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Intervention de Monique Boulestin

Réunion du 5 juillet 2011 à 21h30
Patrimoine monumental de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Boulestin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce jour, la législation en vigueur concernant le transfert du patrimoine monumental de l'État reste la loi de 2004 et son article 97 qui donne la possibilité à l'État et au Centre des monuments nationaux de transférer la propriété des monuments classés ou inscrits dont la liste est fixée par décret aux collectivités territoriales qui en font la demande.

En amont de ces dispositions s'inscrit la commission Rémond, dont les critères prévalent toujours lors de l'arrêt de la liste des monuments transférables. Ainsi, 176 monuments transférables ont été retenus ; 70 ont fait l'objet d'une candidature de transfert et une soixantaine de transferts – 66 avez-vous dit, monsieur le ministre – ont été signés à ce jour.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui veut aller plus loin. Nous nous interrogeons sur sa portée, car nous craignons une reprise déguisée de l'article 116, initialement article 52, du projet de loi de finances pour 2010. En effet, cet article, que j'avais déjà dénoncé dans mon rapport budgétaire pour avis, prévoyait déjà d'assouplir les conditions de transfert. J'en rappelle le contenu pour mémoire.

Il donnait compétence aux établissements publics d'État, avec avis du préfet, pour autoriser le transfert de propriété d'un monument à la place de l'État, et sans avis du ministre de la culture, ce qui est pour nous insupportable.

Plus aucune liste ne devait fixer la série des monuments et objets transférables.

Le transfert pouvait désormais porter sur une partie du monument ou une partie de ses meubles. Ainsi, les collectivités pouvaient acheter les monuments historiques « à la découpe », pour parler familièrement.

Le monument transféré pouvait faire l'objet d'une « réutilisation éventuelle dans des conditions respectueuses de son histoire et de son intérêt artistique et architectural ». Mais aucune garantie n'avait à être apportée quant à l'usage culturel du bien acquis. Il devenait donc possible de transformer un monument historique en hôtel ou en centre de loisirs, comme cela s'est déjà produit ou est en passe de se produire.

Certes, nous ne pouvons qu'être soulagés par la censure du Conseil constitutionnel pour cause de « cavalier budgétaire ». Cependant, cet article a été censuré sur la forme, non sur le fond. Aucun motif n'a été invoqué en vertu duquel le dispositif de l'article 116 remettrait en cause un principe à valeur constitutionnelle. Rien ne s'opposait donc plus à ce que, ultérieurement, on puisse légiférer dans le sens de cette disposition annulée en décembre 2009.

La présente proposition de loi tend donc à reprendre plusieurs des dispositions de cet article censuré.

Même si elle comporte plus de « garde-fous» que l'article 116, elle n'en demeure pas moins une réforme dangereuse au regard de l'objectif de préservation et de mise en valeur des monuments nationaux classés et inscrits. J'ai bien noté, monsieur le ministre, votre souci de mieux préserver notre patrimoine inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Mais, en ce qui concerne les cessions de biens à titre onéreux, ce texte ouvre la possibilité à l'État de se débarrasser d'une partie de son patrimoine, en réalisant une opération financière auprès des collectivités pour qu'elles en fassent ensuite ce que bon leur semble.

Remarquons au passage qu'une telle possibilité s'inscrit parfaitement dans la politique de rentabilité de la culture arrêtée par le Président de la République depuis le début de son quinquennat, au détriment de la préservation du patrimoine historique, commun à tous les Français.

De plus, le texte autorise le transfert des monuments ou sites sans leurs objets et meubles. Si l'on peut comprendre que dans certains cas les objets que contient un monument ou un site ne présentent pas un intérêt majeur, dans d'autres cas l'ameublement renforce, voire fait l'intérêt du monument, d'où l'importance d'un amendement que nous présenterons à ce sujet.

En cas de cession gratuite d'un bien patrimonial aux collectivités dans le but de poursuivre un projet culturel, il convient d'espérer qu'en période de resserrement budgétaire, celles-ci auront toujours les moyens d'entretenir ces monuments et sites, témoins de l'histoire de France et de valeurs artistiques inestimables.

Mes chers collègues, le transfert de notre patrimoine monumental doit se faire selon des modalités respectueuses de l'histoire et de l'architecture de ces édifices, ainsi que de leur contribution aux missions culturelles de service public. La création d'un Haut Conseil du Patrimoine, dans la ligne des travaux de la commission Rémond, s'impose donc pour nous comme une évidence. Elle constitue bien, monsieur le ministre, la mesure phare de cette proposition de loi.

Cependant, estimant que le Gouvernement a envisagé avec beaucoup trop de précipitation la dévolution du patrimoine monumental de l'État aux collectivités, nous souhaitons en encadrer les modalités par plusieurs amendements. Je rejoins là les regrets exprimés notamment par Mme Tabaro.

Nous sommes convaincus que les prérogatives du Haut Conseil du Patrimoine doivent être étendues. Ainsi, il devrait impérativement se prononcer sur tous les transferts à titre onéreux et sur tous les baux emphytéotiques – qui vont de trente à quatre-vingt-dix neuf ans et ne sont ni plus ni moins que des transferts déguisés – ; délivrer des avis conformes et non des avis simples car un simple avis consultatif pourra toujours être contourné ; enfin, suivre le devenir des bâtiments à long terme : il est en particulier essentiel que le Haut conseil soit saisi lors de tout changement de statut du monument – changement de projet ou de propriétaire.

Notre crainte de voir brader le patrimoine découle de notre volonté de garder intacts des monuments fondateurs de notre identité et de notre mémoire collective.

Sans revenir indéfiniment sur les tristes affaires de l'Hôtel de la Marine et du Musée de l'histoire de France, sur la polémique à propos du transfert des archives ou sur la situation du patrimoine français à l'étranger, nous insistons pour que soit bien posée, à l'occasion de chaque dévolution, la question du projet culturel motivant la reprise.

Nous souhaitons donc que les points suivants soient pris en compte.

Toute sortie du domaine public doit être autorisée par le Haut conseil. En effet, les transferts à titre onéreux n'étant pas contrôlés par le HCP, une collectivité pourra ainsi demander à bénéficier d'un transfert à titre payant aux seules fins de spéculation immobilière. Et à l'issue d'une revente, rien ne sera soumis à contrôle !

L'État doit pouvoir demander la restitution du bien concerné. Le dépeçage doit être interdit pour le patrimoine mobilier comme pour le patrimoine immobilier.

La revente d'un monument transféré à titre gratuit doit être formellement interdite pour éviter la spéculation immobilière sur les monuments nationaux.

Enfin, une voie de recours devant le juge administratif doit être ouverte aux collectivités s'estimant lésées par le transfert.

Monsieur le ministre, le texte qui nous est soumis n'a pour objectif que de permettre à l'État de céder le patrimoine national, dans le but inavoué de remplir ses caisses.

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