La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les suites du sommet du G 20 de Pittsburgh et le débat sur cette déclaration.
La parole est à M. François Fillon, Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, il y a douze ans, avec la crise asiatique, un coup de semonce était tiré qui, déjà, révélait la fragilité du capitalisme mondialisé. Trois ans plus tard, l'explosion de la bulle internet ajoutait une crise financière à la crise monétaire.
À chaque fois, la communauté internationale crut tirer les leçons de ces crises. En réalité, rien n'était réglé, car le pari fut pris de laisser aux acteurs le soin de s'autoréguler et de se discipliner. Il aura fallu frôler l'abîme, en 2008, pour que soit prise à bras-le-corps la problématique de la régulation d'une économie toujours plus intégrée, marquée par la croissance exponentielle de la sphère financière.
La refondation du capitalisme mondial est devenue une nécessité vitale.
Vitale pour nos économies et nos emplois. Vitale pour nos démocraties, qui ne peuvent rester impuissantes face à des phénomènes échappant à toute emprise politique. Vitale pour l'économie de marché elle-même, qui ne doit pas s'apparenter à un univers sans foi ni loi.
Le sommet de Pittsburgh a été un tournant – et je me réjouis que votre assemblée débatte aujourd'hui de ses suites, sur la suggestion du président Accoyer et du président Ollier. En effet, lors de ce sommet, nous avons, d'un côté, signé la fin de la phase d'urgence ouverte avec la faillite de Lehman Brothers et, de l'autre, inauguré une phase de reconstruction du capitalisme financier et posé les bases d'une nouvelle gouvernance mondiale.
Bien entendu, cette phase prendra du temps. Elle devra être solidifiée, amplifiée, encadrée. Mais personne ne peut nier que le mouvement est enclenché et qu'il le fut très largement à l'initiative de la France et du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Créé à l'initiative des ministres des finances, le G 20 a dix ans. Mais, jusqu'à l'année dernière, il n'avait jamais vraiment assuré de fonction de coopération et de régulation mondiale. Depuis, il y a eu trois G 20, dans un format totalement nouveau et avec un rôle désormais majeur.
Ce sursaut international ne fut pas spontané.
À Washington, le 15 novembre 2008, l'Amérique était sous le choc de la crise née chez elle et l'administration Bush vivait les derniers mois de son mandat. À l'évidence, les États-Unis ne pouvaient conduire la mobilisation internationale.
Présidente de l'Union européenne, la France a pris les choses en main. Elle a obtenu que, pour la première fois de son histoire, le G 20 se réunisse au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Cela n'allait pas de soi ; j'ai parfaitement en mémoire l'énergie qu'il a fallu déployer pour convaincre un à un tous les homologues du Président de la République. Si Nicolas Sarkozy et Angela Merkel n'avaient pas pressé l'Europe et les grandes puissances d'organiser une riposte collective, nous en serions encore à débattre des raisons de la chute de Lehman Brothers. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
À notre demande, le G 20 a alors débouché sur de premières mesures d'urgence. À Londres, le 2 avril 2009, un consensus a commencé à se forger sur les fondations d'un nouvel ordre économique et financier mondial et les moyens des institutions financières internationales ont été substantiellement renforcés.
Le sommet de Pittsburgh a permis de mesurer le chemin parcouru depuis la rencontre de Londres. Il y a un an, les marchés financiers s'effondraient et les perspectives de croissance étaient continuellement révisées à la baisse. Aujourd'hui, la tendance est inversée : le FMI a revu à la hausse ses prévisions de croissance pour 2010 ; en France, l'INSEE anticipe une poursuite de la croissance d'ici à la fin de l'année, après le rebond du deuxième trimestre. Nombre d'observateurs jugent même – une fois n'est pas coutume – que notre prévision de croissance pour 2010 est trop prudente.
Il n'y a pas eu de miracle : si nous avons évité une nouvelle grande dépression mondiale, c'est parce que nous avons su retenir collectivement les leçons du passé.
À la Conférence de Londres de 1933, l'incapacité des nations à s'entendre avait entraîné l'effondrement des paiements, la paralysie des échanges mondiaux, la course aux dévaluations compétitives, la déflation, le chômage de masse, la montée des totalitarismes, les guerres protectionnistes et, enfin, la guerre tout court. Le passé a prouvé que, dans des circonstances économiques graves, le prix de la mésentente entre les nations peut être incalculable.
À Pittsburgh, la communauté internationale a été lucide. Elle a confirmé sa volonté absolue de rester soudée. Ainsi, 2010 sera une année de transition : le Canada, pour le G 8, et la Corée du Sud, pour le G 20, coprésideront des sommets « conjoints ». Et c'est à la France que ses partenaires ont demandé de conduire, à terme, le processus, avec un seul sommet, celui du G 20, sous sa présidence en 2011.
C'est l'amorce, mesdames, messieurs les députés, d'une mondialisation politique destinée à réguler une économie de marché qui, elle, est mondialisée depuis longtemps.
Cette régulation, il fallait d'abord l'asseoir sur une moralisation du système. Transparence, responsabilité, éthique : ces principes avaient été le plus souvent oubliés, bafoués, pervertis. Le capitalisme financier en était venu à marcher sur la tête. Nous avons entrepris de le remettre sur ses pieds, car l'économie de marché ne doit plus se confondre avec le marché de l'économie et la République du mérite et du travail ne doit pas être ruinée par les coups de poker de la spéculation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
En matière de bonus et de rémunération des opérateurs de marché, tous les pays du G 20 se sont ralliés aux propositions françaises. Le G 20 a approuvé des règles proposées par le Conseil de stabilité financière, qui prévoient un encadrement des rémunérations, l'interdiction des bonus garantis, ainsi que le paiement différé et en actions d'une partie substantielle de la rémunération.
Ces principes constituent une véritable rupture par rapport à la situation antérieure. Ce sont ceux que la France avait proposés le 25 août dernier à Paris, avant d'être rejointe par l'Allemagne et la Grande-Bretagne, puis par l'ensemble de l'Union européenne. À l'époque, certains ont haussé les épaules devant ces mesures imposées à notre propre secteur bancaire. Une fois encore, ils ont été dépassés par les faits, puisque ce sont précisément ces mesures, annoncées au mois d'août aux banquiers français, qui ont inspiré toutes les négociations internationales.
En matière de lutte contre les paradis fiscaux, les avancées sont considérables. Depuis des décennies, rien n'avait bougé sur ce sujet central. Il y eut, certes, beaucoup de grandes déclarations, mais aucun passage aux actes.
Là encore, la France a été en pointe. La partie n'était pas gagnée d'avance. En quelques mois, 150 accords d'échanges d'information ont été signés.
Douze pays sont passés de la liste grise à la liste blanche. Quatre sont passés de la liste noire à la liste grise. Quinze ont décidé de mettre fin au secret bancaire. Et le G 20 a décidé, pour la première fois dans l'histoire de notre système financier international, que des sanctions pourraient être adoptées à partir de mars 2010 contre les États ne se conformant pas aux règles internationales. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Les banques françaises ont d'ores et déjà annoncé qu'elles se retireraient totalement des paradis fiscaux qui figureront encore sur la liste grise en mars 2010. (Sourires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Vous devriez vous réjouir de cette annonce, car, à ma connaissance, ces banques y sont depuis très longtemps et elles y étaient à une époque où vous aviez la responsabilité de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
En ce qui concerne le capital des banques, les pays du G 20 se sont accordés sur l'adoption, en 2011, au niveau international, du cadre prudentiel de Bâle II. Les États-Unis y étaient réticents. Nous avons, avec l'Allemagne, porté cette disposition, et elle a été adoptée. Tous ont souscrit à l'objectif de renforcement des fonds propres, notamment pour les activités les plus risquées des établissements financiers.
Sur ce point comme sur celui des bonus, nous avons obtenu que le pouvoir des superviseurs soit renforcé. Ceux-ci pourront imposer des exigences en fonds propres supplémentaires aux entreprises et limiter le niveau des rémunérations afin qu'il soit compatible avec la solidité de leur bilan. Pour la première fois, les superviseurs auront le pouvoir de plafonner le montant des bonus à une fraction des revenus d'une banque lorsque leurs montants mettent en danger la stabilité financière.
En matière d'activités spéculatives, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont obtenu que soit mise à l'étude la manière selon laquelle le secteur financier pourrait apporter une contribution financière, justifiée par les coûts engendrés pour répondre à la crise. Il pourrait s'agir d'une taxation des activités risquées, visant à la fois à dissuader la spéculation et à créer des financements innovants, dans la perspective du sommet de Copenhague.
Le G 20 a également consacré une part importante de ses débats aux questions d'emploi. Il a souhaité promouvoir des règles compatibles avec les principes de l'Organisation internationale du travail, dont le directeur général était d'ailleurs, pour la première fois, présent à Pittsburgh. Le Royaume-Uni et la France prendront prochainement des initiatives pour que les huit normes fondamentales de l'OIT soient ratifiées par l'ensemble des membres du G 20. Enfin, celui-ci a fait référence aux travaux de la commission Stiglitz, afin que les dimensions sociales et environnementales soient prises en compte dans les agrégats macroéconomiques.
Mesdames, messieurs les députés, malgré le scepticisme et le poids des habitudes, notre pays n'a pas baissé les bras. Nous pouvons être fiers d'avoir fait progresser notre vision d'une mondialisation plus responsable. Nous avons contribué à la mise en place d'une nouvelle gouvernance mondiale. En effet, personne ne peut nier que le G8 a perdu la place qui était la sienne au profit, comme nous le réclamions depuis octobre 2008, du G 20, qui est désormais le forum majeur de coopération économique internationale.
Tous les membres du G 20 se sont engagés à maintenir leurs plans de relance tant que la reprise ne sera pas installée et à préparer ensemble des stratégies de sortie coordonnées.
Après la crise, la croissance ne pourra pas reposer sur l'excès de consommation des uns et l'excès d'épargne des autres. Nous ne pourrons plus laisser se développer des déficits et des excédents de balance des paiements qui déstabilisent l'économie mondiale : la coordination, plus que jamais nécessaire, aura lieu au sein du G 20. Les politiques économiques seront passées en revue chaque année par l'ensemble de ses membres. Leur conformité avec les objectifs communs sera vérifiée et les ajustements nécessaires seront débattus et décidés collectivement.
Par ailleurs, comme nous le souhaitions, le rôle des principales organisations financières mondiales a été renforcé, particulièrement celui du FMI. Il va désormais avoir une vraie responsabilité d'évaluation et de régulation, et la part des pays émergents en son sein sera enfin élargie. C'est ce que le Président de la République avait demandé en juin 2007, lors du sommet du G 8 à Heiligendamm.
L'objectif est désormais nettement fixé, avec un réalignement d'au moins 5 % des quotes-parts des pays sur-représentés vers les pays sous-représentés, notamment la Chine. Ce réalignement sera effectif au plus tard en janvier 2011, et nous allons enclencher la réforme de la Banque mondiale selon les mêmes principes.
Mesdames et messieurs les députés, il nous revient désormais de mettre en oeuvre les dispositions adoptées par le G 20. Christine Lagarde prendra dans les prochains jours un arrêté permettant d'inscrire les nouvelles règles relatives à la gouvernance, la transparence et l'encadrement des rémunérations des opérateurs de marché dans l'ordonnancement juridique français, au titre des règles applicables en matière de contrôle interne dans les banques. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
L'arrêté précisera que ces règles seront soumises au contrôle et au pouvoir de sanction de la Commission bancaire.
En matière de paradis fiscaux, la ministre de l'économie et le ministre du budget proposeront des mesures destinées à lutter contre les juridictions non coopératives. En premier lieu, pour renforcer la transparence sur les activités réalisées dans ces juridictions, un arrêté, paru ce matin, instaure une liste des informations à publier par les banques et relatives à ces activités.
En second lieu, le Gouvernement proposera, d'ici la fin de l'année, des mesures de renforcement de la législation fiscale à l'égard des juridictions non coopératives de la liste grise de l'OCDE qui n'ont pas signé d'accord d'échange de renseignements avec la France. Il s'agira de pénaliser les flux financiers avec les paradis fiscaux non coopératifs, de relever les taux d'imposition des flux entrants et sortants de ces paradis, de renforcer les mesures anti-abus. Bref, notre combat contre les paradis fiscaux va se renforcer, mois après mois, jusqu'à ce que nous obtenions que ceux-ci soient définitivement rayés de la carte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
En outre, un projet de loi de régulation bancaire et financière sera présenté au Parlement avant la fin de l'année. Ce projet vous proposera d'améliorer la supervision des groupes transfrontières par la mise en place de collèges de superviseurs et le renforcement des échanges d'informations entre eux. L'Autorité des marchés financiers sera dotée de pouvoirs d'urgence lui permettant de restreindre les conditions de négociation des instruments financiers pour faire face à des situations exceptionnelles de marché, ainsi que d'un pouvoir de contrôle des agences de notation, en application du nouveau règlement communautaire.
Mesdames et messieurs les députés, quelques jours avant Pittsburgh, le parti socialiste publiait un communiqué intitulé « Le monde ne peut se permettre un G 20 pour rien ».
Nous avons pris nos responsabilités, mais aucune mesure ne semble trouver grâce aux yeux de l'opposition. Bien sûr, à Pittsburgh, tout n'a pas été réglé d'un coup de baguette magique ! Qui peut croire qu'on puisse achever en quelques jours une réforme aussi gigantesque que celle du système économique et financier mondial ? Pour cela, il faudra encore de longs mois, et même probablement de longues années. Ceux qui prétendent pouvoir précipiter les choses sont dans la théorie et la posture, non dans la réalité de l'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Que demandait le parti socialiste ? Une réglementation plus stricte de la titrisation : c'est fait ; le renforcement de la réglementation sur les fonds spéculatifs : c'est fait ; le renforcement du rôle du Fonds monétaire international : c'est fait ; la présence au G 20 de l'Organisation internationale du travail : c'est fait ; l'éradication des paradis fiscaux : c'est largement entamé. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Enfin, une régulation des mouvements de capitaux et des transactions financières internationales : pour la première fois dans notre histoire, la communauté internationale accepte que cette régulation soit mise à l'étude.
Au regard de ces résultats – qui ne sont ni de droite, ni de gauche…
…la majorité présidentielle et l'opposition devraient pouvoir se féliciter ensemble des avancées impulsées par la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Tout au contraire, la première secrétaire du parti socialiste a affirmé de façon péremptoire que « rien ne s'était passé au G 20 de Pittsburgh ». (Huées et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Pourquoi ce déni de la réalité ? Pourquoi cette opposition systématique ? Pourquoi cette rancoeur partisane qui est finalement tournée contre le rayonnement et l'influence de notre pays lui-même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Il suffit que le Président de la République soit à l'initiative pour nier, contre toute évidence, les progrès réalisés par la communauté internationale. C'est absurde et c'est triste.
D'un côté, l'opposition ne veut pas voir ce qui s'est passé au G 20, de l'autre, Dominique Strauss-Kahn se félicite de « décisions historiques pour adapter la coopération économique mondiale aux besoins du xxie siècle ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Le Président du gouvernement espagnol, M. Zapatero, a souligné que le sommet de Pittsburgh marquait le début d'une nouvelle phase dans l'économie mondiale. Quant au Président Lula, il a estimé que le G 20 constituait « une victoire extraordinaire » pour les pays émergents. Entre la version de la rue de Solférino et celle de ces trois hauts responsables de gauche, laquelle choisissez-vous ? Pour ma part, j'accorde plus de crédit au jugement des hommes d'État et d'action. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Maintenant, il faut surtout nous projeter vers l'avenir. Si le pire est derrière nous, de très lourds défis surgissent devant nous.
En l'absence d'un redressement de la réindustrialisation et de la compétitivité du Nord ; en l'absence, d'autre part, d'une stimulation de la consommation à travers la mise en place de systèmes de protection sociale dans les pays du Sud, les déséquilibres commerciaux et financiers vont continuer de croître.
Par ailleurs, le capitalisme mondial ne peut se stabiliser durablement sans un minimum d'ordre monétaire car, pour l'heure, la crise a encore aggravé les tensions sur les marchés des changes. Le G 20, à l'image de la conférence de Bretton Woods, devra réintégrer dans ses travaux la question de la régulation des monnaies. Distorsions de taux de change, risques protectionnistes, endettements publics vertigineux pesant sur la signature des États, variations de prix des matières premières, lutte contre le réchauffement climatique : tous ces sujets nous imposent de rester collectivement mobilisés.
Mesdames et messieurs les députés, en moins d'un an, trois G 20 ont ouvert un chemin nouveau, porteur d'espoir. Ensemble, nous avons cassé la spirale de la récession, mais, en réalité, tout ne fait que commencer. Le monde de demain se dessine aujourd'hui. Serons-nous capables de lui garantir plus de prospérité ? Serons-nous capables de faire émerger une éthique internationale, partagée et assumée par les grandes puissances ?
Nous devons inlassablement poursuivre nos efforts. C'est la vocation de la France et c'est l'honneur de la France que de défendre l'idée d'un monde mieux équilibré, plus juste et plus responsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Pour le groupe SRC, la parole est à M. Jérôme Cahuzac, qui dispose de dix minutes.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont eu le grand mérite – ce dont il faut leur donner acte – d'avoir fait des propositions communes avant le sommet de Pittsburgh et d'avoir su rallier à ces propositions le Premier ministre britannique Gordon Brown.
Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont défendu ensemble ces positions, avec le soutien de Gordon Brown, lors du sommet de Pittsburgh. On ne peut donc que s'étonner des divergences d'appréciation qui semblent désormais exister au sujet de ce sommet entre le Président de la République française et la Chancelière allemande. Monsieur le Premier ministre, j'ai constaté que n'aviez pas prononcé le nom de Mme Merkel…
Mais si, il l'a fait !
…alors que vous avez cité le Président Lula – qui s'est félicité de la reconnaissance du Brésil – et le président Zapatero – certainement satisfait que l'Espagne se voie désormais reconnaître un rôle au sein de l'Europe que l'emprise du franquisme lui avait interdit de tenir durant tant d'années. (Protestations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) J'ignorais, mes chers collègues de la majorité, que la simple évocation du franquisme puisse vous choquer à ce point.
D'où vient donc cette divergence d'appréciation entre la chancelière allemande et le Président de la République française ? D'aucuns pourraient penser que sa cause réside dans leurs formations professionnelles respectives : alors que l'un est avocat, l'autre est physicienne, ce qui suppose de sa part une relation au réel à la fois objective, lucide et robuste.
Quoi qu'il en soit, je dis bravo aussi bien à la méthode consistant à faire des propositions avant le sommet qu'au principe consistant à les mettre par écrit et à les rendre publiques, ce qui montre un louable souci de transparence. J'aurais aimé dire bravo une troisième fois au sujet des résultats de ce sommet. Malheureusement, M. le Premier ministre ne nous laisse que deux options : soit tomber dans la caricature en nous y opposant radicalement, soit approuver sans réserves ce qui a été fait. Pour ma part, je tenterai tout de même d'exprimer une position un peu plus nuancée, tout en restant comprise. Il y a, monsieur le Premier ministre, au moins trois sujets sur lesquels nous ne partageons ni votre enthousiasme, ni l'adhésion des députés de votre majorité à certaines phrases qui, pour être touchantes, ne sont pas tout à fait convaincantes pour peu que l'on y réfléchisse un peu : il s'agit de la croissance, des paradis fiscaux et des banques.
En ce qui concerne la croissance, vous pouvez toujours évoquer des jours meilleurs, que nous espérons tous, mais force est de constater que Joseph Stiglitz, un spécialiste reconnu – y compris à l'Élysée, puisque c'est à lui que l'on a demandé d'établir un nouvel indicateur de croissance –, indique lui-même que la croissance, lorsqu'elle reviendra, sera particulièrement faible et friable, ce qui aura inévitablement pour conséquence une augmentation du chômage et de la pauvreté. Cela n'empêchera pas les établissements bancaires et financiers de renouer avec les bénéfices, dont profitent avant tout les dirigeants et actionnaires, à qui il n'a jamais été demandé de faire application d'une clause de retour à bonne fortune. C'est notre premier point de désaccord, monsieur le Premier ministre : nous estimons que le secteur bancaire ayant été, partout dans le monde, sauvé en grande partie grâce à l'intervention de l'État et les contribuables, à un moment où les actionnaires, par gros temps, se faisaient particulièrement discrets, pourrait aujourd'hui contribuer davantage qu'il ne le fait au retour de la croissance. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Je comprends que le président Sarkozy n'ait pu faire valoir cette demande lors du G 20, puisqu'elle ne correspond pas à ce qui s'est fait en France. Comme nous le savons, vous avez décidé, monsieur le Premier ministre, madame la ministre et vous, mes chers collègues de la majorité, que les banques seraient recapitalisées non pas en permettant à l'État d'entrer dans leur capital, mais par le biais des taux super-subordonnés. Cette faute coûte aujourd'hui près de 20 milliards d'euros, c'est-à-dire une somme tout à fait inacceptable au regard de nos finances publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le Premier ministre, quand vous considériez, en 2007, avec un déficit budgétaire de moins de 40 milliards d'euros et un stock de dettes de l'ordre de 60 % du PIB, être à la tête d'un État en faillite, quels mots allez-vous employer pour décrire la situation actuelle, alors que le déficit de l'État est passé à 141 milliards d'euros et que le stock de dettes avoisine les 85 % du PIB ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Oui, ce fut une faute à 20 milliards d'euros, et nous n'aurons de cesse de vous la rappeler, car c'est le rôle de l'opposition que de rappeler les erreurs de la majorité.
Une deuxième menace pèse sur la croissance, celle de la guerre monétaire. Nous savons que les États-Unis vont laisser filer à la baisse la valeur de leur monnaie. Nous savons également que les conservateurs britanniques, dont tout indique qu'ils s'apprêtent à gagner les prochaines élections, sont beaucoup moins européens et beaucoup plus atlantistes que leurs collègues travaillistes, ce qui n'est pas peu dire. Une dévaluation compétitive de la livre ne les effraiera pas.
Oui, nous pouvons craindre pour notre commerce extérieur, du fait d'une parité des changes très défavorable à l'euro. C'est donc le second moteur de la croissance dans notre pays qui se trouve sévèrement menacé, mais rien n'a été fait pour traiter préventivement cette question monétaire, que vous n'avez d'ailleurs pas jugé bon, monsieur le Premier ministre, d'aborder dans votre allocution.
Troisième point de désaccord enfin, le pouvoir d'achat, dont une étude américaine nous indique qu'il stagnera ou régressera en 2010, comme ce fut le cas en 2009.
Il n'y aura donc pas d'investissement puisque la dette est telle que l'épargne est siphonnée par le financement des charges courantes de l'État à la tête duquel vous êtes, monsieur Fillon ; pas d'investissement pour les entreprises qui en auraient pourtant bien besoin. Il n'y aura pas non plus de croissance par le commerce extérieur, puisque la guerre des monnaies – on peut le craindre – va faire rage. Il n'y aura pas enfin de relance de la consommation faute de pouvoir d'achat. La consommation en Europe et en France peut légitimement nous inspirer les plus grandes craintes, et le sommet de Pittsburgh ne nous a nullement rassurés sur ce point. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Les paradis fiscaux sont pour nous une autre cause d'inquiétude. Je vous donne bien volontiers acte des percées décisives intervenues lors du G 20 de Londres : prétendre le contraire ne serait pas raisonnable, pas davantage qu'il ne serait raisonnable d'affirmer qu'à Pittsburgh les avancées ont été comparables. À moins que vous ne m'expliquiez comment le seul fait qu'un pays non coopératif signe des accord avec douze autres pays fasse disparaître les paradis fiscaux. Car il faut savoir que, si Monaco a pu sortir de la liste grise, c'est qu'il a en effet signé des accords de coopération avec le Qatar, les Îles Vierges, Andorre, le Liechtenstein, le Luxembourg… En d'autres termes, tous ces États pourront désormais échanger des informations sur leurs contribuables respectifs, innovation dont je doute qu'elle fasse trembler les contribuables monégasques ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Nous ne sommes donc pas satisfaits.
Enfin et surtout, le président de la République française et la Chancelière allemande avaient conjointement demandé que l'on taxe les transactions financières émanant de ces paradis fiscaux. Or sur cette mesure, qui aurait obtenu notre accord et reçu nos applaudissements, vous n'avez pas obtenu gain de cause, faute peut-être de l'avoir défendue avec suffisamment de conviction.
Quant aux banques, la vérité, monsieur le Premier ministre, c'est que l'économie « casino » a repris, à supposer qu'elle se soit jamais arrêtée : il est en effet difficile de faire cesser en quelques mois des pratiques prospères depuis vingt ans. Des coups de frein plus vigoureux auraient cependant pu être donnés pour empêcher par exemple les provisions fabuleuses faites pour les seuls bonus aux États-Unis mais aussi en France : vingt milliards de dollars pour Goldman Sachs ; un milliard d'euros pour la BNP ou la Société générale.
Concernant ces bonus, vous nous avez présenté la mesure arrêtée par le G 20 non en vous appuyant sur le texte un peu ardu du communiqué de vingt-trois pages, mais selon l'interprétation que vous en faites. Les bonus pourraient être plafonnés en fonction du produit bancaire et dans l'hypothèse d'une capitalisation malsaine de l'entreprise. Mais qui décidera de l'aspect sain ou malsain de la capitalisation ? On l'ignore. Qui décidera du montant du pourcentage ? On l'ignore. Qui sera touché par cet éventuel plafonnement ? On l'ignore.
Le président Nicolas Sarkozy a prétendu en marge du sommet de Pittsburgh qu'il avait convaincu le monde que la solution française était la bonne. Or j'ai lu une déclaration du président Obama qui refusait tout plafonnement. Dans ces conditions, monsieur le Premier ministre, vous devriez peut-être informer le monde des propos de M. Sarkozy, car il n'est manifestement pas au courant ! (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Rien n'a été décidé non plus concernant la régulation au niveau mondial. La disjonction perdure entre une économie mondialisée et des régulations nationales. Certes c'est une question délicate, mais comment faire l'impasse là-dessus ?
Quant à la régulation au niveau national, elle ne progresse pas. Madame la ministre, vous nous aviez dit attendre monts et merveilles du comité d'éthique du MEDEF : je constate que le Premier ministre n'en a même pas parlé, pas plus qu'il n'a mentionné le superviseur des rémunérations dont vous nous aviez annoncé la création. Je mets d'ailleurs quiconque au défi de me citer son nom, tant il est discret dès lors qu'il s'agit de déterminer les rémunérations de certains dirigeants d'instituts bancaires ou financiers.
Il n'y a donc ni microrégulation ni macrorégulation. Nous ne sommes pas convaincus par vos mesures et nous craignons que l'actualité économique n'apporte dans les prochaines semaines et les prochains mois son lot de révélations concernant tel ou tel dirigeant d'entreprise ou de banque s'étant vu attribuer des sommes astronomiques et indécentes, qu'il s'agisse de stock options, de retraites chapeaux ou de bonus.
Vous avez cité M. Dominique Strauss-Kahn, monsieur le Premier ministre, et je vous en remercie. Le Financial Times, qui ne s'est pas montré par le passé particulièrement favorable au directeur du FMI, a pourtant souligné qu'il était un Français qui avait réussi à imposer son leadership au niveau mondial. Ce Français-là, monsieur le Premier ministre, n'est pas celui que vous voulez nous faire croire, ce n'est pas celui que votre majorité espère. (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent longuement.)
Pour le groupe UMP, la parole est à M. Jean-François Copé, qui dispose de dix minutes.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, le tirage au sort des orateurs a bien fait les choses, et je me réjouis de prendre la parole après M. Cahuzac, car j'ai entendu dans sa bouche des propos qui tranchent avec ceux que tiennent d'ordinaire les responsables de l'opposition, pour qui il y a toujours les gentils d'un coté et les méchants de l'autre, ceux qui ont absolument raison et ceux qui ont absolument tort.
Le discours de M. Cahuzac montrait au contraire que sur ces sujets difficiles on pouvait avancer avec moins de certitudes que d'interrogations. Au-delà de quelques effets de manche qui n'emportent pas systématiquement mon approbation, il témoigne que les deux années qui viennent de s'écouler nous ont appris des choses aux uns et aux autres.
Il est vrai, monsieur Cahuzac, que vous appartenez à la nouvelle génération (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et que je rêverais d'entendre chez vos aînés le même esprit de modération. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Vous avez raison, la crise est née d'un excès de confiance. Les responsables politiques des pays occidentaux, de droite comme de gauche, ont failli. Ils ont failli d'abord en étant incapables de voir, après la chute du mur de Berlin, que des nouvelles secousses tectoniques se profilaient. On a nié des réalités majeures, comme les transferts d'activité, de croissance et de richesses vers les pays émergents.
On a nié les transferts d'activité, qui conduisaient au décalage entre l'économie financière, dite de spéculation, et l'économie réelle. Pendant ce temps-là, il était des continents comme l'Afrique, dont on ignorait la souffrance ou les frustrations – je pense ici au Proche-Orient.
Ces erreurs-là, nous les avons commises tous ensemble. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) En vérité, les uns comme les autres, nous nous sommes satisfaits d'une situation dont nous avions le sentiment que nous ne pouvions pas la maîtriser. Et puis, nous avions de la croissance et de l'emploi, et l'un dans l'autre les choses continuaient à avancer. Mais lorsque la crise financière est arrivée il y dix-huit mois ou deux ans, les responsables politiques ont subitement pris conscience qu'ils ne l'avaient pas vu venir.
« Sauf les communistes », bien sûr ! Cela leur fait plaisir et cela nous permet de continuer. Nous sommes à présent au pied du mur, et il me semble que nous avons fait la démonstration depuis un an que nous pouvions reprendre l'initiative et ne plus être à la traîne des évolutions et des événements.
De ce point de vue, je me félicite que ce débat sur le G 20 ait lieu aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Je veux vous dire, monsieur le Premier ministre, combien vous avez eu raison de rappeler que la France peut être fière de la manière dont elle a initié les débats, conduit les discussions et obtenu les résultats qui sont les siens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Car le moins que l'on puisse dire, c'est que les sceptiques étaient innombrables et que la manière dont nous avons forcé la main à nos partenaires européens et américains a été déterminante. C'est au président Nicolas Sarkozy que nous le devons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Il est suffisamment de domaines dans lesquels on peut polémiquer, et j'étais plutôt heureux d'entendre M. Cahuzac saluer – malgré de légitimes réserves – le travail accompli.
Les citoyens du monde entier adressent aujourd'hui à leurs dirigeants le même message : nous ne reviendrons pas au « Business as usual », comme disent les Anglais. Cette crise commande que nous prenions un certain nombre de décisions, et c'est aux politiques de les prendre. Cette crise doit marquer le retour au droit international. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
De ce point de vue, les interventions bancaires faites dès la première crise, en septembre 2008, ont été non seulement parfaitement dosées mais extrêmement efficaces. Un certain nombre de responsables socialistes ont à l'époque crié au scandale parce que l'État entrait non dans le capital mais dans des garanties bancaires permettant de renforcer indirectement les fonds propres de banques. À les entendre, nous allions « boursicoter ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Or, il ne vous a pas échappé que deux des banques concernées ont récemment annoncé qu'elles remboursaient les emprunts correspondants.
À un excellent prix, monsieur Le Guen. Vous qui connaissez bien les finances publiques, vous savez que dans ce domaine, l'État – et donc les contribuables – ont paradoxalement fait une très bonne affaire. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)
Nous sommes ensuite intervenus très rapidement avec les plans de relance, et là encore ce fut une bonne chose. À présent, il faut redonner son rôle au droit. Vous avez rappelé deux principes essentiels, monsieur le Premier ministre, qui devront dicter notre conduite. Le premier est qu'il faut cesser de raisonner de manière nationale pour raisonner de manière globale.
La France n'est pas une île ! Nous devons en tenir compte dans toutes les mesures que nous prenons et dans tous nos débats. Je rêve que, dans notre hémicycle, on soit un peu plus ouvert sur l'international et que l'on comprenne, au-delà des envolées lyriques et idéologiques, que le vrai sujet est de veiller à ce que l'ensemble de la communauté internationale suive nos prescriptions en matière de droit et d'économie mondiale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Je vous ai trouvé bien dur, monsieur Cahuzac, sur les paradis fiscaux. Je veux bien que tout ce que nous faisons reste en deçà de vos espérances, mais je suis obligé de vous faire remarquer qu'à l'époque où vos amis étaient au pouvoir, on produisait certes des rapports, mais la coproduction législative n'existait pas et ces rapports n'arrivaient pas jusqu'au bureau de M. Jospin ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) C'est la raison pour laquelle nous ne l'avons jamais vu, lorsqu'il était Premier ministre, prendre des initiatives internationales suivies d'effets.
En ce qui concerne ensuite les pratiques bancaires que vous avez évoquées, nous avons des défis à relever. Et il ne faudra pas craindre pour cela de faire de la pédagogie. Si notre majorité n'a guère de souci sur la transparence des rémunérations, il y a en revanche des domaines dans lesquels l'opposition pourrait sans doute nous aider : je pense notamment à la transparence des produits financiers.
Si aujourd'hui on peut prouver qu'un composant fait défaut dans la composition d'une bouteille d'eau minérale, son fabricant encourt des poursuites pénales. Pour les produits financiers en revanche, personne ne sait rien de la manière dont ils sont composés et ce qu'ils deviennent à travers l'économie internationale. Je pense donc que notre prochain chantier est là : nous devons nous assurer que, sur les circuits financiers qui font tourner l'économie mondiale, règne la même transparence que sur les autres secteurs de l'activité. Nous devons tirer les leçons de la crise mondiale que nous sommes en train de vivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Un mot, enfin, sur ce qui représente à mes yeux le plus grand acquis du sommet du G 20 à Pittsburgh. Il s'est passé quelque chose d'énorme, et c'est à la France qu'on le doit : désormais, le G 8 a disparu pour laisser la place au G 20.
Il ne s'agit pas simplement d'une question diplomatique ou formelle : il s'agit d'affirmer que c'est l'ensemble de la planète qui doit commencer à organiser les choses pour la suite. Ce sont maintenant les vingt pays qui comptent qui portent la croissance du monde ; ainsi, nous pouvons enfin élargir la discussion – par rapport au club trop restreint qui pensait décider de l'avenir du monde, cela représente une avancée considérable.
Nous avons là des perspectives essentielles pour la future régulation mondiale. Je vous le dis : le fait que, désormais, le G 20 soit à même de prendre des grandes décisions marque une date historique.
Je prendrais volontiers un pari sur la prochaine étape.
Cette prochaine étape, ce sera la fusion avec le Conseil de sécurité de l'ONU –, de telle manière qu'il n'y ait plus qu'une seule instance qui s'occupe de sécurité, d'économie, de développement durable, et, bien entendu, de questions sociales.
Voilà, mes chers collègues, ce qui nous amène à penser que le résultat de Pittsburgh est tout à fait essentiel. Ces résultats sont à l'honneur du Président de la République française, et nous, au sein de l'UMP, sommes très nombreux à penser que cette avancée est essentielle : nous ne reviendrons pas en arrière ; la voix de la France a été pleinement entendue ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Pour le groupe de la Gauche démocratique et républicaine, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier, qui dispose de dix minutes.
Regardez-les, les députés de l'UMP s'en vont ! Ils viennent applaudir leurs copains et ils s'en vont !
Mes chers collègues, si certains d'entre vous ont décidé de quitter l'hémicycle, je leur demande de le faire dans le plus grand silence. C'est la moindre des corrections vis-à-vis de l'orateur. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Un peu de silence, s'il vous plaît. Vous avez la parole, monsieur Sandrier.
Les résultats des trois sommets du G 20 tenus depuis un an sont inversement proportionnels aux communiqués triomphants du Président de la République.
Celui de Pittsburgh n'échappe pas à la règle. Je ne citerai que deux économistes – parmi beaucoup d'autres – pour confirmer cette appréciation. L'un deux dit : « Les dirigeants du G 20 ont été intraitables et intarissables sur l'accessoire, inconsistants et muets sur l'essentiel. » L'autre, Élie Cohen, dit : « Le G 20 a été l'énoncé de quelques principes, mais rien de concret. »
Pourquoi, alors, autant de gesticulations pour un si piètre résultat ? Tout simplement parce que la crise a mis à nu le mode de fonctionnement d'un système qui soumet tous les peuples à la servitude de la rentabilité financière et montre que depuis un an rien n'a changé pour les marchés financiers. Le problème est que désormais nos concitoyens le savent, le voient et sont à juste titre de plus en plus exaspérés d'avoir à payer à la place des responsables de la crise – qui, eux, continuent à s'en mettre plein les poches.
Les licenciements, le chômage, la destruction des services publics, le stress au travail – qui coûte soixante milliards d'euros au pays d'après une récente étude –, les hausses permanentes des taxes constituent l'addition présentée par un monde financier qui s'est gavé d'argent jusqu'à l'overdose et qui déshumanise le travail. Ce monde est un monde sauvage, qui faisait dire, déjà, à Jaurès : « L'Humanité n'existe pas encore, ou elle existe à peine ».
Le Président de la République n'a pas de mots assez durs pour vilipender ce « mauvais » capitalisme, tout en prêchant pour le « bon » capitalisme. Nous pourrions être touchés par cette découverte subite s'il n'avait été le champion du tout-déréglementé, du tout-dérégulé, du tout-marché, du tout-liberté de circulation des capitaux, du tout-« concurrence libre et non faussée » – bref, de tout ce qui a conduit là où nous en sommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Aujourd'hui, pris au piège de leur échec politique, économique et social, les gouvernements tentent, à l'instar du Président de la République d'être en paroles à la gauche de l'extrême-gauche ; car, pour ne pas faire exploser le système, il faut donner l'impression que l'on fait quelque chose !
En réalité, ils appliquent à la lettre les recommandations des plus grands serviteurs du royaume du fric, tel l'ultra-milliardaire Soros déclarant : « Oui, il faut réguler, un peu, mais pas trop. » Et chez nous, la patronne des champions du CAC40 déclarant : « Il ne faut surtout pas légiférer sur les rémunérations des patrons. » Voilà : il faut faire semblant d'agir pour faire passer la pilule.
La pilule, c'est payer pour que les grandes banques privées, reconstituent leurs marges, leurs profits et leurs bonus. C'est payer pour resservir des dividendes sans limite, véritables insultes au monde du travail. D'ailleurs, c'est bien parti : BNP Paribas vient d'annoncer plus de trois milliards d'euros de bénéfices pour un seul semestre avec des actions payées jusqu'à 15 % d'intérêts, réservant un milliard d'euros pour les bonus de ses traders. Rassurez-vous : ils n'auront plus que 500 millions d'euros. C'est effectivement un grand malheur !
La Société générale a fait de même, sans donner de chiffres – ce n'est pas plus rassurant ! Le CAC40 bat à nouveau tous les records de hausse, et ce matin, le journal Les Échos titrait : « insolente santé de la Bourse ».
Alors vous demandez à une majorité de Français de payer, payer pour les milliards d'euros accordés aux banques, payer pour les cadeaux fiscaux – qui ont augmenté de 46 % en deux ans –, payer pour un plan de relance imposé par les responsable de la crise, payer par la casse de centaines de milliers d'emplois. Autrement dit, nous allons devoir donner de l'argent public aux responsables d'une gestion privée catastrophique. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Car – faut-il le redire ? – ce ne sont pas les services publics qui sont la cause de la crise ; ce n'est pas l'argent que consacre la France à l'éducation nationale, à la formation, à la recherche, au logement, à la santé, qui sont les causes de la situation dans laquelle nous nous retrouvons. Non ! C'est, comme le disait Marx il y a 160 ans (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : « L'argent noyant tout et partout dans les eaux glacées du calcul égoïste ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
On ne peut plus d'un côté dire que ce qui reste encore de notre système social, hérité de la Libération, a servi d'amortisseur à la crise – ce qui est vrai – et de l'autre côté se préparer à détruire définitivement cet amortisseur en s'en prenant à la Sécurité sociale, aux retraites, aux services publics. L'addition que vous présentez aux Français, c'est la hausse du forfait hospitalier, de la redevance télévision, mais aussi des prix de la SNCF et d'ERDF – pour qu'ils versent ensuite des dividendes à l'État ! Et ce n'est qu'un début !
Vous créez une taxe carbone : c'est une usine à gaz, totalement injuste et inefficace ; et vous refusez de vous attaquer à la racine du mal en matière d'environnement.
Comble de l'abject, vous voulez même imposer les indemnités des accidentés du travail pour récupérer quelques millions d'euros afin d'aider à combler les pertes abyssales d'un système financier que vous avez construit et porté à bout de bras !
Car, comme le rappelle Patrick Artus, dénonçant un capitalisme à la recherche d'un rendement à tout prix, accordant toujours plus aux actionnaires au détriment des revenus du travail : « Au-delà d'un simple procès de la finance, il y a lieu d'avoir à l'esprit que c'est un projet co-organisé à un niveau bien supérieur par les gouvernements et les banques centrales. Il faut en cela faire le procès de ce modèle économique. »
Devant cette crise grave, profonde, du capitalisme, le temps est venu d'un autre temps. Vos tentatives pour soi-disant moraliser le capitalisme échoueront pour une raison simple : le capitalisme est immoral par nature, car l'homme est un moyen pour lui et non une fin. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) Pour le capitalisme, l'homme est une marchandise, que l'on vend, que l'on achète. Dans ce système le travail de l'homme est d'abord un coût avant d'être une valeur.
Un cycle s'achève aujourd'hui. Une autre organisation du monde devient nécessaire et possible.
Il n'existe qu'un chemin pour en sortir : s'attaquer à la racine du mal.
Il faut interdire les paradis fiscaux partout dans le monde, car aujourd'hui il est complètement faux de dire que le secret bancaire est levé, et encore plus faux que le comportement spéculatif des banques s'est arrêté. Il faut créer une taxe sur les transactions financières. Il faut instituer un impôt mondial sur la fortune. Si vous voulez tenir vos promesses sur les paradis fiscaux, monsieur le Premier ministre, alors demandez à supprimer l'article 56 du traité de Lisbonne qui laisse la liberté totale de circulation aux capitaux !
Il faut encore établir une monnaie commune mondiale, et créer en urgence pour notre pays un pôle public bancaire permettant d'accorder des crédits à taux réduit, notamment aux PME pour l'investissement dans l'emploi, la recherche.
Il faut relancer le pouvoir d'achat par les salaires : c'est une autre façon, non seulement de développer la consommation et l'emploi, mais aussi de détourner l'argent de la spéculation et de rééquilibrer rémunération du travail et rémunération du capital. Je rappelle qu'en 1970, les entreprises distribuaient 25 % de leurs bénéfices en dividendes ; aujourd'hui, c'est 65 % !
Il faut supprimer le bouclier fiscal ; il faut avancer vers l'harmonisation fiscale et sociale, en Europe dans un premier temps. Par ailleurs, il faut développer l'investissement public.
Pour cela, il n'y a naturellement aucune raison de faire confiance à ceux qui font aujourd'hui semblant de brûler ce qu'ils adoraient hier.
C'est de la gauche que peut venir un autre avenir. Reste pour celle-ci, avant de penser à n'avoir qu'un seul candidat en 2012, à réfléchir plutôt sur quoi s'unir. Car avant de savoir avec qui on veut aller sur le chemin, il est mieux de commencer par choisir le chemin. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. — Rires et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Ce chemin, c'est celui d'une nouvelle organisation de la société dépassant le système capitaliste et ses inégalités de plus en plus insupportables, et plaçant les valeurs humaines les plus élémentaires au-dessus des valeurs du CAC40. Pour cela, avec nos concitoyens, nous sommes disponibles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Pour le groupe du Nouveau Centre, la parole est à M. Nicolas Perruchot, qui dispose de dix minutes.
Le sommet de Pittsburgh aura marqué une étape utile, à plusieurs titres, dans la marche vers une nécessaire meilleure régulation de la finance mondiale.
Je souhaite d'abord rappeler que c'est grâce à la France, et à l'initiative du Président de la République, que ces sommets ont eu lieu. Ils ont été l'occasion de montrer la volonté française de trouver des solutions face à la crise financière et économique. Ils permettent également – et c'est pour le Nouveau Centre un point très important – de construire une démarche unitaire au plan européen. On sait combien il est important, dans un monde multipolaire, de pouvoir compter sur une Europe forte et unie.
Au-delà du dialogue, ces sommets permettent des avancées importantes dans des domaines essentiels liés à la crise.
Permettez-moi tout d'abord de me réjouir, au nom du groupe Nouveau Centre, d'un certain nombre d'options qui ont été prises à Pittsburgh à l'initiative de la France.
Je pense tout d'abord au principe d'un système comptable partagé des deux côtés de l'Atlantique, mis en place dans un laps de temps très court – on nous annonce cette mise en place d'ici à juin 2011, afin de parvenir à un système unique de normes en matière de calcul des risques et des capitaux.
Je pense également au principe de l'alignement des États-Unis sur les règles dites « Bâle II » dont l'objectif consiste à obliger les banques à disposer en permanence de capitaux capables d'assurer leurs obligations, grâce à une meilleure évaluation des risques bancaires et financiers.
Nous pouvons aussi être très satisfaits des dispositions prises en faveur d'une meilleure représentativité des pays émergents et des pays les plus peuplés au sein des instances de gouvernance bancaire et financière mondiales, comme le FMI par exemple. Le fait que les pays les plus développés aient choisi, comme vous le savez, de transférer 5 % de leurs droits de vote au profit des pays sous-représentés au regard de leur poids dans l'économie mondiale marque une étape importante dans le nouvel équilibre du monde.
Nous devons également saluer la consolidation des ressources propres du FMI, à hauteur de 500 milliards de dollars, mesure qui avait été prévue lors du sommet du mois d'avril dernier, et qui a été confirmée à Pittsburgh. Je me permets ici de citer – après Jérôme Cahuzac – le président du FMI, Dominique Strauss-Kahn, qui déclarait à l'issue du sommet de Pittsburgh « être véritablement encouragé par l'issue du sommet du G 20, et notamment par le nouveau rôle conféré au FMI ». Il ajoutait : « La coopération internationale a été déterminante dans la riposte à cette crise ; l'implication active des dirigeants, telle qu'elle se manifeste dans leur approche du cadre pour une croissance solide, soutenue et équilibrée, est nécessaire pour entretenir la reprise économique mondiale. »
Nous pouvons nous féliciter que Dominique Strauss-Kahn voie dans les mesures qui ont été prises lors des trois sommets du G 20 des paramètres de nature à permettre une reprise dans les différents pays concernés par la crise.
Enfin, et c'est un point essentiel pour les professionnels de la finance, la réforme des pratiques de rémunérations des groupes bancaires a, cette fois-ci, été évoquée et nous ne pouvons que nous réjouir de la responsabilisation des acteurs du monde financier, en particulier de celles et ceux dont on a beaucoup parlé pendant cette crise, je veux parler des traders.
L'élargissement outre-Atlantique des règles auxquelles sont soumises les banques françaises, notamment depuis l'annonce présidentielle du 25 août dernier – absence de garantie des bonus au-delà d'un an, étalement de leur paiement, introduction d'un malus en cas de contre-performance du trader – est un prérequis indispensable pour aller dans le sens de la responsabilisation du capitalisme financier.
Sur un sujet où ont longtemps prévalu des règles d'inspiration anglo-saxonne, nous pouvons nous réjouir du ralliement des Britanniques, qui, sous l'impulsion du couple franco-allemand, ont choisi une voie sage et porteuse d'avenir.
En effet, face à une crise mondiale et devant le caractère transfrontalier des flux de capitaux, la réponse que nous devons apporter ne peut pas se limiter aux seules frontières de notre pays. La régulation de grande ampleur que nous appelons aujourd'hui de nos voeux ne peut trouver tout son sens que dans la volonté d'établir, à moyen terme, les conditions d'émergence d'une gouvernance économique mondiale, seule capable de prévenir les risques que nous avons connus. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)
Malgré cela, il reste, monsieur le Premier ministre, beaucoup de progrès à accomplir.
Nous savons, cela a été dit à cette tribune, que ces mesures n'empêcheront pas, malheureusement, la banque Goldman Sachs de distribuer près de 20 milliards de dollars de bonus cette année. Aucun plafond chiffré n'a été défini à Pittsburgh concernant la rémunération variable des traders, ce qui est, je le crois, fort dommageable et préjudiciable au regard de la moralisation souhaitée du capitalisme mondial.
Souhaitons que les prochains sommets permettent de mettre ce point à l'ordre du jour.
Nous pouvons également déplorer, à ce sujet, l'absence de régulation internationale concernant le contrôle de ce type de pratiques puisque, dans les faits, celui-ci sera bien du ressort des régulateurs nationaux – et non d'un régulateur international –, lesquels pourront décider ou non de sanctions. C'est, de notre point de vue, une carence qu'il faudra peut-être combler dans les sommets à venir.
De plus, je tiens à souligner l'amplification de l'asymétrie entre les banques américaines et les banques françaises qui ressort de ce sommet. Vous le savez, le cadre prudentiel, dit de Bâle II, impose un renforcement du capital dans les banques. Celles-ci devront désormais constituer des réserves de capitaux – plus précisément des provisions en haut de cycle – et consacrer plus de capitaux aux activités jugées risquées.
Ces règles prudentielles, auxquelles s'ajoute le ratio d'endettement, pourraient néanmoins avoir un impact destructeur sur la compétitivité des banques européennes, notamment par effet contra-cyclique. Il faudra en outre être très prudent pour ne pas trop lâcher aux Américains qui souhaitent évidemment permettre, avec leur système bancaire, une capitalisation plus simple. Face à l'organisation bancaire européenne, qui, elle, est constituée de nombreuses petites banques, il y a là un risque systémique important.
Enfin, et peut-être surtout, je tiens à souligner que, face à une crise systémique du type de celle qui nous frappe aujourd'hui, il apparaît indispensable de hiérarchiser les efforts que nous devons fournir en vue de l'établissement de la gouvernance économique mondiale que nous appelons tous de nos voeux.
Pour le Nouveau Centre, l'absolue priorité qui s'impose à nous en matière de régulation financière et bancaire, celle dont toutes les autres procèderont, c'est la régulation des paradis fiscaux. Je vous renvoie au rapport auquel j'ai contribué, avec mes éminents collègues Didier Migaud, Gilles Carrez, Jean-Pierre Brard, Henri Emmanuelli et Jean-François Mancel. Nous espérons que les trente propositions qui y figurent seront à l'ordre du jour du prochain sommet du G 20. À y regarder de plus près, les conclusions qui ressortent du sommet de Pittsburgh restent lacunaires à ce sujet. Des avancées ont certes été obtenues sur les paradis fiscaux mais elles sont insuffisantes.
En effet, si les Européens ont pu obtenir que des « sanctions » puissent être prises à partir de mars 2010 à l'encontre des paradis fiscaux qui n'auront pas signé les conventions fiscales aux normes OCDE, nous devons garder en mémoire que la Chine s'est assurée que ces sanctions ne menaçaient pas Hong-Kong, qui accueille près de 110 filiales de multinationales sur son territoire, et que la Suisse et Monaco, qui viennent de sortir de la « liste grise » de l'OCDE, comptent respectivement 168 et une vingtaine de filiales établies sur leur sol. Vous le voyez, il reste encore, en matière de paradis fiscaux, beaucoup de travail à effectuer.
Il faudra sans doute d'autres sommets importants de cette nature pour que chacun comprenne bien que toutes les mesures qui sont prises, qui sont des mesures utiles, des mesures nécessaires pour faire émerger un nouvel ordre économique mondial, ne serviront à rien du tout si les paradis fiscaux continuent à exister, notamment dans ces zones importantes et influentes que sont Hong-Kong ou Singapour.
Ces concessions faites à la levée du secret bancaire ne sont ni acceptables ni tenables à long terme. Tant que ce problème ne sera pas réglé, il nous sera malheureusement impossible de définir les règles d'une nouvelle gouvernance censée empêcher le réveil des risques systémiques.
On ne peut pas, d'un côté, établir des règles planétaires reposant sur l'équité et la transparence des parties prenantes à la régulation du capitalisme, et, de l'autre, accepter la persistance de zones de non-droit en matière financière dans lesquelles le secret bancaire prédomine. C'est une question essentielle et j'espère, avec mes collègues du Nouveau Centre, qu'elle sera traitée comme telle dans les semaines ou mois à venir.
Telle est, monsieur le Premier ministre, madame, monsieur les ministres, la position du Nouveau Centre que nous défendons aujourd'hui et pour laquelle nous nous battrons sans relâche. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, le sommet du G 20 qui s'est tenu à Pittsburgh a été, de l'avis général, un réel succès, cela a été souligné par la plupart des orateurs. Le monde s'est doté d'une nouvelle instance de pilotage de l'économie mondiale et nous ne pouvons que nous réjouir du fait que les Chefs d'État aient clairement désigné le G 20 comme le forum prioritaire de leur coopération économique internationale pour soutenir la croissance et le développement et qu'ils aient prévu de se rencontrer deux fois l'année prochaine – crise économique oblige – puis à un rythme annuel.
D'abord, il faut souligner que le sommet de Pittsburgh a permis de nouvelles et réelles avancées dans de nombreux domaines et spécialement dans le domaine de la régulation financière, ce qui était une priorité pour la France, comme l'a souligné le Premier ministre.
Qu'il s'agisse des bonus des traders ou de la nécessité de sanctions à l'encontre des paradis fiscaux, des mesures concrètes ont été prises. Le libéralisme ne s'entend qu'avec des règles communément admises et appliquées. Le balancier était allé beaucoup trop loin dans la dérégulation. Ces nouvelles règles contribueront à conforter notre modèle économique.
Autre fait marquant : le sommet de Pittsburgh témoigne de la volonté de coordination des politiques économiques, les dirigeants du G 20 ayant appelé à instaurer « un modèle de croissance plus durable et plus équilibré dans tous les pays et à réduire les déséquilibres de développement ».
Dans le domaine de l'emploi et du droit du travail, la déclaration de Pittsburgh indique que les pays du G 20 doivent « mettre en oeuvre des actions cohérentes avec les principes et droits du travail fondamentaux de l'Organisation internationale du travail. »
Mais le sommet du G 20 à Pittsburgh fera date parce qu'il renouvelle le cadre de la gouvernance mondiale.
Il n'est évidemment pas question de nier ici le rôle des Nations unies ni celui des enceintes internationales spécialisées. Ces dernières conservent toute leur valeur et mènent des actions indispensables. Toutefois, le principe de spécialité qui caractérise ces organisations, qu'il s'agisse de la santé avec l'OMS, du travail avec le BIT, du développement avec le PNUD, du commerce avec l'OMC, ou de l'environnement avec le PNUE, limite leur capacité à apporter des réponses adaptées aux problèmes globaux que rencontre aujourd'hui le monde contemporain. Cette spécialisation s'accompagne d'une multiplicité de législations, de règles et de normes sans hiérarchie entre elles ni aucune coordination.
Face à une crise économique et financière mondiale telle que celle que nous venons de traverser et dont nous affrontons toujours les conséquences, face au changement climatique qui va bouleverser les modèles de croissance et notre environnement, face à la multiplication des pandémies, la coordination des actions menées dans les différentes enceintes internationales est indispensable, voire inéluctable.
Il nous faut créer au niveau international une sorte de conseil mondial chargé de définir les priorités de l'action internationale. Il ne peut s'agir d'une simple coordination au niveau technique. Il s'agit d'une entreprise éminemment politique. Quelle instance autre que le G 20 apparaît la mieux à même de jouer ce rôle de pilotage ? Aucune autre.
Les critiques formulées avec raison à l'encontre du G 8, qui manquait de représentativité et donc de légitimité pour prétendre exercer une telle fonction, ne peuvent plus tenir face au poids du G 20. Rappelons que le G 20 représente 65 % de la population mondiale, 90 % du produit mondial brut et deux tiers du commerce mondial. Toutes les régions du monde y sont représentées. Le G 20 réunit, aux côtés des États les plus riches, auxquels se joignent les représentants de l'Union européenne et ceux des institutions financières de Bretton Woods, onze pays émergents.
La France, il faut le rappeler, est à l'initiative des sommets du G 20 dans leur format Chefs d'État, Chefs de Gouvernement, lancés il y a un an grâce à l'engagement du Président de la République. Notre pays n'a cessé de prôner l'élargissement du G 8 aux grands pays émergents. Les faits montrent que le Président a eu raison.
Cette décision résulte de notre volonté politique de rééquilibrer la gouvernance mondiale en donnant de nouvelles responsabilités aux pays émergents.
Ce rééquilibrage constitue incontestablement une des raisons pour lesquelles le G 20 vient de s'emparer avec succès des questions économiques et financières. Il ne peut à l'avenir qu'étendre son rôle aux problèmes sociaux ou environnementaux. C'est cette dimension sociale de la mondialisation que le Président de la République entend bien mettre en oeuvre en demandant la participation aux prochains G 20 du directeur général de l'OIT. C'est dans cette voie qu'il nous faut poursuivre pour mettre en place au sein du G 20 une mondialisation mieux régulée, et cela dans tous les domaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Christian Jacob, président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Après Londres au printemps, la réunion du G 20 s'est tenue à Pittsburgh les 24 et 25 septembre. Elle a été précédée la veille, à New York, d'une conférence sur le changement climatique dans le cadre de l'ONU et c'est sur ce sujet que je voudrais vous interroger plus précisément, madame la ministre.
Les préoccupations environnementales ont pu être prises en compte à travers la relance économique, à travers les industries vertes et les énergies renouvelables dans le cadre du G 20. Elles devront intervenir également dans la préparation du sommet de Copenhague en décembre prochain pour définir les nouveaux objectifs à la suite du protocole de Kyoto. Le président Obama a d'ailleurs voulu mettre en avant cette dimension environnementale en choisissant pour cadre du G 20 la ville de Pittsburgh, ancien bastion de la métallurgie et de la sidérurgie, longtemps nommée la cité de l'acier. Cette ville, qui a connu la désindustrialisation dans les années quatre-vingt et perdu plus d'un tiers de ses emplois, s'est reconvertie dans la médecine, la haute technologie et le développement durable. Aujourd'hui, c'est une des cités les plus propres et les plus attractives.
Les principales difficultés pour le succès des négociations à venir sont cependant les suivantes : le Président Obama ne dispose pas d'une majorité au Congrès prête à adopter ses positions sur l'environnement et la population américaine est également partagée en matière d'écologie. Ainsi, les déclarations préalables comme celles de Mike Fromon, conseiller adjoint à la sécurité nationale pour les affaires économiques internationales, qui proposait de supprimer les subventions publiques allouées à l'énergie fossile, ne trouvent pas leur traduction dans les faits.
À Pittsburgh, le Président Obama s'est donc limité à des déclarations plutôt vagues, compatibles avec les intérêts économiques américains, mais finalement peu utiles dans l'optique du prochain sommet de Copenhague.
Cette situation est d'autant plus inquiétante que les États-Unis restent l'un des plus gros émetteurs de gaz par effet de serre par habitant de la planète, si ce n'est le plus gros émetteur. D'autres pays ont en parallèle consenti des efforts importants. Le Japon a ainsi confirmé son objectif de réduction de 25 % des rejets polluants d'ici à 2020. La Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, refuse toujours de s'engager dans des objectifs chiffrés dans ce domaine, mais le président Hu Jintao a fait un signe fort en s'engageant vigoureusement à développer les énergies renouvelables non fossiles dans la consommation de son pays à hauteur de 15 % environ d'ici à 2020. Le président chinois a également annoncé une protection de la forêt pour favoriser l'absorption du CO2.
Le Président Nicolas Sarkozy a quant à lui annoncé qu'il souhaitait réunir en novembre les représentants des principales économies du monde, qui sont aujourd'hui à l'origine de 80 % des émissions de gaz à effet de serre, et « sortir des jeux de rôle, des discours qui ne sont pas suivis d'effets, des jeux diplomatiques ». Il a annoncé une initiative conjointe avec l'Allemagne, le Brésil et le Royaume-Uni pour financer la lutte contre le changement climatique. J'aurais aimé, madame la ministre, que vous nous donniez des précisions sur cette initiative essentielle pour les enjeux environnementaux qui nous rassemblent.
En conclusion, je veux vous dire combien nous saluons et soutenons l'action du Président de la République et du Gouvernement en faveur de l'environnement. Cette action rencontre un écho remarquable sur la scène internationale. Il reste maintenant à convaincre les parlementaires et le peuple américains. La diplomatie française a là un rôle important à jouer, de même – pourquoi pas ? – que la diplomatie parlementaire. Modestement, à la place qui est la sienne, la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire est prête à prendre toute sa place dans ce débat. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l'Europe a largement déterminé les résultats du G 20 de Pittsburgh. Une comparaison entre la déclaration finale du sommet et le texte rédigé par le Conseil européen le prouve aisément, même s'il était inévitable que les positions européennes ne soient pas reprises en totalité au niveau mondial.
Dans ce rôle décisif qu'a joué, une fois de plus, l'Europe dans le succès du G 20, la France et ses partenaires allemand et britannique ont donné l'impulsion.
Le Président Nicolas Sarkozy a fortement encouragé la présidence de l'Union pour que le Conseil européen définisse une position commune précise et ambitieuse qui a entraîné les résultats que l'on connaît : bonus et rémunérations, lutte contre les paradis fiscaux, principes pour la réforme du FMI et la Banque mondiale, supervision financière. Que de progrès sur la voie de la régulation du capitalisme !
Le renforcement du rôle du G 20 à qui est confiée la régulation mondiale est acquis avec ce sommet de Pittsburgh. La France plaidait pour qu'une place accrue soit donnée aux pays émergents dans les instances économiques internationales. C'est chose faite.
L'Union européenne est représentée au G 20. Elle en est un acteur à part entière. Cette représentation de l'Europe gagnera en force et en stabilité avec l'institution d'un président stable de l'Europe lorsque sera réalisée la ratification définitive du traité de Lisbonne après la victoire du « oui » en Irlande la semaine dernière.
Il faudra aller au-delà dans l'amélioration de la représentation de l'Europe dans les institutions économiques internationales en soulevant à nouveau la question de la représentation de la zone euro au sein du FMI, dans le cadre de la réforme de celui-ci.
Sur le fond, certains sujets n'ont certes pas été abordés lors de ce G 20, notamment les questions monétaires, mais rien n'empêche qu'ils le soient lors des prochains sommets, au Canada puis en Corée du Sud, et bien sûr en France en 2011. L'agenda du sommet de Pittsburgh était lourd, et évoquer de trop nombreux sujets aurait abouti à formuler un message moins clair et moins ferme.
Deuxième constat : les décisions prises à Pittsburgh représentent une étape historique dans la lutte contre les pratiques nuisibles antérieures dans la sphère financière et économique, mais elles appellent des actions résolues pour se concrétiser au niveau national et, en ce qui nous concerne, au niveau européen.
Sur le terrain de la lutte contre les « paradis fiscaux », par exemple, sur lequel la commission que je préside a pris position le 15 juillet dernier, les États du G 20 ont consacré non seulement le principe de sanctions, mais également leur accord unanime pour imposer effectivement ces sanctions à partir de mars 2010.
Sur le terrain de la supervision financière, pour améliorer la prévention et la gestion des crises, l'Union européenne n'a pas attendu les autres membres du G 20 pour réfléchir à une nouvelle architecture de supervision, et les États membres sont unis dans la volonté de mettre en place cette architecture dès le début de l'année prochaine.
Le double chantier de la supervision et de la régulation est mené simultanément, et le G 20 a posé des principes qui constituent autant d'engagements fermes des États qui le composent afin de responsabiliser les acteurs de la sphère financière pour empêcher les abus et les prises de risque excessives.
Il revient aux autorités nationales de donner rapidement une traduction concrète à ce programme. Comme l'a souligné le Président de la République, la France ira encore plus loin sur un certain nombre de sujets.
Avec nos partenaires européens, nous devons porter haut la volonté de réforme qui s'est exprimée au cours de ce G 20 et des deux sommets précédents, et l'Europe doit être exemplaire pour entraîner les autres puissances mondiales, comme l'a dit Jean-François Copé.
J'ai entendu tout à l'heure notre collègue Sandrier évoquer avec nostalgie le nom de Karl Marx, vingt ans après la chute du mur de Berlin, vingt ans après la disparition du communisme et de l'URSS. Évidemment que Karl Marx n'est pas la solution ! La solution réside dans la construction d'un nouvel ordre mondial, et sans la France, sans l'Europe, le capitalisme mondial aurait continué comme avant, comme au lendemain de la crise de 1929.
Pittsburgh ouvre la voie, à notre initiative, à une véritable régulation mondiale et nous devrions tous en être fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Je reconnais que le G 20 a au moins un mérite : celui d'exister ! Sa composition, qui peut encore être amenée à évoluer, assure à ce jour plus convenablement la représentativité des pays dans leur diversité économique et il est possible, maintenant qu'il se réunit régulièrement, de pouvoir apprécier, évaluer justement les conséquences des grands principes qui sont arrêtés à cette occasion.
Je voudrais dire à M. le Premier ministre que nous saurons si le sommet de Pittsburgh a été un succès ou un échec dans quelques mois seulement, lorsque nous pourrons apprécier justement le suivi et l'application des principes qui ont été décidés.
Je ferai quelques observations. Les États du G 20 ont pris des engagements pour l'année qui vient sur certaines réformes à accomplir. Celle des pratiques de rémunérations, sur lesquelles Jérôme Cahuzac est intervenu, ne doit pas masquer tous les autres aspects de la régulation. Cela ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Les questions de transparence, de parts de fonds propres, de dispositifs de contrôle et de surveillance sont presque tout aussi importantes que la question des pratiques de rémunérations.
De la même façon, la question de la fixation des normes comptables et de l'amélioration de leur cadre d'élaboration mérite aussi d'être traitée sur le plan international, avec vraisemblablement une difficulté pour l'Europe – je crois, madame la ministre, que vous en êtes consciente – : il ne faudrait pas que, compte tenu de la crise, de son origine évidente aux États-Unis, ceux-ci soumettent l'Europe à des règles qui ne s'imposeraient pas pour les banques européennes dont le comportement, il faut le reconnaître, a été différent de celui des États-Unis.
C'est une crainte qu'il faut avoir et l'Europe doit savoir se défendre face à certaines pratiques que les États-Unis souhaiteraient imposer. S'agissant de la fixation des normes comptables, je souhaiterais que les États ne délèguent pas autant leurs pouvoirs à des organismes dont la légitimité est contestable. Il est très important que les États puissent réaffirmer leur autorité en la matière.
Sur tous ces sujets, le G 20 a relevé que, si la coordination doit être internationale, des mesures doivent pouvoir être prises aux niveaux européen et national.
Au niveau européen, je veux vous faire part de mon inquiétude au sujet de la directive en cours d'élaboration relative aux hedge funds, aux fonds spéculatifs, qui aboutirait à octroyer un passeport européen à des fonds échappant à la réglementation nationale. Le Parlement ne pourrait pas approuver la transposition d'une telle directive. Je souhaite, madame la ministre, que le gouvernement français soit extrêmement vigilant à ce sujet.
Sur le plan national, je crois à la nécessité d'une loi de régulation financière qui devrait comporter des dispositions relatives à l'AMF, à ses pouvoirs, des mesures relatives au contrôle interne des banques dans la droite ligne d'ailleurs des amendements que nous avons adoptés en 2008, des mesures concernant la gouvernance des établissements financiers, des sociétés cotées en matière de rémunération, de contrôle des risques, de protection des épargnants, la transposition de directives sur le contrôle des agences de notation et la supervision des groupes transfrontaliers. Je souhaiterais que l'on ne procède pas en la matière par ordonnances et que le Parlement puisse légiférer en toute connaissance de cause. Nous avons dit, les uns et les autres, que le pouvoir politique démissionnait trop souvent sur ces sujets. La meilleure façon de ne pas démissionner, c'est de faire en sorte que le Parlement en soit saisi, et j'espère, monsieur le président, que vous pourrez intervenir dans ce sens.
Ce serait de la vraie co-production législative ! M. Copé devrait y être favorable !
Le G 20 a chargé le FMI de préparer, pour sa prochaine réunion, un rapport sur les différentes options selon lesquelles le secteur financier pourrait assurer une contribution juste et substantielle aux ressources nécessaires à la reprise. Cette prise de position donne, selon moi, une assise forte aux propositions qui pourraient être faites, madame la ministre, consistant à demander aux établissements financiers une contribution spécifique. Une prise de risques excessive a mis les économies en déroute. Les établissements financiers ont été sauvés par les interventions étatiques. Ils sont à nouveau profitables ; c'est à la collectivité qu'il faut faire remonter les profits, et non aux seuls actionnaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Il est important que nous puissions le dire.
Enfin, la question essentielle des déséquilibres économiques et monétaires n'a été abordée qu'en filigrane. Jérôme Cahuzac et Pierre Lequiller l'ont dit : nous risquons d'être confrontés, dans les mois qui viennent, à une guerre des monnaies qui pourra menacer de s'amplifier, et l'Union européenne risque d'en faire les frais compte du déficit public, de la dette des États-Unis, de la créance de la Chine sur ces derniers, de la différence des niveaux d'épargne et de consommation intérieure. Tous ces facteurs font que nous risquons d'être pénalisés par une éventuelle entente entre les États-Unis et la Chine. C'est pour moi un enjeu fondamental et nous devons également pouvoir débattre de cette question de façon multilatérale, sans laisser les États-Unis en traiter seuls avec la Chine. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vais tenter de répondre aux questions que vous avez évoquées, mais je vous prie de bien vouloir m'excuser si j'en oublie quelques-unes car je me suis engagée à me rendre devant la commission des affaires économiques.
Sur les paradis fiscaux, je répondrai à M. Cahuzac et à ceux d'entre vous qui ont évoqué ce point. Il ne faut pas se voiler la face. Nous avons fait une partie du chemin, mais cette partie-là est historique. Vous avez raison de dire que ce n'est qu'une partie du chemin,…
…que tout n'a pas été fait, mais 150 conventions, accords, amendements ont été signés par des pays, quels qu'ils soient – il ne faut avoir de mépris pour aucun, ni pour le Qatar ni pour d'autres !
Il ne faut pas porter de jugement de valeur. La détermination de certains pays à communiquer de l'information, à mettre définitivement fin au secret bancaire est une avancée phénoménale. On peut considérer ce mouvement comme historique.
Le fait que certains États renoncent à s'abriter derrière le secret bancaire pour refuser de délivrer des informations est déterminant. Si tout n'est pas acquis, le sommet de Pittsburg fixe du moins un calendrier. Les pays du G 20 se sont engagés à appliquer des sanctions à partir de mars 2010. Nous y travaillons, Éric Woerth et moi. Ce matin, un premier arrêté a été publié au Journal officiel, en application d'un amendement du président de la commission des finances, précisant les informations que les banques devront fournir au sujet de leur activité dans les paradis fiscaux. N'est-ce pas le début de la transparence ? Par ailleurs, nous sommes déterminés à proposer, dans la loi de finances rectificative, des règles en matière de fiscalité, de prélèvements et de taxation des plus-values, ainsi que des avenants à certaines dispositions bien connues du code général des impôts, afin de taxer lourdement les activités en lien avec les paradis fiscaux.
S'il reste du chemin à faire sur le plan tant national qu'international, je me réjouis que François d'Aubert ait été nommé président du groupe d'évaluation des juridictions non coopératives du forum global de l'OCDE. Le travail de peer review mené par cette instance permettra de vérifier que les pays respectent leurs engagements. Une telle avancée présente un caractère historique, même s'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. En effet, il faudra toujours rester vigilant, tant la tentation est grande pour chacun de s'affranchir peu à peu des règles qu'il s'était engagé à respecter.
Certains d'entre vous paraissent dépités que la France ait été à l'origine de telles initiatives. Je le regrette. Le 2 avril, à Londres, tout comme à Pittsburgh, notre pays était à la manoeuvre. Il a fixé les impulsions déterminantes pendant la présidence européenne. Par ailleurs, pendant le sommet de Londres, le Président de la République a fait preuve de ténacité pour imposer l'échéance de mars 2010 et le principe des sanctions.
Quant à la question des bonus, je pense comme le président de la commission des finances qu'elle est moins déterminante que celle des règles de capitalisation ou l'harmonisation de l'interprétation des règles en matière de fonds propres. Elle est cependant symbolique. Il est pour le moins inattendu que les États-Unis ou la Grande-Bretagne aient rallié la position française en acceptant d'encadrer les bonus et d'interdire les bonus garantis, le différé de 40 % à 60 % de la part de bonus variable, le paiement en actions et en instaurant le clawback, c'est-à-dire le remboursement en cas de mauvaise performance. Ces États ont manifesté leur volonté de mettre fin à une culture du risque, dont les abus ont conduit à la crise économique, financière, puis sociale. Il n'y a donc pas lieu de dédaigner ces avancées.
Si le Premier ministre n'a pas rappelé le rôle de M. Camdessus, contrôleur des rémunérations des opérateurs de marché, c'est que cette autorité a été instituée sur un plan national. De même, un « czar » des rémunérations américaines a été désigné en son temps par les États-Unis. La nomination de M. Camdessus éclaire toutefois la démarche française. Le 25 août, en effet, nous avons choisi de demander aux secteurs bancaire et financier de jouer un rôle pionnier, et de prendre le risque de l'impératif catégorique. En agissant ainsi, nous espérions que nous serions bientôt rejoints par les autres pays. Ce fut le cas en matière de bonus. Pour les paradis fiscaux, en revanche, les banques ont pris des engagements sans même attendre le sommet de Pittsburgh.
J'en viens à un point sur lequel je ne peux partager l'avis de M. Cahuzac.
J'écoute toujours M. Cahuzac, car je considère que la vérité n'est jamais uniquement d'un côté ou de l'autre. Mais on doit se garder de toute mauvaise foi. Quand nous avons créé la Société de prises de participation de l'État, afin de renforcer les capitaux des banques françaises, parce qu'il en allait de la santé de notre secteur financier, il ne me serait jamais venu à l'idée que l'on devait spéculer, boursicoter ou prendre des participations qui engendreraient des plus-values. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.) L'affaire est sérieuse.
Imaginez un instant que les banques aient remboursé au moment où leurs actions étaient au plus bas, la perte se serait chiffrée à 1,5 milliard. On ne peut courir un tel risque avec l'argent des Français. Il faut au contraire l'engager dans les conditions les plus raisonnables en s'assurant du point de sortie.
C'est scandaleux ! Ce sont les contribuables qui ont sauvé les banques !
Sur ce point, je ne peux donc pas accepter vos allégations.
On ne peut parler d'une perte, par rapport à l'espérance de plus-values qu'aurait générées un placement.
Jean-François Copé a évoqué tout à l'heure à juste titre la transparence des marchés. Nous avons demandé la création d'un registre, pour que la compensation puisse être effectuée au vu de tous. La transparence est en effet la condition première pour permettre le contrôle et la supervision dans un secteur qui en a besoin. C'est la décision que je défendrai au niveau européen. Nous avons besoin, notamment dans la zone euro, de chambres de compensation permettant de traiter l'ensemble du marché des dérivés. J'espère que nous serons entendus.
M. Sandrier a souligné la nécessité de réduire l'hiatus entre la spéculation et l'économie réelle. Nous nous engageons précisément dans cette voie, sous l'impulsion du Président de la République. Il faut éviter l'effet des bulles financières et limiter la finance à ce qui devrait être son rôle : financer l'économie, qu'il s'agisse des ménages ou des entreprises.
M. Perruchot a mentionné la nécessité de coordonner les superviseurs. Il est indispensable que cette coordination s'exerce au niveau européen. Je me réjouis que la présidence française ait oeuvré pour mettre en oeuvre le rapport Larosière, qui plaide pour une bonne coordination entre les niveaux de compétence pour la Bourse, la banque et l'assurance. Les systèmes de coordination issus de cette réforme et ceux qui procéderont de celle menée actuellement aux États-Unis – avec un succès modéré, dû à l'importance que prend le dossier de l'assurance santé – devront également être coordonnés. Le G 20, qui réunit des ministres des finances, consacre désormais la place des pays émergents, de certains pays comme l'Espagne ou les Pays-Bas, à la participation desquels le Président de la République était attaché, et la présence de M. Somabia, président de l'Organisation internationale du travail. Cette instance pourra, je l'espère, organiser la nécessaire coordination entre les superviseurs dans les domaines politiques, économiques et financiers.
En la matière, une répartition des rôles s'est opérée, aboutissant à une sorte de Yalta de la finance. D'un côté, le FMI est en situation de supervision et d'alerte sur les risques financiers du monde. Il peut aussi venir au secours des pays les plus affectés par la crise. De l'autre, le Conseil de stabilité financière, que le G 20 de Londres a élargi, peut réfléchir à des règles et travailler en étroit pilotage avec le comité de Bâle II.
M. Perruchot et M. Migaud ont eu raison d'évoquer le problème des exigences en capital. Dans ce domaine, nous devons être vigilants. En matière de capital, d'interprétation des règles, de ratio ou de détermination de l'effet de levier utilisé comme ratio, les règles ne doivent pas être fixées en dehors de l'Europe, mais respecter au contraire les exigences de l'Union. On ne peut laisser un secteur géographique prévaloir sur les autres, sous prétexte qu'il a été fortement recapitalisé à l'occasion de la crise internationale, début 2009. Il ne serait pas acceptable que cette sorte d'avantage comparatif s'exerce au détriment des banques françaises et européennes. Comptez sur ma détermination à faire valoir ce point de vue. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)
M. Migaud a également évoqué la nécessité de rappeler le rôle des normes comptables, qui ne naissent pas sui generis, hors de toute réalité économique et politique. Au niveau tant de l'IASB, l'International Accounting Standards Board, que de la Commission européenne, elles doivent enregistrer les valeurs réelles, sans être accrochées de manière définitive à la valeur de marché. D'autres méthodes doivent en effet être utilisées lorsqu'elles sont plus appropriées.
M. Jacob m'a interrogée plus particulièrement sur l'environnement. Je note tout d'abord que c'est sous la présidence française que l'Union européenne a fait adopter le paquet énergie-climat. C'est la seule zone du monde qui ait pris des engagements forts et concertés en matière de réduction des émissions de CO2. D'autre part, le nouveau gouvernement japonais s'est engagé à réduire lui aussi une part de ses émissions des CO2.
Enfin, le Président de la République a pris conscience de la nécessité de donner une impulsion politique, pour faire aboutir le paquet énergie-climat au niveau européen. Il a donc suggéré à ses partenaires du G 20 de prévoir une réunion entre chefs d'État et de Gouvernement avant le sommet de Copenhague, organisé sur le mode onusien, afin de faciliter l'adoption des points en débat, qui font l'objet de 2 800 formules. Espérons que cette initiative sera suivie d'effet. Le chef de l'État a proposé une initiative du même type pour l'OMC. Le cycle du développement de Doha, en chantier depuis sept ans, n'avance pas. Une impulsion politique forte est sans doute souhaitable.
M. Lequiller, M. Poniatowski et M. Migaud ont relevé que la grande absente du G 20 est sans doute la question des déséquilibres. Deux informations sont cependant à noter. D'une part, les Chinois ont manifesté la volonté de modifier leur modèle économique et de privilégier désormais le marché intérieur, sachant que l'exportation ne peut, à elle seule, faire fonctionner le moteur de l'économie. D'autre part, le taux d'épargne des ménages américains a augmenté. Si l'on place ces éléments en regard l'un de l'autre, en espérant qu'ils soient durables, on peut souhaiter que s'atténue le déséquilibre entre les balances des paiements. C'est à mon sens un préalable à la réflexion que devra mener le G 20 des années 2010 et 2011 sur les rééquilibrages monétaires.
Une initiative franco-britannique a été prise il y a quatre jours, grâce à l'aide de Dominique Strauss-Kahn. Compte tenu de l'augmentation des DTS, les droits de tirages spéciaux, intervenue au sein du FMI, la France et la Grande-Bretagne ont décidé de consacrer chacune 2 milliards de dollars de tirages spéciaux à un prêt au fonds fiduciaire du FMI. Ces sommes seront mises à la disposition des pays les plus pauvres, notamment de l'Afrique subsaharienne, pour qu'ils puissent financer leur développement et leurs infrastructures. Je ne prétendrai pas que cette réalisation concrétise la vision keynésienne dans sa forme la plus aboutie, mais il s'agit tout de même d'un nouveau mode de financement instituant le DTS comme unité monétaire.
En conclusion, la France peut être fière, nous pouvons tous être fiers de ce qui a été réalisé collectivement à Pittsburgh. La France a joué son rôle, parfois de pionnier, parfois de locomotive, mais toujours avec le souci de rétablir de la discipline, de l'ordre, des règles dans un marché qui en a besoin et qui est toujours tenté de les transgresser. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)
M. le président a reçu de M. le Premier ministre des lettres l'informant de ses décisions de charger MM. Francis Vercamer et François Cornut-Gentille de missions temporaires auprès de membres du Gouvernement.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (nos 1549, 1860, 1837, 1838).
Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d'appliquer à la discussion de ce projet de loi la procédure du temps législatif programmé, sur la base d'un temps attribué aux groupes de trente heures.
Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe UMP, huit heures trente ; le groupe SRC, onze heures vingt-cinq ; le groupe GDR, cinq heures quarante-cinq ; le groupe NC, quatre heures vingt et les députés non inscrits, cinquante minutes.
En conséquence, chacune des interventions des députés, en dehors de celles des rapporteurs et présidents des commissions, sera décomptée du temps du groupe auquel appartient l'orateur.
Les temps qui figurent sur le « jaune » ne sont en tout état de cause qu'indicatifs.
La parole est à M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État.
Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, nous commençons enfin l'examen en séance du projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne. Tout au long de la très longue préparation de ce texte, toutes les opinions se sont exprimées, de ceux qui souhaitaient une ouverture très large à ceux qui la refusaient coûte que coûte. Sans caricaturer les propos des uns et des autres, nous avons choisi, sur un sujet difficile, une voie médiane que je crois juste et efficace : celle de l'ouverture maîtrisée.
Parlons d'abord de l'ouverture. Il n'est pas possible de continuer à faire comme si de rien n'était. Il n'est pas réaliste de préconiser de ne rien changer, et cela pour deux raisons principales.
D'une part, l'ouverture répond à une situation qu'il faut admettre : les jeux sur internet explosent. La demande des joueurs français, le montant des mises, le nombre de sites en langue française, tout cela progresse avec des taux à deux chiffres. Chaque jour, 25 000 sites proposent des jeux dans tous les domaines, avec un montant de mises qui, en France, oscillent entre 3 et 4 milliards d'euros.
D'autre part, face à cette demande, il existe une offre illégale pléthorique. Et c'est bien là tout le problème. L'histoire de l'humanité montre que le jeu a toujours fait partie de la vie des sociétés humaines. Il y aura donc toujours une demande de jeux. Mais il faut pouvoir la contenir, empêcher qu'elle ne soit excessive, qu'elle n'entraîne une dépendance, qu'elle ne conduise les mineurs à chercher un refuge dans le jeu. C'est un véritable enjeu de santé publique.
Mais comment maîtriser la demande quand l'offre est illégale ? Comment croire qu'on peut lutter contre le jeu excessif, quand le jeu est caché ? Comment l'État peut-il agir, lorsque tout se passe dans un univers qui lui échappe ?
Ce qui vaut pour la dépendance vaut bien sûr pour tous les autres sujets qui ont justifié l'ensemble des règles que le législateur a imposées aux acteurs historiques du jeu en France, à la Française des Jeux, au PMU et aux casinos.
Lorsque le jeu est illégal, quelle protection des mineurs peut-on espérer mettre en place ? Quelle protection de l'éthique des compétitions sportives ? Quelle protection – et quelle transparence – des mouvements financiers ? Quelle protection de la filière hippique ?
C'est à toutes ces questions qu'il nous faut répondre, et non aux faux débats, aux caricatures et aux tentatives de polémiques que j'ai pu entendre. Je parle de la protection du joueur, et on me parle d'un restaurant célèbre. Je parle de l'éthique du sport, et on me parle de copinage. Quelle légèreté ! Il ne suffit pas de crier « alerte au jeu » et de partir en courant. Non, il faut éteindre l'incendie et prendre des mesures concrètes. Je veux réguler, maîtriser, canaliser, organiser l'offre de jeux en ligne.
Que les choses soient donc bien claires : l'ouverture n'est pas liée à un quelconque diktat de la Commission européenne ou à une quelconque directive. Non, elle est liée à un constat : l'État doit occuper toute sa place dans le domaine des jeux sur internet.
Je ne veux pas plus de jeux, je veux plus de règles. Je veux mettre fin aux univers parallèles. Je veux mettre fin à la jungle des sites illégaux. Je veux que le légal chasse l'illégal.
Bien sûr, pour répondre à ce développement de l'offre et de la demande, on pourrait être tenté, dans un premier temps, de maintenir l'interdiction totale, sauf pour les monopoles. C'est ce que nous faisons sur le marché « en dur », le marché physique, car le risque de marché parallèle est quasi inexistant. En revanche, ma conviction est claire : l'interdiction générale sur internet, c'est-à-dire le maintien du monopole, ne peut pas fonctionner. Ce serait l'échec garanti. Je récuse fermement l'idée selon laquelle nous n'aurions d'autre alternative qu'entre la jungle et la prohibition. La meilleure réponse face aux sites illégaux, c'est d'assécher progressivement le marché noir en créant une large offre légale, obéissant aux règles édictées par le législateur, et d'associer à cette démarche, en complément, des outils de lutte contre les sites illégaux.
Si tout repose sur la lutte contre les sites illégaux, le combat devient démesuré, car le Gouvernement doit se battre contre des milliers de sites et d'opérateurs. C'est le choix qu'a fait l'Allemagne, et c'est un échec. En Allemagne, les jeux en ligne sont interdits, à l'exception des paris hippiques. Mais, depuis janvier 2008, le chiffre d'affaires des opérateurs légaux « en dur » diminue, car les parieurs privilégient les opérateurs illégaux sur internet.
Prenez le cas des États-Unis : le jeu en ligne y est interdit, mais l'échec de cette politique est tel que les revenus du marché illégal des jeux en ligne sont évalués à environ 9 milliards d'euros !
Tout fermer, tout bloquer : cela ne marche pas. Ce serait la stratégie de l'échec ; le gouvernement français n'empruntera pas cette voie.
Notre stratégie consiste à permettre l'émergence d'une offre légale structurée autour d'acteurs visibles et connus des joueurs. Les sites illégaux seront alors non seulement menacés par des outils techniques et juridiques, mais ils verront surtout leurs perspectives de développement réduites par la présence d'acteurs légaux dont la notoriété dépassera très rapidement la leur.
L'Italie, qui dispose d'un marché aussi attractif que le nôtre en matière de jeux, a déjà opté pour cette politique. Cela se révèle de plus en plus être un choix gagnant, puisque les mises sur les sites légaux ont quasiment doublé entre 2008 et 2009 pour atteindre plus de 2 milliards d'euros, au détriment des sites illégaux.
Le Gouvernement vous propose donc de mettre cette stratégie en oeuvre. L'objectif de ce projet de loi est de regagner le terrain perdu en créant une offre légale qui imposera la qualité et la sécurité, en complément des outils de lutte qui visent à accumuler les obstacles sur le chemin des sites illégaux. Les deux vont ensemble, et l'un ne peut pas aller sans l'autre.
Ouvrir et réguler : voilà notre projet. Ouvrir, mais de manière maîtrisée, avec un projet qui corresponde à nos objectifs, à nos principes, à nos conditions.
Si l'on veut bien prendre le temps de le lire et de l'analyser, le récent arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes conforte d'ailleurs notre position. Il indique très clairement qu'il revient à chaque État de définir ses propres règles en la matière, dans la mesure où les jeux en ligne concernent l'ordre public et social, ce que nous affirmons depuis le début.
Ainsi, ce projet de loi se fonde précisément sur le principe sur lequel est fondé l'arrêt Santa Casa : en matière de jeux, il appartient au législateur national de définir ses propres règles, parce que la définition de l'ordre public et de l'ordre social peut varier d'un pays à l'autre. N'opposons pas, comme l'ont fait certains, Santa Casa et le projet du Gouvernement. Ils sont bâtis sur le même socle : un État qui régule et qui encadre, et non pas un État qui regarde passer les licences de la reconnaissance mutuelle.
Cette ouverture doit être maîtrisée pour prévenir les risques liés aux jeux, et tout particulièrement aux jeux en ligne.
J'ai pu constater ce qu'il en était du risque d'addiction des joueurs en visitant à plusieurs reprises des centres spécialisés dans la lutte contre la dépendance aux jeux. Le risque concerne aussi les mineurs qui pourraient plus facilement accéder à ce type de jeux. Il y a aussi un risque de fraude et de blanchiment d'argent, et enfin un risque pour le monde des sports si les paris sont encadrés. Chacun de ces risques fait l'objet de mesures spécifiques de prévention dans le projet de loi.
Une ouverture maîtrisée est d'abord une ouverture avec un périmètre respectueux de nos objectifs d'ordre public et d'ordre social. Trois catégories de jeux sont concernées : les paris sportifs, les paris hippiques et le poker. Ils correspondent à la fois aux types de jeu et aux paris sur lesquels se concentre aujourd'hui l'essentiel de la demande des joueurs sur internet, et pour lesquels les risques d'addiction sont les plus faibles.
Les paris sportifs seront autorisés, sous la forme du pari mutuel ou du pari à cote – pari qui permet à l'opérateur de jeux de parier contre le joueur. Je l'ai dit, nous voulons assécher l'offre illégale. Or cette dernière forme de pari, qui existe en France et dans tous les pays d'Europe depuis 2001, représente aujourd'hui l'essentiel du marché.
Nous devons donc ouvrir les paris à cote, mais cette ouverture doit, elle aussi, être encadrée pour prévenir tout excès et tout conflit d'intérêts. Ainsi, les sportifs ne pourront pas parier sur les événements auxquels ils participent, et les paris ne seront autorisés qu'après qu'aura été recueilli l'avis des fédérations sportives concernées sur les catégories d'épreuves à retenir et sur les types de résultats pertinents comme supports de paris – elles sont les plus compétentes en la matière. Nous savons que tout type de pari, notamment le pari à cote, comporte des risques, en particulier des risques de fraude. Mais notre texte prévoit des dispositifs pour répondre à chacun de ces risques.
Les paris hippiques constituent le second segment de jeu autorisé dans le projet de loi. La filière hippique vit dans la tradition du pari mutuel, à laquelle les parieurs sont particulièrement attachés. Cette tradition doit être scrupuleusement préservée en France. La filière hippique est majeure pour notre pays. Il s'agit d'une filière d'excellence, reconnue dans le monde entier, qui génère de très nombreux emplois. Il est évidemment indispensable de la préserver.
Certains, que j'ai toujours écoutés avec attention, m'ont fait part de l'inquiétude que leur inspire cette ouverture, en pointant du doigt les difficultés rencontrées par les filières hippiques chez nos partenaires.
Les situations sont très différentes. En Allemagne et en Belgique, pays souvent cités, la baisse du financement de la filière hippique n'est pas liée au développement des paris sportifs mais au fait que les paris à cote sont autorisés dans le domaine hippique sans qu'ils participent au financement de la filière.
En Italie, la filière elle-même est en crise à la suite d'une succession d'irrégularités. Par ailleurs, la concurrence la plus rude est due aux machines à sous dont le marché a été totalement ouvert, contrairement à ce qui se passe France. On ne peut donc pas attribuer les difficultés de la filière hippique dans ces pays au développement des paris sportifs.
Certains me disent : « Vous allez tuer les courses ! » Les grands mots sont lâchés ! Mais, en la matière, peut-on vraiment me suspecter ?
Le point majeur est bien celui du financement de la filière qui se fait aujourd'hui via le Pari mutuel urbain. Ce projet de loi ajoute un canal de financement : demain, à côté du PMU, une redevance spécifique sur les paris hippiques en ligne sera instituée. La filière ne subira donc pas un affaiblissement : au contraire, elle connaîtra un renforcement de son financement.
Enfin, en matière de jeux de casinos, le Gouvernement a décidé d'ouvrir à la concurrence les jeux de répartition associant le hasard et l'expertise. Le principal d'entre eux est le poker qui draine les trois quarts des sommes misées dans les jeux de casinos sur internet. Il fait appel non pas au simple hasard mais à une véritable expertise. En revanche, les jeux fondés sur le pur hasard, comme les machines à sous,…
…sont exclus de l'ouverture, parce que leur risque addictif est excessivement fort. Les machines à sous sont dans les casinos : elles doivent y rester.
L'ouverture doit donc être maîtrisée en termes de périmètre, mais aussi en ce qui concerne les conditions d'obtention des licences, et celles de l'exercice de l'activité des futurs opérateurs. L'enjeu est majeur : le succès de notre politique d'ouverture maîtrisée se mesurera à l'émergence d'une véritable offre légale et viable économiquement, portée par des opérateurs agréés. L'offre légale doit chasser l'offre illégale.
Les opérateurs de jeux légaux seront ceux qui auront obtenu un agrément, d'une durée de cinq ans renouvelables. Concrètement, nous vous proposons qu'une autorité de régulation indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne ou ARJEL, soit créée pour attribuer ces licences. Elles seront attribuées sous réserve du respect d'un cahier des charges, qui contiendra un ensemble de règles destinées à assurer la protection de l'ordre public et social.
C'est tout l'enjeu de cette ouverture qui n'a de sens que si des règles précises sont respectées en matière de contrôle d'identité des joueurs, de protection des mineurs, de promotion d'un jeu responsable à même de prévenir la dépendance aux jeux, de lutte contre le blanchiment d'argent et de préservation de l'intégrité des compétitions sportives et hippiques.
Ces opérateurs seront bien évidemment contrôlés dans le cadre d'un dispositif très précis défini par la loi. Un dispositif d'enregistrement permanent des échanges informatiques entre les opérateurs de jeu et leurs joueurs sera mis en place. Les opérateurs seront tenus de donner accès en permanence à toutes ces données à l'ARJEL, et leur autorisation d'exercice pourra être suspendue, voire annulée, en cas de manquement constaté.
Les opérateurs légaux seront autorisés à faire de la publicité, mais celle-ci sera très encadrée. La publicité est essentielle pour lutter contre les sites illégaux : elle permettra d'opposer, d'un côté, des sites visibles qui afficheront leur marque sur les supports traditionnels de publicité et, de l'autre, des sites qui devront demeurer dans l'ombre. Je considère, pour ma part, qu'il s'agit d'un des outils les plus efficaces de lutte contre les sites illégaux.
Sur ce marché, l'absence de publicité est tout simplement mortelle : elle condamnera l'offre illégale. Mais, une nouvelle fois, autoriser ne veut pas dire tout autoriser, et l'on ne peut pas laisser faire de la publicité partout. Le projet de loi prévoit ainsi des restrictions, notamment pour éviter d'exposer les mineurs.
Enfin, notre stratégie d'ouverture maîtrisée porte aussi sur des aspects financiers. La fiscalité sur les jeux doit à la fois préserver les recettes de l'État, qui s'élèvent actuellement à environ 5 milliards d'euros, et offrir un cadre attractif pour les opérateurs, afin d'inciter ceux qui opèrent dans l'illégalité à faire le choix de la légalité.
Ces deux éléments sont difficiles à concilier, car la fiscalité doit être globalement identique, pour chaque type de jeu, que ces derniers soient vendus sur internet ou dans un réseau physique. Cela signifie concrètement que, si nous souhaitons une fiscalité sur les paris plus basse que celle qui s'applique actuellement aux jeux de la Française des Jeux ou du PMU, il faudra l'appliquer à l'ensemble des paris en dur, ce qui entraînerait mécaniquement une diminution de recettes pour l'État.
Le projet qui vous est soumis fixe le point d'équilibre entre ces deux objectifs à 7,5 % des mises pour les paris sportifs et hippiques, et à 2 % des mises pour le poker, avec un plafond fixé à 1 euro par donne. Pour garantir le versement des prélèvements, le projet de loi prévoit la désignation en France d'un correspondant fiscal pour les opérateurs agréés qui ne seraient pas établis physiquement dans notre pays. En l'absence de conventions d'assistance administrative entre les États membres, nous avons expliqué à la Commission européenne que cette mesure était nécessaire pour garantir l'effectivité de notre assiette fiscale.
Le projet de loi prévoit un certain nombre de retours. Je reviendrai, dans quelques instants, sur celui destiné à la santé publique. Avant cela, je veux dire quelques mots sur le retour financier vers le monde du sport.
Le sport professionnel bénéficiera en particulier des recettes du sponsoring. Le sport amateur et de haut niveau bénéficiera, quant à lui, d'un retour, par l'intermédiaire d'un prélèvement sur les paris sportifs, affecté au Centre national pour le développement du sport. Le CNDS conservera évidemment le taux de 1,8 % sur les activités de loterie et de grattage, qui lui rapportent d'ores et déjà 163 millions d'euros par an, mais il percevra aussi des sommes issues d'un prélèvement de 1,3 % en 2010 ; 1,5 % en 2011 et 1,8 % en 2012 – comme l'ont souhaité certains députés – sur les jeux sur internet. Caractéristique très importante de ce prélèvement : il ne sera pas plafonné.
Une redevance fixera le montant du retour vers la filière hippique.
Je ne serais pas exhaustif si je n'ajoutais pas que le patrimoine bénéficiera également d'un retour financier dans le cadre de ce projet de loi, par l'intermédiaire d'une partie des recettes fiscales sur le poker en ligne. Ce versement, plafonné à 10 millions d'euros, sera versé au Centre des monuments nationaux.
Sur ces questions du retour, le travail en commission a été particulièrement fructueux et a permis d'enrichir le texte. Je souhaite remercier ici les parlementaires qui y ont contribué.
Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi d'insister, par ailleurs, sur la nécessité de faire enfin de ce texte le support d'une lutte plus efficace contre la dépendance aux jeux, et celui d'une meilleure protection de l'éthique des compétitions.
La lutte contre la dépendance aux jeux est un sujet majeur. La préparation de ce texte m'a donné l'occasion de rencontrer, depuis près de deux ans, de nombreux acteurs de la lutte contre l'addiction, mais aussi des joueurs victimes d'addiction. Hier encore, au centre médical de Marmottan, à Paris, j'ai pu mesurer les efforts dont font preuve les soignants pour aider les malades.
Je crois fermement que ce texte est une belle occasion d'afficher une ambition plus forte pour lutter contre les phénomènes d'addiction et pour prendre en charge les personnes qui en souffrent. Prévenir et guérir : voilà les deux axes de notre politique.
Rappelons d'abord à ceux qui nous disent que l'ouverture à la concurrence va augmenter le risque d'addiction, que le premier facteur d'addiction, c'est de laisser proliférer des sites illégaux qui ne respectent aucune règle. Le principal risque, si nous n'ouvrons pas, ne nous leurrons pas, ce sont les futures victimes d'addiction qui le paieront cash.
À côté de la lutte contre les sites illégaux, le projet de loi prévoit un encadrement strict des futures offres.
Premièrement, le taux de retour aux joueurs, le TRJ, sera plafonné, parce que nous considérons que ce plafonnement, qui est indispensable pour lutter contre le blanchiment, l'est tout autant pour limiter la dépendance aux jeux. Il aurait été plus simple pour le Gouvernement de ne pas se battre sur ce point contre la Commission européenne, mais nous étions convaincus qu'il fallait le faire. Nous avons donc voulu défendre cette disposition importante et novatrice qui n'existe pas à l'étranger. Nous allons d'ailleurs financer une étude pour mieux comprendre le lien entre le niveau du TRJ et les phénomènes d'addiction.
Deuxièmement, les sites des opérateurs légaux devront comporter un ensemble de dispositifs incitant le ou les joueurs à réduire le temps passé à jouer et permettant de détecter les joueurs à problème. Je vous invite à vous rendre, par curiosité, sur les sites illégaux pour voir combien d'entre eux mettent en avant ce type de modérateurs. Vous comprendrez alors pourquoi il est préférable de légiférer.
Troisièmement, l'effort public pour la connaissance, la prévention et le traitement de la dépendance aux jeux sera renforcé. En particulier, une partie des recettes sociales sera destinée au financement de la lutte contre la dépendance aux jeux, par l'intermédiaire de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'INPES, pour un montant de 10 millions d'euros.
Il s'agit que nous nous montrions meilleurs en matière de dépendance aux jeux, mais aussi meilleurs dans la protection du sport et du monde hippique. Le Groupement des détenteurs de droits sportifs, qui réunit quarante organisations sportives nationales et internationales, a d'ailleurs publié un communiqué indiquant que le présent texte constitue « la meilleure réponse aux défis liés à l'intégrité et au financement du monde du sport ».
L'éthique des compétitions sera mieux protégée grâce au fait que les paris légaux ne pourront porter que sur des compétitions et des types de résultats déterminés après avis des fédérations sportives, et non, comme c'est le cas aujourd'hui, sans qu'elles n'aient jamais leur mot à dire. Les organisateurs d'événements sportifs pourront en outre signer des accords contractuels avec ces opérateurs leur permettant notamment de leur faire prendre des engagements en matière d'éthique et de protection des compétitions sous l'autorité de l'ARJEL.
Le droit de propriété qui leur est reconnu dans le texte est, à cet égard, un élément essentiel de la protection du sport face aux risques des paris, tout comme les nombreuses dispositions permettant d'éviter les conflits d'intérêts. Un seul exemple : un opérateur qui a des liens capitalistiques avec un organisateur d'événements ne pourra pas proposer de paris sur ces événements, et réciproquement.
Parallèlement à cette offre légale qui respecte nos valeurs, nous voulons renforcer la lutte contre les sites illégaux, notamment à travers la création d'une autorité de régulation. Il s'agit de mettre en place une offre légale – meilleure réponse à apporter aux sites illégaux –, à même d'utiliser la publicité, qui constituera la première et principale barrière à l'offre illégale en l'asséchant.
Les outils de lutte contre les sites illégaux constituent néanmoins le complément indispensable de cette offre légale. Vous les avez d'ailleurs renforcés utilement en commission.
Ainsi, la publicité pour les sites illégaux sera interdite. Les diffuseurs – je dis bien : les diffuseurs – qui auront méconnu cette règle s'exposeront à une amende pouvant aller jusqu'à quatre fois le montant de la dépense publicitaire engagée. Ils n'auront donc aucun intérêt à accepter des publicités de sites illégaux.
En outre, les sites de paris illégaux seront bloqués – mesure déjà en vigueur en Italie et qui a montré son efficacité. Concrètement, un site illégal pourra être mis en demeure de cesser son activité. S'il n'obtempère pas, les fournisseurs devront en bloquer l'accès. Que les choses soient claires : c'est l'accès au site qui sera impossible et non la connexion du joueur qui sera suspendue.
Par ailleurs, le blocage des transactions financières entre les sites et leurs joueurs permettra d'exiger des banques établies en France la suspension du versement des gains de la part des opérateurs illégaux. Des cyberpatrouilleurs iront sur les sites illégaux pour constater les infractions.
Ne soyons pas naïfs : la lutte contre l'illégalité, contre la fraude est un combat sans fin. Ce n'est pas une raison pour ne pas la mener, mais c'en est une pour multiplier les dispositifs. Pris un à un, ces outils peuvent avoir des limites ; mais, lorsqu'on les cumule, ils constituent une panoplie particulièrement efficace. Comment imaginer qu'un site illégal restera dans la même situation qu'un site légal si, ne serait-ce qu'une fois, il subit des mesures de blocage et si des diffuseurs refusent de faire de la publicité pour son compte, alors même que les acteurs légaux pourront imposer rapidement la notoriété de leurs marques et démontrer aux joueurs qu'ils sont les seuls à assurer en permanence la sécurité financière de leurs transactions ?
J'ajoute – car je sais que c'est une demande légitime de ceux qui, respectueux de la loi, attendent pour commercialiser une offre – que les opérateurs aujourd'hui illégaux ne pourront pas tirer parti de l'avance qu'ils ont prise, en termes de parts de marché, et que des dispositions du texte, renforcées lors de la discussion en commission, conduisent à remettre les compteurs à zéro ; c'est-à-dire qu'ils ne pourront transférer les comptes ouverts dans l'illégalité sur un site qui aurait obtenu un agrément. Je suis d'ailleurs disposé à renforcer encore le texte en la matière.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, les éléments introductifs que je souhaitais apporter. Vous l'avez compris, le projet de loi vise à réguler une situation qui n'est plus tenable, cela sans rien céder sur nos valeurs et nos objectifs d'ordre public et d'ordre social. Enfin une régulation ! Enfin un environnement juridique stable et clair !
Le sujet est complexe, ainsi que le savent tous ceux d'entre vous qui se sont plongés dans le dossier, je pense en particulier à vous, monsieur le rapporteur, cher Jean-François Lamour, dont je salue le travail remarquable dans une matière aussi sensible.
Je suis néanmoins sincèrement convaincu que l'équilibre proposé par ce projet, qui a fait l'objet d'une consultation pour le moins étendue de l'ensemble des acteurs, est le bon. Ce débat mérite autre chose que les caricatures que j'ai entendues ces derniers jours. Le principal risque, aujourd'hui, n'est pas d'ouvrir, mais de ne pas ouvrir, c'est-à-dire de n'apporter aucune réponse au désert de régulation dans lequel se trouve le jeu sur internet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-François Lamour, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Éric Woerth pour son exposé dont la clarté nous permet de bien saisir les enjeux d'un projet de loi destiné à faire évoluer profondément un cadre législatif et réglementaire qui, s'agissant des paris, jeux d'argent et de hasard, n'a quasiment pas changé depuis le xixe siècle.
En dépit de l'émoi qu'il a pu susciter, le récent arrêt Santa Casa de la Cour de justice des Communautés européennes ne change rien au défi auquel est confronté notre pays.
On estime en effet à 3 millions le nombre de Français qui jouent ou parient sur internet, pour la plupart illégalement – et ce nombre est en rapide augmentation.
Face à un phénomène d'une telle ampleur, il faut reconnaître que la prohibition totale est vouée à l'échec. Ma conviction est que seule la maîtrise de l'ouverture permettra d'encadrer et de réguler le développement des jeux et paris en ligne.
Je tiens également à saluer la qualité des travaux conduits par les deux rapporteurs pour avis, Étienne Blanc, au nom de la commission des lois, et Daniel Fasquelle, au nom de la commission des affaires économiques, qui, chacun sous un angle différent, ont éclairé notre compréhension du présent texte.
Comme le permet désormais le règlement de l'Assemblée, le texte dont nous sommes saisis est celui qui résulte des travaux de la commission des finances. Réunie fin juillet, celle-ci a examiné près de 300 amendements et a substantiellement modifié le texte initial. Je rappelle à cet égard la qualité, la transparence et le caractère constructif des débats en commission, qui ont permis l'adoption de 140 amendements, de la majorité comme de l'opposition.
L'examen en commission a renforcé la partie du projet consacrée à la prévention du jeu pathologique et de l'addiction. Le texte initial interdisait déjà les formes les plus addictives de jeux et de paris en ligne, comme les machines à sous virtuelles ou les paris à fourchette – spread betting en anglais –, jeu où l'on ne connaît pas ses pertes. Il était également prévu que les opérateurs agréés soient tenus d'empêcher les publics fragiles – mineurs et interdits de jeu – de jouer ou de parier en ligne. Les opérateurs devront enfin participer à la lutte contre l'addiction.
J'insiste sur le fait que le texte a pour but de protéger les publics les plus fragiles. Pour atteindre cet objectif, la commission des finances a donc ajouté plusieurs dispositions : l'interdiction du jeu à crédit, l'agrément des services publics ou privés d'assistance aux joueurs pathologiques et la mise en place d'un numéro de téléphone pour informer les joueurs des risques d'addiction, comme il en existe déjà pour le tabac, l'alcool ou les drogues – ADALIS, ex-DATIS.
Sur la proposition de notre collègue Gaëtan Gorce, le parrainage par des opérateurs de jeux en ligne des événements destinés aux mineurs a été interdit.
En accord avec le Gouvernement, un régime d'encadrement de la publicité a été introduit dans le souci, là aussi, de protéger les mineurs. Plusieurs amendements auxquels j'apporterai mon soutien ont été déposés afin d'étendre ces interdictions, notamment aux sites internet et aux projections de cinéma destinés aux enfants et aux adolescents.
Attention, néanmoins, à ne pas tomber dans une prohibition sans discernement. Le succès de l'offre légale de jeux et de paris en ligne dépendra étroitement de la capacité des opérateurs agréés à se faire connaître par la publicité et à évincer les sites illégaux.
Le deuxième point sur lequel je souhaite insister est le corollaire du premier. Les opérateurs agréés de jeux et paris en ligne seront soumis à de fortes contraintes et à une fiscalité moins favorable que celle en vigueur dans les autres pays européens. Il est donc essentiel, pour la viabilité même de l'offre légale, que celle-ci soit aussi protégée que possible contre la concurrence déloyale des opérateurs qui auront choisi l'illégalité.
Si l'offre illégale restait facilement accessible pour les joueurs français, la rentabilité de l'offre légale serait ruinée et par là même l'ambition du présent projet d'une ouverture régulée du secteur des jeux et paris.
C'est pourquoi les travaux en commission ont substantiellement renforcé les moyens de lutte contre les sites illégaux en faisant notamment de l'Autorité de régulation des jeux en ligne, l'acteur principal de cette lutte. Désormais, c'est l'ARJEL qui demandera aux fournisseurs d'accès à internet et aux hébergeurs de bloquer l'accès à ces sites illégaux. C'est également sur sa proposition que le ministre du budget demandera aux banques de bloquer les mouvements de fonds en provenance ou à destination de ces sites.
Alors que la discussion du projet de loi HADOPI 2 avait suscité beaucoup de craintes parmi nous, je tiens à souligner avec force que c'est l'accès aux sites illégaux – et seulement lui – qui sera bloqué. Il ne s'agira ni de couper l'accès à internet de nos concitoyens, ni de collecter leurs adresses IP, ni de restreindre leur liberté constitutionnelle de communication et d'expression. Ce sera probablement difficile tant l'inventivité des gérants de sites illégaux est grande pour contourner toute tentative de blocage ; reste que je suis convaincu que les FAI sauront trouver des techniques efficaces pour faire respecter la loi française.
De plus, des cyberpoliciers du ministère de l'intérieur et des cyberdouaniers du ministère des finances, spécialement habilités pour lutter contre les sites illégaux, pourront être mis à disposition de l'ARJEL qui centralisera ainsi l'ensemble des ressources humaines et matérielles afin de mieux lutter contre les sites illégaux. Qui mieux que cette autorité indépendante, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut définir une politique de lutte contre ces sites, y affecter des moyens et en contrôler l'usage ?
Lutter contre les sites illégaux et assurer la viabilité de l'offre légale passe aussi par le renforcement de l'attractivité de celle-ci, mise à mal par une fiscalité parfois mal adaptée.
Je pense au poker en ligne qui, en raison de son modèle économique, n'aurait pu se développer si l'assiette de taxe prévue à l'origine avait été maintenue. Nous sommes cependant parvenus à une solution qui satisfait les opérateurs et permettra le développement d'une offre agréée de poker en ligne.
Le poker et les jeux de cercle en ligne, comme les paris hippiques et sportifs en ligne, se développeront donc dans notre pays de façon strictement encadrée et contrôlée. Des sommes très importantes seront misées par nos concitoyens, sur lesquelles l'État et la sécurité sociale prélèveront leur part.
Quid de nos communes ? Nombreuses sont celles qui abritent un casino ou un hippodrome. Or, les sommes misées dans les casinos ont diminué. Il est donc juste que les communes où se trouve un casino et qui tirent une part substantielle de leurs recettes de l'activité de celui-ci profitent elles aussi du développement des jeux de cercle en ligne.
De même, que seraient les paris hippiques sans les investissements considérables que les communes ont consentis pour construire et entretenir les hippodromes ? Il est donc juste qu'elles bénéficient elles aussi du développement des paris hippiques en ligne.
Ainsi, la commission a adopté les amendements présentés par MM. Myard et Fasquelle : 15 % des prélèvements de l'État sur les paris hippiques et les jeux de cercles en ligne seront désormais affectés, dans la limite de 10 millions d'euros par an, aux communes accueillant un hippodrome ou un casino.
Mais l'État, la sécurité sociale et, désormais, les communes sièges d'un casino ou d'un hippodrome ne seront pas les seuls à profiter du développement des paris en ligne. Le mouvement sportif et la filière hippique – sans lesquels ces paris n'existeraient pas – tireront eux aussi de nouvelles ressources de l'accroissement des sommes misées sur les paris en ligne.
Cependant, en commission, nous avons estimé que le retour au mouvement sportif, notamment au sport amateur, était insuffisant. C'est pourquoi un amendement voté en juillet dernier prévoit le relèvement progressif de 1 % à 1,8 % en 2012 du prélèvement sur les paris sportifs affecté au CNDS, prélèvement qui ne sera pas plafonné.
Quant au retour en faveur de la filière cheval, il sera fixé à 8 % des sommes misées sur les paris hippiques, lui garantissant ainsi le maintien de ses ressources à leur niveau actuel.
Si l'ouverture à la concurrence doit apporter de nouvelles ressources, elle peut également aboutir à un risque, celui qui découlerait de l'accroissement des enjeux financiers sur le sport. C'est pourquoi l'article 52 du projet de loi constitue à mes yeux un élément essentiel de la régulation des paris en ligne. D'une part, il précise le droit de propriété des organisateurs de manifestations sportives sur l'organisation de paris en ligne. D'autre part, il oblige les opérateurs à contracter avec eux, leur permettant de fixer des règles qui garantissent l'éthique des paris. Enfin, une juste rémunération – couvrant notamment les frais de surveillance – permettra de garantir la loyauté des manifestations sportives.
Je rappelle que ce droit de propriété existe depuis la loi de juillet 1984. Il n'est pas créé par l'article 52, qui se limite simplement à le préciser et, surtout, à fixer les conditions de son application à l'organisation des paris. Les travaux en commission ont permis de mieux l'encadrer. Peut-être doit-il encore être précisé : c'est l'objet des amendements que j'ai déposés. Mais soyons clairs : remettre en cause ce principe vertueux exposerait la France aux dérives que connaissent, en matière de paris sportifs, certains pays anglo-saxons, où il n'y a aucune limite aux types de paris possibles. C'est pourquoi des règles spécifiques ont été ajoutées dans un chapitre nouveau du projet de loi, car préserver l'éthique des paris et la loyauté des compétitions, c'est aussi prévenir les conflits d'intérêts. La commission des finances a adopté un de mes amendements imposant aux fédérations sportives et aux sociétés mères de courses de chevaux d'intégrer dans leurs règlements et codes l'interdiction de parier pour les parties prenantes à la compétition.
Je crois que, en complément de l'article 52 et des pouvoirs de sanction reconnus à l'ARJEL, ces règles constituent un juste équilibre entre les contraintes légitimes imposées aux opérateurs agréés et la nécessaire liberté commerciale dont ceux-ci doivent bénéficier. Je forme le voeu que cet équilibre ne soit pas dénaturé au cours de nos débats, par exemple par la tentation d'interdire le parrainage « maillot ».
J'ajoute enfin que toute l'Europe est attentive à ce qui va se passer dans notre assemblée. La France, par le droit de propriété qu'elle reconnaîtra, en matière de paris, aux organisateurs de manifestations sportives, et par les dispositions qu'elle adoptera sur la prévention des conflits d'intérêts, montrera la voie à ce qui pourrait être une régulation européenne des paris en ligne. Les parieurs, les organisateurs et le sport en général ne pourront qu'y gagner.
Voilà résumés, mes chers collègues, ce projet de loi et les nombreuses améliorations que les travaux en commission ont permis d'y apporter. Les déterminants et les enjeux sociaux ou économiques de ce texte méritent une discussion de fond en séance publique. Les 1 350 amendements d'obstruction déposés par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche risquent malheureusement de cantonner nos débats à une querelle de procédure, et je ne peux que le déplorer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Daniel Fasquelle, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les jeux d'argent et de hasard sont incontestablement un élément de notre patrimoine national. Aux comptoirs des bars-tabac, dans les tribunes des hippodromes, ou encore dans les salles de jeu des casinos, des millions de Français goûtent, chaque année, au plaisir du jeu.
Les activités de jeu sont également une source de financement non négligeable pour l'État et les collectivités territoriales : c'est ainsi que la filière hippique et un grand pan de l'économie touristique dépendent directement des prélèvements effectués sur les jeux d'argent et de hasard.
En raison des risques qu'ils font courir aux individus et à la société, les jeux d'argent et de hasard ont toujours été strictement encadrés. Ils doivent impérativement le rester. Entre l'interdiction et le libre marché, il y a la régulation. Incontestablement, le secteur des jeux d'argent doit être encadré, régulé par l'État.
Or on constate aujourd'hui une situation qu'on ne peut plus tolérer, puisque, comme l'a souligné M. le ministre, le dispositif légal mis en place est largement détourné par une offre de jeu qui s'est développée sur internet sans contrôle des activités présentant des risques pour les joueurs et pour la société, et avec des pertes de recettes importantes pour les filières hippiques, sportives et touristiques.
Le projet de loi qui nous est présenté a pour but de mettre fin à cette situation de non-droit en proposant une régulation crédible et équilibrée du marché des jeux en ligne. C'est donc tout naturellement que la commission des affaires économiques en a soutenu le principe et approuvé la philosophie générale.
Le travail en commission a également permis d'enrichir le texte sur plusieurs points importants. Je tiens ici à remercier le ministre et le rapporteur de la commission saisie au fond pour leur écoute.
Nul doute que les débats que nous allons avoir dans cet hémicycle vont permettre d'améliorer encore le contenu du texte.
Pour ma part, je serai sensible à la fois aux moyens que nous allons nous donner de mieux lutter contre l'offre illégale et à l'encadrement de l'offre légale.
En ce qui concerne la lutte contre l'offre illégale, le projet de loi propose un certain nombre de mesures permettant de gêner l'activité des opérateurs non agréés : sanction pénale, blocage des flux financiers, suspension de l'accès aux sites internet, interdiction de la publicité.
Mais aucun de ces moyens ne suffit à lui seul. C'est l'addition de ces mesures – qu'il faudra d'ailleurs régulièrement actualiser – qui permettra, nous l'espérons, d'obtenir un résultat efficace.
À ces moyens techniques s'ajoute le développement d'une offre légale, au sujet de laquelle je voudrais faire trois remarques.
En premier lieu, dans le cadre de cette offre légale, il est impératif de protéger les joueurs contre eux-mêmes. Des amendements proposés par la commission des affaires économiques ont été retenus en ce sens, d'autres pourraient encore renforcer le dispositif proposé par la loi : il faudra y être attentif car, comme l'a souligné le rapporteur de la commission saisie au fond, le développement de comportements addictifs peut faire des ravages dans les familles et dans le corps social. C'est notamment pour cette raison que l'activité des jeux d'argent et de hasard a toujours été encadrée.
On peut même soutenir qu'elle doit l'être plus encore maintenant car, pour la première fois, se développe une offre permanente, accessible à tout moment, depuis le domicile personnel ou tout autre endroit, à partir d'un ordinateur portable.
Si rien n'est fait sérieusement pour protéger le consommateur contre lui-même, le risque est donc réel qu'une frange non négligeable de joueurs deviennent des joueurs pathologiques.
À ce sujet, si le plafonnement du taux de retour au joueur est susceptible de réduire l'addiction aux jeux, nous serons tous d'accord pour imposer aux opérateurs un encadrement strict du montant et de la fréquence des dépôts et des mises. Il faut que les opérateurs protègent les joueurs contre eux-mêmes.
Mais – et c'est ma deuxième remarque – le véritable danger pour le joueur-consommateur, c'est en réalité l'offre illégale. À cet égard, la loi n'atteindra son but que si l'offre légale est suffisamment attractive, faute de quoi il subsistera une offre illégale. Nous serions alors devant une situation paradoxale, puisque, en banalisant l'offre de jeu d'argent sur internet, nous aurions attiré de nouveaux joueurs, qui viendraient ensuite renforcer l'offre illégale, vers laquelle ils seraient attirés en raison de la promesse de gains bien supérieurs. Il nous faut donc veiller à ce que l'offre légale soit suffisamment attractive, pour les joueurs et pour les opérateurs, afin d'assécher l'offre illégale. Nous sommes ici au coeur du problème. Et le projet de loi n'est pas loin d'avoir trouvé l'équilibre fin que nous recherchions.
Ma troisième et dernière remarque concerne l'arrière-plan européen du texte. En effet, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu en septembre dernier un arrêt important, qui reconnaît explicitement que les jeux d'argent sur internet « comportent des risques de nature différente et d'une importance accrue par rapport aux marchés traditionnels ». La Cour en déduit une plus grande liberté laissée aux États pour encadrer les activités des opérateurs, en particulier quand ceux-ci ont leur siège en dehors du territoire national.
Cet arrêt important est intervenu après les travaux de notre commission en juillet dernier. On ne peut pas ne pas en tenir compte : il convient de durcir le texte afin de se donner vraiment tous les moyens de contrôle nécessaires pour protéger les intérêts des joueurs, mais aussi ceux de l'État et des filières hippiques, sportives et touristiques.
Je suis convaincu, mes chers collègues, que nos débats vont permettre de faire évoluer encore ce projet de loi, des évolutions à la marge pour un texte indispensable que le Gouvernement a eu raison de présenter et qui, je n'en doute pas, fera école dans l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie pour avis sur les articles 25 à 36, et 47 à 50, qui concernent essentiellement l'ARJEL ainsi que tout le volet du texte consacré aux sanctions.
Ce projet de loi ouvre à la concurrence certains jeux d'argent et de hasard en ligne, et met ainsi fin à une tradition de notre droit en élargissant les possibilités de jeux d'argent. Je rappelle qu'aujourd'hui, le principe est celui de l'interdiction des jeux d'argent, sous réserve de trois grandes dérogations : la Française des Jeux ; les paris hippiques, contrôlés par les sociétés mères de courses de chevaux ; et les casinos et cercles de jeux, qui sont autorisés par le ministère de l'intérieur.
Aujourd'hui, les jeux en ligne sont presque tous illégaux, sauf ceux proposés par la Française des Jeux et le PMU. Le projet de loi prévoit un changement d'approche, et pour deux raisons.
La première, c'est la nécessité de mettre le droit français en conformité avec le droit communautaire. La Cour de justice des Communautés européennes admet que les États puissent introduire des restrictions à l'offre de jeux en ligne, pour des raisons d'ordre public. Mais elle exige que ces restrictions soient proportionnées à l'objectif de protection des intérêts publics, et qu'elles s'intègrent dans une politique globale de réduction de l'accès au jeu.
Il n'est pas certain que la législation française satisfasse aujourd'hui ces exigences. La Commission européenne a d'ailleurs adressé à la France, le 27 juin 2007, un avis motivé sur les paris sportifs et les paris hippiques.
La seconde raison de l'ouverture à la concurrence est plus pragmatique. Les jeux en ligne ont déjà rencontré leur public en France, et ils se développent très rapidement. On estime aujourd'hui que entre 4 000 et 5 000 sites de jeux en ligne sont actifs vis-à-vis du public français, pour un chiffre d'affaires annuel compris entre 2,5 et 3 milliards d'euros.
Parmi ces sites illégaux, on trouve quelques sites réputés ayant une licence dans un État de l'Union européenne, mais aussi de très nombreux sites douteux installés dans des paradis fiscaux et qui se livrent à des activités illégales. Certains vont servir au blanchiment d'argent ou au financement de la criminalité organisée. D'autres sont de pures escroqueries : des sites qui prennent des paris, puis ferment avant le match ; des sites qui faussent les logiciels pour faire systématiquement perdre les joueurs ; des sites qui trouvent des prétextes pour ne pas payer les gains ; ou encore des sites qui vont revendre les données personnelles des joueurs, notamment leurs coordonnées bancaires, pour favoriser des escroqueries qui ont souvent une dimension mondiale.
La loi prévoit déjà des sanctions pénales, ainsi que la possibilité de bloquer les sites illégaux, mais il est aujourd'hui quasiment impossible d'interdire les milliers de sites qui existent. Certains d'entre eux, notamment les moins scrupuleux, vont dépendre de sociétés off-shore qui ne peuvent pas tomber sous le coup de nos lois pénales.
Par ailleurs, lorsque la police parvient à en identifier un et que la procédure judiciaire permet d'aboutir au blocage de l'accès au site, il se reconstitue presque immédiatement sous une autre adresse, à l'aide de rerouteurs ou d'anonymiseurs.
Nous aurons l'occasion de vous expliquer que, avec l'ARJEL, on se dote d'outils nouveaux.
Nous aurons le temps d'en débattre.
Lorsqu'il s'agit de sites implantés dans l'Union européenne, les incertitudes sur la conformité de notre droit avec le droit communautaire ne nous permettent pas toujours de mener à bien les procédures judiciaires.
Pour éviter les phénomènes de délinquance liés aux jeux en ligne illégaux et non contrôlés, la solution retenue par le projet de loi est de créer une offre légale de jeux en ligne présentant toutes les garanties nécessaires d'honnêteté et de fiabilité pour détourner les joueurs des sites illégaux. Comme pour les casinos et les cercles de jeux, la création d'une offre en ligne sera subordonnée à un agrément et au respect d'une série de critères.
Le projet de loi crée une nouvelle autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne, ou ARJEL, qui sera chargée d'instruire les demandes d'agrément, de délivrer les agréments et de contrôler le respect de leurs obligations par les opérateurs. L'ARJEL comprendra une commission des sanctions qui pourra infliger des amendes ou une suspension ou un retrait de l'agrément en cas de non-respect des obligations. Pour exercer son contrôle, elle se fera communiquer toutes les données relatives aux joueurs et aux sessions de jeu et elle disposera d'agents assermentés qui pourront mener des enquêtes administratives.
Le champ des jeux en ligne ouverts à la concurrence est défini strictement : il s'agit uniquement des jeux de cercle, comme le poker, et des paris sportifs ou hippiques. Les purs jeux de hasard, comme les loteries et les jeux de contrepartie, c'est-à-dire ceux où l'opérateur perd quand le joueur gagne et inversement, restent interdits. D'une part, ils présentent plus de risques de dérives, puisque l'opérateur a intérêt à ce que les joueurs perdent. D'autre part, ils suscitent une demande moins forte de la part des internautes français, notamment parce que cette demande est largement satisfaite par la Française des Jeux.
Parallèlement, le projet de loi renforce les moyens de lutte contre les jeux illégaux. Il crée des cyberpatrouilleurs, policiers qui pourront participer à des jeux illégaux en ligne pour identifier les responsables du site et collecter les preuves, sur le modèle des cyberpatrouilleurs en matière de délinquance sexuelle.
L'ARJEL participera à la répression des jeux illégaux et pourra saisir le juge des référés pour lui demander d'ordonner le blocage de l'accès au site par l'hébergeur ou le fournisseur d'accès.
En revanche, il n'est pas prévu de sanctionner les joueurs qui participeraient à des jeux en ligne illégaux. La législation française des jeux ne sanctionne traditionnellement que celui qui propose des jeux illégaux, et non celui qui y participe. C'est la raison pour laquelle des amendements en ce sens ont été écartés par la commission des lois. Il n'est pas proposé de revenir sur ce principe.
La commission des lois a adopté un amendement qui tend à renforcer la sécurité des données personnelles des joueurs en prévoyant que la Commission nationale de l'informatique et des libertés est saisie pour avis du décret qui régit l'accès direct de l'ARJEL aux données détenues par les opérateurs des jeux en ligne. Cette capacité d'investigation est très importante pour lutter contre l'addiction ou contre la délinquance.
La commission a également proposé un amendement qui harmonise les sanctions encourues par les personnes proposant des jeux illégaux, que ceux-ci soient en ligne ou non.
Enfin, elle a adopté un amendement clarifiant la composition de la commission des sanctions de l'ARJEL. Ces trois amendements ont été adoptés en commission des finances et sont donc intégrés dans le texte qui nous est soumis.
En conclusion, la commission des lois émet un avis favorable sans réserve au projet de loi et vous invite, mes chers collègues, à l'adopter pour mettre fin à cette incertitude juridique qui nous handicape dans la lutte contre les sites et les jeux illégaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la première chose que nous devons faire lorsque nous sommes amenés à examiner dans cette enceinte un projet présenté par le Gouvernement, c'est de nous demander s'il est utile, s'il est justifié, c'est d'interroger les raisons qui ont conduit le Gouvernement à le présenter et de voir si elles répondent à l'idée que nous nous faisons de l'intérêt général.
Cette question paraît d'autant plus d'actualité que le Gouvernement n'a pas hésité à bousculer quelque peu l'agenda parlementaire pour ménager une place à ce projet de loi. M. le rapporteur s'irrite de m'entendre user de cet argument.
Chacun sur ces bancs sait bien que, lors de la session d'automne, entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, il n'y a de place que pour l'examen d'un seul texte. Et c'est celui-ci que vous avez choisi de mettre en débat. On peut se demander à quelle impérieuse nécessité il répondait pour que vous ayez voulu nous le soumettre si rapidement et dans ces conditions.
C'est à la lumière de cette question que nous devons examiner l'ensemble du document.
Ce que vous nous proposez n'est pas un texte anodin, mais un bouleversement de la législation française sur les jeux. Cette législation, fixée dès le xixe siècle, a été peu revisitée à en croire les différents textes discutés dans cet hémicycle : 1836, loi sur les premières loteries, modifiée en 1933, 1976 et 1985 ; 1891, loi sur les paris hippiques, modifiée une seule fois en 1983. La situation est donc exceptionnelle et le débat particulier.
D'autant que la législation que vous nous présentez est en rupture complète avec l'esprit dans lequel la République a considéré les jeux jusqu'à présent. La France se repose sur l'idée que le pari constitue une exception à l'interdiction du jeu, elle-même justifiée par l'idée que le jeu n'est pas une activité économique ou commerciale comme une autre,…
…qu'il implique des intérêts financiers tels qu'on ne peut laisser qu'à la seule collectivité publique le soin d'en vérifier l'organisation, l'utilisation et la redistribution de ses ressources.
Je l'ai dit, il est essentiel de connaître les raisons qui ont conduit à la présentation de ce projet de loi pour se faire une opinion précise et claire de ce qui est mis ici en discussion. J'essaierai de démontrer que les motifs présentés à l'appui de ce texte sont infondés. Mais j'aurai aussi le souci d'examiner les conséquences de ce texte. Ces conséquences, nous en discuterons, parce que le Gouvernement a cru utile de faire l'économie de ce que la Constitution et sa loi organique l'invitent pourtant à faire, c'est-à-dire nous présenter une étude d'impact sur les conséquences des projets de loi qu'il soumet au Parlement.
Monsieur le ministre, en l'absence d'étude d'impact, j'ai le sentiment que vous faites avec ce texte un pari aventureux sur des enjeux qui sont rien de moins que l'économie du sport et celle de la filière hippique, des questions essentielles de santé publique et, accessoirement, les finances publiques. Vous comprendrez, dans ces conditions, que nous lui accordions un examen approfondi.
Avant d'entrer précisément dans l'examen des raisons par lesquelles vous justifiez ce projet de loi, je voudrais me livrer à une incidente qui m'a été suggérée par l'excellent rapport de notre excellent collègue Jean-François Lamour. Dès son introduction et son chapitre Ier, ce rapport énonce que l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne est « subie », idée renforcée par l'emploi de caractères gras dans le texte. Il est curieux d'exprimer ainsi une volonté politique. J'ai du mal à comprendre comment on peut accoler un tel qualificatif à la loi, qui est l'expression de la volonté nationale. On aurait pu espérer une entrée en matière plus énergique, plus déterminée, plus volontariste. Mais non, le législateur doit subir une évolution. Mais quelle évolution ? Et pourquoi ?
La première raison invoquée est l'Europe. Ah l'Europe ! Si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer pour permettre aux gouvernements de justifier leurs difficultés, leurs mauvais coups ou les textes qu'ils n'arrivent pas à nous expliquer. Ce serait donc l'Europe qui aurait dicté au Gouvernement sa copie, elle qui aurait dit comment sa plume devait s'orienter, dans quel esprit la loi devait être modifiée. J'observe, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que, si certains de vos soutiens continuent à user de cet argument, vous avez mis un bémol, notamment depuis une décision de la Cour de justice des Communautés européennes, le 8 septembre dernier. Je le comprends !
De nombreux opérateurs se répandent sur les ondes avec des moyens importants pour expliquer que ce qu'ils font est légal, sinon au regard de la loi française, du moins à celui de la loi européenne, et que, s'ils en appelaient à la justice européenne, celle-ci leur donnerait raison. Il faut faire pièce à cette affirmation : la législation européenne ne met en aucun cas en cause la liberté de la France de fixer la législation qu'elle souhaite, fût-ce le maintien d'un monopole des jeux et des paris, notamment en ligne. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
De l'arrêt Schindler de 1994, première fois où la justice européenne a eu à connaître de ces questions, jusqu'à l'arrêt Santa Casa, l'Europe a réaffirmé deux principes. Le premier est la spécificité des jeux, qui justifie une législation appropriée au regard des caractéristiques et des risques.
Le second principe est la reconnaissance de l'autonomie des États, de leur capacité à apprécier et à fixer les règles qu'ils souhaitent. Cette jurisprudence s'est manifestée à de nombreuses reprises, notamment pour justifier des monopoles, dont celui de la Finlande avec l'arrêt Läärä en 1997 et celui du Portugal avec deux arrêts, en 2003 puis en 2009. Cette idée de l'autonomie des États et de la spécificité des jeux a également été reconnue à travers deux directives, adoptées en 2000 et 2006, l'une sur le commerce électronique, l'autre sur les services dans le marché intérieur, qui excluent explicitement les jeux, notamment en ligne, de la liberté de prestation mise en place.
Qu'est-ce qui a changé ces dernières années ? La Cour de justice, à laquelle la Commission a emboîté le pas, s'est posé un peu plus de questions sur les raisons qui pouvaient conduire chaque État à fixer telle ou telle législation. Elle a commencé à demander des justifications aux restrictions qui pouvaient être apportées à la liberté des jeux. À travers sa jurisprudence, elle est allée jusqu'à dire qu'il n'était possible de mettre en place une restriction aux jeux, par exemple un monopole, qu'à la condition de respecter des raisons impérieuses d'intérêt général qui soient proportionnées et non discriminatoires. C'est ainsi qu'elle a été amenée à condamner, par l'arrêt Gambelli en 2003, l'Italie pour des dispositions qui aboutissaient de facto à exclure des demandes d'agrément ou de licence des opérateurs étrangers. Il y avait discrimination. C'est ainsi encore que, dans un arrêt plus récent, en 2007, elle a considéré que les sociétés de capitaux ne pouvaient pas être exclues de l'attribution des licences en Italie, une telle restriction apparaissant disproportionnée au regard de l'objectif de régulation que s'était fixé le législateur italien.
Au fond, ce que dit la Cour de justice – et c'est ainsi qu'il faut l'interpréter très précisément –, c'est que chaque État a le droit d'adopter la législation qu'il souhaite à la condition que le contenu de la loi qu'il vote soit en conformité avec les raisons qu'il invoque. Autrement dit, il faut que nous soyons cohérents avec nos principes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
Par conséquent, elle ne nous demande pas de revenir sur la question du monopole, qui a récemment été consolidée par l'arrêt Santa Casa ; elle demande simplement que les restrictions soient justifiées par des motifs d'intérêt général.
Et les joueurs portugais continuent de jouer sur internet de manière illégale !
Je suis ravi que vous m'approuviez, mais je doute que vous continuiez à le faire dans quelques minutes.
Si l'on regarde de près l'avis rendu en 2007 par la Commission européenne, qui a mis en branle tout ce processus, c'est moins le monopole qu'elle condamne que la contradiction dans laquelle nous sommes entre le monopole que nous revendiquons et la politique que nous appliquons. Ce qu'elle conteste, ce n'est pas la rigueur de notre législation, c'est votre politique et sa faiblesse : en même temps que nous défendons l'idée d'un monopole public fondé sur une logique d'intérêt général pour réguler les jeux et notamment en limiter l'ampleur, nous encourageons la Française des jeux et le PMU à développer leur chiffre d'affaires, qui croît, et de manière rapide, chaque année.
La Commission européenne nous signale que nous prétendons lutter contre l'addiction, alors même que nous laissons la Française des Jeux développer des jeux comme le Rapido, où l'on peut parier toutes les quinze minutes, bientôt peut-être toutes les cinq minutes. Vous savez, mes chers collègues, car vous êtes bien informés, que le PMU – auquel nous sommes tous attachés – organisait par le passé six courses par jour, alors qu'il en organise aujourd'hui près de quarante-cinq.
Comment pouvons-nous défendre, devant la Commission européenne, l'idée d'un monopole public, comment le Gouvernement et les pouvoirs publics peuvent-ils escompter en retirer d'importantes ressources budgétaires – nous avons bien compris que cet enjeu ne vous était pas indifférent –, s'il ne se conforme pas aux règles qui doivent être celles d'un monopole public : le service public et l'intérêt général ? Tout le problème est là. Vous ne pouvez pas faire l'économie de cette question. Si nous avons été mis en difficulté par l'Europe, c'est pour toutes ces raisons.
Ayant fait justice, si j'ose dire, de la question européenne qui vous place devant vos contradictions, je voudrais aborder l'autre raison que vous évoquez à l'appui de votre texte. Vous prétendez vous conformer au principe de réalité : une concurrence sauvage sévissant sur internet, il vaut mieux, pour ne pas avoir à la subir, la légaliser pour la canaliser. Permettez-moi de faire à ce propos quelques observations. L'attitude du Gouvernement préjuge mal de la fermeté dont vous ferez preuve d'ici à quelques mois pour faire appliquer la nouvelle loi. Car déjà, monsieur le ministre, à votre nez et à votre barbe se déroulent aujourd'hui des pratiques totalement illégales, visibles à l'oeil nu – il suffit d'un clic –, contre lesquelles aucune action n'est entreprise par les pouvoirs publics. J'ai même le sentiment que l'initiative que vous avez prise, au début de la saison de football, par rapport à M. Aulas, ne servait qu'à masquer votre inertie à l'égard de toutes les autres activités. Dois-je vous renvoyer au site de l'OM, à celui de l'OL, à celui du Figaro ? Dois-je citer toutes les publicités que l'on a pu voir depuis des mois pour des jeux en ligne illégaux ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous dites qu'il est urgent de protéger le consommateur et le parieur contre l'offre illégale. Mais n'est il pas tout aussi urgent d'appliquer d'ores et déjà la loi, grâce aux moyens qu'elle vous offre, afin que le consommateur soit réellement protégé, fût-ce dans l'attente d'une meilleure législation ? Si vous ne le faites pas, vous ne pouvez prendre prétexte de cette situation pour essayer de nous imposer ce texte. J'allais presque dire que l'arbre de cette initiative avec M. Aulas cache la forêt de votre inertie ou de votre impuissance. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Et cela, nous ne pouvons l'accepter, tant du point de vue de la législation nationale que du point de vue de l'ordre public.
Au-delà de cette attitude – qui augure mal de la suite –, je voudrais revenir sur la question de fond. La réglementation que vous nous proposez va-t-elle permettre de canaliser véritablement les choses ou sera-elle la porte ouverte à une plus large privatisation, à une libéralisation ? L'année 2010 sera-t-elle celle de la concurrence organisée, maîtrisée, et 2012 – puisqu'il y a une clause de revoyure dans deux ans – celle de la libéralisation généralisée ? C'est ma crainte.
Je citerai quelques exemples. L'ARJEL d'abord. Vous dites, monsieur le ministre, vouloir mettre en place une autorité indépendante qui pourra garantir le respect des règles strictes, sévères, sérieuses, qui auront été mises en place avec l'Assemblée. Cependant, même si certains sont prêts et déjà dans les starting-blocks, une fois que le texte aura été voté et que les décrets d'application auront été adoptés en totalité – ce qui prendra du temps, car ils sont complexes et certains doivent être pris en Conseil d'État –, l'ARJEL ne pourra pas se mettre au travail avant la fin de l'hiver ou le début du printemps. Or nous savons que l'autre enjeu est de faire en sorte que les paris en ligne des opérateurs privés puissent se développer dès les jeux Olympiques d'hiver – ce sera difficile – ou en tout cas pour la Coupe du monde de football, pour laquelle il faut absolument être prêts.
Comment peut-on être crédible en disant que l'ARJEL instruira avec toute la rigueur nécessaire des dossiers qu'elle n'aura que quelques semaines pour examiner, puisque tel est bien le délai qui s'écoulera entre le moment où elle se mettra en place et le début de la compétition à laquelle vous ne cessez de faire référence ? Aucun contrôle sérieux ne sera possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La seconde observation qui me fait douter de la capacité du texte à atteindre ses objectifs réside dans l'attitude que vous adoptez, notamment, sur le terrain fiscal. Monsieur le ministre, vous dites : « L'État n'y perdra rien, nous saurons trouver les solutions. » La réalité, pourtant, est que même si l'État n'y perd rien, il est amené à baisser aujourd'hui le niveau de ses prélèvements. Autrement dit, il est entré, s'agissant des jeux, dans un processus de dumping fiscal pour se rendre plus attractif à l'égard des opérateurs – illégaux, je le rappelle –, qui pratiquent, d'une certaine manière, un chantage à la réglementation et à la fiscalité. Vous avez baissé les prélèvements qui vont s'appliquer sur les paris hippiques. Vous avez baissé le prélèvement spécifique qui va s'appliquer au bénéfice du CNDS sur les paris sportifs
Vous nous dites que nous parviendrons à interrompre ce mouvement et peut-être même demain à remonter un peu la pente, afin de trouver des ressources adaptées.
Je reviendrai sur ce point, qui vous pose problème. Il est normal que nous y revenions car il s'agit de l'argent public et il faut y être particulièrement attentif, surtout, monsieur le ministre du budget, compte tenu de l'état actuel de nos déficits.
Comment peut-on espérer maintenir, demain, des contraintes, des dispositifs fiscaux, juridiques, de protection en matière de santé publique, quand les opérateurs nous disent déjà que c'est trop ? Nous avons reçu, tout comme vous, leurs représentants qui se sont exprimés avec une grande franchise – certains pourraient parler d'arrogance – en disant : « Ce n'est qu'un début, il faudra aller plus loin ; parce que, si l'État français ne baisse pas plus la fiscalité et ne réduit pas plus les contraintes qu'il veut nous imposer, soit nous ne déposerons pas d'agrément, soit nous nous retirerons du marché français, et nous continuerons à agir comme nous le faisons aujourd'hui. »
Les garanties que présente ce texte sont aujourd'hui un leurre. Et l'on peut penser que vous serez amenés, dans les années à venir, non à les renforcer, mais à les réduire.
Vous mettez le doigt dans un engrenage qui ne va pas dans le sens d'un renforcement de la régulation, mais d'une libéralisation, d'une dérégulation du secteur qui, compte tenu des conséquences, ne peuvent pas être acceptées.
Vous nous dites ensuite que, grâce à ce texte, la France pourra enfin répondre aux attentes de l'Union européenne. C'est très exactement le contraire qui va se passer.
Comme vous allez devoir céder toujours plus aux opérateurs, qui vous feront le chantage à l'agrément, à l'amitié, à la fiscalité, vous ne pourrez plus justifier les restrictions que vous aurez imposées aux opérateurs privés, et que seule auraient pu justifier une modernisation et une actualisation des missions de la Française des Jeux. En effet, nous irons vers une régulation toujours plus fragile et par conséquent toujours moins justifiable au regard des préoccupations rappelées par l'Union européenne. Telle est la réalité actuelle.
Après avoir évoqué les raisons qui ne me paraissent pas justifier une modification de la législation, je voudrais en venir aux conséquences possibles qu'elle peut avoir. Je n'aborderai que brièvement la question de l'addiction : Mme Delaunay développera ce point tout à l'heure de manière complète et précise, grâce à sa compétence et à sa connaissance de ces sujets. Je voudrais néanmoins relever une toute petite contradiction sur cette question de l'addiction. Je vais prendre l'exemple du prélèvement au bénéfice du CNDS – sur lequel, monsieur le rapporteur, vous souhaitiez réagir tout à l'heure. Jusqu'à présent, il était fixé à 1,8. Il est abaissé à 1 et vous nous dites que vous le remonterez à 1,3 et progressivement à 1,8.
Si le prélèvement sur le CNDS est ramené à 1,3, pour s'en tenir à la référence qui figure dans le texte, cela signifie que l'on réduit d'un tiers les recettes qui pourront aller au CNDS. Si l'on veut compenser cette baisse d'un tiers des recettes, en maintenant le même montant de prélèvement, vous devez augmenter d'un tiers le nombre des joueurs. Cela veut dire que vous ne pouvez réussir à rentrer dans vos recettes, notamment sportives, qu'à la condition d'augmenter le nombre de ceux qui participent aux paris en ligne.
Nous savons qu'il existe un lien, presque mécanique, proportionnel, entre l'augmentation des joueurs et l'augmentation des joueurs pathologiques, entre l'augmentation du jeu et l'augmentation de l'addiction. Ne nous dites pas que ce texte n'aura pas de conséquences sur l'addiction. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
J'ajoute – c'est un point sur lequel nous devons réfléchir sur tous nos bancs – qu'en légalisant la publicité, comme vous avez décidé de le faire pour les paris en ligne et les opérateurs privés, vous allez créer une situation tout à fait nouvelle. Vous prétendez fixer des règles pour les émissions destinées à la jeunesse ou sur certaines circonstances et conditions. Mais que se passera-t-il lors de la retransmission d'un match de football ? Que verrons-nous sur nos écrans quand le Real Madrid affrontera l'Olympique de Marseille, ou le FC Barcelone Manchester United ? À la mi-temps, des commentateurs inspirés, connus, aimés, appréciés – choisis, par exemple, parmi ceux qui, il y a quelques années, ont gagné la Coupe du Monde de football –, fourniront leur analyse de la première mi-temps et donneront leur pronostic final. Ils nous montreront ensuite sur quelle touche appuyer pour pouvoir jouer en ligne. Des millions de téléspectateurs – des moins jeunes comme des jeunes – seront ainsi directement incités par la publicité à recourir aux paris en ligne, au bénéfice non pas de la collectivité, mais des opérateurs privés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Au regard de ces conséquences – et sans parler de celles que subiront la filière hippique et la filière sportive –, on ne peut qu'émettre des doutes extrêmement sérieux sur le texte présenté.
On nous a dit que la filière hippique n'était pas menacée et que l'on parviendrait à maintenir grosso modo les prélèvements. En réalité, que se passera-t-il ? Le PMU changera de vocation. Il a déjà annoncé qu'il développera des paris sportifs en ligne. Il ne sera plus simplement organisateur de paris hippiques, tourné vers la filière hippique, mais il changera de nature et d'orientation. Ensuite, on peut penser que les parieurs se concentreront très naturellement sur les courses les plus médiatisées, qui seront aussi les plus rentables, au détriment des petits hippodromes et des sociétés de courses. Cela représente 70 000 emplois, 250 hippodromes et autant de petites sociétés de courses qui font vivre notre territoire. Enfin, un grand nombre de parieurs – dont les ressources ne sont pas inépuisables –, attirés par les paris sportifs en ligne, délaisseront les paris hippiques pour aller vers les paris sportifs. Vous avez cité l'exemple de l'Italie, où l'on observe une baisse catastrophique des ressources, qui a mis en péril la totalité de la filière hippique. Voilà les mauvaises raisons et les conséquences particulièrement redoutables vers lesquelles ce texte nous entraîne.
Il est bien naturel, dans ces conditions, de vouloir privilégier une autre orientation et de souhaiter que vous alliez dans une autre direction. Il faut d'abord réaffirmer le rôle et les missions des organismes qui, historiquement, se sont vu confier la responsabilité de l'organisation des paris, aujourd'hui des paris en ligne. Encore faut-il les rappeler, et réinstaller ceux-ci dans leur vocation d'intérêt général. C'est d'une certaine façon ce que nous demande l'Union européenne. Il faut que le prélèvement effectué sur les mises aille plus largement vers les activités sportives. Savez-vous combien le sport amateur allemand touche en comparaison de ce qui va au sport français ? Le produit des paris orientés vers le sport représente moins de 200 millions pour le CNDS en France et plus de 500 millions pour le sport amateur en Allemagne.
Il faut donc faire le choix de soutenir l'activité sportive, le sport amateur. Il faut faire le choix de mettre en place une vraie politique contre l'addiction avec des moyens budgétaires dédiés. Il faut faire le choix d'engager une vraie politique répressive quand c'est nécessaire, en renforçant les équipes, les moyens et les instructions données au service de la police des courses et des jeux. Bref, il faut manifester une volonté politique, faire un acte politique. Il ne faut pas commencer par dire que l'on cède et que l'on subit. Je suis étonné qu'un certain nombre d'entre vous puissent se satisfaire d'un pareil discours (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR), alors que nous n'avons face à nous que des lobbies financiers qui ne cherchent pas à créer de la richesse, à faire de la valeur ajoutée, qui spéculeront simplement sur les paris des joueurs pour réaliser des bénéfices, qui ne créeront pas des emplois et de l'activité supplémentaire.
Voilà la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Ne nous dites pas que nous empêchons le développement d'une industrie à haute technologie avancée. Ne nous dites que nous allons priver le pays de milliers d'emplois autour desquels pourraient se développer des formations et des qualifications. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous sommes face à des lobbies organisés qui ont décidé d'utiliser les paris pour réaliser des bénéfices supplémentaires et obtenir de meilleurs résultats financiers. Telle est la réalité. Cela suppose une vraie volonté politique, et ce n'est pas ce à quoi nous assistons.
Je suis d'autant plus désolé de devoir faire ce constat que nous ne retrouvons pas dans cette attitude une cohérence avec les propos tenus ces derniers mois. On nous a dit : « L'économie spéculative, voilà le malheur ! Voilà ce qui peut nous arriver de pire. Voilà l'ennemi, il faut mettre de l'éthique dans ce capitalisme. » Le Président de la République l'a affirmé, il n'y a pas un ministre qui ne nous le dise. Monsieur le ministre du budget, vous l'avez aussi dit et répété. Et voilà que vous encouragez le plus bel exemple d'« économie casino » qui puisse se faire. J'ai parfois du mal à comprendre la cohérence de votre démarche.
Il faut encadrer ! On ne peut pas se contenter de la politique de l'autruche !
Monsieur le rapporteur pour avis, il n'est pas d'usage que les rapporteurs interrompent les orateurs. C'est même en général le contraire qui se produit. Je ne vous empêche pas de modifier la tradition du Parlement, mais je promets, dans ce cas, de vous rendre la pareille.
Le Président de la République nous disait : « Il faut travailler plus pour gagner plus. » Je ne vois pas, dans ce projet de loi, la traduction très précise de cet engagement. Vous me direz : « Le jeu est le jeu. Pourquoi le décourager ? » Je ne porte pas de jugement moral. Après avoir cité le Président de la République actuel, je prendrai une autre référence, qui devrait également vous faire plaisir. Permettez-moi de vous rappeler les propos du général de Gaulle, personnalité d'une tout autre stature : « La politique, disait-il, ne se fait pas à la corbeille. » Je regrette pour ma part que votre politique se fasse sur les sites de jeux en ligne, à la roulette et sur le tapis vert. Je ne pense pas que la France et la république aient gagné au change ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
J'étais certain que cette observation vous ferait plaisir, et, à en juger par vos réactions, je constate qu'elle a touché son but.
J'en viens à ma conclusion. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Le temps global présente des avantages, mais il a aussi des inconvénients. Je pourrais rester à la tribune plus longtemps que vous ne le souhaitez, mais, ce faisant, j'épuiserais le temps qui est imparti à mon groupe et vous pourriez ainsi voter ce texte et être rapidement débarrassés de la corvée que vous impose le Gouvernement. (Sourires.)
Ce texte pose la question des valeurs que nous voulons pour notre société. Nous ne vivons plus dans une époque où nous pourrions condamner les jeux d'argent et leur jeter une exclusive morale. Ces temps sont révolus. Le temps consacré au travail s'est réduit et celui consacré aux loisirs s'est allongé. On peut même considérer que le loisir permet toutes formes de jeux.
Si, autrefois, on valorisait l'épargne et le labeur, on valorise aussi aujourd'hui la réussite, qui peut passer par le gain et le pari heureux. La société trouve cela normal et nos concitoyens plébiscitent ces formules – c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il faut les aborder avec prudence.
S'il y a une évolution en la matière, dont il faut se féliciter, elle n'est pas neutre, car aucune place n'est faite à l'aspect ludique, au plaisir, à l'invention ou à la fantaisie. En aucune façon le jeu n'est considéré comme un acte gratuit. Non, on veut un jeu qui rapporte, avec une contrepartie matérielle et qui débouche sur des rémunérations, ce qui, d'une certaine façon, est normal.
Si le jeu n'est plus frappé d'un interdit moral ou si ce ne sont plus des raisons d'ordre moral qui nous amènent à réglementer le jeu, nous le faisons alors pour des raisons liées à l'intérêt général. Nous considérons que, face à un plaisir ou à une tentation, nous devons fixer des règles, des limites, des contrôles. Mais que reste-t-il si la règle de l'intérêt général s'efface ? Si, comme le propose ce projet de loi, ce n'est plus le monopole public qui intervient, ce n'est plus un organisme sous contrôle public répondant à des règles d'intérêt général, mais un opérateur privé répondant à des préoccupations privées, nous avons face à face deux personnes motivées par les mêmes mobiles – l'appât légitime du gain ou d'une réussite –, mais placées dans une situation inégale. Entre le parieur, qui perd presque tout le temps, et celui qui organise les paris, qui gagne presque tout le temps, il n'y a pas d'égalité. Si nous reculons sur le thème de l'intérêt général, nous créons une situation dans laquelle nous banalisons le jeu. Au fond, nous considérons que le jeu est une activité économique profitable pour les uns, même si elle ne l'est pas pour les autres et sur laquelle l'État n'a plus à intervenir. Cette évolution-là, mes chers collègues, va bien au-delà de la question de savoir s'il y a urgence ou non à légiférer. Elle nous pose des questions sur l'idée que nous nous faisons de notre société. Or la réponse que vous y apportez par ce texte me paraît un peu courte. Il aurait été plus sage de saisir l'occasion que nous offrait la Cour de justice des Communautés européennes pour suspendre ce débat, pour nous remettre autour d'une table.
Toujours les mêmes arguments ! Se mettre autour d'une table et ne rien faire !
N'est-ce pas M. Copé qui propose des commissions bipartisanes ? Nous avions là une merveilleuse occasion de nous mettre autour de la table pour rechercher avec les professionnels de santé et l'ensemble des acteurs concernés un consensus…
…pour réfléchir à la meilleure réglementation possible des jeux applicable dans notre pays. Vous ne l'avez pas souhaité.
Que se passe-t-il en coulisses ? La pression des lobbies, on le sait fort bien, est quasi quotidienne. Nous savons bien qui manoeuvre, qui s'exprime. Certains le font au grand jour, d'autres de manière plus discrète.
Il suffit de savoir à qui profite – je ne dis pas le crime – la loi. Nous les connaissons, ils sont impatients de mettre leur dispositif en place, ils piaffent.
Vous êtes un homme compétent et intègre, monsieur le rapporteur, et je porte le même jugement sur le ministre du budget. Je ne vous reprocherai donc pas votre manque de volonté, mais d'avoir manqué de capacité de résistance. C'est pourquoi j'invite notre assemblée, par son vote, à faire obstacle à une évolution qui transformera notre société, qui frappera d'abord les petits parieurs, qui touchera les plus faibles et qui les mettra dans des situations difficiles, qui fera que, plus que jamais, l'argent sera le dieu de cette société alors que nous pourrions, les uns et les autres, en dépit de nos désaccords, mettre en avant des valeurs qui s'inspirent d'une autre idée de la République, d'une autre idée de la société, tout simplement, d'une autre idée de l'homme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – M. François Bayrou applaudit.)
Permettez-moi, monsieur le président, de réagir aux propos excessifs, voire outranciers, de M. Gorce.
S'agissant du calendrier – vous vous êtes exprimé dans la presse, avant de le faire à cette tribune –, vous avez posé la question de savoir pourquoi nous examinions en priorité, dans la précipitation, un projet de loi sur les jeux en ligne. Vous dénoncez la pression de lobbies.
Nous aurions cédé à la pression du pouvoir de l'argent. Vous jetez ces arguments à la figure des gens : drôle d'état d'esprit que le vôtre ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) À vous de l'assumer !
En fait, cela fait deux ans, monsieur Gorce, que nous travaillons très sereinement sur ce sujet et que ce texte attend depuis huit mois sa place dans la file d'attente des projets de loi qui doivent être examinés par votre assemblée. Il arrive à point nommé, car nous voulons régler le problème – mais on peut aussi décider de ne pas le faire : ne pas voir, ne pas entendre, c'est très pratique !
Et cela correspond bien à votre état d'esprit ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je ne vois rien, donc cela n'existe pas !
La politique de l'autruche chère au parti socialiste ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Le parti socialiste ignore qu'il y a des milliers de sites en ligne. Il ne sait pas qu'il est difficile de les contrecarrer en l'absence de législation. Nous devons légiférer.
Selon vous, il ne faudrait pas légiférer, mais fermer les yeux sur les sites illégaux. Il faudrait laisser l'argent circuler et ne pas réagir.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C'est vous qui ne faites rien !
Est-ce cela que vous voulez ? Pour moi, la politique du vide est la pire des politiques. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Refuser de réguler serait la pire des politiques.
À Marmottan, hier, nous avons écouté les professeurs de médecine et les psychiatres qui sont confrontés aux problèmes de l'addiction. Ils ont salué la volonté de l'État à enfin réguler dans ce domaine.
Vous avez un problème avec internet au parti socialiste !
Vous considérez, à tort, qu'il ne faut pas réguler internet. Vous considérez que c'est un tel espace de liberté qu'il ne faut rien faire.
Vous considérez qu'il faut laisser s'installer tout et n'importe quoi. Telle n'est pas notre vision !
Nous pensons que l'État doit assumer sa souveraineté même sur internet !
Comme souvent, le parti socialiste est en avance d'une contradiction. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.) Je prendrai d'abord pour exemple, son attitude sur le forfait hospitalier.
L'augmentation du forfait hospitalier serait l'injustice même dans l'accès à la santé ! Or qui a créé le forfait hospitalier ?
Le parti socialiste !
Qui a augmenté le forfait hospitalier de plus de 30 % ? Le parti socialiste ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ils sont amnésiques !
En ce qui concerne La Poste – autre exemple –, vous caricaturez notre position en déclarant que nous voulons la privatiser, alors que notre but est de faire en sorte qu'elle puisse être consolidée grâce à des capitaux 100 % publics. Or qui a privatisé à tours de bras, mes chers collègues ? Le parti socialiste, comme le rappelait hier le Premier ministre. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)
M. Gorce vient de dire que le Rapido était le jeu le plus horrible qui soit, celui qui crée le plus d'addiction. Mais qui, monsieur Gorce, a créé le Rapido ? Mme Parly en 1998 ! C'est encore le parti socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Cessez de jouer les hypocrites ! Cela ne marche pas ! Ou alors assumez !
Comme vous n'en faites rien, le débat est forcément tronqué.
Nous avons, quant à nous, le courage de dire que, aujourd'hui, les jeux sur internet ne sont pas encadrés. Nous n'acceptons pas une telle dérégulation. Céder au pouvoir de l'argent reviendrait, monsieur Gorce, à l'accepter.
Cela reviendrait à accepter que tout le monde puisse avoir accès à internet dans n'importe quelles conditions, sans être soumis à aucune fiscalité. Demandez à ceux que vous soupçonnez de faire pression sur nous comment ils souhaiteraient que le Gouvernement légifère ! Ils souhaitent bien évidemment éviter tout type de contraintes, toute fiscalité quelle qu'elle soit. Le milieu du sport, lui, demande plus de moyens ; c'est ce que nous lui offrons avec ce projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Quant au milieu hippique, il souhaite en finir avec la concurrence illégale qui l'affaiblit. Vous vous refusez à l'admettre et vous avez tort sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Un numéro à usage de l'UMP ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe GDR.
Je n'ai pas eu, monsieur le ministre, le sentiment que vous ayez répondu aux arguments de la motion de rejet préalable.
Dans votre intervention liminaire, vous avez décrit les comportements addictifs, ainsi que vos visites dans des centres soignant ces comportements. Or votre seule réponse à ce problème est, avec ce projet de loi, d'augmenter l'offre de jeux dans des conditions encore plus dangereuses.
Vous avez déclaré qu'il fallait prendre des mesures pour réprimer et empêcher les sites illégaux. Pourquoi, dans ces conditions, ne présentez-vous pas un projet de loi qui permettrait de lutter dès aujourd'hui contre ces sites ?
Vous vous félicitez du rôle du PMU et de la Française des Jeux. Pourquoi, alors, ne donnez-vous pas les moyens aux opérateurs historiques répondant à l'intérêt général de jouer leur rôle face aux opérateurs illégaux ?
Vous expliquez que la Cour de justice des Communautés européennes a souligné que les monopoles publics étaient le plus aptes à lutter contre les fraudes et l'addiction. La législation nationale doit agir, dites-vous, mais vous nous proposez un projet de loi qui cède au dogme de la mise en concurrence et aux lobbies financiers. Vous l'admettez et vous proposez une série de principes de sauvegarde, de réglementations et de restrictions. Pourtant, la meilleure façon de lutter contre l'addiction et contre les fraudes aurait été de refuser l'ouverture à la concurrence. Voilà le choix que vous deviez faire si vous vouliez vraiment être efficace.
Vous nous parlez ensuite du financement du sport : il y aurait des retours pour le sport amateur et de haut niveau grâce à la taxe pour le Centre national pour le développement du sport ; quant au sport professionnel, il bénéficierait des circuits commerciaux. J'aimerais que vous précisiez davantage les choses. Le retour au sport doit être le retour aux fédérations sportives pour l'ensemble des pratiques sportives. La mutualisation, cela veut dire quelque chose.
On ne peut pas faire dépendre le développement du sport, la construction des infrastructures sportives, l'aménagement de notre territoire directement et seulement du retour sur les jeux. Cela me semble immoral.
Comme M. le rapporteur, j'ai participé, hier à la Sorbonne, à un colloque organisé par le ministère de la jeunesse et des sports sur le nouveau modèle sportif français dont nous avions besoin. J'ai entendu parler des valeurs du sport, mais, pour les promouvoir, il faut offrir les moyens publics du développement du sport et faire en sorte que le budget des sports que nous examinerons dans quelques semaines réponde à ce besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
En ces temps où l'argent a fait tant de mal à l'humanité, en ces temps de crise mondiale, durable, avec des coûts sociaux, économiques et écologiques, il serait temps de résister à la loi de l'argent. C'est pourquoi il faut voter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, l'exercice auquel je vais me livrer est complexe, car tout a été dit ; je souhaite néanmoins souligner les quelques raisons pour lesquelles le groupe SRC votera bien évidemment cette motion.
La première, qui est de forme, n'en est pas moins importante : ce texte n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact, contrairement aux engagements pris lors de la réforme de la Constitution. Si une telle étude avait été réalisée, elle aurait permis de constater l'inefficacité du projet et de mettre au jour les risques que son adoption ferait courir à notre pays.
Deuxièmement, ce texte se fonde sur deux mauvaises raisons, que Gaëtan Gorce a évoquées. La raison européenne, tout d'abord. La Commission européenne a effectivement fait part à la France des doutes que lui inspirait la conformité de la législation française à sa propre jurisprudence. Mais celle-ci laisse le choix aux États, au nom de la spécificité des jeux et de leur autonomie en la matière, entre deux orientations : la libéralisation et le renforcement du monopole public sur les jeux d'argent. Cette dernière orientation a été confortée par l'arrêt rendu le 8 septembre dernier par la Cour de justice des communautés européennes.
La seconde mauvaise raison invoquée est la nécessité d'agir en urgence, non en prévision de la coupe du monde – comme nous l'avons tous compris –, mais à cause de la profusion de sites illégaux et du développement de l'offre illégale sur internet. À cet égard, monsieur le ministre, l'agressivité dont vous avez fait preuve en répondant à Gaëtan Gorce est d'autant moins justifiée que c'est vous qui ne faites rien pour empêcher le développement des sites illégaux et la publicité pour ces sites, rien contre des opérateurs et des acteurs économiques dont vous semblez craindre qu'ils cessent d'apporter leur soutien à la politique de votre gouvernement.
La dernière raison pour laquelle nous voterons évidemment cette motion est la manière dont, comme l'a également dit Gaëtan Gorce, les opérateurs mettent le pied dans la porte. En commençant de libéraliser une partie des jeux d'argent en ligne, en mettant le doigt dans l'engrenage de la libéralisation, vous ouvrez en réalité la voie à une libéralisation totale lors du rendez-vous de 2012. Ce texte, que vous présentez comme un compromis résultant de la volonté d'encadrer le secteur des jeux en ligne, n'est en définitive que la première étape d'une libéralisation que vous semblez appeler de vos voeux. En votant cette motion de rejet préalable, nous souhaitons donc également permettre son réexamen et nous donner le temps nécessaire à la réflexion à propos de ce secteur.
Pour conclure, je souhaite dire trois choses. Les arguments avancés par Gaëtan Gorce s'apparentaient à un réquisitoire, mais à un réquisitoire implacable. J'ai dit tout à l'heure que le débat pourrait être clos ; à notre sens, il l'est, et cela justifie que l'on vote cette motion. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.) Face à ces arguments implacables, nous avons entendu une défense qui patine ou se montre pour le moins légère, au point de recourir à l'agressivité…
Ce n'est pas un procès, monsieur ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
… pour évoquer La Poste, le Rapido ou le forfait hospitalier – dont je me permets de rappeler, monsieur le ministre, que c'est vous qui l'avez doublé depuis 2004, alors qu'il est censé compenser les frais de restauration. Si vous trouvez dans notre pays un salarié qui consacre à ces derniers 18 euros par jour, vous aurez de la chance ! Pour ma part, je n'en connais plus un seul.
Le réquisitoire était implacable, la défense molle…
Un seul verdict : adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le groupe Nouveau Centre s'opposera à cette motion.
Monsieur le ministre, j'ai écouté avec une grande attention vos propos sur l'ouverture à la concurrence des jeux d'argent en ligne. Vous l'avez dit, ce projet de loi pose d'importantes questions, auxquelles vous avez tout à l'heure tenté de répondre. Le rapporteur M. Lamour et les rapporteurs pour avis ont également apporté leur contribution. Je retiens de votre exposé que vous voulez chasser l'offre illégale de paris en ligne ; vous en avez également souligné les enjeux, en particulier pour la filière hippique. Nicolas Perruchot aura ce soir l'occasion de rappeler la position du Nouveau Centre et les questions légitimes que pose cette ouverture.
Vos propos m'ont choqué, monsieur Gorce : vous avez laissé entendre que cette majorité était au service d'intérêts financiers. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Permettez-moi de vous dire qu'en matière d'éthique, nous n'avons aucune leçon à recevoir de vous (Approbation sur les bancs du groupe UMP) et que nous sommes attachés à la préservation du modèle de financement de la filière hippique grâce auquel, ces dernières décennies, la France a pu s'enorgueillir d'organiser les paris hippiques et l'élevage…
Monsieur Bayrou, vous savez très bien de quoi je parle : ce modèle repose sur l'engagement de bénévoles, de professionnels et d'éleveurs auxquels les prix de course permettent de financer leur filière. La préservation de cette spécificité française est le véritable enjeu de l'ouverture à la concurrence des paris en ligne.
Monsieur le ministre, au cours du débat, l'on ne manquera pas de vous interroger sur les enjeux du maintien du rôle du Pari mutuel et de l'ARJEL, qui devra donner son agrément en tant qu'autorité administrative indépendante. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le rapporteur, nous avons également des questions à vous poser, que nous vous avons déjà posées en commission. On entend dire que le Pari mutuel pourra organiser des paris sur les enjeux sportifs : cela soulève le problème du taux de retour aux parieurs. Ces questions sont légitimes.
Mais il ne s'agit pas de rejeter le texte, monsieur Bayrou : mieux vaut en discuter, afin que ces questions trouvent une réponse.
Monsieur le ministre, j'insisterai sur un point essentiel. J'ai eu l'honneur d'être le rapporteur du projet de loi contre le blanchiment d'argent, examiné dans cet hémicycle en mai 1996. La troisième directive a été transposée par voie d'ordonnance, et nous n'avons pas eu l'occasion d'en débattre. Or l'enjeu est considérable : l'ouverture à la concurrence des paris en ligne ne doit pas permettre de recycler l'argent du crime organisé. Si je vous entends bien sur l'objectif de légaliser cette ouverture, cela pose un vrai problème, celui des opérateurs et de leur domiciliation : exigerez-vous qu'ils soient domiciliés dans l'hexagone ? (Rires sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez rappelé tout à l'heure, lors du débat sur le G20, que le Président de la République voulait combattre les paradis fiscaux ; cela fait partie des questions légitimes que pose l'ouverture à la concurrence des paris en ligne : une filière entière est concernée, ainsi que le financement du sport.
Le groupe Nouveau Centre rejettera donc cette motion, afin d'entamer la discussion. Mais je vous préviens, monsieur le ministre, que celle-ci sera sans concessions (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).
Je ne doute pas que vous aurez à coeur, au nom du Gouvernement et avec l'aide des rapporteurs, d'apaiser les craintes légitimes que suscite ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le ministre, mes chers collègues, 75 % des paris en ligne sont pris sur d'autres sites que ceux de La Française des jeux et du PMU. Il est donc tout simplement impossible de renoncer : il est absolument indispensable de se doter de l'outil législatif permettant de prendre en considération cette situation…
… inédite sans doute, troublante – j'en conviens –, mais que nous devons affronter sans détours.
Monsieur Gorce, cher collègue, votre raisonnement relatif au prélèvement sur les paris sportifs au profit du CNDS me semble relever du sophisme. Je compte naturellement sur notre rapporteur, Jean-François Lamour, pour y revenir au cours du débat : ce prélèvement constitue une ressource supplémentaire.
Vous avez par ailleurs défendu la filière hippique avec flamme et talent. Si nous ne pouvons que souscrire à cette défense, votre démonstration tombe sous le coup de votre critique d'un éventuel développement économique de la filière des jeux. Ce qui est vertu ici serait-il vice là ? Là encore, je crains que vous ne cultiviez le sophisme.
Vous exprimez d'autre part un doute sur les autorités de régulation.
Que dire alors de toutes celles dont nous avons tant besoin et dont vous avez si souvent cité les travaux au cours des semaines qui viennent de s'écouler ? Je songe en particulier à l'ACAM et, naturellement, à l'AMF.
Sans doute est-ce faute de temps que vous avez en outre omis de mentionner la législation de nos pays frères dans l'espace européen, à laquelle il serait pourtant bienvenu de se référer.
Mais s'il est un point sur lequel je tiens à revenir, car je suis en franc désaccord avec vous, c'est la question de l'addiction.
Vous dites que l'accroissement de l'offre de jeux alimente les comportements addictifs ; je crains, cher collègue, que vous ne fassiez erreur. Je dirais même que les études sur le sujet – trop rares, je vous l'accorde…
…, nous ont permis de mesurer que le pari et le gain constituaient un rappel au réel propre à limiter ces comportements addictifs. En revanche, il faudra que tous les opérateurs, de manière volontariste et dans une sorte de concurrence éthique, financent les travaux qui nous font aujourd'hui cruellement défaut sur ces comportements. Ce sera là un aspect essentiel de notre débat.
Cette question pourra éveiller l'intérêt de nombre de nos compatriotes troublés par ces comportements auxquels ils sont confrontés dans leur famille, chez leurs enfants adolescents.
Cela ne vous étonnera pas, mes chers collègues : nous aurons bien du mal à vous suivre...
… et le groupe UMP s'opposera naturellement à cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Rappel au règlement sur le fondement de l'article 58.
Je regrette simplement, monsieur le président, le ton agressif et l'esprit de polémique avec lesquels le ministre a jugé utile de nous répondre (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) J'ai tenté de faire en sorte que la forme de nos débats demeure courtoise… (Même mouvement.)
Je veux seulement dire au ministre qu'il n'est pas le ministre de l'UMP, mais le ministre de la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Nous sommes peut-être des députés socialistes, mais nous sommes d'abord députés de la République. Le débat doit se dérouler dans un esprit de courtoisie républicaine que j'invite le ministre à respecter au cours des heures à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à Mme Aurélie Filippetti. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce soir, le Palais-Bourbon pourrait être rebaptisé Roulettenbourg, comme dans Le Joueur de Dostoïevski. En effet, sous ce titre de « projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne », nous ne débattons pas seulement d'une mise à jour de notre législation rendue nécessaire par le développement des réseaux de télécommunications. Nous débattons ce soir d'une question de société, monsieur le ministre.
Panem et circenses : est-ce vraiment là le modèle de société que nous voulons voir prospérer en France ? En pleine crise économique, écologique, crise de sens aussi…
…, avec la souffrance au travail, le déclassement social, le décrochage scolaire, est-ce la solution, est-ce l'urgence pour votre gouvernement, pour le Président de la République, que de présenter ce texte à nos concitoyens ? Est-ce là l'ébauche de réponse que vous proposez aux préconisations du rapport de la commission présidée par Joseph Stiglitz, qui faisait du bien-être, du bonheur et du niveau d'éducation et d'émancipation individuelle les seuls véritables objectifs rationnels de toute politique économique ?
Malheureusement, à l'aune du produit intérieur de bonheur humain, il est à parier, monsieur le ministre, que votre projet de loi constitue un gigantesque pas en arrière. Addiction, surendettement, névrose compulsive : vous nous promettez des créations d'emplois et des recettes fiscales, mais sur le dos de qui, et au nom de quoi ?
C'est une économie de casino que vous dessinez pour la France, et pas la France qui se lève tôt, ni même celle qui se couche tard après avoir fait la fête – nous ne sommes pas des ligues de vertu – ; une économie du miroir aux alouettes, de la fortune vite faite, en un coup de dés ; une économie où le salaire n'est plus valorisé ; …
…une économie qui prospérerait sur le hasard et la dépendance, et non sur le travail et la culture.
Où sont donc l'épanouissement individuel et l'émancipation de l'individu ? Où est la moralisation du capitalisme, dont il nous a semblé que l'écho résonnait il y a peu dans cet hémicycle ? Pas dans ce texte-ci en tout cas.
Ce soir, vous nous plongez dans le magma des intérêts financiers de ceux, toujours les mêmes, qui feront fortune de la misère et de la désespérance d'autrui.
Oh !
Un an après le naufrage de la finance spéculative, on ne trouve rien de mieux que de créer virtuellement des millions de traders.
Le jeu n'est pas anodin. Il ne s'agit pas d'une activité commerciale comme une autre. L'Union européenne elle-même l'a exclu du champ de la directive « services ». Tragiquement lié à la destinée humaine, il revêt une dimension anthropologique.
Après la Révolution, le tribun Honoré-Marie-Nicolas Duveyrier, artisan du code civil, déclarait : « le jeu, ce ministre aveugle et forcené du hasard, ce monstre antisocial, bien qu'il affecte la figure et le maintien d'un contrat, ne mérite sans doute pas la protection que la loi doit aux conventions ordinaires ».
Le joueur est également une figure tragique dans la littérature. Alexis Ivanovitch, le joueur de Dostoïevski, après avoir perdu une grande partie de l'argent de Pauline au cours d'une soirée, s'explique : « C'était le moment de m'en aller mais un étrange désir s'empara de moi. J'avais comme un besoin de provoquer la destinée, de lui donner une chiquenaude, de lui tirer la langue. J'ai risqué la plus grosse somme permise et j'ai perdu. Alors j'ai mis tout ce qui me restait sur pair et j'ai quitté la table comme étourdi ». Et ce soir, monsieur le ministre, c'est nous qui quitterons la table…
Le tragique, c'est aussi l'enfer du jeu excessif. L'on sait bien que l'addiction soulève, outre des questions de santé publique, des questions sociales car les principales victimes en sont les populations les plus défavorisées. Le fait de jouer excessivement révèle la plupart du temps des problèmes professionnels, économiques, familiaux, des troubles psychologiques, autant de perturbations que viennent amplifier les pertes financières irrécupérables dues au jeu excessif.
L'INSERM a montré que le jeu entraînait « davantage de problèmes sociaux chez les populations les plus pauvres car le pourcentage des dépenses ludiques y est plus important, même quand les sommes consacrées au jeu sont plus réduites. » D'après le psychiatre Marc Valleur, chercheur à l'INSERM et membre du COJER, le comité consultatif pour la mise en oeuvre de la politique d'encadrement des jeux et du jeu mis en place par Jean-François Copé, « la première des préventions, c'est la limitation de l'offre ». L'ouverture à de nouveaux opérateurs et la lutte contre la dépendance sont donc des objectifs contradictoires.
Je vois que vous n'avez pas lu tout son article. Sachez qu'il attend avec impatience le vote de ce projet de loi !
Votre projet de loi est un projet anti-social qui va pénaliser, une fois encore, les populations les plus pauvres.
Comme le rappelait le service central de la prévention de la corruption en 2007, « seules les structures dépendantes de l'État ou étant étroitement régulées par lui, peuvent mener une politique cohérente de prévention au regard du risque de dépendance. En effet, elles seules peuvent prendre le risque financier de limiter la valeur des mises et le produit qui s'ensuit. »
Monsieur le ministre, vous n'avez réalisé aucune étude d'impact de ce projet de loi, qu'il s'agisse de ses incidences en matière de dépendance ou de ses aspects économiques. Le développement de la publicité légale pour les jeux en ligne entraînera un recrutement massif de nouveaux joueurs et attirera un pourcentage important de joueurs excessifs ; mais surtout il servira les intérêts financiers de ceux-là même à qui votre gouvernement a déjà fait le cadeau de la suppression de la publicité sur les chaînes du service public. Votre projet va mener à un désastre sanitaire et social dont vous porterez toute la responsabilité. (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.)
Reste que, pour nous, le statu quo en ce domaine n'est ni envisageable ni souhaitable. Nous sommes conscients qu'une réforme de la Française des jeux et du PMU est nécessaire afin de renforcer la légitimité du monopole. Selon nous, la réorientation doit être faite dans la volonté de préserver l'intérêt général et non dans la simple perspective de rentrées fiscales supplémentaires.
Vous nous parliez de la nécessité de réguler la jungle. Or votre projet de loi risque de la renforcer : tous les coups seront permis entre les nouveaux entrants, qui voudront à tout prix se faire une place au soleil, et les anciens monopoles historiques, qui auront les coudées franches, dans une économie de concurrence et de marché, pour augmenter leurs profits.
Le dispositif français d'organisation du marché des jeux, fondé sur le principe des droits exclusifs accordés à la Française des jeux, au PMU et aux casinos, repose sur deux objectifs.
En premier lieu, il s'agit de préserver l'ordre social. La tutelle exercée par l'État sur la Française des jeux et le PMU est considérée comme un moyen d'encadrer le volume et la nature de l'offre de jeux. De plus, la présence d'un unique opérateur par segment de jeux à distance permet de plafonner la consommation des joueurs.
En second lieu, l'État poursuit des objectifs d'ordre public visant à prévenir la fraude et les opérations de blanchiment. Là encore, les monopoles actuels sont considérés comme un moyen de régulation : en contrôlant les épreuves sur lesquelles peuvent porter les paris et en plafonnant les taux de retour aux joueurs, l'État limite les occasions de trouble à l'ordre public. Par ailleurs, la présence d'un opérateur unique par type de pari permet de détecter d'éventuelles opérations de couverture consistant à blanchir de l'argent en pariant sur tous les résultats possibles d'une épreuve.
Ces objectifs sont toujours d'actualité et un autre choix politique reposant sur ce système de droits exclusifs est tout à fait envisageable.
Vous avez fait le choix de la libéralisation à outrance, avec le risque de voir basculer l'ensemble du secteur. Une fois votre projet de loi voté, comme l'a très bien expliqué Gaëtan Gorce, le risque est en effet réel de voir remis en cause le maintien du monopole sur les jeux en dur.
Je ne m'étendrai pas sur la jurisprudence européenne. Venons-en plutôt à la question centrale pour la commission des lois des moyens attribués à l'ARJEL et à sa capacité à réguler le secteur des jeux en ligne.
Si, aujourd'hui, il est techniquement impossible de faire respecter les règles, comment, demain, l'ARJEL y parviendra-t-elle ? La tâche qui lui est confiée par le texte apparaît démesurée et l'on peut douter de sa capacité réelle à l'exécuter, eu égard aux moyens dont elle disposera.
Considérons le cas
des nouveaux entrants.
Avant d'accorder une licence, il conviendra de vérifier que l'entreprise existe bien, qu'elle exerce de manière directe l'activité visée et qu'elle n'est pas le faux-nez d'un groupe ou d'un fonds incontrôlé. Il sera également souhaitable de diligenter des audits externes pour s'assurer de la qualité de quelques points clés.
Il conviendra aussi d'exiger que les organisations obtenant l'agrément restent soumises dans le temps à certaines obligations, afin de préserver la crédibilité du secteur. On sait en effet, à la lumière des montages les plus classiques déjà constatés dans les opérations de privatisation, qu'après avoir obtenu la licence, les entreprises peuvent être réorganisées de manière à devenir incontrôlables, et que le risque est élevé de voir le détournement aboutir à la disparition d'actifs au travers de sociétés offshore.
L'ARJEL devra par ailleurs exiger du bénéficiaire la mise en place d'un système de contrôle interne associé à des outils spécifiquement dédiés au risque de fraude et de blanchiment, et vérifier sa mise en oeuvre.
Il sera d'autant plus impossible pour l'ARJEL d'accomplir ces missions que les similitudes avec la sphère financière laissent craindre une même résistance aux systèmes de régulation. Nicolas Beraud, président de BetClic, a ainsi osé cette comparaison le week-end dernier dans un quotidien : « Nos bookmakers sont des fondus de sports. Leur métier s'apparente beaucoup à celui des traders de la City. »
Les moyens d'enquête de l'ARJEL prévus par le texte seront-ils à la hauteur de la complexité des montages possibles ? La réponse est évidemment non.
De surcroît, la nouvelle autorité devra veiller à un autre élément lié aux pratiques d'escroquerie : le jeu en ligne favorise la tricherie, notamment dans tous les jeux à savoir-faire supposé, le poker en particulier. Des logiciels téléchargeables sur internet permettent en effet de tenir le rôle de joueurs autour d'une table de poker : un seul individu peut ainsi contrôler le jeu de plusieurs joueurs fictifs participant à une même partie et dépouiller avec facilité le joueur malchanceux qui s'y joindrait.
Vous nous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, que nous n'aimions pas internet mais je crois que c'est plutôt vous qui ne le connaissez pas bien. Certains de ces programmes sont disponibles gratuitement sur internet.
Vous savez que le texte les interdit.
J'en ai d'ailleurs téléchargé un pour vous, monsieur le ministre, que je tiens à votre disposition. D'autres sont développés en toute discrétion par leurs propriétaires. Comment l'ARJEL protégera-t-elle les joueurs en ligne français contre ces pratiques qui seraient impossibles dans le monde réel ? Là encore, elle ne le pourra pas.
J'en viens aux risques de blanchiment.
« Porté par tous les hommes, le jeu lave tout argent de ses couleurs douteuses » écrit Alain Cotta dans La société du jeu. Les jeux en ligne offrent de nouvelles possibilités de blanchiment massif d'argent. En mars 2009, le groupe intergouvernemental d'action financière, le GAFI, a mis en évidence l'existence de pratiques de blanchiment sur les sites internet de jeux et de paris en ligne. Le rapport 2007 du service central de prévention de la corruption confirmait cette analyse et anticipait les différentes manières de blanchir de l'argent, une fois le marché des jeux en ligne totalement légalisé.
Les affaires du Totocalcio en Italie et des matchs truqués en Belgique montrent la réalité de ces pratiques, qui n'ont rien de virtuel. On observe déjà la multiplication d'annonces sur les forums internet destinées à recruter des mules prêtes à perdre intelligemment de l'argent au poker.
Tel que vous nous le présentez, votre projet de loi recèle potentiellement de nombreux conflits d'intérêts.
Ainsi, il ne me semble pas sain qu'au nom de la diversification de leurs activités et de la rentabilité, des groupes de médias ou de télécommunications puissent détenir en totalité ou en partie des sociétés de paris et de jeux en ligne. Ce sont des métiers pour le moins différents, où l'éthique et le droit à l'information n'ont pas forcément le même sens.
De la même façon, la protection de l'éthique sportive et de l'équité des compétitions impliqueraient de prévenir les conflits d'intérêt entre organisateurs de compétitions ou parties prenantes à celles-ci et opérateurs de paris en ligne. À ce titre, nous pensons qu'il est essentiel d'interdire strictement aux organisateurs de compétitions, aux clubs ou aux équipes sportives de solliciter un agrément auprès de l'ARJEL dans le but d'organiser des paris sur leurs propres compétitions.
Si l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne est un désastre sanitaire, si elle favorise le blanchiment d'argent, si elle n'est pas motivée par une injonction européenne, quelle raison cachée pousse donc le Gouvernement à cette faute politique ?
La réponse à cette question nous semble malheureusement limpide, comme du champagne, dirai-je. On n'a probablement pas assez prêté attention au signe donné le soir du 6 mai 2007 par le Président de la République.
Après un bref passage place de la Concorde, c'est au Fouquet's qu'il a célébré sa victoire. Et la plupart des bénéficiaires de ce projet de loi étaient ce soir-là attablés autour de lui. On ne pourra lui reprocher d'être ingrat en amitié... Ce texte en est une nouvelle preuve, après la publicité sur France Télévisions.
L'intérêt général est une fois encore dissout au profit des intérêts de happy few. Beaucoup d'entre eux avaient pourtant déjà été largement servis par la réforme de l'audiovisuel et la suppression partielle de la publicité sur les chaînes publiques. Mais, visiblement, cela ne leur a pas suffi.
Monsieur le président, est-il possible de faire un rappel au règlement ? De tels propos sont inacceptables !
Ces proches ont donc murmuré à l'oreille du Président la nécessité de libéraliser les jeux en ligne, avec une obsession : aller vite, très vite, pour être prêts à toucher la manne publicitaire de la coupe du monde de football en 2010. Les noms sont connus : Arnaud Lagardère, Martin Bouygues, Patrick Le Lay, Vincent Bolloré, François Pinault, Dominique Desseigne, Patrick Partouche, Alexandre Balkany…
Ce sont des méthodes employées pendant la guerre, vous savez !
À eux la manne sonnante et trébuchante de l'ouverture des jeux en ligne !
Il faut dire que le gâteau est d'importance : selon le cabinet Pricewaterhouse Coopers, le marché français des jeux en ligne devrait s'établir en 2012 à 675 millions d'euros, dont 300 pour les paris sportifs. Un marché que convoitent nombre d'acteurs déjà en ordre de bataille.
C'est à se demander si Mme Filippetti sait ce dont elle parle. A-t-elle lu la dernière version du texte ?
C'est le cas de Stéphane Courbit, ami lui aussi du Président : à parité avec la Société des Bains de Mer, l'ancien patron d'Endemol France a pris le contrôle de BetClic.
Qu'est devenu le président de la Française des jeux que votre parti avait nommé ?
C'est également le cas de certains médias qui disposent d'une marque forte et d'un contenu adapté. RTL en est un bon exemple. En partenariat avec la Française des Jeux, la radio du groupe a initié une émission de pronostics prolongée par un site, qui sera monétisé le moment venu.
Dans ce panorama des impatients, n'oublions pas TF1 qui, via sa filiale Eurosport, s'est associée au fonds d'investissement Serendipity Investment de François Pinault et Martin Bouygues...
M. Pinault et M. Bouygues sont-ils des criminels ? N'aurait-on plus le droit d'avoir des chefs d'entreprise en France ?
Monsieur le ministre, laissez parler Mme Filippetti, même si cela fait mal !
..pour créer la plate-forme Eurosport Bet, à destination du marché britannique.
Pour autant, s'il contente certains de ses amis, Nicolas Sarkozy n'a pas voulu en fâcher d'autres : les propriétaires de casinos ont été dédommagés. En effet, le 28 août dernier, un décret du ministère du budget indiquait que les casinos bénéficieraient de mesures fiscales modifiant en leur faveur les prélèvements fiscaux sur leur chiffre d'affaires. En clair, les barèmes du prélèvement progressif opéré sur le produit brut des jeux, c'est-à-dire le chiffre d'affaires calculé sur la différence entre les mises et les gains, sont modifiés en faveur des casinos.
Monsieur le ministre, le manque à gagner pour l'État est de 37 millions d'euros et de 3 millions pour les collectivités locales. Ce cadeau représente donc presque un tiers des 150 millions que rapportera la fiscalisation des indemnités que perçoivent les pauvres accidentés du travail.
C'est donc à une logique de dumping fiscal pour les jeux que cède le Gouvernement.
Quelle mentalité !
Mes chers collègues, les enjeux de ce dossier sont multiples : protection de nos concitoyens contre les risques d'addiction, lutte contre le blanchiment et la fraude, régulation technique et juridique du secteur, respect de l'équilibre du monde sportif.
L'option choisie par le Gouvernement d'ouvrir le monopole sur les jeux d'argent et de hasard présente de nombreux risques. Le vote de ce projet de loi serait ainsi la pierre angulaire des deux premières années de mandat de Nicolas Sarkozy, qui pourrait se résumer par « moins de pain, plus de jeux ».
Certains de nos amendements sont peut-être sujets à discussion, d'autres sont sans doute perfectibles, mais il est nécessaire de les réexaminer, tous ensemble, quel que soit le banc sur lequel nous siégeons, car nous partageons tous le souci de l'intérêt général, notamment au regard de la jurisprudence nouvelle dégagée par l'arrêt Santa Casa.
C'est pourquoi nous vous demandons de renvoyer le texte en commission.
Mes chers collègues, je citerai pour conclure un bon auteur : « Lorsque le jeu est sous contrôle, il bénéficie à la société ; lorsqu'il échappe à tout contrôle, il profite à quelques intérêts privés et coûte à l'intérêt général ».
Et je cite encore : « Il paraît en tout point légitime que le fruit de l'activité des jeux bénéficie à la collectivité tout entière, c'est-à-dire à l'ensemble des Français, à travers une affectation directe au budget de l'État. Ce qui serait illégitime, ce serait une appropriation privée du fruit de cette activité. Ma conviction est que l'activité doit rester strictement encadrée par l'État. Ce point de vue n'est pas strictement français, il est celui qui prévaut dans la plupart des pays de l'Union. C'est aussi la politique des Etats-Unis, que l'on peut difficilement suspecter d'être hostiles à la libre concurrence ».
De qui sont ces paroles ? De Jean-François Copé, lors de l'installation du Comité consultatif pour la mise en oeuvre de la politique d'encadrement des jeux et du jeu responsable en juin 2006.
Le président du groupe UMP souhaite que la majorité ne soit ni servile ni docile. Le discours de Jean-François Copé devant le COJER et les hésitations de nombreux élus de la majorité montrent qu'ils ne suivent pas au fond les dérives du Gouvernement sur ce projet de loi.
Soyons capables, sur ce texte, de passer de la confrontation à cette coproduction législative si souvent invoquée.
Mesdames, messieurs les députés de la majorité, je vous invite donc à voter avec nous le renvoi en commission de ce texte pour le rendre cette fois conforme à l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Madame Filippetti, ce que nous venons d'entendre est assez pitoyable ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Vous me faites penser à Fouquier-Tinville, l'accusateur public qui coupait les têtes à tour de bras.
Le ministre m'a déjà dit cela à propos des retraites-chapeaux et des parachutes dorés !
Vous utilisez des arguments totalement inacceptables, comme si le travail ici, en commission des lois, en commission des affaires économiques ou en commission des finances était en permanence teinté d'une sorte d'opacité – alors que vous y avez participé avec M. Gaétan Gorce.
Je reconnais que le débat lancé par M. Gorce est justifié. Nous sommes effectivement opposés sur un certain nombre de sujets.
Vous, en revanche, avez plongé dans ce côté irrationnel de la politique où l'on est capable, pour s'opposer à une majorité, de toutes les bassesses. Tout cela est inacceptable.
Je me souviens d'un directeur général de la Française des jeux, parti en traînant beaucoup de casseroles, et qui avait été nommé, je crois, par votre parti politique. Je n'ai donc aucune leçon à recevoir de votre part.
Vous avez cité M. Valleur, dont on peut en effet lire aujourd'hui une très bonne interview dans un quotidien. Mais, comme par hasard, vous n'avez cité que le début de son interview.
Plus loin, il disait attendre avec impatience l'examen du texte de loi tel qu'il était rédigé, qui permettra enfin de bénéficier d'un dispositif de prise en charge du jeu excessif. Nous l'avons évoqué au travers de l'autorégulation, d'un centre d'appel, puis des CSAPA, ces centres de soins prenant en charge les joueurs qui pourraient devenir dépendants des jeux.
Vous balayez cela d'un revers de main sous des prétextes fallacieux, et vous récitez la litanie des pressions permanentes que nous sommes supposés subir. Oui, il y a des corporations, des lobbies, mais nous sommes capables d'y résister, d'améliorer les textes proposés par le Gouvernement et d'avoir notre propre vision. C'est ce que nous avons montré par notre travail en commission et c'est aussi ce qu'expriment les interventions des représentants du Nouveau centre.
Madame Filippetti, votre propos vous a certainement soulagée...
...mais il n'apporte rien à ce débat important. Vous avez vraiment plongé dans le ridicule. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame Filippetti, je partage les propos du rapporteur quant à la qualité de votre intervention.
Vous m'avez habitué aux leçons de morale. Vous en faites une sorte de fonds de commerce. Vous êtes la grande moralisatrice de cette République.
Vous m'avez déjà dit cela s'agissant des retraites-chapeaux et des parachutes dorés !
Mais il faut se méfier de ceux qui donnent des leçons de morale.
Donner des leçons de morale comme vous le faites est extrêmement dangereux et arrogant. Vous faites de la politique comme on en faisait il y a cinquante ans ! Vous n'avez rien compris.
Vous avez aussi cité des noms. Mais il faut aller plus loin : dites-nous si ce sont des criminels, des repris de justice !
À mes yeux ce sont de grands industriels français, et je préfère que ce secteur, comme d'autres, soit investi par des Français que par des Suédois, des Espagnols, des Anglais ou des Américains qui, eux, ne se gênent pas.
Ce que vous faites est révoltant et vraiment scandaleux.
Oui, dans lequel je ne peux pas entrer. Je comprends que vous souhaitiez le renvoi de ce texte en commission : vous ne le connaissez pas et vous avez besoin de temps pour le lire. Il répond en effet de façon précise aux questions que vous vous posez.
Madame Filippetti, votre intervention, c'est du bas niveau, et c'est du caniveau ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Bien entendu, je partage les propos du ministre et du rapporteur.
Madame Filippetti, vous ne serez pas étonnée que je n'aie pas été convaincue par vos arguments. Comme M. le ministre, je doute que vous ayez lu le texte. Vous avez fait des citations, bon moyen de combler le vide des vingt-cinq minutes dont vous disposiez pour défendre cette motion.
Vous avez déclaré que nous étions en train de construire une économie de casino. Je n'ai pas compris si pour vous c'était bien ou mal. En tout cas, vous considérez sans doute qu'il y a un marché des jeux. Il serait intéressant de savoir comment vous comptez l'organiser. De cela, malheureusement, vous n'avez pas parlé.
Vous parlez de miroir aux alouettes et prétendez que ce texte créera virtuellement des millions de traders. Je vous invite à rencontrer comme je l'ai fait celles et ceux qui travaillent dans ce secteur, ceux qui font par exemple les cotes pour les paris. Vous verrez que leur travail n'a rien à voir avec celui des traders. Encore faudrait-il que vous vous rendiez dans une salle des marchés, car, dans ce domaine aussi, je crois que vous avez beaucoup de lacunes.
Vous avez déclaré également que ce projet allait mener à « un désastre sanitaire et social ».
Vous n'y allez pas avec le dos de la cuillère ! Assiste-t-on à un désastre sanitaire et social en Italie ou en Angleterre, pays qui ont des sites de paris en ligne ? Je n'ai pas vu là-bas de tsunami sur le comportement des joueurs ni de ceux qui organisent les jeux. Vos propos sont indéniablement excessifs.
Vous dites encore que ce projet favorisera la tricherie. Il serait intéressant que vous nous expliquiez comment. Ce n'est pas le logiciel dont vous avez parlé tout à l'heure qui généralisera la tricherie sur un marché aussi vaste et qui évolue aussi vite. La tricherie n'a aucun intérêt, ni pour les opérateurs ni pour les joueurs, car vous trouverez toujours quelqu'un qui inventera un logiciel plus puissant que celui dont vous disposez.
Enfin, j'en viens à quelque chose d'assez désagréable. Vous avez parlé une fois de plus de cette fameuse soirée au Fouquet's, qui n'a pas grand-chose à voir avec le présent texte. Quand j'écoute les socialistes, j'ai l'impression qu'ils y étaient invités car ils en savent beaucoup plus que moi, et plus que ce qui est écrit dans les journaux.
Si je regarde bien les photos, peut-être y trouverai-je Mme Filippetti ! En tout cas, je n'y étais pas. Je ne sais pas si M. Courbit, M. Pinault et tous ceux que vous avez cités y assistaient. Ce qui apparaît en tout cas, comme l'a fort bien dit Éric Woerth, c'est que vous avez une aversion particulière pour ceux qui ont réussi dans ce pays. On a l'impression que vous ne voulez plus qu'il y ait de riches en France. Pour notre part, nous ne voulons plus qu'il y ait de pauvres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous combattons la pauvreté, et les dispositifs que nous votons protègent ces gens. Mais pour que la pauvreté n'existe plus, il faut que des gens riches investissent. Par exemple, je suis heureux de voir que M. Courbit réinvestit aujourd'hui dans le secteur des jeux en ligne, et d'ailleurs pas seulement là, une grande partie de l'argent qu'il a gagné dans l'audiovisuel.
On ne peut que se féliciter que des chefs d'entreprise français prennent des risques en venant sur ce marché et créent de la richesse et des emplois. Voilà ce que vous avez décrit comme étant le « panorama des impatients ».
Madame Filippetti, je vous invite à montrer plus de prudence lorsque vous citez des chefs d'entreprise et à regarder attentivement la composition des conseils d'administration de ces groupes. Vous y trouverez peut-être certains de vos amis, voire des députés socialistes. J'en connais au moins un, mais il n'est pas là cet après-midi.
Pour toutes ces raisons, le groupe Nouveau centre rejettera cette motion de renvoi en commission.
Je n'accepte pas, au nom de mon groupe, les propos qui ont été tenus par M. le ministre à l'encontre de Mme Filippetti.
Encore ?
Elle a dressé un constat des personnalités engagées dans les capitaux de grands groupes candidats à des licences, et qui d'ailleurs sont pour le moment des opérateurs illégaux.
Ce constat, les Français ont le droit d'en avoir connaissance. Contrairement à ce que vient de dire M. Perruchot, ils ne consultent pas tous les jours la liste des conseils d'administration des grands groupes.
Ils ne connaissent pas tous tout de la Bourse. Je crois qu'il n'y avait là rien de choquant. Mme Filippetti n'a proféré aucune accusation : c'est vous qui l'avez entendu ainsi, ce qui, en soi, est déjà révélateur.
À ce jour, il me semble bien que la parole est libre dans cet hémicycle.
Exactement, mais je me permets tout de même, monsieur le ministre, de regretter vos propos.
Et cela ne se fait pas, pour un ministre, d'interrompre sans cesse un député ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Revenons, si vous le voulez bien, au coeur de l'intervention de Mme Filippetti. Oui, c'est vrai, nous ne partageons pas le modèle de société que ce texte nous propose.
En effet, il ne s'agit même pas d'une économie de casino, mais d'une société de casino, avec d'un côté, et j'emploie à dessein cette référence latine, des patriciens de l'argent, et de l'autre des plébéiens du jeu, entre lesquels la distance ne cessera de s'accentuer.
Un député UMP. Vive le grand capital !
De la même manière, et Mme Filippetti l'a dit, nous n'avons pas de garanties suffisantes… Monsieur le président, pouvez-vous demander que l'on m'écoute ?
Nous n'avons même aucune garantie que l'autorité de régulation qui se mettra en place aura tous les moyens, mais aussi la liberté et l'indépendance nécessaires pour lutter contre les escroqueries. M. Gorce n'a-t-il pas ainsi démontré que, d'ici la coupe du monde, cette autorité ne pourrait pas être opérationnelle ?
Pour toutes ces raisons, qu'il s'agisse de l'absence de garanties, mais aussi de la « collusion » évidente, permettez-moi ce terme, entre le pouvoir et ce texte de loi, nous vous demandons de nous accorder le temps de la réflexion et de voter le retour en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, nous avons, sur ces bancs, écouté avec beaucoup d'attention l'intervention de Mme Filippetti. Permettez-moi d'y revenir sur trois points.
Vous avez tout d'abord commencé, chère collègue, par témoigner d'une crainte que nous avons sentie sincère, et que vous avez argumentée, sur le problème de l'addiction et des ravages qu'elle peut provoquer, en particulier chez nos compatriotes les plus modestes.
Vous avez raison d'attirer notre attention sur ce sujet, car il est au coeur du débat. Contrairement à vous, cependant, nous ne croyons pas que la prohibition soit de nature à empêcher cette addiction.
Au contraire ! Le plaisir est dans le péché ! (Exclamations indignées sur les bancs du groupe SRC.)
Par ailleurs, je crois important que nous puissions porter le débat sur ces phénomènes, en poussant les feux notamment sur la recherche et sur des systèmes d'information plus perfectionnés.
N'oublions pas de surcroît que ce texte porte sur l'organisation d'un marché. Encore tout récemment on a fait le procès des marchés ; mais, au-delà de l'outil qu'est le marché, ce qui importe, c'est la volonté politique qui sous-tendra le recours au marché. Dans le cadre de ce texte, la volonté politique est de normaliser, réguler et clarifier des pratiques qui sont illégales aujourd'hui.
La deuxième partie de votre présentation, Mme Filippetti, concernait les points techniques du projet. Il était intéressant de nous faire part de vos craintes que l'ARJEL ne satisfasse pas à ses obligations ; mais je pense honnêtement que les réponses apportées dans le texte devraient vous rassurer. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Puis il y eut, madame, la troisième partie de votre exposé. Je ne vous cache pas qu'à titre personnel, il m'indiffère totalement de savoir qui prend l'apéritif avec qui et pour fêter quoi.
Je vous prie de le croire, chaque matin en venant ici au palais Bourbon, j'ai le sentiment très fort que la rue de l'Université ne se situe pas sur les Champs Élysées.
Dans le procès que vous faites à cette majorité d'avoir, en quelques sortes, été associée à ces agapes d'après victoire, vous prenez le risque de méconnaître le fondement de ce texte. Si nous nous engageons à le soutenir, comme nous allons le faire en ne votant pas votre motion, c'est que nous sommes convaincus qu'il représentera un véritable progrès pour nos compatriotes qui, comme nous, déplorent chaque jour une situation aberrante, où un marché illégal prend trop de place et conduit, vous l'avez dit, à de regrettables addictions. Nous ne vous suivrons donc pas sur le vote de cette motion de renvoi en commission (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous vous applaudissons aussi, madame, car vous usez d'un tout autre ton que M. le ministre. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
Je voudrais dire pourquoi, avec Mme Buffet, nous voterons cette motion de renvoi en commission.
Je ne remets pas en cause l'honnêteté des uns ou des autres ; Nous partageons tous un constat : c'est qu'il y a un véritable problème d'insécurité juridique, et que le développement des jeux en ligne, tel qu'il existe aujourd'hui, ne peut pas être maintenu en l'état.
Plusieurs députés UMP. Bravo !
Ce qui nous différencie n'est pas à proprement parler une question de morale, mais plutôt la manière de répondre aux problèmes de société. Vous, vous pensez – là encore je ne mets pas en cause votre bonne foi, puisque c'est ainsi que vous comprenez les choses – que la régulation se fera par l'ouverture à la concurrence, en permettant à des acteurs privés d'entrer dans la compétition. Vous essayez de nous démontrer que le projet de loi permettra de régler les problèmes. Votre démonstration n'est cependant pas très satisfaisante et je reste persuadé que plusieurs d'entre vous ont conscience de la fragilité des arguments avancés par le ministre et les rapporteurs.
Notre approche est différente. Conscients qu'il faut trouver des solutions, nous sommes persuadés que la meilleure réponse aurait pu être apportée dans le cadre du fonctionnement actuel, avec les « opérateurs historiques » si l'on peut les appeler ainsi.
La lutte contre les sites illégaux, que vous avez inscrite dans le texte, aurait pu être conduite sur la base de l'organisation actuelle. Qu'est-ce qui empêcherait d'organiser cette lutte dans le cadre du monopole d'État de la Française des jeux, du PMU, des casinos ? Là est le problème. Vous êtes persuadés que l'ouverture à la concurrence est la solution. Nous pensons au contraire que la régulation, la réglementation se serait faites beaucoup plus facilement avec les opérateurs qui existent aujourd'hui.
Votre démonstration pose d'ailleurs un autre problème. Bien sûr, on le sait, selon votre conception de l'économie, il faut toujours apporter de l'argent au privé, aux groupes financiers. Nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde. Malheureusement, à force de vouloir toujours puiser plus profondément dans les poches des gens, des habitants de ce pays, pour y prendre toujours plus d'argent, vous finirez par gratter dans les têtes. Vos propositions, en effet, auront pour effet d'augmenter le nombre de joueurs, sans quoi l'équilibre ne se fera pas ; la démonstration en a été faite tout à l'heure. Vous faites le pari que vous pourrez continuer à disposer de suffisamment d'apports financiers pour la société, qu'il s'agisse de développer le sport ou la filière cheval. Mais pour cela, c'est arithmétiquement inévitable, il faudra augmenter le nombre de joueurs ! Dès lors, vous introduisez une publicité qui n'aura pas de limite et qui permettra d'alimenter les circuits financiers et les acteurs du marketing. Vous lancez ainsi quelque chose que vous ne pourrez plus dominer et qui coûtera très cher…
De même, vous légalisez les paris fixes tout en sachant très bien que ce type de pari a des conséquences terribles, faute d'égalité entre le bookmaker et le joueur. Tout cela est bien regrettable. Je ne porte pas de jugement de valeur sur vous ni de jugement moral sur vos actions, mais votre choix de la concurrence aura des effets négatifs. Votre démonstration est absurde car vous savez très bien que vous n'atteindrez pas vos objectifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Nous en venons à la discussion générale. La parole est à Mme Michèle Delaunay. Un peu de silence, mes chers collègues, si vous quittez l'hémicycle, afin que Mme Delaunay puisse s'exprimer en toute quiétude, comme c'est l'usage ici…
Je ne doute pas, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, et vous tous, de part et d'autre de cet hémicycle, que vous soyez ici dans le désir que vos paroles, vos actes, les textes que vous rédigez ou que vous votez soient utiles aux Français, améliorent leurs conditions de vie, bénéficient à notre pays et à son développement.
Comme moi, sans doute, vous vous interrogez sur le sens, la finalité de chacun des textes que nous examinons.
Le rôle du législateur n'est pas d'accompagner l'évolution de la société, ni même l'évolution des techniques, il est de leur donner un sens, d'en promouvoir le bon usage, d'en régir les abus, d'en pénaliser les contraventions.
De tous ces points de vue, le texte que nous examinons ce soir, monsieur le ministre, soulève pour vous comme pour moi, un certain nombre de questions, à l'examen desquelles je voudrais que nous procédions ensemble, posément, honnêtement.
Les jeux en ligne existent : il s'agit actuellement de sites illégaux. Où sont les pénalités, les amendes ? Où sont les cyberpatrouilleurs ? Où est le blocage des sites que vous nous promettez demain à l'encontre des sites illégaux ?
Permettez-moi de dire que votre attitude aujourd'hui laisse mal augurer de votre sévérité future. Si les moyens existent, que ne les avez-vous mis en oeuvre ? Quel aveu de les prévoir pour demain, et d'avoir laissé filer jusqu'à ce jour !
Le jeu existe, et il n'y a personne ici pour le condamner en lui-même. Il n'est ni bon ni mauvais, il est au sens pascalien un divertissement. Le bon ou le mauvais dépend de l'usage qu'on en fait et de l'exploitation qu'on en autorise.
Les jeux – c'est là une connaissance relativement récente, mises à part quelques figures de la littérature – sont à l'origine de maladies. Celles-ci, depuis 1980, sont répertoriées comme telles dans le DSM IV de la psychiatrie. Comme l'hyperactivité, les tics ou les TOC, ce sont des maladies comportementales ou sociétales. La société qui les a créées doit non seulement tenter de les soigner mais, bien plus – ce qui se fera à un coût moindre –, de les prévenir, car ce sont des maladies évitables. L'addiction aux jeux, qui a fait l'objet d'un rapport récent de l'INSERM, a un caractère spécifique.
Contrairement à l'alcoolisme, qui ne dépend pas du nombre d'épiceries ouvertes, ou de l'addiction au sexe, qui ne dépend pas du nombre de dames présentes dans cet hémicycle, elle est étroitement proportionnelle à l'offre. De plus, le risque est différent selon le type de jeux et le public ciblé : nous y reviendrons.
Le législateur ne doit en aucun cas méconnaître ces trois données : il pourra un jour être considéré comme responsable d'une augmentation de la prévalence de cette maladie, comme nous sommes aujourd'hui comptables des dégâts infligés à la planète.
Responsable, il l'est du reste d'ores et déjà, car cette prévalence a augmenté de manière significative à la suite d'actes législatifs qui, permettez-moi de le rappeler, ne furent pas le fait de Mme Parly, mais de la droite : je pense notamment à l'ouverture des casinos hors des lieux de villégiature ou au fait que les machines à sous, en 1987, y ont trouvé droit de cité.
Aujourd'hui, en raison notamment de ces deux mesures, le nombre des malades augmente et on estime, en s'appuyant sur les chiffres européens, que 1 à 3 % les Français sont des joueurs pathologiques ou problématiques.
S'il s'agissait de la diphtérie, ou simplement de la grippe, qui accepterait de voir atteints 1 à 3 % des Français ?
Notre ministre de la santé diligenterait l'achat de masques et de vaccins par milliers et nous nous réunirions en conclave pour décider des mesures à prendre.
Or cette même ministre de la santé lance ces jours-ci – quelle heureuse concordance, monsieur le ministre ! – une campagne de lutte contre l'addiction en déplorant qu'on consomme plus, plus souvent et plus jeune. Que n'est-elle aujourd'hui parmi nous pour inscrire son plan dans le concret !
Dans le cas des jeux, le vaccin existe. C'est la limitation de l'offre qui est, aujourd'hui, la seule mesure de prévention évaluée, incontestable et efficace. Disons-le d'ores et déjà : les mesures dites de jeu responsable, qui sont mises en place ici ou là, en général par les opérateurs eux-mêmes, c'est-à-dire sans fanatisme excessif, n'ont à aucun moment démontré leur utilité. On peut même considérer – ce sont les études scientifiques qui le montrent – qu'il s'agit le plus souvent d'alibis.
Dès lors, cette loi met-elle en oeuvre une quelconque mesure de protection ou de prévention pouvant être considérée comme efficace ? La réponse est non.
La loi prévoit la mise en place d'un Comité consultatif – tout est dit – des jeux et d'une Autorité dite de régulation, qui sera dépourvue de moyens, ne s'appuiera sur aucune évaluation épidémiologique préalable, n'aura aucun pouvoir et, surtout, ne sera pas indépendante. Les opérateurs y seront même représentés alors que nous réclamons, avec tous les experts en ce domaine – médecins, chercheurs, épidémiologistes, psychiatres et sociologues –, une haute autorité des jeux, de l'ensemble des jeux, rigoureusement indépendante et adossée à un observatoire.
Que cherchent les opérateurs en réclamant la licence et en pressant le Gouvernement de légaliser dans l'urgence, jusqu'à faire passer ce texte en ouverture de notre session parlementaire ordinaire ? Entre nous, quel signe !
Ils ne cherchent certainement pas un brevet de bonne conduite, certains qu'ils sont, déjà, de l'impunité pour leur mauvaise conduite. Ce qu'ils veulent, c'est abreuver les Français d'une publicité, à laquelle ce texte n'impose à ce jour pratiquement aucune limite ni aucun contrôle, et à multiplier de manière exponentielle les joueurs pour multiplier en proportion leurs gains – les leurs bien sûr, pas ceux des joueurs. Or nous savons, grâce aux études scientifiques et au récent rapport de 1'INSERM, qui s'appuie sur 1 250 publications de haut niveau, qu'ils multiplient également de manière proportionnelle le nombre de joueurs problématiques et pathologiques.
Dès lors, le texte prévoit-il des limites afin de prévenir les dégâts potentiels de la publicité ? La réponse est non. Une seule limite est prévue : l'absence de publicité sur les sites exclusivement réservés aux mineurs. Hormis Pomme d'Api, ou Fripounet et Marysette, connaissez-vous des médias exclusivement réservés aux mineurs ? Non. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Exception faite de la toute petite enfance, il n'existe ni émissions, ni sites, ni médias qui soient exclusivement réservés aux mineurs – mais vous me répondrez certainement sur le sujet. Aussi le texte devrait-il strictement limiter la publicité pour les jeux, comme la loi de santé publique le prévoit pour l'alcool et le tabac, en reprenant les limites qui sont d'ores et déjà inscrites dans la loi Évin.
Le deuxième critère concernant le pouvoir addictif des jeux réside dans leur nature. Si le jeu en ligne est addictogène, c'est qu'il est à sensations – il n'est pas, comme on le dit joliment, un « jeu de rêve ». C'est pourquoi il agit comme une drogue chimique et cause un syndrome d'addiction complet : accélération des mises, augmentation de leur montant, impact sur le cours de la vie, syndrome de sevrage en cas de privation. Il ajoute en outre à la stimulation du gain et de la perte la dépendance à l'écran, dont le jeune, nous le savons bien, souffre d'autant plus qu'on peut demeurer en ligne, où que l'on se trouve, des heures durant. De plus, ces jeux, même le poker, sont de hasard pur : le savoir-faire du joueur n'y entre pour rien.
Enfin, cerise sur le gâteau, cette addiction est vecteur d'autres addictions. Les chiffres sont éloquents : 50 % des joueurs sont des buveurs excessifs et 60 % des tabagiques affirmés.
Le troisième facteur concerne le public visé et les joueurs potentiels. Je vous l'avoue, si c'était l'émir de quelque pays planté de puits de pétrole ou quelque famille fortunée de Dallas, qui encouraient un tel risque, je ne serais pas là à débattre. Je n'y serais pas davantage s'il s'agissait des opérateurs eux-mêmes. Mais ceux-là ont d'autres jeux : ils ne demeurent pas rivés à leur écran au milieu des packs de bière. Je veux le croire, du moins, mais, il est vrai qu'il ne faut jurer de rien…
Les joueurs sont surtout des hommes, des adultes jeunes, aux revenus faibles ou modestes et majoritairement inactifs. Pour tout dire, ils sont nombreux à être vulnérables. Or, parce qu'ils sont vulnérables, la loi ne doit pas se contenter de les suivre, ni même de les accompagner, elle doit réduire les risques qu'ils encourent, en particulier les risques sociaux, en limitant la possibilité de perte. Le texte fixe-t-il un montant maximum de perte relativement à la mise ? La réponse est non : vous l'avez refusé.
Le texte contient-il une seule ligne visant à empêcher l'explosion de la vie du joueur ou son basculement dans le surendettement ? Le texte prend-il en considération le dégât social qu'il fait lui-même encourir ? Non : il prévoit seulement qu'on ne peut pas jouer à crédit ! En revanche, toute liberté est donnée de perdre à crédit et ce, pour des années.
Le projet de loi n'est donc nullement utile aux parieurs : il n'améliorera ni leur santé, ni leurs conditions de vie, ni bien sûr leur pouvoir d'achat, mais leur donnera seulement le droit de jouer toujours plus pour perdre toujours plus.
Dès lors, à qui profitera-t-il ? Exclusivement aux opérateurs, pour lesquels – ils l'ont encore répété aujourd'hui dans une émission – c'est un « grand jour ». Est-ce la mission du législateur d'enrichir des opérateurs qui sont déjà tous milliardaires ? Ce qui est peut-être plus grave encore, est-ce la mission du législateur d'amnistier de grands groupes opérant dans l'illégalité, quand ils ne sont pas installés dans ces paradis fiscaux que vous prétendez combattre ?
Comment alors justifier ce texte ? Peut-on prétendre qu'il bénéficiera à notre pays, qu'il créera un seul emploi, qu'il soutiendra l'économie ou la consommation, qu'il participera de la relance ? Non. Augmentera-t-il seulement les recettes de l'État, qui en ont bien besoin ? Vous nous avez affirmé, hier encore, monsieur le ministre, que vous n'attendiez de ce projet de loi aucune augmentation des revenus fiscaux.
Au moins, ne nous coûtera-t-il rien ? Si, malheureusement !
Où est l'étude d'impact que la loi impose pour tout projet de loi et que le Président de la cour des comptes, M. Séguin, nous a, récemment encore, demandé d'exiger ? Je pense notamment à l'impact en termes de coûts pour la sécurité sociale, alors même que les services d'addictologie prospèrent, que les files d'attente s'allongent et que plusieurs années de soins sont nécessaires avant toute guérison. Avez-vous analysé le coût des vies professionnelles brisées et des vies explosées ? Non !
Chers collègues, je souhaiterais, je ne vous le cache pas, avoir assez d'éloquence pour vous faire partager mon inquiétude. Je voudrais que, tous, nous mesurions combien, demain, nous serons comptables de notre vote.
Comme toujours.
Plus que jamais – les dégâts qui menacent la planète nous l'ont appris – nous devons être convaincus que gouverner, ce n'est pas seulement prévoir, c'est également prévenir. Ce que les dégâts environnementaux nous ont appris à exiger désormais pour la planète, ce soir, ne le refusons pas à l'homme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Contrairement à vos affirmations, monsieur le ministre, l'ouverture à la concurrence n'était ni souhaitable ni inéluctable. Ce texte procède d'une magnifique inversion. Alors que, pour les jeux « en dur », le principe est l'interdiction pure et simple, à laquelle des dérogations strictement encadrées sont tolérées, le projet de loi pose le principe de l'existence des jeux en ligne, dont les limitations doivent être encadrées. La règle sera désormais la concurrence, puisque les opérateurs disposeront du droit de proposer des jeux, dans la limite du respect de l'ordre public et social.
Pourtant, c'est bien en raison des spécificités attachées à ce même ordre public et social que le principe du monopole, et non de la concurrence, a été privilégié, dans notre pays comme chez nombre de nos voisins européens, pour les jeux « en dur ». Du reste, la Cour de justice des communautés européennes, qui n'est pourtant pas réputée pour promouvoir l'étatisme sur notre continent, considère que le monopole public doit être privilégié pour lutter contre la corruption et la fraude.
Monsieur le ministre, vous avez vous-même souligné dans votre intervention qu'il revenait à la législation nationale de décider. Il nous faut donc organiser par la loi, non pas l'ouverture régulée à la concurrence, mais la maîtrise publique de ce secteur à haut risque pour nos concitoyens, que ce soit en matière de santé publique, de protection des mineurs ou d'éthique des compétitions sportives.
Mais je ne me fais aucune illusion. Votre majorité étant particulièrement favorable à toutes les déréglementations, ainsi qu'elle l'a rappelé en repoussant la motion de rejet préalable, nous savons que ce texte sera maintenu. Aussi les députés communistes et républicains, soucieux d'éviter le pire, proposeront-ils des amendements visant à renforcer l'encadrement des opérateurs de jeux en ligne. Je m'attarderai, pour ma part, sur celles de nos propositions qui tendent à garantir le respect des pratiques sportives, auquel je suis particulièrement attachée. Mon collègue André Chassaigne traitera, quant à lui, des autres sujets.
Pour garantir le respect des pratiques sportives, il nous faut tout d'abord renforcer, à l'article 52, l'affirmation du droit de propriété des fédérations sportives sur les événements qu'elles organisent. En effet, les opérateurs ne doivent pas pouvoir dicter leurs règles. C'est au mouvement sportif de décider collectivement de l'objet et des modalités des paris, lesquels auraient inévitablement, dans le cas contraire, des effets sur la pratique sportive. C'est un impératif éthique. Nous savons les difficultés que rencontre déjà le mouvement sportif – malgré la bonne volonté de sa grande majorité – pour résister aux dérives qui l'affectent sous la pression des enjeux financiers.
J'ajoute qu'en matière d'exploitation commerciale des compétitions, les fédérations doivent être les seules bénéficiaires des droits. Il en va en effet de l'unité du mouvement sportif français. Il faut à tout prix lutter contre l'émergence, favorisée par quelques clubs, d'un sport uniquement producteur d'argent et coupé de son terreau qu'est le sport amateur. Le sport n'est pas une marchandise, mais un droit pour toutes et tous. Il doit être porteur d'éducation, de bien-être social et d'épanouissement : autant de missions de service public. C'est pourquoi nous proposerons la suppression du neuvième alinéa de l'article 52.
La nécessaire unité du sport français suppose également la mutualisation des ressources. Monsieur le ministre, vous avez mentionné le relèvement de la taxe affectée au CNDS pour le sport amateur et le sport de haut niveau. Mais il faut aller beaucoup plus loin et organiser la mutualisation des droits commerciaux entre les fédérations, comme nous l'avons fait à une autre époque pour les droits médiatiques. En effet, seules quelques fédérations bénéficieront de la manne financière que constituent les paris en ligne. N'accroissons pas les inégalités !
La demande croissante de sport émanant des femmes et des hommes de ce pays concerne toutes les disciplines. Il faut que les petits clubs et les infrastructures de proximité bénéficient de moyens plus importants. Les ressources nouvelles des fédérations bénéficiaires de droits commerciaux doivent ainsi être mutualisées au bénéfice de l'ensemble des pratiques sportives. Mais il faut également libérer le sport de sa dépendance vis-à-vis de ces apports extérieurs, en augmentant les moyens publics, c'est-à-dire le budget du ministère de la jeunesse et des sports, et en permettant aux collectivités territoriales de continuer à jouer un rôle essentiel en faveur du mouvement sportif.
Par ailleurs, la protection de l'éthique des compétitions sportives nécessite plus de transparence et de régulation. C'est pourquoi l'autorité de régulation des jeux en ligne doit régulièrement remettre au Parlement des rapports portant sur l'ensemble des champs qu'elle contrôle, notamment en matière de prévention de l'addiction, de blanchiment d'argent et de prévention des conflits d'intérêts. En effet, le mouvement sportif, comme l'ensemble des citoyens, doit pouvoir suivre au jour le jour les évolutions induites par les paris en ligne sur la pratique sportive. Cette information est indispensable pour que l'on puisse réagir en temps et en heure. Les nombreux scandales liés aux paris qui ont éclaté dans les pays ayant libéralisé le secteur des jeux en font une nécessité impérieuse.
Au-delà, c'est d'une régulation internationale que le sport a besoin. Il est en effet urgent de mettre en oeuvre un ensemble de normes visant à garantir l'intégrité des sportifs et du sport et à remettre ce dernier à sa place, c'est-à-dire hors de la sphère du tout marchand et des profits immédiats. À cette fin, il nous faut résister à l'évolution qui, avec la mise en concurrence, tend à faire de toutes les pratiques humaines une source de rentabilité et avoir le courage de dire que le bonheur des individus ne passe pas par l'addiction au jeu. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, le marché des jeux et des paris en ligne se développe actuellement grâce à des sites qui proposent sur internet une offre de paris portant sur des événements sportifs ou hippiques, des tables de poker et des jeux de casino. Le développement de ce marché, légal au regard du droit européen et établi dans plusieurs pays d'Europe, a largement bénéficié aux pays régulateurs, que ce soit en termes de création de valeur, de taxes ou d'emploi. Toutefois, les jeux et paris en ligne ne génèrent aucune activité en France, car les sites de jeux en ligne sont situés à l'étranger. Cette situation entraîne de lourdes pertes pour notre pays, que ce soit en termes de créations d'emploi, ou, pour l'État, de recettes sociales – charges patronales et salariales –, d'impôt sur les bénéfices, de taxe professionnelle et, évidemment, de taxe sur les jeux.
La question dont nous débattons est donc d'une importance capitale, et ce pour au moins trois raisons.
Premièrement, l'ouverture, à périmètre restreint, du marché des jeux en ligne est une formidable opportunité pour l'économie de notre pays comme pour la création d'emplois, en particulier chez les jeunes.
En effet, le marché des jeux en ligne existe ; nous sommes nombreux, ici, à en être convaincus. On estime qu'il pourrait peser entre 300 et 350 millions d'euros de chiffre d'affaires au moment de son ouverture, dont 100 à 150 millions pour les nouveaux entrants. Or il est impensable, a fortiori en période de crise, de renoncer aux nouvelles perspectives qui pourraient être ainsi offertes à l'économie de notre pays. Je pense notamment, bien sûr, aux bénéfices fiscaux qui découleront de cette ouverture et dont on ne peut négliger l'importance quand on sait l'ampleur des déficits de l'État.
La deuxième raison tient au fait que la France est confrontée, depuis quelques années, à une très importante offre illégale de jeux d'argent et de hasard sur internet. On dénombre ainsi à peu près 25 000 sites illégaux de jeux, dont un quart environ est en langue française. Cette situation n'est évidemment plus admissible. J'ai bien conscience de la difficulté qui est celle du législateur lorsqu'il s'agit de réglementer un espace, l'internet, qui est par définition déterritorialisé. En témoigne la loi HADOPI, dont on se souvient qu'elle a fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de ce côté-ci de l'hémicycle. Pourtant, on s'aperçoit aujourd'hui que d'autres pays européens ont adopté la même démarche que la France dans ce domaine. Sans doute s'inspireront-ils également de ce texte pour légaliser ces dispositifs.
La troisième raison, c'est l'absolue nécessité de responsabiliser les futurs acteurs du marché. On se trouve là au coeur même du principe de l'ouverture maîtrisée de ce marché : la responsabilisation des parties prenantes me paraît être l'indispensable corollaire de la régulation de ce domaine d'activité.
Il y a enfin une question essentielle, qui, j'en suis sûr, animera nos débats, celle de la conformité des dispositions dont nous allons débattre avec le droit européen. À ce stade, je souhaiterais rappeler deux points.
Le premier concerne l'avis circonstancié rendu par la Commission européenne, qui, en juin dernier, a notamment critiqué trois points clés du texte préparé par le Gouvernement. Nous en avons largement tenu compte lors de nos débats en commission, mais nous devons garder ces remarques à l'esprit lors de notre discussion. Je les rappelle rapidement.
S'agissant, premièrement, du système d'autorisation des nouveaux opérateurs, la Commission a demandé que soient pris en considération les opérateurs disposant déjà d'agréments dans d'autres États membres.
Deuxièmement, Bruxelles a jugé disproportionnée la disposition française obligeant les opérateurs à avoir un représentant fiscal en France, afin de les limiter dans leur taux de retour aux joueurs, ceci pour compenser une fiscalité élevée.
Troisièmement, l'obligation d'obtenir le consentement des fédérations sportives pour proposer des paris sur les événements qu'elles organisent entraînerait, selon la Commission, la reconnaissance d'un droit de propriété sur les événements sportifs. On pourrait assister alors à l'élargissement du modèle des droits de retransmission télévisée du football à l'ensemble du monde sportif.
Le second point que je souhaite évoquer concerne l'arrêt rendu le 9 septembre dernier par la Cour de justice européenne dans l'affaire opposant la loterie nationale du Portugal, Santa Casa, au site internet Bwin, arrêt dans lequel elle a reconnu à un État le droit d'interdire son territoire aux sites internet de jeux d'argent. La Cour a en effet estimé qu'une telle interdiction pouvait être « justifiée par l'objectif de lutter contre la fraude et la criminalité ». Ce jugement, qui pourrait faire jurisprudence, doit nous inciter à être particulièrement attentifs aux « risques élevés de délits et de fraudes » évoqués par la Cour, et non réveiller certaines velléités de préserver une situation trop longtemps monopolistique.
J'en viens maintenant aux principaux amendements que le groupe Nouveau Centre compte défendre. Je prendrai ici trois exemples, qui concernent respectivement la responsabilisation des futures parties prenantes, la lutte contre la fraude et l'établissement d'une concurrence loyale entre les opérateurs.
La première mesure a trait à la responsabilisation des futures parties prenantes du marché, ainsi qu'à la lutte contre la fraude qui lui est afférente. Il s'agit de la réécriture de l'article 52, qui, dans sa rédaction actuelle, pose un problème de droit à l'information et pourrait comporter un risque d'inconstitutionnalité. Cet élément ne pourra pas être ignoré lors de la discussion de cet article. En effet, les informations telles que mentionnées à l'article 52 du présent projet de loi me semblent relever du domaine public et non des propriétaires des droits d'exploitation, comme il en est fait mention dans le texte actuel. À dire vrai, l'obligation de consentement des fédérations sportives pour proposer des paris sur les événements qu'elles organisent entraînerait vraisemblablement la reconnaissance d'un droit de propriété sur ces événements.
Aussi suggérons-nous de remplacer l'article 52 du projet de loi tel que modifié par la commission des finances par un ensemble de dispositions relatives à la lutte contre la fraude et la tricherie dans le cadre de manifestations sportives. En effet, l'article tel qu'il est rédigé aujourd'hui ne permet pas, selon nous, d'assurer une sécurisation des jeux et des manifestations sportives. Indépendamment de l'obligation pesant sur les opérateurs d'informer les autorités compétentes d'une fraude, il est souhaitable d'encourager des partenariats avec les organisateurs d'événements sportifs pour combattre plus efficacement la tricherie dans le monde du sport.
Cet élément me permet d'en venir à la question de la lutte contre toute forme d'illégalité sur ce nouveau marché, en particulier contre une forme de distorsion de concurrence qui, si le texte était maintenu en l'état, pourrait voir le jour. Je pense à la question du taux de retour aux joueurs, le TRJ. Le II de l'article 8 prévoit qu'un décret fixera « la proportion maximale des mises reversées en moyenne aux joueurs par catégorie de paris ». Cette disposition vise notamment à limiter les pratiques de vente à perte ou de prix anormalement bas, afin de garantir une concurrence loyale entre les opérateurs.
Or, telle qu'elle est rédigée, cette disposition est aisément contournable, puisqu'elle est limitée à la proportion des mises reversées et non à celle des sommes versées aux joueurs. On sait que, dans la pratique, les opérateurs abondent les comptes de ces derniers au travers notamment d'offres promotionnelles, de bonus, de participations gratuites à des paris, d'abondements de mises ou de gains – en ce domaine, l'imagination n'a pas de limites. De tels abondements impactent, de fait, le taux effectif de retour aux joueurs. Ne pas tenir compte de ces versements dans le calcul du TRJ revient donc à vider de son sens un élément clé de l'ouverture maîtrisée : le plafonnement du taux de retour au joueur. Aussi nous semble-t-il indispensable d'inclure ces abondements dans le calcul de ce dernier pour que le cadre législatif soit en phase avec les réalités du marché.
Enfin, et je conclurai sur ce point, nous tenons à défendre le principe d'une interdiction de fait des pratiques dites de spread betting et de betting exchange. Nous pensons en effet que ce type de pratiques est incompatible avec le principe clairement défini par le projet de loi d'une ouverture « maîtrisée » du marché en question, d'autant plus qu'elles impactent, elles aussi, le taux de retour effectif aux joueurs.
L'autorisation du betting exchange, par exemple, nous semble introduite dans le texte actuel par la possibilité donnée à un opérateur de proposer au public une cote correspondant à une évaluation des résultats qui n'est pas la sienne, mais celle d'un joueur. Cette pratique transforme donc les joueurs en bookmakers, puisque ce sont eux qui fixent la cote et proposent les paris ; l'opérateur agréé et contrôlé par l'ARJEL ne sera donc pas le « joueur-bookmaker », mais un intermédiaire se contentant de relayer une offre de cote fixée par un autre. Dès lors, les gains étant versés par les joueurs, comment s'appréciera le TRJ et comment s'appliquera son plafonnement ? Comment une commission de 2 % à 5 % au profit de l'intermédiaire opérateur suffira-t-elle à maintenir le TRJ sous le plafond qui doit être défini entre 80 et 85 % selon le Gouvernement ? L'opérateur devra-t-il ponctionner ces gains pour faire respecter le plafonnement du TRJ, ces ponctions devront-elles fluctuer, le joueur en sera-t-il informé ? Autant de questions qui restent aujourd'hui sans réponse et qui nous imposent d'interdire clairement le principe de cette pratique.
Enfin, je conclurai en disant ceci : le projet de loi aujourd'hui présenté à périmètre restreint n'est, vraisemblablement, qu'une première étape en vue d'une ouverture globale du marché des jeux en ligne. Je souhaite donc que nous gardions à l'esprit, durant les débats qui vont nous animer dans les prochains jours, la nécessité de l'établissement d'une régulation forte pour prévenir les risques sous-jacents à l'ouverture de ce marché, mais assez souple pour favoriser les conditions d'émergence de son potentiel économique.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite du projet de loi relatif aux jeux d'argent et de hasard en ligne.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma