Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, j'ai tenu symboliquement à être ici pour accueillir Mayotte pleinement au sein de la République.
La population mahoraise s'est prononcée à une majorité écrasante, plus de 95 %, le 29 mars 2009, en faveur du passage de Mayotte au statut de département d'outre-mer que nous avons la lourde charge, à travers ces deux projets de loi, de rendre effectif en mars 2011. Cette nouvelle étape législative vient clore un long processus institutionnel entamé depuis 1958, et ouvre un nouvel avenir à ce territoire.
La trajectoire institutionnelle de Mayotte est singulière et fait de cette île l'exemple même de la souplesse institutionnelle offerte aux outre-mers, pour qui une évolution à la carte est juridiquement possible. Au moment même où le Parlement vient d'achever l'adoption de la réforme territoriale qui impose à tous les départements et régions, quelles que soient leurs spécificités, un même cadre institutionnel, il me plaît de souligner que d'autres solutions, notamment le sur-mesure institutionnel, sont possibles pour nos territoires à condition que l'on écoute, que l'on fasse confiance à leurs élus et que l'on respecte le choix des électeurs.
Dans cette longue marche institutionnelle, il a fallu beaucoup de volonté politique pour aboutir. C'est sous le gouvernement Jospin que s'est opéré le changement majeur, avec l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé le 27 janvier 2000 par Jean-Jack Queyranne, alors ministre de l'outre-mer, le président du conseil général et les représentants des principaux partis politiques. Depuis, le processus a été conforté et a dépassé les clivages politiques pour aboutir à la loi constitutionnelle de 2003, qui inscrit pour la première fois Mayotte dans notre constitution, puis à la loi organique de 2007 inversant la logique du régime législatif applicable pour mettre en place, à la demande des populations, le principe de l'assimilation législative. Enfin, la résolution du conseil général du 18 avril 2008 portant sur la transformation de Mayotte en département et région d'outre-mer, et la consultation de 2009 ont permis la naissance du 101ème département français. Christian Cointat l'a souligné au Sénat : il faut comprendre que l'attachement de Mayotte à la République s'exprime très fortement par la sémantique, par l'emploi du mot « département » même si, en l'espèce, Mayotte sera tout à la fois un département et une région.
Ce n'est donc pas l'attrait des minima sociaux, apportés par la départementalisation, qui a dicté aux Mahorais leur choix. L'aspiration profonde des Mahorais puise ses racines dans l'histoire, notre collègueMichel Diefenbacher l'a rappelé excellemment, et se caractérise par une volonté permanente d'être dans la République. Mayotte a manifesté clairement cette volonté à quatre reprises. Nous devons en être dignes, et nous sommes comptables de ce jus voluntatis, parce qu'il s'agit d'une affirmation de volonté.
Mais, pour ne pas décevoir nos concitoyens, il nous faut maintenant amener, dans des délais raisonnables, Mayotte vers l'égalité. On sait que ce n'est pas une tâche facile quand on connaît la réalité locale, non seulement les profonds retards mais également, il faut avoir l'honnêteté de le dire, les différences culturelles. Cela suppose le respect des élus et des pouvoirs locaux : le Conseil d'État a rappelé les risques juridiques liés au raccourcissement des mandats électoraux, et vous acceptez, madame la ministre, à la demande des élus, de ne plus reprendre à votre compte le principe d'un renouvellement intégral. Cela suppose également la prise en compte de l'environnement de Mayotte et le nécessaire développement de la coopération territoriale décentralisée. Cela suppose, enfin, une vraie décentralisation, une autre décentralisation, car ce n'est pas à Paris de décider de tout – de la réglementation thermique à l'organisation des services publics locaux. Vous aurez à respecter la culture mahoraise, à éviter ce que d'aucuns appellent « la dilution culturelle » – expression que je n'aime pas beaucoup –, et d'autres « l'ethnocide ». En effet, il ne faudrait pas désespérer les Mahorais. Je rappelle qu'il a fallu attendre plus de quarante ans après les lois de départementalisation des quatre vieilles colonies de mars 1946 pour que l'égalité des droits, notamment sociaux, soit accordée à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion.
Mayotte doit donc pouvoir avoir les moyens d'exercer ses responsabilités, ce qui passe par deux impératifs.
Le premier d'entre eux, c'est la progressivité du transfert des responsabilités et des charges qui incombent à chaque département. J'adhère en cela aux grandes lignes de votre projet qui prévoit l'identité législative dès avril 2011, de manière immédiate et intégrale, moyennant les adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte, puis un transfert progressif des responsabilités les plus lourdes. Deux remarques cependant : tout d'abord, nous avons la désagréable sensation de vous signer un chèque en blanc, un chèque très – et sûrement trop – large par le recours systématique aux ordonnances pour étendre ou adapter la législation existante alors que nous n'aimons pas, par principe, que ce soit dans le secret des cabinets que s'écrive la loi ; ensuite, il est nécessaire, selon nous, de lier le transfert des plus lourdes compétences – éducation, santé notamment – à l'entrée en vigueur d'une fiscalité locale et du bénéfice de l'octroi de mer pour Mayotte.
Le second impératif, c'est l'accompagnement de Mayotte pour résorber ses considérables retards structurels dans tous les domaines, économiques, sanitaires et sociaux, qui nécessiteraient un effort faramineux de la solidarité nationale.