Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 28 juin dernier, lors de l'examen en commission de la proposition de loi relative au patrimoine monumental, le rapporteur indiquait que le Gouvernement attendait un vote conforme de notre assemblée.
Par ailleurs, la gauche étant majoritaire en commission – comme en cet instant dans l'hémicycle – la séance fut levée avant tout examen des amendements et une nouvelle réunion convoquée pour s'assurer de la présence de la majorité. Est-ce là une façon de travailler ?
En réalité, l'absence des députés de la majorité marque leur réticence par rapport à ce texte. Notre assemblée s'est aussi sentie malmenée par la forme qu'il a prise : proposition de loi au lieu de projet de loi, avec des députés UMP commis d'office pour assurer la besogne comme des porteurs d'eau dans le peloton du Tour de France ! Artifice qui permet au Gouvernement de s'exempter de toute responsabilité vis-à-vis de l'Assemblée : pas d'avis du Conseil d'État, pas d'étude d'impact.
Reste la question posée, celle de la transférabilité des monuments nationaux. Sommes-nous hostiles par principe à leur dévolution aux collectivités territoriales ? Non, car nous estimons qu'il est possible de favoriser une implication croissante des collectivités territoriales dans la conservation et l'animation de ce patrimoine, d'autant qu'elles peuvent déjà en être largement considérées comme les animatrices.
La condition première est que les moyens puissent suivre et que l'objectif visé par les transferts procède d'une véritable politique patrimoniale.
Quelle philosophie sous-tend ce texte ? Ne s'agit-il pas tout simplement de permettre à l'État de vendre une partie de son patrimoine pour financer le déficit budgétaire ? Aux collectivités de se débrouiller ou – pourquoi pas ? – de se financer par le même moyen, en recourant à une vente éventuellement spéculative.
Le transfert par l'État de son patrimoine aux collectivités territoriales n'est pas une nouveauté. Ainsi, la loi du 13 août 2004 permet déjà à l'État et au Centre des monuments nationaux de transférer à titre gratuit aux collectivités locales des monuments classés ou inscrits dont la liste est fixée par décret. Mais a-t-on analysé l'application de ce texte ? En réalité, peu de transferts ont été effectués. Ainsi, sur les 176 monuments inscrits sur la liste dite Rémond, seule une soixantaine de conventions ont été signées.
Or, vous l'avez dit au Sénat, monsieur le ministre, la contrainte économique pèse sur ceux de ces monuments qui ne feraient pas l'objet d'une demande de transfert. En d'autres termes, désormais, tout document inscrit sur une liste, que ce soit par le Haut conseil du patrimoine ou par la commission Rémond, est susceptible d'être vendu, bien qu'il y soit inscrit en raison de son intérêt culturel.
Peut-être cela explique-t-il le présent texte, qui permet une vente à titre onéreux : on comprend qu'il faille appeler à la rescousse les collectivités territoriales pour financer en lieu et place de l'État l'animation et l'entretien du patrimoine.
Que dire encore du texte ? Je me bornerai à deux aspects principaux : le Haut conseil, le transfert du patrimoine.
Il est donc créé un Haut conseil du patrimoine, nouvelle autorité administrative. Je ne reviens pas à ce que j'ai déjà dit : le Président de la République ne souhaitait-il pas supprimer ce type d'instance ? Va cependant pour ce Haut conseil du patrimoine, qui interviendrait afin de garantir une analyse objective et scientifique avant toute décision de cession d'un monument historique.
On pourrait certes s'interroger sur la nécessité de créer un nouvel organisme. Peut-être aurait-on pu recourir à la Commission nationale des monuments historiques : son domaine de responsabilité est particulier, mais on aurait pu envisager d'étendre ses compétences.
Si l'on admet néanmoins sa création, ce Haut conseil se prononcera-t-il sur la revente par les collectivités des monuments transférés à titre onéreux ? Sur les conditions du transfert, voire de la vente, des meubles et objets associés aux monuments ? Exercera-t-il un contrôle sur l'application future des prescriptions qu'il formulera lors d'un transfert ? Rien de tout cela n'est prévu !
Par ailleurs, quels impératifs gouverneront ses décisions ? Car nous devons nous méfier des décisions de l'instant, les monuments nationaux intéressant non seulement les citoyens d'aujourd'hui, mais aussi ceux de demain.
J'en viens au second point : la notion même de transfert.
Pourquoi ne pas s'être familiarisé avec les dispositions qui siéent aux tableaux appartenant aux collections nationales ? Ainsi, la mise à disposition par le prêt temporaire ou permanent fonctionne à merveille et bénéficie à plusieurs centaines de musées en France.
En ce qui concerne l'implication – peut-être nécessaire – des collectivités territoriales, nous sommes favorables au transfert de l'usage des monuments nationaux plutôt, a priori, qu'à celui de leur propriété. Car les collectivités locales qui recevront la propriété des bâtiments seront absolument libres d'en faire ce qu'elles veulent, notamment – pourquoi pas ? – de les vendre, surtout si elles les ont acquis à titre onéreux.
Rien n'est prévu non plus pour que l'État puisse récupérer les biens transférés dans l'hypothèse où les préconisations formulées par le Haut Conseil en vue du transfert ne seraient pas respectées. Pourquoi ne pas instituer un rapport régulier permettant au Haut conseil de s'assurer du bon emploi du bien transféré ? Pourquoi ne pas prévoir de sanctions en cas de non-respect des conditions de la mise à disposition ?
Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, où sont les garde-fous qui nous prémuniraient contre la vente d'un monument historique à des opérateurs privés ou contre un usage non culturel par les collectivités locales ? Du reste, que veut dire « usage culturel » ?
S'agit-il vraiment ici de politique du patrimoine, ou simplement d'organiser les fins de mois budgétaires de l'État ? Où sont passées vos missions de sauvegarde, de conservation, de mise en valeur du patrimoine national ? Où sont les 400 millions d'euros que le Président de la République s'était engagé à consacrer à l'entretien des monuments ? Plusieurs collègues se sont déjà interrogés sur ce dernier point. Cette somme a pu, je crois, être inscrite au budget une année, mais je la cherche encore dans le dernier budget en date.
Faut-il transférer la propriété de ce patrimoine lorsque l'urgence économique semble prévaloir ? Pour toutes les raisons que je viens de citer, nous posons à nouveau cette question. En la matière, il faut légiférer avec une grande précaution.
Monsieur le ministre, en 2009, répondant à l'une des questions que je vous posais lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, vous avez annoncé que vous aviez commandé à une personnalité – dont j'ignore le nom – une mission de six mois sur les dévolutions de monuments nationaux. Avez-vous procédé à cette nomination ? Cette étude a-t-elle été réalisée ? Bref, où en est-on ? Je ne sais si vous me répondrez. Quoi qu'il en soit, à défaut d'étude d'impact, il nous aurait été utile de connaître les conclusions de cette mission.
Le patrimoine est affaire de culture. Trois documents récents – le rapport du comité d'analyse économique, le rapport de la Cour des Comptes sur les musées et l'exercice de prospective sur la culture et les médias réalisé par le ministère de la culture – tirent la sonnette d'alarme. Nous vivons une époque où la politique culturelle, et ses impératifs de protection des oeuvres et de démocratisation de l'accès à la culture, s'effacent devant une conception économique de la culture – pour ne pas dire une conception économique tout court.
Il faut donc réagir pour se soustraire au risque évoqué par l'écrivain Jacques Ruffié, selon lequel « aucune culture, aucune religion, aucune civilisation n'est à l'abri de la destruction ». Le ministère de la culture doit accomplir sa mission de service public, sa mission de sauvegarde du patrimoine national qui, je le rappelle, est l'affaire de tous. De tous ici présents, au sein de cette assemblée, mais aussi de tous ceux qui composeront les générations futures. Et lorsque nous légiférons, nous devons songer que nous serons jugés par les générations futures. C'est à cette aune que toutes nos décisions doivent être prises. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)