C'est pourquoi il est juste d'affirmer que défendre le patrimoine ne signifie pas qu'on doive le garder dans la main exclusive de l'État.
Comme le disait fort bien René Rémond dans son rapport de 2003, qui a constitué le fondement de la première vague de décentralisation postérieure à la loi relative aux libertés et responsabilités locales, la décentralisation du patrimoine monumental de l'État aux collectivités territoriales n'est pas « une déchéance et une rétrogradation dans l'échelle des dignités ». Elle contribue plutôt à « insuffler une âme » à la décentralisation, et permet également « d'introduire une certaine rationalité dans un ensemble disparate qui s'est constitué au hasard des circonstances ».
Le bilan positif de cette première expérience, qui a conduit au transfert de soixante-cinq monuments, nous conduit naturellement à relancer ce processus de décentralisation. J'observe d'ailleurs que notre collègue Mme Marland-Militello nous avait précédés sur ce chemin par le dépôt d'une proposition de loi en février 2010.
Le dispositif qui nous est proposé par le Sénat est différent de celui qui nous avait été soumis dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010 et qui a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier budgétaire. Il s'inspire des conclusions du rapport d'information de notre collègue Françoise Férat, rapport dont j'ai déjà souligné la qualité et le sérieux. Ce rapport porte sur le Centre des monuments nationaux et précise que les transferts doivent être relancés, élargis à tous les monuments historiques, et ne pourront concerner que la totalité d'un monument et non une partie, comme le prévoyait le projet de loi de finances, ce qui devrait éviter le « dépeçage » d'un bien.
La présente proposition de loi renforce cette idée et vise à contenir les risques liés à une dévolution qui ne serait pas encadrée.
Mes chers collègues, le premier apport de ce texte est, sans hésitation, la création d'un Haut conseil du patrimoine. Quatre missions principales lui sont confiées.
Premièrement, se prononcer sur tout projet de transfert à une collectivité territoriale dans le cadre prévu à l'article 4, mais aussi sur tout projet de cession par l'État d'un monument historique à une personne publique ou privée. Les critères pris en compte seraient notamment ceux qui avaient été dégagés par la commission Rémond.
Deuxièmement, identifier, parmi les monuments historiques appartenant à l'État, ceux qui ont une vocation culturelle et fixer le cas échéant des prescriptions permettant de la respecter.
Troisièmement, se prononcer sur l'opportunité du déclassement du domaine public d'un monument appartenant à l'État en vue de sa vente ou d'un monument transféré préalablement à une collectivité territoriale et susceptible d'être revendu.
Quatrièmement, enfin, se prononcer sur les projets de bail emphytéotique administratif d'une durée supérieure à trente ans, précision qui, dans le contexte de la polémique autour de l'Hôtel de la Marine, n'est pas sans utilité.
Ces dispositions permettent d'imposer une analyse objective et scientifique en amont de toute décision de cession d'un monument historique, et ce au regard du régime de propriété qui doit s'imposer, mais aussi de l'utilisation qui doit être faite du monument, notamment de son utilisation culturelle. Elles permettent également de conforter le rôle du ministre de la culture dans le processus de transfert, et donc de garantir la prise en compte d'une dimension patrimoniale et culturelle parfois insuffisamment considérée dans la politique immobilière de l'État.
Cette proposition de loi comporte également une avancée réclamée de longue date par le Centre des monuments nationaux et les défenseurs du patrimoine. En effet, elle inscrit pour la première fois dans un texte législatif le principe de la péréquation effectuée au sein du CMN et permet de garantir que, demain, les monuments déficitaires, qui constituent l'écrasante majorité des monuments du CMN, continueront à bénéficier des excédents dégagés par les six monuments bénéficiaires.
L'article 1er A consacre dans notre droit la notion de patrimoine mondial, afin d'en assurer une meilleure protection.
L'article 2 bis comporte des dispositions attendues depuis fort longtemps par les défenseurs du patrimoine : la possibilité de classer des objets non pas isolément, mais comme ensemble cohérent, et celle de grever les objets ou ensembles classés de servitudes de maintien in situ. La regrettable affaire dite des « châteaux japonais » avait illustré les carences de notre arsenal législatif, carences que le texte vient aujourd'hui combler.
Enfin, et surtout, devrais-je même dire, cette proposition de loi aborde la réflexion sur le patrimoine sous un angle nouveau, celui de l'utilisation culturelle des monuments historiques. En effet, si la vocation culturelle des monuments concernés par la première étape de la décentralisation allait de soi, dans la mesure où elle concernait les seuls monuments affectés au ministère de la culture, il n'en va pas de même pour la totalité des monuments historiques que sont les prisons, les casernes, les tribunaux, les immeubles de bureaux, et tant d'autres. Cependant, il importe de se demander, avant tout transfert ou toute cession, si un monument n'a pas vocation à faire l'objet d'une animation ou d'une valorisation culturelle, ce qui justifierait une attention particulière. C'est principalement ce à quoi veillera le Haut conseil.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, cette proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État vient combler un vide juridique qui a pu être à l'origine d'errements passés, dont l'aboutissement nous a menés directement à l'aventure bien mal engagée de l'Hôtel de la Marine. Il est pour le moins paradoxal que les mêmes qui dénoncent une situation par ailleurs bien réelle s'opposent aujourd'hui à une réponse qui, si elle n'est pas absolument parfaite, est sans nul doute de nature à éviter que ne se reproduisent les errements du passé.
C'est pour toutes ces raisons que je vous demande d'adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)