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Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du 5 juillet 2011 à 21h30
Patrimoine monumental de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les auteurs de la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État prétendaient, dans leur exposé des motifs, donner « un signal fort pour tous les citoyens qui craignent aujourd'hui que l'État ne soit tenté de brader son patrimoine » en traduisant fidèlement les recommandations adoptées à l'unanimité par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat à la suite de l'adoption controversée de l'article 52 du projet de loi de finances pour 2010.

Cet article 52, heureusement censuré par le Conseil constitutionnel, remettait en cause la pérennité même du patrimoine national, fondée sur un équilibre et une péréquation financière entre monuments garantis par le Centre des monuments nationaux. Il visait à transférer gratuitement aux collectivités qui en feraient la demande la propriété des monuments de l'État.

Les parlementaires communistes, républicains et du parti de gauche ont qualifié de grande « braderie » ce dispositif par lequel tous les monuments sans exception pouvaient être acquis en totalité ou en partie sans contrôle, sans encadrement et même sans limite temporelle.

L'article 52 modifiait l'article 97 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Cette loi avait prévu la décentralisation des monuments historiques, mais pour les seuls monuments du ministère de la culture figurant sur la liste fixée par décret en Conseil d'État sur la base des conclusions du rapport remis en novembre 2003 par la commission que présidait René Rémond.

Selon la loi de 2004, toujours en vigueur, ces monuments ne peuvent être dépecés et seul le transfert intégral des biens meubles et immeubles est possible. Les collectivités territoriales ou leurs groupements ont en outre pour mission d'assurer la conservation du monument et, lorsqu'il est ouvert au public, d'en présenter les collections, d'en développer la fréquentation et d'en favoriser la connaissance.

Or, sous couvert d'encadrer le transfert aux collectivités des monuments inscrits ou classés, la proposition de loi qui nous est présentée renferme des motifs d'inquiétude proches de ceux déjà en germe dans l'article 52.

Les nouvelles possibilités de transfert pourraient en effet concerner a priori tout monument et seraient encore ouvertes sans limite dans le temps.

Le texte pose à nouveau la question du financement aléatoire par des collectivités locales aux ressources diminuées et celle du désengagement de l'État.

Enfin, rien n'empêche une possible vente de ces monuments par les collectivités territoriales au secteur privé. Cela remet en cause les finalités mêmes de la politique patrimoniale publique ainsi que la protection des monuments.

En réalité, le texte qui nous est soumis organise purement et simplement la vente du patrimoine national. Nous nous élevons solennellement contre ces mesures qui marqueraient un nouveau renoncement de notre pays à mener une politique patrimoniale digne de ce nom. Aussi proposerons-nous d'inscrire dans le code général de la propriété des personnes publiques le principe de l'interdiction de la vente des monuments classés ou inscrits appartenant à l'État ou aux collectivités territoriales. Nous préciserons que ces monuments ne pourront faire l'objet ni d'une procédure de déclassement, ni d'un bail emphytéotique administratif comme celui que l'on envisage dans la tentative de « cession » de l'Hôtel de la Marine.

Je rappelle que l'on peut remonter à l'édit de Moulins, pris en 1566 par le roi Charles IX, pour voir apparaître la première définition du domaine public. Son alinéa 13, en particulier, cite explicitement les monuments historiques, notamment le château de Coucy, situé en Picardie, qui appartient toujours à l'État et est géré aujourd'hui par le Centre des monuments nationaux.

Si certains députés de la majorité ont semblé sensibles à notre amendement – Michel Herbillon a notamment affirmé en commission qu'« il faudrait s'assurer qu'il y ait suffisamment de garde-fous pour éviter que le patrimoine puisse être vendu comme cela et bradé » –, la façon dont s'est déroulé l'examen du texte jusqu'à son arrivée aujourd'hui en séance n'est pas pour nous rassurer sur les intentions du Gouvernement.

Signe d'une certaine fébrilité, la discussion prévue en commission le 28 juin a été reportée. Le lendemain, dans une procédure plus que contestable, les députés ont été priés de retirer l'ensemble de leurs amendements pour que le texte soit adopté conforme et applicable le plus vite possible ! Cela pouvait être interprété comme « un passage en force inédit », comme l'a souligné le Syndicat national des monuments historiques CGT.

Heureusement, les choses se sont modifiées et nous pourrons débattre du contenu du texte. Je m'en félicite car la remise en cause du droit d'amendement contreviendrait à l'article 44 de la Constitution aux termes duquel « les membres du Parlement [...] ont le droit d'amendement » qui «s'exerce en séance ou en commission » et seul le Gouvernement peut demander que « l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés » par lui. Serait également méconnu l'article 86 du règlement, qui fixe les conditions d'exercice de ce droit en spécifiant que « tout député peut présenter un amendement en commission ».

Du reste, c'est apparemment le Gouvernement lui-même qui a passé commande, puisque Mme la présidente de la commission a révélé qu'elle s'était plainte auprès du ministre chargé des relations avec le Parlement de l'inscription « un peu à la hussarde » de cette proposition de loi ! Le rapporteur semble avoir accepté d'en être le porte-voix puisqu'il a, sans sourciller, affirmé en commission que «si l'impossibilité d'entretenir un monument historique contraint un jour [une collectivité territoriale] à le vendre, cela ne signifie pas la disparition de ce patrimoine, les biens appartenant à l'État n'étant pas nécessairement les mieux entretenus. Vendre un patrimoine peut même être un moyen d'assurer sa renaissance. »

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