Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, passer par le biais d'une proposition de loi – en l'occurrence celle de nos collègues du Sénat Françoise Férat et Jacques Legendre – permet au Gouvernement d'éviter soigneusement de déposer un projet de loi, et ce faisant de recueillir l'avis du Conseil d'État et de présenter une étude d'impact.
Cette proposition de loi vise à étendre les possibilités de transfert des monuments nationaux par l'État aux collectivités territoriales sans limite dans le temps et à assouplir les modalités de ce transfert, en permettant notamment à l'État de leur céder à titre onéreux certains monuments ou sites. Elle modifie le code du patrimoine mais également le code général de la propriété des personnes publiques et le code général des collectivités territoriales.
Sa principale mesure consiste en la création d'un Haut conseil du patrimoine chargé d'établir la liste des monuments transférables et de donner un avis sur le transfert à titre gratuit aux collectivités à condition qu'elles présentent un projet culturel.
Le Haut conseil pourra statuer sur l'opportunité du déclassement du domaine public en vue de la revente d'un monument ayant été transféré à une collectivité à titre gratuit. Il se prononcera également sur toute vente par l'État de l'un de ses monuments. Il sera informé de tout projet de bail emphytéotique d'une durée supérieure ou égale à trente ans et pourra alors s'autosaisir. Si la demande de transfert est accompagnée d'un projet culturel, la cession se fera à titre gratuit, sinon à titre onéreux, selon la procédure du code général de la propriété des personnes publiques.
Pour la petite histoire, je rappelle que la commission Rémond, mise en place par M. Jean-Jacques Aillagon lorsqu'il était ministre de la culture, avait fixé les critères devant prévaloir lors de l'arrêt de la liste des monuments transférables. Étaient exclus de cette liste les monuments ou sites faisant partie de la mémoire de la nation ou rappelant les gloires et discordes de la patrie ; ceux bénéficiant d'un rayonnement ou d'une notoriété à l'échelle internationale ; les sites archéologiques datant de la préhistoire ou pour lesquels seul l'État a les compétences et moyens d'entretien ; les monuments liés aux relations de la France avec les nations étrangères ; ceux récemment acquis par l'État ou nécessitant d'importants moyens financiers ; toutes les cathédrales.
Nous avions émis les plus grandes réserves sur le dispositif de l'article 97 de la loi du 13 août 2004 et souhaité écrire dans la loi – nous inspirant des préconisations de la commission Rémond – que la liste des monuments historiques transférables ne devait comporter « ni les cathédrales, leurs cloîtres et les palais épiscopaux attenants, ni les abbayes-mères, ni les palais nationaux, ni les monuments d'intérêt national ou fortement symboliques au regard de la nation ».
Nous avions également proposé de mieux encadrer la convention signée entre l'État et la collectivité concernée afin de fixer les servitudes et les obligations attachées au monument transféré, notamment l'utilisation envisagée ainsi que les modalités d'une éventuelle ouverture au public et les conditions de présentation des objets qu'il renferme. Nous avions enfin demandé que mention soit faite de l'état de conservation du bien au moment du transfert de propriété.
Le Sénat, en décembre 2009, avait déjà posé plusieurs garde-fous : le pouvoir de désignation de la collectivité bénéficiaire du transfert de propriété devait revenir au ministre de la culture et non au préfet ; interdiction était faite de la vente à la découpe d'un monument par transfert de meubles ou de parties d'immeubles ; l'État gardait un droit d'opposition à la cession du bien par la collectivité, mais dans un délai de vingt ans seulement.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre 2009, a censuré cette disposition au motif qu'elle constituait un cavalier budgétaire sans lien avec la loi de finances. Sa décision s'appuyait sur des motifs de forme. Sur le fond, aucun motif n'a été invoqué pour montrer que le dispositif de l'article 116 de la loi de finances de 2010 remettait en cause un principe à valeur constitutionnelle, ce qui laissait ouverte au législateur la possibilité de légiférer ultérieurement dans le sens de la disposition annulée en décembre 2009.
C'est ainsi que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a rapidement mis en place un groupe de travail sur le Centre des monuments nationaux, qui a rendu un rapport dont ce texte tire sa source. Il proposait ainsi de transférer aux collectivités certains des monuments classés et inscrits appartenant à l'État, en vertu d'une liste élaborée par le nouveau Haut conseil du patrimoine.
À travers les cessions de biens à titre onéreux, votre texte permet à l'État de se débarrasser d'une partie de son patrimoine en réalisant une opération financière auprès des collectivités qui en disposeront par la suite. L'exemple du projet de vente par l'État de l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris, illustre parfaitement cette politique et les intentions du Gouvernement à l'encontre du patrimoine national. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)