La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est maintenant à M. Gérard Bapt.
Monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, nous sommes rassurés car nous avions peur de ne plus avoir de ministre. Tout à l'heure, M. Wauquiez a pourtant dit beaucoup de bien de ce texte d'initiative parlementaire ; il eût été dommage de siéger sans ministre. (Sourires.)
Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche a voté cette proposition de loi, tant en commission des affaires sociales qu'en commission des finances, car elle complète et élargit le champ de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, dite loi Badinter.
Le consensus qui s'est dégagé sur la proposition de loi déposée par le groupe UMP et, en particulier, par M. Guy Lefrand s'explique sans doute parce nous avons tous été confrontés dans nos circonscriptions respectives à des cas douloureux.
Personnellement, les difficultés d'une jeune mère de famille m'ont sensibilisé à cette question. En juin 1998, elle était victime d'un accident de la route sans en être aucunement responsable. Il a néanmoins fallu qu'elle entame une démarche judiciaire longue pour que l'entière responsabilité de la partie adverse, qui la mettait en cause, soit finalement reconnue. Après plusieurs années de procédures et d'expertises, la compagnie d'assurance de l'auteur des faits, la MACIF, était condamnée, le 26 février 2006, à régler le montant des dommages corporels, qui furent pour l'essentiel versés à la caisse primaire d'assurance maladie de Valence, au titre des soins déjà effectués, auquel il faut ajouter : 1 000 euros, au titre de préjudice matériel ; 800 euros, au titre des frais d'assistance à expertise, et un montant de 4 000 euros de complément.
Cette jeune femme est pourtant restée plusieurs jours dans le coma et elle a subi un fracas de la face et de la mâchoire. À la suite de traumatismes, elle s'est trouvée en situation d'incapacité totale de travail jusqu'en 2001 et, au cours des années suivantes, elle a fait l'objet de nombreuses interventions chirurgicales.
Les soins prothétiques qui lui étaient nécessaires n'étant pas correctement pris en charge par la sécurité sociale, elle a dû faire l'avance des frais, et, depuis dix ans, elle se bat parce que son assureur ne la rembourse qu'au compte-gouttes. Il lui est encore redevable de plus de 10 000 euros de frais. Pour qu'ils restent limités, j'avais pourtant orienté cette personne vers l'école dentaire.
Cette histoire est terrible : sept années de procédure, une vie sentimentale et psychique anéantie, une carrière professionnelle interrompue – cette personne n'a pas pu mener à bien son projet de création d'entreprise ; heureusement, son mari est fonctionnaire du conseil général de la Haute-Garonne. Décidément, dans les faits, les victimes ne sont pas reconnues comme telles, et rien ni personne n'est en mesure de contraindre les mauvais payeurs à assumer leurs engagements. Pourtant, dans l'exemple cité, l'organisme concerné est une mutuelle qui devrait appliquer à sa gestion quotidienne les valeurs mutualistes dont elle se réclame par ailleurs.
Cette proposition de loi vise à améliorer l'indemnisation des victimes de dommages corporels. Elle complète et élargit ainsi la loi Badinter qui consistait à assurer la réparation intégrale des préjudices causés aux victimes d'un accident de la circulation.
Pour y parvenir, la proposition de loi déposé par le groupe UMP crée des outils d'évaluation du préjudice, communs aux assureurs, aux juges et aux victimes. Elle doit aussi renforcer le respect du principe du contradictoire lors de la procédure amiable.
Monsieur le rapporteur, je constate toutefois que, sur ce point, la donne a changé au terme des travaux de la commission. J'espère que la discussion des amendements pourra permettre d'améliorer le texte qui en est issu.
Nous approuvons la philosophie générale et l'objet de ce texte, mais je souhaite aussi évoquer plusieurs de ses aspects qui ont motivé que nous déposions des amendements.
La proposition de loi comporte des avancées en matière d'expertise médicale, qu'il s'agisse dans son article 1er de la codification des missions d'expertise médicale ; dans son article 2, de la refonte des barèmes médico-légaux en un barème médical unique, ou, dans son article 3, de l'affirmation des règles d'indépendances de l'expertise médicale, qui sont construites sur le modèle de la déclaration de conflit d'intérêts des médecins travaillant avec des laboratoires pharmaceutiques, sujet d'actualité.
Autre progrès majeur : l'article 7 prévoit le versement rapide d'une provision à la victime pour faire face aux obligations matérielles engendrées par l'accident. Quant à l'article 8, il renforce les obligations d'information incombant aux assureurs.
Il reste que plusieurs aspects du texte nous ont incités à déposer des amendements, qui ont été repoussés par la commission.
L'article 9 modifie le code des assurances et permet d'obtenir l'assistance d'un médecin-conseil pour un examen médical contradictoire. Ce texte ne correspond plus à celui de la version initiale de la proposition de loi, et deux mesures qui constituaient de véritables progrès ont disparu.
L'une permettait de prendre en compte l'environnement de la personne accidentée et de procéder à un bilan situationnel à domicile, qui est d'autant plus nécessaire qu'il ne se pratique que très rarement aujourd'hui. Les expertises ont souvent lieu dans le cabinet des experts sans lien avec la réalité vécue par la victime. Pourtant, ce bilan situationnel constitue déjà un droit pour les personnes. Il n'est cependant jamais exercé car, malheureusement, les victimes ne connaissent pas leurs droits. Son inscription dans la loi permettrait de garantir son effectivité pour les personnes les plus lourdement accidentées.
Une autre mesure proposait de rendre effectif le principe du contradictoire au moment clef de l'expertise médicale. Il est particulièrement important que soit proposé de façon systématique à la victime un rendez-vous contradictoire où interviendrait un médecin conseil de victime. Dans la pratique, cela renforcerait ce droit également méconnu. L'objectif de l'examen contradictoire effectué par les médecins conseils en présence de la victime est de parvenir à un accord médico-légal qui servira ensuite de base à l'offre d'indemnisation.
En ce qui concerne l'article 11, qui crée une base de données concernant les réparations du dommage corporel, l'accès public a été rétabli par un amendement du rapporteur présenté lors de la réunion de la commission au titre de l'article 88. Cet accès est nécessaire si l'on veut assurer la transparence de l'information des victimes. Vous avez ainsi rendu inutile notre propre amendement.
L'article 13 supprime les articles 12 à 27 de la loi Badinter. Or s'il est exact que ces articles sont repris dans le code des assurances, il n'en demeure pas moins que cette suppression pose problème. En effet, une partie de la loi Badinter n'est pas codifiée, notamment les articles concernant le droit à indemnisation et le recours des tiers payeurs. Il est donc important de ne pas soustraire ces articles, relatifs aux transactions entre les assureurs et les victimes, de la loi Badinter, afin que le ministère de la justice puisse rester l'interlocuteur privilégié de ces dernières, au même titre que le ministère des finances reste l'interlocuteur privilégié des compagnies d'assurance dont il est le ministère de tutelle.
En conséquence, nous voterons les avancées proposées par ce texte en espérant que la majorité ira jusqu'au bout et retiendra les trois amendements qui visent à donner à cette proposition de loi sa pleine dimension. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure de la commission des affaires sociales saisie pour avis, chers collègues, une fois n'est pas coutume, je voudrais saluer l'initiative législative de quelques-uns de nos collègues de l'UMP sur un sujet difficile mais ô combien important : l'indemnisation des victimes d'accidents corporels, notamment ceux liés à la circulation automobile.
Je le souligne d'autant plus que, trop souvent, le Gouvernement soumet à notre examen des projets de loi d'affichage, pour tenter de faire croire à nos concitoyens qu'il répond à la pression médiatique du moment.
Trop souvent, les séances de notre assemblée consacrées à l'initiative législative proprement parlementaire sont détournées de leur objet. Soit parce que le groupe majoritaire reprend purement et simplement des projets de loi du Gouvernement, soit parce que le Gouvernement et le groupe UMP boycottent tout simplement les initiatives des députés et des groupes de l'opposition.
En ce qui concerne la procédure, je m'inscris totalement en faux contre les propos tenus, lors de la réunion de la commission des finances, par plusieurs députés UMP, parmi lesquels Xavier Bertrand et Jérôme Chartier. Cette question révèle deux conceptions de fond très différentes.
En effet, ces derniers ont regretté que la proposition de loi n'ait pas fait l'objet d'une étude d'impact, et ils ont laissé entendre que ses conséquences financières n'avaient pas été évaluées et qu'elles ne manqueraient pas de constituer un problème pour nos concitoyens.
Pour étayer ses propos, Xavier Bertrand a indiqué que la loi Badinter de 1985 avait eu, selon lui, des effets lourds sur les assurances. Il en parle sans doute en connaissance de cause puisqu'il a lui-même travaillé dans ce secteur. Jérôme Chartier n'a pas hésité à parler de futurs prélèvements obligatoires. Je ne reviens pas sur cette étrange conception des contrats d'assurance qui relèveraient des prélèvements obligatoires. N'y aurait-il pas de concurrence entre compagnies d'assurance ? Y aurait-il selon lui une obligation de souscrire des contrats d'assurance de toute sorte ?
Dans le cas des accidents de la circulation, il est tout de même normal que ce soient les possesseurs d'automobiles, et non l'État ou tout autre système public financé précisément par les prélèvements obligatoires, qui payent les dégâts qu'ils pourraient causer par leur comportement, en fonction du type de véhicule qu'ils possèdent, du nombre de kilomètres qu'ils parcourent ou, tout simplement, de leur accidentologie. Ce ne sont pas aux gens qui n'ont pas de voiture de payer pour ceux qui en ont une, a fortiori quand ceux-ci ne font pas attention à leur comportement et risquent de provoquer des accidents !
Peut-être M. Bertrand voulait-il se faire le porte-parole des assureurs, mais pour nous, écologistes, c'est une question de principe : l'indemnisation des victimes des accidents de la circulation relève des assurances. Contrairement à ce qu'a dit M. Bertrand en commission, il ne faut pas opposer justice et bonne gestion. L'indemnisation relève de la justice élémentaire que l'on doit aux victimes ; le fait qu'elle incombe aux assureurs relève de la bonne gestion. D'autant qu'il existe, depuis de très nombreuses années, des mécanismes bien connus de nos concitoyens, comme le bonus-malus, qui permettent de responsabiliser les conducteurs. Au reste, les statistiques ont montré que les accidents de la route n'étaient nullement une fatalité. En effet, si la circulation a considérablement augmenté depuis l'après-guerre, le nombre de tués et de blessés a, quant à lui, considérablement baissé depuis les années 1970, notamment lorsque le port de la ceinture a été rendu obligatoire, puis lorsque le permis à points a été instauré.
Par ailleurs, on ne peut que se féliciter – même si l'on n'est pas du même bord politique que lui – que le président Chirac ait fait de la sécurité routière un des grands chantiers de son dernier mandat. Au moins dans ce domaine son bilan aura-t-il été bon, quoi qu'en dise Nicolas Sarkozy, qui ne manque jamais une occasion de dévaloriser l'action de ses prédécesseurs.
Mais j'en reviens au texte et à la façon dont il a été préparé. Dans le rapport qu'il a rédigé au nom de la commission des finances, M. Lefrand indique bien non seulement que le Conseil d'État a été saisi par le président de notre assemblée et que son avis a été pris en compte – alors que cette procédure n'est pas obligatoire pour une proposition de loi –, mais qu'une concertation a été organisée avec toutes les personnes concernées : les associations de victimes, d'abord – et c'est la moindre des choses –, mais aussi les médecins, les professionnels du droit ainsi que les représentants des assureurs. Le procès fait par M. Bertrand est donc un mauvais procès, qui n'a d'autre but, me semble-t-il, que de remettre en cause la juste application du principe d'indemnisation.
Ainsi que je l'indiquais au début de mon propos, nous sommes pleinement dans notre rôle de législateur en traitant ce type de questions. En effet, nous avons tous eu à connaître les problèmes que peuvent rencontrer les personnes victimes d'accidents de la circulation ou, de manière générale, d'accidents corporels. Outre le traumatisme psychologique, qu'il est déjà difficile de dépasser, les victimes d'accidents peuvent subir divers handicaps qui bouleversent profondément leur vie ; notre collègue Chossy y a fait référence au début de la discussion générale et je souscris entièrement à ses propos. C'est donc l'honneur du Parlement de traiter ce problème, afin d'améliorer concrètement la situation de nos concitoyens. On souhaiterait que le même processus soit respecté lorsque l'opposition fait des propositions tout aussi concrètes et justes.
Le rapport de notre collègue Lefrand souligne bien les injustices qui existent en matière d'indemnisation. Celles-ci se traduisent notamment par des écarts d'indemnisation extrêmement importants selon que les victimes font appel aux tribunaux ou qu'elles se contentent d'une transaction à l'amiable. Le rapport montre bien que cela est d'ailleurs, à terme, totalement contraire à l'esprit de la loi Badinter de 1985, qui visait précisément à éviter le recours systématique aux tribunaux.
Une autre injustice tient aux différences constatées entre les décisions de justice. On ne peut pas accepter que l'indemnisation soit d'un montant différent pour des préjudices comparables, selon que l'accident s'est produit à Toulouse, Lyon ou Nantes.
Établir l'égalité des armes dans le cadre de l'expertise entre victimes et assureurs, comme le fait le dispositif prévu aux articles 5, 6 et 7, est également une bonne chose. L'inscription dans la loi d'une nomenclature de référence pour les différents types de préjudice devrait également améliorer la qualité des jugements.
Enfin, pour les transactions, qui permettent d'éviter le recours au tribunal, l'article 1er de la proposition de loi vise à faire émerger un outil de référence d'évaluation du montant des préjudices subis. Là aussi, on ne peut que se réjouir d'une telle mesure, qui devrait logiquement faire reculer les inégalités.
Pour toutes ces raisons, vous l'aurez compris, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, nous voterons cette proposition de loi qui va dans le bons sens.
Monsieur le président – dont je tiens à saluer la majestueuse présidence (Sourires) –, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, près de douze personnes perdent la vie chaque jour sur nos routes et 230 personnes, en moyenne, sont blessées chaque jour dans un accident de la circulation. Outre qu'ils nous imposent la plus grande vigilance quant à notre politique de prévention des accidents, ces chiffres soulignent toute l'importance que revêtent les règles relatives aux indemnisations des victimes.
Comme vous le savez, la loi Badinter du 5 juillet 1985 a permis d'instaurer un régime spécial d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation. Affirmation du principe de la réparation intégrale des préjudices causés aux victimes d'un accident de la circulation, raccourcissement des délais de traitement des dossiers d'indemnisation : les apports de cette loi sont nombreux. Pourtant, l'indemnisation demeure pour les victimes un véritable parcours du combattant. Nombre d'entre elles sont en effet confrontées à de graves difficultés pour faire valoir leurs droits à l'indemnisation. Au demeurant, on constate que les victimes sont trop souvent dans l'ignorance de leurs droits.
C'est la raison pour laquelle nous devons non seulement réaffirmer les deux principes intangibles que sont la réparation intégrale du préjudice et l'individualisation de la réparation, mais aussi en améliorer les conditions d'application. J'émettrai cependant une réserve : en l'état, la proposition de loi ne va pas assez loin par rapport à l'esprit du rapport Dintilhac. Il serait en effet logique de rendre impossible les recours des tiers payeurs au titre des dommages extrapatrimoniaux. Sinon, nous ne serions pas cohérents avec les deux principes que je viens de rappeler.
Par ailleurs, les complexités de la procédure ne doivent en aucun cas s'ajouter à la douleur subie par les personnes victimes d'un accident de la route. Le dispositif d'indemnisation doit donc être juste, rapide, efficace, respectueux du droit des victimes, et rendre effective la réparation intégrale des préjudices subis. C'est pourquoi le groupe Nouveau Centre se félicite de l'initiative de nos collègues Guy Lefrand et Geneviève Lévy, qui ont fait un travail remarquable afin de réaffirmer et de compléter les principes et dispositions de la loi Badinter de 1985.
La présente proposition de loi n'en modifie d'ailleurs pas l'économie générale ; elle vise au contraire à améliorer le droit des victimes. Le texte tend notamment à combler certaines lacunes de l'actuelle législation, comme l'absence d'outils communs d'évaluation du préjudice entre assureurs, juges et victimes. Il est ainsi proposé de refondre les différents barèmes médico-légaux actuels en un barème unique, publié dans un délai de deux ans, et de garantir aux victimes la totale indépendance des experts médicaux impliqués dans la procédure d'indemnisation. Il s'agit d'une avancée majeure.
Comme vous le savez, la présente proposition de loi a fait l'objet d'une véritable concertation entre la commission des affaires sociales et celle des finances de notre assemblée. Tenant compte des remarques du Conseil d'État, elle distingue clairement les dispositions communes aux victimes de dommages corporels et les dispositions particulières aux victimes d'accidents de la circulation.
J'aimerais pour ma part revenir sur trois d'entre elles.
La première consiste dans la création d'une base de données en matière de réparation du dommage corporel recensant les transactions et les décisions judiciaires et administratives. Je vous rappelle que le texte initial proposait l'élaboration d'un référentiel national indicatif de certains postes de préjudices corporels. Il s'est avéré que, pour le moment, ce référentiel ne faisait pas consensus, et ce pour une raison très simple : il irait à l'encontre des principes d'individualisation de l'indemnisation et de réparation intégrale.
Pour sa part, le Nouveau Centre souhaite étendre ce recensement à toutes les transactions et décisions judiciaires et administratives ayant trait à l'indemnisation des victimes de dommages corporels. En effet, limiter la base de données aux seuls accidents de la circulation serait en contradiction avec l'esprit et la lettre des autres articles de la présente proposition de loi, qui ont vocation à s'appliquer à tous les contentieux et à toutes les transactions.
Au reste, je me félicite que la plupart des mesures contenues dans ce texte ne soient pas limitées aux accidents de la route. Elles auront en effet un champ d'application plus large, notamment celles relatives au barème médical unique d'évaluation des atteintes à l'intégrité physique et psychique et aux définitions-types de missions d'expertise médicale, aux conflits d'intérêts, à la table de capitalisation ou à la nomenclature. Ainsi, les accidents survenus sur des chemins de fer et sur des voies de tramway, jusqu'à présent exclus du champ de la loi de 1985, seront désormais concernés. C'est une des avancées majeures que nous avons obtenues en commission des affaires sociales.
Deuxièmement, le texte vise à rendre obligatoire une nouvelle nomenclature qui s'inspirera pour une large part, tout en l'améliorant, de celle du rapport Dintilhac, qui recense les différents chefs de préjudices indemnisables, tant lors de la procédure amiable que contentieuse. La sécurité juridique des victimes s'en trouvera véritablement renforcée puisque cette nomenclature fournit une liste exhaustive des postes de préjudices dont une victime peut demander réparation. Surtout, une telle nomenclature n'avait jusqu'alors aucune force contraignante, si bien que, si de nombreux assureurs et tribunaux s'y référaient, ils n'y étaient pas obligés ; d'où les différences de traitement constatées.
Par ailleurs, il est indispensable de réaffirmer que les postes de préjudices à caractère extrapatrimonial ne peuvent faire l'objet d'aucun recours. Il s'agit, pour le Nouveau Centre, d'un point essentiel et même primordial. En effet, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles et strictement définies, la loi réservait la possibilité pour l'organisme tiers payeur d'exercer un recours sur les postes de préjudices extrapatrimoniaux. Or, dans des arrêts récents, la Cour de cassation a inversé de façon aberrante les termes et l'esprit de la loi, en autorisant un véritable pillage de ces postes. Ce n'est pas acceptable. Il faut donc graver dans la loi le principe du non-recours sur les indemnités à caractère extrapatrimonial.
Troisièmement, le texte prévoit la réactualisation du barème de capitalisation. Sur ce point, nous avons formulé deux propositions.
La première a pour objet de réduire la fréquence de révision du barème de capitalisation, afin d'éviter des variations trop importantes, en cours de procédure, des sommes sollicitées au titre des postes capitalisés.
La seconde vise à indexer le présent barème sur l'évolution du SMIC. En effet, depuis trente-cinq ans, l'indice de revalorisation des rentes évolue plus faiblement que l'augmentation du SMIC. Ainsi, de 1985 à 2005, les rentes ont été revalorisées de 59 %, alors que, pour la même période, le SMIC a été revalorisé de 107 %. Cette différence est telle que l'indemnité allouée à la victime devient insuffisante pour lui permettre de bénéficier de l'assistance dont elle a besoin. L'indice de revalorisation doit donc être adapté au poste de préjudice indemnisé – le SMIC, par exemple, lorsqu'il s'agit d'une tierce personne – pour que le préjudice soit intégralement réparé.
Enfin, j'aimerais évoquer d'autres mesures contenues dans cette proposition de loi, ayant vocation, non pas à revenir sur la loi Badinter, mais à renforcer encore la protection des victimes. Je citerai l'instauration d'une expertise médicale réellement contradictoire, au cours de laquelle la victime sera assistée par son propre médecin-conseil, ou encore l'allongement du délai de dénonciation de la transaction, qui constituent autant de progrès majeurs pour les victimes et leurs familles.
Je veux également insister sur la disposition visant à obliger l'assureur à présenter sous un mois une offre prévisionnelle après une première expertise médicale – une disposition fondamentale pour les victimes qui, actuellement, attendent beaucoup trop longtemps des propositions d'indemnisation.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, ce texte constitue une avancée majeure afin que les deux principes de réparation intégrale du préjudice et d'individualisation de la réparation ne soient pas vains et théoriques, mais représentent une réalité vécue pour l'ensemble de nos concitoyens qui éprouvent la douleur d'être confrontés au fléau des accidents de la circulation. C'est la raison pour laquelle le groupe Nouveau Centre et moi-même nous réjouissons de son examen devant notre assemblée. L'expert judiciaire que j'ai été jusqu'à une période récente tient à remercier les deux rapporteurs pour ce texte qui constitue une vraie avancée pour les victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et plusieurs bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues Guy Lefrand et Geneviève Levy constitue une avancée importante pour les victimes d'accidents corporels. Cette initiative parlementaire s'inscrit pleinement dans l'esprit de nos institutions réformées et dans l'esprit de l'initiative parlementaire. C'est un travail législatif exemplaire que celui que vous nous présentez, et je veux vous affirmer mon soutien et vous assurer de mon vote.
Exemplaire, ce texte l'est, qui complète et étend la loi Badinter de 1985 dans un esprit transpartisan. Exemplaire, il l'est aussi en ce qu'il s'attache au mieux-être de nos compatriotes fragilisés par un accident et qui se voient contraints de modifier le cours de leur vie, leurs projets familiaux et professionnels, bref, ce qui faisait sens chez eux, au point de se trouver parfois confrontés à un risque de déclassement, d'isolement, et à une souffrance sociale qui viennent s'ajouter à la souffrance physique et psychologique provoquée par la violence de l'accident.
Je mesure le travail que vous avez accompli et la précision méticuleuse que vous avez apportée au recueil des points de vue, tout particulièrement à celui des victimes, représentées par les associations qui défendent leurs droits au quotidien, comme l'a justement dit tout à l'heure notre collègue Jean-François Chossy. Je citerai l'Association des accidentés de la vie ; l'Association française des traumatisés crâniens, qui m'a tant appris sur la spécificité des séquelles et des handicaps liés au traumatisme crânien, qui font que le proche qui en est victime n'est plus le même, alors même que son intégrité physique semble avoir été préservée…
…ainsi que l'Association des paralysés de France, dont le président, Jean-Marie Barbier, par une action constante auprès des pouvoirs publics et des Français, promeut une vision inclusive contemporaine de nos compatriotes handicapés, loin du registre compassionnel, souvent dépassé et inefficace.
Je sais que notre collègue Geneviève Levy porte de façon constante une attention concrète à nos concitoyens handicapés et je rappellerai ici le remarquable travail qu'elle avait réalisé sur l'accessibilité. Je retrouve la trace de sa sensibilité dans l'attention que porte cette proposition de loi à la question fondamentale de l'évaluation, qu'elle vise à faciliter, à rendre plus complète, plus équitable et plus pertinente, notamment par la pratique de l'évaluation dans le cadre de vie habituel de la victime.
Cette proposition de loi, qui s'inscrit en cohérence avec la loi du 11 février 2005. a fait l'objet d'un examen détaillé par notre commission des finances. Bien que son origine la situe clairement dans le champ social, elle relève d'une vision durable et bien comprise de ce que doit être l'attention portée aux personnes fragilisées par la vie, que nous devons veiller à garder incluses dans notre société, afin qu'elles soient en mesure de participer, en pleine citoyenneté, à l'effort collectif – et tel est d'ailleurs le rôle de l'indemnisation.
On se prend parfois à imaginer que d'autres sujets puissent donner lieu à des textes s'inspirant de la même logique. Comme l'a dit Laurent Wauquiez avant que vous ne nous rejoigniez, monsieur le secrétaire d'État, ce texte permet de compenser des angles morts qui font que certains de nos compatriotes se trouvent parfois oubliés sur le bord du chemin par la législation. Nous avons là un texte de progrès, un texte qui fait du bien dans le contexte social sensible que nous connaissons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et plusieurs bancs du groupe SRC)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise s'inscrit dans le prolongement de la loi adoptée en 1985 à l'initiative de Robert Badinter. Les analyses formulées à l'époque saluaient les réelles avancées de cette loi. Ceux qui l'ont votée à l'unanimité avaient toutefois parfaitement conscience qu'elle constituait une étape parmi d'autres à venir, et certains demandaient déjà de réfléchir à une future loi rationnelle, générale et simple. Le chantier était donc ouvert.
Si la loi du 5 juillet 1985, dite loi Badinter, se voulait généreuse dans ses dispositions, au fil du temps des dysfonctionnements sont apparus dans sa mise en oeuvre, pouvant conduire à une sous-indemnisation des victimes en raison d'un arsenal juridique défaillant.
Aujourd'hui encore, le dispositif d'indemnisation issu de la loi Badinter conduit, dans la très grande majorité des cas, à une transaction amiable avec l'assureur du responsable de l'accident, tandis que les dossiers traités par voie judiciaire peuvent conduire à un montant de réparation parfois majoré de plus de 50 %.
Le déséquilibre manifeste existant entre les parties appelait donc d'autres règles. Il convient de saluer le travail mené par nos collègues Geneviève Levy et Guy Lefrand, car les premières conclusions nous laissaient entrevoir de réelles avancées allant dans le sens du respect des droits des victimes. Cependant, la version dont nous débattons ce soir a été remaniée. Je souhaite appeler votre attention sur certains aspects de cette proposition, car nous nous trouvons devant un texte qui pourrait conduire à la remise en cause du principe même d'une réparation intégrale et juste.
Je veux m'arrêter dans un premier temps sur l'article 9, qui me paraît, dans la présente rédaction, en retrait par rapport à la version originale. En effet, il était initialement proposé de prendre en considération l'environnement habituel de la victime dans le cadre de l'examen médical réalisé par le médecin-conseil de l'assureur. Cela représentait une avancée importante pour les victimes, puisque cette mesure permettait de prendre en compte l'environnement de la personne et de procéder à un bilan situationnel. C'était également rejoindre l'esprit de la définition de l'OMS, qui considère que le handicap est la résultante de la confrontation d'un être humain avec ses capacités et de son environnement avec ses exigences. Nous avions d'ailleurs longuement débattu de ce point lors de l'examen de la loi du 11 février 2005, dont certains de nos collègues ici présents ont été les ardents défenseurs.
Nous savons aujourd'hui que le bilan situationnel, qui constitue un droit pour les personnes, est inopérant en pratique, car les victimes ne connaissent pas ce droit. Son inscription dans la législation, telle que vous nous l'aviez proposée, devait enfin permettre de garantir l'effectivité de ce droit. Ce n'est plus tout à fait le cas avec la version un peu différente qui nous est soumise aujourd'hui.
De plus, toujours dans ce même article, il nous était proposé de renforcer le principe du contradictoire lorsque la victime refusait d'être examinée par le seul médecin mandaté par l'assureur. Ce droit, trop souvent méconnu des victimes, voyait ici son champ d'application devenir effectif. Mais là encore, l'article 9, tel qu'il nous est proposé, revient sur cette avancée.
Je voudrais maintenant aborder l'article 11, qui vise à mettre en place une base de données permettant de recenser les montants des indemnités versées aux victimes dans le cadre des transactions et des décisions de justice. La version initiale semblait garantir une certaine transparence, puisqu'elle laissait entendre que cette base, alimentée par les assureurs, les fonds et offices de garantie ou d'indemnisation et les services du ministère de justice, tendrait – sous le contrôle de l'État – à la neutralité quant à son fonctionnement.
Cette neutralité est essentielle, car elle permet de trouver le juste équilibre entre les victimes et le rôle des assureurs. Ni les uns ni les autres ne doivent avoir la maîtrise de cet outil. Cette porte entrouverte dans la rédaction initiale pouvait nous laisser penser qu'il était désormais possible d'aller un peu plus loin, et de replacer sous le giron du service public la gestion de cette base de données. Des exemples tels que Légifrance existent actuellement. Cet outil, sous le contrôle de l'État, peut être adapté à la cause dont nous débattons, mais en sera-t-il vraiment ainsi avec la version du texte qui nous est soumise ce soir ? Vous proposez en effet qu'il revienne aux entreprises d'assurance d'alimenter et de contrôler cette base de données, alors même que nous mesurons les limites de la base actuelle AGIRA, régie par ce même principe.
Tels sont les deux points majeurs sur lesquels je souhaitais attirer votre attention. Il me semble impératif de les revoir afin que cette loi apporte, dans sa rédaction finale, les garanties nécessaires aux personnes victimes de dommages corporels à la suite d'un accident de la circulation.
Enfin, je voudrais aborder quelques points techniques pour éclairer notre débat. Il est fait mention, à l'article 13 du texte, de la suppression des articles 12 à 27 de la loi du 5 juillet 1985. Pourriez-vous nous garantir que les dispositions afférentes à ces articles seront bien reprises dans leur intégralité dans les textes traitant de l'indemnisation des victimes ?
Plusieurs d'entre nous ont évoqué, en commission, la question des délais d'indemnisation. Si des évolutions significatives sont à observer depuis l'adoption de la loi de 1985, de très nombreuses procédures s'étalent sur une période bien trop longue. Ce sujet est sensible, car il concerne le respect de procédures contradictoires, qui ne peuvent être conduites précipitamment. Toutefois, il serait peut-être utile d'engager une réflexion en ce domaine, afin de fixer un cadre permettant d'assurer une certaine sécurité aux victimes.
Pour conclure, nous remercions encore une fois nos collègues d'avoir ouvert ce chantier de l'indemnisation des victimes, car il permet des avancées substantielles pour toutes les personnes concernées. Nous savons que c'est un sujet sensible et aimerions que vous puissiez nous rassurer en apportant des réponses aux questions que nous nous posons.
Nous considérons que cette proposition de loi constitue une étape importante et espérons que vous prendrez en compte les observations que nous avons formulées, afin que le texte qui nous est soumis contienne les améliorations que nous jugeons indispensables. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, je veux d'abord saluer la ténacité de nos deux rapporteurs et le travail de longue haleine qu'ils ont mené pour que cette proposition de loi soit débattue ce soir.
Au-delà de l'énergie déployée par nos deux collègues, je veux également saluer la méthode nouvelle qu'ils ont mise en oeuvre, consistant en un travail effectué en concertation étroite avec le Conseil d'État – une méthode dont il pourra être fait plus largement usage à l'avenir, si l'on se réfère au bien qui en a été dit devant la commission des affaires sociales.
Je voudrais également saluer son pragmatisme. De temps en temps, les auteurs de propositions de loi ont tendance à élargir le champ de leur intervention, à vouloir traiter tout à la fois, parfois au risque d'un foisonnement pouvant nuire à l'efficacité. Or vous avez, d'une manière que je crois sage, choisi de restreindre volontairement votre champ d'intervention, en particulier sur la question des indemnisations et des barèmes. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes là, ce soir, à débattre de ce texte. Je voulais donc vous adresser mes félicitations.
Je ne m'étendrai pas trop longuement sur le contenu de la proposition de loi, qui a été rappelé par les orateurs précédents. Bien sûr, renforcer la réalité des droits des victimes en la matière est tout à fait primordial. Non pas que la loi de 1985 fût contestable ni désuète, mais, tout de même, on observait un certain nombre de dysfonctionnements dans son application. D'où la constitution du couple efficace et énergique qui est devant nous ce soir pour traiter cette question ! (Sourires.)
Premièrement, le texte manifeste le souci d'accroître la visibilité du dispositif, ce qui me paraît tout à fait essentiel : en amont, d'abord, avec l'invention d'un barème unique ; en aval, ensuite, avec la collecte des données. Même si la proposition de loi ne dit rien sur l'exploitation de ces données, on peut imaginer qu'elles serviront à terme de base pour des travaux, des études et – pourquoi pas ?– des projections ultérieures.
Deuxièmement, il s'agit de renforcer directement les droits des victimes en réaffirmant les principes de la loi de 1985 de manière ferme ; en supprimant les éventualités ou les causes de conflits d'intérêt, en particulier pour les médecins, comme cela a été excellemment rappelé depuis le début de ce débat ; en renforçant les obligations des assureurs, ce qui a pu provoquer, monsieur le secrétaire d'État, quelques hésitations au sein du Gouvernement.
On sait que, sur ce point, il y a eu certaines interrogations dans les grandes compagnies, mais enfin on a reconnu l'obligation pour les compagnies d'assurance, d'abord d'informer les victimes, ensuite d'abonder des fonds de garantie pour faire en sorte qu'elles soient sûres d'être indemnisées, et enfin de verser des provisions sur indemnités futures.
Voilà des dispositions qui méritent d'être signalées. Je comprends et je partage les propos tenus lors de la précédente séance par notre collègue Jean-François Chossy. Il rappelait que, en particulier pour les personnes qu'un accident conduit à supporter un handicap, le dispositif prévu sera de la plus grande utilité. En effet, on pose d'abord le principe d'une réparation intégrale ; ensuite, les moyens d'accompagner toutes les conséquences pour la personne de sa nouvelle situation sont envisagées, par exemple en versant des provisions sur indemnités futures.
Il reste toutefois un problème : le facteur temps. Quelques-uns d'entre nous étaient déjà ce matin dans l'hémicycle pour adopter une proposition de loi instaurant une allocation d'aide aux accompagnants de personnes en fin de vie, et nous avons été plusieurs à regretter que la première lecture de ce texte ait eu lieu il y a un an. Or, mes chers collègues, je lis dans la présente proposition que, par prudence et pour laisser le temps faire son office, vous avez décidé que le dispositif serait pleinement efficace deux ans à compter de la promulgation. Si j'ajoute le temps de la navette parlementaire, tel qu'il apparaît avec notre nouvelle organisation, cela nous renvoie à deux ans et demi ou trois ans, en étant optimiste !
Eh bien, je trouve que c'est long ! Je vous le dis tel quel et je suis persuadé que c'est aussi votre sentiment. Je sais également que nous n'y pouvons pas grand-chose : personne ici ne peut forcer la main au président du Sénat pour qu'il inscrive les textes le plus rapidement possible à l'ordre du jour de son assemblée. Ce délai de deux ans est un maximum, mais j'imagine qu'il a été déterminé pour que chacun ait le temps de faire son travail afin d'élaborer le barème unique. C'est là le seul – petit – regret que j'éprouve à l'égard de votre proposition de loi, mes chers collègues, ce qui ne m'empêchera pas de la voter avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a été déposée par nos collègues de la majorité suite à un constat, que nous avons tous fait dans nos circonscriptions ou avec les associations – par exemple de traumatisés crâniens –, sur les difficultés rencontrées par les victimes pour se faire indemniser. J'avais d'ailleurs dès septembre 2008 alerté le Gouvernement sur ces douloureux problèmes d'indemnisation, par le biais de plusieurs questions écrites.
En cette période où les statistiques sont mauvaises dans de nombreux domaines tels que l'économie ou la sécurité, il en existe une qui baisse et dont nous pouvons tous nous féliciter : celle du nombre de morts et de victimes sur les routes, en diminution pour la huitième année consécutive grâce au travail pédagogique mené par les services de la prévention routière et grâce à toutes les campagnes d'information et de sensibilisation. Cependant, 4 262 personnes ont perdu la vie sur les routes de France en 2009, tandis que 83 911 personnes ont subi des séquelles physiques et psychiques à l'issue d'un événement dramatique.
Pour toutes ces victimes de la route, la loi Badinter du 5 juillet 1985 a créé un régime spécial d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation qui facilite et accélère l'indemnisation des victimes. Malgré l'avancée que représentait cette loi lors de sa promulgation il y a maintenant vingt-cinq ans, des lacunes, clairement identifiées dans le rapport, apparaissent dans la procédure d'indemnisation, avec notamment l'absence de mutualisation et de centralisation des données concernant les indemnisations proposées sur le territoire national.
De même, les victimes et leurs familles sont aujourd'hui dans l'impossibilité d'émettre des avis contradictoires face à la proposition d'indemnisation amiable entre les parties concernées.
Enfin, les conflits d'intérêts sont évidents entre les différents experts mandatés pour évaluer le préjudice en fonction de leurs prérogatives.
Cette proposition de loi a été soumise pour avis au Conseil d'État par le président de l'Assemblée nationale le 4 décembre 2009. Le Conseil d'État a rendu son avis le 28 janvier 2010. Cette saisine ne fut pas inutile puisque la plus haute juridiction administrative vous a invités, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, à revoir votre texte, ce que vous avez fait lors de l'examen de votre rapport par la commission des finances en réécrivant votre proposition de loi et en revoyant sa structure ainsi que le champ d'application des dispositions prévues.
La proposition de loi soumise à l'examen de notre assemblée apporte une réelle avancée pour le mode d'indemnisation de l'ensemble des victimes de dommages corporels, et plus seulement des accidentés de la route comme dans la version initiale du texte. Elle crée en particulier un barème national d'invalidité faisant l'objet d'une révision régulière. Un tel outil permettra d'assurer l'équité dans les montants attribués lors des indemnisations.
Je souhaite cependant apporter deux bémols concernant les dispositions prévues au chapitre Ier.
D'une part, vous prévoyez, monsieur le rapporteur – et je rejoins sur ce point l'intervention de mon collègue M. Poisson –, la publication d'un barème médical unique dans un délai maximum de deux ans après la promulgation de la loi. Je trouve moi aussi ce délai un peu trop long : si la refonte ne peut être immédiate et si une négociation entre les divers acteurs concernés est nécessaire, un délai de deux années pour parvenir à la publication du barème est vraiment trop long.
D'autre part, si l'article 2 prévoit aussi la création d'une commission ad hoc, vous avez volontairement omis de prévoir sa composition future. Je souhaiterais que vous puissiez éclairer nos travaux en nous indiquant la composition possible de cette commission.
Je voudrais également intervenir sur le chapitre II, relatif aux dispositions particulières applicables aux victimes d'accidents de la circulation.
L'article 7, tout d'abord, modifie le code des assurances et oblige l'assureur à verser rapidement une provision à la victime pour lui permettre de faire face aux obligations matérielles engendrées par l'accident, dès lors que la première constatation médicale conclut qu'un aménagement du logement, une adaptation du véhicule ou bien l'intervention d'une tierce personne sont devenus nécessaires. Je tiens à rappeler que, aujourd'hui, les assureurs versent cette provision plus de huit mois après l'accident. Tout le monde ici s'accordera à reconnaître que le délai actuel est vraiment beaucoup trop long.
L'article suivant va lui aussi dans le bon sens en renforçant les obligations de l'assureur en matière d'information de la victime. Celle-ci recevra désormais une notice d'information sur ses droits, un rappel des dispositions du code des assurances relatives à l'indemnisation, une liste des médecins ayant compétence en matière de réparation de dommages corporels et enfin la copie du procès-verbal d'enquête de la police ou de la gendarmerie nationale. Bref, il s'agit là, c'est vrai, d'un ensemble de documents qui facilitera grandement les démarches des victimes.
Sur l'article 9 aussi, monsieur le rapporteur, nous avons quelques griefs à vous faire. En effet, la version initiale de votre texte prévoyait deux avancées majeures.
La première, comme l'ont rappelé également mes collègues, aurait permis de prendre en compte l'environnement de la victime et de procéder à un bilan de sa situation à domicile. Cette mesure était importante car une expertise qui a lieu dans le cabinet d'un expert ne permet pas de prendre en compte les difficultés quotidiennes et le vécu de la personne accidentée.
La seconde mesure était tout aussi importante et c'est d'ailleurs sur ce point que porte la plus forte critique que je souhaite formuler. Vous aviez prévu l'instauration du principe du contradictoire au moment clef que constitue l'expertise médicale. Je déplore que vous n'ayez pas retenu cette mesure lors de la refonte de votre texte en commission. Elle aurait permis de parvenir à un accord médico-légal, qui, je vous le rappelle, sert ensuite de base à l'offre d'indemnisation. Si la victime estime que l'indemnisation finale qui lui est versée est insuffisante au regard du préjudice qu'elle subit et qu'en même temps elle n'a pu s'exprimer au moment de cette expertise médiale, elle conservera légitimement un sentiment d'injustice qui sera identique à ceux que nous connaissons en ce moment.
Je souhaite donc que vous puissiez nous indiquer, monsieur le rapporteur, les raisons précises qui vous ont amené à retirer cette disposition importante. Le renvoi à des dispositions réglementaires me semble être une réponse un peu courte.
Je ne reviendrai pas sur le doublement et le passage à trente jours du délai de dénonciation de la transaction, qui est néanmoins une bonne mesure, permettant à la victime d'avoir un délai de réflexion suffisant pour arrêter sa décision.
À travers l'article 11, vous proposez la création d'une base de données en matière de réparation du préjudice corporel qui précise les indemnités pouvant être versés par rapport à chaque chef de préjudice de la nomenclature issue de la loi de 1985. Votre proposition initiale prévoyait que cette base soit accessible également aux victimes, afin de leur permettre de connaître le montant de l'indemnisation qu'elles étaient en droit d'attendre. Malheureusement, le texte adopté par la commission ne le permet plus.
De plus, la gestion de cette base doit se faire impérativement sous le contrôle de l'État ; elle ne doit pas être constituée et gérée librement par les assureurs comme le permet la formulation de cette proposition de loi. Cela irait à l'encontre du souhait d'améliorer la situation par rapport à la base actuelle, l'AGIRA – l'Association pour la gestion des informations sur le risque automobile –, dont le fonctionnement est régulièrement pointé comme insuffisant, notamment par les victimes.
Pourriez-vous, monsieur le rapporteur, nous indiquer les raisons de ce revirement concernant la liberté d'accès à cette nouvelle base ? Dois-je également vous rappeler que nous ne légiférons pas pour faire plaisir aux assureurs, mais pour offrir une indemnisation plus équitable à des victimes d'un accident de la vie ?
Vous prévoyez enfin, à travers l'article 12, d'étendre la réparation du dommage corporel aux accidents de la circulation ayant lieu sur des voies ferrées ou de tramways, mettant fin à une exception de la loi Badinter. C'est une très bonne initiative alors que le nombre de kilomètres de lignes de tramways ne cesse de croître dans les villes de notre pays, augmentant de fait le nombre d'accidents.
Enfin, ce texte ne résout pas un problème d'indemnisation rare. En effet, lorsqu'un conducteur emprunte un véhicule et que le prêteur n'est pas assuré ou ne s'est pas acquitté de ses primes d'assurance, il existe un « trou de garantie » en cas de dommages corporels pour le conducteur, si celui-ci n'est pas lui même détenteur d'un contrat d'assurance automobile. Je tenais à vous signaler ce problème.
Pour conclure, les dispositions légales que nous adopterons ne doivent jamais nous faire oublier que les traumatismes subis par les victimes ne sont absolument pas quantifiables ou indemnisables. Comment peut-on, en effet, chiffrer le coût d'une vie définitivement gâchée ou détruite à cause d'un accident de la route qui pourrait très souvent être évité ?
Ce texte permettra de soulager la détresse des familles en créant un cadre commun, juste et équitable de l'indemnisation. Mon groupe approuve cette proposition de loi qui va dans le bon sens, celui d'une réparation juste du préjudice subi. Je forme le voeu que ce texte puisse être adopté rapidement par nos collègues sénateurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous voilà réunis ce soir dans cet hémicycle pour étudier la proposition de loi, portée par nos collègues Guy Lefrand et Geneviève Lévy, visant à améliorer l'indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d'un accident de la circulation.
Lorsqu'un accident de la route se produit, penser à l'indemnisation des dommages semble bien trivial face au traumatisme physique et psychique que viennent de vivre la ou les victimes, ainsi que leurs familles. Certaines des victimes d'accidents de la circulation gardent des séquelles qui les empêcheront de retrouver une vie dite normale. Une indemnisation, quelle qu'elle soit, ne peut jamais réparer les dommages causés, mais permet d'aider les victimes à appréhender leur nouvelle vie, après l'accident. À ce jour, 95 % des victimes acceptent une transaction avec leur assureur ; 5 % d'entre elles choisissent d'aller en justice et obtiennent le plus souvent une indemnisation de 25 % supérieure à la transaction passée avec l'assureur. Ces disparités entre l'évaluation des préjudices réalisée par les assureurs et celle réalisée par la justice ne sont pas acceptables.
Certes, cela a été rappelé, la loi Badinter du 5 juillet 1985 a constitué une grande avancée. Cette loi a permis l'affirmation du principe de réparation intégrale des préjudices causés aux victimes d'accidents de la route. Elle a également considérablement raccourci les délais de traitement des dossiers en confiant l'expertise des dommages aux assureurs. Néanmoins, nous connaissons tous les limites de la loi Badinter. Il était donc temps de mettre en oeuvre une politique plus large et plus performante en matière de reconnaissance des droits des accidentés de la route. C'est pourquoi je me félicite que la proposition de loi de Guy Lefrand et Geneviève Lévy prévoie d'apporter aux spécialistes des repères clairs afin d'harmoniser les expertises.
Pour cela, il est important de définir des critères objectifs sur lesquels fonder une expertise. La refonte des différents barèmes médico-légaux actuels en un barème médical unique ou harmonisé, ainsi que la mise en place d'une nomenclature recensant les différents chefs de préjudices indemnisables lors de la procédure amiable mais aussi contentieuse, sont autant d'outils gages d'une plus grande égalité de traitement des victimes.
Cette proposition de loi présente également l'intérêt majeur non seulement de laisser aux victimes le libre choix du médecin, mais surtout de leur permettre de faire un choix éclairé.
En effet, les décrets d'application de ce texte préciseront les critères qui fondent et qui définissent les compétences en réparation de dommages corporels d'un médecin. Les conseils de l'ordre départementaux établiront la liste des médecins répondant à ces exigences. Enfin, ces médecins devront déclarer leurs éventuels conflits d'intérêts vis-à-vis des compagnies d'assurance.
Ces trois points particulièrement importants offrent un double intérêt : ils permettent, je l'ai dit, le choix libre et éclairé des victimes ; ils évitent aux médecins bien des problèmes déontologiques, voire éthiques.
Ces mesures vont dans le sens d'une plus grande équité de traitement des accidentés de la route, et je m'en réjouis. Néanmoins l'on peut se demander, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, s'il y aura assez de médecins reconnus comme compétents en matière de dommages corporels. Il me semble donc important de réfléchir à la formation des médecins à l'expertise de ces dommages, afin de parvenir au meilleur maillage territorial possible. L'équité de traitement des accidentés passe aussi par un accès équitable aux médecins compétents.
Enfin, être protégé, c'est aussi être informé. C'est pourquoi l'obligation faite aux assureurs d'informer les victimes de leurs droits, notamment concernant la transaction, et de verser une provision dès que les constatations médicales montrent que l'état de la victime nécessite un aménagement de son logement ou de son véhicule, sont autant de moyens qui améliorent très efficacement l'information et la protection des accidentés.
Mes chers collègues, le texte qui nous est présenté ce soir garantit les droits des victimes à un moment où elles et leurs familles se trouvent en situation de grande vulnérabilité ; beaucoup d'entre nous en ont fait, malheureusement, la dure expérience. Ce texte nous permet de faire un travail approfondi, constructif, en ayant à coeur l'intérêt des victimes au-delà des clivages partisans. Il y va de notre responsabilité d'élus de la nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Il y a près de vingt-cinq ans qu'a été votée la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.
Concrètement, cette loi posait le principe d'un droit à réparation intégrale du préjudice des victimes d'accidents corporels et accélérait leur indemnisation en délégant aux assureurs cette procédure pour limiter, en pratique, l'intervention des tribunaux aux litiges les plus graves.
Certes, jusqu'à l'adoption de la loi du 5 juillet 1985, les droits des accidentés de la circulation sont restés de nature essentiellement jurisprudentielle, et les décisions des tribunaux ne constituaient pas un régime spécial de responsabilité stricto sensu. Cette loi a donc instauré un régime spécial de responsabilité : cette base juridique de référence demeure toutefois insuffisante.
En effet, à l'usage, il apparaît que les préjudices subis par les victimes d'accidents de la circulation sont indemnisés de manière très inégale, puisque des écarts non négligeables séparent les indemnités obtenues par la voie transactionnelle avec les assureurs de celles allouées par les tribunaux.
Actuellement, l'indemnisation s'apparente, comme vous le soulignez, monsieur le rapporteur, à une sorte de labyrinthe : la nomenclature des postes de préjudices n'a pas de base législative ; il n'y a ni barème médical unique, ni base de données fiable ; les cadres d'expertise sont mal définis ; la loi ne prévient pas les conflits d'intérêts entre médecins des victimes et des assureurs.
L'harmonisation des méthodes d'expertise ne peut incomber aux tribunaux : de ce fait, il fallait une intervention du législateur.
La présente proposition de loi vise à remettre de l'ordre dans le processus d'expertise de l'évolution des dommages et à renforcer l'équité dans l'indemnisation des victimes. Deux priorités ont retenu mon attention.
La première concerne l'amélioration du processus d'indemnisation des victimes. En effet, des disparités flagrantes existent entre l'indemnisation accordée par les tribunaux et celle fixée par la voie amiable entre les assureurs et les victimes d'accidents de la circulation. À préjudice égal, les indemnités allouées par les tribunaux sont sensiblement supérieures à celles accordées par les assureurs.
De surcroît, le rapport fait état de disparités au sein même de l'indemnisation judiciaire, où des écarts non négligeables s'observent entre les décisions des différentes cours d'appel. Ainsi, les victimes d'un accident de la circulation survenu à Strasbourg peuvent découvrir avec étonnement que le préjudice qu'elles ont subi ne serait pas indemnisé de la même manière à Lille ou à Paris.
Les écarts ainsi relevés sont pour partie dus aux fluctuations de l'expertise. Les experts désignés par les tribunaux se trouvent ainsi confrontés à une multitude de barèmes médicaux. Il n'existe pas de nomenclature unique, même s'il faut reconnaître que l'usage de la nomenclature Dintilhac s'est utilement répandu depuis 2007.
C'est pourquoi les articles 5, 6 et 7 de la présente proposition de loi obligent l'assureur à mieux informer la victime de ses droits, rendent obligatoire une évaluation de la victime dans son environnement habituel, rendent obligatoire l'assistance de la victime par un médecin conseil en réparation du dommage corporel, et prévoient qu'un médecin conseil mandaté par une compagnie d'assurance dans le cadre du règlement d'un litige ne peut exercer la mission de médecin conseil de la victime, tant par voie amiable que contentieuse.
La deuxième priorité concerne une meilleure évaluation du préjudice subi. Cela requiert une identification plus claire des postes de préjudices : certains de ceux-ci se sont imposés au fur et à mesure de l'évolution de la société, comme c'est le cas pour le préjudice post-traumatique. Face à ce vaste éventail, il fallait remettre de l'ordre. Je me félicite donc que l'article 3 de la proposition de loi vise à donner une base législative à une nomenclature recensant les différents chefs de préjudices indemnisables tant lors de la procédure amiable que contentieuse.
Ainsi, rappelons que 95 % des accidents de la circulation font l'objet d'une transaction entre l'assureur et la victime, ou son représentant. Il fallait donc mettre en place des points de comparaison sûrs pour définir les critères de l'indemnité : l'évaluation du préjudice ne peut être arbitraire ; un outil commun de référence était donc nécessaire. C'est ce que propose l'article 1er, en créant une base de données en matière de réparation du dommage corporel qui recensera les transactions et les décisions judiciaires. Sur la base de ces données, un référentiel national indicatif des évaluations financières du dommage corporel sera élaboré et rendu accessible à tous.
Je me réjouis donc que cette proposition de loi, qui encadre mieux l'indemnisation des victimes dans un cadre juridique plus clair et égal pour tous, soit enfin débattue. De plus, je tiens à souligner que ce texte a reçu le soutien des principales associations de personnes handicapées et des familles de victimes, ainsi que des assureurs. C'est pourquoi je le voterai sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, ainsi que sur quelques bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Guy Lefrand, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Je voudrais apporter quelques rapides commentaires.
J'ai particulièrement apprécié les interventions de Marie-Anne Montchamp et de Jean-François Chossy, qui ont insisté sur le volet « handicap » de cette proposition de loi, mais ont surtout bien montré l'humanité qui se cache derrière des termes parfois un peu techniques.
Vous avez l'un et l'autre évoqué la condescendance ou la compassion que l'on voit parfois s'exprimer à l'égard des personnes handicapées ; je voudrais souligner que cette proposition de loi ne se situe pas dans le registre de la compassion ou de la condescendance, mais qu'elle cherche à agir, de façon très pragmatique, sur la notion de réparation intégrale, en créant les outils communs d'évaluation qui nous font défaut aujourd'hui.
Monsieur Chossy, vous avez proposé d'envisager pour l'indemnisation une limite dans le temps. C'est un problème compliqué, que nous avons souvent abordé dans les auditions. Malheureusement, aujourd'hui, il paraît difficile de fixer un délai : l'évolution est toujours possible, et la consolidation apparaît parfois très tardivement. L'article 6, alinéa 1, de la Convention européenne des droits de l'homme mentionne un délai « raisonnable ». Nous y avons réfléchi lors des auditions mais, aujourd'hui, il paraît difficile d'aller au-delà.
Monsieur Bapt, vous avez rappelé les difficultés de l'indemnisation, et vous avez évoqué, comme Claude Leteurtre, le parcours du combattant que l'on retrouve souvent. Nous allons pouvoir répondre à plusieurs de vos demandes, notamment sur le bilan situationnel que vous avez évoqué.
Plusieurs d'entre vous se sont en effet interrogés sur la rédaction de l'article 9, et notamment sur les différences entre la proposition de loi initiale et celle qui émane de la commission des finances. Il faut savoir que nous avons beaucoup écouté le Conseil d'État – peut-être trop, puisque son avis est purement consultatif. Or le Conseil d'État a considéré que l'article 9 se situait par trop dans le domaine réglementaire : c'est pourquoi nous avions supprimé ce qu'il nous avait demandé de supprimer.
Vos demandes seront satisfaites, puisque l'un des amendements, que nous avons discuté cet après-midi, prévoit de rétablir la notion de bilan situationnel. Je vous proposerai d'ailleurs de sous-amender cet amendement, afin que le principe de l'examen contradictoire, évoqué par M. Bapt, mais aussi par Mme Carrillon-Couvreur et Mme Reynaud, soit clairement inscrit dans la loi, comme vous le souhaitez.
De cette façon, nous arriverons à une vraie concordance de vue, et cela justifiera pleinement la confiance que vous nous avez faite en votant en commission cette proposition de loi à l'unanimité.
Je voudrais aussi vous rassurer sur les articles de la loi Badinter qui sont abrogés, notamment par l'article 13 : les articles supprimés sont tous parfaitement codifiés.
Monsieur de Rugy, vous avez évoqué l'impact financier, tel qu'il a pu être discuté en commission des finances. Ce qui nous a semblé important, et vous l'avez vous-même rappelé, c'est avant tout le côté humain et le côté pragmatique d'une telle proposition. Il est en effet difficile de savoir, aujourd'hui, si cela va coûter plus ou moins cher. La seule chose que je peux vous dire, c'est que certains nous ont, dans le cadre des auditions, proposé de mettre en place un contrat obligatoire pour les conducteurs : vous remarquerez que cette idée n'a pas été reprise dans notre proposition de loi, car nous arriverions à des surcoûts très importants, qui pourraient se révéler difficilement supportables par certains. Il ne nous semblait en tout cas pas opportun, aujourd'hui, d'exiger de l'ensemble des assurés un contrat obligatoire, qui coûterait entre trente et cinquante euros par an, et qui pourrait être assez compliqué à mettre en oeuvre.
Vous avez évoqué un sujet qui m'est cher : il faut en effet éviter la rejudiciarisation. L'objet de cette proposition est de faciliter les relations entre les assureurs et les victimes, de manière à éviter d'engorger davantage les tribunaux.
Monsieur Leteurtre, vous vous êtes interrogé sur le recours du tiers payeur. Un amendement prévoit que la nomenclature unique sépare bien ce qui est patrimonial et ce qui est extrapatrimonial. Cela devrait vous satisfaire. Nous n'avons pas souhaité aller plus loin pour le moment car nous ne voulions pas ouvrir la boite de Pandore sur le recours du tiers payeur – on sait où on commence, on ne sait pas où on s'arrête. Ainsi que certains orateurs l'ont rappelé, nous avons voulu être très pragmatiques : j'aime les choses claires, précises – peut-être mon passé de médecin urgentiste explique-t-il ce trait de caractère. Ouvrir aujourd'hui ce recours au tiers payeur risquait de nous mettre en difficulté, même si, évidemment, les dernières décisions de la Cour de cassation nous inquiètent beaucoup les uns et les autres.
Enfin, vous avez souhaité que la base de données puisse concerner toutes les transactions. Là aussi, nous avons voulu être pragmatiques. Pour le coup, le Conseil d'État a été très clairet très précis sur le champ d'application en ce qui concerne le mélange des données, qu'elles proviennent de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ou d'autres, dans la même base de données que les accidents de la circulation.
Madame Montchamp, vous avez insisté sur l'aspect humaniste de la proposition, ce dont je vous remercie, et sur la notion de spécificité du handicap : je pense notamment aux traumatisés crâniens qui ont ce que l'on appelle souvent un handicap invisible. J'en profite pour saluer l'Association des traumatisés crâniens, qui est à l'origine de cette proposition de loi que nous allons voter ce soir, j'espère à l'unanimité. C'est en partant de cette difficulté de reconnaissance du handicap que nous avons réussi à évoluer.
Notre collègue Jean-Frédéric Poisson a insisté sur le facteur temps. Nous sommes bien sûr tous pressés. Nos amis des associations de victimes ont oeuvré tout particulièrement pour faire en sorte que ce texte soit inscrit à notre ordre du jour. Je leur fais confiance pour solliciter avec autant d'efficacité les sénateurs afin qu'ils examinent rapidement à leur tour cette proposition de loi, surtout si elle est votée à l'unanimité ici.
M. Jeanneteau a évoqué la formation des médecins à l'expertise. Il s'agit d'un élément fondamental de la proposition de loi, l'objectif étant de parvenir à savoir enfin quels médecins auront une réelle compétence en réparation du dommage corporel et de donner cette information au public, aux victimes, afin que chaque victime sache à qui elle peut s'adresser en toute confiance.
Enfin, M. Maurer a évoqué différents éléments de cette proposition de loi. Je pense que, globalement, nous serons d'accord sur l'ensemble du texte.
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Je suis saisi d'un amendement n° 21 , visant à rédiger l'article 1er.
La parole est à M. Claude Leteurtre.
Il s'agit d'un amendement de précision.
Il nous semble important de maintenir une cohésion au texte au lieu d'éclater les articles dans des codes différents. À ce titre, il nous paraît inopportun d'insérer l'article 1er dans le code de procédure civile, l'article 2 dans le code de la santé publique, les autres articles restant attachés à la loi Badinter. Si nous voulons avoir une loi bien interprétée et bien utilisée, il faut simplifier les procédures et regrouper les articles de cette loi dans le même code.
En outre, la notion de « définitions types » introduite par la proposition de loi nous paraît trop floue, elle ne renvoie à aucune terminologie. Il nous semblerait préférable de se référer à des « missions types » d'expertise médicale, qui seraient établies – c'est à nos yeux essentiel – en concertation étroite par l'ensemble des acteurs du dommage corporel.
Cette demande n'est pas utopique. Peu de médecins sont compétents dans le domaine de l'expertise du dommage corporel. Définir des missions types ferait avancer la concordance, aurait un effet pédagogique sur les médecins et permettrait surtout aux victimes d'être mieux défendues. Aujourd'hui, elles ont souvent du mal à trouver un expert compétent.
Avis défavorable. Cet amendement ne nous semble pas purement rédactionnel. La transformation de missions types en « définitions types adaptables de missions d'expertise médicale » nous a été proposée par le Conseil d'État après validation juridique. C'est pourquoi nous l'avons reprise dans le texte qui vous est soumis aujourd'hui.
La parole est à M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, pour donner l'avis du Gouvernement.
Le Gouvernement partage l'avis du rapporteur. Par ailleurs, il se ralliera à l'amendement n° 9 du rapporteur, qui sera appelé ensuite.
Je suis saisi d'un amendement rédactionnel n° 9, présenté par le rapporteur.
(L'amendement n° 9 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 1er, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 47 deuxième rectification, qui vise à rédiger l'article 2.
La parole est à M. le rapporteur.
J'ai exposé dans mon rapport l'objectif que nous devions poursuivre, à savoir un barème médical unique en droit commun.
Les régimes spéciaux de responsabilité civile sont aujourd'hui nombreux et ils sont en pratique la règle. Pour que le barème unique puisse atteindre une portée générale, l'amendement énumère les régimes qui ne seraient pas concernés en raison de leur spécificité : je pense en particulier aux invalides de guerre, aux accidentés du travail, aux victimes d'accidents médicaux, aux pensionnés civils et militaires.
Par ailleurs, pour que le barème puisse être établi de manière consensuelle, une commission ad hoc est prévue. L'amendement définit ses missions et sa composition, répondant ainsi en partie, je l'espère, aux interrogations de certains.
Cet amendement vise à préciser le champ du barème médical unique ainsi que la composition et la nature de la commission ad hoc.
La proposition de loi vise à ce que l'unicité du barème médical ne concerne que les régimes d'indemnisation de droit commun, sans porter préjudice aux barèmes spécifiques, beaucoup plus anciens, des régimes sociaux. Pour atteindre cet objectif, le rapporteur de la commission des finances propose de préciser explicitement les régimes qui sont exclus de l'application du barème médical unique. Afin de garantir l'exhaustivité de la liste des régimes à exclure, le Gouvernement estime qu'une étude complémentaire serait souhaitable. Cette étude n'a pas pu être conduite. Le Gouvernement s'en remet donc à la sagesse de l'Assemblée sur ce point. La navette permettra d'ajuster au besoin le dispositif.
L'amendement propose également de préciser dans la loi la composition de la commission ad hoc chargée d'établir le barème médical unique, commission qui permettra d'associer étroitement à ce travail les associations de victimes.
Il est également proposé d'élargir la compétence de cette commission à l'élaboration et à la mise à jour de la base de données, à l'établissement de la nomenclature des postes de préjudices, à la préparation de la table de conversion des rentes, à la définition des missions types d'expertise médicale et à la rédaction chaque année d'un bilan de cette proposition de loi. Une partie de ces tâches ressortissent à un travail de mise en oeuvre qui ne relève pas d'une commission consultative. Le Gouvernement est donc réservé sur cette proposition et s'en remet, là aussi, à la sagesse de l'Assemblée.
La parole est à Mme Geneviève Levy, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.
Je rappelle que la liste des barèmes qui ne seraient pas concernés nous a été communiquée par le Conseil d'État. Le cadre a été bien fixé. Par ailleurs, si nous avions omis quoi que ce soit, la lecture au Sénat permettrait de rectifier le tir.
(L'amendement n° 47 , deuxième rectification, est adopté.)
Je souhaite intervenir sur les articles 3 et 4 en même temps.
L'article 3 vise à dresser des listes permettant de prévenir les éventuels conflits d'intérêts ; l'article 4, des listes concernant les compétences requises en matière de réparation du dommage corporel. Finalement, de ces deux listes en naîtra une troisième, celle des médecins ayant ces compétences et dont chacun saura pour qui ils interviennent, ce qui est finalement normal, voire souhaitable puisque l'exercice du choix suppose la connaissance.
Comme tout le monde, je partage ce double objectif d'améliorer l'indemnisation des victimes de dommages corporels et d'optimiser la qualité de l'expertise.
Cependant, dans ce concert de félicitations eu égard aux avancées réelles pour les victimes, je souhaiterais formuler deux remarques qui se veulent tout à fait constructives, sous la forme d'une satisfaction et d'un souhait.
Ma satisfaction provient du fait que vous avez supprimé du texte, monsieur le rapporteur, l'interdiction initialement faite à un expert d'intervenir auprès d'une victime, dès lors que l'assureur chargé du règlement du litige ferait habituellement appel à ses services. Je suis heureux que cette interdiction ait été levée car je crois, très honnêtement, que le mieux est l'ennemi du bien et que l'enfer peut être pavé de bonnes intentions. Cette interdiction aurait eu en effet un double inconvénient : d'une part, comme l'ont souligné mes collègues Jeanneteau et Leteurtre, celui de se priver de l'expertise d'un nombre considérable de professionnels de santé, alors que nous connaissons tous des problèmes de démographie médicale ; d'autre part, celui de se priver des médecins qui ont le plus d'expérience, le plus de pratique – je n'ose dire de compétences mais il est vrai qu'un métier qu'on exerce peu est un métier qu'on exerce mal.
L'évolution du texte me convient, car il me semble préférable de laisser aux victimes le choix de leur conseil, un choix libre et éclairé.
Ensuite, je formule le souhait qu'on associe toutes les parties impliquées dans la réparation du dommage corporel et l'expertise à l'élaboration des listes dont je parlais à l'instant, afin de définir clairement les critères d'inscription, de diplômes, d'expérience, de formation continue, d'éthique, et pour en contrôler la pérennité. On pourra également vérifier les conditions d'exercice et de rémunération, s'assurer de l'absence de conflits d'intérêts en tenant à jour annuellement les listes de sociétés, d'administrations, de juridictions, d'avocats ou d'autres loueurs d'ouvrage pour lesquels l'expert aurait à intervenir de façon régulière, afin de sanctionner les éventuels manquements à ses obligations professionnelles ou éthiques.
Je suis saisi d'un amendement rédactionnel du rapporteur, n° 13.
(L'amendement n° 13 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Dans la rédaction qui en est proposée à l'article 3, l'article L. 4113-13-1 dispose : « Les médecins communiquent au conseil départemental de l'ordre dont ils relèvent le nom des avocats et des compagnies d'assurance auxquels ils prêtent habituellement leur concours… ». L'amendement n° 22 vise à supprimer la mention des avocats.
On sait pertinemment qu'un médecin travaille de manière habituelle pour une, deux, trois compagnies d'assurance, mais faire référence au travail habituel d'un médecin pour un avocat n'aurait pas de sens. La liste des barreaux dans un département compte une centaine d'avocats. Je sais bien que quelques-uns sont spécialisés en dommages corporels et que les médecins les connaissent. Mais il y a un anachronisme à vouloir introduire cette précision.
Prenons un docteur X qui travaille habituellement avec un avocat B. Il est évident qu'un avocat C ne choisira pas de travailler avec le docteur X car il sait pertinemment que ce dernier a l'habitude de travailler avec un confrère. N'oublions pas par ailleurs que, si le nombre d'assureurs est limité, il n'en va pas de même pour les avocats, qui sont très nombreux.
Votre rédaction, monsieur le rapporteur, conduit à un système très complexe qui pourrait pénaliser les victimes alors que vous vouliez justement les protéger. Il serait dommage d'aboutir à un dispositif qui pourrait conduire à priver une victime d'un conseil utile.
Ajoutons que ce ne sont pas les avocats qui rétribuent les médecins experts mais les compagnies d'assurance ou la victime elle-même.
La commission a rendu un avis défavorable au nom du principe de réciprocité.
M. Leteurtre l'a rappelé, certains avocats se spécialisent dans la réparation du dommage corporel et font alors régulièrement appel à des médecins. Il s'agit également, en appliquant le principe de réciprocité à la demande même du Conseil national de l'ordre des médecins, d'aviser les victimes des relations habituelles de travail entre les uns et les autres. Il ne nous semble pas aberrant qu'un médecin déclare travailler régulièrement pour un avocat ou un cabinet d'avocats. Si cela ne pose pas de problème, pourquoi ne pas le faire savoir ?
L'on nous objectera qu'il n'y a pas de contrat spécifique entre eux, mais il existe bel et bien une relation habituelle de travail telle que nous l'entendons dans le texte.
La parole est à Mme Martine Carrillon-Couvreur pour soutenir l'amendement n° 35 .
Malgré les explications du rapporteur, je tiens à dire quelques mots sur ce sujet important. Il s'agit là d'un amendement de clarification en cohérence avec le reste de la proposition de loi. Contrairement aux médecins conseils des compagnies d'assurance, qui travaillent pour elles et sont rémunérées par elles, les médecins conseils des victimes ne travaillent pas pour les avocats et ne sont pas davantage rémunérés par eux : les frais exposés par la victime pour se faire assister d'un médecin sont récupérés lors de la liquidation et figurent dans le poste de préjudice patrimonial intitulé « frais divers ».
C'est pourquoi cet amendement propose de supprimer la mention « des avocats et », qui d'ailleurs ne figure plus dans le reste du texte.
Je voulais apporter cette précision bien que nous ayons déjà entendu la réponse du rapporteur.
C'est volontairement que je lui ai demandé d'emblée son avis, pour que nous n'ayons pas à entendre répéter les mêmes arguments, les amendements étant identiques.
La parole est M. le rapporteur.
Jeter la suspicion sur les médecins qui travaillent avec les assureurs et non sur ceux qui travaillent avec les avocats poserait également problème. Le fait de travailler avec un assureur est-il condamnable en soi ou justifie-t-il qu'au moins l'on s'en inquiète ? L'application du principe de réciprocité nous paraît obéir à un souci d'objectivité aisé à comprendre, d'autant plus que le Conseil national de l'ordre des médecins y est favorable.
Ce débat est fort intéressant. La proposition de loi prévoit l'obligation pour les médecins de publier une liste des assureurs et des avocats pour lesquels ils travaillent habituellement. Le principe de symétrie évoqué par le rapporteur s'applique.
Les deux amendements proposent de rompre la symétrie en supprimant la mention des avocats. Nous sommes bien obligés de reconnaître que cette proposition n'est pas sans fondement car les médecins conseils de victimes ne sont pas rémunérés par les avocats qui font appel à eux. La situation est quelque peu différente.
Face à cette complexité, le Gouvernement s'en remet avec délectation à la sagesse de l'Assemblée. (Sourires.)
Bien que le rapporteur ait de bons motifs de l'invoquer, on ne saurait en l'espèce se fonder sur le principe de réciprocité pour la bonne raison qu'un lien différent unit le médecin conseil à l'avocat ou à l'assureur. L'on ne peut suivre cette logique-là.
De même, le rapporteur part du principe que tout le monde a accès à un bon avocat spécialisé dans le dommage corporel. Dès lors, des « habitudes » pourraient se créer, même s'il ne s'agit pas d'un lien organique ou financier.
La réalité est tout autre. La plupart des gens choisissent l'avocat de proximité et ils auront tout intérêt à avoir comme médecin expert une personne ayant du savoir-faire.
Je comprends bien vos motivations, monsieur le rapporteur, mais je vous assure qu'en pratique, très peu d'avocats sont spécialisés dans le dommage corporel, alors que beaucoup de gens, pour des expertises banales et simples, ont besoin d'un expert médical compétent.
Je suis saisi d'un amendement rédactionnel, n° 1, du rapporteur.
(L'amendement n° 1 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
La parole est à M. Claude Leteurtre, pour soutenir l'amendement n° 23 .
Il s'agit d'insérer une disposition sur l'indexation des rentes viagères. Le droit de la réparation des dommages corporels est en effet soumis au principe général de la réparation intégrale, ce qui signifie que la victime a vocation à être indemnisée pour son préjudice passé, actuel et à venir, à condition que ce préjudice soit certain.
Certains postes de préjudice – tierce personne, pertes de gains professionnels futurs – sont indemnisés sous forme de rente viagère. Le principe de la réparation intégrale commanderait par exemple que la victime indemnisée pour pouvoir employer une tierce personne dix heures par jour puisse continuer à le faire sa vie durant. La réalité est différente puisque, depuis trente-cinq ans, l'indice de revalorisation des rentes évolue plus faiblement que l'augmentation du SMIC. Ainsi, de 1998 à 2005, les rentes ont été revalorisées de 59 % alors que le SMIC l'a été de 107 %.
Le constat est accablant : même à court terme, la rente ne permet pas de réparer intégralement le préjudice.
C'est pourquoi nous proposons par cet amendement d'adapter l'indice de revalorisation au poste de préjudice indemnisé – le SMIC, par exemple, lorsqu'il s'agit de rémunérer une tierce personne – afin que le préjudice soit intégralement réparé.
L'article 43 de la loi du 5 juillet 1985 dispose : « Sont majorées de plein droit, selon les coefficients de revalorisation prévus à l'article L.455 du code de la sécurité sociale – devenu depuis L. 434-17 –, les rentes allouées soit conventionnellement, soit judiciairement, en réparation du préjudice causé, du fait d'un accident de la circulation, à la victime ou, en cas de décès, aux personnes qui étaient à sa charge. »
Les tribunaux ont été saisis à plusieurs reprises de ce problème d'indexation des rentes, mais la Cour de cassation veille à l'application stricte des textes.
Le principe ne vaut cependant qu'en matière d'accidents de la circulation ; c'est pourquoi les juridictions administratives notamment peuvent décider librement de choisir tel ou tel indice pour revaloriser les rentes.
Il convient de clarifier cette disposition.
Avis défavorable.
Ce serait un plaisir d'accepter les amendements de M. Claude Leteurtre, mais ce n'est malheureusement pas possible. Il est certes très important que les rentes qui indemnisent un préjudice corporel soient régulièrement réévaluées en fonction d'un indice en rapport avec la nature du préjudice subi mais, en l'espèce, et nous en avons beaucoup discuté en commission, il revient au juge de décider.
Indexer l'aide à la tierce personne sur l'évolution du SMIC ne permettrait pas de prendre en compte la nature du travail, pour reprendre l'exemple du travail spécialisé de l'infirmière.
Le législateur ne peut pas tout faire…
L'amendement soulève l'importante question de la réévaluation de la rente, mais le Gouvernement considère que la réponse qu'il y apporte n'est pas applicable.
Cette disposition serait tout d'abord source d'iniquités, alors même que la proposition de loi tend à harmoniser l'indemnisation du dommage corporel. Des juges, voire des cours d'appel, choisiraient un indice plutôt qu'un autre, et la victime du ressort d'une cour d'appel pourrait avoir la chance de se voir attribuer un indice plus favorable que la même victime du ressort d'une autre cour d'appel.
Par ailleurs, la charge de la majoration légale des rentes incombe à ce jour au fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages. Pour des raisons évidentes, il n'est pas envisageable qu'une revalorisation des rentes puisse être décidée sans l'accord du payeur, qui n'aurait pas à donner son avis.
Enfin, monsieur Leteurtre, votre amendement n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact. Des solutions alternatives, qui s'inspireraient de la philosophie que vous exprimez, mériteraient d'être explorées.
Au bénéfice de ces explications, je souhaiterais que vous retiriez votre amendement, auquel le Gouvernement est défavorable.
J'ai envie d'appeler à mon secours Jean-François Chossy, au risque de le mettre en difficulté.
L'exemple de la tierce personne dont une victime en situation de handicap aurait besoin est très clair : son salaire devra suivre l'évolution du SMIC. Comment la victime pourra-t-elle s'en sortir si sa rente n'est pas indexée sur le SMIC ? Je mesure bien l'impact financier d'une telle mesure, mais il serait logique que le législateur prenne pour base le taux annuel de majoration des rentes « accidents du travail » et des pensions d'invalidité.
Je maintiens donc mon amendement tout en regrettant la position du Gouvernement.
(L'amendement n° 23 n'est pas adopté.)
(L'article 5, amendé, est adopté.)
La parole est à M. Claude Leteurtre, pour soutenir l'amendement n° 24 , portant article additionnel après l'article 6.
Aussi remarquable soit-elle, la réponse apportée par anticipation au cours de la discussion générale par M. le rapporteur ne me satisfait pas complètement. Subsiste un vrai problème posé par la jurisprudence de la Cour de cassation, jurisprudence qui revient à un véritable pillage des postes de préjudices extrapatrimoniaux.
Je ne souhaite pas vous lasser, chers collègues, mais il convient de revenir sur cette notion, qu'il s'agisse du préjudice extrapatrimonial avant consolidation ou après consolidation. Il est ici question du préjudice sexuel, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément, bref des préjudices qui concernent la personne proprement dite. Or, dans certaines juridictions, le tiers payeur prend de l'argent sur ces postes de préjudices. On peut comprendre qu'il cherche à récupérer une partie de l'argent pour combler un déficit fonctionnel, mais en quoi est-il logique de définir tous ces préjudices – comme l'ont fait les rapports Lambert-Faivre, puis Dintilhac – si c'est pour laisser le tiers payeur faire son marché ?
Nous sommes loin du principe de la réparation intégrale, ce qui explique pourquoi je ne puis accepter la réponse de M. le rapporteur. Nous mettons sans doute le doigt dans un engrenage sans savoir ce qu'il adviendra, mais ayons bien présent à l'esprit qu'il est question ici de préjudices extrapatrimoniaux et non pas de soins. Il ne saurait donc y avoir un grand danger.
L'esprit de la loi Badinter, c'est la réparation intégrale.
Si l'on ne supprime pas la possibilité du recours des tiers payeurs ou si on ne le limite pas, on perd l'esprit de cette très belle loi.
Défavorable. Je partage le souci exprimé par notre collègue : il n'est pas normal que les organismes sociaux puissent faire main basse, si j'ose dire, sur les rentes qui indemnisent un préjudice personnel.
C'est pourquoi nous vous proposons de donner une assise législative à une nomenclature des postes de préjudice, prévue à l'article 6 que vous venez de voter, nomenclature qui établit clairement la distinction entre les deux types de préjudices, patrimoniaux et extrapatrimoniaux.
Pour éviter, justement, les soucis que nous avons connus avec la Cour de cassation. C'est seulement si nous donnons une assise législative à cette nomenclature que nous pourrons nous opposer aux décisions de la Cour de cassation que vous dénoncez.
Défavorable. Cet amendement remet du reste en cause deux jurisprudences récentes de la Cour de cassation…
…qui rappelle, dans ses arrêts de principe, que le principe d'indemnisation de la victime est celui de la réparation intégrale sans perte ni profit.
La nature mixte de la rente dite ATMP a été doublement reconnue : par le rapport du groupe de travail présidé par M. Dintilhac, chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices, et par les derniers arrêts de la Cour de cassation. En niant la nature mixte des rentes ATMP, votre amendement, monsieur Leteurtre, conduirait à une double indemnisation des victimes.
De plus, le vote de cet amendement conduirait à interdire à la collectivité publique de récupérer les sommes qu'elle verse à ses agents en application de la jurisprudence du Conseil d'État Moya-Caville, de 2003. Or, comme la commission, le Gouvernement est favorable à la pleine et entière application du principe de réparation intégrale.
Je comprends bien votre souci, monsieur le secrétaire d'État, mais, justement, nous ne pouvons pas nous appuyer sur la Cour de cassation puisque c'est elle qui se conduit mal en parlant de réparation intégrale sans profits. Quelle est son droit de définir un profit ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Quand vous définissez un préjudice esthétique ou un préjudice d'agrément, d'évolution ou d'établissement, vous vous situez dans le cadre de la réparation.
Peut-être le coût en sera-t-il élevé ; pour ma part je n'en crois rien. Il est dommage de ne pas rester dans cette logique de réparation intégrale et, comme l'a honnêtement reconnu Guy Lefrand, il est vrai que certaines juridictions se conduisent fort mal.
La crainte que l'État ne puisse récupérer les sommes qu'il verse à ses agents ne tient pas.
Vous soutenez, monsieur le rapporteur, que l'article 6 permet d'éviter la situation que je dénonce puisque y sont définis clairement les préjudices patrimoniaux et les préjudices extrapatrimoniaux. Mais, encore une fois, pour quoi faire si c'est pour que les tiers payeurs se servent très largement, au détriment des postes de préjudice esthétique et d'agrément ?
Nous aurons sans doute l'occasion d'examiner à nouveau ce texte en deuxième lecture ; en attendant, monsieur le rapporteur, je souhaiterais que les déficits soient limités pour les victimes et que tout prélèvement sur les éléments extrapatrimoniaux soit interdit aux tiers payeurs.
L'amendement n° 40 vise à substituer, à l'alinéa 3, le mot « conseil » au mot « avocat ». Il s'agit d'étendre la notion de défense. Le terme « conseil » est d'ailleurs utilisé dans d'autres domaines, tels que la sécurité sociale ou la fiscalité.
L'amendement n° 41 entend rendre plus claire l'information donnée à la victime. C'est ainsi que devrait lui être adressée « une notice d'information sur la procédure d'offre que doit présenter l'assureur en application des dispositions de l'article L 211-9 ainsi que sur ses droits et moyens de recours, établie selon le modèle type défini par décret ».
Défavorable à l'amendement n° 40 . Si notre collègue Jean-Pierre Decool propose des amendements manifestement fondés sur le souci de rendre service aux victimes, je crains, là aussi, que le remède ne soit pire que le mal. Remplacer le mot « avocat » par le mot « conseil » me semble des plus dangereux.
On voit apparaître des officines de recours où exercent des individus qui ne sont pas forcément avocats et dont l'intervention présente de ce fait un risque juridique important pour les victimes. La notion de conseil est par surcroît juridiquement floue. Il me paraît fondamental que le texte mentionne explicitement les avocats, seuls à même de défendre les droits des victimes, qui ne gagneraient rien à cette extension à de simples conseils.
Quant à l'amendement n° 41 , la commission y est également défavorable. On risquerait d'aboutir à une rejudiciarisation automatique des demandes d'indemnisation, au rebours de la philosophie de la loi Badinter, et donc du présent texte.
Pour ce qui concerne l'amendement n° 40 , on comprend bien l'objectif de M. Decool, qui consiste à étendre la possibilité pour la victime de s'informer en augmentant le nombre des personnes qui peuvent lui venir en aide juridiquement. Toutefois, le rapporteur l'a mentionné, la dénomination de conseil est plus difficile à appréhender que celle d'avocat. Dans ces conditions, la victime risque de ne pas tirer un entier bénéfice de cette assistance. Aussi le Gouvernement s'en remet-il à la sagesse de l'Assemblée.
En ce qui concerne l'amendement n° 41 , il me paraît déjà satisfait. Il prévoit d'inscrire dans la loi que l'assureur transmet à l'assuré une notice d'information sur la procédure d'offre, objectif louable. Cependant, la transmission de cette information est déjà prévue par décret codifié sous l'article R 211-39 du code des assurances. L'arrêté du 22 juin 1988, codifié sous l'article A 211-11 du même code, fixe le modèle type de cette notice rédigée par les ministères chargés de l'assurance, de la justice et de la sécurité sociale. Cette notice sera remise à jour pour tenir compte des évolutions instaurées par la présente proposition dès qu'elle sera votée.
Le Gouvernement propose donc à M. Decool de retirer cet amendement.
L'article 9, dans sa nouvelle rédaction, ne présente plus l'intérêt qu'il pouvait revêtir dans sa mouture initiale : deux alinéas ont été retirés que l'amendement n° 25 propose de reprendre. Mme Carrillon-Couvreur semble abonder dans ce sens.
Il semble essentiel que soit proposé de façon systématique à la victime un rendez-vous contradictoire où un médecin conseil interviendra à ses côtés.
De même, la loi peut attirer l'attention de la victime sur la nécessité de procéder à un bilan situationnel à domicile, ce qui n'est pas souvent le cas actuellement, les expertises se réalisant habituellement au cabinet des experts sans lien avec la réalité vécue par la victime.
L'objectif de l'examen contradictoire effectué par les médecins conseils en présence de la victime est de parvenir à un accord médico-légal. C'est cet accord qui servira ensuite de base à l'offre.
rapporteur. L'amendement n° 43 de la commission satisfait pleinement les amendements nos 25 et 36 puisqu'il vise à rétablir, dans le cadre de l'examen médical, la notion de prise en considération des conditions de vie et de l'environnement habituel de la victime. De plus, il prévoit que, lorsque l'examen médical conduit à estimer que l'état du patient nécessite l'intervention d'une tierce personne, l'assureur fait établir un bilan situationnel à la demande de la victime.
Nos collègues pourraient donc, je pense, retirer leurs amendements.
Notre argumentation pour défendre l'amendement n° 36 est la même que celle de M. Leteurtre puisqu'il s'agit aussi pour nous de rétablir à l'article 9 deux dispositions supprimées par la commission.
M. le rapporteur nous indique que notre amendement est satisfait par le sien, mais nous cherchons vainement où celui-ci prévoit le rétablissement des deux alinéas dont je viens de parler. Nous sommes étonnés que la formulation en soit totalement différente puisqu'il indique simplement : « L'examen médical réalisé par le médecin conseil de l'assureur prend en considération les conditions de vie et l'environnement habituel de la victime. »
Il n'est pas dit que cet examen médical aura lieu au domicile de la victime. Il serait peut-être bon de le préciser, monsieur le rapporteur.
Dans ce même amendement n° 43 , le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article L. 211-10-1 répond, lui, à notre préoccupation.
Mais il y a un problème de formulation que je ne comprends pas, monsieur le rapporteur. Pourquoi ne pas avoir repris, tout simplement, les deux dispositions initiales ?
Après l'alinéa 3 de l'amendement n° 43 , nous proposons d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de refus par la victime d'être examinée par le seul médecin mandaté par l'assureur ou en cas de contestation des conclusions médicales du médecin mandaté par l'assureur, ce dernier propose systématiquement à la victime un examen médical contradictoire. »
Cette disposition claire et explicite répondrait à notre inquiétude.
La commission ne l'a pas examiné, mais à titre personnel j'y suis favorable. Comme je l'ai expliqué dans mon propos liminaire, nous avions retiré cette disposition sur la recommandation du Conseil d'État, qui considérait qu'elle était d'ordre réglementaire. Mais il apparaît aujourd'hui clairement, à la demande de l'ensemble de nos collègues, que le législateur doit la faire figurer dans le texte.
Sur le sous-amendement, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée. Il est favorable à l'amendement.
Je voudrais suggérer aux auteurs du sous-amendement n° 49 de se livrer avec moi à un sport bien connu dans cet hémicycle : la chasse aux adverbes. Dans la rédaction d'un texte de loi, le présent vaut impératif. L'adverbe « systématiquement » est donc superfétatoire. On me dira que c'est une remarque de rhétorique, mais il convient d'être attentif à ce genre de choses, dans un souci de simplification.
Madame Carrillon-Couvreur, êtes-vous d'accord pour supprimer le mot : « systématiquement » ?
Le sous-amendement est ainsi rectifié. Merci , monsieur Poisson, pour cette contribution au débat.
(Le sous-amendement n° 49 rectifié est adopté.)
(L'amendement n° 43 , sous-amendé, est adopté.)
Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.
(L'article 9, amendé, est adopté.)
L'article 11 vise à mettre en place une base de données des montants d'indemnités versés aux victimes.
Il est souhaitable, nous l'avons dit tout à l'heure, de revenir à la formulation initiale de la proposition de loi, et de ne pas maintenir celle issue des travaux de la commission des finances. En effet, la base de données proposée avait pour objectif de permettre la transparence et l'information des victimes. Or la rédaction adoptée par la commission ne permet pas l'accessibilité au public de cette base de données, ce qui ne correspond plus du tout à l'objectif initial de sa création.
De plus, il est extrêmement important de ne pas confier cette base de données aux assureurs, mais de la placer sous le contrôle de l'État. Or la formulation retenue par la commission consiste à permettre aux entreprises d'assurance de constituer entre elles un organisme chargé du traitement de ces données issues du cadre transactionnel et juridictionnel. Ce dispositif est inacceptable, car il n'apporte aucune garantie et a très mal fonctionné jusqu'ici. Il n'y a aucune avancée par rapport à la base de données actuelles AGIRA. Si cette mesure devait être adoptée sans garantie d'indépendance et de contrôle de l'État, la création de la nouvelle base de données n'apporterait évidemment aucune amélioration du point de vue du droit des victimes.
En conséquence, il convient de rédiger cet article comme nous le proposons en adoptant cet amendement de repli au regard des règles de recevabilité financière.
La parole est à M. Claude Leteurtre, pour soutenir l'amendement n° 32 .
Cet amendement s'inscrit dans la même logique.
Jusqu'en 2006, le fichier AGIRA n'était disponible que sur Minitel. Les seules données y figurant le rendent quasiment inexploitable et ne permettent pas d'en vérifier la fiabilité. Il est extrêmement pauvre en décisions judiciaires et ne contient qu'un nombre de données très limité pour les dommages moyens et graves.
La consultation est limitée à certains critères : AIPP, souffrance, préjudices esthétique et d'agrément. Une victime qui consulte peut donc croire que seuls ces postes de préjudice ont vocation à être indemnisés, car aucun avertissement ne figure sur la limite de cette recherche.
La critique de l'AGIRA a été faite par tous les acteurs du dommage corporel. Pourtant, la version actuelle de la proposition de loi reprend le même concept de traitement des données par un organisme uniquement piloté par les assureurs. Cela est inacceptable.
Il s'agit donc d'étendre le recensement dans la base de données à toutes les transactions et décisions, judiciaires et administratives, ayant trait à l'indemnisation des victimes de dommages corporels, sans le limiter aux seules victimes d'un accident de la circulation.
Limiter aux accidents de la circulation la base de données serait en outre contradictoire avec la lettre et l'esprit des autres articles de la proposition de loi, qui ont vocation à s'appliquer à tous les contentieux et à toutes les transactions en prévoyant notamment l'instauration d'un barème médico-légal unique pour tous les dommages corporels, ainsi qu'une nomenclature des postes de préjudice indemnisables.
C'est la raison pour laquelle la base de données doit être unique, et inclure toutes les décisions de justice et toutes les transactions conclues avec tous les acteurs du dommage corporel.
Contre cette demande, il est argué que la base de données ne saurait être publique car elle contiendrait des données confidentielles. C'est un faux problème : les décisions de justice sont publiques. Celles publiées sur Légifrance sont anonymisées, tandis que d'autres, publiées par des éditeurs privés, ne le sont pas.
Les publier sous la responsabilité du ministère de la justice permettrait de garantir la confidentialité en rendant incontournable l'anonymisation.
Je pense qu'ils seront satisfaits par l'amendement n° 44 de la commission, qui précise que cette base de données est accessible au public.
C'est ce qui avait été initialement prévu, je le rappelle. L'avis du Conseil d'État nous avait laissés imaginer que cette base ne pourrait pas être rendue accessible au public en raison des données y figurant. C'est à la suite de cet avis que nous avions modifiée la rédaction. Mais en adoptant l'amendement de la commission, nous répondrons à la demande de l'ensemble de nos collègues.
Je profite de l'occasion pour préciser, monsieur le président, le contenu des autres amendements de la commission, qui forment un ensemble cohérent. Par l'amendement n° 45 , il est proposé, à l'alinéa 3, de supprimer les mots : « entre eux ». Cet amendement est plus que rédactionnel. Quant à l'amendement n° 46 rectifié , il prévoit que deux représentants de l'État participent au conseil d'administration de l'organisme chargé du traitement des données.
Au vu de ces explications, je pense, mes chers collègues, que vous pourriez retirer vos amendements respectifs, qui sont satisfaits par ceux de la commission.
Globalement, le Gouvernement partage l'avis du rapporteur.
L'amendement n° 42 serait satisfait par l'adoption de l'amendement n° 44 de la commission.
L'amendement n° 38 , en réintroduisant la notion de référentiel national indicatif, revient au texte initial. Mais justement, les auteurs du texte initial sont revenus sur cette disposition à la lumière des observations complémentaires qu'ils ont recueillies par la suite. Sur cet amendement, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.
Quant à l'amendement n° 32 , la disposition qu'il propose n'apporte pas d'amélioration décisive au texte. Le Gouvernement, là encore, préfère en rester à l'amendement n° 44 , adopté à l'unanimité par la commission.
Au bénéfice des explications du rapporteur, ces amendements sont-ils maintenus, ou retirés au profit de l'amendement n° 44 de la commission ?
Vous hésitez, madame Reynaud ?...
Ce qui me gêne, c'est que les amendements de la commission ne répondent pas tout à fait à la préoccupation que nous exprimons dans nos amendements.
L'alinéa 3 de l'article 11 prévoit que « les entreprises d'assurance […], les fonds et offices de garantie ou d'indemnisation constituent entre eux un organisme chargé du traitement de ces données. » Le rapporteur nous dit que l'amendement n° 45 de la commission proposera de supprimer les mots : « entre eux ». Je ne vois pas ce que cela change. Et cela ne répond pas du tout aux arguments que nous avons avancés lors de la discussion générale et encore à l'instant en soutenant nos amendements.
Je suis saisi d'un amendement n° 26 .
La parole est à M. Claude Leteurtre.
Je crains que cet amendement ne subisse le même sort que les précédents. Mais je ne me décourage pas, parce que je connais la bonne volonté du rapporteur.
L'objectif de cette base de données, je le rappelle, était d'assurer une certaine transparence des transactions et une comparaison avec les décisions de justice, et donc d' « encadrer » la procédure d'offre mise en place par les assureurs.
En réalité, la gestion de ce fichier a été confiée à l'AGIRA, c'est-à-dire à un groupement des assureurs via le GEMA, le Groupement des entreprises mutuelles, et la FFSA, la Fédération française des sociétés d'assurance. Le contrôle du fichier est assuré par ces deux organismes, auxquels s'ajoutent le Fonds de garantie des assurances obligatoires et les ministères de la justice et de l'économie, ces derniers n'ayant jusqu'à présent pas eu un rôle déterminant. C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, je suis inquiet pour votre amendement, qui ne me satisfait guère.
Nous sommes devant une interrogation. Il est nécessaire d'avoir un barème médico-légal unique pour tous les dommages corporels et une nomenclature claire des postes de préjudices indemnisables.
Avis défavorable. Cet amendement reprend de nombreux sujets dont nous avons déjà débattu. S'agissant de la base de données accessible au public, l'amendement de la commission satisfera cette demande.
Ce qui me pose problème, c'est que l'on demande le recensement de « toutes les transactions conclues dans le cadre d'une procédure amiable entre les assureurs, les organismes d'indemnisation et les victimes, ainsi que toutes les décisions judiciaires et administratives ayant trait à un contentieux… ». Nous avons volontairement réduit le champ aux décisions judiciaires des cours d'appel pour ne pas risquer un engorgement du système judiciaire ni quelques soucis avec le ministère de la justice, ce qui ne manquerait pas d'arriver si l'on voulait absolument tout enregistrer : il y a des dizaines de milliers de décisions ! Dans le contexte actuel, je ne suis pas sûr que les recenser apporte grand-chose ; ce sont les décisions de cours d'appel qui nous intéressent. En outre, je m'interroge sur la réelle faisabilité d'une telle base de données.
Enfin, je ne suis pas sûr que la notion de consultation multicritères soit à inscrire dans la loi. Je pense qu'il reviendra à la CNIL de nous dire ce qu'on a le droit d'aller « piocher ».
L'amendement n° 26 poursuit le même objectif que l'amendement n° 44 de la commission, auquel j'ai indiqué que le Gouvernement est favorable. Il comporte, en outre, quelques défauts en ne permettant pas de répondre à plusieurs points soulevés par la proposition de loi. Celle-ci, je le rappelle, sanctionne les assureurs en cas de manquement à leurs obligations : cette mesure garantira l'exhaustivité des données qu'ils fourniront. Par ailleurs, la proposition de loi intègre également les décisions des cours d'appel, ce qui constitue une première étape en matière de bonne intégration des données jurisprudentielles.
Pour ces raisons, monsieur Leteurtre, le Gouvernement souhaiterait que vous puissiez retirer votre amendement, faute de quoi il y sera défavorable.
Précision, je l'ai dit, un peu plus que rédactionnelle.
(L'amendement n° 45 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Amendement rédactionnel.
(L'amendement n° 5 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
En conséquence, l'amendement n° 28 tombe.
Je suis saisi d'un amendement n° 46 rectifié .
La parole est à M. le rapporteur.
Précision quant à la nature du contrôle de l'État.
(L'amendement n° 46 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 30 .
La parole est à M. Claude Leteurtre.
Défendu !
(L'amendement n° 30 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
Celui-là, monsieur Leteurtre, vous avez eu raison de le défendre ! (Sourires.)
Je suis saisi d'un amendement n° 6 .
La parole est à M. le rapporteur.
Amendement rédactionnel.
(L'amendement n° 6 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Je suis saisi de deux amendements de suppression, nos 31 et 39.
La parole est à M. Claude Leteurtre.
Les articles 12 à 27 de la loi du 5 juillet 1985 sont repris dans le code des assurances. Il apparaît donc à première vue inutile de les maintenir puisqu'ils sont codifiés.
Rappelons cependant qu'une partie de la loi Badinter n'est pas codifiée, notamment les articles concernant le droit à indemnisation et le recours des tiers payeurs. Il est donc important de ne pas soustraire ces articles concernant les transactions assureurs-victimes de la loi Badinter pour que le ministère de la justice puisse rester l'interlocuteur privilégié des victimes, au même titre que le ministère des finances reste l'interlocuteur privilégié des compagnies d'assurance, leur ministère de tutelle.
Il conviendra de modifier non seulement les articles du code des assurances visés par la présente proposition de loi, mais également les articles de la loi Badinter équivalents.
La parole est à Mme Martine Carrillon-Couvreur, pour soutenir l'amendement n° 39 .
Amendement de coordination.
(L'amendement n° 8 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 13, amendé, est adopté.)
Je suis saisi d'un amendement n° 33 .
La parole est à M. Claude Leteurtre.
Aujourd'hui, pour déterminer si la loi de 1985 s'applique et si la victime a droit à indemnisation, la jurisprudence tient compte de la notion d'implication du véhicule – est considéré comme impliqué le véhicule qui a eu un rôle causal dans la survenance de l'accident – et de la qualité de la victime. La victime conductrice peut voir son droit à indemnisation diminué ou exclu dès lors qu'elle a commis une faute, même simple, alors que la victime non-conductrice ne se verra opposer sa faute que si celle-ci est inexcusable.
L'article 3, alinéa 1, de la loi du 5 juillet 1985 dispose : « Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute, à l'exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident » ou lorsque la victime « a volontairement recherché le dommage qu'elle a subi ». Il en résulte que seules la faute intentionnelle et la faute inexcusable cause exclusive peuvent entraîner une diminution du droit à indemnisation. L'application jurisprudentielle de cette disposition est extrêmement restrictive.
L'article 4 de cette même loi dispose : « La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis. » Il en résulte que toute faute, même la plus simple, du conducteur victime suffit à réduire, voire à exclure, son droit à indemnisation.
On aboutit à une disparité illégitime de traitement des victimes d'accidents de la circulation en fonction de leur qualité, qui prive les conducteurs de tout ou partie de leur indemnisation, alors que les piétons, les cyclistes ou les passagers ne peuvent quant à eux jamais se voir opposer leurs fautes, même graves. Il est donc nécessaire de modifier le statut juridique du conducteur, laissé en marge du système légal d'indemnisation des accidents de la circulation, alors qu'il en est pourtant la première victime, pour l'unifier avec celui du non-conducteur. C'est la nécessité de la réparation intégrale sans notion de faute.
Avis défavorable. Nous avons beaucoup travaillé sur la problématique de l'indemnisation du conducteur. Il nous a semblé difficile, sans étude d'impact, de la réintégrer dans la loi Badinter. Si, de plus en plus aujourd'hui, les assureurs favorisent les assurances volontaires des conducteurs, créer une assurance obligatoire pour inclure les conducteurs de véhicules à moteur dans le cadre de la loi Badinter reviendrait à instaurer une sorte de « prélèvement obligatoire » de l'ordre de 30 à 50 euros par an, ce qui nous semble aujourd'hui difficile à imposer à l'ensemble des conducteurs.
Le Gouvernement partage l'avis du rapporteur. La disposition proposée aurait des conséquences importantes sur le coût de l'assurance automobile. Elle ne peut pas être adoptée sans étude d'impact préalable, en particulier sur les réactions de non-assurance et sur la situation du secteur automobile. Il s'agit d'une question importante qui ne peut pas être traitée par voie d'amendement. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Nous n'avons pas présenté d'amendement à ce sujet, mais je rejoins les préoccupations de M. Leteurtre. C'est un vrai problème que nous avons soulevé en commission et qui fait partie des pistes d'avancées futures que nous avons évoquées lors de la discussion générale. Il faudra vraiment, à un moment, examiner cette situation qui n'est pas sans conséquence. Certes, l'impact financier de la proposition ne serait pas négligeable, mais les conducteurs victimes d'un accident subissent lourdement les conséquences du fait qu'ils ne sont pas assurés.
Je voudrais rassurer mes collègues. Nous avons déjà été très attentifs par le passé à ce sujet. Mais nous avons cherché à faire un texte qui puisse être appliqué rapidement, en tout cas dans un délai raisonnable. Or la question mérite vraiment des études d'impact et une réflexion plus approfondie. Nous sommes tout à fait d'accord, Guy Lefrand et moi-même, pour revenir, ne serait-ce que dans le cadre du suivi de la loi, à cette réflexion en y associant tous ceux qui le souhaitent.
Je comprends la difficulté, mais la loi Badinter et la proposition de loi visent la réparation intégrale. Or beaucoup de conducteurs ne lisent pas assez attentivement leurs contrats d'assurance et ne se rendent pas compte qu'ils ne sont pas couverts. Là est la vraie difficulté car, en plus d'être victimes, ils sont exclus de toute indemnisation ou ne reçoivent qu'une indemnisation partielle.
Les différents projets de refonte du droit de la responsabilité civile, notamment le rapport Catala, vont vers cette notion. De la même manière, le président Dintilhac, qui a inspiré la proposition de loi, suggère fermement de suivre cette démarche et de l'intégrer.
Je ne vais pas me battre bec et ongles, mais je défends que ce principe d'inégalité de traitement est extrêmement dangereux, car beaucoup de conducteurs n'ont pas conscience qu'ils ne sont pas assurés en tant que tels. Les personnes les plus aisées prennent l'assurance multirisques et sont couvertes. Ce sont plutôt les plus fragiles qui sont pénalisés en cas d'accident.
Je m'en remets à la sagesse des rapporteurs, mais il faudrait faire évoluer la situation.
(L'amendement n° 33 n'est pas adopté.)
Amendement rédactionnel.
(L'amendement n° 48 , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 14, amendé, est adopté.)
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)
Prochaine séance, mercredi 17 février à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Projet de loi relatif à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma