Ces conditions de travail ne permettent certainement pas d'aboutir à une bonne qualité de la loi, et l'excuse qui consiste à faire voter ce texte en invoquant un examen en seconde lecture ou une clause de revoyure n'est pas pertinente : on connaît l'encombrement du calendrier parlementaire.
Sur le fond, j'ai également de très fortes réticences. Cette proposition de loi organise en effet un abandon par l'État de la propriété de monuments historiques. Autant, dans bien des secteurs, je suis plutôt favorable à des privatisations afin d'alléger un État devenu obèse, autant je considère que l'on est ici au coeur d'une mission régalienne de l'État, celle qui consiste à conserver et entretenir le patrimoine et la mémoire nationale.
À partir du moment où un bâtiment est classé monument historique, c'est qu'il a une valeur patrimoniale, qu'il est le témoin d'une époque ou chargé d'une mémoire. On est très largement dans l'immatériel, dans l'affectif. Dans ce domaine, il n'y a pas de petit et de grand patrimoine.
Croire qu'une commission parisienne peut évaluer le caractère transférable, donc non essentiel, d'un petit monument de province, c'est faire une lourde erreur d'analyse. On néglige complètement l'attachement de la population à ses monuments.
Je suis donc contre le principe même de transférer la propriété de monuments historiques, ou alors il faut le faire de manière très exceptionnelle et à l'issue d'un débat public. La vente d'une parcelle de forêt domaniale n'est possible qu'après le vote d'une loi alors que celle d'un monument historique pourrait se réaliser sur simple avis d'un comité Théodule : il y a quelque chose qui ne va pas dans l'échelle des valeurs !
On pourrait très bien atteindre le but affiché, qui est de permettre aux collectivités territoriales d'animer culturellement des monuments historiques, tout en conservant la propriété de l'État par le mécanisme des baux emphytéotiques. On peut en effet passer un bail de très longue durée, jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans, où la collectivité locale, tout comme un usufruitier, gère et administre le monument comme elle l'entend, mais ne peut pas le vendre ou effectuer de gros travaux sans autorisation du propriétaire. Je ne comprends pas que l'on ait écarté un tel système, à moins qu'il n'y ait, derrière cette volonté de transférer à tout prix la propriété, d'autres considérations moins avouables que l'on a tenu à garder secrètes.
Autre point qui me fâche : on crée un nouveau comité Théodule. Comme si nous n'en avions pas assez ! Le « jaune » budgétaire en compte déjà pas moins de 697. Il n'y a pas une loi sans son comité consultatif, alors que presque systématiquement, en cherchant bien, on trouve un comité existant qui pourrait parfaitement remplir les missions dévolues au nouveau comité.
Ici, il n'y a pas besoin de chercher très longtemps pour constater que la Commission nationale des monuments historiques a toutes les compétences et toute la légitimité pour remplir la mission dévolue au nouveau Haut conseil du patrimoine. Il suffirait de quelques aménagements techniques, en créant par exemple une section spécialisée dans la question des transferts de propriété. Un simple décret suffit, et que d'économies d'argent public !