année 2011 sera capitale : le Président de la République française, Nicolas Sarkozy, va présider le G20 pour un an, ainsi que le G8 à partir du 1er janvier prochain. De fait, il faut assurément aller plus loin, madame la ministre. Car l'enjeu est de taille : il s'agit non seulement d'atténuer les effets d'une mondialisation débridée et de pallier les conséquences de la crise économique et financière de 2008, mais aussi de résoudre les problèmes posés par les crises régionales, par le terrorisme et par le trafic de drogue.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les priorités de la présidence française, ce que le monde peut en attendre, et la manière dont elles se traduiront concrètement dans la vie des Français ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur Roubaud, vous avez cité plusieurs priorités ; permettez-moi de les rappeler à mon tour.
La France, en la personne de son Président de la République, s'apprête à prendre la présidence du G20, puis celle du G8 à compter du 1er janvier prochain.
Le Président de la République a défini trois priorités. La première est la réforme du système monétaire international. Cela semble compliqué, mais il s'agit d'assurer la protection et la prévisibilité, si nécessaires à nos entreprises en période de volatilité.
Le deuxième objectif est la régulation du marché des matières premières. Il s'agit là encore de protection et de prévisibilité, si importantes pour les agriculteurs comme pour les consommateurs français.
Le troisième objectif est la gouvernance mondiale, afin de garantir une fois encore la prévisibilité et, surtout, la coordination dont nous avons impérieusement besoin pour organiser nos politiques macroéconomiques et pour éviter d'être les victimes permanentes d'un capitalisme débridé, sans règles (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR)…
…et qui pénalise généralement les plus fragiles et les plus faibles, c'est-à-dire ceux qui sont endettés.
Pour atteindre ces trois objectifs, nous procéderons en trois temps. D'abord, le temps de la consultation : il faut impérativement consulter le milieu académique,…
… les « sachants », mais aussi le milieu parlementaire, auquel tous ces thèmes doivent évidemment être présentés afin qu'ils formulent leurs propositions.
Viendra ensuite le temps de la coordination : vous le savez, monsieur Roubaud, il faudra tout aussi impérativement coordonner les politiques des différents États, qui ne poursuivent pas les mêmes intérêts.
Viendra enfin le temps de la décision : c'est alors que le G20 devra être pertinent et efficace, lorsqu'il s'agira d'appliquer des politiques touchant à la gouvernance mondiale et à la régulation de ces marchés – monétaires et des matières premières –, afin de ramener un peu d'ordre dans le désordre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Bernard Cazeneuve, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.
Monsieur le ministre, vous avez eu raison de déclarer sur Canal Plus dimanche dernier que, s'agissant de l'affaire de Karachi, il ne faut rien affirmer qui ne soit établi, car il y a sur ce sujet trop d'amalgames et d'approximations.
Dans cette affaire, il est établi qu'a été créée une société écran du nom de Heine, vers laquelle ont transité des commissions dont les destinataires ultimes sont aujourd'hui inconnus.
Il est établi que l'un des administrateurs de cette société a adressé au Gouvernement, en 2005 et 2006, plusieurs lettres dans lesquelles il formulait des prétentions financières, dont il est également établi que la direction des constructions navales les a considérées comme totalement injustifiées.
Ce qui n'est pas établi, en revanche, ce sont certaines informations diffusées par voie de presse : en janvier 2009, un protocole associant des sociétés industrielles françaises serait intervenu sous l'égide du ministère de la défense afin de dédommager cet administrateur de la société Heine à hauteur de huit millions d'euros. Cela me conduit à vous poser deux questions, monsieur le ministre.
Premièrement, cette transaction a-t-elle eu lieu en janvier 2009 sous l'égide du ministère de la défense ? Deuxièmement, si huit millions d'euros ont été versés à M. Boivin, quel était le motif de cette indemnisation ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Mes chers collègues, je vous en prie !
Monsieur le député (« Juppé ! Juppé ! » sur les bancs du groupe SRC),…
…dans ce dossier, le Gouvernement n'a qu'un seul désir : faire établir la vérité. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Cette vérité, nous la devons d'abord aux familles des onze personnes assassinées à Karachi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.) Nous la devons aussi à l'idée que, tous ensemble, nous nous faisons de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Au moins deux informations judiciaires sont en cours. Les magistrats instructeurs instruisent ces dossiers librement…
…dans le périmètre (Exclamations sur les bancs du groupe SRC),…
…qu'ils ont eux-mêmes déterminé. (« La question ! » sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.) Le Gouvernement veillera à leur fournir toutes les informations qui sont en sa possession (Protestations sur les bancs du groupe SRC) pour que la vérité apparaisse aux yeux de tous. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Richard Mallié, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, sous la pression aveugle de Bruxelles, le projet de loi de finances rectificative pour 2010 prévoit de supprimer les limitations légales à l'achat de tabac à l'étranger. Une telle mesure est extrêmement inquiétante pour des raisons tenant aussi bien à la santé publique qu'aux finances publiques.
Actuellement, la législation française limite à cinq le nombre de cartouches qu'un résident français peut rapporter d'un pays de l'Union européenne. La Commission européenne, considérant que " cette situation n'est pas conforme aux principes de libre circulation ", exige de la France un assouplissement de sa réglementation.
Cette restriction, mise en place en 2006, a permis de limiter les achats transfrontaliers, qui vont pourtant jusqu'à atteindre près de 25 % du tabac consommé, ce qui se traduit par un manque à gagner fiscal de 3,5 milliards d'euros pour l'État, auquel s'ajoutent évidemment 200 millions d'euros d'aides aux buralistes dans le cadre du contrat d'avenir.
Si, demain, cette limitation à cinq cartouches devait être abolie, nous assisterions à une explosion des achats transfrontaliers. Soyons réalistes : dans les vingt-deux départements limitrophes, quel sera l'intérêt d'acheter un paquet de cigarettes à 5,40 euros alors qu'à quelques kilomètres, on pourra trouver ce même paquet 2 euros moins cher ? Il sera même avantageux de se rendre tous les mois ou tous les deux mois de l'autre côté de la frontière pour faire des provisions personnelles et rapporter des cartouches à sa famille et à ses amis.
Plutôt que d'exiger de la France un tel assouplissement, la Commission européenne aurait eu autant de légitimité à réfléchir à une harmonisation de sa législation relative à la circulation du tabac au sein de l'Union, voire à proposer une convergence des taxes sur le tabac.
La législation européenne et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes ne s'opposent pas à ce que les États fixent des règles qui leur sont propres. Celles-ci peuvent fort bien concerner le contrôle du commerce de certains produits sur le territoire national, pour des raisons de santé publique et d'intérêt général.
Posez votre question, monsieur Mallié. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Plusieurs députés du groupe SRC. C'est fini !
N'apparaît-il pas légitime et cohérent, monsieur le ministre, qu'un État membre puisse limiter de manière transparente, sanctions à l'appui…
La parole est à …
Mes chers collègues, si M. Mallié a bénéficié d'un temps supplémentaire, c'est qu'il n'a pas pu commencer à intervenir dès que je lui ai donné la parole ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Monsieur le député, il est des décisions qui n'enchantent guère les responsables publics et politiques. Ainsi nous sommes obliger d'appliquer celle de la Commission de Bruxelles que vous évoquez, faute de quoi la France sera sans aucun doute condamnée par la Cour de justice des Communautés européennes.
Cette décision, croyez-le bien, enchante encore moins le ministre de la santé qui a obtenu l'interdiction de fumer dans les lieux de publics. Je tenais à le rappeler.
Bien sûr, cette décision est l'application du principe de libre circulation, mais le tabac n'est pas un produit comme un autre.
Il est notamment responsable chaque année de la mort de 60 000 de nos concitoyens. Nous ne devons pas diminuer nos efforts en matière de santé publique, particulièrement pour ce qui est de la lutte contre les méfaits du tabagisme (Applaudissements sur divers bancs des groupes UMP et NC), qu'il s'agisse des campagnes de prévention, de la réglementation des prix, des dispositifs d'arrêt ou du respect du système d'interdiction.
Il a bien fallu adapter notre droit. Nous devons la disposition restreignant les achats de tabac à l'étranger à votre collègue Yves Bur, qui a voulu ainsi limiter les achats transfrontaliers. Je tiens à lui rendre hommage.
François Baroin a fait au mieux pour adapter, dans le projet de loi de finances rectificative, ce dispositif européen. Nous devrons aussi veiller, par des contrôles, à ce que cette possibilité d'achat ne soit pas détournée. Certains d'entre vous, je le sais, souhaiteraient mettre en place un système de proportionnalité. Je ne sais pas s'il serait vraiment facile à mettre en oeuvre.
Ce dispositif, contre lequel les militants de la santé publique mais aussi les buralistes des zones frontalières sont vent debout, nous devons l'appliquer car il nous faut prendre nos responsabilités. Cela ne nous empêchera pas de faire de la lutte contre le tabagisme un enjeu de santé publique prioritaire. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Olivier Dussopt, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Monsieur le Premier ministre, le silence assourdissant de M. le ministre de la défense qui préfère répondre aux journalistes plutôt qu'aux parlementaires, alors qu'il était Premier ministre en 1995 montre combien votre gouvernement a du mal avec la vérité dans l'affaire de Karachi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ce matin, c'est le Président de l'Assemblée qui refuse une nouvelle mission d'information parlementaire ; hier, c'est vous-même qui avez refusé le principe même d'une perquisition dans les locaux de la DGSE. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Au fil des déclarations des uns et des autres, nous avons vu s'accumuler les indices s'agissant de l'existence de rétrocommissions alors que le Président de la République lui-même parlait de fables.
Si chaque jour apporte son lot de révélations, votre discours reste le même et vous affirmez que les juges d'instruction auront accès à tous les documents qu'ils demandent à condition qu'ils soient déclassifiés. C'est là que le bât blesse car la commission nationale consultative du secret de la défense n'examine que les documents que vous voulez bien lui transmettre. Les documents en possession des juges sont donc uniquement ceux que vous avez choisi de leur transmettre. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
De la même manière, votre refus d'autoriser les perquisitions revient à ôter aux juges d'instruction l'essentiel de leurs capacités à instruire le dossier puisqu'ils ne peuvent constater sur place et sur pièces l'ensemble des éléments dont ils ont besoin pour mener à bien leurs investigations.
Mon collègue Bernard Cazeneuve a posé des questions précises qui sont restées sans réponse.
Nous voulons faire la vérité.
Nous savons, les juges savent, les familles des victimes de l'attentat savent aussi, qu'il existe des documents classifiés ou gardés dans des lieux eux-mêmes classifiés du fait de la loi que vous avez fait voter en 2009. Un rapport administratif sur le versement des commissions et leur arrêt, un rapport de l'ancien président de la DCNI viennent corroborer certains de ces éléments.
Mes questions sont simples. La transaction évoquée par Bernard Cazeneuve a-t-elle eu lieu ? Votre gouvernement y a-t-il participé, quel que soit le ministère en cause ? Quelle est la justification des 8 millions versés à M. Jean-Marie Boivin ?
Allez-vous enfin permettre aux juges de mener leurs enquêtes partout et de consulter tous les documents qui leur sont utiles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)
M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre de la défense et des anciens combattants.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je n'ai rien à cacher dans cette affaire. Je ne souhaite qu'une seule chose : la manifestation de la vérité, de toute la vérité ; d'abord, parce que nous la devons aux familles des victimes ; ensuite parce que cela est nécessaire pour la bonne santé de notre démocratie.
Je dirai simplement deux choses.
Premièrement, monsieur Cazeneuve, vous comprendrez bien que, n'ayant pas été en fonctions en 2009…
…et n'ayant pas eu connaissance de votre question, je n'ai pas dans l'immédiat d'éléments de réponse à vous donner. Je vous les fournirai dès que j'en disposerai.
Deuxièmement, en ce qui concerne les enquêtes judiciaires, j'ai reçu aujourd'hui même une lettre du juge d'instruction Trévidic qui me demande une série de pièces qui doivent lui être communiquées. Comme le Président de la République, le Premier ministre et moi-même nous y sommes engagés, nous allons réunir ces pièces, consulter la commission consultative du secret de la défense à leur sujet et les communiquer au juge d'instruction. (Applaudissements sur divers bancs des groupes UMP et NC.)
Pour finir, je veux rappeler que le Premier ministre a pris la décision de ne pas déclassifier le site de la DGSE. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
Cette décision me paraît devoir être respectée. Ouvrir le site de la DGSE priverait en effet la France de toutes les possibilités d'avoir un système de renseignement crédible. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.) C'est une décision qui préserve les intérêts supérieurs de l'État et que nous devons, je pense, approuver. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Yves Deniaud, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elle revient sur le problème du sauvetage financier de l'Irlande.
On le sait, la crise irlandaise est née de la crise internationale, mais a été aggravée par l'explosion brutale de l'énorme bulle spéculative immobilière qu'avait rendue possible le laxisme général du système bancaire irlandais, insuffisamment surveillé par les autorités de régulation.
Pour autant, il ne faut pas oublier qu'au cours des vingt années précédant la crise, l'Irlande a fait un effort extraordinaire de développement qui l'a hissée au plus haut niveau de l'Union européenne.
Elle a géré ses finances de façon remarquable (Exclamations sur les bancs du groupe GDR) puisque sa dette publique représentait seulement 24 % du PIB. Elle était également considérée comme l'utilisateur le plus efficace et le plus scrupuleux des fonds européens. Nous, Français, ne devons pas non plus oublier qu'il y a un an, après un premier échec, ce pays approuvait par référendum le traité de Lisbonne à la demande convaincante du Président de la République, qui présidait alors l'Union européenne.
Madame la ministre, je souhaiterais connaître l'opinion du gouvernement français sur le soutien affiché par la Banque centrale européenne et l'Union européenne au programme de redressement irlandais, ainsi que sur les mesures de redressement qui, si elles ne sont pas officielles, ont été largement annoncées de façon explicite par le ministre des finances irlandais, Brian Lenihan. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le député, depuis dimanche après-midi, le gouvernement irlandais a soumis un plan de redressement budgétaire qui porte, sur une période de quatre ans, sur 15 milliards d'euros, avec 6 milliards de réduction du déficit pour l'année 2011. Au regard de la taille du budget de l'Irlande, de la taille de ce pays et de sa population dont le courage est bien connu, l'effort engagé par le peuple irlandais pour redresser ses finances publiques est considérable. Nous ne pouvons que féliciter ce gouvernement du courage avec lequel il fait face à cette crise à la fois financière et immobilière, aggravée de surcroît par la défiance des investisseurs internationaux à refinancer la dette irlandaise alors que les banques elles-mêmes sont en très mauvaise situation.
Dans ce contexte, la France se montrera totalement solidaire du mécanisme mis en place puisque, au-delà de l'effort budgétaire requis, l'Irlande a, dimanche après-midi, sollicité l'assistance conjointe de l'Union européenne sous forme de la mise en place des deux mécanismes existants, et du Fonds monétaire international en liaison avec la Banque centrale européenne. Tous les membres de la zone euro montreront la même solidarité. J'ajoute que la Grande-Bretagne et la Suède ont décidé, à titre bilatéral puisqu'elles ne font pas partie de la zone euro, de consentir chacune un prêt respectivement de 8 milliards et de 1 milliard d'euros pour venir en soutien de l'État irlandais.
L'assistance européenne et internationale s'inscrit dans un programme de réformes de fond, de réformes structurelles qui porteront notamment sur le secteur bancaire. À cet égard, un fonds de recapitalisation, qui permettra à l'État irlandais de prendre des parts très importantes dans les trois grands établissements irlandais, permettra la contrepartie de cette demande d'assistance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Ma question s'adresse également à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Après bien des atermoiements, le gouvernement irlandais s'est résolu à accepter l'aide de l'Europe. Il n'est pas question pour moi de contester le principe de cette aide au moment où l'Europe est menacée de contagion, mais ses modalités soulèvent un certain nombre d'interrogations. En particulier, nous voudrions savoir quelles conditions le gouvernement français entend poser à l'octroi de cette aide.
D'abord, en direction des banques. Il est profondément choquant qu'une aide consacrée pour l'essentiel au renflouement des banques ne comporte aucune contrepartie pour celles-ci. Il faut que les banques et le système financier soient responsabilisés et participent au règlement de la crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Certains, notamment, si j'ai bien compris, le Président de la République, considèrent que cette question ne doit pas être évoquée en raison des risques de spéculation. Mais ne pas le faire, c'est prendre le risque d'une incompréhension durable de l'opinion publique européenne. C'est aussi consentir à voir la spéculation se développer sans frein. Avez-vous l'intention d'exiger l'association du secteur privé à la gestion de la crise ? Madame Lagarde, nous attendons une réponse précise. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Ensuite, s'agissant des conditions posées à l'Irlande elle-même, il serait profondément choquant qu'un pays ayant assis sa prospérité sur le dumping fiscal au sein de la zone euro puisse bénéficier d'une aide de l'Europe sans changer les règles de sa fiscalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Ce statu quo, qui semble souhaité par le gouvernement irlandais, pénaliserait d'abord les Irlandais qui voient les conséquences de cette politique fiscale et qui seraient amenés à payer seuls l'assainissement budgétaire. Avez-vous l'intention d'exiger de l'Irlande un effort d'harmonisation fiscale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le député, vos deux questions concernent ce qu'on appelle les conditionnalités qui seront applicables en contrepartie d'un programme d'assistance conjoint cofinancé, d'une part, par les membres de la zone euro et à titre bilatéral par la Grande-Bretagne et la Suède, et, d'autre part, par le Fonds monétaire international.
Je rappelle que le gouvernement irlandais a sollicité la mise en oeuvre de ce plan d'assistance pour éviter l'effondrement de son système bancaire et la décrédibilisation complète de la dette souveraine. La négociation ne fait que commencer, mais je vais vous indiquer quelle est notre position.
En ce qui concerne les banques irlandaises, soyons clairs : aujourd'hui, elles sont pratiquement à 100 % nationalisées par l'État irlandais.
Sur les trois, une est complètement nationalisée et les deux autres le sont pratiquement à 100 %. Les actionnaires des banques irlandaises aujourd'hui c'est donc l'État irlandais. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons un phénomène de contagion entre le secteur bancaire et la dette souveraine.
Pour ce qui est de la fiscalité, soyons clairs aussi : l'État irlandais doit réduire son déficit public, soit en diminuant la dépense, soit en augmentant la recette. Aujourd'hui, le gouvernement irlandais a déjà beaucoup diminué la dépense puisqu'il s'était déjà engagé en 2008 dans un plan de réduction du déficit par ce moyen. Le levier qui subsiste, donc, c'est le levier fiscal. J'ai indiqué, comme d'autres partenaires européens, qu'il était tout à fait souhaitable que l'Irlande l'utilise pour réduire son déficit budgétaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Patrice Verchère, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Lors de son entretien télévisé de mardi dernier, le Président de la République a réaffirmé sa volonté de réformer notre justice, afin de la rendre plus compréhensible des Français. L'objectif est de rapprocher les citoyens de leur justice qui est rendue au nom du peuple français. Il est donc légitime que ce dernier s'y intéresse.
Le Président de la République a souhaité que nos concitoyens soient associés aux décisions de libération conditionnelle qui engendrent parfois de l'incompréhension, voire de la révolte pour certaines affaires. Il a souhaité également que soit étudiée l'introduction, sous conditions, de jurys populaires au sein des tribunaux correctionnels pour certains délits.
Depuis, monsieur le garde des sceaux, vous avez énoncé un certain nombre de pistes pour mettre en place cette réforme qui pourrait intervenir dès 2011. Vous avez indiqué que ces jurés pourraient intervenir dans deux cas de figure : pour les affaires les plus graves et pour les affaires examinées en appel. Vous avez également affirmé votre souhait de lancer une large et indispensable concertation qui associerait notamment les magistrats professionnels.
Une semaine après votre prise de fonctions, quel calendrier de travail avez-vous prévu pour mener à bien cette réforme majeure ? Quelles modalités de concertation envisagez-vous de mettre en place ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Monsieur le député, comme vous l'avez rappelé, le Président de la République – donc, à travers lui – le Gouvernement et moi-même, souhaite rendre la justice plus proche des Français et les associer à l'oeuvre de justice.
La participation des citoyens à la justice n'est pas nouvelle puisqu'elle existe déjà dans les cours d'assises, dans les tribunaux de commerce, dans les tribunaux de prud'homme et dans les tribunaux pour enfants.
À l'heure actuelle, plusieurs pistes sont à l'étude. Deux idées peuvent être retenues et creusées : la participation d'assesseurs citoyens à certaines formations collégiales pour les délits les plus graves, notamment en appel ; la participation de jurys populaires au tribunal d'application des peines.
Toutefois, comme vous le soulignez, il s'agit d'une réforme lourde. Compte tenu du nombre des jugements de tribunaux correctionnels, on comprend bien qu'on ne peut pas faire intervenir des assesseurs pour toutes les affaires correctionnelles. En tout état de cause, il faut que cette réforme soit partagée, qu'il y ait une profonde concertation avec les magistrats, avec les auxiliaires de justice et très naturellement avec les parlementaires.
J'entends mettre en place, dans les semaines qui viennent, des groupes de travail pour préparer cette réforme et faire en sorte qu'elle puisse être examinée par le Parlement avant la fin de la présente législature.
La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan au titre des députés non inscrits.
Madame la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, ma question concerne la crise irlandaise qui vient après la crise grecque et, sans doute, avant la crise portugaise, la crise espagnole, la crise française et la crise italienne. Je veux parler, bien sûr, de la crise de l'euro.
L'Union européenne a été à l'origine, voulue pour réconcilier les peuples et porter le progrès économique et social. Or, aujourd'hui, vous savez très bien que son seul objectif est de maintenir coûte que coûte un euro qui ne marche pas, qui est trop cher et qui asphyxie les peuples.
La preuve en est que le plan de soutien à l'Irlande est extrêmement choquant parce que ce sont les contribuables de tous les pays qui vont payer pour renflouer des banques qui ont joué au casino de la finance mondiale.
Il est d'autant plus choquant que vous ne demandez vraiment aucune contrepartie à ces banques : ce sont toujours plus de sacrifices pour les peuples et toujours plus d'argent pour les mêmes.
J'ajoute que vous refusez toujours de réclamer la séparation des banques commerciales et des banques d'investissement, seul moyen d'éviter que cet argent du contribuable n'abonde à nouveau la spéculation financière.
Enfin, vous savez très bien que vous allez arroser le sable, puisque vous ne pouvez pas guérir la cause du mal par des soutiens financiers. Les pays du sud de l'Europe, ainsi que la France et l'Irlande, ne parviendront jamais à rééquilibrer leur balance commerciale avec un euro trop cher et cela nourrit le chômage et les déficits. Vous êtes sur la pente de l'Argentine, de la politique de Laval de l'entre-deux-guerres, d'une monnaie trop chère qui asphyxie les peuples.
Vous allez remettre de l'argent, l'argent des Français, des Italiens, des Espagnols, des Allemands et vous aurez une nouvelle crise.
Ma question est très simple : quand comprendrez-vous que l'euro que vous défendez et qui est mal géré est en train de tuer l'Europe, de dégoûter les peuples de l'Europe, et que la seule solution consiste à sortir de l'euro pour rétablir la croissance ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le député, merci de votre message d'espoir ! (Rires et applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.) Lorsque la situation est difficile, il faut éviter de jeter de l'huile sur le feu ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Il est plus utile de se pencher sur l'assistance que nous pouvons porter à un État dont nous sommes solidaires parce qu'il fait partie de la zone euro plutôt que d'agiter des craintes, d'évoquer la cherté de telle ou telle monnaie par rapport à telle autre au sein d'une même zone monétaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
C'est précisément l'objectif que poursuit le Président de la République avec l'ensemble des priorités du G 20, c'est-à-dire plus de prévisibilité, une meilleure protection de l'ensemble des épargnants, un meilleur équilibre entre les monnaies. Ce n'est pas en suggérant la sortie de tel ou tel membre de telle zone parce qu'elle serait plus au sud de telle ligne que l'on parviendra à rétablir l'équilibre au sein de la zone euro.
Imaginez un instant qu'un seul de ces pays sorte de la zone euro. Vous accablez les plus faibles, les plus fragiles, ceux qui sont endettés et qui, soudain, verront leurs dettes se multiplier par deux, par trois, quatre ou dix. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.) Il n'est donc pas question d'envisager un tel démantèlement.
Bien au contraire, poursuivant en cela l'oeuvre initiée par Jacques Delors en son temps et reprise par d'autres après lui, et récemment par le Président de la République, nous devons consolider la zone euro, la renforcer, nous devons protéger les Européens qui s'y trouvent et rétablir un meilleur équilibre entre les monnaies à travers le monde, en ayant toujours le souci de défendre les économies au sein de la zone euro. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Crise de l'euro
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)
La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté des propositions d'ordre du jour pour la semaine du 6 décembre.
Au cours de cette semaine, le Gouvernement a demandé, en application de l'article 48 de la Constitution, que l'Assemblée examine le projet de loi de finances rectificative pour 2010, les après-midi et soir des mardi 7, mercredi 8 et jeudi 9 décembre.
Trois débats seront également organisés :
Mercredi 8, à quinze heures, à la place des Questions au Gouvernement : débat préalable au Conseil européen puis, à l'initiative du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, débat sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française.
Jeudi 9, à quinze heures : débat sur les conclusions de la mission d'information relative à la tempête Xynthia.
Il n'y a pas d'opposition ?
Il en est ainsi décidé.
L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi de M. Patrick Bloche et plusieurs de ses collègues, relative à l'indépendance des rédactions. (nos 2255, 2939)
Jeudi dernier, le Gouvernement a indiqué qu'en application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, il demandait à l'Assemblée nationale de se prononcer par un seul vote sur les articles et l'ensemble de la proposition de loi.
Dans les explications de vote, la parole est à M. Patrick Bloche, pour le groupe SRC. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, lorsqu'un pouvoir ne supporte pas les contre-pouvoirs et qu'il n'a pour objectif que de les réduire, il devient progressivement un pouvoir absolu. C'est pour se prémunir contre ces possibles dérives qui visent indifféremment le Parlement, la justice, les médias ou les syndicats, que la représentation nationale ne peut rester inactive.
En ce qui concerne plus particulièrement les médias, comment ne pas rappeler que la liberté d'informer et que la liberté de communiquer sont désormais garanties par l'article 34 de la Constitution ? Et pourtant, comment ne pas constater qu'entre surveillance malsaine et interventionnisme à tout va, l'air devient peu à peu irrespirable dans notre démocratie ?
La réforme de l'audiovisuel de 2009, qui montre d'ores et déjà ses limites, en plaçant les sociétés de radio et de télévision publiques dans une double dépendance, politique et budgétaire, vis-à-vis du pouvoir exécutif, a, à cet égard, été un bien mauvais signe donné par le Président de la République lui-même.
Que dire de la loi censée renforcer la protection des sources des journalistes que le Gouvernement a fait voter ici même au début de cette année et qu'il est pourtant amené à bafouer régulièrement en entravant le travail d'investigation qui est le fondement même de la liberté de la presse ? C'est d'ailleurs pour cette raison que notre groupe a pris l'initiative de demander la création d'une commission d'enquête visant à faire toute la lumière sur les soupçons répétés qui pèsent sur certains services de l'État. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
La proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions soumise aujourd'hui au vote de l'Assemblée s'inscrit dans ce contexte où la liberté d'informer est régulièrement remise en cause. Elle est naturellement en cohérence avec celle que notre groupe avait vainement défendue, il y a un an, pour lutter contre la concentration dans les médias en privant les grands groupes industriels et financiers qui vivent des commandes de l'État, de la possibilité de posséder des titres de presse écrite ou audiovisuelle.
De quoi s'agit-il aujourd'hui ? Avant tout de rééquilibrer les rapports entre les rédactions, c'est-à-dire les journalistes, et ceux qui possèdent les médias, à savoir les actionnaires. Pour cela, nous sommes convaincus de la nécessité que chaque entreprise de presse se dote soit d'une équipe rédactionnelle permanente et autonome, soit d'une société de journalistes, dotées de pouvoirs – notamment en cas de changement d'actionnaire –, qu'il s'agisse de nommer un nouveau directeur de rédaction ou de faire respecter la charte de déontologie.
Qu'il s'agisse des syndicats ou du forum des sociétés de journalistes, tous ceux qui font les journaux parce qu'ils les écrivent ont la même volonté de refuser le mélange des genres et de réaffirmer clairement le cloisonnement entre les sphères éditoriale et économique. Cet impératif vient d'être rappelé avec force lors des assises internationales du journalisme qui se sont tenues, la semaine dernière, à Strasbourg.
De fait, il n'est que temps d'agir. L'indépendance des rédactions est aujourd'hui d'autant plus menacée…
…que la crise de la presse entraîne précarisation des rédactions, baisse des rémunérations, recours croissant aux piges et aux contrats à durée déterminée.
Une entreprise de presse, faut-il le rappeler, n'est pas une entreprise comme les autres : y est en jeu la liberté constitutionnelle d'informer qui doit à ce titre être protégée. Et nous ne pouvons accepter la diabolisation de notre texte qui, selon le Gouvernement et sa majorité, ferait fuir les investisseurs. Bien au contraire, notre initiative, en rétablissant la confiance perdue par nos concitoyens dans les médias, représente une opportunité économique pour la recherche ou la reconquête d'un lectorat.
Chers collègues, compte tenu de notre attachement à l'histoire de notre pays, patrie des droits de l'homme et des libertés (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP – Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC), nous regrettons tous, j'imagine, que la France, qui occupait en 2002 – tenez-vous bien – la onzième place dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse dans le monde, se situe aujourd'hui à la quarante-quatrième place ! (Exclamations.) Le vote de cette proposition de loi permettrait sans aucun doute à notre pays de faire un grand bond en avant, et de remonter dans ce classement dès 2011.
Vous l'avez compris, de la même manière que les ondes ont été libérées en 1981, il s'agit aujourd'hui de libérer les rédactions. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de Patrick Bloche arrive à point nommé, à savoir à un moment où se succèdent des événements qui ne font pas honneur à notre démocratie et au respect de la liberté d'expression.
Doit-on rappeler que la presse, en France comme dans tous les pays démocratiques, contribue à élargir et à structurer l'espace public et donc permet aux peuples de se faire une opinion malgré la diversité de celles qui s'expriment. Or nous avons aujourd'hui au pouvoir des hommes complices de certains grands groupes industriels qui veulent uniformiser l'information. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)
Dois-je rappeler à certains de mes collègues, alors que nous éprouvons tant de difficultés à faire surgir la vérité sur l'affaire de Karachi, que 80 % des titres de la presse française appartiennent aux deux plus grands marchands de canon du pays que sont Lagardère et Dassault ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Il est donc très difficile pour les journalistes de ces organismes de presse de mener un travail d'investigation et donc de faire connaître la vérité aux Français.
Doit-on ajouter que le Président de la République n'est finalement que le fondé de pouvoir de ses amis du Fouquet's (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et du CAC 40 ? Doit ajouter à cela une mainmise – difficile d'utiliser un autre terme – et une sorte d'involution de la démocratie lorsque le Président de la République décide de nommer et de révoquer les responsables de l'audiovisuel public ?
Qu'il s'agisse du privé ou du public, nous constatons une triple dépendance : économique, politique et éditoriale.
Oui, les députés Verts voteront pour cette proposition de loi sur laquelle vont s'abstenir nos collègues communistes, républicains et du parti de gauche. Oui, nous la voterons mais nous disons que si, en 2012, les Français choisissent l'alternative au sarkozysme…
… alors il faudra prendre plusieurs engagements. En particulier et en premier lieu, il faudra s'engager à interdire à une entreprise répondant à des commandes publiques de détenir la majorité du capital d'une chaîne de télévision. (Applaudissements plusieurs bancs du groupe GDR.)
Avez-vous vu TF1 diffuser des reportages critiques sur les antennes téléphoniques, par exemple, sachant que Bouygues est un opérateur de téléphonie ? Avez-vous vu certaines de nos chaînes diffuser des reportages critiques sur la distribution de l'eau, l'assainissement…
… ou même sur le régime marocain ? Oui, ce sont autant de limites apportées à la liberté des journalistes.
Avec Europe Écologie, les Verts ont aussi proposé de mettre en place le système d'accès rapide à des documents de caractère public, à l'instar du Freedom Information Act existant aux États-Unis depuis 1967, qui manque toujours à notre pays.
Évoquons enfin les renouvellements de concessions, accordés les yeux fermés par un CSA qui n'est plus qu'une sorte de comité Théodule aux ordres du Président de la République et du pouvoir. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Eh oui ! C'est le Président de la République lui-même qui a dit, devant le peuple de France, à la télévision : le CSA n'est pas indépendant ; dans ces conditions, je vais nommer et révoquer moi-même les responsables de l'audiovisuel public.
Contrairement à la Grande-Bretagne, aux États-Unis, à l'Allemagne ou à la Belgique, nous avons un organisme de contrôle qui n'a pas la possibilité d'exercer un contrôle effectif de l'octroi et du renouvellement des concessions – automatique pour TF1 et M6, par exemple.
Pour conclure, je reviendrai sur une loi votée ici même, le texte sur la protection du secret des sources des journalistes. Nous étions deux à nous battre contre les limites de cette réforme voulue par l'Union européenne : Aurélie Filippetti et moi-même.
Nous expliquions que cette réforme n'allait pas jusqu'au bout et que, faute de s'inspirer du système qui existe en Belgique depuis 2005, nous serions confrontés à des problèmes. Quelques mois plus tard, nous l'avons vu, le secret des sources des journalistes a été purement et simplement violé, dans l'affaire Woerth-Bettencourt…
… qui n'est rien d'autre que l'affaire Sarkozy puisqu'il s'agit du financement de sa campagne présidentielle.
Pour toutes ces raisons, nous voterons bien sûr et avec enthousiasme en faveur de la proposition de loi présentée par notre collègue Patrick Bloche. Si les Français permettent à la gauche de revenir au pouvoir comme alternative au sarkozysme, nous nous engageons aussi à réformer toutes ces lois indignes et scélérates. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et plusieurs bancs de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe Nouveau Centre.
À entendre les explications de vote des groupes SRC et GDR, cette proposition de loi sur l'indépendance des rédactions n'est que prétexte à antisarkozysme. Vous mettez toujours en cause le Président de la République.
À nos collègues cosignataires de cette proposition de loi, je voudrais dire que les députés du groupe Nouveau Centre sont aussi attachés qu'eux à l'indépendance des journalistes.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Montrez-le !
Rappelons que cette majorité a adopté la proposition de loi voulue par l'exécutif sur la protection des sources de journalistes et qu'elle a participé aux états généraux visant à assurer l'indépendance et la vitalité de la presse, indispensables dans notre démocratie.
Votre proposition de loi vise, d'une part, la constitution d'un comité veillant au respect de la déontologie comme garantie de l'indépendance des rédactions, d'autre part, le renforcement des obligations d'information sur l'actionnariat.
Lors de nos discussions de jeudi dernier, le ministre de la culture s'est exprimé sur ces deux préoccupations. S'agissant de déontologie, il vous a indiqué que certains grands groupes de presse comme le grand quotidien Ouest France se sont déjà dotés de chartes éditoriales. S'agissant des opérations de concentration dans le domaine des médias, il existe des règles dont le respect est scrupuleusement surveillé par l'autorité de la concurrence.
Il n'y a donc pas lieu d'adopter cette proposition de loi. C'est pourquoi les députés du Nouveau Centre vont s'y opposer. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
…fondées sur une supposée absence de liberté de la presse. J'ai même eu le sentiment que notre collègue Noël Mamère défendait cette proposition de loi pour des raisons tout à fait étrangères aux motivations de ce texte.
Si un tel danger existait, n'aurait-il pas été évoqué lors des états généraux de la presse auxquels participaient certains d'entre nous – de droite, de gauche comme du centre. Il n'a pas été question de ces dangers-là. Il a été question de l'indépendance de la presse, mais pas de ces dangers qui seraient très présents, à en croire les deux orateurs de gauche qui m'ont précédé. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Monsieur le rapporteur, vous préconisez deux mesures. La première nous paraît extrêmement dangereuse car elle tend à attiser la méfiance des journalistes à l'égard des instances dirigeantes des journaux, donc à créer un esprit de division.
Si nous avions la faiblesse de l'adopter, elle tendrait à dissoudre la responsabilité personnelle des directeurs de publication. Elle aboutirait, à l'encontre de votre propre intention, à fragiliser le droit de la presse, et elle rendrait impossible l'exercice de la clause de conscience à laquelle vous tenez pourtant, monsieur le rapporteur. Cette clause de conscience ne pourrait plus s'appliquer puisque les rédacteurs seraient eux-mêmes responsables de la ligne éditoriale.
Le texte que vous nous proposez en viendrait à déposséder chaque média de sa spécificité, de son histoire, de ce que les journalistes appellent justement le contrat de lecture. Le ministre Frédéric Mitterrand a eu raison de vous rappeler que la généralisation à toutes les entreprises de médias de ce qui relève de la responsabilité de chaque directeur de publication – la conformité de la rédaction avec la charte éditoriale du journal – conduirait à deux impasses : l'une éthique et professionnelle ; l'autre économique et juridique.
Fondamentalement, monsieur le rapporteur, croyez-vous réellement que le législateur doive, une fois de plus, s'immiscer dans un débat qui, selon nous, relève de la seule éthique professionnelle ? Dans la très grande majorité des pays, les sociétés de journalistes jouent un rôle consultatif. Peut-être sommes-nous trop libéraux à vos yeux, mais nous préférons que la liberté la plus complète soit laissée à l'organisation interne des médias d'information.
Comme cela a été dit au cours des débats, en pratique, plusieurs mécanismes tendent à garantir l'indépendance rédactionnelle des journalistes. Croyez-vous réellement qu'il faille atteindre cette souplesse ou, pour reprendre l'image utilisée par le ministre lors du débat, « substituer l'esprit de géométrie à l'esprit de finance » ? Nous pensons que non.
Votre seconde mesure porte sur le renforcement des obligations d'information sur l'actionnariat, la charge des entreprises éditrices et des actionnaires. Quel besoin d'imposer une telle mesure ? L'article 5 de la loi de 1986 sur la presse oblige déjà les entreprises de presse, personnes morales, à indiquer le nom de leur représentant légal et de leurs trois principaux associés, et à porter à la connaissance des lecteurs le nom du directeur de publication. Pourquoi vouloir distinguer les entreprises de presse des autres à cet égard, même si nous sommes d'accord pour leur reconnaître une mission tout à fait particulière ?
Monsieur le rapporteur, je crois que vous comprendrez notre analyse. Nous considérons que, quelles que soient vos motivations que nous pensons sincères, votre proposition de loi créerait des obligations à la charge des éditeurs qui en supportent déjà suffisamment. En réalité, elle en viendrait à museler les journalistes plutôt qu'à renforcer leur indépendance, a contrario des intentions annoncées.
Voilà pourquoi, monsieur le président, monsieur le rapporteur, le groupe UMP refusera d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 493
Nombre de suffrages exprimés 473
Majorité absolue 237
Pour l'adoption 201
Contre 272
(La proposition de loi n'est pas adoptée.)
L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi de M. Dominique Raimbourg et plusieurs de ses collègues visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire (nos 2753 rectifié, 2 941).
Jeudi dernier, le Gouvernement a indiqué qu'en application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, il demandait à l'Assemblée nationale de se prononcer par un seul vote sur les articles et l'ensemble de la proposition de loi.
Dans les explications de vote, la parole est à M. Serge Blisko, pour le groupe SRC.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons mettre fin à l'indignité de nos prisons.
Au 1er octobre 2010, sur les quelque 67 000 personnes placées sous écrous – pour employer un langage technique –, un peu plus de 61 000 étaient détenues dans un établissement pénitentiaire. Le nombre de places opérationnelles étant de 56 400, cela signifie qu'il y avait près de 5 000 détenus de plus que de places dites opérationnelles.
Mes chers collègues, cette situation implique des conditions de vie et d'hygiène inacceptables qui obèrent les chances d'une réinsertion réussie.
Pire encore : 226 détenus dorment encore sur un matelas installé à même le sol tous les soirs, et ce dans une cellule de sept à dix mètres carrés hébergeant jusqu'à trois personnes. Trois dans moins de dix mètres carrés !
Cette promiscuité affolante engendre de graves conséquences : des violences entre détenus ; une agressivité vis-à-vis du personnel pénitentiaire dont il faut saluer ici le travail dans ces conditions particulièrement difficiles ; de nombreux suicides aussi, hélas, et une dégradation de la santé psychologique de nombreux détenus.
C'est pourquoi, le groupe socialiste appuie la solution novatrice présentée par notre collègue Dominique Raimbourg.
Le mécanisme proposé permettrait de lutter contre la surpopulation carcérale. Il s'inscrit en droite ligne dans la réflexion sur la situation dégradée et dégradante des prisons françaises, qui a été menée depuis les années 2000 par nos deux assemblées et qui a animé l'esprit des débats sur la loi pénitentiaire de l'an dernier.
Il est bien évident que l'effort doit porter d'abord sur les maisons d'arrêt, où la surpopulation est la plus criante et où sont mélangés les prévenus et les condamnés à de courtes peines. À la Roche-sur-Yon, en Vendée, par exemple, le taux d'occupation est de 250 %. Quant à l'outre-mer, la situation y est dramatique. En fait, l'administration pénitentiaire pratique déjà un mécanisme de ce type pour éviter la surcharge des établissements pour peine ou des maisons centrales.
Notre collègue Raimbourg préconise une libération conditionnelle de droit aux deux tiers de la peine, tout en gardant, bien sûr, une possibilité de contestation par le Parquet ou par le condamné lui-même. Je précise que « libération conditionnelle » veut dire « sous contrôle », en particulier du juge de l'application des peines et du service pénitentiaire d'insertion et de probation – SPIP – c'est-à-dire des travailleurs sociaux qui animent la prison à côté de l'administration pénitentiaire.
Par ailleurs, et c'est ce qui est tout à fait novateur, seraient libérés, en cas de surnombre, uniquement les détenus les plus proches de la fin de leur peine, c'est-à-dire ceux à qui il ne reste que quelques jours ou quelques semaines à faire en prison, pour permettre à un autre condamné d'effectuer la sienne. En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, y compris de la majorité qui feignez de l'ignorer, aujourd'hui 33 000 personnes condamnées n'effectuent pas leur peine, faute de place. Programmer toujours plus de prisons n'est pas la bonne réponse. Mais obliger un certain nombre de victimes à continuer de rencontrer leur agresseur qui, bien que condamné, ne peut pas effectuer sa peine par défaut de l'administration pénitentiaire, est particulièrement douloureux et inadmissible. Je pense en particulier aux femmes victimes de violences conjugales.
Le groupe socialiste, républicain et citoyen votera avec conviction le mécanisme novateur et ambitieux proposé, qui permet de passer d'une culture de l'enfermement à une culture de contrôle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La réalité de la surpopulation carcérale dans notre pays a été largement développée lors de la discussion générale de jeudi dernier. Chacun s'est accordé à reconnaître que – je cite M. le garde des sceaux – « la surpopulation est un mal qui est à l'origine de nombreux dysfonctionnements frappant nos établissements pénitentiaires » et qu'il faut « lutter contre ce phénomène et réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre ». Cela étant, M. le garde des sceaux ne s'est pas appesanti sur les origines de ce mal. Et pour cause !
La politique ultra-sécuritaire menée par le Chef de l'État et le Gouvernement est la principale responsable de la situation actuelle : les peines plancher et l'alourdissement général des condamnations ont entraîné, ces dernières années, une augmentation vertigineuse de la population carcérale.
La réponse du garde des sceaux à ce problème endémique de nos prisons consiste à « développer un programme immobilier sans précédent », pour augmenter toujours plus le nombre de places de détention. Sa seule réponse à la surpopulation carcérale passe donc par la construction de nouvelles prisons. Pourtant, en 1830 déjà, le ministre de l'intérieur de l'époque prenait acte devant la Société royale des prisons de ce que, « à mesure que les constructions s'étendent, le nombre de prisonniers augmente. » Rien n'a changé : dans les prisons, les détenus en surnombre sont gérés par des gardiens en sous-effectif, et les conditions de travail se dégradent continuellement sans que le garde des sceaux ne réagisse.
Avec le budget pour 2011, l'administration pénitentiaire va continuer à subir un grave dysfonctionnement. Celui-ci est devenu permanent.
Les nouveaux établissements sont déjà en sous-effectif de personnels à leur ouverture, tandis que ceux déjà existants sont condamnés à fonctionner alors que des postes ne sont pas pourvus.
Les personnels d'insertion et de probation travaillent dans des conditions critiques, le ratio entre personnes suivies et travailleurs sociaux demeurant extrêmement élevé. Alors que l'étude d'impact sur la loi pénitentiaire prévoyait le recrutement d'un millier de conseillers d'insertion et de probation, le nombre de recrutements prévu dans le budget ne couvrira même pas celui des départs à la retraite. Quant aux personnels techniques, leur disparition est programmée au profit de délégation aux entreprises privées.
Les blocages de prisons la semaine dernière témoignent de l'ampleur du malaise ressenti par les personnels pénitentiaires : ceux-ci travaillent dans des conditions terribles.
M. le garde des sceaux a également indiqué – en quelques mots seulement – que la lutte contre la surpopulation ne pouvait pas reposer sur la seule considération de l'encellulement et qu'il convenait de développer des aménagements de peine. Or, comme je viens de le souligner, il ne donne pas aux services d'application des peines les moyens humains et matériels nécessaires pour examiner comme il se doit les possibilités d'aménagements de peine, et ces derniers restent, au final, largement insuffisants.
Pour faire face à la « crise des prisons », il est indispensable de mener une réforme digne de ce nom de notre système pénitentiaire, une réforme qui s'interroge sur le sens de la peine, autrement dit, qui réponde aux questions suivantes : Pourquoi punir ? Qui punir ? Comment punir ?
D'abord et avant tout, la peine d'emprisonnement ne doit se concevoir que comme une sanction de derniers recours. Dans la très grande majorité des cas, la peine privative de liberté n'est en mesure ni d'assurer la protection de la société sur le long terme, ni de préparer la personne détenue à sa réinsertion. Le plus souvent, la prison prolonge et renforce les logiques de délinquance au point que la sanction non seulement perd tout rôle éducatif mais encore agit en sens contraire. Un examen des causes économiques et sociales concourant à la croissance de la délinquance nous paraît également indispensable. Celui-ci est indissociable de toute réforme.
Soucieux de faciliter l'insertion, la réinsertion et la cohésion sociale, nous sommes favorables au développement des aménagements de peine et des mesures de libération conditionnelle. Les mesures alternatives à l'incarcération sont les seules susceptibles de donner un véritable sens à la peine pour les condamnés. « Au XXIe siècle, enfermer quelqu'un dans une prison, ce n'est pas le punir : c'est agir par paresse et par prolongement d'un système archaïque, dépassé et inadapté aux sociétés postmodernes », écrit M. Jaffelin, professeur de philosophie.
En attendant une grande réforme de notre système pénitentiaire, la réponse apportée, dans le contexte actuel, par la proposition de loi de nos collègues du groupe SRC nous semble satisfaisante. C'est la raison pour laquelle nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe du Nouveau Centre.
La situation des prisons françaises préoccupe l'ensemble des élus, quels que soient les bancs où ils siègent.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention, ainsi que mes collègues, les interventions sur la proposition de loi proposée par le groupe SRC « visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire. » Déposée au lendemain de la première convention thématique du parti socialiste sur la sécurité, cette proposition de loi tend à instaurer un droit de sortie à tous les prisonniers aux deux tiers de leur peine. Nous nous opposerons avec force au mécanisme proposé pour lutter contre la surpopulation carcérale.
Mes chers collègues du parti socialiste, je vous inviterai plutôt à apporter vos voix au budget de la justice qui, depuis sept ans, tend à donner plus de moyens à l'administration pénitentiaire.
Nous nous sommes engagés dans la construction de 10 000 places de prison, ce qui portera le parc pénitencier à 62 000 places. Nous avons voté une loi pénitentiaire, dans laquelle nous avons mis l'accent sur les mesures alternatives à l'emprisonnement. Ainsi, à l'heure où nous parlons, le bracelet électronique permet à un certain nombre de personnes – bientôt 3 000 – de ne pas être en prison. Nous avons fait de la détention provisoire une mesure exceptionnelle. C'est encore cette majorité qui a voté le contrôle général de l'ensemble des lieux privatifs de liberté et qui, par la loi pénitentiaire, a transposé les règles pénitentiaires du Conseil de l'Europe.
De votre côté, que nous proposez-vous ? D'instaurer un mécanisme d'automaticité de sortie de la peine, sans même prendre en compte la dangerosité du détenu. Or c'est justement cette dernière qui conditionne tout. C'est pourquoi nous nous opposerons avec force à la présente proposition de loi.
Je rappelle à tous ceux qui la voteront que, sur les 100 000 peines d'emprisonnement prononcées chaque année par les tribunaux français, un tiers n'est jamais exécuté.
Nous préférons mettre l'accent sur la réalité de la peine et les efforts réalisés pour humaniser les prisons. Notre objectif est, en effet, de rendre les peines réalisables et de concilier l'exigence d'humanité avec celle de fermeté.
La sécurité est l'une des premières libertés. Pour la garantir, il faut avoir l'assurance que la peine sera effective. C'est pourquoi les membres du groupe du Nouveau Centre s'opposeront au mécanisme automatique de sortie aux deux tiers des peines proposé par le groupe SRC. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
Comme, je l'ai indiqué la semaine dernière lors du débat sur ce texte, la surpopulation carcérale est un véritable fléau, aussi bien pour les détenus que pour le personnel pénitentiaire. C'est un fait indéniable. Mais c'est sur la méthode à suivre pour prévenir, voire réduire, ce phénomène que commencent nos divergences.
Depuis 2002, notre majorité a accompli des efforts considérables tant en matière de construction et de rénovation des prisons qu'en matière d'aménagement de peines et d'alternatives à la détention. Je n'y reviendrai pas.
Je préfère insister sur les raisons pour lesquelles le groupe UMP ne peut voter cette proposition de loi.
Au-delà du diagnostic, les solutions que vous proposez sont intenables : niant le principe d'exécution des peines, vous envisagez de libérer des prisonniers chaque fois qu'il sera nécessaire d'en faire entrer d'autres !
De plus, si votre intention est louable, monsieur Raimbourg, votre proposition est inconstitutionnelle parce que profondément inégalitaire : il est inconcevable qu'une peine soit exécutée différemment en fonction de la surpopulation carcérale constatée dans telle ou telle région de France.
Vous avez exprimé jeudi dernier l'espoir que la majorité change d'avis et adopte finalement votre proposition de loi. Le respect de la justice, de la Constitution et de la chose jugée nous oblige à maintenir notre position. Le groupe UMP ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 490
Nombre de suffrages exprimés 489
Majorité absolue 245
Pour l'adoption 215
Contre 274
(La proposition de loi n'est pas adoptée.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures dix.)
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique et du projet de loi, adoptés par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatifs au département de Mayotte (nos 2918, 2945, 2919, 2946).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la départementalisation de Mayotte est un processus historique, juridiquement progressif et adapté.
Lors du Conseil des ministres du 23 janvier 2008, l'évolution du statut de Mayotte a été relancée, conformément aux engagements du Président de la République, et une concertation très large a été menée avec les élus et les forces vives mahoraises, pour en définir les conditions de réussite.
Les bases de la départementalisation sont largement fondées sur les évolutions engagées depuis l'accord de 2000 sur l'avenir de Mayotte : évolution institutionnelle, avec la mise en oeuvre de la collectivité départementale ; évolution juridique, le principe d'identité devenant la règle et les dérogations spécifiques à Mayotte l'exception, grâce à la loi organique du 21 février 2007. C'est cette loi qui a également avancé la date à laquelle la collectivité départementale de Mayotte pouvait demander l'évolution de son statut constitutionnel, afin de passer de l'article 74 à l'article 73 de la Constitution. C'est donc dans ce cadre que le processus a été relancé en 2008.
C'est en 2008 que, soucieux de présenter aux Mahorais une feuille de route des principales étapes du processus, le Gouvernement a élaboré le pacte pour la départementalisation, qui a clairement indiqué les évolutions rapides indispensables, concernant la justice républicaine, l'égalité entre les femmes et les hommes et un état civil fiabilisé. Le Parlement a approuvé ces évolutions, qui constituaient des préalables à l'évolution institutionnelle. Le pacte présente aussi les évolutions nécessaires pour le développement économique de Mayotte. Il met en avant les problématiques liées au développement de l'emploi salarié, d'une part, et prévoit le développement des prestations et minima sociaux, d'autre part. Il indique clairement que ces évolutions devront se faire sur une période de vingt à vingt-cinq ans à partir de 2012. Il réaffirme le passage à la fiscalité de droit commun en 2014.
C'est le Président de la République lui-même qui, en décembre 2008, a présenté aux élus de Mayotte ce pacte pour la départementalisation. Une délégation de la commission des lois de l'Assemblée nationale s'est rendue dans l'île en 2009. Son rapport expose les situations locales suscitant des interrogations et les prérequis pour la réussite de l'évolution de Mayotte, aussi bien sur le plan institutionnel que sur le plan économique et social. Le Gouvernement en a tiré des enseignements.
Le 29 mars 2009, les électeurs mahorais ont été consultés sur l'évolution du statut de Mayotte. Au préalable, et comme le prévoit la Constitution, le 11 février 2009 s'était déroulé à l'Assemblée nationale un débat au cours duquel les députés avaient très largement affirmé leur soutien à cette évolution tout en rappelant les conditions de sa mise en oeuvre et de son succès.
Les électeurs mahorais se sont prononcés à plus de 95 % en faveur de l'évolution institutionnelle.
La loi organique du 3 août 2009 a prévu que la collectivité de Mayotte serait régie par l'article 73 de la Constitution à compter du prochain renouvellement du conseil général, c'est-à-dire en mars 2011.
Le principe de la départementalisation de Mayotte et son calendrier ont donc déjà été arrêtés par le Parlement. Les deux projets de loi, simple et organique, sur lesquels vous allez vous prononcer aujourd'hui, organisent la mise en oeuvre opérationnelle de la départementalisation.
La transformation de Mayotte en département et en région d'outre-mer étant principalement fixée par le projet de loi simple, c'est ce texte que je présenterai en premier lieu, avant d'évoquer le projet de loi organique et, enfin, les demandes d'habilitation à légiférer par ordonnance.
Le projet de loi simple qui vous est soumis fixe d'abord le mode de fonctionnement du cent unième département, qui exercera à la fois les compétences dévolues à un département et celles réservées à une région.
Il s'agira d'une collectivité unique, dotée d'une seule assemblée et d'un seul exécutif, en pleine cohérence avec les objectifs de rationalisation et d'efficacité du Gouvernement. Ce schéma institutionnel est novateur mais conforme aux évolutions souhaitées au niveau national, ainsi qu'en Martinique et en Guyane, et adapté à l'échelle du territoire.
Le nombre d'élus restera de 19 conseillers généraux en 2011, pour être ensuite légèrement augmenté et atteindre 23 conseillers généraux lors du renouvellement intégral de 2014. Afin de marquer symboliquement la création du département, le Gouvernement avait, dans un premier temps, souhaité que tous les conseillers généraux fussent élus en mars 2011, mais le Conseil d'État a considéré que le raccourcissement d'un mandat devait rester l'exception. Le Gouvernement a donc décidé de suivre cet avis et de ne prendre aucun risque constitutionnel, afin de ne pas compromettre ni retarder la création du département de Mayotte, tant voulue par les habitants de ce territoire.
L'organisation de ce département se fera selon le droit commun des départements, alors même qu'il exercera également les compétences d'une région. Les dispositions actuellement en vigueur seront remplacées, à compter de la première réunion qui suivra l'élection des conseillers généraux en mars 2011, par celles qui figurent dans le projet de loi qui vous est présenté.
Le projet de loi fixe aussi les modalités de dévolution de nouvelles compétences. Le droit commun, qui prévoit la compétence de la commission consultative de l'évaluation des charges sur l'ensemble du territoire, s'appliquera, mais le texte instaure également à Mayotte un comité local, destiné à préparer ces transferts en concertation étroite avec les élus locaux. Ce comité local sera consulté pour les transferts, les créations et les extensions de compétence. Il nous a semblé que, compte tenu des problématiques spécifiques liées au rattrapage des retards, à la construction de nombreux équipements en raison des nouvelles compétences du département et au développement du rôle des communes, un éclairage par un comité local ad hoc serait utile à la commission nationale.
Pour accélérer le processus de rattrapage en cours, le projet de loi crée le fonds mahorais de développement économique, social et culturel. Son objectif est d'encourager l'investissement privé et d'accélérer les investissements publics. Nous souhaitons que ce fonds joue un rôle clé pour développer la prise en charge des personnes âgées, des handicapés ou de la petite enfance. J'ai veillé à ce qu'il soit déjà doté, dans le projet de loi de finances triennale 2011-2013, de 30 millions d'euros.
Mon objectif a toujours été, conformément au pacte pour la départementalisation, qu'un tel fonds soit opérationnel dès 2011. Le décret créant le fonds est d'ores et déjà en préparation et sera publié au cours du 1er trimestre 2011 ; nous tenons ainsi l'engagement que nous avons pris à l'égard des Mahorais. Nous nous donnons également les moyens soit d'initier soit d'accélérer la mise à niveau des équipements de Mayotte en attendant son accession au statut de région ultrapériphérique, qui ouvrira bien évidemment l'accès aux fonds structurels européens.
S'agissant du développement du rôle du département de Mayotte sur le plan européen ainsi que sur le plan international, le Gouvernement a veillé à ce qu'il dispose des mêmes compétences que les autres départements et régions d'outre-mer. Cette demande, je le rappelle, avait été formulée il y a un an lors des États généraux de l'outre-mer. Compte tenu du contexte des relations avec les États de l'océan Indien, ces dispositions seront – je l'espère – de nature à faciliter localement le dialogue, et je veux affirmer devant la représentation nationale que l'évolution statutaire de Mayotte n'entame en rien la coopération avec l'Union des Comores.
En ce qui concerne l'évolution du statut de Mayotte au plan européen, j'ai initié des contacts avec la Commission européenne, auxquels j'ai associé les élus mahorais. Le Gouvernement saisira officiellement la Commission européenne de la demande de transformation de Mayotte en région ultrapériphérique dès 2011, afin que le Conseil européen puisse prendre une décision en 2012 ou 2013. Cela laisserait un délai significatif au Gouvernement et aux autorités locales à Mayotte avant l'échéance de 2014.
Le projet de loi organique vise principalement à maintenir, de manière transitoire, le régime fiscal particulier de Mayotte, avant l'application, à compter du 1er janvier 2014, du code général des impôts.
Le travail à faire dans ce domaine est lourd. Si des progrès sensibles ont été réalisés depuis la loi de 2007 et si le cadastre est achevé et à jour, la valorisation des propriétés foncières n'est pas encore réalisée. Quant à l'adressage il doit encore être amélioré. Le dialogue entre mes services et le ministère du budget et leur travail conjoint avancent sur ce point. Un diagnostic partagé a fait l'objet de propositions d'action transmises aux services déconcentrés à Mayotte. Avec mon collègue ministre du budget, nous avons la volonté et la conviction que ces évolutions seront réalisées entre 2013 et 2014.
Lors des débats au Sénat, ont été ajoutés un article 10 bis prévoyant l'application du code général des impôts et du code des douanes au 1er janvier 2014 et un article 10 ter créant l'octroi de mer au 1er janvier 2014, ainsi qu'un article 10 quater qui rend applicable la taxe de consommation sur les carburants. J'ai accepté ces dispositions, car elles sont déjà en vigueur dans les autres départements d'outre-mer. Mayotte doit donc pouvoir en bénéficier.
Par ailleurs, le projet de loi organique assure la concomitance en 2014 de l'élection des conseillers territoriaux avec la métropole. C'est donc à cette date que seront renouvelés l'ensemble des cantons à Mayotte.
Enfin, les départements d'outre-mer et les régions d'outre-mer ont la possibilité d'être habilités par le Parlement à adapter les lois sur leur territoire. Le projet de loi organique transcrit donc dans le code général des collectivités territoriales la réforme constitutionnelle de 2008 qui étend cette procédure au domaine réglementaire. Mayotte bénéficiera donc désormais de ce dispositif au même titre que les autres départements d'outre-mer.
L'évolution institutionnelle ne signifie pas pour autant que le droit applicable à Mayotte va automatiquement changer dès la création du département en mars 2011. Le principe de la sécurité juridique n'entraîne évidemment pas l'application à Mayotte de l'ensemble des lois et règlements dès le changement de statut. C'est pourquoi le projet de loi prévoit des habilitations pour étendre la législation de droit commun à Mayotte par ordonnances.
Le travail à mener est lourd et technique. Les échéances sont proches, et les nouveaux textes devront être prêts dans les six à dix-huit mois à venir. Parmi les priorités, je pense notamment au droit du travail, qui constitue une attente forte des partenaires sociaux mahorais. Les minima sociaux seront, pour leur part, mis en place à compter de 2012, mais au quart du niveau applicable en métropole, pour éviter de déstabiliser l'économie et la société locales.
Le Gouvernement s'est toutefois engagé à aller plus vite dans le domaine du handicap, et je me réjouis de la création par décret, il y a quelques jours, d'une nouvelle allocation pour les enfants handicapés, en remplacement du dispositif qui avait été mis en place par le conseil général. Voilà un exemple très concret de l'application progressive du droit national à Mayotte, conformément au processus de départementalisation.
Afin de sécuriser l'attribution de ces nouvelles allocations, et comme je l'ai indiqué, un travail approfondi a d'ores et déjà été réalisé pour renforcer la fiabilité de l'état civil.
Tous les départements ministériels ont, avec mon administration, préparé la départementalisation de Mayotte conformément au pacte du Gouvernement, c'est-à-dire de manière à la fois réaliste et volontariste : réaliste pour mettre en oeuvre cette évolution de manière progressive et adaptée ; volontariste pour que le passage au statut de département se traduise par des changements concrets conformément au souhait de la population et des élus de Mayotte. Par exemple, l'ordonnance du 3 juin 2010 a d'ores et déjà réformé le statut civil de droit local, en garantissant notamment le respect du principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Il vous est d'ailleurs proposé, par le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui, de ratifier cette ordonnance.
C'est dans cet esprit que la liste des ordonnances et leur calendrier de mise en oeuvre ont été définis.
Je veux enfin préciser que, pour tenir compte de la pression migratoire, les textes spécifiques régissant à Mayotte le droit d'entrée et de séjour des étrangers ne seront pas modifiés.
Je me suis rendue à Mayotte au début du mois de juillet pour présenter aux élus ces projets de lois. Cela a permis de répondre à certaines interrogations et d'avancer aujourd'hui en s'appuyant sur un avis positif et unanime du Conseil général. Je serai de nouveau à Mayotte à la fin de cette semaine pour poursuivre le dialogue et le travail avec les Mahorais.
Au fur et à mesure que l'échéance se rapproche, les élus et les partenaires sociaux de Mayotte souhaitent une accélération du calendrier.
Celui-ci et les modalités du passage au département ont fait l'objet d'un travail de réflexion et de préparation qui s'est traduit par l'élaboration du pacte pour la départementalisation de Mayotte, qui a été diffusé à l'ensemble de la population avant la consultation de mars 2009. Cette évolution est équilibrée, entre le développement de l'économie et le rôle de la puissance publique pour protéger et aider les plus fragiles, pour favoriser la formation et aider à la recherche d'un emploi. Nous souhaitons respecter cet équilibre, sans prendre de retard, mais sans céder pour autant à une quelconque précipitation. Le Gouvernement tient ainsi les engagements pris à l'égard des Mahorais, en mettant en oeuvre la départementalisation de Mayotte de manière progressive et adaptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les deux textes dont notre Assemblée est aujourd'hui saisie représentent l'aboutissement d'un processus amorcé depuis plus de cinquante années durant lesquelles les Mahorais ont affirmé, à plusieurs reprises, leur volonté de rester français.
Pourtant, le retard de développement est longtemps apparu comme un frein à l'intégration dans le droit commun de la République.
Cette adhésion s'est exprimée de manière plus éclatante encore dans le résultat, quasiment digne d'un plébiscite, de la consultation du 29 mars 2009. La transformation de la collectivité d'outre-mer de Mayotte en collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région d'outre-mer a recueilli 95,2 % des suffrages avec une participation supérieure à 60 % des électeurs inscrits.
Tirant les enseignements de ce scrutin, la loi organique du 3 août 2009 a d'ores et déjà posé le principe de la transformation de Mayotte en département d'outre-mer à l'occasion du prochain renouvellement du conseil général en mars 2011.
Nos compatriotes de Mayotte voient dans la France une promesse d'émancipation, de sécurité et de développement.
Si le rattrapage amorcé a été conduit grâce à un effort particulier de la Nation envers Mayotte, il convient aussi de souligner que les Mahorais ont dû et su remettre en question leur mode de vie afin d'être en mesure de s'intégrer dans la communauté nationale : la révision de l'état civil engagée en 2000 va permettre à chaque Mahorais de disposer d'un prénom et d'un nom patronymique ; depuis la loi de programme pour l'outre-mer de 2003, la polygamie a été progressivement supprimée et les mariages polygames ont été définitivement bannis par 1'ordonnance du 3 juin 2010, dont la ratification est prévue par l'article 28 du projet de loi ordinaire ; les cadis, qui, encore en 2000, géraient l'état civil et rendaient la justice dans les matières relevant du statut personnel, ont vu leur rôle réduit à la seule médiation sociale par cette même ordonnance.
Il ne faut cependant pas nier que des problèmes subsistent : la révision de l'état civil n'est, à ce jour, pas achevée ; les défis à relever dans le domaine de l'éducation demeurent considérables, car trois élèves sur quatre entrant en classe de sixième ne maîtrisent pas le français ; l'affirmation de l'égalité homme-femme ne suffit pas à revaloriser la place de la femme, encore largement tributaire des traditions.
Les deux projets de loi dont nous allons débattre cet après-midi ont été élaborés par le Gouvernement afin de déterminer, dans le prolongement de la loi organique du 3 août 2009, les conditions du passage de Mayotte du statut de collectivité régie par l'article 74 de la Constitution à celui de département régi par l'article 73, et donc soumis au régime de l'identité législative.
Ils ont été adoptés par le Sénat à l'unanimité, le 22 octobre dernier, à l'initiative de la commission des lois de la Haute assemblée et de son rapporteur Christian Cointat. Le Sénat a apporté quelques modifications aux textes, mais il n'en a pas modifié les grands équilibres. J'y reviendrai.
La commission des lois de notre assemblée a, quant à elle, adopté à l'unanimité les deux projets de loi le 17 novembre dernier. Je rappelle, d'ailleurs, que notre commission a pu activement participer au processus de transformation institutionnelle de Mayotte, tant au travers de l'examen des différents textes marquant l'évolution statutaire de l'archipel que grâce à plusieurs missions d'information, dont celle sur les perspectives de la départementalisation de Mayotte, présidée par René Dosière et dont j'étais rapporteur en février 2009.
Permettez-moi maintenant de revenir brièvement, après Mme la ministre, sur les trois principaux objets des deux textes.
Premièrement, les deux projets visent à définir les modalités de fonctionnement des nouvelles institutions de Mayotte.
Le Département de Mayotte, avec un « D » majuscule selon la dénomination proposée lors de la consultation et reprise dans les projets de loi organique et ordinaire, exercera les compétences dévolues aux départements d'outre-mer et aux régions d'outre-mer. Ainsi, Mayotte deviendra la première collectivité à expérimenter les dispositions institutionnelles d'une collectivité territoriale ultramarine unique, prévues par le septième alinéa de l'article 73 de la Constitution, mais elle devrait être prochainement suivie de la Guyane et de la Martinique qui se sont prononcées en ce sens lors des consultations des 10 et 24 janvier 2010.
Elle sera administrée par un conseil général dirigé par un président qui exerceront les prérogatives prévues par le droit commun. Cette évolution aura peu de conséquences sur le mode de désignation des conseillers généraux mahorais qui étaient, déjà auparavant, élus selon le mode de scrutin uninominal à deux tours, applicable aux conseils généraux.
Comme le prévoyait la loi organique du 3 août 2009, ce statut entrera en vigueur à partir de la première réunion du conseil général, à l'issue de son renouvellement prévu en mars 2011. Le mandat des conseillers généraux, élus en mars 2011, expirera en mars 2014, afin de coïncider avec la date du renouvellement général des conseils généraux et régionaux.
Le projet de loi initial prévoyait la fusion des deux conseils consultatifs locaux, le conseil économique et social, ainsi que le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement, pour rationaliser et simplifier leur rôle. Cependant, la commission des lois du Sénat a souhaité appliquer strictement dans l'ensemble des départements et régions d'outre-mer, le droit commun qui prévoit l'existence de deux conseils distincts. L'examen des futurs statuts des collectivités uniques outre-mer sera cependant l'occasion d'envisager une telle simplification administrative.
Dans un deuxième temps, le projet de loi ordinaire organise les règles d'applicabilité des lois à Mayotte afin de passer au régime de l'identité législative. Il prévoit une application à Mayotte du droit commun de la République à la fois progressive et adaptée aux contraintes particulières de l'archipel dans tous les domaines de la législation.
Le projet de loi procède à l'application à Mayotte des dispositions de droit commun dans un certain nombre de domaines. Il renvoie à des ordonnances le soin d'étendre l'application de nombreuses législations et de les adapter aux caractéristiques et contraintes particulières de l'archipel. Ces ordonnances devront être prises dans un délai de dix-huit mois, dans des domaines aussi variés que la législation du travail, du logement ou de l'action sociale, ce qui conduira à supprimer des législations locales.
Le projet de loi fixe le 1er janvier 2014 comme date ultime de passage au régime fiscal et douanier de droit commun.
S'agissant des prestations sociales départementales, et pour celles qui n'existent pas à ce jour à Mayotte, il est prévu que les ordonnances mettent initialement en place les prestations à un niveau inférieur à celui de la métropole et organisent leur montée en charge progressive sur une durée de vingt à vingt-cinq ans, comme pour les cotisations de sécurité sociale.
En troisième lieu, le projet de loi organise l'accompagnement de l'entrée de Mayotte dans le droit commun.
Celle-ci induisant des transferts ou des créations de compétences pour la nouvelle collectivité, il est institué un comité local pour l'évaluation des charges, qui sera invité à se prononcer sur les transferts de charges.
L'actuel fonds mahorais de développement est en outre remplacé par un fonds mahorais de développement économique, social et culturel, destiné à soutenir des projets – publics ou privés – pour le développement des secteurs économiques créateurs d'emplois, des structures d'accueil et d'hébergement et des actions dans les domaines sociaux et de la solidarité, du logement social et pour la résorption de l'habitat insalubre. La mise en place du fonds, initialement prévue au plus tard le 31 décembre 2013 a été anticipée par le Sénat au 31 décembre 2011, ce qui est conforme aux intentions gouvernementales – je fais référence à l'abondement de 10 millions d'euros prévu dès le projet de loi de finances pour 2011 en cours d'examen.
À ce sujet, notre commission des lois – notamment MM. Aly, Lesterlin et Dosière – s'est interrogée sur la pertinence de la date du 31 décembre 2011, qui risque de faire de 2011 une « année blanche ». C'est pourquoi nous souhaitons que le Gouvernement prenne l'engagement de transférer les crédits ainsi prévus au fonds de développement existant.
Le Sénat, pour rapprocher davantage encore l'archipel du droit commun des DOM, a souhaité étendre à Mayotte l'application de l'octroi de mer au plus tôt à compter du 1er janvier 2014, sous réserve de l'accession de Mayotte au statut de région ultrapériphérique de l'Union européenne – RUP.
L'accession à ce statut et l'accès aux fonds structurels européens font partie du pacte pour la départementalisation. Ils feront l'objet d'une demande officielle, puis d'une négociation avec la Commission européenne en 2011.
Cependant, cette accession au statut de RUP étant soumise à un vote à l'unanimité du Conseil, je serai moins optimiste que le Gouvernement sur le calendrier et l'aboutissement de cette démarche. En effet, certains de nos partenaires européens ont, dans le passé,…
….soutenu dans les enceintes internationales les arguments de l'Union des Comores qui revendique toujours Mayotte.
Enfin, outre les dispositions propres à Mayotte, les deux projets comportent diverses dispositions relatives aux collectivités d'outre-mer ou aux départements et régions d'outre-mer. Pas moins de seize ordonnances seront ratifiées, dont trois spécifiques à Mayotte, relatives respectivement à la protection sanitaire et sociale, au service public de l'emploi et de la formation professionnelle et à la modernisation du statut civil de droit local.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit la première utilisation des dispositions statutaires permettant à certaines collectivités – la Polynésie française et Saint-Barthélemy – de demander au législateur de valider des sanctions pénales instituées par elles, sanctions qui ne doivent pas excéder les peines maximales prévues par les lois nationales pour les infractions de même nature.
Mes chers collègues, ces deux projets de loi correspondent à la mise en application d'une volonté cinquantenaire de rapprochement de Mayotte avec la métropole et d'un engagement de l'État à mettre en oeuvre un plan de rattrapage pour ce territoire qui désire ardemment rester français, et même plus, être considéré comme appartenant de plein droit à la communauté nationale.
Compte tenu des délais de publication du décret de convocation des électeurs, ces deux lois devront être promulguées ayant la fin de l'année civile. C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter ces projets de loi ordinaire et organique sans modification et conformément aux textes votés par le Sénat, afin de permettre la mise en place, dès mars 2011, de notre 101e département, auquel nous souhaitons tous belle et longue vie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Très bien !
(Mme Catherine Vautrin remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, aujourd'hui, alors que nous sommes réunis pour adopter deux textes qui feront de Mayotte le 101e département français, il convient de garder à l'esprit le contexte international et interne dans lequel les Mahorais se sont prononcés en faveur de la départementalisation.
Comme je l'avais exposé dans mon intervention précédant le référendum du 29 mars 2009, le « cas Mahorais » empoisonne les relations franco-comoriennes depuis le 12 novembre 1975, date à laquelle les organisations internationales, l'Union Africaine, la Ligue Arabe et – excusez du peu – l'Organisation des Nations unies ont reconnu l'indépendance des Comores, dans le respect de l'intégrité territoriale de l'archipel. Depuis, le droit international dénonce régulièrement la présence de la France dans l'île comorienne de Mayotte, notamment l'ONU qui l'a condamnée plus de vingt fois.
À Mayotte, la départementalisation est présentée depuis des générations comme la seule voie du développement et la France a entretenu un grand déséquilibre économique avec l'archipel, au détriment du développement de cette région pour justifier sa présence. Or cette présence a été, en soi, un facteur de déstabilisation de l'archipel comorien qui subit une crise politique et institutionnelle. Associations et élus n'ont cessé de dénoncer le comportement de la France envers les Mahorais : « On leur fait miroiter des aides. Mais ils auront en fait des sous-produits des droits sociaux », analyse Odile Biyidi, présidente de l'association Survie, qui ajoute : « Si la France aidait l'ensemble des Comores, il n'y aurait pas de préférence à rester Français. »
Dans ce contexte, avec la départementalisation, la France prend le risque de perdre en légitimité internationale.
L'objectif parallèle à la départementalisation de Mayotte est son accession au statut européen de région ultrapériphérique – le rapporteure a abordé la question dans son intervention – qui lui permettrait d'être éligible aux fonds structurels européens : au fonds social européen – le FSE – et surtout au fonds européen de développement régional – le FEDER. Or, l'accession de Mayotte au statut de RUP, dans le contexte international que je viens de dépeindre, n'est certainement pas une simple formalité. Il faut rappeler que cela suppose l'accord unanime des États membres de l'Union européenne – art. 355, alinéa 6, du traité –, lesquels ont presque tous voté les vingt résolutions de l'ONU reconnaissant Mayotte comme comorienne, et condamnant fermement la France depuis 1975. Les difficultés résultant du contentieux territorial international entre la France et les Comores à propos de la souveraineté sur Mayotte sont réelles et notre pays ne doit pas persévérer dans son passage en force.
S'agissant des conséquences économiques et sociales de la départementalisation, je suis également inquiet. Les textes qui nous sont soumis déterminent les conditions du passage de Mayotte dans le régime de l'identité législative. Ce principe d'identité législative signifie l'application du droit commun de la République, cela a été rappelé dans l'exposé général du rapport du sénateur Christian Cointat, ainsi que par Mme la ministre, et devrait permettre d'appliquer l'égalité des droits sur les sols métropolitains et mahorais. Mais les textes présentés organisent plutôt « un régime d'identité législative adaptée » – je cite ici le rapport – qui entretient à Mayotte une législation et des pratiques très différentes de celles existant en métropole et dans les DOM. Ainsi, les projets de loi que vous nous présentez n'abolissent aucunement la législation et les pratiques d'exception dont sont victimes aussi bien les Mahorais en certains domaines – en particulier les droits et minima sociaux – que les migrants. La départementalisation ne signifie pas l'égalité de droit pour les Mahorais, loin s'en faut.
S'agissant du renforcement de la protection sociale, le pacte pour la départementalisation de Mayotte est très clair. Je cite : « Nous considérons qu'il n'est ni possible ni souhaitable de verser immédiatement les prestations sociales au même taux qu'en métropole ou dans les DOM ». À l'heure actuelle, seuls deux des huit minima sociaux français sont applicables à Mayotte — adultes handicapés et personnes âgées — mais à un niveau inférieur à celui de la métropole et des DOM, comme l'a indiqué Mme la ministre.
En 2010, les allocations familiales, l'allocation spéciale pour les personnes âgées et l'allocation pour adultes handicapés devraient être augmentées. Le RSA, l'allocation de logement social, l'allocation parent isolé, l'allocation de solidarité spécifique seraient mis en place en 2012, mais à un niveau représentant le quart de leur montant en métropole. Elles devraient augmenter progressivement, pour atteindre le niveau de la métropole seulement dans vingt ou vingt-cinq ans.
Le bénéfice des assurances sociales – maladie, retraite, famille, accidents du travail et chômage – lié aux cotisations qui sont prélevées sur les salaires et les revenus, est très inférieur à la règle applicable en métropole et dans les DOM.
Les conséquences sont désastreuses, sur la santé, par exemple : près d'un tiers de la population vivant à Mayotte est privé de toute protection maladie et, à l'exception de très rares situations d'urgence, de tout accès aux soins. Pour les étrangers en situation irrégulière, le droit à la santé est tout bonnement bafoué : dans sa délibération n° 2010-87 du 1er mars 2010, la HALDE dénonce les discriminations et les atteintes graves au droit à la santé à Mayotte. Elle conclut au bien-fondé des affirmations de discrimination dans « l'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière et de leurs enfants ainsi que des mineurs étrangers isolés, résidant à Mayotte ».
Au-delà de l'accès aux soins, et de manière plus globale, la politique française à Mayotte envers les étrangers en situation irrégulière est scandaleuse. Cela étant, être étranger en situation irrégulière à Mayotte, c'est simplement être comorien sur une des quatre îles des Comores…
En disloquant l'archipel, dont les îles ne sont séparées que par quelques dizaines de kilomètres chacune, l'État français a créé « un monstre migratoire difficilement gérable », selon l'expression du journaliste Rémi Carayol.
Depuis 1994 et l'instauration du visa Balladur, les soixante-dix kilomètres qui séparent les deux îles sont devenus l'un des principaux cimetières marins au monde, avec près de sept mille morts déjà comptabilisés.
Aujourd'hui, environ un tiers des Mahorais sont des clandestins venus du très pauvre archipel voisin des Comores. Tous les ans, 20 000 clandestins sont expulsés de Mayotte, soit autant que de toute la métropole.
Pourtant, selon des données issues d'une enquête sanitaire menée en 2007, près de la moitié des sans-papiers vivent à Mayotte depuis plus de dix ans.« Beaucoup y ont passé leur scolarité et y ont fondé leur famille », remarque Mme Flore Adrien, présidente de la Cimade Mayotte. « De très nombreuses personnes pourraient prétendre à une régularisation, mais la préfecture est devenue une machine à fabriquer des clandestins. »
Des rafles gigantesques sont régulièrement organisées pour expulser ces indésirables, dans des conditions de violence inouïe. Selon l'association Survie, les maisons de ces « clandestins » sont régulièrement incendiées avec la bénédiction des maires, du préfet et sous la protection de la gendarmerie. Les victimes sont entassées dans des centres de rétention en attendant leur déportation vers les autres îles. Cette politique française de l'immigration s'accompagne d'un encouragement à la délation qui rappelle les pires heures de notre histoire.
Eh oui ! Les autorités demandent, en effet, la collaboration des citoyens. Ainsi le préfet Denis Robin estime-t-il que « l'efficacité [de la politique actuelle] ne peut reposer uniquement sur l'État » et en appelle au « civisme » des Mahorais, en affirmant : « Les Mahorais doivent apporter leur concours à cette politique par une attitude civique et responsable. » Cela ne vous rappelle-t-il rien ? De tels propos sont dangereux, ils encouragent la chasse aux non-Mahorais et ne peuvent qu'accroître la xénophobie.
En 2008, un comité de la société civile mahoraise s'est ainsi publiquement engagé à collaborer avec les autorités, prônant la délation jusque dans les hôpitaux. Dans ce contexte, l'optimisme quant aux évolutions que pourrait engendrer la départementalisation n'est pas de mise. Un magistrat en poste depuis plusieurs années à Mayotte s'exprime ainsi : « La situation me semble ingérable » et « La départementalisation va peut-être régler un certain nombre de problèmes matériels pour les Mahorais… » – la ministre l'a évoqué – «… mais elle va en créer d'autres bien plus graves. »
Peu importe les conséquences humaines dramatiques, votre gouvernement persiste et signe : le pacte pour la départementalisation énonce que «… les règles de droit de l'entrée, de l'éloignement et du séjour sur le territoire national, spécifiques à Mayotte, ne sauraient être affectées par la départementalisation » ; il ajoute que « le nombre de personnes reconduites traduit bien l'ampleur de l'effort réalisé par l'État. Cette politique sera poursuivie. » Il n'est pas concevable d'envisager un avenir harmonieux dans l'archipel des Comores si la France poursuit dans cette voie. Tant que les contrôles de police institués par les autorités françaises continueront à empêcher la libre circulation des Comoriens dans leurs propres îles et que l'énorme différence de développement économique entre Mayotte et les autres entités de la région sera maintenue artificiellement par la France, nous aurons à déplorer d'autres drames humains.
Je ne peux, enfin, pas résister à la tentation d'ajouter une observation, madame la ministre.
Vous arrivez presque au terme de votre temps de parole, mon cher collègue !
Vous prétendez que les Mahorais ont choisi, alors qu'il a été demandé aux Comoriens de voter une partie de l'abandon de leur territoire. Vous parlez donc de référendum d'autodétermination pour le peuple mahorais. L'ONU a également proposé que le peuple sahraoui, dont le territoire est occupé par le Maroc, se prononce dans le cadre d'un référendum d'autodétermination. Votre gouvernement est intervenu lors d'une réunion de l'ONU pour faire en sorte que cela ne se fasse pas. Il y a donc deux poids deux mesures. Quand cela arrange la France, on parle de droit à l'autodétermination du peuple concerné et quand tel n'est pas le cas, c'est le non-respect du droit à l'autodétermination !
Vous l'aurez, ainsi, compris, notre groupe votera contre ces textes mettant en oeuvre la création du département de Mayotte.
Je trouve déplorable, moi qui suis maire de Drancy, d'entendre parler à cette tribune de déportation, de rafle, quand on évoque les événements de Mayotte ! Vous comparez cela, monsieur Lecoq, à ce que les nazis ont fait subir aux juifs et à d'autres dans notre pays et dans toute l'Europe ; vous semblez considérer que ce qui s'est passé dans les années quarante n'a pas été si terrible que cela ! La situation est, certes, extrêmement difficile à Mayotte. Nous nous y sommes rendus avec Didier Quentin, René Dosière et quelques autres à plusieurs reprises et avons pu voir les centres de rétention et constater les conditions d'éloignement. Mais vous êtes, pour ce qui vous concerne, dans le déni de l'histoire et vous affaiblissez notre devoir de nous préserver de ce genre de barbarie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Voici près de soixante-cinq ans, le 19 mars 1946, les députés de la première assemblée constituante adoptaient dans cet hémicycle la proposition de loi tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française. Pour le rapporteur d'alors, qui n'était autre que le député de la Martinique, Aimé Césaire, ce texte marquait l'aboutissement normal d'un processus historique et la conclusion logique d'une doctrine : soustraire de l'arbitraire et du droit de l'exception ce qu'on appelait alors les quatre vieilles colonies pour les mettre enfin sur un pied d'égalité avec la métropole et les reconnaître comme des membres à part entière de la communauté nationale.
En marge de cette évolution, l'île de Mayotte, française depuis le traité de cession de 1841, accédait pour sa part, et avec elle l'ensemble de l'archipel des Comores au statut de territoire d'outre-mer. Au moment où nous franchissons, avec l'examen de ces deux projets de loi, l'ultime étape juridique la séparant de son accession définitive au rang de département français, on peut tracer des parallèles sur de nombreux points entre le débat d'aujourd'hui et celui qu'avaient en 1946 nos prédécesseurs. Comme en 1946, il s'agit aujourd'hui pour la République de faire droit à une demande ancienne des Mahorais. Si la départementalisation des Antilles, revendiquée par certains, dès l'abolition définitive de l'esclavage, a attendu près d'un siècle, plus de cinquante années se sont écoulées à Mayotte depuis le 2 novembre 1958, date à laquelle l'assemblée des notables réunie à Tsoundzou formalisa pour la première fois la volonté des Mahorais de voir leur île érigée en département.
Comme en 1946, il s'agit pour nous aujourd'hui de reconnaître dans la loi la prégnance et la force de l'attachement d'une collectivité à la République, que cet attachement se soit manifesté par la loyauté dans la guerre ou par une volonté constamment renouvelée de demeurer français à l'heure de la décolonisation.
Pour autant, là où les députés de la première constituante ont eu, en 1946, à surmonter les réticences du Gouvernement provisoire, et notamment celles du ministre de la France d'outre-mer, quant aux implications financières de la départementalisation, il ne s'agit, pour nous, que de poser l'une des dernières pierres d'un chantier ouvert depuis dix ans avec la signature en 2000 de l'accord sur l'avenir de Mayotte, la consultation de la population qui s'en est suivie, la loi du 11 juillet 2001 conférant à Mayotte le statut de collectivité départementale, puis, en 2004, le transfert, du préfet vers le président du conseil général, du pouvoir exécutif de la collectivité. Consultés à nouveau le 29 mars 2009, nos concitoyens mahorais ont choisi, à plus de 95 %, de faire de Mayotte le 101e département français. Tirant les conséquences de cette consultation, la loi organique du 3 août 2009 est venue fixer le principe de la transformation de la collectivité en département à compter de la première réunion suivant le renouvellement du conseil général en mars prochain.
Ce principe étant d'ores et déjà posé, les deux textes dont nous discutons aujourd'hui se bornent à organiser les conditions dans lesquelles Mayotte quittera le champ de l'article 74 de la Constitution, qui permet des régimes juridiques dérogatoires, pour entrer dans celui de l'article 73 placé, quant à lui, sous le régime de l'identité législative adaptée, c'est-à-dire de l'application du droit commun, sous réserve des adaptations rendues nécessaires par les caractéristiques et les contraintes locales. Pour autant, et afin de ne pas dynamiter les équilibres socio-économiques de l'île, la logique retenue, ainsi que l'annonçait le pacte pour la départementalisation adressé aux Mahorais en préalable à la consultation de mars 2009, reste celle d'une départementalisation graduelle et progressive. On peut le regretter, mais, pour ma part, je m'en réjouis, car je pense qu'une départementalisation immédiate serait totalement insupportable pour les Mahorais et pour ceux qui vivent sur l'île, même clandestinement.
Nous irons cheminant, mais nous répondrons au but poursuivi par les Mahorais. À ce titre et sur bien des points, les bouleversements de taille seront peu nombreux dans la mesure où certains rapprochements avec le droit commun ont d'ores et déjà été entrepris et où d'autres, tels que la mise en place d'une véritable fiscalité locale, n'interviendront que d'ici à quatre ans. Ainsi les Mahorais ont-ils d'ores et déjà consenti à plusieurs évolutions rappelées par notre rapporteur qui, bien qu'indispensables, n'en ont pas moins impliqué de lourdes transformations de leur vie quotidienne : l'état civil avec la fixation de leur identité sous forme de nom et prénom, le recentrage des cadis sur leurs activités de médiation sociale ou encore la modernisation du statut civil de droit local avec l'interdiction, pour l'avenir, de toute union polygame – le parlementaire qui a fait voter cette loi sous la précédente mandature se trouve aujourd'hui dans les tribunes de cet hémicycle – et, plus largement, la marche vers l'égalité entre hommes et femmes dans une société qui reste marquée par les traditions du droit coranique. Pour autant, c'est une évidence, beaucoup reste encore à faire. La France a pris, en effet, énormément de retard à Mayotte, si l'on compare cette île avec tous les autres territoires d'outre-mer. Chacun aura, bien sûr, à l'esprit le phénomène de l'immigration irrégulière à Mayotte, d'une ampleur telle qu'on y estime, à l'heure actuelle, le nombre de clandestins à un tiers de la population de l'archipel. À ce titre, l'accession de l'île au statut de département, en ce qu'elle pose le risque d'un véritable appel d'air migratoire implique, au-delà de la question des moyens affectés à la police aux frontières, d'achever le plus rapidement possible les travaux de la commission de révision de l'état civil mise en place en 2000 et qui n'a, depuis, cessé de nous donner le sentiment de s'enliser face à l'ampleur de la tâche. Plus largement – je sais que vous n'êtes pas ministre de la coopération, mais je pense qu'une totale coordination des politiques sera indispensable dans ce futur département – cela impose également de dépasser enfin le contentieux territorial qui nous oppose depuis 1974 à l'Union des Comores pour mener avec cet État une véritable politique de coopération,…
…de l'aider dans la construction sur place d'infrastructures sanitaires dignes de ce nom, de telle sorte qu'une Anjouanaise enceinte de huit mois n'en soit plus réduite à risquer la mort en traversant le bras de mer qui sépare Anjouan de Mamoudzou dans le seul espoir d'accoucher à l'hôpital de Mamoudzou.
Madame la ministre, mes chers collègues, je suis convaincu, depuis la mission que nous avons effectuée ensemble à Mayotte, qu'il coûterait bien moins cher à la France de mener cette politique de coopération, de financer la formation des Comoriens aux pratiques médicales, plutôt que de le faire à l'hôpital de Mamoudzou.
Ne dites pas « enfin », mon cher collègue, car j'ai toujours tenu de tels propos !
De la même manière, les Comores, qui forment, chaque année, près de 1 000 bacheliers – un des appels d'air qui implique aujourd'hui l'immigration clandestine –, pourraient voir leur système éducatif financé par la France. C'est en coopérant avec les Comores que nous trouverons, en réalité, une solution aux difficultés de l'île de Mayotte.
L'attente de nos concitoyens mahorais est aujourd'hui des plus fortes, mais près de soixante-cinq ans après la loi de 1946, il nous faut sans doute reconnaître que la départementalisation – et vous en savez quelque chose, madame la ministre – n'a pas toujours été sans désillusions et la violente crise sociale qui marqué l'hiver 2008 dans les départements français d'Amérique ainsi qu'à la Réunion est là, du reste, pour nous le rappeler.
La départementalisation de Mayotte n'est pas qu'une opération juridique et ces deux textes, en eux-mêmes, ne feront pas tout. Pour réussir et trouver dans les faits sa pleine traduction, la départementalisation nécessitera l'adhésion et le concours de l'ensemble des composantes de la société mahoraise. Elle nécessitera aussi que l'État continue à prendre toute sa part dans ce chantier, c'est le cas notamment du développement des infrastructures scolaires et du logement social entre autres.
Plus encore, ce débat doit être pour nous l'occasion de le rappeler : l'existence de ces collectivités d'outre-mer, leur appartenance et leur participation à la République, n'ont de sens véritable que lorsque les notions de continuité territoriale et de solidarité nationale y jouent pleinement leur rôle. En la matière, cependant, l'équité de traitement avec nos concitoyens reste malheureusement bien loin d'être acquise, qu'il s'agisse de l'ensemble de l'outre-mer ou des relations entre l'île de Mayotte et la Réunion, par exemple.
Mes chers collègues, par le passé, les parlementaires UDF – je pense, notamment, à Henry Jean-Baptiste qui fut longtemps député de Mayotte – ont toujours demandé cette départementalisation. Les centristes l'ont, dans leur ensemble, toujours exigée, accompagnant ainsi les voeux de la population. Le groupe Nouveau Centre apportera donc son soutien à ces deux textes en ce qu'ils permettent, enfin, la juste reconnaissance du lien qui unit nos concitoyens mahorais à la République. Les élections cantonales de mars prochain verront ainsi la communauté nationale s'enrichir d'un 101e département. C'est là, à l'instar de 1946, l'aboutissement logique d'un processus historique et, à bien des égards, il n'était que temps, l'aboutissement juridique. Il reste maintenant à parfaire l'aboutissement social et économique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Quel destin, quel étrange destin, quel émouvant destin que celui de Mayotte ! Rien ne destinait cette île à devenir française et moins encore à résister au grand vent de la décolonisation, moins encore à devenir un département français. Pourtant, c'est bien cela qui est en train de se produire. Ce n'est pas l'effet d'un coup de tête, c'est tout le contraire, c'est l'aboutissement d'un long cheminement, c'est l'expression d'une volonté locale constamment réaffirmée avec la même conviction, avec la même énergie, depuis le début de la Ve République, donc, depuis plus d'un demi-siècle.
Pourquoi y a-t-il eu cette volonté, cette conviction, cette énergie ? Parce que Mayotte a toujours été menacée et a souvent été dominée par ses turbulents voisins, parce que la France est toujours apparue comme la puissance protectrice.
Protectrice contre les razzias organisées pendant des siècles à partir de l'archipel des sultans batailleurs. Ce sont les Mahorais eux-mêmes qui se sont placés sous la protection de la France en 1841.
Protectrice contre les grandes familles féodales locales. C'est la France qui a aboli l'esclavage à Mayotte dès 1846, deux ans avant l'avènement de la Seconde République et avant les décrets Schoelcher.
Protectrice contre la domination des trois autres îles des Comores à partir de la constitution des quatre îles en territoire d'outre-mer en 1946. N'oublions pas qu'à cette époque, l'instauration d'un régime d'autonomie interne, le régime de la loi-cadre Defferre, avait entraîné le transfert de la capitale de Dzaoudzi à Moroni, ce qui avait plongé Mayotte dans l'oubli le plus total.
Oubliée, Mayotte était également délaissée. Lorsque l'indépendance des Comores se profilait au début des années 70, Mayotte était dans un état de sous-équipement dramatique : pas d'eau potable, pas de réseau d'électricité, peu de routes, pratiquement aucun service public, un état sanitaire et éducatif déplorable.
Bien que le régime d'autonomie interne ait confié l'essentiel des compétences dans ces domaines au gouvernement de Moroni, la France avait, dans cet état de délabrement où se trouvait une partie de son territoire, une responsabilité écrasante. C'est la première de nos dettes à l'égard de Mayotte.
La seconde est plus récente. Elle remonte à la période de l'indépendance. Disons-le clairement, dans son immense majorité, la classe politique française ne souhaitait pas que Mayotte reste dans le giron national. À gauche, on voulait en finir avec la période coloniale. À droite, on tenait à réussir l'indépendance des Comores avant d'engager celle de Djibouti. À gauche comme à droite, on partageait le souci de ne pas heurter l'Organisation de l'unité africaine et le comité de décolonisation de l'ONU, qui s'étaient toujours montrés particulièrement attachés, lors de l'accession d'un territoire à l'indépendance, au strict respect du principe de l'intangibilité des frontières.
Et puis, quel crédit pouvait-on accorder à ce petit bout de territoire si éloigné, si isolé, si pauvre, qui prétendait aller tout seul à l'encontre du vent dominant qui soufflait sur l'ensemble de la planète dans le sens de toujours plus d'autonomie.
De ces deux dettes, nous sommes en train de nous acquitter aujourd'hui. Comment ne pas saluer le courage et la persévérance du peuple mahorais qui, contre vents et marées, n'a jamais changé de cap ?
Comment ne pas nous souvenir de cette voix qui s'était élevée de cette tribune le 25 juin 1975 pour rappeler que la France était la patrie des droits de l'homme et qu'il serait inconcevable qu'elle fasse à Mayotte un tragique contresens. Cette voix était celle de Pierre Messmer, qui terminait son intervention par ces deux phrases : « Je suis résolument favorable à l'indépendance des Comores », « Je ne suis pas prêt à payer l'indépendance des Comores au prix de la liberté des Mahorais.
Pour autant, il ne suffit pas d'accorder le statut départemental à Mayotte ; il faut réussir la départementalisation car, si elle est longtemps apparue aux Mahorais comme une fin en soi, elle doit désormais devenir un moyen au service d'un projet. Quel projet ? À nous, tous ensemble, avec les Mahorais, de le définir. Il faut avoir une ambition ; il faut avoir les moyens de cette ambition. Quelle ambition ?
Chacun sait que le modèle français a ses forces et ses faiblesses. On le voit en métropole, on le mesure mieux encore dans nos départements d'outre-mer. Ce modèle est socialement généreux, mais il est économiquement fragile. Dans les départements d'outre-mer, l'extension des règles nationales a eu des effets contrastés. Elle s'est traduite par une augmentation des salaires, un renforcement des solidarités institutionnelles et une amélioration du pouvoir d'achat, mais elle a par ailleurs entraîné une baisse des activités productives locales, une forte augmentation du chômage et une remise en cause des solidarités traditionnelles.
Désormais, la priorité à Mayotte n'est plus institutionnelle, mais faut-il qu'elle soit économique ou sociale ? Il y a là un choix fondamental que nous ne pouvons pas éluder et sur lequel nous ne devons pas nous tromper. Nos lois sont le fruit d'une longue histoire. Elles ne pourront pas être toutes transposées à Mayotte d'un jour à l'autre ; elles ne pourront l'être qu'au rythme des transformations des esprits, de la société et de l'économie, et je ne peux à cet égard que me féliciter que ces contraintes soient clairement prises en compte dans le pacte pour la départementalisation.
Quels sont les moyens au service de cette ambition ? Ce sont bien entendu pour partie ceux de la solidarité nationale. Les besoins sont immenses, cela a été rappelé tout à l'heure, et les efforts de l'État devront être en proportion, mais il importera de mobiliser aussi tous les moyens qui résulteront du développement des richesses locales. Il est clair qu'aucune collectivité ne peut distribuer plus qu'elle ne produit et que toute politique de solidarité suppose d'abord une action économique vigoureuse.
J'approuve pleinement la décision du Gouvernement d'étendre les législations nationales par voie d'ordonnances – les débats parlementaires seraient assurément trop longs – et je salue son engagement de veiller à ce que les extensions soient conduites de manière progressive et adaptée. De grâce, ne faisons pas ployer la jeune économie mahoraise sous le poids des réglementations qui freinent l'expansion d'économies pourtant bien plus solides !
À ce stade de notre débat, je ne saurais trop vous recommander, madame la ministre, que l'ordre dans lequel interviendront les ordonnances et le rythme de leur mise en oeuvre tiennent le plus juste compte de la fragilité de l'économie et de la société locales, que ceux qui tiendront la plume soient audacieux en matière de simplification administrative et d'allégement des normes, et qu'à chaque pas que nous ferons en avant, la préoccupation essentielle soit de favoriser l'initiative locale et l'émergence d'une culture d'entreprise.
Nous n'avons pas le droit de décevoir les Mahorais. Nous avons le devoir de réussir avec eux la départementalisation. Il n'y a pas de succès sans effort partagé, équitablement partagé. Soyons ambitieux et montrons qu'il est possible d'être à la fois réaliste et généreux. Mayotte, assurément, le mérite. Au nom du groupe UMP de l'Assemblée nationale, je lui souhaite la bienvenue au sein de la grande famille des départements de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Mayotte va enfin devenir un département en mars 2011. C'est l'aboutissement d'une revendication qui a plus de cinquante ans et qui était d'ailleurs devenue un mythe, comme le rappelle avec beaucoup de précision, dans un ouvrage excellent, Philippe Boisadam, qui est un bon connaisseur de Mayotte puisqu'il en fut le préfet.
C'est l'aboutissement aussi d'un processus lancé en 2000 par Lionel Jospin et Jean-Jack Queyranne, redevenu notre collègue. C'est d'ailleurs bien pourquoi, en cohérence avec leur attitude, le groupe SRC votera les deux textes qui sont présentés.
Si la réponse institutionnelle est claire, elle ne résout néanmoins pas tout et, en particulier, elle ne résout pas le type de développement et le type de société qui sont souhaités pour Mayotte, car le changement qui s'annonce est si profond qu'il doit être accepté par la société mahoraise, qu'il doit même être conçu par elle. On ne peut pas changer une société par décret ; il faut que tout vienne des individus eux-mêmes et de leurs suggestions. Cela demande beaucoup de temps, de patience, d'écoute, de dialogue. Il faut aussi que tous les responsables de cette société prennent totalement leurs responsabilités. Or, jusqu'à présent, le mot « départementalisation » était en quelque sorte le bouclier, le mot magique qui empêchait de développer réellement une telle réflexion.
Lors de la dernière consultation, votre directeur de cabinet, madame la ministre, qui était à l'époque préfet de Mayotte, a beaucoup mouillé sa chemise pour essayer d'expliquer le pacte pour la départementalisation, pour aller au-delà de la réponse à la seule question « Voulez-vous que Mayotte soit un département ? », et essayer de faire réfléchir les gens aux conséquences sur la durée. En dépit de tous ces efforts, nous n'avons pas le sentiment que le débat se soit véritablement engagé sur ce thème. Il fallait d'abord que Mayotte soit un département. C'est fait, et il va enfin être possible de parler des véritables sujets.
J'évoquerai simplement trois points principaux, notre excellent rapporteur, Didier Quentin,…
…qui connaît bien la situation de Mayotte, ayant évoqué en détail le contenu des textes.
Le premier point sur lequel nous devons réfléchir en profondeur, et qui est en quelque sorte un préalable à la départementalisation – vous avez parlé, madame la ministre, de prérequis, je pense que c'est même plus –, c'est le problème de l'état civil.
Ceux qui connaissent Mayotte, dont vous faites naturellement partie, madame la ministre – de plus, votre directeur de cabinet lui aussi connaît bien la situation –, savent qu'il y a un véritable problème d'état civil, dont on ne se rend peut-être pas suffisamment compte en métropole. Pendant longtemps, ont coexisté à Mayotte un état civil coranique et l'état civil de droit commun. Ce n'est pas une situation habituelle en France. Par ailleurs, l'état civil a toujours été tenu de manière pour le moins épisodique. Des efforts considérables sont donc nécessaires.
Des efforts sont faits depuis 2000. En dépit des progrès, je ne suis pas sûr qu'ils soient suffisants – le député de Mayotte pourra peut-être nous en dire plus sur ce sujet. Nous devons nous attaquer au problème et nous avons constaté, lors des travaux consacrés à Mayotte, que au niveau du garde des sceaux, en tout cas à Paris, on ne mesurait ni la difficulté ni l'ampleur des tâches. Il vous faudra donc beaucoup de persuasion pour obtenir que des efforts soient faits sur ce point. C'est un problème d'autant plus important qu'il a naturellement des conséquences sur la tenue des listes électorales et leur véracité.
Deuxième point, quel type de développement économique et social souhaitons-nous pour Mayotte ? Chaque année, 4 000 jeunes arrivent sur le marché du travail et 1 000 emplois leur sont offerts. Quel avenir réserve-t-on à cette jeunesse, qui sera d'ailleurs de plus en plus diplômée ? Le secteur public contribue déjà pour près de la moitié à la richesse produite à Mayotte et l'agriculture, qui représentait 65 % des emplois en 1978, n'en représente plus qu'à peine 10 %. Que veut-on pour les Mahorais ? Une société de consommation, financée par les transferts financiers de la métropole, ou une société qui s'organise autour de la création d'emplois endogènes ? La première voie ne peut conduire qu'à une forme de néocolonialisme version Jules Ferry, la seconde permettrait de mobiliser l'ensemble de la population en faveur d'un développement durable et en partie autonome, à l'instar de ce qui se passe par exemple dans l'île Maurice.
Cette question mérite d'autant plus d'être posée que nous nous sommes rendus compte l'année dernière que la situation économique des autres départements ultramarins n'était pas satisfaisante, et nous voyons les impasses auxquelles a pu aboutir un type de développement beaucoup trop fondé sur les transferts financiers à partir de la métropole. C'est une question d'autant plus importante que la société mahoraise est une société musulmane dont les traditions familiales, culturelles, cultuelles doivent être respectées.
La troisième question que je souhaite aborder, et qui est d'ailleurs liée aux deux précédentes, est celle de l'immigration clandestine. Nous en connaissons l'ampleur : un tiers environ de la population mahoraise est clandestine. C'est un peu inévitable, comme l'a souligné Jean-Christophe Lagarde, en raison des disparités économiques existant entre Mayotte et les Comores, en particulier l'île d'Anjouan. Nous ne réglerons pas le problème de l'immigration clandestine par la seule répression. Des efforts considérables ont été déployés dans ce domaine, des efforts coûteux, mais la répression ne suffira pas à régler un problème qui est en train de gangrener, d'une certaine manière, toute la société mahoraise.
J'ajoute, madame la ministre, que l'accès aux aides financières européennes que vous avez évoquées nécessitera sûrement d'adapter le droit des étrangers applicable à Mayotte, car je doute que les spécificités de ce droit soient actuellement conformes aux conventions européennes.
Un effort considérable doit être réalisé. Si nous avons entendu des déclarations intéressantes de la part de certains membres du Gouvernement, nos collègues qui se sont récemment déplacés aux Comores et à Mayotte ont noté – Bernard Lesterlin pourra le confirmer – la disparité considérable des aides financières accordées aux uns et aux autres. Le développement de Mayotte passe par un développement beaucoup plus large dans l'océan Indien. Il nécessite un codéveloppement avec les voisins : les Comores, Madagascar, Maurice et, bien entendu, la Réunion.
Mayotte, cent unième département, mais seul département où la population est à 95 % musulmane : c'est un défi, pour les Mahorais et pour la France, mais c'est une chance pour notre pays de montrer que la République, grâce à la force de sa valeur de laïcité, peut accueillir et faire vivre en son sein un islam pacifique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UMP.)
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 29 mars 2009, les Mahorais ont plébiscité la transformation de Mayotte, collectivité d'outre-mer, en collectivité tenant lieu de département et région d'outre-mer.
Quand on sait qu'il y a moins de quarante ans, en 1976, la question de l'indépendance de Mayotte avait été posée, on comprend à quel point la réponse du 29 mars 2009 est un choix fort, un véritable appel à une plus grande intégration de l'île au sein de la République.
À une prise en compte accrue de leurs spécificités permise par le statut de collectivité d'outre-mer, les Mahorais ont en effet préféré la départementalisation, synonyme d'une association plus étroite avec la métropole. Le député de la Nouvelle-Calédonie que je suis ne peut rester indifférent à ces ultramarins qui crient leur volonté de rester Français, ayant bien compris que c'était leur intérêt.
Cette décision de rester dans notre République révèle bien la part d'effort et, j'oserai même dire, la part de risque inhérentes au statut de collectivité d'outre-mer, et a fortiori à celui de collectivité sui generis propre à la Nouvelle-Calédonie.
C'est toute l'ambivalence des transferts de compétences : volonté des élus locaux d'adapter la réglementation et les services publics aux spécificités de leur collectivité, mais aussi crainte d'un désengagement de l'État, d'un accompagnement insuffisant dans l'exercice de leurs nouvelles compétences.
Il me semble donc important que l'État rappelle que le choix de la différence – différence de statut, différence d'organisation institutionnelle, différence de législation – n'est pas synonyme d'une décision d'éloignement de la République. Dès lors que les compétences régaliennes continuent d'être exercées au niveau étatique, le choix d'un statut spécifique doit se lire comme le signe d'une meilleure prise en compte des spécificités et non comme une prise de distance par rapport à la République. C'est le fameux « être soi-même au sein de la République », développé par le Président Nicolas Sarkozy lors du conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009.
L'État se doit donc de rassurer les collectivités d'outre-mer sur son soutien dans l'élaboration de nouvelles solutions institutionnelles et son accompagnement dans l'exercice des compétences transférées.
Le projet de loi ordinaire qui nous est soumis prévoit la ratification de seize ordonnances, dont l'une retient tout particulièrement mon attention. C'est dans ce contexte que je souhaite évoquer la question de la création d'un établissement public d'incendie et de secours – EPIS – en Nouvelle-Calédonie.
Le 11° de l'article 28 du projet de loi ordinaire relatif à la départementalisation de Mayotte prévoit en effet la ratification de l'ordonnance du 29 octobre 2009 qui crée en Nouvelle-Calédonie un établissement public d'incendie et de secours.
La création de cet établissement public répond à deux objectifs louables : la mutualisation des moyens de lutte contre l'incendie et l'homogénéisation de la couverture des risques collectifs sur l'ensemble de notre collectivité. Ces objectifs sont d'autant plus légitimes que la Nouvelle-Calédonie est une terre vulnérable aux incendies, comme le révèlent les 12 000 hectares brûlés depuis septembre dernier.
Cependant, le dispositif proposé par l'ordonnance du 29 octobre 2009 n'est pas sans poser quelques difficultés. En effet, l'État a choisi de mettre en oeuvre en Nouvelle-Calédonie un établissement public d'incendie et de secours très largement inspiré des services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, existant en métropole.
Pour ce qui concerne le budget de l'EPIS, celui-ci est conditionné par le schéma directeur d'analyse et de couverture des risques et le règlement opérationnel, qui sont tous deux adoptés par le représentant de l'État, c'est-à-dire le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
À l'heure actuelle, le projet de schéma directeur d'analyse, élaboré par le service de la sécurité civile, fait état de la nécessité de créer entre douze et quarante centres de secours. Or les subventions que l'État s'est engagé à verser à la Nouvelle-Calédonie pour financer l'EPIS devraient s'élever à 5 millions d'euros, soit le budget de trois centres de secours.
Je ne souhaite pas m'attarder ici sur l'absence d'inscription dans la mission « Sécurité civile », programme 128, action 3, du projet de loi de finances pour 2011 des crédits nécessaires au financement de l'EPIS. Ce que je souhaite, en revanche, c'est mettre l'accent sur le retrait général, non pas normatif mais financier, de l'État dans l'organisation de la lutte contre l'incendie en Nouvelle-Calédonie.
Alors que le transfert de la sécurité civile de l'État vers la Nouvelle-Calédonie sera débattu par le Congrès en 2011, et même si je sais, madame la ministre, que vous êtes attachée à bien distinguer lutte contre l'incendie et sécurité civile, le désengagement de l'État n'est pas sans inquiéter les élus locaux. Je souhaite donc attirer votre attention, vous alerter, oserai-je même dire, sur cette question : décentralisation et transferts de compétences ne doivent pas être synonymes de désengagement ou de désintérêt de l'État, au risque de voir la qualité du service public se détériorer.
Je regrette donc vivement que les avis des deux associations des maires de Nouvelle-Calédonie, l'Association française des maires et l'Association des maires de Nouvelle-Calédonie, ainsi que celui du Congrès de la Nouvelle-Calédonie n'aient pas été entendus sur l'élaboration de cette ordonnance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici arrivés à la phase législative de la départementalisation de Mayotte, après un très long processus dont les dernières étapes les plus importantes ont été la loi du 11 juillet 2001 qui a doté l'île du statut de collectivité départementale, sous le gouvernement de Lionel Jospin, puis la loi constitutionnelle de 2003 qui a inscrit Mayotte dans l'article 72-3 de la Constitution, et donc dans l'assimilation législative, mais surtout le référendum du 29 mars 2009 par lequel les Mahorais ont clairement exprimé leur choix pour le département, qui exercera également les compétences d'une région d'outre-mer, collectivité régie par l'article 73 de la Constitution.
Il ne saurait être question de revenir en arrière, car c'est la nation tout entière qui a accompagné les Mahorais dans ce choix. Mayotte va donc devenir notre cent unième département, au moment même où l'échelon départemental est sérieusement remis en cause, pour ne pas dire mis à mal, par la réforme des collectivités locales que votre gouvernement a initiée.
C'est ainsi. Mayotte entre dans le droit commun des DOM dans un contexte de grande incertitude créé par le même gouvernement qui nous soumet ces deux projets de loi.
La départementalisation de Mayotte n'est pas faite pour régler un vieux problème de décolonisation d'il y a trente-cinq ans. Elle a été choisie par le peuple, qui s'est exprimé par voie de référendum pour que les Mahorais soient des Français à part entière et non entièrement à part.
Oui, cela signifie que les élus mahorais vont assumer, après la « décentralisation » de 2004, des compétences antérieurement dévolues à l'État, et que les contribuables vont payer des impôts comme tout le monde dans la République.
Mais la différence, c'est le point de départ. Il n'est pas le même : l'état des écoles primaires ; l'état des routes, même si un effort a été fait sur certains tronçons au cours des derniers mois ; la voirie urbaine, notamment à Mamoudzou ; les constructions scolaires du secondaire, qui ont dû faire face à l'explosion démographique, conduisant l'État à construire les derniers collèges et lycées en ALGECO ; l'aide sociale à l'enfance, qui a démarré sans moyens alors que les besoins sont immenses. On a l'impression que le Gouvernement cherche à gagner du temps en pariant sur la fiscalité locale, qui n'entrera en vigueur qu'en 2014.
On n'a pas le droit de tromper les Mahorais sur ce que seront les droits et devoirs d'un département. On n'a pas le droit, surtout, de les décevoir par rapport au choix qu'ils pensent avoir fait en demandant à devenir un DOM comme les autres. Nous avons accepté de les accompagner dans ce choix ; cela signifie que c'est la solidarité nationale qui doit financer ce rattrapage.
On ne peut pas demander à Mayotte, où le PIB par habitant est cinq fois inférieur à celui de la France dans son ensemble et trois fois inférieur à celui de la Réunion, de payer seule non seulement les compétences transférées par l'État avec la départementalisation mais en outre les retards d'investissement de l'État, dans une île où les administrations publiques, essentiellement l'État, assuraient 49 % du PIB, contre environ 20 % pour la France, comme vous le savez.
Un revenu par habitant beaucoup plus bas que dans le reste de la République, donc une capacité contributive faible ; un poids de la puissance publique – l'État – deux fois plus lourd qu'ailleurs, mais des collectivités locales que nous savons exsangues ; des exportations faibles, des importations massives, y compris de ce qu'il serait possible de produire sur place, bref une balance commerciale gravement déficitaire ; des potentialités touristiques certes importantes, mais des infrastructures très peu nombreuses et une destination qui souffre de l'absence de liaison aérienne directe avec l'Europe et d'un manque de produits touristiques intégrés avec Madagascar, les Comores et la Réunion : en résumé, Mayotte est une économie de plus en plus artificielle, sous perfusion, isolée, trop isolée de son environnement régional. S'ajoutent à cela un chômage entre deux et trois fois plus important qu'en métropole et la bombe à retardement que constituent les enfants abandonnés. Par le vote que nous allons exprimer ce soir, nous devons assurer les Mahorais que la solidarité de la nation ne les oubliera pas, même si les temps sont durs pour tout le monde.
Nous devons notamment les aider à relever deux défis. Le premier, c'est celui de la jeunesse. Je vous ai déjà interpellée, madame la ministre, lors de la discussion budgétaire, au sujet de l'initiative que nous avons prise, sur l'ensemble de ces bancs, de mettre en oeuvre le service civique à Mayotte. L'absence de publication du décret que vous devez signer ne le permet pas. Je souhaite également vous encourager dans la réalisation rapide de la Maison de l'adolescent, dont j'ai appris qu'elle était un projet concret, car créer des observatoires ne sert véritablement à rien.
Le second défi est celui de l'immigration, mais je laisserai ma collègue Sandrine Mazetier en parler.
Pour conclure, chacun s'accorde à considérer que seule une véritable politique de coopération avec l'Union des Comores est de nature à régler le problème de l'immigration clandestine. Comment accepter que nous consacrions huit fois plus d'argent public à la lutte contre l'immigration clandestine qu'à l'aide publique au développement pour les Comores ?
Si trop souvent la départementalisation a servi plus de slogan qu'elle n'a constitué un choix d'organisation administrative – combien de Mahorais ont-ils lu le pacte pour la départementalisation ? –, que l'adoption de ces deux projets de loi soit, elle, avant tout l'expression de notre solidarité réelle avec nos compatriotes de Mayotte, mais aussi l'expression d'une inscription de cette île dans son environnement régional pour elle-même et pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à la mise en oeuvre de la départementalisation à Mayotte marquent la dernière étape du processus législatif enclenché depuis la consultation populaire du 29 mars 2009 pour respecter la volonté inébranlable des Mahorais. Vous comprendrez donc aisément que je sois heureux et fier de voir mon pays, la France, patrie des droits de l'homme, se conformer – enfin ! – à ses principes et à ses valeurs en respectant le choix, ô combien libre et légitime, de la population de Mayotte.
À cet instant précis où l'on s'apprête à voter ces deux textes, unanimement adoptés au Sénat, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée particulière pour trois illustres Mahorais.
Le premier n'est autre que le sultan Andriantsouli, qui a su obtenir du roi Louis-Philippe, pour nous protéger des sultans batailleurs voisins, la signature du traité du 25 avril 1841 portant rattachement de Mayotte à la France. Que ceux qui voulaient voir en lui un usurpateur ou un fieffé ivrogne reconnaissent que la gratitude que nous lui vouons se révèle particulièrement bien placée.
Le second visionnaire à qui nous devons l'avènement de notre 101eme département français est évidemment le conseiller général Georges Nahouda. Il a compris avant tout le monde, dès 1958, que la Veme République nous offrait la liberté de choisir notre destin et surtout la possibilité de préférer le pari départemental à l'aventure de l'indépendance.
Ma profonde gratitude va également au sénateur honoraire Marcel Henry qui, contre vents et marées, a su convaincre tant les Mahorais eux-mêmes à se convertir à la patience et aux progrès dignement mérités que les gouvernements successifs à admettre le bien-fondé du défi départemental.
Pour revenir au projet de loi organique, il faut souligner que celui-ci déroge à la loi organique du 3 août 2009 en maintenant jusqu'en 2014 le régime fiscal et douanier spécifique à Mayotte, comme l'avait d'ailleurs prévu la loi organique du 21 février 2007 dite DSIOM – dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. Cette dérogation s'explique par la nécessité de procéder à des réformes techniques préalablement à toute application de la fiscalité nationale. Mais, madame la ministre, les évolutions d'ores et déjà réalisées dans ce domaine permettraient au conseil général de Mayotte d'appliquer, en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés, la politique fiscale en vigueur en métropole à l'année N-1. Par souci d'un respect plus rigoureux du principe de l'égalité des citoyens devant l'impôt, principe aujourd'hui insuffisamment observé dans le régime fiscal spécifique à notre île, je souhaite que le Gouvernement autorise l'assemblée locale à se départir de ces deux ressources fiscales au profit de l'État comme dans tous les départements, et ce sous réserve d'une légitime compensation financière. Une telle évolution, faut-il le répéter, favoriserait une meilleure familiarisation avec la fiscalité nationale, avant le basculement attendu en 2014, pour accompagner la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique de l'Union européenne.
Pour l'heure, il reste que le fonds de développement économique, social et culturel de notre île apparaît comme l'unique instrument financier destiné à dynamiser notre économie afin de rattraper un tant soit peu nos retards et de remédier à nos handicaps. Or il s'avère que ce fonds n'est toujours pas créé, et quand il le sera enfin, au cours de l'année prochaine, il ne sera doté que de 2,9 millions d'euros en crédits de paiement au lieu des 10 millions par an annoncés pour 2011, 2012 et 2013. Que compte faire le Gouvernement pour mieux traduire sa détermination à étendre à Mayotte le régime départemental, en particulier le progrès économique et social inhérent à ce système ?
C'est sous le bénéfice de ces observations que je voterai en faveur de l'adoption de ces deux textes. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et SRC.)
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, j'ai tenu symboliquement à être ici pour accueillir Mayotte pleinement au sein de la République.
La population mahoraise s'est prononcée à une majorité écrasante, plus de 95 %, le 29 mars 2009, en faveur du passage de Mayotte au statut de département d'outre-mer que nous avons la lourde charge, à travers ces deux projets de loi, de rendre effectif en mars 2011. Cette nouvelle étape législative vient clore un long processus institutionnel entamé depuis 1958, et ouvre un nouvel avenir à ce territoire.
La trajectoire institutionnelle de Mayotte est singulière et fait de cette île l'exemple même de la souplesse institutionnelle offerte aux outre-mers, pour qui une évolution à la carte est juridiquement possible. Au moment même où le Parlement vient d'achever l'adoption de la réforme territoriale qui impose à tous les départements et régions, quelles que soient leurs spécificités, un même cadre institutionnel, il me plaît de souligner que d'autres solutions, notamment le sur-mesure institutionnel, sont possibles pour nos territoires à condition que l'on écoute, que l'on fasse confiance à leurs élus et que l'on respecte le choix des électeurs.
Dans cette longue marche institutionnelle, il a fallu beaucoup de volonté politique pour aboutir. C'est sous le gouvernement Jospin que s'est opéré le changement majeur, avec l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé le 27 janvier 2000 par Jean-Jack Queyranne, alors ministre de l'outre-mer, le président du conseil général et les représentants des principaux partis politiques. Depuis, le processus a été conforté et a dépassé les clivages politiques pour aboutir à la loi constitutionnelle de 2003, qui inscrit pour la première fois Mayotte dans notre constitution, puis à la loi organique de 2007 inversant la logique du régime législatif applicable pour mettre en place, à la demande des populations, le principe de l'assimilation législative. Enfin, la résolution du conseil général du 18 avril 2008 portant sur la transformation de Mayotte en département et région d'outre-mer, et la consultation de 2009 ont permis la naissance du 101ème département français. Christian Cointat l'a souligné au Sénat : il faut comprendre que l'attachement de Mayotte à la République s'exprime très fortement par la sémantique, par l'emploi du mot « département » même si, en l'espèce, Mayotte sera tout à la fois un département et une région.
Ce n'est donc pas l'attrait des minima sociaux, apportés par la départementalisation, qui a dicté aux Mahorais leur choix. L'aspiration profonde des Mahorais puise ses racines dans l'histoire, notre collègueMichel Diefenbacher l'a rappelé excellemment, et se caractérise par une volonté permanente d'être dans la République. Mayotte a manifesté clairement cette volonté à quatre reprises. Nous devons en être dignes, et nous sommes comptables de ce jus voluntatis, parce qu'il s'agit d'une affirmation de volonté.
Mais, pour ne pas décevoir nos concitoyens, il nous faut maintenant amener, dans des délais raisonnables, Mayotte vers l'égalité. On sait que ce n'est pas une tâche facile quand on connaît la réalité locale, non seulement les profonds retards mais également, il faut avoir l'honnêteté de le dire, les différences culturelles. Cela suppose le respect des élus et des pouvoirs locaux : le Conseil d'État a rappelé les risques juridiques liés au raccourcissement des mandats électoraux, et vous acceptez, madame la ministre, à la demande des élus, de ne plus reprendre à votre compte le principe d'un renouvellement intégral. Cela suppose également la prise en compte de l'environnement de Mayotte et le nécessaire développement de la coopération territoriale décentralisée. Cela suppose, enfin, une vraie décentralisation, une autre décentralisation, car ce n'est pas à Paris de décider de tout – de la réglementation thermique à l'organisation des services publics locaux. Vous aurez à respecter la culture mahoraise, à éviter ce que d'aucuns appellent « la dilution culturelle » – expression que je n'aime pas beaucoup –, et d'autres « l'ethnocide ». En effet, il ne faudrait pas désespérer les Mahorais. Je rappelle qu'il a fallu attendre plus de quarante ans après les lois de départementalisation des quatre vieilles colonies de mars 1946 pour que l'égalité des droits, notamment sociaux, soit accordée à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion.
Mayotte doit donc pouvoir avoir les moyens d'exercer ses responsabilités, ce qui passe par deux impératifs.
Le premier d'entre eux, c'est la progressivité du transfert des responsabilités et des charges qui incombent à chaque département. J'adhère en cela aux grandes lignes de votre projet qui prévoit l'identité législative dès avril 2011, de manière immédiate et intégrale, moyennant les adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte, puis un transfert progressif des responsabilités les plus lourdes. Deux remarques cependant : tout d'abord, nous avons la désagréable sensation de vous signer un chèque en blanc, un chèque très – et sûrement trop – large par le recours systématique aux ordonnances pour étendre ou adapter la législation existante alors que nous n'aimons pas, par principe, que ce soit dans le secret des cabinets que s'écrive la loi ; ensuite, il est nécessaire, selon nous, de lier le transfert des plus lourdes compétences – éducation, santé notamment – à l'entrée en vigueur d'une fiscalité locale et du bénéfice de l'octroi de mer pour Mayotte.
Le second impératif, c'est l'accompagnement de Mayotte pour résorber ses considérables retards structurels dans tous les domaines, économiques, sanitaires et sociaux, qui nécessiteraient un effort faramineux de la solidarité nationale.
Je ne m'étendrai pas plus sur l'ampleur de la tâche à réaliser et ne céderai pas à la tentation du misérabilisme. Chacun d'entre nous – nous sommes entre spécialistes – connaît la réalité mahoraise, et il n'y aurait sinon qu'à lire le dernier rapport de la défenseure du droit des enfants pour la toucher du doigt. C'est bien là que le bât blesse et c'est pourquoi nous ne pouvons vous approuver totalement dans vos projets pour Mayotte.
Depuis 2009, l'effort budgétaire de l'État envers Mayotte a diminué en crédits de paiement de 6 % selon le dernier document de politique transversale. Toutes dépenses ministérielles confondues, nous assistons à une chute des crédits de 36 millions d'euros depuis 2009!
Madame la ministre, en conclusion, je tiens à réaffirmer notre attachement à la départementalisation de Mayotte et à féliciter les Mahorais qui font vivre, de manière éclatante, le droit à l'autodétermination des peuples. Nous voterons votre texte. Bienvenue à Mayotte, au sein de la République ! (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et UMP.)
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Mayotte, plusieurs orateurs l'ont rappelé, est unie à la France depuis 1841. Depuis 1976, c'est une collectivité territoriale à statut particulier, ce qui lui a assuré la présence des services de l'État et a permis l'allocation de fonds publics pour un montant significatif. Néanmoins, la majorité des Mahorais réclamait un statut qui leur garantisse, dans la durée, l'appartenance à la République. Après René Dosière, je tiens à rappeler que le gouvernement de Lionel Jospin engageait, il y a plus de dix ans, une importante concertation avec l'ensemble des forces politiques mahoraises sur ce sujet, laquelle débouchait sur un accord soumis à consultation et approuvé par les trois-quarts des électeurs en 2000. C'est donc une décennie après le début de ce processus que notre assemblée est saisie, certes en procédure accélérée, d'un nouveau projet politique.
Sur le fond, ces deux textes de loi appellent trois observations. Cette départementalisation intervient au moment même où les réformes successives de la taxe professionnelle et des collectivités territoriales modifient le paysage institutionnel français. Ainsi, la nouvelle collectivité intégrée dans le droit commun assumera demain les compétences relevant à la fois des départements, des régions et des régions d'outre-mer. Elle ne disposera pour cela que d'une nouvelle fiscalité dont les contours restent incertains pour tous les départements et pour toutes les régions !
Cela me conduit à ma deuxième observation de fond. Elle est relative à l'enjeu du développement économique et social. Les problèmes à régler ne proviennent pas uniquement des évolutions statutaires. Si la situation est déjà difficile pour l'ensemble des départements, elle risque d'être encore plus complexe pour Mayotte dans la mesure où, comme le rappelait le Premier ministre en 2001, l'enjeu est que, une fois l'enracinement dans les institutions territoriales de droit commun fait, les Mahorais doivent et devront pouvoir se consacrer à la question essentielle du développement économique et social.
Certes, 30 millions d'euros sont inscrits pour la période 2011-2013 pour soutenir l'investissement et l'emploi. Mais cette somme reste insuffisante dans le contexte d'une indispensable mise à niveau, notamment des infrastructures publiques et des services d'intérêt général aux personnes, comme ceux de la santé et de l'éducation.
Par ailleurs, Mayotte est confrontée à une forte pression démographique, due non seulement au dynamisme de sa population et de ses différents âgés, mais aussi au flux des Comoriens qui entrent, légalement et illégalement, sur le territoire mahorais. Je me contenterai de prendre deux exemples, de nature et de portée différentes.
En matière d'éducation, le transfert à la collectivité des charges de construction et de fonctionnement des établissements d'enseignement secondaire ne peut pas ne pas être accompagné d'une réflexion sur les objectifs et les moyens nécessaires pour rendre effectif l'accès à l'école et à la langue commune. Il ne suffit pas de transférer une compétence de l'État vers un nouveau département pour affirmer que ce droit est effectif. Il y a un devoir de solidarité de l'État pour le rendre réel.
Dans le domaine institutionnel et dans celui des garanties apportées par l'État, il convient, pour ne prendre que cet autre exemple, d'allouer des moyens pour assurer la mise en place et la mise en oeuvre d'un registre du cadastre, ce afin de garantir le droit individuel sur les propriétés immobilières. Dans la plupart des territoires qui n'en avaient pas et qui s'en dotent, cela est souvent une tâche longue et difficile, mais indispensable. C'est donc un enjeu dans un territoire où prévaut en la matière une tradition coutumière, donc non écrite. Les garanties formelles qui s'y attachent renforceront la sécurité juridique des droits des personnes et le développement économique.
Ma dernière observation porte sur les relations qu'entretient Mayotte avec son environnement proche. L'intégration entière de Mayotte dans le système politique et administratif français ne fait pas disparaître la partition intervenue entre les îles. De nombreux Comoriens tentent, notamment en l'absence de visa, d'entrer coûte que coûte et par tous les moyens à Mayotte. Cela tient à plusieurs raisons.
De façon traditionnelle, les insulaires avaient et ont encore l'habitude de se rendre dans les différentes îles. Cette situation a pour partie changé de nature avec un développement régional inégal qui conduit de nombreux Comoriens à chercher un salut économique dans un départ à « l'étranger », celui-ci étant si proche et parfois si ressemblant.
À la question de la circulation des personnes, qui doit être revue, notamment à la lumière des règles et des exigences du droit européen et d'un traitement humain des situations collectives, fait pendant la question du développement de la coopération dans plusieurs domaines, comme ceux de l'énergie ou du transport. Il faut traiter Mayotte comme un département frontalier.
La départementalisation est un choix des Mahorais et une chance pour la République. Elle doit être une opportunité pour la région et ses habitants. Le statut institutionnel de département frontalier est en effet un défi, comme on l'a dit. Il doit désormais être un exemple et une opportunité pour tracer un cercle vertueux en faveur de la coopération et du développement dans cette région géographique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Tout à l'heure, madame la ministre, vous parliez de mise en oeuvre opérationnelle de la départementalisation, et vous rappeliez que l'identité législative était la règle et la dérogation l'exception. Vous évoquiez la justice républicaine et vous concluiez, de manière quelque peu lapidaire, en disant qu'en matière de législation spécifique sur l'entrée et le séjour des étrangers, rien ne serait modifié, et ce pour tenir compte, disiez-vous, de la pression migratoire. Non seulement rien ne justifie le maintien d'une législation dérogatoire dans ce domaine, mais je dirai même que tout justifie l'inverse.
Sur le plan des principes, d'abord, il y a un paradoxe à rappeler la « justice républicaine » aux Mahorais – comme dans la belle intervention de notre collègue Diefenbacher, qui parlait de l'attachement au moins biséculaire des Mahorais à la République et à la patrie des droits de l'homme –et à voir cette même République ne pas respecter, à Mayotte, les exigences les plus élémentaires de l'État de droit.
Quelques exemples. Je ne m'étendrai pas sur les contrôles d'identité sans réquisition du procureur. Passons rapidement sur ce point.
Je ne passerai pas rapidement, en revanche, sur le caractère non suspensif du recours déposé par un étranger auprès du tribunal administratif contre un APRF. La Cour européenne des droits de l'homme a pourtant condamné la France, le 26 avril 2007, pour ce caractère non suspensif du recours.
Je serai plus longue encore sur l'accès à la nationalité. Une procédure autorise, à Mayotte, l'officier d'état civil à contester la reconnaissance de paternité d'un homme français pour un enfant né d'une mère étrangère. Une simple saisie du parquet permet l'ouverture d'une enquête pour juger de la réalité de la paternité alléguée. Ces enquêtes se sont systématisées depuis 2007. Et il n'est pas rare que des enfants de Français, eux-mêmes français, soient ainsi expulsés de Mayotte.
Mais je m'étendrai encore davantage, parce que c'est probablement ce qu'il y a de plus scandaleux, sur la situation des mineurs étrangers isolés. Dans le rapport qu'elle a remis en mai dernier sur ce sujet, notre collègue sénatrice Isabelle Debré consacre quelques pages à la situation préoccupante de Mayotte. Elle rappelle que, justement du fait que la législation sur les étrangers est dérogatoire du droit commun, les mineurs ne sont pas traités de manière spécifique, contrairement à ce qui se passe en métropole. Ainsi, quand la présence d'un ou plusieurs mineurs est constatée sur les « kwasa kwasa », ces mineurs sont rattachés à un adulte – sans que l'on se préoccupe, pour le coup, de l'existence d'un quelconque lien de filiation – et sont reconduits à la frontière en même temps que cet adulte avec lequel ils n'ont pas forcément de lien de filiation.
Il n'y a pas, dans le centre de rétention administrative de Mayotte, d'espace spécifique séparant les mineurs des adultes, pas plus qu'il n'y a de structure d'hébergement spécifique pour accueillir ces mineurs étrangers isolés. La prise en charge par le département, par l'aide sociale à l'enfance, qui est la règle dans tous les départements, n'a absolument pas été anticipée dans le pacte pour la départementalisation, alors que les charges qui vont peser sur le département de Mayotte seront, nous en sommes tous convaincus, considérables.
Notre collègue Isabelle Debré indique dans son rapport que le nombre de mineurs étrangers interceptés, sur les « kwasa kwasa » ou sur l'île, était de 3 246 pour la seule année 2009.
Enfin, sans même parler des principes – puisque vous n'y êtes pas toujours sensible, madame la ministre –, je conteste radicalement votre politique sur le plan de l'efficacité. En effet, 50 % des personnes reconduites à partir de Mayotte y reviennent, et 70 millions d'euros sont consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière, alors que le coût de la coopération avec l'Union des Comores est de 20 millions d'euros – c'est ridicule – et que le budget de l'Union des Comores s'élève, quant à lui, à 40 millions d'euros. Replaçons les priorités là où elles devraient être, et revoyons radicalement la politique que nous déployons dans ce domaine, à Mayotte et dans les outre-mers en général ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La discussion générale commune est close.
La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.
Mesdames, messieurs les députés, avant de répondre aux diverses questions qui ont été soulevées, je voudrais vous remercier pour vos interventions et pour votre présence, qui témoigne de l'intérêt que vous portez à ce processus institutionnel, à Mayotte et aux Mahorais.
S'agissant des transferts de compétences, il n'y a aucune réticence de la part du Gouvernement à les mettre en oeuvre. Simplement, cela doit se faire en concertation avec le conseil général de Mayotte, qui sera installé au mois de mars prochain.
Vous avez beaucoup parlé des moyens qu'il faut donner à Mayotte, notamment pour assurer son développement. L'effort de l'État est particulièrement important, notamment dans le domaine de l'équipement scolaire. J'en veux pour preuve les dotations mises en place, qui vont passer de 5 à 10 millions en 2011.
S'agissant des établissements scolaires, la conduite de l'État n'est dictée par aucune considération budgétaire. Elle est uniquement guidée par le souci de la qualité et de la continuité du service public. La population scolaire est passée de 12 000 à 28 000 élèves. L'État a donc dû faire face à une difficulté, mais a pu quand même réaliser huit nouveaux collèges et cinq nouveaux lycées entre 1997 et 2009, même s'il existe quelques établissements de type Algeco. Nous avons mis des moyens considérables à la disposition, notamment, du vice-recteur de Mayotte, puisque l'enveloppe a pratiquement doublé en seulement six ans.
Je veux attirer l'attention de la représentation nationale sur le fait que la question de la jeunesse mahoraise est une priorité pour nous. Elle est au coeur des préoccupations du Gouvernement. D'une manière générale, la jeunesse ultra-marine est au coeur de ses préoccupations. Et je voudrais vous annoncer, monsieur Lesterlin, que j'ai signé le décret du service civique, qui sera publié.
Sur la fiscalité, le député Aly a fait une proposition particulièrement intéressante concernant l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu. Je veux lui dire que si le conseil général le souhaite, je suis d'accord pour que l'on prépare, avec la collectivité, un programme de rapprochement vers le droit commun. Je serai à Mayotte lundi prochain pour rencontrer le comité pour la départementalisation. Je vous propose donc, monsieur Aly, que nous parlions dans ce cadre de la mise en oeuvre concrète de votre proposition.
Le rapporteur a souligné l'importance qu'il y a à soutenir le développement de Mayotte en instaurant le plus rapidement possible le fonds de développement économique, social et culturel. Sa création a été avancée à 2011. Les crédits sont inscrits au projet de loi de finances initiale pour 2011, et j'ai d'ores et déjà demandé à mes services de commencer à préparer le décret d'application pour que ce fonds soit opérationnel en avril 2011.
Pour ce qui est du calendrier des minima sociaux, certains ont évoqué la possibilité d'accélérer un peu le processus. J'ai rappelé que nous avions revalorisé dès cette année les allocations versées aux personnes handicapées, d'une part, et aux personnes âgées, d'autre part. Mais il est important de souligner que l'on ne peut pas aller plus vite dans l'attribution de nouveaux minima sociaux, parce que ce serait prendre le risque d'anéantir le tissu économique de Mayotte, déjà très fragile. Celui-ci ne pourrait absorber une augmentation brutale des cotisations sociales. Aller plus vite ne nous paraît pas de nature à encourager l'activité et l'emploi, ce à quoi nous devons tous être profondément attachés.
Vous avez évoqué la situation des mineurs isolés. Cette question très sensible est un sujet de préoccupation du Gouvernement. L'État s'attache à accompagner le conseil général qui assume, vous le savez, sa compétence en matière d'aide sociale à l'enfance, puisqu'un dispositif de permanence sociale lors des reconduites à la frontière a été confié, notamment, à l'association Tama. D'autres moyens sont envisagés en collaboration avec le conseil général.
Cela m'amène à la question de l'immigration clandestine. Vous avez raison de souligner que les chiffres sont particulièrement importants. Pour autant, le nombre des reconduites témoigne de l'engagement des forces de police et de gendarmerie pour faire respecter les règles en la matière.
M. Lagarde a eu raison de souligner que le traitement de la question de l'immigration implique d'aborder celle de l'état civil. L'État a clairement engagé ce travail, comme l'a justement relevé M. Dosière, puisque nous avons procédé à la mise à jour de l'état civil, même s'il reste beaucoup à faire. À ce jour, il ne demeure plus que mille décisions à prendre, ce qui sera fait avant avril 2011 ; la commission de réforme de l'état civil me l'a confirmé lors de mon dernier déplacement.
Cela étant la réponse sécuritaire n'est pas, en soi, suffisante. Il faut normaliser nos relations avec les Comores. La France attache beaucoup d'importance à ces relations, puisqu'elle apporte à ce pays une aide publique annuelle supérieure à 10 millions d'euros étant ainsi le premier partenaire du développement des Comores.
Au plan local, la préfecture de Mayotte dispose d'un fonds de coopération d'environ 300 000 euros annuels pour financer des actions de coopération de proximité. De plus, dans le cadre de cette coopération, je vous annonce que la France, notamment par l'intermédiaire de l'Agence française de développement, vient de proposer d'aider à la réhabilitation de la maternité d'Anjouan. Un apport de plus de 900 000 euros est envisagé, et nous attendons la réponse du gouvernement des Comores.
L'État fait tout pour améliorer les relations avec ce pays parce qu'il faudra dépasser le contentieux de souveraineté territoriale afin que Mayotte puisse construire un avenir meilleur entre ces deux populations. Tel est le sens de la démarche du Président de la République lorsqu'il a invité à la mise en place d'un groupe de travail de haut niveau. Malheureusement, cette instance a été suspendue par Moroni en 2009. Nous ne pouvons que le regretter, mais la France réaffirme à chaque occasion sa disponibilité pour reprendre un dialogue constructif.
En réponse à M. Gaël Yanno, qui est intervenu sur la ratification dans le projet de loi de l'ordonnance créant l'établissement public d'incendie et de secours de Nouvelle-Calédonie, je précise que cet établissement permettra de donner une meilleure cohérence à l'organisation des moyens de secours. Les récents incendies sur l'Île des Pins démontrent tout l'intérêt de cette institution. Il n'y a pas de désengagement de l'État. Au contraire : une fois créé, cet établissement pourra bénéficier, pour ses opérations d'investissement, conformément à la loi organique, d'une aide spécifique de l'État.
Rappelons en conclusion que le calendrier de la départementalisation est très volontariste, parce que nous souhaitons respecter les engagements pris par plusieurs gouvernements successifs concernant Mayotte. C'est une démarche très importante que marque l'adoption de ces deux projets de loi. Je me félicite de l'intérêt que vous portez tous au processus de transformation de Mayotte en département, parce que c'est une attente forte des Mahorais, qui l'ont exprimée à plusieurs reprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'appelle en premier lieu dans le texte de la commission les articles du projet de loi organique relatif au Département de Mayotte.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur cet article. Je leur rappelle que le temps de parole est limité à deux minutes.
La parole est à Mme Christiane Taubira.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les lois organiques et ordinaires, notamment à caractère institutionnel, ressemblent d'avantage à des nomenclatures comptables qu'à l'énoncé de règles de vie commune. C'est très commode pour dissimuler des distorsions de droit, et votre Gouvernement ne s'en est pas privé.
Nous pouvons effectivement saluer la patience et la constance des Mahorais, qui, en 1958, déjà ont présenté à l'Assemblée nationale une motion pour attribuer à leur territoire un statut départemental, alors rejetée. En 1976, ils ont reçu et approuvé un statut sui generis, accompagné d'une promesse de consultation dans un délai de trois ans. En fait, il est resté en vigueur jusqu'en 2001. Je crois que c'est à force de subir des dérogations aux libertés individuelles, des exceptions à l'égalité républicaine, que les Mahorais ont décidé de maintenir leur choix du statut départemental, de l'identité législative, du droit commun, avec un espoir de stricte égalité, ce qui ne sera malheureusement pas le cas, tel que le prouvent la loi organique et la loi ordinaire.
Votre gouvernement nous avait prévenus que, dès 2009, de nombreux droits ne seraient appliqués que progressivement. J'entends bien les personnes intelligentes et très cultivées qui connaissent le chemin du bonheur mieux que personne et qui nous expliquent combien les mentalités sont lentes à évoluer. Dans les quatre autres départements d'outre-mer, la loi de départementalisation date de 1946, et l'égalité sociale a commencé en 2000, c'est-à-dire cinquante-quatre ans plus tard. J'espère, chers Mahorais, que vous n'aurez pas à faire cette traversée au long cours.
En réalité, madame la ministre, votre Gouvernement a deux problèmes : le premier est sa difficulté à concevoir l'égalité malgré la différence et l'éloignement ; le deuxième est son incapacité à considérer les bassins régionaux comme des zones géopolitiques cohérentes avec des atouts équivalents, exposés à des problématiques communes, chargés de la sécurité et de la prospérité de territoires qui leur sont communs, prospérité et sécurité qui sont davantage exposées et mises en danger par des économies interlopes de contrefaçons et de trafics que par la mobilité des personnes qui y résident.
En résultat, vous ne faites rien jusqu'au bout, ni l'égalité républicaine, car vous pénalisez les femmes qui ont besoin d'autonomie économique et les jeunes qui ont besoin d'éducation, ni l'égalité de contribution à l'économie régionale. Madame la ministre, à titre personnel, vous ne devriez pas accepter d'être complice de tels procédés.
Depuis 1841, les Mahorais ont exprimé à plusieurs reprises leur volonté de rapprochement avec la France. Rapprochement est du reste un terme impropre : ils font partie de la communauté nationale, mais ils souhaitaient aller plus loin dans l'intégration de cette communauté nationale. Aujourd'hui, par l'examen de ce texte relatif à la départementalisation, nous sommes au coeur de cette problématique. Rappelons le référendum qui a eu lieu l'an passé, par lequel 95 % de la population se sont prononcés en faveur de la départementalisation. Ce chiffre démontre la quasi unanimité qui règne sur le territoire.
Le message qu'ont voulu nous faire passer les Mahorais par ce vote, c'est leur attachement à la France. Cela mérite d'être salué, plus particulièrement ici, au sein de l'Assemblée nationale. Il me semble important de souligner les éléments relatifs à la spécificité qui peut exister à Mayotte en particulier, comme dans les départements et les territoires d'outre-mer en général. Ce qui fait la France dans sa diversité, c'est la force du droit, c'est-à-dire la volonté de chacune et de chacun de vivre ensemble et de partager un destin commun, en respectant les éléments de différence. C'est un aspect essentiel.
Bien entendu, cela prendra du temps. Un certain nombre de problématiques locales ont été abordées par les uns et les autres telles l'immigration clandestine ou les différences culturelles, mais, en tout état de cause, il faut que l'ensemble de la communauté nationale puisse tenir compte de cette volonté des Mahorais. De cela, nous ne pouvons que nous féliciter. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)
(L'article 1er est adopté.)
Ces articles ne faisant l'objet d'aucun amendement, je vais les mettre successivement aux voix.
(Les articles 2, 3 et 4, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.
(L'ensemble du projet de loi organique est adopté.)
J'appelle dans le texte de la commission les articles du projet de loi relatif au département de Mayotte.
Je souhaite profiter de cette intervention pour remercier madame la ministre de l'annonce qu'elle vient de faire de la prochaine publication du décret rendant applicable à Mayotte le service civique, car des projets sont en attente depuis plusieurs mois maintenant. Ce décret conditionne en effet la prise des deux arrêtés essentiels qui définiront d'une part le montant de l'indemnité versée par l'État aux jeunes et, d'autre part, la nature de leur couverture sociale. Si la ministre pouvait nous donner une indication sur la date à laquelle ces deux arrêtés seront publiés, je l'en remercierais par avance.
J'en viens à l'amendement.
Parmi les formes de coopération, s'il en est une qui est particulièrement symbolique de la volonté de dialoguer et de concourir au développement du pays aidé, c'est la coopération décentralisée. Nous pensons qu'il est utile de le préciser dans la loi. Nous avons eu l'occasion, avec mes collègues Loïc Bouvard et Daniel Goldberg, lorsque nous sommes allés aux Comores et à Mayotte il y a un mois, de voir à quel point ces gestes étaient attendus et de nature à reconstruire un dialogue qui a quelquefois été malheureusement rompu.
Cet amendement vise à s'assurer que Mayotte pourra mener des opérations de coopération décentralisée, notamment avec l'Union des Comores et Anjouan, car ce pays est en train de construire sa démocratie locale. Lorsque nous aurons des communes administrées par des conseillers élus de l'autre côté du chenal, cela facilitera les choses.
L'objectif recherché par les auteurs de cet amendement est d'ores et déjà satisfait par le droit en vigueur. En effet, l'article L. 1722-1 qui prévoyait une application partielle des dispositions du chapitre V relatif à la coopération décentralisée a été abrogé par l'ordonnance n° 2009-536 du 14 mai 2009 portant diverses dispositions d'adaptation du droit outre-mer. Depuis cette date, en application du principe d'identité législative, l'ensemble des dispositions permettant à des collectivités territoriales et à leurs groupements de mener une coopération décentralisée, des coopérations transfrontalières ou de l'aide au développement sont applicables de plein droit à Mayotte.
Vous aviez aimablement accepté de retirer cet amendement en commission ; je me permets de vous inviter à faire de même en séance publique.
Dans ces conditions, je retire cet amendement.
(L'amendement n° 1 est retiré.)
(L'article 1er est adopté.)
Ces articles ne faisant l'objet d'aucun amendement, je vais les mettre successivement aux voix.
(Les articles 2 à 9, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
Malgré l'intérêt que lui porte le rapporteur, je sais que cet amendement ne sera pas voté, car afin d'adopter ce texte rapidement, on nous a fait savoir qu'il fallait le voter conforme à la version du Sénat. C'est toujours une procédure un peu désagréable, madame la ministre, qui aurait pu être évitée si le Gouvernement avait déposé son texte au Sénat un peu plus tôt. Compte tenu des conditions dans lesquelles les textes sont maintenant déposés, nous n'avons pas beaucoup de choix, sinon de pénaliser Mayotte.
Cela dit, j'en viens à l'amendement, afin que vous puissiez apporter une précision.
Le rapporteur nous a indiqué que le Fonds mahorais de développement économique, social et culturel est doté de 2,6 millions de crédits de paiement pour 2011. Or cette somme ne pourra pas être dépensée au titre de ce fonds, puisque ce dernier ne sera créé qu'au 31 décembre 2011.
Le rapporteur vous a suggéré de prendre l'engagement, que vous n'avez pas pris jusqu'à présent – mais cet amendement vous en fournit l'occasion – de faire en sorte que ces 2,6 millions soient transférés à un fonds qui existe actuellement ; ils pourraient ainsi être effectivement dépensés.
Pour les raisons précédemment indiquées, l'avis est défavorable, même si l'intention d'avancer la date de sept mois était louable. Le Sénat avait d'ailleurs déjà prévu de l'avancer de deux ans.
Nos collègues craignent que 2011 ne soit une année blanche. J'ai cependant cru comprendre que Mme la ministre proposait d'avancer la date à avril 2011 et de transférer ces fonds sur l'actuel fonds mahorais de développement. Je pense donc que la louable intention de nos collègues est déjà satisfaite par la réponse de Mme la ministre.
Monsieur Dosière, j'ai répondu tout à l'heure à votre amendement en disant « peut-être ».
Je vais apporter quelques précisions.
Le fonds sera mis en place dès l'adoption de la loi et je m'engage à ce que le décret soit publié au mois de mars, ce qui permettra au fonds d'être opérationnel. Nous aurons 10 millions d'euros en autorisations d'engagement et 2,6 millions en crédits de paiement.
Je suis saisie d'un amendement n° 5 , portant article additionnel après l'article 10 ter .
La parole est à M. René Dosière.
Il s'agit bien entendu d'un amendement d'appel.
Compte tenu des circonstances, je souhaite avoir la certitude que les transferts potentiellement coûteux, comme les constructions et l'entretien des collèges et lycées ou l'entretien de la voirie ne seront effectués que lorsque le département de Mayotte disposera des ressources fiscales suffisantes, c'est-à-dire de sa fiscalité.
Je vous demande de prendre en quelque sorte l'engagement d'une concomitance entre le transfert de ces charges et le fait que le département disposera des ressources nécessaires pour y faire face.
Comme l'a indiqué l'auteur de l'amendement, il s'agit d'un amendement d'appel.
On peut ou non partager son souci de donner dès maintenant à Mayotte les moyens financiers de nouvelles compétences, que la collectivité devra, à terme, assumer. Néanmoins, la commission est défavorable à cet amendement.
Il me semble, en effet, délicat d'inscrire un tel principe dans la loi. Quelle serait la portée d'une telle disposition de principe en l'absence d'un autre texte rendant expressément applicable chaque disposition du code général des impôts devant être visée ?
Des engagements peuvent être pris aujourd'hui sans que cela figure dans le texte de la loi. Mme la ministre l'a fait il y a quelques minutes.
De plus – l'argument a déjà été avancé par M. Dosière lui-même – l'urgence d'aboutir à une rédaction conforme plaide pour l'adoption d'un texte dans des termes identiques à celui du Sénat.
J'émets un avis défavorable à l'amendement pour les mêmes raisons que M. le rapporteur.
Monsieur Dosière, je peux vous rassurer : nous avons le souci de faire ces transferts de compétences en lien avec la collectivité et de vérifier qu'elle est tout à fait capable de prendre en charge cette compétence. La commission consultative d'évaluation des charges nous permettra d'évaluer le coût de ces transferts. Il ne s'agit nullement pour l'État de mettre en difficulté la collectivité.
Ces articles ne faisant l'objet d'aucun amendement, je vais les mettre successivement aux voix.
(Les articles 10 quater, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26 et 27, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
Le projet de loi relatif au département de Mayotte n'était-il pas le véhicule adéquat pour modifier les conditions d'éligibilité au RSA des non-salariés agricoles outre-mer.
Un texte devrait être inscrit très bientôt à l'ordre du jour, rendant applicable cette disposition, bien que cela figure déjà dans une loi, à compter du 1er janvier 2011. Un affreux soupçon nous saisit : ne voudriez-vous pas restreindre dans ce texte le bénéfice du RSA à cette catégorie professionnelle en outre-mer en posant une condition de superficie d'exploitation ?
M. Lurel estime que ce projet de loi n'est pas le bon cadre pour modifier les conditions d'éligibilité au RSA des non-salariés agricoles outre-mer. On peut partager ces réticences, mais les contraintes imposées par l'ordre du jour indiquées à plusieurs reprises étant ce qu'elles sont, mieux vaut utiliser ce véhicule législatif pour procéder aux ajustements nécessaires plutôt qu'attendre un hypothétique projet de loi dédié à ces ajustements.
L'une des ordonnances soumises à ratification par l'article 28 a pour objet d'adapter les conditions d'entrée en vigueur au 1er janvier 2011 du revenu de solidarité active et du contrat unique d'insertion dans les départements d'outre-mer, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Or cette ordonnance n'a pas tenu compte d'une spécificité des départements d'outre-mer, qui concerne les non-salariés agricoles. Il apparaît en effet qu'il n'est pas possible d'évaluer le bénéfice d'une exploitation agricole outre-mer, d'où la substitution du critère de superficie de l'exploitation par dérogation au droit commun qui fonde le versement du RSA sur un critère de bénéfice agricole. Cette dérogation est déjà en vigueur pour ce qui est du RMI dans les territoires précités. L'appréciation des revenus pour les conditions d'éligibilité au RMI est effectuée sur la base de la superficie de l'exploitation, et non sur les bénéfices agricoles forfaitaires comme dans l'Hexagone.
La commission émet donc un avis défavorable à cet amendement.
Je rejoins l'analyse du rapporteur : il n'y a aucune condition supplémentaire. C'est une simple précision apportée dans le cadre du projet du Gouvernement, car cela n'avait pas été traité dans l'ordonnance qui met en place le RSA au 1er janvier.
Je veux renouveler mes craintes concernant l'article 28, qui prévoit seize ratifications d'ordonnances, notamment de celle sur l'EPIS en Nouvelle-Calédonie.
Vous ne pourrez pas créer, madame la ministre, un établissement public d'incendie et de secours contre la volonté des trente-trois maires de Nouvelle-Calédonie, contre la volonté de la majorité des membres du Congrès de ce territoire. Cela irait dans le mur et cela augurerait mal du transfert de compétences de la sécurité civile qui devra intervenir, comme vous le savez, à la fin de l'année 2011, selon le vote du Congrès.
Madame la ministre, j'appelle votre attention sur ce point, car je sais que vous êtes à l'écoute de l'outre-mer et de ses élus. Ce sujet préoccupe beaucoup les élus municipaux, qui sont d'ailleurs, pour la plupart d'entre eux, actuellement présents à Paris.
Je vais retirer l'amendement n° 4 , mais je tiens à adresser une remarque à notre excellent rapporteur.
J'ai été directeur de la chambre d'agriculture et il n'est pas possible de soutenir ici que l'on ne peut évaluer le bénéfice agricole des exploitants agricoles outre-mer. Des centres de gestion existent. Beaucoup d'agriculteurs sont assujettis au réel simplifié. Peut-être s'agit-il d'une erreur du texte lorsqu'il a été adopté.
(L'amendement n°4 est retiré.)
(L'article 28 est adopté.)
Ces articles ne faisant l'objet d'aucun amendement, je vais les mettre successivement aux voix.
(Les articles 29, 30, 31, 32, 33 et 34, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(L'ensemble du projet de loi est adopté.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Discussion en deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma