Je trouve déplorable, moi qui suis maire de Drancy, d'entendre parler à cette tribune de déportation, de rafle, quand on évoque les événements de Mayotte ! Vous comparez cela, monsieur Lecoq, à ce que les nazis ont fait subir aux juifs et à d'autres dans notre pays et dans toute l'Europe ; vous semblez considérer que ce qui s'est passé dans les années quarante n'a pas été si terrible que cela ! La situation est, certes, extrêmement difficile à Mayotte. Nous nous y sommes rendus avec Didier Quentin, René Dosière et quelques autres à plusieurs reprises et avons pu voir les centres de rétention et constater les conditions d'éloignement. Mais vous êtes, pour ce qui vous concerne, dans le déni de l'histoire et vous affaiblissez notre devoir de nous préserver de ce genre de barbarie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Voici près de soixante-cinq ans, le 19 mars 1946, les députés de la première assemblée constituante adoptaient dans cet hémicycle la proposition de loi tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française. Pour le rapporteur d'alors, qui n'était autre que le député de la Martinique, Aimé Césaire, ce texte marquait l'aboutissement normal d'un processus historique et la conclusion logique d'une doctrine : soustraire de l'arbitraire et du droit de l'exception ce qu'on appelait alors les quatre vieilles colonies pour les mettre enfin sur un pied d'égalité avec la métropole et les reconnaître comme des membres à part entière de la communauté nationale.
En marge de cette évolution, l'île de Mayotte, française depuis le traité de cession de 1841, accédait pour sa part, et avec elle l'ensemble de l'archipel des Comores au statut de territoire d'outre-mer. Au moment où nous franchissons, avec l'examen de ces deux projets de loi, l'ultime étape juridique la séparant de son accession définitive au rang de département français, on peut tracer des parallèles sur de nombreux points entre le débat d'aujourd'hui et celui qu'avaient en 1946 nos prédécesseurs. Comme en 1946, il s'agit aujourd'hui pour la République de faire droit à une demande ancienne des Mahorais. Si la départementalisation des Antilles, revendiquée par certains, dès l'abolition définitive de l'esclavage, a attendu près d'un siècle, plus de cinquante années se sont écoulées à Mayotte depuis le 2 novembre 1958, date à laquelle l'assemblée des notables réunie à Tsoundzou formalisa pour la première fois la volonté des Mahorais de voir leur île érigée en département.
Comme en 1946, il s'agit pour nous aujourd'hui de reconnaître dans la loi la prégnance et la force de l'attachement d'une collectivité à la République, que cet attachement se soit manifesté par la loyauté dans la guerre ou par une volonté constamment renouvelée de demeurer français à l'heure de la décolonisation.