Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues : « J'ai aidé à conquérir celle de vos libertés qui les vaut toutes, la liberté de la presse » a écrit Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe. Il anticipait la loi du 29 juillet 1881.
Un demi-siècle plus tard, la loi Bichet du 2 avril 1947 a proclamé le principe de la liberté de la distribution de la presse, de l'égalité des éditeurs face à la distribution et de la solidarité entre éditeurs et coopérateurs.
Aujourd'hui, nous sommes conviés à nous approcher de cet idéal. La prudence et la sagacité doivent éclairer nos débats.
Mais sont-elles au rendez-vous ? Comment ne pas s'indigner de voir le règlement de notre assemblée détourné pour traiter d'une des libertés les plus fondamentales de notre République, par le dépôt d'une proposition de loi qui n'en a que le nom ? Si le Gouvernement avait déposé un projet de loi, nous aurions disposé d'une étude d'impact, et de plus de temps pour étudier la question dans son ensemble.
Les difficultés de la presse écrite justifient-elles cette forme d'urgence qui tendrait à nous imposer un vote conforme ? Nous ne le pensons pas. L'urgence est toujours une décision.
Alors, monsieur le ministre, pourquoi avoir tant attendu pour présenter un texte ?
Le Livre vert du 8 janvier 2009 prévenait pourtant : « Si nous voulons que les états généraux ne restent pas lettre morte, il faut agir vite et fort. Les six prochains mois seront déterminants et dépendent de la rapidité d'exécution des mesures proposées.
« Au-delà de cette date [et] faute de réformes, il faudra alors envisager une approche beaucoup plus radicale, remettant en question les grands équilibres de l'industrie : séparation de la presse d'information politique et générale des autres formes de presse, remise en cause du système coopératif de distribution, redéfinition des taux de TVA par type de presse . »
Autant de questions importantes qui sont sur le métier depuis des mois.
Doit-on comprendre que le premier coup de canif porté à la coopération est dû au retard pris par le Gouvernement ?
Alors qu'il aurait fallu débattre avant de légiférer, seule l'urgence commande, au mépris d'une sagace prudence.
Nous savons pourtant depuis longtemps que le secteur de la distribution de la presse est exposé à des déséquilibres industriels majeurs, qui affectent les trois niveaux du circuit de distribution.
Au niveau un, les messageries de presse connaissent des difficultés financières considérables. Ainsi, la situation déficitaire de Presstalis a nécessité la réalisation d'un plan de sauvetage de 125 millions d'euros. Il est en cours.
Au niveau deux, les dépositaires sont exposés à de fortes baisses de volume et de chiffre d'affaires, et à une restructuration forte à venir.
Au niveau trois, les diffuseurs de presse – les marchands de journaux – sont sans conteste les parents pauvres de la chaîne de distribution et ont besoin d'une réorganisation et d'un financement.
Bien entendu, il faut considérer la loi Bichet à l'aune de ces difficultés. Bien entendu, l'amélioration de la gouvernance est souhaitable. Bruno Lasserre le rappelait, « faute d'un régulateur disposant d'un pouvoir incontestable », les réorganisations du secteur n'ont pu se faire dans la transparence.
Aussi sommes-nous convaincus de la nécessité d'une réforme, nourrie de la réflexion de chacun. Est-ce encore possible ?
Parce qu'il ne nous propose pas une révolution, mais plutôt une évolution, le texte n'est pas sans intérêt.
La disposition majeure vise à rendre plus efficace la prise de décision par les partenaires. C'est principalement le rôle de l'article 2 qui toilette la composition du Conseil supérieur des messageries de presse et redéfinit ses prérogatives.
Il instaure une Autorité de régulation de la distribution de la presse, afin de rendre exécutoires les recommandations de portée générale prises par le Conseil et d'arbitrer les différends relatifs au fonctionnement, à l'organisation ou à l'exécution des contrats des sociétés coopératives.
Mais fallait-il créer une nouvelle autorité indépendante ? C'est la dixième que ce gouvernement crée depuis 2007 ! Le Président de la République n'avait-il pas annoncé son intention de supprimer ces « machins », au motif qu'ils nuisaient à la lecture des décisions qu'il appartient à l'autorité politique de prendre ?
Les états généraux de la presse, comme Bruno Lasserre dans son rapport, avaient proposé des dispositifs différents qu'il aurait été instructif de discuter ici.
La modification de la composition du Conseil supérieur des messageries de presse, à l'article 3, n'est pas sans intérêt. Malheureusement, le nombre de représentants du personnel est réduit de trois à deux.
L'article 4 de la proposition de loi organise l'architecture institutionnelle de la régulation du système coopératif de distribution de la presse, l'articulation entre l'Autorité et le Conseil. Malgré la nécessité d'un débat plus attentif sur cette architecture, nous sommes prêts à acter ces choix.
Cependant deux questions restent posées, dont l'une plus sensible que l'autre.
L'alinéa 67 de l'article 4 donne à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse le pouvoir de formuler un avis sur l'évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messageries de presse. N'est-ce pas limiter la souveraineté de ces sociétés alors que l'article 12 de la loi Bichet soumet les dispositions financières à l'approbation du CSMP ?
L'autorité administrative finira-t-elle par donner un avis à une instance qui donne un avis à l'autorité ? C'est du moins ainsi que j'interprète cet alinéa 67. J'attends des explications du ministre ou du rapporteur sur ces avis qui s'enchaînent, alors que l'Autorité a pour rôle de décider, non de donner des avis.
Mais c'est sur l'alinéa 26 de l'article 4 que nos questions sont les plus vives.
Cet alinéa donne compétence au Conseil supérieur des messageries de la presse pour définir les conditions d'une distribution non exclusive par une messagerie de presse et les conditions d'une distribution directe par le réseau des dépositaires centraux de presse sans adhésion à une société coopérative de messagerie de presse.
Peut-on accepter que la mutualisation des moyens permettant la péréquation des coûts et l'accès aux mêmes prestations pour les ventes au numéro soit ainsi malmenée ? Ne s'agit-il pas d'un premier coup de canif porté à la loi Bichet, pour ensuite, suivant la proposition de loi déposée par M. Richard Mallié, supprimer purement et simplement cette loi ? Le syndicat du Livre a d'ailleurs envahi sa permanence parlementaire.
Nous déposerons des amendements pour écarter ce coup de canif ou au moins limiter la portée de cette disposition. Sur une telle question, nous aurions souhaité que le débat soit beaucoup plus large.
Ainsi, s'il y a consensus entre nous, c'est incontestablement autour de la nécessité d'aider la presse écrite, dont la situation est difficile.
De ce point de vue, si un certain nombre de choses ont été faites, de nombreux sujets méritent encore notre attention.
Député de Rennes, je mesure à quel point la mutualisation de la presse régionale et nationale est un sujet sur lequel nous devons réfléchir, et agir. Contrairement à l'idée avancée par certains, cette mutualisation est intéressante pour la PQR, non pas dans les centres urbains, mais bien dans les campagnes, en apportant un volume de presse plus important aux marchands de journaux traditionnels.
S'agissant du portage, l'ensemble de la profession demande une visibilité sur plusieurs années pour se structurer et s'organiser. Est-ce votre orientation, monsieur le ministre ?
La pérennité des aides au portage me semble essentielle à son avenir. En effet, la France n'a pas la densité de population de l'Allemagne ou de la Belgique, où la poste distribue les quotidiens chaque jour pour 20 centimes d'euros.
Plus généralement, deux ans après leur tenue, les états généraux ont-ils changé la donne économique du secteur de la presse ?
Les mesures annoncées dernièrement sont certainement plus conformes à l'idée que nous nous faisons des aides à la presse. Ainsi, un meilleur contrôle des aides, mieux orientées vers la presse d'information, permet d'être plus au diapason de la notion de service public.
En revanche, l'aide à toute initiative numérique pourrait, dans un premier temps au moins, être concentrée sur l'accompagnement des éditeurs de presse actuels vers le numérique.
De même le bonus à la mutualisation pose la question des groupe de presse. En les aidant financièrement à mutualiser leurs propres titres, on risque d'aider ces groupes de presse eux-mêmes et non les titres.
Le ministre pourra probablement nous éclairer sur ces questions.
En somme, loin de prédire la mort du papier à l'instar de Rupert Murdoch, nous considérons que la presse a un bel avenir devant elle.
La loi Bichet offre à tous les éditeurs un moyen de libre circulation des idées et des opinions. Elle constitue un socle sacré sans lequel la Déclaration des droits de l'homme et la loi sur la liberté de la presse seraient lettre morte.
C'est pourquoi nous en défendons les principes et réclamons un vrai texte de loi après un vrai débat parlementaire.
Le groupe socialiste, républicain et citoyen fixera sa position définitive sur ce texte en fonction du débat qui s'ouvre, en fonction des réponses qui seront faites à nos observations et propositions. Il n'appartient donc qu'à vous de faire que le groupe socialiste vote pour. C'est possible. Nous le voulons, à condition que vous le vouliez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)