La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à M. Marcel Rogemont.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues : « J'ai aidé à conquérir celle de vos libertés qui les vaut toutes, la liberté de la presse » a écrit Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe. Il anticipait la loi du 29 juillet 1881.
Un demi-siècle plus tard, la loi Bichet du 2 avril 1947 a proclamé le principe de la liberté de la distribution de la presse, de l'égalité des éditeurs face à la distribution et de la solidarité entre éditeurs et coopérateurs.
Aujourd'hui, nous sommes conviés à nous approcher de cet idéal. La prudence et la sagacité doivent éclairer nos débats.
Mais sont-elles au rendez-vous ? Comment ne pas s'indigner de voir le règlement de notre assemblée détourné pour traiter d'une des libertés les plus fondamentales de notre République, par le dépôt d'une proposition de loi qui n'en a que le nom ? Si le Gouvernement avait déposé un projet de loi, nous aurions disposé d'une étude d'impact, et de plus de temps pour étudier la question dans son ensemble.
Les difficultés de la presse écrite justifient-elles cette forme d'urgence qui tendrait à nous imposer un vote conforme ? Nous ne le pensons pas. L'urgence est toujours une décision.
Alors, monsieur le ministre, pourquoi avoir tant attendu pour présenter un texte ?
Le Livre vert du 8 janvier 2009 prévenait pourtant : « Si nous voulons que les états généraux ne restent pas lettre morte, il faut agir vite et fort. Les six prochains mois seront déterminants et dépendent de la rapidité d'exécution des mesures proposées.
« Au-delà de cette date [et] faute de réformes, il faudra alors envisager une approche beaucoup plus radicale, remettant en question les grands équilibres de l'industrie : séparation de la presse d'information politique et générale des autres formes de presse, remise en cause du système coopératif de distribution, redéfinition des taux de TVA par type de presse . »
Autant de questions importantes qui sont sur le métier depuis des mois.
Doit-on comprendre que le premier coup de canif porté à la coopération est dû au retard pris par le Gouvernement ?
Alors qu'il aurait fallu débattre avant de légiférer, seule l'urgence commande, au mépris d'une sagace prudence.
Nous savons pourtant depuis longtemps que le secteur de la distribution de la presse est exposé à des déséquilibres industriels majeurs, qui affectent les trois niveaux du circuit de distribution.
Au niveau un, les messageries de presse connaissent des difficultés financières considérables. Ainsi, la situation déficitaire de Presstalis a nécessité la réalisation d'un plan de sauvetage de 125 millions d'euros. Il est en cours.
Au niveau deux, les dépositaires sont exposés à de fortes baisses de volume et de chiffre d'affaires, et à une restructuration forte à venir.
Au niveau trois, les diffuseurs de presse – les marchands de journaux – sont sans conteste les parents pauvres de la chaîne de distribution et ont besoin d'une réorganisation et d'un financement.
Bien entendu, il faut considérer la loi Bichet à l'aune de ces difficultés. Bien entendu, l'amélioration de la gouvernance est souhaitable. Bruno Lasserre le rappelait, « faute d'un régulateur disposant d'un pouvoir incontestable », les réorganisations du secteur n'ont pu se faire dans la transparence.
Aussi sommes-nous convaincus de la nécessité d'une réforme, nourrie de la réflexion de chacun. Est-ce encore possible ?
Parce qu'il ne nous propose pas une révolution, mais plutôt une évolution, le texte n'est pas sans intérêt.
La disposition majeure vise à rendre plus efficace la prise de décision par les partenaires. C'est principalement le rôle de l'article 2 qui toilette la composition du Conseil supérieur des messageries de presse et redéfinit ses prérogatives.
Il instaure une Autorité de régulation de la distribution de la presse, afin de rendre exécutoires les recommandations de portée générale prises par le Conseil et d'arbitrer les différends relatifs au fonctionnement, à l'organisation ou à l'exécution des contrats des sociétés coopératives.
Mais fallait-il créer une nouvelle autorité indépendante ? C'est la dixième que ce gouvernement crée depuis 2007 ! Le Président de la République n'avait-il pas annoncé son intention de supprimer ces « machins », au motif qu'ils nuisaient à la lecture des décisions qu'il appartient à l'autorité politique de prendre ?
Les états généraux de la presse, comme Bruno Lasserre dans son rapport, avaient proposé des dispositifs différents qu'il aurait été instructif de discuter ici.
La modification de la composition du Conseil supérieur des messageries de presse, à l'article 3, n'est pas sans intérêt. Malheureusement, le nombre de représentants du personnel est réduit de trois à deux.
L'article 4 de la proposition de loi organise l'architecture institutionnelle de la régulation du système coopératif de distribution de la presse, l'articulation entre l'Autorité et le Conseil. Malgré la nécessité d'un débat plus attentif sur cette architecture, nous sommes prêts à acter ces choix.
Cependant deux questions restent posées, dont l'une plus sensible que l'autre.
L'alinéa 67 de l'article 4 donne à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse le pouvoir de formuler un avis sur l'évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messageries de presse. N'est-ce pas limiter la souveraineté de ces sociétés alors que l'article 12 de la loi Bichet soumet les dispositions financières à l'approbation du CSMP ?
L'autorité administrative finira-t-elle par donner un avis à une instance qui donne un avis à l'autorité ? C'est du moins ainsi que j'interprète cet alinéa 67. J'attends des explications du ministre ou du rapporteur sur ces avis qui s'enchaînent, alors que l'Autorité a pour rôle de décider, non de donner des avis.
Mais c'est sur l'alinéa 26 de l'article 4 que nos questions sont les plus vives.
Cet alinéa donne compétence au Conseil supérieur des messageries de la presse pour définir les conditions d'une distribution non exclusive par une messagerie de presse et les conditions d'une distribution directe par le réseau des dépositaires centraux de presse sans adhésion à une société coopérative de messagerie de presse.
Peut-on accepter que la mutualisation des moyens permettant la péréquation des coûts et l'accès aux mêmes prestations pour les ventes au numéro soit ainsi malmenée ? Ne s'agit-il pas d'un premier coup de canif porté à la loi Bichet, pour ensuite, suivant la proposition de loi déposée par M. Richard Mallié, supprimer purement et simplement cette loi ? Le syndicat du Livre a d'ailleurs envahi sa permanence parlementaire.
Nous déposerons des amendements pour écarter ce coup de canif ou au moins limiter la portée de cette disposition. Sur une telle question, nous aurions souhaité que le débat soit beaucoup plus large.
Ainsi, s'il y a consensus entre nous, c'est incontestablement autour de la nécessité d'aider la presse écrite, dont la situation est difficile.
De ce point de vue, si un certain nombre de choses ont été faites, de nombreux sujets méritent encore notre attention.
Député de Rennes, je mesure à quel point la mutualisation de la presse régionale et nationale est un sujet sur lequel nous devons réfléchir, et agir. Contrairement à l'idée avancée par certains, cette mutualisation est intéressante pour la PQR, non pas dans les centres urbains, mais bien dans les campagnes, en apportant un volume de presse plus important aux marchands de journaux traditionnels.
S'agissant du portage, l'ensemble de la profession demande une visibilité sur plusieurs années pour se structurer et s'organiser. Est-ce votre orientation, monsieur le ministre ?
La pérennité des aides au portage me semble essentielle à son avenir. En effet, la France n'a pas la densité de population de l'Allemagne ou de la Belgique, où la poste distribue les quotidiens chaque jour pour 20 centimes d'euros.
Plus généralement, deux ans après leur tenue, les états généraux ont-ils changé la donne économique du secteur de la presse ?
Les mesures annoncées dernièrement sont certainement plus conformes à l'idée que nous nous faisons des aides à la presse. Ainsi, un meilleur contrôle des aides, mieux orientées vers la presse d'information, permet d'être plus au diapason de la notion de service public.
En revanche, l'aide à toute initiative numérique pourrait, dans un premier temps au moins, être concentrée sur l'accompagnement des éditeurs de presse actuels vers le numérique.
De même le bonus à la mutualisation pose la question des groupe de presse. En les aidant financièrement à mutualiser leurs propres titres, on risque d'aider ces groupes de presse eux-mêmes et non les titres.
Le ministre pourra probablement nous éclairer sur ces questions.
En somme, loin de prédire la mort du papier à l'instar de Rupert Murdoch, nous considérons que la presse a un bel avenir devant elle.
La loi Bichet offre à tous les éditeurs un moyen de libre circulation des idées et des opinions. Elle constitue un socle sacré sans lequel la Déclaration des droits de l'homme et la loi sur la liberté de la presse seraient lettre morte.
C'est pourquoi nous en défendons les principes et réclamons un vrai texte de loi après un vrai débat parlementaire.
Le groupe socialiste, républicain et citoyen fixera sa position définitive sur ce texte en fonction du débat qui s'ouvre, en fonction des réponses qui seront faites à nos observations et propositions. Il n'appartient donc qu'à vous de faire que le groupe socialiste vote pour. C'est possible. Nous le voulons, à condition que vous le vouliez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, tous les acteurs de la presse disent leur inquiétude pour l'avenir de ce secteur. Dès 2008, les états généraux ont témoigné de cet état de crise. Baisse des ventes, diminution des ressources publicitaires, concurrence des journaux gratuits, bouleversements induits par les médias électroniques : la situation est en effet très préoccupante.
La baisse des ventes a de sérieuses conséquences sur l'ensemble de la chaîne de distribution. Au niveau 1, celui des sociétés coopératives, Presstalis est en difficulté. Au niveau 2, les dépositaires régionaux souffrent financièrement. Au niveau 3, les diffuseurs rencontrent également des difficultés économiques.
Aujourd'hui, les salariés de Presstalis sont dans l'action, car ils sont conscients des défis à relever autant que des dangers et des impasses du texte qui nous est soumis. Ils savent que se joue l'avenir d'un service public et de centaines d'emplois.
Évoquer les difficultés de la presse et de son système de distribution, ce n'est pas traiter d'une question économique, c'est parler de la santé de notre démocratie. Et elle est bien malade !
Lorsque au nom d'intérêts marchands certains titres sont distribués et d'autres non, l'égalité entre les citoyens, proclamée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, est bafouée, comme le sont la liberté d'opinion et le pluralisme, qui sont des leviers de notre démocratie.
C'est pour cela qu'à la Libération les autorités issues de la Résistance ont remis en cause le monopole de la société Hachette. C'est pour cela que, lorsque Hachette a tenté de le reconstituer, avec l'appui de banques étrangères, une loi réorganisant la distribution de la presse a été élaborée : la loi votée par les communistes, par les socialistes, par les députés MRP sous l'égide de Robert Bichet.
À l'époque, les parlementaires communistes ont souligné que c'est à l'État de garantir la neutralité de la distribution de la presse. Et c'est à leur initiative que le texte de Robert Bichet a été enrichi de l'obligation, pour toute messagerie, de distribuer tout titre ou toute publication dès lors que son éditeur accepte les conditions de la société de transport. Il s'agissait là de traduire la volonté de l'auteur de mettre fin à la « tyrannie de l'argent ».
Le second objectif de la loi Bichet était de sortir le secteur de la presse et de la distribution de la crise dans laquelle la pénurie de l'après-guerre l'avait placé.
Car c'est bien aussi d'efficacité économique qu'il s'agit lorsque l'on parle du système coopératif. Comme le disait Fernand Grenier, «cette organisation s'avère nécessaire pour grouper tous les titres dans un même envoi, ce qui permet une réduction énorme des frais de manutention, d'emballage et d'expédition. Seule elle rend possible la rationalisation des méthodes de travail. »
De fait, grâce à cette loi et au système coopératif, la France s'est trouvée à l'avant-garde dans le domaine de la distribution.
Cette efficacité économique était placée au service de la démocratie. Grâce au système coopératif, les titres les moins vendus ont pu bénéficier des moyens logistiques que la distribution des titres les plus vendus autorise au moindre coût. Grâce aux économies d'échelle, les coûts de distribution sur tout le territoire ont été lissés, permettant de garantir le droit à toute personne de lire le titre de son choix quel que soit son lieu de résidence.
En 1947, les parlementaires ont su prendre la mesure des enjeux et adopter une réforme fondamentale. En 2011, la crise de la presse appelle la même ambition : adopter une loi à la hauteur de la crise, porteuse de solutions pour les années à venir, qui puisse relever le défi du numérique.
Or la proposition de loi que nous examinons ce soir ne se situe pas du tout à ce niveau. Nous avions besoin de mesures ambitieuses : on nous répond par la mise sous tutelle du Conseil national des messageries de presse et par un encouragement masqué de la libre concurrence. En fait, on propose tout simplement de mettre en place le deuxième étage du rapport Cardoso. Hélas ! la crise de la presse ne trouvera pas de solution durable ce soir, et la démocratie ne sortira vraisemblablement pas renforcée de cette réforme, à moins que nos débats ne modifient considérablement la proposition de loi.
Quelle peut être la fonction d'un organe professionnel dont tous les actes sont placés sous la surveillance permanente de trois juges et d'un commissaire du gouvernement ? N'est-ce pas là un aveu d'échec ? N'est-ce pas dire : la composition, les compétences que nous proposons pour le Conseil sont insuffisantes et nous sommes dans l'obligation de le placer sous tutelle pour éviter les dérapages ?
On le voit bien, tout cela n'est pas sérieux. Plutôt qu'une tutelle, il est manifeste qu'il aurait fallu renforcer les compétences du CSMP, et la place de l'État et des salariés en son sein. Face aux intérêts pécuniaires d'entreprises tenues de s'entre-déchirer au nom de la concurrence libre et non faussée, leur présence aurait assurément été un facteur de progrès. Car nous devons l'affirmer sans ambiguïté : l'État ne doit pas se désengager de la distribution de la presse ; il ne doit pas la laisser sombrer dans les eaux glacées du calcul égoïste. La démocratie et le pluralisme ne se protègent pas avec le seul veto d'un commissaire du gouvernement.
Je parlais du renforcement clandestin de la libre concurrence dans la loi. Soyons francs ! Depuis au moins une bonne décennie, les effets néfastes du libéralisme se sont déjà fait sentir. Au lieu de coopérer pour développer le pluralisme de la presse, les gros éditeurs se livrent une guerre sans merci pour augmenter leurs parts de marché. Cela n'est pas sans lien avec la perte d'autorité du CSMP. Face aux intérêts pécuniaires, il faut plus que des chartes de bonnes pratiques ; il faut une véritable régulation.
Le renforcement des compétences du CSMP aurait ainsi pu aller dans le bon sens. Mais les ajouts du Sénat montrent le dessein coupable de cette proposition de loi. À quoi bon rappeler tout au long du titre II que les mesures prises le sont dans le respect des principes du système coopératif, si ces principes y sont dramatiquement remis en cause ? Le rappel des principes ne sert finalement que de caution bien-pensante aux partisans de l'ouverture à la concurrence. Cette loi ne fera que s'inscrire dans le long inventaire des lois de casse des acquis de la Résistance, votées par cette majorité.
Marcel Rogemont vient d'en parler, et nous avons été nombreux à le souligner lors de l'examen du texte en commission : cette proposition de loi porte plusieurs coups de canif à la loi Bichet. Je pense notamment à l'alinéa 26 de l'article 4 qui remet en cause les contrats d'exclusivité passés avec les messageries. Sans le dire, cet alinéa revient sur l'article 2 de la loi Bichet, qui impose le groupage des titres. En somme, tout l'édifice du système coopératif est menacé. Je m'explique. Si, à divers endroits, les éditeurs ont la possibilité de faire livrer plusieurs de leurs titres sans passer par une société de messagerie, certains d'entre eux seront tentés de le faire, comme cela est déjà arrivé par le passé. Un gros éditeur pourra alors obtenir des prix plus bas pour une partie des titres qu'il doit distribuer, et recourir aux sociétés coopératives pour la partie qui n'est pas rentable – François d'Orcival, président du syndicat professionnel de la presse magazine et d'opinion n'écrivait pas autre chose. Il pourra aussi, moyennant finances, favoriser la livraison de ses titres au détriment des autres.
Finalement, vous rendez au monde de l'argent son pouvoir d'avant-guerre, pouvoir que la loi Bichet s'était précisément donné pour objectif de briser.
L'ensemble des autres compétences données au CSMP va dans le même sens : réduction du réseau des dépôts avec, à la clef, nombre de licenciements ; encouragement de la vente des titres les plus lus au détriment des autres, qui n'ont pas pour autant moins de valeur ; modification des règles d'implantation des points de vente…
Tout cela aura pour conséquence de clouer au pilori les sociétés coopératives, dont nous connaissons tous la fragilité financière, et notamment la principale d'entre elles, Presstalis, qui assure seule la distribution de la presse quotidienne nationale, plus coûteuse que celle des autres publications.
Il est certain que de nombreux titres ne résisteront pas à la thérapie de choc que leur infligera cette proposition de loi. La presse d'opinion, déjà fragilisée, sera gravement menacée. Seuls ceux qui auront suffisamment d'argent pour pouvoir diffuser leurs journaux auront droit à la parole. Nous serons alors dans un système où le pluralisme des titres ne sera en rien garant du pluralisme des idées, pourtant si nécessaire au fonctionnement de notre démocratie.
L'heure est donc grave car, de coup de canif en coup de canif à la loi Bichet, nous nous dirigeons vers un libéralisme mortifère. Les députés, garants des droits inaliénables de tout individu au nom de la République, se doivent donc de rejeter ce texte en l'état.
L'avenir de la presse impose de ne pas en rester au statu quo et de prendre des mesures allant dans une tout autre direction que celles qui nous sont proposées.
En premier lieu, il faut renforcer les pouvoirs du CSMP, dont la composition doit être rénovée pour répondre à l'intérêt public et garantir de manière effective le pluralisme.
En second lieu, il faut veiller à limiter la concurrence dans ce secteur où elle met en danger l'égalité des citoyens dans l'accès à la presse et dégrade les conditions de travail des personnels. Il faut densifier le maillage du réseau pour pallier les défauts de livraison que nous connaissons actuellement et renforcer le service public – je pense notamment au rôle du service postal.
Enfin, il faut rendre contraignant l'article 4 de la Constitution, qui dispose : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions. » Ce principe doit trouver des applications financières concrètes que l'article 40 de la Constitution nous interdit de traduire dans la loi puisque nous ne pouvons pas défendre d'amendements en ce sens. En tout cas, chers collègues, nous ferions oeuvre utile en débattant de ce sujet plutôt que de cette proposition de loi.
En l'état actuel du texte, vous l'aurez compris, nous ne pourrons que voter contre.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, Robert Bichet pourrait être fier, il pourrait même faire des jaloux : quel ministre de la communication peut se vanter que la loi qui porte son nom, soit toujours appliquée, soixante-quatre après son adoption et qu'elle soit dans le même temps encensée par tous ? Il est d'ailleurs significatif de constater que plus on ampute sa loi, plus on loue Bichet !
Grâce à ce texte, des dizaines de journalistes et autres amoureux de la presse ont pu se lancer dans l'aventure que constitue la création d'un journal. Ils savaient pouvoir compter sur un système de distribution leur permettant de toucher un maximum de lecteurs.
Il fut une période où cette loi était citée comme modèle dans de nombreux pays, et il n'était pas rare que les NMPP reçoivent des délégations étrangères cherchant à s'en inspirer.
Il faut cependant avouer que les NMPP n'ont pas toujours été à la hauteur des attentes et qu'elles n'ont pas toujours joué un rôle de précurseur ou de visionnaire. On peut parler pêle-mêle de leur mauvaise gestion du réseau, du monopole sur les ventes des magasins, de l'absence de dynamisme commercial ou de la pléthore de salariés.
Lorsque, à la fin des années 1980, Hachette fit une OPA sur les NMPP, peu d'éditeurs s'en soucièrent montrant ainsi leur désintérêt pour la structure, et leur peu de considération pour la qualité de la distribution de leurs titres.
Aujourd'hui, tout le monde, me dit-on, est d'accord avec la proposition de loi que nous étudions et jure ses grands dieux que le monument national qu'est la loi Bichet n'est pas du tout remis en cause. Permettez-moi tout de même de vous dire que je fus un peu surpris lorsque je vis arriver cette proposition de loi au Sénat. Pourquoi d'ailleurs une proposition de loi et pas un projet de loi ? Car je ne doute pas que le Gouvernement soit l'instigateur de cette démarche. Entre autres bénéfices, un projet de loi nous aurait permis de disposer d'une étude d'impact qui nous aurait éclairés car, malgré une unanimité de façade, j'entends, comme vous, des voix discordantes qui me font douter du bien-fondé de ce texte, ou du moins de son bien fondé total.
Je m'interroge aussi : le Gouvernement n'aurait-il pas trouvé un moyen de réformer la distribution de la presse en y introduisant un cheval de Troie par la mise en place d'une nouvelle instance de régulation ? Ne détricote-t-il pas subrepticement la loi Bichet sous le couvert de cette proposition de loi ?
La situation de ce secteur, que je défends depuis des années…
…et que j'ai l'immodestie de prétendre connaître un peu, est toujours aussi inquiétante : La Tribune est en grève, Libération n'en est pas loin, France Soir est en mode survie, Les Échos inquiètent, les imprimeries sont plus ou moins en sursis, les diffuseurs de presse continuent à mourir et 485 points de vente ont disparu l'an passé.
Le seul point indéniablement positif de la proposition sur la distribution de la presse est l'entrée des diffuseurs au Conseil supérieur des messageries de presse : ils y compteront deux représentants.
Il est tout de même stupéfiant que pendant soixante-quatre ans ceux qui sont sur le terrain tous les jours, ceux dont les conditions de vie et de travail se sont terriblement dégradées ces dernières années, ceux qui sont amenés à jouer un rôle fondamental entre l'éditeur et le lecteur, aient été à ce point négligés et marginalisés. Il a fallu tout ce temps pour qu'ils entrent dans le CSMP. Et aujourd'hui, on continue de ne pas vouloir les rétribuer dignement : les promesses du Président de la République il y a deux ans et demi sont bien oubliées.
Je ne peux que souligner à nouveau le rôle fondamental que joue le marchand de journaux, aussi bien dans une grande ville que dans un village, où il est un élément essentiel du lien social.
Je m'interroge en revanche sur l'opportunité de réduire de trois à deux les représentants du personnel des messageries dans le CSMP new look. En cette période quelque peu agitée, alors que Presstalis a changé de statut la semaine dernière, est ce judicieux ?
M. le rapporteur a affirmé que les syndicats n'avaient pas émis de jugement négatif sur cette proposition de loi, la jugeant équilibrée. Ils sont pourtant en grève aujourd'hui.
À l'autre bout de la chaîne, les journalistes et particulièrement les pigistes connaissent aussi des conditions de vie précaires, comme si la presse avait ses métiers nobles et ses besogneux qu'on tolère à quelques tables de négociation.
Lors des états généraux de la presse, il y a deux ans et demi, j'appartenais au groupe de travail sur le thème « Quel avenir pour les métiers du journalisme ? », présidé par Bruno Frappat. Depuis, ce dernier a fait des propositions pour l'établissement d'une charte ou d'un code de déontologie. Hélas ! il vient de rendre son tablier devant l'intransigeance de certains patrons de presse.
À l'époque, le Président de la République lui-même avait pourtant parlé d'un code de déontologie qui créerait des devoirs et reconnaîtrait des droits : « L'État ne doit pas être en première ligne s'agissant de la déontologie […]. Mais dès lors qu'il s'apprête à consacrer des sommes importantes à la modernisation du secteur, il est fondé à veiller à ce que toutes les causes de la crise soient identifiées et donc traitées. » On pourrait revenir longuement sur la crise de confiance qui sévit entre les médias et leur public. Cela dit, 600 millions d'euros ont été distribués sans contrepartie. Exit le code Frappat !
Permettez-moi de conclure sur une question. Monsieur le rapporteur, au-delà de notre volonté de clarifier la gouvernance de ce secteur, en quoi cette proposition de loi va-t-elle changer quoi que ce soit à l'organisation de la presse, en quoi va-t-elle améliorer la qualité du service et les différentes étapes des niveaux de distribution, en quoi va-t-elle maintenir la possibilité pour chaque citoyen de trouver, quel que soit l'endroit où il se trouve, le journal qu'il souhaite lire ?
Voilà autant de débats que nous n'aurons pas puisque nous devons voter ce texte à la va-vite dans la version déjà adoptée par le Sénat, sans avoir la possibilité de voter aucun amendement. Ah ! monsieur le ministre, nous sommes bien loin du plaidoyer pour l'écrit que nous étions en droit d'espérer de vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, baisse tendancielle de la diffusion, déficit chronique de nombreux titres, disparition de journaux : les signes d'une crise profonde de la presse écrite se multiplient dans notre pays.
Confrontés à un redoutable effet de ciseaux entre la hausse des coûts d'un côté, et la baisse des recettes de l'autre, de nombreux journaux sont dans l'impasse économique.
Certes, la presse magazine est foisonnante, mais elle ne sera épargnée ni par la crise du marché publicitaire ni par la croissance du numérique.
Nécessaire à la liberté d'expression et d'information, l'écrit offre à ses lecteurs l'essentiel de ce qu'un homme doit savoir pour exercer pleinement sa responsabilité de citoyen.
Cependant, le mode actuel de régulation de ce secteur n'est pas efficace et il ne permet plus de sortir le système de la double crise, conjoncturelle et structurelle, dans laquelle il se trouve.
Il semble toutefois exister un véritable consensus parmi les acteurs de notre système coopératif de distribution de la presse pour réformer ce secteur. J'avais pu vérifier cette volonté de changement lors d'échanges avec différentes personnalités de la presse écrite. C'est pourquoi, après les états généraux de la presse, j'avais décidé de relancer un débat qui me semblait avoir été mis en veilleuse en déposant, en avril 2010, une proposition de loi visant à abroger la loi Bichet. En raison de cette initiative parlementaire, j'avais eu droit à l'envahissement de mon cabinet parlementaire par la CGT locale. Cette attitude montrait bien que, tel un docteur, j'avais appuyé là ou ça faisait mal.
En effet, les états généraux de la presse écrite, qui se sont tenus en 2008 et 2009, avaient permis de définir les axes d'une réforme nécessaire, mais l'impulsion politique manquait malheureusement. Le texte qui nous est présenté comble ce retard et je m'en félicite.
Comme l'avait dit le Président de la République : « Pour améliorer ce système, il faut mettre avant tout le diffuseur de presse au centre de la réforme ». Ainsi, dans le respect de la loi Bichet, cette proposition de loi met en place une gouvernance rénovée en rendant plus efficace la régulation du secteur. Elle le fait sans remettre en question la tradition d'autorégulation de la loi de 1947.
Ce texte nécessaire est fortement attendu par tous les acteurs du secteur, et ces derniers souhaitent le voir adopté le plus rapidement possible.
Les orientations de cette proposition de loi ont fait l'objet d'un travail aussi long qu'approfondi depuis la fin de l'année 2008, et un large consensus s'est dessiné autour des axes essentiels qui la composent.
Compte tenu de l'état dramatique dans lequel se trouve le secteur, il y a urgence à légiférer sur ce sujet et à mettre en oeuvre ce texte rapidement. C'est pourquoi, considérant que ce texte est bon, je me rallie pleinement aux propos du rapporteur en jugeant légitime et pertinente la volonté d'une adoption conforme.
La grève lancée aujourd'hui par le syndicat du Livre CGT afin de perturber la distribution et l'impression des quotidiens nationaux est un mauvais signal envoyé aussi bien à la représentation nationale qu'au débat démocratique. Étant donné l'impasse dans laquelle se trouve le secteur, il aurait été beaucoup plus constructif que ce syndicat mette autant d'énergie à proposer et à échanger que de vigueur à faire grève.
À l'heure de la conception assistée par ordinateur et d'Internet, nous sommes bien loin des lendemains de la Seconde Guerre mondiale. C'est pourquoi je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
En préambule, je veux préciser que Martine Martinel n'étant pas disponible, elle m'a demandé de la suppléer.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme tous, ici, je salue comme il convient l'apport qu'a constitué pour la presse française la loi Bichet de 1947, qui a montré sa pertinence pendant plus de soixante ans et a permis, grâce à un réseau de distribution efficace et juste, le développement dans notre pays de la presse magazine, qui est la plus prisée par nos concitoyens. Lors de la conception de cette loi, certains auraient préféré un système entièrement étatisé. Mais c'est le modèle coopératif qui a prévalu et qui a permis que ce texte soit adopté de manière consensuelle. Ainsi est né, en France, un système de distribution unique permettant l'accès aux titres nationaux en tout point de l'Hexagone.
Grâce à la loi Bichet, tous les titres, quel que soit leur poids économique, bénéficièrent d'une égalité de traitement au sein du nouveau système coopératif de distribution de la presse. À la différence de ce qui se passait chez la plupart de nos voisins européens, la loi a permis que les éditeurs ne soient pas contraints de créer leur propre réseau de distribution.
Mais il faut reconnaître que, si la loi Bichet a permis le pluralisme démocratique, elle a également profité aux groupes de presse étrangers, qui bénéficiaient des mêmes avantages que les groupes français, la réciproque n'étant pas vraie. Comme le fait observer judicieusement M. Pierre Sieurin, elle a ainsi permis à M. Axel Ganz, l'ex-patron du groupe allemand Prisma Presse, de lancer autant de titres qu'il voulait en France, cependant que les groupes français avaient les plus grandes difficultés à se développer en Allemagne.
Par ailleurs, l'attitude du lectorat a changé depuis quelques années, faisant chuter la vente au numéro. Les systèmes d'abonnement et de portage se sont développés, de même que la consultation, gratuite ou payante, des sites de nos grands quotidiens nationaux sur Internet. En outre, la distribution intempestive de journaux gratuits, qui ne sont que de déplorables mises en page de dépêches d'agence, n'a pas peu contribué à la baisse des ventes des titres du matin.
Aujourd'hui, notre système est à la fin d'un cycle et il convient de le revoir avec toute la prudence qu'impose la réforme d'une loi aussi emblématique.
C'est la raison pour laquelle nous devons conserver en l'état le titre Ier de la loi Bichet, qui a posé les conditions de la distribution de notre presse depuis 1947.
En revanche, et conformément au voeu de l'ensemble des acteurs du monde de la presse, il nous faut revoir la gouvernance de ce système.
L'ensemble de la profession s'accorde sur la nécessité de mettre en place un CSMP professionnalisé, garantissant la représentation de tous les acteurs de la profession. En contrepartie, celle-ci a entériné le principe de l'adossement au CSMP d'une autorité indépendante qui garantisse la légitimité de ses décisions en veillant au respect des principes d'indépendance et d'impartialité régissant la distribution de la presse.
Nous devons veiller à ce que l'un des objectifs fondamentaux de la régulation du secteur de la distribution de la presse réside dans la préservation de ses équilibres mutualistes et le respect des principes de solidarité coopérative. Il faut par conséquent impérativement exclure, s'agissant des conditions de dérogation à l'exclusivité des contrats de groupage qu'encadrera le CSMP, l'hypothèse d'une situation où l'éditeur réserverait la part la moins rentable de sa distribution au système coopératif, tout en assurant à meilleur coût la distribution de sa part la plus rentable.
Il faut également prévenir les risques de contournement du dispositif par les éditeurs des messageries de presse en vue d'assurer eux-mêmes les activités de distribution les plus rentables et prévenir les risques de remise en cause des équilibres économiques du système coopératif basé sur la mutualisation des coûts.
Nous devons enfin assurer la vitalité des niveaux 2 et 3 de la distribution de la presse, dont la représentation est minoritaire au sein du CSMP. Rappelons que le niveau 3 de cette distribution – notre marchand de journaux ou notre kiosquier – est le parent pauvre de la régulation du secteur et se retrouve tout en bas de la chaîne de valeur de la distribution. Plusieurs centaines de points de vente ferment ainsi définitivement chaque année.
Il faut donc réformer, mais en s'assurant que cette réforme est consensuelle. Or, en l'état actuel des choses, des zones d'ombre, des zones de flou ne nous permettent pas de voter cette proposition de loi.
On l'aura compris, nous souhaitons que l'accès aux titres de presse en tout lieu de notre pays puisse continuer d'être une réalité. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un certain nombre d'amendements qu'il nous semble particulièrement important d'adopter si nous ne voulons pas que la modification de la loi Bichet permette aux éditeurs de s'affranchir des règles saines et justes d'égalité et de mutualité. Ces amendements permettraient de parfaire ce texte, qui laisse planer un doute sur le respect des principes fondamentaux de la loi Bichet, en introduisant une distribution non exclusive de la presse. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vous apprendrai rien en disant que la presse française va mal. De nombreux colloques, réunions et états généraux ont été organisés pour débattre de la situation et chercher des solutions. La distribution a été identifiée comme l'un des nombreux problèmes. Le texte qui nous est présenté est le fruit d'une concertation de l'ensemble de la filière. On nous dit qu'il fait l'unanimité, mais il serait souhaitable que l'on entende aussi les inquiétudes de ceux qui ont émis des réserves et que l'on tienne compte de leurs remarques.
Je partage pleinement la volonté de préserver l'esprit et les objectifs de la loi Bichet ; c'est un impératif démocratique.
Ce qui doit évoluer, ce sont les modalités. Le monopole d'État, qui pouvait être en vogue en 1947, n'est pas forcément la seule voie possible. C'est à la profession de faire ses choix, mais la loi ne doit pas fermer de portes. De ce point de vue, le texte qui nous est présenté est satisfaisant. Renforcer les pouvoirs de l'autorité de régulation est une bonne chose, car il y a beaucoup de travail.
L'un des points noirs – je n'ai pas peur de le dire ici clairement – est l'attitude du syndicat CGT des ouvriers du Livre, qui bloque systématiquement toute évolution par des méthodes absolument inacceptables. Tant que l'on n'aura pas réglé ce problème, on ne pourra pas avancer.
Parmi les chantiers qui attendent l'autorité de régulation, il en est un qui me tient particulièrement à coeur : l'affichage publicitaire sur les lieux de vente, notamment la place de la pornographie. Il est en effet absolument inacceptable que l'on puisse continuer à exposer des images clairement pornographiques au vu et au su de tous, y compris des enfants. Je sais que c'est un détail, mais si l'autorité de régulation a enfin de véritables pouvoirs, elle devra régler ce problème au plus vite.
Plus globalement, le déclin de la presse écrite en France pose un véritable problème, et ce n'est pas une réforme de la régulation de la distribution qui y changera quoi que ce soit. Le mal est plus profond et appelle une véritable réforme, qui aurait d'ailleurs dû être menée depuis bien longtemps. On accuse souvent Internet d'être responsable de cette crise. C'est en partie vrai, Internet ayant cassé le modèle économique de la presse, qui permettait de subventionner certains secteurs, comme l'investigation ou l'analyse de fond, par les petites annonces et les informations dites de vie quotidienne. Dès lors que cette péréquation cesse, il faut trouver un autre modèle économique pour continuer à financer l'investigation, l'information généraliste, et permettre le maintien d'un pluralisme d'opinion.
Jusqu'ici, la seule solution qui a été présentée est l'augmentation des subventions d'État. Or cela ne durera qu'un temps et la limite finira bien vite par être atteinte. Le remède est même toxique, car il empêche la remise en cause d'une presse française qui, héritière d'une longue tradition, privilégie trop souvent l'opinion par rapport à l'information, l'éditorial par rapport à la description neutre et équilibrée des faits. Lorsqu'on écoute les lecteurs – qui s'expriment très largement sur Internet –, on s'aperçoit que le problème réside dans la qualité déficiente de l'offre. Nombre de Français ne veulent plus d'une presse militante, qui entend leur dicter ce qu'il faut penser. Une remise en cause fondamentale est donc nécessaire, qui ne peut venir que des journalistes et de l'ensemble de la profession.
En continuant à renflouer le vieux modèle, on retarde le moment où la profession sera réellement au pied du mur et devra se poser très sérieusement la question d'une mutation dont beaucoup ne veulent pas. On en est encore sans doute loin, et c'est bien dommage.
La crise de la presse écrite n'est en rien une fatalité ou un problème universel ; cette presse doit s'adapter, comme d'autres secteurs de l'économie ont su le faire. Il suffit de regarder ce qui se passe de l'autre coté de la Manche : la presse anglaise, qui a su se remettre en cause, se porte bien mieux économiquement que notre presse nationale.
Je ne suis pas certain qu'il faille imiter en tout la presse anglaise !
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue sénateur M. Legendre est relative à la régulation du système de distribution de la presse. Une fois de plus, la majorité a choisi de passer par une proposition de loi, évitant ainsi soigneusement au Gouvernement le dépôt d'un projet de loi, qui l'aurait obligé à recueillir l'avis du Conseil d'État et à présenter une étude d'impact. Quant aux conditions d'examen de cette proposition de loi, elles sont difficilement acceptables. En effet, la majorité ayant la volonté de l'adopter conforme dès la première lecture en session extraordinaire, il est interdit aux députés d'amender ce texte pourtant important.
Celui-ci est le fruit d'une concertation entre le secteur de la distribution de la presse, le président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, l'auteur du texte, Jacques Legendre, et le rapporteur « presse » de cette commission, David Assouline. Il modifie le titre II de la loi du 2 avril 1947, dite loi Bichet, en réformant la composition et les missions du Conseil supérieur des messageries de presse, et crée une nouvelle instance indépendante, l'Autorité de régulation de distribution de la presse, qui aura compétence aussi bien en matière de règlement des différends que de validation des normes édictées par le CSMP.
Ce texte se limite donc à rénover le mode de gestion et la régulation du secteur, sans toucher aux principes fondamentaux de la loi Bichet relative à la solidarité coopérative. Il entend privilégier ainsi une voie médiane entre les préconisations du Livre vert des états généraux de la presse et celles du rapport Lasserre.
Loin de régler l'ensemble des problèmes de distribution de la presse, il ne modifie qu'à la marge la loi Bichet pour réformer le statut et la gestion du secteur du Conseil supérieur des messageries de presse et élargir ses pouvoirs. L'Autorité de régulation de distribution de la presse, qui est une instance exécutoire et d'arbitrage, ne disposant d'aucun pouvoir normatif, est créée. Le CSMP se trouve donc renforcé dans ses pouvoirs et son indépendance, alors qu'est créée une Autorité indépendante aux pouvoirs très limités.
La loi de 1947 garantit à tout éditeur de presse de voir son ou ses titres distribués. Elle définit le rôle, le statut et le mode de gestion des sociétés de messageries de presse. Son titre II a créé le Conseil supérieur des messageries de presse. Aucune instance décisionnelle et de règlement des litiges opposant les distributeurs et leurs clients n'avait été prévue.
Le Conseil supérieur des messageries de presse, dont les missions sont définies par les articles 17 et 18 de la loi de 1947, est une instance de contrôle financier et de conseil dans le secteur de la distribution et du transport de la presse. Il s'agit donc de l'organe consultatif de la profession, qui émet des avis, fournit des études et coordonne les moyens de transport à longue distance des sociétés de messagerie. Il a par ailleurs mis en place une commission d'organisation de la vente, qui est chargée du réseau de diffusion.
En vertu de ces dispositions, il existe aujourd'hui en France deux sociétés de messagerie : Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse.
Les différentes consultations effectuées depuis quelques années ont mis au jour les limites du système de contrôle, exposées dans le Livre vert des états généraux de la presse de 2008, ainsi que dans le rapport de Bruno Lasserre de juillet 2009, rédigé à la demande du Président de la République. Dans les conclusions de son rapport, Bruno Lasserre a particulièrement recommandé la création d'une instance de régulation ne se limitant pas aux seules sociétés de messagerie, mais intervenant sur un secteur plus large incluant, outre les messageries, les dépositaires et diffuseurs.
Le système français de distribution de la presse est actuellement au bord de l'explosion. Presstalis est dans une situation financière délicate et les deux messageries se trouvent, de fait, en situation de concurrence même si, en théorie, Presstalis distribue les quotidiens et les MLP plutôt la presse magazine. Tout différend se solde par des mouvements sociaux ou de longues procédures judiciaires. De nombreux quotidiens songent à quitter Presstalis, à l'instar du Parisien, qui veut se faire distribuer par son propre réseau. Les contentieux apparus autour de la distribution de la presse par les deux sociétés de messageries sont nombreux.
Si Presstalis se sent à l'aise au Conseil supérieur des messageries de presse, où son influence est importante, les MLP, acteur plus jeune, distribuant la seule presse magazine, c'est-à-dire l'activité qui rapporte le plus, souhaitent davantage de transparence et comptent sur l'action de l'autorité de régulation. Les responsables de la presse quotidienne régionale sont quant à eux soucieux de s'assurer que le texte ne passe pas sous silence l'existence d'autres systèmes autonomes de distribution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, très attachés à la loi Bichet, qui a eu pour objet, dès l'origine, de protéger la liberté de la diffusion de la presse, nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'aider la presse écrite, dont la situation est aujourd'hui difficile.
De ce point de vue, de très nombreux sujets méritent notre attention, qu'il s'agisse des relations entre la presse écrite et l'Agence France Presse, des problèmes de fiscalité – notamment de TVA sur la presse numérique – ou encore de la volonté d'éviter la précarisation des acteurs de la presse écrite, en particulier les journalistes et les pigistes.
Nous partageons le constat selon lequel le secteur de la distribution est aujourd'hui exposé à des déséquilibres majeurs. Dans le circuit de distribution, les diffuseurs – marchands de journaux, petits kiosquiers – sont en grande difficulté et apparaissent, depuis longtemps, comme les parents pauvres de la régulation.
Par ailleurs, les messageries connaissent aussi des difficultés financières considérables, qui ne leur permettent plus de rester fidèles à la logique de mutualisation des coûts et à cette solidarité coopérative pour laquelle elles avaient été créées et que nous souhaitons maintenir. Ce constat commun est très largement partagé par nombre d'acteurs de terrain.
Cela étant, nous émettons des réserves sur la méthode choisie pour le vote de ce texte. Nous sommes en effet saisis d'une proposition de loi qui vient du Sénat, ce qui nous amène à légiférer, comme sur la question du patrimoine monumental de l'État, sans aucune étude d'impact.
Ainsi, sous couvert de la nécessité d'adopter ce texte conforme dès la fin de la session, ce premier coup de canif porté à la loi Bichet – pour reprendre l'expression de notre collègue Marcel Rogemont –…
…n'annoncerait-il pas sa fin prochaine ?
À ce stade de notre discussion, il est utile de rappeler que la loi Bichet a permis à tous les journaux, des plus populaires aux plus confidentiels, d'être distribués partout sur notre territoire. Si, désormais, les éditeurs ne sont plus obligés de se regrouper en coopérative pour leur distribution commune, cela se fera au profit des grands groupes de presse, tandis que d'autres, plus petits, seront obligés de faire des choix et parfois de ne plus être distribués dans certaines zones, en particulier dans les zones rurales, ce que nous ne cessons de dénoncer.
En protégeant les réseaux de distribution, monsieur le ministre, notre objectif est de créer les conditions d'amélioration d'un secteur clé de notre vie démocratique : la libre circulation des idées et des opinions. C'est pourquoi, à notre tour, nous proposons notamment de rénover et de renforcer le rôle du Conseil supérieur des messageries de presse, dans sa composition et dans ses missions, afin de le professionnaliser.
Alors que le rapport Lasserre plaidait pour confier la régulation de la distribution à une autorité administrative indépendante, le Sénat a fait un autre choix, celui d'une responsabilité partagée. Nous sommes surpris par cette mesure qui, si elle renforce la prééminence du rôle du CSMP, donne un pouvoir inquiétant à une nouvelle autorité de régulation.
Au regard des inquiétudes suscitées par cette proposition de loi au sein de la profession, nous ne pouvons pas la voter en l'état. Nous proposerons donc des amendements afin de l'enrichir et surtout afin de préserver les principes fondamentaux figurant dans la loi de 1947. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais souligner qu'il est étonnant de constater qu'une nouvelle autorité administrative indépendante va être créée, alors même que le Président de la République n'a de cesse de critiquer la multiplication de ces instances ayant pour objet le démembrement de l'administration centrale et des responsabilités politiques qui doivent être assumées par l'État.
Depuis 2007, ont été créés la Commission nationale consultative des droits de l'homme le 5 mars 2007 ; un Contrôleur général des lieux de privation de liberté le 30 octobre 2007 ; une Autorité de la concurrence le 4 août 2008 ; la Commission nationale d'aménagement commercial le 4 août 2008 ; une Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet le 12 juin 2009 ; une Autorité de la régulation des activités ferroviaires le 8 décembre 2009 ; une Autorité de la régulation des jeux en ligne le 12 mai 2010 ; une Autorité du contrôle prudentiel le 21 janvier 2010 ; le Défenseur des droits le 29 mars 2011.
Avec cette nouvelle autorité indépendante, il en aura été créé deux par an depuis 2007, et l'année 2011 n'est pas terminée. J'aimerais savoir quand le Gouvernement mettra effectivement en oeuvre la parole du Président de la République sur la limitation du nombre des autorités indépendantes.
Je suis saisie d'un amendement n° 4 , visant à la suppression de l'article 2.
La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Je voudrais, moi aussi, regretter que nous discutions de l'avenir de notre presse à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi qui n'aborde que deux aspects du problème, à savoir les messageries et la gouvernance. Par ailleurs, le fait qu'il s'agisse d'une proposition de loi ne nous permet pas de disposer d'études d'impact, notamment en ce qui concerne les conséquences de la création de l'Autorité de régulation.
Si on a évoqué un consensus quant à la nécessité de réformer la gouvernance, il me semble que répondre à cette question en mettant sous tutelle le Conseil supérieur des messageries ne permettra pas de résoudre les problèmes de fond. Nous proposons donc la suppression de cet article.
La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet,rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, pour donner l'avis de la commission sur cet amendement.
Si vous me le permettez, madame la présidente, je voudrais revenir un instant à ce qui a été dit lors de la discussion générale. Je remercie mes collègues de la majorité, qui ont souligné l'importance, l'urgence et l'équilibre du texte, mais je salue également la modération dont ont su faire preuve nos collègues socialistes dans leurs propos. Sans doute faisons-nous un constat commun de la situation actuelle et de l'impossibilité de rester dans le statu quo – dont la présente proposition de loi nous offre un moyen de sortir.
J'ai tout de même noté des contradictions chez certains orateurs, qui manifestent leur impatience de sortir du statu quo tout en protestant contre le fait que le texte porterait la marque d'une certaine précipitation ; en fait, ce texte a été longuement mûri, réfléchi et travaillé. De même, certains disent que l'on n'a pas fait grand-chose depuis les états généraux de la presse de 2009 et qu'il est temps de s'attaquer à la réforme de la distribution ; ils regrettent qu'il ne soit pas procédé à une étude d'impact. Je considère pour ma part qu'il s'agit d'un texte très technique qui ne nécessite pas de procéder à une étude d'impact, rendue inutile par l'existence du Livre vert et du constat partagé par tous les professionnels de la distribution.
Par ailleurs, certains ont regretté qu'il ne soit pas possible de voter des amendements ou de s'exprimer sur le texte. Je rappelle que des amendements de bon sens ont été portés par le rapporteur socialiste au Sénat et soutenus par le Gouvernement et la majorité sénatoriale, ce qui a permis de parvenir à un texte équilibré.
Certains ont évoqué la nécessité d'une mutualisation de la distribution entre la presse quotidienne nationale et la presse quotidienne régionale.
Nous partageons cette idée et allons pouvoir profiter de l'opportunité que représente ce texte équilibré pour la mettre en oeuvre.
Pour ce qui est de la création d'une autorité administrative indépendante, Marcel Rogemont a dressé une liste impressionnante d'autorités indépendantes créées depuis 2007. Je vous rappelle, mon cher collègue, qu'il s'agit en l'occurrence d'une toute petite autorité de régulation, puisqu'elle n'est composée que de trois magistrats.
Certes, mais si nous voulons donner une force juridique au Conseil supérieur des messageries et des presses parisiennes, il faut bien qu'une autorité puisse appliquer les textes et imposer des décisions à l'ensemble du secteur, sans garantie et sans contrôle de l'État. Dans la mesure où une simple instance professionnelle ne pourrait remplir ce rôle, une autorité a été constituée a minima, avec seulement trois magistrats, dont l'un est élu président.
J'insiste, madame Buffet, sur le fait que cette autorité bienveillante ne mettra en aucun cas le CSMP sous tutelle. La gouvernance sera bicéphale, équilibrée et, comme l'a dit Marcel Rogemont, il vaut mieux que les professionnels et l'autorité de régulation donnent tous deux un avis, sans que l'autorité de l'un prévale sur celle de l'autre.
Pour ce qui est de l'amendement de suppression de notre collègue Marie-George Buffet, je considère qu'en supprimant l'article 2, nous mettrions en cause le coeur même du texte. Au vu du consensus de l'ensemble des professionnels, la commission ne peut accepter cet amendement et a donc émis un avis défavorable.
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
L'amendement proposé, qui vise à la suppression de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, conduit à rompre l'équilibre instauré par le nouveau dispositif qui, comme l'a souligné M. le rapporteur, résulte d'une concertation très large entre tous les acteurs de la distribution de la presse. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
Je veux tout de même réagir à l'affirmation, répétée à plusieurs reprises, selon laquelle un consensus réunirait l'ensemble des professionnels. On a parfois l'impression que les salariés qui sont aujourd'hui en mouvement n'appartiennent pas vraiment au secteur de la presse…
Il n'y a aucune raison de mettre en cause un syndicat comme vous le faites : c'est une attitude indigne d'un parlementaire dans une démocratie ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Pour ma part, j'estime que les salariés de la presse font partie des professionnels de la presse…
…et qu'il faut entendre leur inquiétude, comme celle du syndicat professionnel de la presse magazine et d'opinion. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Allons, mes chers collègues ! Seule Mme Buffet a la parole pour le moment, mais si vous voulez la prendre à votre tour, je peux vous la donner. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
(L'amendement n° 4 n'est pas adopté.)
(L'article 2 est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 5 .
La parole est à Mme Marie-George Buffet.
L'article 3 porte sur la composition du Conseil supérieur des messageries de presse ; cet amendement vise à rétablir la présence de l'État en son sein. En effet, il paraît normal que l'ensemble des services publics dont l'État se porte garant coopèrent avec les sociétés de messagerie. De plus, l'État peut être force de projet, de proposition.
Remplacer la présence de l'État par un simple commissaire du Gouvernement enverrait un signal négatif à la profession.
Il faut, je crois, savoir évoluer : comme l'a dit Marcel Rogemont, ce texte n'est pas une révolution, mais une évolution. Sept ministères, et trois représentants du secteur des transports – SNCF, Air France et les transporteurs routiers –, étaient auparavant présents dans le Conseil supérieur des messageries de la presse. Nous avons voulu recentrer le rôle du CSMP en le confiant à des professionnels directement concernés ; mais le départ des sept ministères du Conseil ne signifie en rien qu'il y aura un désengagement de l'État.
Un commissaire du Gouvernement sera présent et pourra demander une nouvelle délibération au CSMP. Il contrôle l'exercice par le CSMP de son droit de veto sur les décisions des messageries qui pourraient mettre en péril leur caractère coopératif ou leur équilibre financier.
Ce texte ne touche absolument pas, je le rappelle, à l'article 1er de la loi Bichet ; nous respectons les équilibres économiques et financiers du système coopératif. À chaque fois, et plusieurs amendements l'ont rappelé, le texte protège ce système.
Enfin, l'ARDP interviendra en aval du CSMP, pour donner ou non force exécutoire aux décisions prises. Là encore, il y aura des allers et retours ; un équilibre s'établira entre l'Autorité de régulation et le CSMP, qui prendra désormais toutes ses responsabilités en tant qu'instance regroupant exclusivement des professionnels, mais aussi tous les professionnels – pour la première fois, cela a été rappelé, les diffuseurs de presse siégeront en effet au CSMP.
Avis défavorable.
Cet amendement vise à réintroduire des représentants de l'État au sein du CSMP. Cela serait contraire à la philosophie de la proposition de loi, qui vise à séparer une instance professionnelle et une autorité administrative.
Le nouvel article 18-4 dispose qu'un commissaire du Gouvernement « est désigné par le ministre chargé de la communication pour siéger auprès du Conseil supérieur des messageries de presse avec voix consultative. » Or la présence auprès du CSMP de ce commissaire du Gouvernement, doté – comme l'a rappelé le rapporteur – de larges pouvoirs, et la création de l'ARDP, instance composée de magistrats, garantiront que la régulation et la distribution de la presse s'effectuent dans le respect des principes de la loi Bichet et de l'intérêt général.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
(L'amendement n° 5 n'est pas adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 6 .
La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Monsieur le ministre, j'ai bien entendu votre réponse, mais je crois que la symbolique de la présence de l'État, grâce à ces ministères, dans le Conseil chargé d'assurer le droit à chaque citoyenne et à chaque citoyen d'accéder à la lecture de leur choix, quel que soit leur lieu de résidence, était un signe fort de son implication.
Le retrait des représentants de l'État est, je crois, tout à fait regrettable ; il présage certainement un désengagement encore un peu plus fort.
Parallèlement, le nombre des représentants des salariés est passé de trois à deux. Vous me répondrez que le nombre des membres du Conseil diminue, et qu'il est donc normal de diminuer le nombre des représentants des salariés. J'estime au contraire qu'il faudrait donner de nouveaux pouvoirs aux salariés dans la gestion des entreprises, ce qui permettrait certainement à beaucoup d'entre elles d'être mieux gérées qu'elles ne le sont aujourd'hui. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Décidément, la simple mention des salariés fait réagir certains !
Il serait donc nécessaire de porter le nombre des représentants des salariés de deux à trois.
Cette proposition perturberait l'équilibre général du CSMP. Auparavant, les représentants des salariés étaient trois sur vingt-sept, soit 10 % du Conseil ; avec ce texte, il y aura vingt membres, dont deux représentants des salariés, soit toujours 10 %.
Salariés, dépositaires et diffuseurs disposent chacun de deux représentants, ce qui représente un bon équilibre. Il serait illogique que le nombre de représentants des salariés soit supérieur à celui des représentants des dépositaires de presse, qui représentent 150 entreprises et quelques milliers d'emplois, et des diffuseurs, qui représentent 30 000 points de vente.
Enfin, si nous augmentions le nombre des représentants des salariés, ceux-ci seraient assez nombreux pour que leur absence mette en danger le quorum ; or le CSMP sera appelé à travailler beaucoup plus souvent que par le passé, et nous ne pouvons pas prendre le risque d'un blocage institutionnel.
La commission a donc émis un avis défavorable.
La proposition de loi a pour objet, nous l'avons vu, de réduire le nombre des membres du CSMP. Les représentants des salariés ne seront certes que deux au lieu de trois, mais cette réduction est, comme l'a dit M. le rapporteur, proportionnelle à la réduction globale du nombre des membres du Conseil, qui étaient vingt-sept et ne seront plus que vingt.
De plus, une augmentation du nombre de représentants des salariés impliquerait d'augmenter également celle des dépositaires et des diffuseurs, et nous reviendrions à un effectif trop important.
Enfin, le CSMP est une instance de régulation au service des éditeurs de presse. Il est normal que ceux-ci soient plus largement représentés, afin de préserver le pluralisme et la diversité des acteurs.
(L'amendement n° 6 n'est pas adopté.)
(L'article 3 est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 7 .
La parole est à Mme Marie-George Buffet.
L'amendement est défendu.
(L'amendement n° 7 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Soyons clairs : j'ai entendu dire des choses qui n'étaient pas exactes tout à l'heure, mais je n'y reviens pas.
Chacun s'accorde à considérer que la presse est aujourd'hui dans une situation très difficile, tant du point de vue de son impression et de sa distribution que sans doute de son éthique. Sur ce dernier aspect, une charte de déontologie permettrait peut-être de corriger les problèmes.
Nous abordons aujourd'hui le problème de la distribution. Ne touchons pas aux principes fondamentaux de la loi Bichet ! Il faut bien réfléchir avant de prendre le risque d'organiser des concurrences déloyales.
Dans les zones rurales, comme Mme Boulestin l'a dit tout à l'heure, la situation est difficile, donc on fera appel aux coopératives – auxquelles on reprochera ensuite de mal s'organiser et d'être déficitaires ; mais chaque fois que l'on pourra échapper aux coopératives, on fera du business. Ce sont les habitudes du libéralisme, mais c'est trop facile !
Il faut donc se demander : la règle sera-t-elle la coopération, ou bien va-t-on un coup respecter la loi Bichet quand il n'y a pas d'argent à gagner, un coup l'oublier quand on peut faire du profit ?
Réfléchissez bien à cet aspect. Car, j'en suis bien d'accord, il ne peut pas y avoir chez chaque marchand de journaux 600 ou 700 journaux dont beaucoup ne sont même pas ouverts et repartent le soir ; mais la presse indépendante, la presse d'opinion, la presse quotidienne ou hebdomadaire, c'est différent.
Nous risquons d'en arriver assez vite à une concentration, où seuls deux ou trois journaux seront distribués. Or, si une telle chose arrive, personne ne sera gagnant.
Notre amendement demande donc la suppression de l'alinéa 26, et le rapporteur, j'en suis sûr, le reprendra à son compte.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour défendre l'amendement n° 8 .
Nous sommes ici au coeur des problèmes posés par cette proposition de loi. L'alinéa 26 pourrait en effet permettre que des éditeurs utilisent des messageries pour tous les points de vente d'accès difficile, ou pour les quotidiens d'opinion nationaux, tout en se servant de diffuseurs privés pour les titres les plus rentables.
Non seulement cela créerait une distorsion, une inégalité d'accès pour les citoyens, mais à court ou à moyen terme cela représenterait aussi la fin des messageries : cantonnées aux distributions les moins rentables, elles ne pourraient pas tenir le choc. Ce serait la fin des conditions actuelles de distribution de la presse quotidienne nationale en particulier. Cela représenterait aussi de nombreuses suppressions d'emplois.
Nous demandons donc, comme nos collègues socialistes, ce qui montre l'importance de cette question, la suppression de l'alinéa 26.
Je comprends les inquiétudes, mais je vais essayer de vous convaincre que ces amendements ne sont pas nécessaires.
D'abord, et contrairement à ce que vous avez dit, cet alinéa ne constitue pas un coup de canif à la loi Bichet, bien au contraire. La loi Bichet n'oblige absolument pas les éditeurs à utiliser une messagerie ; la liberté de distribution est même reconnue par son article 1er, que nous ne souhaitons pas remettre en cause aujourd'hui. Veut-on remettre en cause ces principes ? Ce n'est pas, je crois, ce que vous demandez, ni l'un ni l'autre.
Ensuite, les éventuelles clauses d'exclusivité sont déjà prévues par les contrats de groupage de distribution, qui sont librement négociés entre les éditeurs et les messageries. Veut-on aujourd'hui – alors que chacun reconnaît que la situation économique est catastrophique – remettre en cause ces accords librement consentis, notamment entre Presstalis et certains éditeurs ? Ce n'est certainement pas votre souhait.
Il faut bien reconnaître que des modes de distribution alternatifs peuvent mettre en péril des coopératives de presse. Si toute la diffusion rentable est confiée à d'autres que les messageries, et qu'on ne laisse à ces dernières que les distributions non rentables, le risque existe.
Mais, dans sa grande sagesse, le Sénat – avec son rapporteur socialiste – a amendé l'alinéa 26, afin de protéger au mieux l'équilibre actuel.
L'alinéa 26 dispose que le CSMP « définit les conditions d'une distribution non exclusive par une messagerie de presse » ; et le Sénat a ajouté – avec bien évidemment l'aval du Gouvernement : « dans le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques des sociétés coopératives de messageries de presse ». Autrement dit, on ne peut pas confier ce qui est rentable à des entreprises extérieures et laisser ce qui ne l'est pas aux coopératives.
Cet amendement, voté je crois à l'unanimité au Sénat, me semble apporter toutes les garanties nécessaires.
Pourquoi s'interdire toute évolution ? Nous sommes tous d'accord, nous l'avons dit, pour une mutualisation des réseaux de PQN et de PQR. Nous pourrions également donner accès à des services que les messageries ne souhaiteraient pas assurer après avoir été dûment sollicitées par le CSMP, comme le prévoit le texte. Toute initiative particulière d'un éditeur ou d'un réseau de distribution devrait obtenir l'accord préalable du CSMP. Autrement dit, on ne peut pas, de sa propre initiative, s'affranchir d'une distribution nouvelle.
En tout état de cause, et l'alinéa le mentionne bien, c'est le CSMP qui va définir les conditions d'une distribution. Faisons confiance aux professionnels, qui n'ont pas intérêt à s'amputer d'un bras : au moment où l'organisme ne marche pas très bien, ils ne vont pas eux-mêmes favoriser la distribution des titres rentables à l'extérieur ou dans d'autres conditions.
Toutes les garanties sont donc réunies. J'espère vous avoir convaincu que l'alinéa 26, tout en apportant des possibilités d'évolution, protège le système coopératif et l'équilibre économique des coopératives.
Avis défavorable.
Comme je ne suis pas absolument certain que, malgré sa parfaite connaissance du dossier et sa maîtrise technique de tous ses aspects, le rapporteur ait complètement convaincu les honorables parlementaires qui ont présenté les amendements, je me sens obligé de passer le surligneur en indiquant que le Gouvernement est également défavorable à leur adoption.
L'alinéa 26 de l'article 4, que ces amendements tendent à supprimer, confie au CSMP le soin de définir les conditions d'une distribution non exclusive. Cela permettra d'encadrer la distribution de la presse quotidienne nationale par les entreprises de la presse quotidienne régionale, ce qui est un enjeu crucial pour les années qui viennent. Le système actuel est extrêmement coûteux. Il gagnerait, dans l'intérêt de tous, à être rationalisé.
Des garde-fous ont été introduits par l'excellent sénateur socialiste David Assouline pour garantir que cette souplesse n'ait pas pour effet de déséquilibrer l'économie des coopératives, en particulier les principes de solidarité entre titres, qui sont au coeur de la loi et des missions aussi bien du CSMP que de la nouvelle autorité indépendante, l'ARDP.
Je risque de n'être encensé ni par le rapporteur ni par le ministre, car ma position est légèrement différente de celle qu'ils défendent. J'assume cette impopularité.
Y a-t-il un quelconque obstacle à la mutualisation entre PQR et PQN ? Rien ne l'empêche puisque, aujourd'hui, cette mutualisation peut déjà exister.
Nous connaissons tous les travers du système coopératif : par exemple, il favorise la distribution de magazines à lectorat très modeste, voire quasi inexistant. Mais nous savons aussi quelles seraient les imperfections si ce système n'existait pas. Notre collègue Michel Françaix a évoqué le système libéral qui risque de se mettre en place pas à pas – c'est pourquoi nous parlons de coup de canif. Nous, les mauvais socialistes qui pensons différemment de vous, ne pouvons pas oublier les propos de Richard Mallié et sa proposition de loi,…
…qui laissent entendre que l'alinéa 26 n'est que le cheval de Troie pour aller un peu plus loin demain. C'est ce qui nous interroge et la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet alinéa.
Selon nous, un plus large débat est nécessaire pour nous permettre de dégager les tenants et aboutissants de cet alinéa avant qu'il ne soit adopté, si tant est qu'il doive l'être.
Je suis saisie d'un amendement n° 2 .
La parole est à Mme Colette Langlade.
Tel qu'il est rédigé, l'alinéa 26 est de nature à déstabiliser l'équilibre économique des messageries et pourrait remettre en cause le système coopératif de la distribution de la presse de la loi Bichet. Face à ces dysfonctionnements prévisibles, il convient de prévoir que le Conseil supérieur des messageries de presse traitera au cas par cas toute demande de dérogation en vue d'une distribution non exclusive ou d'une distribution directe de la presse.
Malgré la précaution prise par le rapporteur du texte au Sénat, rappelée par notre rapporteur, cet alinéa suscite des inquiétudes dans nos rangs. Plutôt que de veiller à l'aménagement de toute dérogation à l'exclusivité du groupage « dans le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques des sociétés coopératives de messageries de presse », nous préférons que le CSMP « statue au cas par cas pour toute demande de dérogation en vue d'une distribution indépendante du système coopératif ».
Je le redis, il n'est pas question que le système coopératif soit mis à mal par des recours à des modes de distribution hors du système coopératif. Cet amendement appelle trois observations de ma part.
La première est d'ordre juridique. La dérogation ici visée ne peut concerner la loi Bichet mais plutôt le contrat de groupage et de distribution librement consenti entre les deux grandes messageries françaises qui dominent le marché et les éditeurs. Ni les uns ni les autres nous n'avons envie de remettre en cause l'article 1er de la loi Bichet.
La deuxième observation est d'ordre pratique. Nous avons, en France, 30 000 diffuseurs de presse ou kiosquiers, 150 dépositaires et pas loin de 4 000 titres, donc des possibilités de combinaisons considérables. Comment le CSMP pourrait-il se pencher sur chacun des cas ? Il ne ferait plus que cela.
Et si chaque kiosquier, dépositaire de presse, éditeur et messagerie demande une exception ? Le CSMP n'aura plus le temps de se projeter dans l'avenir.
Il faut être raisonnable, mes chers collègues. Le CSMP doit donner un nouvel élan à la distribution de la presse et pas passer son temps à traiter les milliers de cas qui pourraient lui être soumis.
La troisième observation est d'ordre philosophique. Le système a été présenté par David Assouline comme d'application générale. Vous proposez de faire traiter les demandes au cas par cas par le CSMP. Alors qu'il est chargé d'organiser les professionnels, il se retrouverait juge et partie chaque fois qu'il serait sollicité par certains d'entre eux. À mon sens, on aboutirait à une situation pas très saine. Avis défavorable.
Je constate avec satisfaction que les auteurs de l'amendement et le Gouvernement poursuivent le même objectif : encadrer les conditions d'une distribution non exclusive de la presse. Malheureusement, la rédaction proposée me semble aboutir au résultat inverse de celui qui est recherché puisqu'elle supprime l'ensemble des garde-fous introduits par le Sénat, à savoir la nécessaire conciliation de cette nouvelle souplesse avec le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques des sociétés coopératives.
J'ajoute qu'une décision générale du CSMP sur ce sujet, telle que prévue par l'alinéa 26, pourra éventuellement donner lieu à la consultation publique prévue à l'article 18-6 bis, ce qui ne serait pas le cas de dérogations individuelles prises au cas par cas. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
À notre proposition de supprimer l'alinéa 26, vous avez répondu, monsieur le rapporteur, en nous incitant à faire confiance aux acteurs qui siègent au CSMP. Ils ne vont pas se couper un membre, avez-vous dit, et mettre en difficulté les messageries en demandant d'en faire sortir les distributions les plus rentables. Soit, nous pouvons l'entendre. Mais à la proposition de mes collègues socialistes de statuer au cas par cas, vous opposez que le CSMP n'aurait plus à faire que cela parce qu'il risquerait alors d'y avoir beaucoup de demandes d'exception.
C'est la confirmation que l'alinéa 26 est vraiment très dangereux, puisque vous-même pensez qu'il y aurait beaucoup de demandes d'exception pour utiliser la distribution la plus rentable au détriment des messageries.
Je suis saisie d'un amendement n° 3 .
La parole est à Mme Monique Boulestin.
Il s'agit encore d'un amendement de suppression, cette fois de l'alinéa 67 de l'article 4.
Pour éviter toute suspicion d'entente entre les sociétés coopératives de messageries, cet alinéa prévoit que l'autorité de régulation, avant la fin du premier semestre de chaque année et après consultation du CSMP, formule un avis sur l'évolution des conditions tarifaires des sociétés coopérative de messageries de presse.
La proposition de loi initiale ne prévoyait pas cette disposition qui traite d'un sujet très complexe. On est en droit de s'interroger sur cette limitation de la souveraineté des sociétés coopératives, alors que l'article 12 de la loi du 2 avril 1947 prévoit de soumettre les barèmes à l'approbation de leurs assemblées générales. J'en cite les termes : « Le barème des tarifs de messageries est soumis à l'approbation de l'assemblée générale. Il s'impose à toutes les entreprises de presse clientes de la société coopérative. »
Pourquoi alourdir un peu plus cette loi Bichet dont tout le monde a dit tant de bien ?
Vous proposez de supprimer la compétence de l'autorité de régulation à émettre un avis sur l'évolution des barèmes tarifaires des messageries. Je rappelle que l'alinéa 67 a été ajouté par le rapporteur socialiste au Sénat, M. David Assouline, qui y voyait deux intérêts : d'une part, éviter les ententes illicites entre les messageries, ce qui assure une protection supplémentaire pour le système de la distribution de la presse ; d'autre part, permettre un suivi des réformes en cours, puisque le rapport Lasserre préconisait une modification des barèmes tarifaires des deux messageries et une refonte générale. Il est bon que la puissance publique soit éclairée sur ces évolutions structurantes.
En outre, le texte ne prévoit qu'un simple avis. Il est donc exagéré de parler, comme dans l'exposé sommaire de l'amendement, de limitation de la souveraineté des sociétés coopératives. Dans la discussion générale, M. Rogemont a développé ce thème d'un avis sur un avis. Effectivement, c'est un équilibre où chacun peut donner un avis, pour garantir la protection des plus faibles dans le système de distribution de la presse.
Avis défavorable.
Le rapporteur a dit l'essentiel à ce sujet. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à l'amendement.
Il est toujours intéressant d'être à contre-courant : nous, nous voulons de la concurrence, et vous, vous n'en voulez pas. Vous expliquez qu'il y a un risque d'ententes illicites, mais tous ceux qui connaissent un peu le dossier savent bien que, en l'espace de cinq ans, Presstalis s'est fait prendre des parts de marché par l'autre coopérative, dont les débouchés sont plus étroits. Il s'agit donc de protéger le plus gros pour pouvoir continuer comme avant.
Tout à l'heure, un certain nombre de points ont montré qu'il ne fallait surtout pas aller trop vite. En tout cas, avec le rapporteur, nous sommes rassurés : l'évolution doit être d'une lenteur programmée.
Pourtant, voilà un élément qui pouvait donner un petit coup de fouet. Soit on décide que le système sera étatisé ; dans ce cas, il n'y aura qu'une seule coopérative et tout fonctionnera comme avant. Soit on considère au contraire qu'il faut introduire un peu de concurrence.
Monsieur le rapporteur, il s'agit d'un recul par rapport à ce que vous avez dit tout à l'heure.
Nous avons compris que l'urgence d'une fin de session, voire d'une fin de législature, nous imposait un vote conforme.
Cependant, vous conviendrez avec moi que l'urgence ne s'impose que rarement, et le plus souvent c'est une décision, en l'occurrence ici l'absence de décision, qui fait l'urgence.
Nous avons compris que le Gouvernement demandait aux députés de la majorité d'être les porteurs d'eau du Gouvernement, comme au Tour de France, et qu'ils transforment un projet de loi en proposition de loi pour éviter une partie du débat et une partie de l'information de l'Assemblée.
Où est la rénovation du Parlement lorsqu'il ne s'agit ici même que d'une vassalisation ?
Nous avons compris que le Président de la République clamait sans cesse son intention de simplifier la République, de réduire le nombre des autorités indépendantes, qui ne sont que des démembrements du pouvoir politique. Au lieu d'en supprimer, vous en créez toujours plus. Mais il est vrai que le nombre de fonctionnaires devenant insuffisant pour assumer les responsabilités de l'État, vous devez effectivement vous en remettre à ces autorités.
Nous avons compris aussi qu'il devient nécessaire, voire impératif, de se mobiliser pour une gouvernance plus efficace de la presse, mais que l'affirmation de cette nécessité ne rendait pas pour autant nécessaire un coup de canif au système coopératif, qui est au coeur même de la loi Bichet. Nous avons compris tout cela, mais nous ne comprenons pas que ce débat soit aussi furtif, bâclé, insuffisamment affirmé. Notre volonté de voter ce texte bute sur cette absence de débat.
Si nous ne votons pas ce texte, nous ne nous opposerons pas à ce qu'il puisse être voté. Notre abstention est positive, mais cela reste une abstention.
À travers l'examen de cette proposition de loi, nous discutons en fait de l'accès à l'information, au débat d'idées, de nos compatriotes.
Contrairement à ce que disait tout à l'heure l'un de nos collègues de la majorité, la presse, l'information, ce sont bien sûr les faits, mais aussi le commentaire des faits. C'est aussi l'éditorial, une pensée engagée. C'est tout cela que représente la presse française, notamment la presse d'opinion. C'est donc un enjeu pour la démocratie mais aussi un enjeu économique et social. Les messageries ont été très longtemps un outil moderne et efficace de la distribution de la presse. Aujourd'hui, elles sont menacées, comme le sont les salariés qui y travaillent.
Face à ces enjeux, la présente proposition de loi nous propose un début de désengagement de l'État, un encouragement à la mise en concurrence, comme on peut le voir à travers l'alinéa 26 de l'article 4. L'on sait très bien que l'application de cet alinéa creusera encore plus le déficit des messageries, et qu'il menacera même à terme leur existence. En fait, au-delà des messageries, c'est une menace sur le pluralisme de la presse qui est portée à travers ce texte.
Voilà pourquoi, le groupe GDR votera contre cette proposition de loi.
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)
Vote sur l'ensemble
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinq, est reprise à vingt-trois heures dix.)
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je suis particulièrement heureux que la proposition de loi de Mme la sénatrice Françoise Férat soit examinée aujourd'hui à l'Assemblée nationale.
Comme vous le savez, ce texte s'inscrit dans le prolongement des premiers transferts de monuments historiques de l'État vers des collectivités territoriales encadrés par la loi du 13 août 2004. Depuis lors, ce sont soixante-six monuments qui ont été transférés, avec une compensation des charges de personnels et de fonctionnement qui a donné satisfaction.
Les premiers bilans qualitatifs qui doivent être présentés par le Gouvernement cinq ans après les transferts sont en voie d'achèvement et s'appuieront sur les rapports annuels des collectivités bénéficiaires. Certains monuments concernés ont profité d'une belle croissance de fréquentation à la suite de ces transferts : je pense au cloître de Notre-Dame-en-Vaux, à Châlons-en-Champagne ou encore aux châteaux de Chaumont et de Tarascon.
Dans d'autres cas, les projets culturels de certains monuments tardent à aboutir et le gain pour leur meilleure mise en valeur n'est pas encore assuré. Il nous faut donc perfectionner le dispositif de transfert lancé en 2004 afin de le rendre plus efficace et plus cohérent. Cela est d'autant plus nécessaire que c'est cette fois l'ensemble du patrimoine de l'État, environ 1 750 monuments, qui est concerné par cette proposition de loi.
La discussion de ce texte au Sénat a abouti à une proposition importante pour garantir cette efficacité : la création d'un Haut conseil du patrimoine, par lequel passera tout projet de transfert ou de cession. J'y vois un gain très important dans la qualité de l'encadrement proposé à ce type d'exercice. Il est en effet de la responsabilité absolue des pouvoirs publics de veiller à ce que des transferts ou des cessions onéreuses ne viennent pas contrevenir à nos obligations en matière de conservation du patrimoine.
Les cessions peuvent parfois représenter des opportunités pour la mise en valeur de certains monuments : l'exercice doit néanmoins pouvoir être encadré de très près. La proposition de créer un Haut conseil du patrimoine chargé de délibérer sur le caractère transférable des monuments concernés, sur les opportunités de déclassement du domaine public, et qui sera composé de parlementaires et de représentants des collectivités territoriales ainsi que des administrations concernées et de personnalités qualifiées me paraît clairement aller dans la bonne direction.
L'obligation pour ce conseil de rendre publics ses avis sur les dossiers qu'il sera amené à examiner est à l'évidence un gage essentiel de transparence. Il est en effet nécessaire que les citoyens puissent disposer de toutes les informations nécessaires pour s'assurer que ces opérations ne reviennent en aucun cas à brader le patrimoine de l'État ni, pour ce dernier, à se désengager mais, au contraire, à faciliter la réutilisation de monuments par des collectivités territoriales qui souhaiteraient y créer des équipements culturels.
À ce titre, la composition du Haut conseil doit pouvoir refléter le principe du partenariat contractuel entre les collectivités et l'État qui était déjà au coeur de la loi du 13 août 2004. Le présent texte vient enrichir la notion de préservation des monuments au-delà du dispositif proprement dit de protection des monuments historiques : il lui adjoint la notion d'usage culturel de ces monuments, qui peut grandement contribuer à leur préservation et à leur mise en valeur. C'est là une avancée importante pour mieux assurer les bases de nos responsabilités partagées, entre l'État et les collectivités, en matière de préservation du patrimoine.
Pour cela, le Haut Conseil du patrimoine sera amené à émettre son avis sur la qualité du projet culturel proposé à l'appui d'une demande de transfert. La dimension culturelle est ainsi clairement inscrite au coeur de cet exercice d'encadrement, ce dont je ne peux que me réjouir puisqu'il inscrit le ministère de la culture et de la communication au coeur même de ce dispositif, tant par sa participation au Haut conseil que par la place prépondérante que le texte lui donne à chaque étape du processus.
J'en viens maintenant aux cessions à titre onéreux, pour des usages non culturels. Les services de mon ministère y accordent une attention tout aussi soutenue car ces usages peuvent notamment impliquer des travaux qui ne doivent pas dénaturer les caractéristiques historiques et esthétiques du monument. J'accorde par ailleurs une très grande importance à tout ce qui peut favoriser une réutilisation intelligente des monuments ; qu'il s'agisse de logements étudiants, de l'installation d'une école, d'un service administratif d'accueil, nombreux sont les exemples de projets qui pourraient rendre accessibles à un plus large public les richesses parfois insuffisamment mises en valeur de notre patrimoine, tout en remplissant une mission de service public. Le dispositif que dessine cette proposition de loi ouvre précisément aux collectivités territoriales cette perspective à mon avis très prometteuse.
Je tiens par ailleurs à saluer la qualité des dispositions proposées par le texte en matière de précaution, dispositions qui garantissent la pérennité des obligations des pouvoirs publics en ce qui concerne la préservation. Je pense notamment au non-morcellement des ensembles immobiliers lors des opérations de transfert ; je pense également à la possibilité, à prévoir dans les conventions de transfert, du retour gratuit du monument à l'État en cas d'échec du projet culturel qui lui aura été associé ; je pense enfin au principe de non-dispersion des collections des objets présents dans les monuments.
Pour des motifs liés à des mesures de décentralisation ou pour compenser, par exemple, la réorganisation de la carte militaire, l'État a pu à plusieurs reprises, dans les années précédentes, procéder à des transferts de monuments. Le texte nous offre pour la première fois un cadre général qui établit, dans la durée, le champ des possibles en nous donnant les garanties nécessaires en matière de préservation, en offrant enfin de nouvelles pistes en matière de projets culturels ou de services publics, pour une meilleure mise en valeur de nos monuments. Il permet également de donner à notre patrimoine un nouvel outil pour que soit renforcé son rôle dans le développement économique de nos territoires.
Je tiens à saluer, pour finir, l'insertion, en tête de la loi, d'une disposition relative au patrimoine inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Cette disposition vise à affirmer l'obligation de tenir compte, dans les politiques d'urbanisme et d'aménagement, du patrimoine culturel en général et en particulier de la valeur universelle exceptionnelle des biens inscrits à l'UNESCO. Cette initiative vient en effet pallier une lacune de notre législation, qui ne tire jusque-là aucune conséquence particulière du classement d'un bien au titre du patrimoine mondial, et qui renvoie pour sa protection aux dispositifs habituels en matière de protection du patrimoine et des sites. Affirmer la nécessité de tenir compte de nos obligations et de nos engagements internationaux en la matière jusque dans les documents d'urbanisme, c'est aussi se mettre en cohérence avec la loi Grenelle 2, dont les dispositions sont marquées d'un souci constant de lier patrimoine et développement durable.
Tant par son esprit que par ses dispositions en termes de précaution, de transparence et d'encadrement des procédures de transfert et de cession, cette proposition de loi nous offre la possibilité d'optimiser la gestion du domaine public des monuments historiques, dont nous partageons la responsabilité avec les collectivités territoriales, en définissant un cadre responsable pour des réutilisations pertinentes de notre patrimoine, favorables à sa meilleure mise en valeur. Pour toutes ces raisons, l'équilibre général du présent texte nous semble répondre aux exigences de conservation et de rayonnement du patrimoine et le Gouvernement, de ce fait, l'approuve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Éric Berdoati, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires culturelles, mes chers collègues, la notion même de patrimoine est un sujet dont on pourrait débattre à l'infini. À ce vocable pourtant précis chacun ajoute sa propre acception et, dès lors, toutes les interprétations prospèrent.
C'est vous dire, mes chers collègues, si la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État est un sujet complexe qui aurait mérité, je dois bien l'avouer, plus de temps de travail…
…afin de mieux cerner les spécificités de telle ou telle situation et, permettez-moi de le dire, plus d'attention et de vigilance de la part de nos collègues sénateurs. Je tiens cependant à saluer le travail remarquable de la sénatrice Françoise Férat.
Nous sommes en 1830 sous le règne de Louis-Philippe, et François Guizot, ministre de l'intérieur, crée l'inspection générale des monuments historiques. En 1837, sous le règne du même Louis-Philippe, est créée la Commission supérieure des monuments historiques. Elle est chargée de dresser la liste des édifices méritant une protection et pouvant à ce titre bénéficier de subventions ministérielles. Cette première liste est réellement publiée en 1840. Puis, en 1841, la première loi de protection des monuments historiques classant ainsi des bâtiments menacés est promulguée.
Des lois de 1913 sur les monuments historiques et celle de 1920 sur les objets d'art qui consacrent le caractère remarquable de certains biens dont la conservation devient d'intérêt public, on ne peut pas décemment inférer que la propriété de ces biens doit rester inéluctablement à l'État. En effet, ces lois ont pour principale conséquence d'inscrire des restrictions au droit du propriétaire, qu'il soit par ailleurs public ou privé, restrictions qui sont ainsi codifiées dans le code du patrimoine.
J'appelle dès à présent votre attention sur un sujet clé de notre discussion : l'indépendance entre le régime de propriété et le statut juridique d'un bien, c'est-à-dire son classement au titre des monuments historiques.
En effet, nous disposons aujourd'hui d'environ 14 000 monuments classés et 27 000 monuments inscrits. Savez-vous, mes chers collègues, quelle est la part de propriété de l'État pour l'ensemble de ces biens ? Eh bien, l'État n'est propriétaire que de 4 %, les communes sont propriétaires de 44 %, notamment des églises construites avant 1905,…
…les propriétaires privés de 46 % et les 6 % restants reviennent aux autres collectivités publiques. Aussi, comme le dit l'adage, il faut savoir raison garder : lorsque l'on parle parfois un peu hâtivement de dépeçage du patrimoine de l'État, encore faudrait-il que ce dernier en soit majoritairement propriétaire, ce qui est loin d'être le cas.
La majorité des biens classés ou inscrits présents sur le territoire national n'est pas, contrairement à une idée reçue, la propriété de l'État.
Je rappellerai que la défense et la sauvegarde du patrimoine sont une préoccupation constante de la commission, de sa présidente, Michèle Tabarot, et de l'ensemble de ses membres. Il n'y a pas sur ce sujet, comme sur tant d'autres, les vertueux d'un côté et, de l'autre, ceux, moins attentifs, qui seraient prêts, au nom de je ne sais quel dogme,…
…à brader notre patrimoine, celui de notre histoire, celui de notre nation, j'oserai même dire celui de notre identité commune.
C'est pourquoi il est juste d'affirmer que défendre le patrimoine ne signifie pas qu'on doive le garder dans la main exclusive de l'État.
Comme le disait fort bien René Rémond dans son rapport de 2003, qui a constitué le fondement de la première vague de décentralisation postérieure à la loi relative aux libertés et responsabilités locales, la décentralisation du patrimoine monumental de l'État aux collectivités territoriales n'est pas « une déchéance et une rétrogradation dans l'échelle des dignités ». Elle contribue plutôt à « insuffler une âme » à la décentralisation, et permet également « d'introduire une certaine rationalité dans un ensemble disparate qui s'est constitué au hasard des circonstances ».
Le bilan positif de cette première expérience, qui a conduit au transfert de soixante-cinq monuments, nous conduit naturellement à relancer ce processus de décentralisation. J'observe d'ailleurs que notre collègue Mme Marland-Militello nous avait précédés sur ce chemin par le dépôt d'une proposition de loi en février 2010.
Le dispositif qui nous est proposé par le Sénat est différent de celui qui nous avait été soumis dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010 et qui a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier budgétaire. Il s'inspire des conclusions du rapport d'information de notre collègue Françoise Férat, rapport dont j'ai déjà souligné la qualité et le sérieux. Ce rapport porte sur le Centre des monuments nationaux et précise que les transferts doivent être relancés, élargis à tous les monuments historiques, et ne pourront concerner que la totalité d'un monument et non une partie, comme le prévoyait le projet de loi de finances, ce qui devrait éviter le « dépeçage » d'un bien.
La présente proposition de loi renforce cette idée et vise à contenir les risques liés à une dévolution qui ne serait pas encadrée.
Mes chers collègues, le premier apport de ce texte est, sans hésitation, la création d'un Haut conseil du patrimoine. Quatre missions principales lui sont confiées.
Premièrement, se prononcer sur tout projet de transfert à une collectivité territoriale dans le cadre prévu à l'article 4, mais aussi sur tout projet de cession par l'État d'un monument historique à une personne publique ou privée. Les critères pris en compte seraient notamment ceux qui avaient été dégagés par la commission Rémond.
Deuxièmement, identifier, parmi les monuments historiques appartenant à l'État, ceux qui ont une vocation culturelle et fixer le cas échéant des prescriptions permettant de la respecter.
Troisièmement, se prononcer sur l'opportunité du déclassement du domaine public d'un monument appartenant à l'État en vue de sa vente ou d'un monument transféré préalablement à une collectivité territoriale et susceptible d'être revendu.
Quatrièmement, enfin, se prononcer sur les projets de bail emphytéotique administratif d'une durée supérieure à trente ans, précision qui, dans le contexte de la polémique autour de l'Hôtel de la Marine, n'est pas sans utilité.
Ces dispositions permettent d'imposer une analyse objective et scientifique en amont de toute décision de cession d'un monument historique, et ce au regard du régime de propriété qui doit s'imposer, mais aussi de l'utilisation qui doit être faite du monument, notamment de son utilisation culturelle. Elles permettent également de conforter le rôle du ministre de la culture dans le processus de transfert, et donc de garantir la prise en compte d'une dimension patrimoniale et culturelle parfois insuffisamment considérée dans la politique immobilière de l'État.
Cette proposition de loi comporte également une avancée réclamée de longue date par le Centre des monuments nationaux et les défenseurs du patrimoine. En effet, elle inscrit pour la première fois dans un texte législatif le principe de la péréquation effectuée au sein du CMN et permet de garantir que, demain, les monuments déficitaires, qui constituent l'écrasante majorité des monuments du CMN, continueront à bénéficier des excédents dégagés par les six monuments bénéficiaires.
L'article 1er A consacre dans notre droit la notion de patrimoine mondial, afin d'en assurer une meilleure protection.
L'article 2 bis comporte des dispositions attendues depuis fort longtemps par les défenseurs du patrimoine : la possibilité de classer des objets non pas isolément, mais comme ensemble cohérent, et celle de grever les objets ou ensembles classés de servitudes de maintien in situ. La regrettable affaire dite des « châteaux japonais » avait illustré les carences de notre arsenal législatif, carences que le texte vient aujourd'hui combler.
Enfin, et surtout, devrais-je même dire, cette proposition de loi aborde la réflexion sur le patrimoine sous un angle nouveau, celui de l'utilisation culturelle des monuments historiques. En effet, si la vocation culturelle des monuments concernés par la première étape de la décentralisation allait de soi, dans la mesure où elle concernait les seuls monuments affectés au ministère de la culture, il n'en va pas de même pour la totalité des monuments historiques que sont les prisons, les casernes, les tribunaux, les immeubles de bureaux, et tant d'autres. Cependant, il importe de se demander, avant tout transfert ou toute cession, si un monument n'a pas vocation à faire l'objet d'une animation ou d'une valorisation culturelle, ce qui justifierait une attention particulière. C'est principalement ce à quoi veillera le Haut conseil.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, cette proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État vient combler un vide juridique qui a pu être à l'origine d'errements passés, dont l'aboutissement nous a menés directement à l'aventure bien mal engagée de l'Hôtel de la Marine. Il est pour le moins paradoxal que les mêmes qui dénoncent une situation par ailleurs bien réelle s'opposent aujourd'hui à une réponse qui, si elle n'est pas absolument parfaite, est sans nul doute de nature à éviter que ne se reproduisent les errements du passé.
C'est pour toutes ces raisons que je vous demande d'adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à Mme Michèle Tabarot, présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en montant à cette tribune, j'ai encore en mémoire les échanges que nous avons eus ici même il y a presque deux ans, lorsque l'article 52 du projet de loi de finances pour 2010 avait relancé le débat sur le transfert des monuments historiques aux collectivités locales. C'est peu dire que ce débat avait été mal engagé, et le Conseil constitutionnel a finalement permis aux uns et aux autres de prendre le temps de la réflexion.
C'était réellement nécessaire car la préservation et la mise en valeur du patrimoine monumental englobent beaucoup de questions complexes.
Je veux parler, en premier lieu, de la différence que nous devons opérer entre la gestion de l'immobilier de l'État en général et la valorisation de son patrimoine immobilier à vocation culturelle.
Je voudrais également insister sur le bon sens de la proximité et de la subsidiarité, qui légitiment dans un certain nombre de cas la prise en charge du patrimoine par une collectivité territoriale. Encore faut-il que la démarche en ce sens soit réellement le fait de la collectivité et qu'elle s'effectue selon un cadrage économique et financier rigoureux.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui apporte aux questions qui se sont posées sur tous nos bancs des réponses qui nous paraissent aller dans la bonne direction.
Il s'agit tout d'abord d'encadrer les transferts de monuments historiques grâce à la création d'un Haut conseil du patrimoine qui dressera la liste des monuments transférables et émettra un avis sur les transferts. C'est bien là la garantie que nous souhaitions pour nous assurer, dans l'esprit des recommandations de la commission présidée par René Rémond en 2003, de la pertinence des transferts et de leur intérêt en termes de valorisation culturelle.
En outre, la proposition de loi pérennise la procédure de transfert dans des termes qui prennent en compte à la fois ce qui avait été prévu en 2004 dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales et les éléments issus du débat au Parlement sur l'article 52 du projet de loi de finances pour 2010.
Il faut également se féliciter que le rôle déterminant du ministre de la culture soit, à cette occasion, gravé dans le marbre de la loi. Et je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous nous éclairerez, dans la suite de nos travaux, sur la portée que vous entendez donner à votre rôle.
Enfin, le texte qui nous est soumis élève au rang d'obligation législative le principe de péréquation qui est aujourd'hui au coeur de la gestion des monuments nationaux. Nous avons eu l'occasion de saluer le travail effectué par le Centre des monuments nationaux sous l'autorité de sa présidente, Mme Lemesle, et nous devons redire combien ce système de péréquation nous importe. L'article 52 du projet de loi de finances pour 2010 avait soulevé bien des inquiétudes sur le maintien de l'intégrité du CMN et son devenir en cas de transfert du petit nombre de monuments dont l'attractivité importante permet d'entretenir et de valoriser les autres monuments gérés par le Centre. Je crois que cette proposition de loi nous donne une véritable clé pour empêcher toute remise en cause de ce dispositif.
J'en viens, pour finir, aux conditions dans lesquelles la commission a mené ses travaux. Je regrette sincèrement, pour ma part, que faute d'une inscription mieux programmée de cette proposition de loi à l'ordre du jour de notre assemblée, nous n'ayons pu mieux travailler en commission.
Nous pouvions privilégier une adoption conforme de la proposition de loi afin de favoriser une mise en place rapide du Haut conseil du patrimoine. Néanmoins, à l'issue des échanges que nous avons eus en commission, nous avons demandé à notre rapporteur de préparer un certain nombre d'amendements. Je le félicite d'avoir mené à bien ce travail délicat, qui permettra de répondre, je le souhaite, aux légitimes interrogations qui ont pu s'exprimer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Pascale Crozon.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est dans un climat d'urgence que nous sommes aujourd'hui appelés à examiner la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État. Urgence, car, après son adoption par nos collègues sénateurs le 21 janvier dernier et près de six mois à patienter sur le bureau de l'Assemblée nationale, ce texte nous parvient à quelques jours de la trêve estivale et avec la volonté transparente du Gouvernement d'obtenir un vote conforme dès la première lecture, afin d'éviter d'y revenir à la rentrée. C'était d'ailleurs également le cas de la proposition de loi relative à la presse que nous avons examinée tout à l'heure.
Alors que cette proposition de loi sur le patrimoine fait débat y compris au sein des rangs de la majorité – j'en veux pour preuve les amendements de notre collègue Lionel Tardy, mais aussi les questions légitimes posées par notre rapporteur –, les récents événements confirment cette désagréable impression de passage en force. Ainsi, après deux reports et interruptions, comme vous l'avez souligné, madame Tabarot, la commission des affaires culturelles ne s'est à aucun moment exprimé sur le fond de ce texte, si ce n'est par le truchement de l'article 88 de notre règlement. Quant à notre rapporteur, il n'a pas eu les mains libres pour organiser les auditions de la commission ou pour déposer les amendements s'imposant autour des interrogations qu'il soulevait.
Mais nous avons finalement assisté à un coup de théâtre. Nous avons pu nous exprimer lors de deux réunions. Le dépôt tardif d'amendements du rapporteur, et peut-être du Gouvernement, semblerait confirmer que notre constat soit aujourd'hui partagé : nous ne pouvons adopter ce texte en l'état.
Le patrimoine de l'État, c'est le patrimoine de tous les Français. L'Assemblée nationale, qui doit, en toute matière, servir l'intérêt général et le bien commun, ne saurait se dessaisir d'un débat sur l'avenir de ce patrimoine, ni autoriser à la va-vite l'organisation d'une grande braderie soumettant aux seules lois du marché cet héritage légué par notre mémoire collective et que nous avons l'obligation de gérer dans l'intérêt des générations qui nous succéderont. Tel est le sens de la motion que j'ai aujourd'hui la responsabilité de défendre au nom des députés socialistes, radicaux, citoyens et divers gauche.
Alors même que le Gouvernement instrumentalise depuis deux ans le concept d'identité nationale pour diviser les Français, notre patrimoine monumental est l'exemple même d'un élément constitutif de l'identité qui nous rassemble. Ainsi, les 44 000 monuments historiques et les 2 300 parcs et jardins classés au titre des monuments historiques participent de la passion des Françaises et des Français pour leur histoire, qui conduit chaque année nos concitoyens à se presser par millions aux journées du patrimoine. Ils participent également de la fierté que nous avons à offrir notre pays aux yeux du monde et à accueillir chaque année près d'une centaine de millions de visiteurs étrangers, qui font de la France la première destination touristique mondiale.
Mais au-delà des trésors de notre patrimoine monumental, au-delà de l'arc de Triomphe, de l'abbaye du Mont-Saint-Michel, de la grotte de Lascaux, de l'oppidum de Gergovie ou des alignements de Carnac, c'est l'idée même d'exception culturelle qui est centrale dans l'identité française. L'exception culturelle, c'est l'idée simple, que nous partageons tous, que la valeur d'un bien culturel ne saurait être évaluée à la seule aune de sa rentabilité financière, et par conséquent la conviction que la préservation de notre richesse culturelle nécessite qu'elle échappe aux lois de l'offre et de la demande. Telle est bien la question soulevée par cette proposition de loi.
Ce ne serait pas vous faire injure, monsieur le ministre, que de considérer qu'il eut été plus honnête de voir au banc des ministres votre collègue chargée du budget.
Car s'il est aujourd'hui urgent de légiférer sur le patrimoine monumental de l'État, cette urgence ne relève nullement de la politique culturelle, mais bien de la volonté gouvernementale de mettre son patrimoine immobilier au service de la réduction de la dette. Éric Woerth ne disait pas autre chose lorsque, alors ministre des affaires sociales, il invitait à replacer la vente d'une parcelle de la forêt domaniale de Compiègne, comprenant notamment son hippodrome, dans un contexte de politique immobilière visant, je cite : « 400 millions d'objectifs de vente en 2007 et jusqu'à 1,4 milliard en 2009 ». Ainsi, comme l'écrit justement notre rapporteur, ce texte s'inscrit et repose sur l'intervention de France Domaine, qui prévoit la cession de 1 700 biens entre 2010 et 2013.
C'est également un événement de nature budgétaire, à savoir la censure par le Conseil constitutionnel de l'article 52 de la loi de finances pour 2010, qui est à l'origine de cette proposition de loi déposée par nos collègues sénateurs Françoise Férat et Jacques Legendre. En effet, si le Conseil constitutionnel a justement censuré un cavalier sans se prononcer au fond, cet article était révélateur de votre conception de la politique patrimoniale. Le rapport de Mme Férat constatait : « Le texte proposé rompait avec la logique de l'article 97 de la loi du 13 août 2004. En effet, il n'encadrait la procédure d'aucune précaution susceptible de garantir une politique patrimoniale cohérente et respectueuse des impératifs de protection du patrimoine constitutif de l'histoire et de la mémoire collective. Cette carence mettait en danger l'avenir du Centre des monuments nationaux, établissement public auquel sont confiés une centaine de monuments historiques répartis sur l'ensemble du territoire. »
Si la proposition de loi entend répondre aux inquiétudes nées de cet épisode, et vise, toujours selon le rapport de Mme Férat, à « garantir une approche respectueuse du patrimoine, de la mémoire collective et des citoyens qui rejettent les méthodes pouvant laisser penser que l'État “brade” son patrimoine », vous comprendrez que le doute demeure quant aux intentions qui sous-tendent votre politique patrimoniale. Ce doute a été ravivé au début de l'année par la polémique qu'a suscitée votre projet de céder l'Hôtel de la Marine, ancien garde-meubles royal et chef-d'oeuvre architectural de la place de la Concorde, à une entreprise privée désireuse de le transformer en hôtel de luxe.
Car s'il y est question de consacrer un principe de précaution culturelle en créant un Haut conseil du patrimoine, il n'en demeure pas moins que ce texte opère un dangereux renversement de logique par rapport aux travaux de la commission Rémond de 2003, qu'il convient de resituer dans leur contexte. Alors que plusieurs chantiers de restauration avaient dû être interrompus, qu'un certain nombre de sites avaient été fermés au public pour des questions de sécurité et que plusieurs châteaux avaient été vendus à de riches propriétaires étrangers, la commission Rémond établit une liste limitative des transferts souhaitables et possibles, dans le seul objectif de garantir la sauvegarde des monuments concernés. Selon le rapport de cette commission, « l'État s'inscrit peut-être davantage que les autres collectivités dans la perspective d'une durée longue et était de ce fait meilleur garant de la continuité ». Le transfert devait donc demeurer l'exception.
Le Haut conseil du patrimoine poursuivra une mission exactement inverse. Il ne lui revient pas de définir limitativement ce qui peut être transféré, mais bien au contraire, dans une logique libérale où tout devient par principe monnayable, d'ériger des garde-fous en décidant de ce qui ne peut l'être. Cette objection pourrait bien n'être que sémantique si la proposition de loi confiait véritablement au Haut conseil du patrimoine le pouvoir de s'opposer à un transfert manifestement contraire à l'intérêt patrimonial et culturel du site. Il n'en est rien.
Contrairement à ce que sous-entend l'exposé des motifs, le Haut conseil n'aura pas à s'exprimer sur l'ensemble des projets de transfert, mais uniquement lorsqu'il sera saisi ou jugera utile de s'autosaisir. Il ne peut prendre en considération la volonté des légataires et donateurs : si le principe d'interdiction de tout transfert sans accord exprès des héritiers est posé dans le décret d'application de la loi du 13 août 2004, rien n'indique à ce stade que celui-ci s'appliquera, dès lors que le périmètre de cette proposition dépasse de très loin les seuls monuments affectés au ministère de la culture.
Le Haut conseil ne peut s'exprimer sur le déclassement des monuments inscrits au domaine public des monuments historiques ; il ne peut s'exprimer sur la nature des conventions passées entre l'État et les personnes publiques ou privées auxquelles les monuments sont transférés ; il ne peut disposer de prescriptions culturelles que dans les cas où les transferts seraient réalisés gratuitement à destination des collectivités. Pour reprendre l'exemple de l'Hôtel de la Marine, il ne pourrait, dans l'hypothèse d'une cession pour en faire un hôtel, imposer l'ouverture du bâtiment aux journées du patrimoine, la tenue de visites guidées ou encore la mise à disposition d'informations sur l'histoire du site. Il n'est qu'informé dans le cadre de baux emphytéotiques. Il ne dispose d'aucun moyen de contrôle a posteriori des prescriptions qu'il émet.
Pour surmonter l'ensemble de ces difficultés, nos collègues sénateurs ont déposé des amendements de bon sens, apparaissant conformes tant à l'esprit de la commission Rémond qu'à la volonté des initiateurs de cette proposition de loi, mais qui ont été repoussés sur l'avis du Gouvernement. Si l'on ajoute que vous refusez au législateur le droit de sanctuariser un certain nombre de sites du fait, pour reprendre les critères exposés par René Rémond, de leur valeur symbolique pour la nation ou de leur notoriété internationale ; si l'on ajoute encore que vous refusez au législateur le droit de s'assurer de la pleine indépendance des membres du Haut conseil en fixant dans la loi leur nombre, les conditions de leur élection, la durée de leur mandat ou les conditions dans lesquelles le conseil peut s'autosaisir, vous comprendrez que nous demeurions circonspects sur votre attachement à ce fameux principe de précaution culturelle.
Vous allez probablement nous répondre en caricaturant nos positions, en répétant que les socialistes sont d'odieux conservateurs qui s'opposent à toute modernisation du mode de gestion de notre patrimoine et d'horribles jacobins qui attendent de l'État qu'il régisse seul la politique culturelle de la nation. C'est pourquoi je veux exposer très clairement les motifs de notre opposition à ce texte.
Nous comprenons parfaitement que notre patrimoine monumental n'est pas simplement une richesse, fût-elle inestimable, mais qu'il représente également une charge. Nous comprenons parfaitement que nous ne pourrons faire vivre ce patrimoine et lutter contre sa dégradation sans réfléchir ensemble, État et collectivités territoriales, aux meilleurs moyens d'assumer cette charge. Il est sain et légitime, lorsqu'une volonté de transfert de l'État rejoint un projet porté par une collectivité pour faire vivre son histoire et développer son attractivité culturelle, que celle-ci assume pleinement son rôle. Les collectivités de gauche, qu'il s'agisse de villes, de départements ou de régions, ont pris toute leur part de la décentralisation engagée en application de l'article 97 de la loi du 13 août 2004. Mais le seul critère de transfert doit alors résider dans l'intérêt du site transféré et sa valorisation dans une dynamique locale.
C'est pourquoi nous vous invitons à opérer une distinction claire entre les transferts réalisés à titre gratuit à destination des collectivités territoriales et vos objectifs de vente à des prestataires privés. Car c'est la confusion, dans un même texte, de ces deux objectifs à notre sens antagonistes qui fait peser les plus lourds risques de dépeçage de notre patrimoine culturel. Notre rapporteur n'écrit rien d'autre lorsqu'il prévient : « Le premier risque réside dans la tentation de faire primer des considérations économiques sur la mission de service public culturel que l'État doit assumer. Ces considérations économiques sont certes importantes dans un contexte de restrictions budgétaires, mais elles ne peuvent ni ne doivent constituer l'alpha et l'oméga d'une politique patrimoniale. »
Nous pouvons en effet craindre que les objectifs de vente de France Domaine dictent les projets de transferts, fussent-ils à titre gratuit, dans le seul but de désengager l'État de sa mission de gestion du patrimoine culturel. Ces craintes, monsieur le ministre, reposent notamment sur le désengagement que nous constatons à l'analyse de votre budget.
Lors de l'inauguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine en septembre 2007, le Président de la République avait souhaité que 400 millions d'euros soient consacrés annuellement au patrimoine monumental. Or, cette année, plus de 25 millions d'euros en autorisations d'engagement et plus de 20 millions d'euros en crédits de paiement manquent à l'appel. Comme le disait lors de la discussion budgétaire ma collègue Monique Boulestin, rapporteure pour avis de la mission « Patrimoine », « si l'État n'adresse pas un message clair s'agissant du financement et du pilotage de la politique patrimoniale de notre pays, les tensions que vont enregistrer les budgets des collectivités locales dans les prochaines années risquent de freiner l'aboutissement des projets ».
Non seulement vous programmez une nouvelle vague de décentralisation sans assumer vos propres responsabilités budgétaires, mais vous envoyez un signal bien pire encore avec ce texte : je pense en particulier à son article 10 qui permet aux collectivités de procéder à la revente des monuments que l'État leur aurait transférés dans un but culturel. Tandis que l'État utilise la politique immobilière à des fins de désendettement, il encourage les collectivités territoriales, dont les ressources – faut-il le rappeler ? – sont de plus en plus contraintes par la suppression de la taxe professionnelle, à faire de même. Comment, dans ce cadre, s'assurer que les collectivités se portent candidates au transfert d'un monument dans le seul objectif de le mettre au service d'une ambition culturelle, et non de réaliser sur ce bien une opération de spéculation immobilière ? Comment s'assurer, en période de resserrement budgétaire, qu'elles n'y soient pas finalement contraintes par leur incapacité à faire face à l'entretien des sites acquis ? Le mélange des genres, on le voit, autorise toutes les ambiguïtés.
Cette confusion existe également dans votre discours, monsieur le ministre. J'ai relu les mots que vous avez prononcés devant le Sénat en janvier dernier, et je ne peux que m'en féliciter. À vous écouter, on pourrait croire en effet qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'une nouvelle étape de la décentralisation mise en oeuvre en 2004 : « Pas plus qu'en 2004, il ne s'agit d'une braderie du patrimoine de l'État ; nous ne vendons pas l'argenterie de famille. L'objectif est de faciliter, pour les collectivités territoriales qui le souhaitent, la réutilisation des monuments de l'État, dont ce n'était pas toujours la destination, pour créer ou développer des équipements culturels. » Fort bien, mais alors pourquoi prévoir dans le même temps la possibilité de transferts à but non culturel ? Pourquoi permettre la vente ou la revente ? Pourquoi ne pas limiter les cessions aux seules collectivités ?
Je pensais, peut-être naïvement, qu'il ne s'agissait que de faire la distinction entre, d'une part, les lieux ayant une vocation culturelle et dont il serait évidemment hors de question de se séparer à d'autres fins ; d'autre part, des propriétés qui, elles, n'avaient que peu de valeur symbolique ou historique, qui n'avaient jamais eu vocation à être ouvertes au public et qui, pour résumer en caricaturant, n'avaient atterri dans le domaine public que pour régler d'obscures questions de succession. Mais la suite de votre discours est autrement plus instructive. Vous déclariez en effet : « Il pourra s'avérer qu'aucune collectivité ne souhaitera reprendre pour un projet culturel un monument identifié par le Haut conseil comme transférable gratuitement à ce titre. Je tiens à dire que, dans ce cas, il ne me paraît pas inconcevable que sa cession à titre onéreux pour un usage non culturel, mais néanmoins respectueux du monument, puisse être réalisée. »
C'est autrement plus inquiétant, puisque vous nous dites en clair que ce n'est pas la vocation du lieu qui détermine si le transfert se fait gratuitement ou à titre onéreux, mais bien la personnalité des candidats à leur reprise. Autrement dit, un même lieu identifié par le HCP comme ayant une vocation culturelle et destiné à être transféré gratuitement, pourrait demain être vendu pour une tout autre utilisation.
Le risque existe d'un chantage de l'État envers les collectivités locales : « Si vous ne voulez pas reprendre la gestion de ce monument, je le vends pour en faire un centre de loisirs. » Que reste-t-il, dans ce cadre, du principe de précaution culturelle ?
Et permettez-moi de vous démentir : non, si vous vendez à titre onéreux, il n'y a dans ce texte aucune contrepartie exigible en matière de respect du monument.
À ce stade, une soixantaine de conventions seulement ont été signées sur les 176 sites identifiés par la commission Rémond comme transférables. Cela signifie-t-il que l'État pourrait demain vendre au privé les 97 sites pour lesquels il n'a pas reçu de candidature ? Combien de sites identifiés comme ayant une vocation culturelle seraient demain concernés par ce même destin dès lors que la proposition de loi étend le périmètre des transferts à 1 750 sites ?
Dans nos débats, il sera question, j'imagine, de la crise, de la nécessité de retrouver des marges de manoeuvre financières et de la règle d'or qui nous imposera demain de bannir tout déficit budgétaire. Mais c'est, je crois, une bien mauvaise idée que de confondre le temps économique, qui est par nature court et cyclique, et le temps patrimonial, qui est, à l'inverse, long et continu. Vendre « l'argenterie de famille », pour reprendre l'expression que vous avez utilisée devant le Sénat, c'est utiliser un pistolet à un coup, c'est une méthode qui ne règle rien au fond, nous prive d'une plus grande richesse à l'avenir et met en danger la vocation et la destination des lieux que l'on prétend préserver.
Pour l'ensemble de ces raisons, parce que les garanties apportées ne nous semblent pas de nature à équilibrer la forte contrainte budgétaire, parce que nous voyons bien, au travers d'exemples récents, que la politique culturelle est amenée à s'effacer devant les objectifs de désendettement de la politique immobilière, nous estimons que cette proposition de loi aura en définitive un effet inverse au but de préservation et de valorisation de notre patrimoine commun poursuivi par ses initiateurs, et que nous partageons.
C'est pourquoi nous affirmons que le sujet mérite un examen approfondi, et donc un véritable projet de loi qui éclaire le législateur au travers d'une étude d'impact sur les lieux concernés. C'est pourquoi nous vous demandons, mes chers collègues, de voter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Madame Crozon, je crois que nous nous sommes donné les moyens de travailler. Compte tenu du nombre d'amendements déposés, que nous étudierons sans doute demain, ce texte ne sera pas adopté conforme et fera donc l'objet d'une navette. Nous aurons ainsi tout loisir de l'examiner au fond. La motion de rejet préalable n'est donc pas d'actualité.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Marcel Rogemont, pour le groupe SRC.
Je suis extrêmement surpris des propos du rapporteur, alors même qu'il tenait tout à l'heure à la tribune le raisonnement inverse, laissant entendre que le rejet préalable pouvait être a priori accepté par tous, car personne ne pouvait affirmer que l'Assemblée avait travaillé de façon satisfaisante. M. le rapporteur et Mme la présidente de la commission l'ont dit, et toutes les personnes qui ont examiné ce texte pourraient tenir les mêmes propos. Personne ne peut affirmer que nous avons eu le temps suffisant pour étudier sereinement, concrètement, l'ensemble des amendements. Aucun de nous ne peut affirmer qu'après un travail en commission aussi fragile et incomplet, il ait, au moment de se prononcer, l'ensemble des éléments nécessaires pour un vote responsable.
En fait, il nous est demandé de faire confiance au Sénat et au Gouvernement. Mais est-ce cela le travail de l'Assemblée ? Oui, je le dis fermement : ce ne sont pas des conditions de travail effectives et responsables pour notre assemblée. Oui, je le dis, nous ne sommes pas en état d'exercer avec la sagacité suffisante notre responsabilité de législateur. C'est pourquoi le rejet préalable est nécessaire, seule voie à emprunter pour un travail parlementaire fructueux, auquel, je le sais, chacun de nous est attentif. C'est pourquoi nous proposons un travail complémentaire en commission, répondant ainsi aux réserves émises par le rapporteur et Mme la présidente de la commission.
Le patrimoine est une richesse culturelle. Il est en même temps une richesse de crédits nécessaires pour l'entretien et l'animation. Peut-être cette question n'a-t-elle pas été examinée avec suffisamment d'attention par notre assemblée.
Aujourd'hui, nous avons l'impression que l'aspect économique l'emporte sur l'aspect culturel. Notre collègue Pascale Crozon, avec sagacité et compétence, nous rappelait qu'au Sénat M. le ministre avait laissé entendre que si un bien ne trouvait pas une collectivité en acceptant le transfert, on pourrait alors le vendre. Autrement dit, dès lors qu'un bien disponible pour le transfert – la commission Rémond avait dressé la liste de 176 monuments – ne trouverait pas preneur, il serait disponible pour la vente.
Je vois, au travers de la question posée par Pascale Crozon et des propos ministériels, que l'on ne peut pas a priori faire confiance au Sénat et au Gouvernement. Je pense donc que le rejet préalable est nécessaire, afin que nous puissions poursuivre notre travail de parlementaire en toute responsabilité.
Je ne suis pas d'accord avec M. Rogemont. J'ai écouté les propos de Mme Crozon, mais s'il est exact que les conditions d'examen de ce texte n'ont pas été les meilleures, du moins lors de son examen initial en commission, il convient de remercier la présidente de la commission des affaires culturelles d'avoir su prendre la bonne initiative en ouvrant le débat. Les amendements ont été examinés, certains d'entre eux adoptés. Et la navette, comme l'a indiqué M. le rapporteur, permettra d'enrichir le texte.
Mettre le patrimoine au service de la réduction de la dette, ce reproche me semble, madame Crozon, un mauvais procès intenté à la majorité.
Les dispositions que nous allons examiner offrent des garanties sérieuses - et indispensables - pour la protection de notre patrimoine monumental.
Aujourd'hui, un vide juridique existe, il faut se rendre à l'évidence, et la proposition de loi le comble.
M. le ministre a évoqué tout à l'heure la réussite d'un certain nombre d'opérations de transfert, ce qui justifie qu'on aille plus loin dans le processus de décentralisation enclenché par la loi du 13 août 2004. Cette proposition de loi permettra aux collectivités territoriales de se réapproprier des monuments qui ne demandent qu'à vivre. Utilisation culturelle rime avec préservation et mise en valeur.
Le groupe UMP votera contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce jour, la législation en vigueur concernant le transfert du patrimoine monumental de l'État reste la loi de 2004 et son article 97 qui donne la possibilité à l'État et au Centre des monuments nationaux de transférer la propriété des monuments classés ou inscrits dont la liste est fixée par décret aux collectivités territoriales qui en font la demande.
En amont de ces dispositions s'inscrit la commission Rémond, dont les critères prévalent toujours lors de l'arrêt de la liste des monuments transférables. Ainsi, 176 monuments transférables ont été retenus ; 70 ont fait l'objet d'une candidature de transfert et une soixantaine de transferts – 66 avez-vous dit, monsieur le ministre – ont été signés à ce jour.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui veut aller plus loin. Nous nous interrogeons sur sa portée, car nous craignons une reprise déguisée de l'article 116, initialement article 52, du projet de loi de finances pour 2010. En effet, cet article, que j'avais déjà dénoncé dans mon rapport budgétaire pour avis, prévoyait déjà d'assouplir les conditions de transfert. J'en rappelle le contenu pour mémoire.
Il donnait compétence aux établissements publics d'État, avec avis du préfet, pour autoriser le transfert de propriété d'un monument à la place de l'État, et sans avis du ministre de la culture, ce qui est pour nous insupportable.
Plus aucune liste ne devait fixer la série des monuments et objets transférables.
Le transfert pouvait désormais porter sur une partie du monument ou une partie de ses meubles. Ainsi, les collectivités pouvaient acheter les monuments historiques « à la découpe », pour parler familièrement.
Le monument transféré pouvait faire l'objet d'une « réutilisation éventuelle dans des conditions respectueuses de son histoire et de son intérêt artistique et architectural ». Mais aucune garantie n'avait à être apportée quant à l'usage culturel du bien acquis. Il devenait donc possible de transformer un monument historique en hôtel ou en centre de loisirs, comme cela s'est déjà produit ou est en passe de se produire.
Certes, nous ne pouvons qu'être soulagés par la censure du Conseil constitutionnel pour cause de « cavalier budgétaire ». Cependant, cet article a été censuré sur la forme, non sur le fond. Aucun motif n'a été invoqué en vertu duquel le dispositif de l'article 116 remettrait en cause un principe à valeur constitutionnelle. Rien ne s'opposait donc plus à ce que, ultérieurement, on puisse légiférer dans le sens de cette disposition annulée en décembre 2009.
La présente proposition de loi tend donc à reprendre plusieurs des dispositions de cet article censuré.
Même si elle comporte plus de « garde-fous» que l'article 116, elle n'en demeure pas moins une réforme dangereuse au regard de l'objectif de préservation et de mise en valeur des monuments nationaux classés et inscrits. J'ai bien noté, monsieur le ministre, votre souci de mieux préserver notre patrimoine inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Mais, en ce qui concerne les cessions de biens à titre onéreux, ce texte ouvre la possibilité à l'État de se débarrasser d'une partie de son patrimoine, en réalisant une opération financière auprès des collectivités pour qu'elles en fassent ensuite ce que bon leur semble.
Remarquons au passage qu'une telle possibilité s'inscrit parfaitement dans la politique de rentabilité de la culture arrêtée par le Président de la République depuis le début de son quinquennat, au détriment de la préservation du patrimoine historique, commun à tous les Français.
De plus, le texte autorise le transfert des monuments ou sites sans leurs objets et meubles. Si l'on peut comprendre que dans certains cas les objets que contient un monument ou un site ne présentent pas un intérêt majeur, dans d'autres cas l'ameublement renforce, voire fait l'intérêt du monument, d'où l'importance d'un amendement que nous présenterons à ce sujet.
En cas de cession gratuite d'un bien patrimonial aux collectivités dans le but de poursuivre un projet culturel, il convient d'espérer qu'en période de resserrement budgétaire, celles-ci auront toujours les moyens d'entretenir ces monuments et sites, témoins de l'histoire de France et de valeurs artistiques inestimables.
Mes chers collègues, le transfert de notre patrimoine monumental doit se faire selon des modalités respectueuses de l'histoire et de l'architecture de ces édifices, ainsi que de leur contribution aux missions culturelles de service public. La création d'un Haut Conseil du Patrimoine, dans la ligne des travaux de la commission Rémond, s'impose donc pour nous comme une évidence. Elle constitue bien, monsieur le ministre, la mesure phare de cette proposition de loi.
Cependant, estimant que le Gouvernement a envisagé avec beaucoup trop de précipitation la dévolution du patrimoine monumental de l'État aux collectivités, nous souhaitons en encadrer les modalités par plusieurs amendements. Je rejoins là les regrets exprimés notamment par Mme Tabaro.
Nous sommes convaincus que les prérogatives du Haut Conseil du Patrimoine doivent être étendues. Ainsi, il devrait impérativement se prononcer sur tous les transferts à titre onéreux et sur tous les baux emphytéotiques – qui vont de trente à quatre-vingt-dix neuf ans et ne sont ni plus ni moins que des transferts déguisés – ; délivrer des avis conformes et non des avis simples car un simple avis consultatif pourra toujours être contourné ; enfin, suivre le devenir des bâtiments à long terme : il est en particulier essentiel que le Haut conseil soit saisi lors de tout changement de statut du monument – changement de projet ou de propriétaire.
Notre crainte de voir brader le patrimoine découle de notre volonté de garder intacts des monuments fondateurs de notre identité et de notre mémoire collective.
Sans revenir indéfiniment sur les tristes affaires de l'Hôtel de la Marine et du Musée de l'histoire de France, sur la polémique à propos du transfert des archives ou sur la situation du patrimoine français à l'étranger, nous insistons pour que soit bien posée, à l'occasion de chaque dévolution, la question du projet culturel motivant la reprise.
Nous souhaitons donc que les points suivants soient pris en compte.
Toute sortie du domaine public doit être autorisée par le Haut conseil. En effet, les transferts à titre onéreux n'étant pas contrôlés par le HCP, une collectivité pourra ainsi demander à bénéficier d'un transfert à titre payant aux seules fins de spéculation immobilière. Et à l'issue d'une revente, rien ne sera soumis à contrôle !
L'État doit pouvoir demander la restitution du bien concerné. Le dépeçage doit être interdit pour le patrimoine mobilier comme pour le patrimoine immobilier.
La revente d'un monument transféré à titre gratuit doit être formellement interdite pour éviter la spéculation immobilière sur les monuments nationaux.
Enfin, une voie de recours devant le juge administratif doit être ouverte aux collectivités s'estimant lésées par le transfert.
Monsieur le ministre, le texte qui nous est soumis n'a pour objectif que de permettre à l'État de céder le patrimoine national, dans le but inavoué de remplir ses caisses.
Nos remarques n'ont d'autre but que de redonner à votre ministère toute sa place dans la gestion du patrimoine monumental de l'État. Car nous ne nous pouvons que nous désoler de cette nouvelle offensive de ceux que j'ose appeler les nouveaux marchands du temple ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
(M. Jean-Christophe Lagarde remplace Mme Élisabeth Guigou au fauteuil de la présidence.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les auteurs de la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État prétendaient, dans leur exposé des motifs, donner « un signal fort pour tous les citoyens qui craignent aujourd'hui que l'État ne soit tenté de brader son patrimoine » en traduisant fidèlement les recommandations adoptées à l'unanimité par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat à la suite de l'adoption controversée de l'article 52 du projet de loi de finances pour 2010.
Cet article 52, heureusement censuré par le Conseil constitutionnel, remettait en cause la pérennité même du patrimoine national, fondée sur un équilibre et une péréquation financière entre monuments garantis par le Centre des monuments nationaux. Il visait à transférer gratuitement aux collectivités qui en feraient la demande la propriété des monuments de l'État.
Les parlementaires communistes, républicains et du parti de gauche ont qualifié de grande « braderie » ce dispositif par lequel tous les monuments sans exception pouvaient être acquis en totalité ou en partie sans contrôle, sans encadrement et même sans limite temporelle.
L'article 52 modifiait l'article 97 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Cette loi avait prévu la décentralisation des monuments historiques, mais pour les seuls monuments du ministère de la culture figurant sur la liste fixée par décret en Conseil d'État sur la base des conclusions du rapport remis en novembre 2003 par la commission que présidait René Rémond.
Selon la loi de 2004, toujours en vigueur, ces monuments ne peuvent être dépecés et seul le transfert intégral des biens meubles et immeubles est possible. Les collectivités territoriales ou leurs groupements ont en outre pour mission d'assurer la conservation du monument et, lorsqu'il est ouvert au public, d'en présenter les collections, d'en développer la fréquentation et d'en favoriser la connaissance.
Or, sous couvert d'encadrer le transfert aux collectivités des monuments inscrits ou classés, la proposition de loi qui nous est présentée renferme des motifs d'inquiétude proches de ceux déjà en germe dans l'article 52.
Les nouvelles possibilités de transfert pourraient en effet concerner a priori tout monument et seraient encore ouvertes sans limite dans le temps.
Le texte pose à nouveau la question du financement aléatoire par des collectivités locales aux ressources diminuées et celle du désengagement de l'État.
Enfin, rien n'empêche une possible vente de ces monuments par les collectivités territoriales au secteur privé. Cela remet en cause les finalités mêmes de la politique patrimoniale publique ainsi que la protection des monuments.
En réalité, le texte qui nous est soumis organise purement et simplement la vente du patrimoine national. Nous nous élevons solennellement contre ces mesures qui marqueraient un nouveau renoncement de notre pays à mener une politique patrimoniale digne de ce nom. Aussi proposerons-nous d'inscrire dans le code général de la propriété des personnes publiques le principe de l'interdiction de la vente des monuments classés ou inscrits appartenant à l'État ou aux collectivités territoriales. Nous préciserons que ces monuments ne pourront faire l'objet ni d'une procédure de déclassement, ni d'un bail emphytéotique administratif comme celui que l'on envisage dans la tentative de « cession » de l'Hôtel de la Marine.
Je rappelle que l'on peut remonter à l'édit de Moulins, pris en 1566 par le roi Charles IX, pour voir apparaître la première définition du domaine public. Son alinéa 13, en particulier, cite explicitement les monuments historiques, notamment le château de Coucy, situé en Picardie, qui appartient toujours à l'État et est géré aujourd'hui par le Centre des monuments nationaux.
Si certains députés de la majorité ont semblé sensibles à notre amendement – Michel Herbillon a notamment affirmé en commission qu'« il faudrait s'assurer qu'il y ait suffisamment de garde-fous pour éviter que le patrimoine puisse être vendu comme cela et bradé » –, la façon dont s'est déroulé l'examen du texte jusqu'à son arrivée aujourd'hui en séance n'est pas pour nous rassurer sur les intentions du Gouvernement.
Signe d'une certaine fébrilité, la discussion prévue en commission le 28 juin a été reportée. Le lendemain, dans une procédure plus que contestable, les députés ont été priés de retirer l'ensemble de leurs amendements pour que le texte soit adopté conforme et applicable le plus vite possible ! Cela pouvait être interprété comme « un passage en force inédit », comme l'a souligné le Syndicat national des monuments historiques CGT.
Heureusement, les choses se sont modifiées et nous pourrons débattre du contenu du texte. Je m'en félicite car la remise en cause du droit d'amendement contreviendrait à l'article 44 de la Constitution aux termes duquel « les membres du Parlement [...] ont le droit d'amendement » qui «s'exerce en séance ou en commission » et seul le Gouvernement peut demander que « l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés » par lui. Serait également méconnu l'article 86 du règlement, qui fixe les conditions d'exercice de ce droit en spécifiant que « tout député peut présenter un amendement en commission ».
Du reste, c'est apparemment le Gouvernement lui-même qui a passé commande, puisque Mme la présidente de la commission a révélé qu'elle s'était plainte auprès du ministre chargé des relations avec le Parlement de l'inscription « un peu à la hussarde » de cette proposition de loi ! Le rapporteur semble avoir accepté d'en être le porte-voix puisqu'il a, sans sourciller, affirmé en commission que «si l'impossibilité d'entretenir un monument historique contraint un jour [une collectivité territoriale] à le vendre, cela ne signifie pas la disparition de ce patrimoine, les biens appartenant à l'État n'étant pas nécessairement les mieux entretenus. Vendre un patrimoine peut même être un moyen d'assurer sa renaissance. »
Nous y voilà ! En fait, l'idée de transfert des monuments de l'État aux collectivités territoriales, qui figurait à l'article 52 du projet de loi de finances pour 2010, traduit la volonté du Gouvernement de se débarrasser de la charge financière que représente pour l'État l'entretien, la rénovation et l'exploitation de son patrimoine monumental.
Le transfert des monuments apparaît bien comme une variable d'ajustement liée à des contraintes budgétaires. D'autant que renforcer la possibilité de vente à des acteurs privés ne garantit en rien, au contraire, ni l'accès du patrimoine au public, ni sa conservation, ni sa valorisation.
À défaut d'interdire ces ventes, nous proposerons de renforcer au maximum les prérogatives du Haut conseil du patrimoine et de le faire intervenir à toutes les étapes du processus. Il devra notamment donner un avis sur les baux emphytéotiques administratifs, qui ne pourront constituer une alternative non encadrée à l'aliénation du patrimoine monumental et ne devront donc être consentis qu'à titre exceptionnel.
En outre, l'avis du Haut conseil ne doit pas être seulement consultatif. Nous souhaitons que son accord soit exigé avant tout transfert.
D'autres amendements viseront à limiter dans le temps les transferts, afin d'assurer la stabilité de la politique patrimoniale étatique ainsi que le maintien des investissements de long terme nécessaires et, d'autre part, de faire en sorte que les conditions imposées par les dons et legs soient respectées.
Nous proposerons enfin que tous les personnels puissent bénéficier des mêmes droits, notamment ceux garantis par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, et qu'il ne soit pas établi de différences entre eux selon les types de transfert. L'ensemble des emplois doit évidemment être garanti.
Vous le voyez, sauf si la majorité acceptait d'améliorer considérablement cette proposition de loi, notamment en y inscrivant le principe de l'interdiction de vente des monuments historiques, les députés communistes, républicains, citoyens, et du parti de gauche, ne pourront émettre un vote favorable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État, la majorité montre son attachement à la sauvegarde et à la mise en valeur de notre patrimoine sous toutes ses formes.
À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, le Gouvernement avait prévu de modifier les conditions de transfert aux collectivités territoriales du patrimoine monumental de l'État en introduisant un article relançant le processus de décentralisation opéré en application de la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales. Le Conseil constitutionnel a finalement censuré cet article, comme l'ont rappelé les orateurs précédents.
Adoptée au Sénat le 26 janvier dernier, la présente proposition de loi vise à encadrer ce dispositif de décentralisation des monuments historiques et à conforter la cohérence de la politique patrimoniale et culturelle de l'État. Elle traduit les propositions formulées dans le rapport d'information du groupe de travail présidé par la sénatrice Françoise Férat sur l'avenir du Centre des monuments nationaux, organisme auquel nous sommes, nous aussi, très attachés. Comme d'autres collègues, j'avoue avoir été décontenancé par cette proposition de loi arrivant du Sénat dans la mesure où, en commission, notre rapporteur s'évertuait à repousser les premiers amendements alors que, visiblement, le texte méritait d'être amélioré. Grâce à la perspicacité et à l'initiative de la présidente de la commission des affaires culturelles, que je remercie, le débat a pu avoir lieu.
De quoi s'agit-il précisément ?
Il devient nécessaire de légiférer sur la dévolution des monuments historiques de l'État afin de garantir une approche respectueuse du patrimoine de la mémoire collective et des citoyens qui rejettent les méthodes qui pourraient laisser penser que l'État brade son patrimoine. Il faut avouer que l'État n'est pas toujours exemplaire dans l'entretien de son patrimoine monumental car il peut se révéler très coûteux.
C'est pourquoi il faut envisager les dévolutions aux collectivités territoriales de manière sereine, transparente et rigoureuse.
Il s'agit tout d'abord, à l'article 1er, de créer une instance nationale, le Haut conseil du patrimoine, intervenant de façon systématique afin de garantir une analyse objective et scientifique avant tout transfert ou toute cession d'un monument historique, notamment en identifiant ceux ayant vocation culturelle ou nécessitant des prescriptions relatives à leur valorisation culturelle.
La composition du Haut conseil du patrimoine, associant des personnalités qualifiées issues d'horizons très variés – historiens, architectes, représentants de l'administration, parlementaires, élus territoriaux –, garantira une approche objective des enjeux culturels. L'avis de ce Haut conseil devra être écouté et respecté.
C'est en effet au Haut conseil qu'il reviendra d'apprécier, pour chaque monument dont la cession est envisagée, l'opportunité de le céder, soit à titre de transfert gratuit s'il est souhaitable qu'il fasse l'objet d'un projet culturel, soit à titre onéreux dans les autres cas.
Il s'agit par ailleurs, à l'article 4, de relancer la dévolution aux collectivités territoriales mais en l'encadrant. Ainsi, seuls les monuments jugés « transférables » par le Haut conseil du patrimoine pourront être cédés aux collectivités. Leur dépeçage, comme le craignent certains, est impossible. Le transfert à titre gratuit implique un véritable projet culturel. Le déclassement du domaine public, nécessaire pour pouvoir opérer des cessions à titre onéreux, devra lui aussi être autorisé par le Haut conseil du patrimoine.
La proposition de loi consacre également, en son article 3, le système de péréquation du Centre des monuments nationaux, indispensable à son équilibre puisque chacun des six monuments bénéficiaires finance en moyenne quinze monuments du réseau. Si l'un des six disparaissait, l'équilibre serait rompu.
Enfin, la proposition de loi réaffirme le rôle prééminent du ministre de la culture dans la dévolution, ce qui est de nature à rassurer Mme Boulestin.
Ces dispositions législatives offrent des garanties sérieuses et indispensables pour la protection de notre patrimoine monumental. Le groupe UMP salue le travail remarquable du rapporteur Éric Berdoati, qui a su infléchir le texte initial en remédiant à certaines imprécisions.
C'est pourquoi le groupe UMP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, passer par le biais d'une proposition de loi – en l'occurrence celle de nos collègues du Sénat Françoise Férat et Jacques Legendre – permet au Gouvernement d'éviter soigneusement de déposer un projet de loi, et ce faisant de recueillir l'avis du Conseil d'État et de présenter une étude d'impact.
Cette proposition de loi vise à étendre les possibilités de transfert des monuments nationaux par l'État aux collectivités territoriales sans limite dans le temps et à assouplir les modalités de ce transfert, en permettant notamment à l'État de leur céder à titre onéreux certains monuments ou sites. Elle modifie le code du patrimoine mais également le code général de la propriété des personnes publiques et le code général des collectivités territoriales.
Sa principale mesure consiste en la création d'un Haut conseil du patrimoine chargé d'établir la liste des monuments transférables et de donner un avis sur le transfert à titre gratuit aux collectivités à condition qu'elles présentent un projet culturel.
Le Haut conseil pourra statuer sur l'opportunité du déclassement du domaine public en vue de la revente d'un monument ayant été transféré à une collectivité à titre gratuit. Il se prononcera également sur toute vente par l'État de l'un de ses monuments. Il sera informé de tout projet de bail emphytéotique d'une durée supérieure ou égale à trente ans et pourra alors s'autosaisir. Si la demande de transfert est accompagnée d'un projet culturel, la cession se fera à titre gratuit, sinon à titre onéreux, selon la procédure du code général de la propriété des personnes publiques.
Pour la petite histoire, je rappelle que la commission Rémond, mise en place par M. Jean-Jacques Aillagon lorsqu'il était ministre de la culture, avait fixé les critères devant prévaloir lors de l'arrêt de la liste des monuments transférables. Étaient exclus de cette liste les monuments ou sites faisant partie de la mémoire de la nation ou rappelant les gloires et discordes de la patrie ; ceux bénéficiant d'un rayonnement ou d'une notoriété à l'échelle internationale ; les sites archéologiques datant de la préhistoire ou pour lesquels seul l'État a les compétences et moyens d'entretien ; les monuments liés aux relations de la France avec les nations étrangères ; ceux récemment acquis par l'État ou nécessitant d'importants moyens financiers ; toutes les cathédrales.
Nous avions émis les plus grandes réserves sur le dispositif de l'article 97 de la loi du 13 août 2004 et souhaité écrire dans la loi – nous inspirant des préconisations de la commission Rémond – que la liste des monuments historiques transférables ne devait comporter « ni les cathédrales, leurs cloîtres et les palais épiscopaux attenants, ni les abbayes-mères, ni les palais nationaux, ni les monuments d'intérêt national ou fortement symboliques au regard de la nation ».
Nous avions également proposé de mieux encadrer la convention signée entre l'État et la collectivité concernée afin de fixer les servitudes et les obligations attachées au monument transféré, notamment l'utilisation envisagée ainsi que les modalités d'une éventuelle ouverture au public et les conditions de présentation des objets qu'il renferme. Nous avions enfin demandé que mention soit faite de l'état de conservation du bien au moment du transfert de propriété.
Le Sénat, en décembre 2009, avait déjà posé plusieurs garde-fous : le pouvoir de désignation de la collectivité bénéficiaire du transfert de propriété devait revenir au ministre de la culture et non au préfet ; interdiction était faite de la vente à la découpe d'un monument par transfert de meubles ou de parties d'immeubles ; l'État gardait un droit d'opposition à la cession du bien par la collectivité, mais dans un délai de vingt ans seulement.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre 2009, a censuré cette disposition au motif qu'elle constituait un cavalier budgétaire sans lien avec la loi de finances. Sa décision s'appuyait sur des motifs de forme. Sur le fond, aucun motif n'a été invoqué pour montrer que le dispositif de l'article 116 de la loi de finances de 2010 remettait en cause un principe à valeur constitutionnelle, ce qui laissait ouverte au législateur la possibilité de légiférer ultérieurement dans le sens de la disposition annulée en décembre 2009.
C'est ainsi que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a rapidement mis en place un groupe de travail sur le Centre des monuments nationaux, qui a rendu un rapport dont ce texte tire sa source. Il proposait ainsi de transférer aux collectivités certains des monuments classés et inscrits appartenant à l'État, en vertu d'une liste élaborée par le nouveau Haut conseil du patrimoine.
À travers les cessions de biens à titre onéreux, votre texte permet à l'État de se débarrasser d'une partie de son patrimoine en réalisant une opération financière auprès des collectivités qui en disposeront par la suite. L'exemple du projet de vente par l'État de l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris, illustre parfaitement cette politique et les intentions du Gouvernement à l'encontre du patrimoine national. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a a priori dans ce texte beaucoup d'éléments séduisants : la référence au patrimoine mondial, la notion de péréquation des recettes pour une partie du patrimoine national, le classement d'ensembles mobiliers et la possibilité d'instituer une servitude de maintien in situ. À cet égard, je me souviens d'avoir saisi la DRAC d'Aquitaine pour l'alerter des risques de dispersion de la bibliothèque du philosophe et ancien questeur de l'Assemblée nationale, Maine de Biran : il n'y avait à l'époque aucun moyen d'agir alors que, demain, il sera peut-être possible de préserver cet ensemble.
Autre élément intéressant : la possibilité confirmée et élargie de transférer aux collectivités territoriales qui le souhaitent une partie du patrimoine national. À cet égard, la création du Haut conseil du patrimoine paraît à première vue à même d'instituer des garde-fous.
Je voudrais cependant émettre certaines réserves.
Tout d'abord, même si ce n'est pas essentiel, le critère de « projet culturel » pour décider d'un transfert me semble un peu faible. Je ne connais guère de monuments historiques qui ne puissent porter un projet culturel et guère de collectivités qui ne soient capables de monter un projet culturel autour d'un monument.
Par ailleurs, je voudrais exprimer des inquiétudes plus profondes. Depuis des années, je suis, auprès de vos prédécesseurs et auprès de vous-même, monsieur le ministre, l'affaire du château de Bridoire. Laissé à l'abandon, il a fait l'objet d'une expropriation en 2003. Tous les élus, toutes les collectivités territoriales ont manifesté alors leur intention de sauvegarder ce château médiéval où le Père de Foucauld aimait parfois à se retirer.
L'État a décidé de le proposer pour un euro symbolique aux collectivités territoriales avant de le mettre en vente. Or, à ce jour, aucune collectivité ne s'est déclarée prête à le reprendre. Pourquoi ? Pour deux raisons. D'abord, ce qui fait hésiter beaucoup d'entre elles n'est pas tant la question du prix de cession que la perspective de charges d'entretien et de réparations extrêmement lourdes. Ensuite, les collectivités de cette région riche d'un patrimoine préhistorique et historique déjà très important sont confrontées à des charges dont le poids est souvent disproportionné par rapport à leurs moyens.
Ainsi, l'État a du mal à assumer la charge de la totalité du patrimoine existant mais les collectivités territoriales ne sont malheureusement pas en mesure de le relayer. Je crains donc qu'il n'y ait un désengagement des uns et des autres, qui conduise en fait à des cessions très larges.
N'allons pas penser que chacun va tenter de renflouer ses finances en vendant le patrimoine historique. Mais l'État et les collectivités risquent trop souvent de considérer que ce patrimoine est une charge trop lourde.
Or je crains qu'avec le dispositif proposé, cette tentation ne se développe. Le problème des charges d'entretien et des perspectives de réparation est pesant, et j'ai peur qu'il ne conduise à un désengagement. C'est pourquoi je souhaite que ce texte soit accompagné de garde-fous beaucoup plus forts. Dans l'hypothèse de cessions, il faudrait des garanties plus poussées, notamment pour préserver le droit du public et le devenir de ces monuments historiques.
C'est la raison pour laquelle, à titre personnel, je soutiendrai les amendements qui iront dans cette direction.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 28 juin dernier, lors de l'examen en commission de la proposition de loi relative au patrimoine monumental, le rapporteur indiquait que le Gouvernement attendait un vote conforme de notre assemblée.
Par ailleurs, la gauche étant majoritaire en commission – comme en cet instant dans l'hémicycle – la séance fut levée avant tout examen des amendements et une nouvelle réunion convoquée pour s'assurer de la présence de la majorité. Est-ce là une façon de travailler ?
En réalité, l'absence des députés de la majorité marque leur réticence par rapport à ce texte. Notre assemblée s'est aussi sentie malmenée par la forme qu'il a prise : proposition de loi au lieu de projet de loi, avec des députés UMP commis d'office pour assurer la besogne comme des porteurs d'eau dans le peloton du Tour de France ! Artifice qui permet au Gouvernement de s'exempter de toute responsabilité vis-à-vis de l'Assemblée : pas d'avis du Conseil d'État, pas d'étude d'impact.
Reste la question posée, celle de la transférabilité des monuments nationaux. Sommes-nous hostiles par principe à leur dévolution aux collectivités territoriales ? Non, car nous estimons qu'il est possible de favoriser une implication croissante des collectivités territoriales dans la conservation et l'animation de ce patrimoine, d'autant qu'elles peuvent déjà en être largement considérées comme les animatrices.
La condition première est que les moyens puissent suivre et que l'objectif visé par les transferts procède d'une véritable politique patrimoniale.
Quelle philosophie sous-tend ce texte ? Ne s'agit-il pas tout simplement de permettre à l'État de vendre une partie de son patrimoine pour financer le déficit budgétaire ? Aux collectivités de se débrouiller ou – pourquoi pas ? – de se financer par le même moyen, en recourant à une vente éventuellement spéculative.
Le transfert par l'État de son patrimoine aux collectivités territoriales n'est pas une nouveauté. Ainsi, la loi du 13 août 2004 permet déjà à l'État et au Centre des monuments nationaux de transférer à titre gratuit aux collectivités locales des monuments classés ou inscrits dont la liste est fixée par décret. Mais a-t-on analysé l'application de ce texte ? En réalité, peu de transferts ont été effectués. Ainsi, sur les 176 monuments inscrits sur la liste dite Rémond, seule une soixantaine de conventions ont été signées.
Or, vous l'avez dit au Sénat, monsieur le ministre, la contrainte économique pèse sur ceux de ces monuments qui ne feraient pas l'objet d'une demande de transfert. En d'autres termes, désormais, tout document inscrit sur une liste, que ce soit par le Haut conseil du patrimoine ou par la commission Rémond, est susceptible d'être vendu, bien qu'il y soit inscrit en raison de son intérêt culturel.
Peut-être cela explique-t-il le présent texte, qui permet une vente à titre onéreux : on comprend qu'il faille appeler à la rescousse les collectivités territoriales pour financer en lieu et place de l'État l'animation et l'entretien du patrimoine.
Que dire encore du texte ? Je me bornerai à deux aspects principaux : le Haut conseil, le transfert du patrimoine.
Il est donc créé un Haut conseil du patrimoine, nouvelle autorité administrative. Je ne reviens pas à ce que j'ai déjà dit : le Président de la République ne souhaitait-il pas supprimer ce type d'instance ? Va cependant pour ce Haut conseil du patrimoine, qui interviendrait afin de garantir une analyse objective et scientifique avant toute décision de cession d'un monument historique.
On pourrait certes s'interroger sur la nécessité de créer un nouvel organisme. Peut-être aurait-on pu recourir à la Commission nationale des monuments historiques : son domaine de responsabilité est particulier, mais on aurait pu envisager d'étendre ses compétences.
Si l'on admet néanmoins sa création, ce Haut conseil se prononcera-t-il sur la revente par les collectivités des monuments transférés à titre onéreux ? Sur les conditions du transfert, voire de la vente, des meubles et objets associés aux monuments ? Exercera-t-il un contrôle sur l'application future des prescriptions qu'il formulera lors d'un transfert ? Rien de tout cela n'est prévu !
Par ailleurs, quels impératifs gouverneront ses décisions ? Car nous devons nous méfier des décisions de l'instant, les monuments nationaux intéressant non seulement les citoyens d'aujourd'hui, mais aussi ceux de demain.
J'en viens au second point : la notion même de transfert.
Pourquoi ne pas s'être familiarisé avec les dispositions qui siéent aux tableaux appartenant aux collections nationales ? Ainsi, la mise à disposition par le prêt temporaire ou permanent fonctionne à merveille et bénéficie à plusieurs centaines de musées en France.
En ce qui concerne l'implication – peut-être nécessaire – des collectivités territoriales, nous sommes favorables au transfert de l'usage des monuments nationaux plutôt, a priori, qu'à celui de leur propriété. Car les collectivités locales qui recevront la propriété des bâtiments seront absolument libres d'en faire ce qu'elles veulent, notamment – pourquoi pas ? – de les vendre, surtout si elles les ont acquis à titre onéreux.
Rien n'est prévu non plus pour que l'État puisse récupérer les biens transférés dans l'hypothèse où les préconisations formulées par le Haut Conseil en vue du transfert ne seraient pas respectées. Pourquoi ne pas instituer un rapport régulier permettant au Haut conseil de s'assurer du bon emploi du bien transféré ? Pourquoi ne pas prévoir de sanctions en cas de non-respect des conditions de la mise à disposition ?
Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, où sont les garde-fous qui nous prémuniraient contre la vente d'un monument historique à des opérateurs privés ou contre un usage non culturel par les collectivités locales ? Du reste, que veut dire « usage culturel » ?
S'agit-il vraiment ici de politique du patrimoine, ou simplement d'organiser les fins de mois budgétaires de l'État ? Où sont passées vos missions de sauvegarde, de conservation, de mise en valeur du patrimoine national ? Où sont les 400 millions d'euros que le Président de la République s'était engagé à consacrer à l'entretien des monuments ? Plusieurs collègues se sont déjà interrogés sur ce dernier point. Cette somme a pu, je crois, être inscrite au budget une année, mais je la cherche encore dans le dernier budget en date.
Faut-il transférer la propriété de ce patrimoine lorsque l'urgence économique semble prévaloir ? Pour toutes les raisons que je viens de citer, nous posons à nouveau cette question. En la matière, il faut légiférer avec une grande précaution.
Monsieur le ministre, en 2009, répondant à l'une des questions que je vous posais lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, vous avez annoncé que vous aviez commandé à une personnalité – dont j'ignore le nom – une mission de six mois sur les dévolutions de monuments nationaux. Avez-vous procédé à cette nomination ? Cette étude a-t-elle été réalisée ? Bref, où en est-on ? Je ne sais si vous me répondrez. Quoi qu'il en soit, à défaut d'étude d'impact, il nous aurait été utile de connaître les conclusions de cette mission.
Le patrimoine est affaire de culture. Trois documents récents – le rapport du comité d'analyse économique, le rapport de la Cour des Comptes sur les musées et l'exercice de prospective sur la culture et les médias réalisé par le ministère de la culture – tirent la sonnette d'alarme. Nous vivons une époque où la politique culturelle, et ses impératifs de protection des oeuvres et de démocratisation de l'accès à la culture, s'effacent devant une conception économique de la culture – pour ne pas dire une conception économique tout court.
Il faut donc réagir pour se soustraire au risque évoqué par l'écrivain Jacques Ruffié, selon lequel « aucune culture, aucune religion, aucune civilisation n'est à l'abri de la destruction ». Le ministère de la culture doit accomplir sa mission de service public, sa mission de sauvegarde du patrimoine national qui, je le rappelle, est l'affaire de tous. De tous ici présents, au sein de cette assemblée, mais aussi de tous ceux qui composeront les générations futures. Et lorsque nous légiférons, nous devons songer que nous serons jugés par les générations futures. C'est à cette aune que toutes nos décisions doivent être prises. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le ministre, je vous avais interrogé lors des questions au Gouvernement sur la cession de l'Hôtel de la Marine ; je me réjouis, pour l'instant, de l'évolution de ce dossier.
Une loi s'imposait pour encadrer les ventes par l'État de biens nationaux. Vous avez choisi d'en passer par une proposition de loi, ce qui vous évite de consulter le Conseil d'État. Cette proposition de loi, qui a le mérite d'évoluer, ne limite toutefois pas suffisamment le transfert du patrimoine de l'État.
Depuis 2004, le processus de cession est en cours : une soixantaine ont été réalisées. Mais, depuis cette date, aucun bilan n'a été dressé. Est-ce bien raisonnable ?
Nos monuments nationaux sont, pour la plupart, des chefs-d'oeuvre d'architecture ; ils appartiennent à la République tout entière, aux soixante millions de Françaises et de Français. Si la cession à titre gratuit à une collectivité territoriale me paraît une bonne chose, il me semble en revanche inacceptable que l'on autorise la revente d'un monument historique classé ou inscrit, qui constitue un bien inaliénable. De plus, la cession gratuite devrait être liée à un projet culturel élaboré et pérenne.
Je ne suis pas non plus hostile à une utilisation multiple du bien cédé. On a ainsi connu, s'agissant de plusieurs palais nationaux, des initiatives heureuses ; je songe aux boutiques et restaurants du Louvre ou du Petit Palais. Pourquoi pas un partenariat avec le secteur privé, dès lors que l'intérêt public en sort vainqueur ?
Je me méfie en revanche des baux emphytéotiques. En cinquante ans, et plus encore en quatre-vingt-dix-neuf ans, on peut transformer, on peut même détruire un bien, lorsqu'il ne s'agit que de le rentabiliser.
Il faut donc des textes précis, supervisés par des spécialistes, qui ne soient pas seulement juristes. À cet égard, je me félicite de la création d'un Haut conseil du patrimoine. Je souhaite, monsieur le ministre, que sa constitution fasse l'objet d'une concertation, qui s'étende à toutes les professions concernées, en particulier à l'ordre des architectes, qui me semble devoir être le principal interlocuteur en la matière.
Ce Haut conseil doit être un organe décisionnel, et non pas simplement consultatif. Toutes les cessions doivent être soumises à son accord et à ses avis, de même que les baux emphytéotiques.
D'autre part, pour chaque transfert par l'État, les collectivités concernées doivent pouvoir introduire un recours devant le juge administratif. Et cela suppose évidemment un minimum de publicité. Le Journal officiel me semble constituer ce minimum.
Dès lors qu'un projet culturel est en jeu, il est indispensable qu'il soit suivi de près par vos services, qu'il s'agisse des modifications ou des travaux. À cette fin, un rapport annuel me semble nécessaire, ainsi qu'un état des lieux détaillé, assorti de photos, au moment de la cession. Rien ne doit pouvoir être modifié sans la consultation et l'avis conforme des architectes des Bâtiments de France.
C'est trop !
Mais non, monsieur le ministre, ou alors on peut faire n'importe quoi ! On a toujours l'impression que c'est trop lorsqu'il s'agit de protection. En la matière, les contraintes sont certes difficiles à accepter, j'en ai bien conscience.
Que deviendront les objets mobiliers attachés à l'édifice ? Ils ne doivent pas être séparés. On aménage un château en hôtel, mais que fait-on des meubles ?
Je m'interroge également sur le respect de la volonté de tous ceux qui ont fait des dons ou des legs à l'État. Nous en avons déjà parlé.
La disparition des commissions départementales des objets mobiliers au profit d'une commission régionale me semble en outre irréaliste. La conservation de ce que nous avons de plus précieux ne doit pas être sacrifiée sur l'autel de la RGPP, surtout lorsqu'il s'agit de grandes régions telles l'Aquitaine ou l'Île-de-France.
Enfin, quel est l'avenir du Centre des monuments nationaux, privé des droits d'entrée de nombreux palais et expositions ? Que deviendra son personnel ? Sera-t-il cédé gratuitement, lui aussi ?
Tout n'est pas négatif dans cette proposition de loi. Mais elle mérite d'être amendée positivement, comme l'ont dit mes collègues, afin que l'esprit que nous voulons lui insuffler ne soit pas dévoyé par l'irruption d'opérateurs tournés vers le commerce et l'argent plutôt que vers la culture et l'intérêt général.
Permettez-moi pour conclure, monsieur le ministre, de citer le rapport de Jacques Rigaud sur l'inaliénabilité des collections des musées, rapport soutenu par votre prédécesseur, Mme Albanel : « Avant de parler de sa valorisation économique, songeons que ce bien commun est au coeur même de ce que l'on a longtemps appelé le génie de la France. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir est problématique à bien des égards, qu'il s'agisse de la forme ou du fond.
Sur la forme, j'ai rarement vu un texte aussi mal ficelé et un examen en commission aussi chaotique. (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le texte qui nous vient du Sénat est bien mal écrit, nous en sommes tous d'accord. Cela me surprend un peu, les sénateurs mettant habituellement un soin jaloux à peaufiner leurs propositions de loi du point de vue juridique.
En outre, il a été déposé trop rapidement, si bien que nous n'avons pas eu le temps de l'étudier correctement. Le travail du rapporteur et de la commission a été d'autant plus perturbé qu'au moment du dépôt, le Gouvernement semblait souhaiter une adoption conforme du texte voté au Sénat. Cette demande était techniquement irréalisable – en témoigne le nombre d'amendements rédactionnels déposés par le rapporteur – mais aussi politiquement inacceptable. À quoi sert-il d'avoir deux chambres si la seconde est priée d'enregistrer le travail de l'autre, sans y apporter la moindre modification ?
Quand il s'agit d'un texte déjà travaillé en amont, qui est le fruit d'une négociation interprofessionnelle, on peut éventuellement le comprendre ; mais ici, il n'y a aucune justification à demander un vote conforme. Ce texte mériterait presque un renvoi en commission, afin d'être retravaillé.
Ces conditions de travail ne permettent certainement pas d'aboutir à une bonne qualité de la loi, et l'excuse qui consiste à faire voter ce texte en invoquant un examen en seconde lecture ou une clause de revoyure n'est pas pertinente : on connaît l'encombrement du calendrier parlementaire.
Sur le fond, j'ai également de très fortes réticences. Cette proposition de loi organise en effet un abandon par l'État de la propriété de monuments historiques. Autant, dans bien des secteurs, je suis plutôt favorable à des privatisations afin d'alléger un État devenu obèse, autant je considère que l'on est ici au coeur d'une mission régalienne de l'État, celle qui consiste à conserver et entretenir le patrimoine et la mémoire nationale.
À partir du moment où un bâtiment est classé monument historique, c'est qu'il a une valeur patrimoniale, qu'il est le témoin d'une époque ou chargé d'une mémoire. On est très largement dans l'immatériel, dans l'affectif. Dans ce domaine, il n'y a pas de petit et de grand patrimoine.
Croire qu'une commission parisienne peut évaluer le caractère transférable, donc non essentiel, d'un petit monument de province, c'est faire une lourde erreur d'analyse. On néglige complètement l'attachement de la population à ses monuments.
Je suis donc contre le principe même de transférer la propriété de monuments historiques, ou alors il faut le faire de manière très exceptionnelle et à l'issue d'un débat public. La vente d'une parcelle de forêt domaniale n'est possible qu'après le vote d'une loi alors que celle d'un monument historique pourrait se réaliser sur simple avis d'un comité Théodule : il y a quelque chose qui ne va pas dans l'échelle des valeurs !
On pourrait très bien atteindre le but affiché, qui est de permettre aux collectivités territoriales d'animer culturellement des monuments historiques, tout en conservant la propriété de l'État par le mécanisme des baux emphytéotiques. On peut en effet passer un bail de très longue durée, jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans, où la collectivité locale, tout comme un usufruitier, gère et administre le monument comme elle l'entend, mais ne peut pas le vendre ou effectuer de gros travaux sans autorisation du propriétaire. Je ne comprends pas que l'on ait écarté un tel système, à moins qu'il n'y ait, derrière cette volonté de transférer à tout prix la propriété, d'autres considérations moins avouables que l'on a tenu à garder secrètes.
Autre point qui me fâche : on crée un nouveau comité Théodule. Comme si nous n'en avions pas assez ! Le « jaune » budgétaire en compte déjà pas moins de 697. Il n'y a pas une loi sans son comité consultatif, alors que presque systématiquement, en cherchant bien, on trouve un comité existant qui pourrait parfaitement remplir les missions dévolues au nouveau comité.
Ici, il n'y a pas besoin de chercher très longtemps pour constater que la Commission nationale des monuments historiques a toutes les compétences et toute la légitimité pour remplir la mission dévolue au nouveau Haut conseil du patrimoine. Il suffirait de quelques aménagements techniques, en créant par exemple une section spécialisée dans la question des transferts de propriété. Un simple décret suffit, et que d'économies d'argent public !
Voilà, mes chers collègues, un texte bien mal parti, qu'il va falloir sérieusement amender sur le fond et sur la forme. Si des changements substantiels ne sont pas apportés lors de l'examen des articles qui va s'ouvrir, je ne pourrai accepter de voter cette proposition de loi.
La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président, je propose que nous poursuivions demain soir, à vingt et une heures trente, nos travaux sur la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Discussion du projet de loi fixant le nombre de conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et la justice des mineurs ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;
Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 6 juillet 2011, à une heure cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma