La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles, s'arrêtant à l'amendement n° 79 à l'article 5.
Je suis saisie d'un amendement n° 79 .
La parole est à M. Michel Bouvard, pour le soutenir.
Il s'agit de revoir l'organisation de l'assistance dont peut bénéficier le salarié en cas de rupture conventionnelle du contrat de travail. Cette assistance est en effet un élément clé de ce dispositif qui doit bien évidemment garantir la liberté de consentement des parties.
Le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, reprend le système existant pour l'entretien préalable au licenciement, à savoir une assistance soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise – en clair : un délégué syndical, un représentant du personnel élu ou un autre salarié –, soit par un conseiller du salarié, choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative.
Or il s'agit de deux situations très différentes. Dans le cas de l'entretien préalable, le rôle de l'assistant se limite quasiment à la rédaction d'un compte rendu, à un stade où le licenciement est tout juste envisagé. Dans celui de la rupture conventionnelle, il aura un réel rôle de conseil sur le principe même de ce licenciement et, surtout, sur ses modalités. Il convient donc, à mon sens, de prévoir la possibilité d'une assistance par un conseil extérieur, afin d'offrir la meilleure assistance possible au salarié, qui aura ainsi le choix.
De la même façon, ne pas prévoir la possibilité d'un conseil extérieur pour les salariés revient à interdire également à l'employeur – en particulier aux PME et aux petits artisans – de recourir à ses conseils habituels dans les affaires de ce type. Ce n'est pas un problème, bien évidemment, pour les grandes entreprises, qui, elles, disposent de leurs propres services juridiques. Cet amendement permettrait de rétablir l'équilibre entre les différentes catégories d'employeurs.
Aussi peut-on considérer qu'il est de l'intérêt de toutes les parties d'élargir l'assistance, et ce d'autant que la brièveté du délai de rétractation suppose, pour le salarié, de disposer d'un éclairage complet sur les incidences de la convention qu'il va signer.
La commission a rejeté l'ensemble des amendements qui prévoient la présence d'un avocat, mais je laisse Xavier Bertrand s'exprimer sur ce sujet.
Nous avons commencé ce débat tout à l'heure, sans avoir le temps de le conclure. Tous les protagonistes étant revenus dans l'hémicycle, nous allons pouvoir le poursuivre sans frustrer personne.
À M. Bouvard et à MM. Philippe Houillon et Frédéric Lefebvre, qui expriment des préoccupations similaires, je souhaite préciser que ce sont les partenaires sociaux qui ont entendu établir une liste limitative des personnes susceptibles d'assister les parties au contrat de travail durant l'entretien préparatoire : il s'agit de la transcription exacte de l'accord du 11 janvier. Suivant la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'entretien préalable au licenciement, l'employeur pourra se faire assister uniquement par une personne appartenant au personnel de l'entreprise. Si l'on envisageait d'élargir cette possibilité à un représentant d'une organisation patronale, auquel répondrait, parallélisme des formes oblige, le conseiller du salarié, une telle solution pourrait être approuvée par les signataires de l'accord. Mais nous aurons l'occasion d'y revenir tout à l'heure, M. Taugourdeau s'étant notamment penché sur cette question.
S'agissant plus particulièrement de l'intervention d'un avocat durant l'entretien, à l'appui de l'employeur ou du salarié, voire des deux, je précise qu'elle n'est pas prévue dans le code du travail et qu'elle remettrait en cause l'équilibre actuel. J'observe cependant que les avocats pourront intervenir, à l'appui de l'une ou l'autre partie, employeur ou salarié, avant ou après cet entretien, et notamment, si les parties le souhaitent, durant le délai de rétractation. Si le rôle des avocats est essentiel, il me semble en effet important de prévoir, dans la procédure, des moments réservés aux seules parties et à leurs représentants, élus ou conventionnels. Faisons donc bien la différence entre les trois temps de la procédure : avant, après et pendant l'entretien, moment réservé à la relation individuelle de travail. Le respect de l'équilibre du droit et de la négociation suppose en effet la présence pendant l'entretien des seules parties, éventuellement assistées par des membres de l'entreprise, qu'il s'agisse de titulaires de mandats représentatifs ou de représentants des partenaires sociaux. En revanche, je le répète, avant et après, un avocat peut intervenir en appui.
Les partenaires sociaux ont en outre voulu réduire la judiciarisation de leurs relations, en limitant la possibilité d'une intervention extérieure à la période avant ou après l'entretien. Nous partageons cette volonté.
Je pense donc que la solution retenue est équilibrée, et qu'elle peut donner satisfaction à tout le monde. Mais je souhaitais aussi préciser le cadre dans lequel l'intervention d'un avocat reste possible, de façon à ce que personne n'ait le sentiment d'être exclu de la procédure – bien que, à mon avis, l'entretien proprement dit doive être sanctuarisé. Voilà pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement. J'espère cependant vous avoir convaincu, monsieur Bouvard, et que, à l'instar de certains de vos collègues, vous le retirerez.
Monsieur le ministre, votre argumentation est, comme toujours, d'une grande clarté.
Néanmoins, nous ne parlons pas ici d'un entretien préalable à un éventuel licenciement, et c'est la limite de l'analogie qui est faite lorsqu'on prévoit l'appui d'un salarié ou d'un syndicaliste de l'entreprise. Nous sommes dans le cadre d'une procédure à l'amiable, où il s'agit de négocier.
Je prends acte qu'un professionnel du droit du travail pourra intervenir non seulement en amont, mais aussi pendant la période de rétractation, et que si, à ce stade, une démarche s'avérait nécessaire, le salarié pourrait se faire assister afin d'obtenir l'éclairage nécessaire et, le cas échéant, discuter des termes. Notre souhait est donc, somme toute, en partie satisfait. Dans ces conditions, et compte tenu de ce qu'a indiqué le ministre, je retire mon amendement.
Je voudrais revenir à ce que vient de dire Michel Bouvard.
Dans sa rédaction actuelle, le texte prévoit que le salarié pourra se faire assister par une personne choisie au sein de l'entreprise ou par un conseiller inscrit sur une liste dressée par l'autorité administrative. De son côté, l'employeur pourra se faire assister si le salarié a lui-même fait usage de cette possibilité.
Je crois qu'il est essentiel de laisser au salarié cette possibilité de choisir de se faire assister, ou non – mais nous y reviendrons tout à l'heure, à l'occasion de l'amendement n° 156 que je présente avec M. Tian. Toutefois, afin de parvenir à des conventions de rupture équilibrées, il me paraît nécessaire de protéger le salarié – une fois n'est pas coutume… –
Enfin des aveux ! Ils sont un peu tardifs, certes, mais ce sont quand même des aveux !
…et de prévoir qu'il puisse choisir de se faire assister par un conseil extérieur à l'entreprise, notamment un avocat spécialisé en droit du travail.
Salarié comme employeur peuvent aujourd'hui recourir aux services d'un avocat, cela va de soi. Même si celui-ci n'est pas autorisé à participer à l'entretien préalable, tout le monde sait qu'il intervient de manière informelle au cours de la procédure qui précède le licenciement. L'avocat est là avant, éventuellement après – si cela va plus loin –, mais pas pendant : c'est un peu hypocrite !
Il peut en effet intervenir aussi après le licenciement, devant le conseil des prud'hommes. C'est précisément ce que je voudrais éviter en lui permettant d'assister aux négociations en amont.
Or ce projet de loi ne prévoit pas la présence d'un avocat au cours des entretiens préalables à l'élaboration d'une convention de rupture du contrat de travail. Pourquoi ne pourrait-il pas être présent au coeur des négociations, alors qu'il intervient plus tard, devant le conseil des prud'hommes ? Est-ce parce qu'il s'agit d'une rupture amiable ? On peut se le demander. Alors qu'ils ont le droit, en France, d'intervenir devant n'importe quelle commission de discipline, les avocats ne peuvent toujours pas le faire dans l'entreprise à l'occasion d'une discussion aussi importante que la rupture du contrat de travail !
Dans le cas d'une rupture d'un commun accord entre l'employeur et le salarié, l'assistant ou l'avocat aura nécessairement un rôle de conseil, en vue d'éclairer le salarié non seulement sur le principe de la rupture conventionnelle, mais également sur ses incidences et ses modalités. Tout doit donc être fait pour que chacune des deux parties soit en mesure de faire respecter ses droits, ce qui aura le mérite d'éviter une juridiciarisation excessive par un recours devant le conseil des prud'hommes. Nous devons donc privilégier ce mode de rupture du contrat de travail, mais à la seule condition qu'il donne aux salariés comme aux employeurs la possibilité de recourir aux conseils d'un professionnel du droit. Les ruptures par consentement auraient ainsi des bases plus solides, garantissant notamment le consentement du salarié, ce qui nous permettrait de limiter le recours à l'arbitrage du juge.
Même avis.
Je m'en étais du reste expliqué avec M. Lefebvre, qui m'avait indiqué que si mes arguments étaient ceux que j'avais développés devant M. Bouvard, il accepterait de retirer cet amendement, dont l'objet est de souligner la préoccupation en la matière de ces professionnels du droit que sont les avocats.
Le droit du travail ne permettant pas aujourd'hui la mesure proposée dans cet amendement, il ne saurait être question de profiter de la transposition de l'accord national interprofessionnel pour le modifier sur ce point. En revanche, il était important, aux yeux de M. Lefebvre, de préciser le cadre d'intervention de l'avocat au cours de la procédure globale. C'est ce que j'ai eu à coeur de faire précédemment. C'est pourquoi le Gouvernement vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, afin de ne pas avoir à y donner un avis défavorable.
Notre souci était d'éviter des procédures inutiles devant les prud'hommes pour des questions de formes. De plus, le recours à un avocat se révèle d'autant plus onéreux que la procédure engagée est plus longue.
Toutefois, compte tenu des arguments avancés par le ministre, je retire mon amendement, tout en espérant qu'il abordera le sujet dans les négociations à venir avec les partenaires sociaux.
S'agissant de la rupture par consentement mutuel, le texte ne prévoit en aucune manière, par opposition à la procédure de licenciement, une convocation écrite. Il convient toutefois d'être un peu plus explicite que les dispositions prévues en indiquant que l'employeur pourra signifier par tout moyen cette possibilité d'assistance. Cette disposition est en outre protectrice des droits des salariés. Tel est l'objet de l'amendement n° 142 .
Défavorable, non pas tant sur le fond que sur la forme. En effet, il s'agit manifestement d'une disposition réglementaire, voire infraréglementaire. On peut donc supposer que le formulaire type, en cours d'élaboration, comportera bien, en vue d'éviter tout litige en la matière, la reconnaissance de la part des deux parties qu'elles ont été dûment informées de tous leurs droits, notamment en matière d'assistance ou de rétractation dans un délai de quinze jours. Cet amendement ne nous paraît donc pas s'imposer.
Même avis.
Monsieur Decool, les dispositions actuelles des alinéas 9 et 10 nous semblent à la fois suffisantes et conformes aux souhaits exprimés par les partenaires sociaux lors des négociations.
De plus, la demande d'homologation de la rupture conventionnelle qui sera transmise à la direction départementale du travail et de l'emploi comprendra la mention explicite de cet élément substantiel de la procédure. Le formulaire est actuellement en cours de rédaction. Le Gouvernement le transmettra aux parlementaires qui le souhaitent ainsi qu'aux présidents des commissions, aux rapporteurs et aux présidents de groupe : ils pourront ainsi s'assurer que toutes les précisions utiles y figurent de manière explicite.
Cette fois, je suis convaincu. C'est pourquoi, après avoir consulté ceux de mes collègues qui avaient cosigné l'amendement n° 142 , je le retire.
S'agissant toujours de la rupture par consentement mutuel, le texte ne précise pas si la possibilité de l'assistance de l'employeur lors des entretiens est cantonnée à des salariés de l'entreprise ou ouverte à des personnes extérieures. Sur ce point, il convient de reprendre les règles applicables en matière de licenciement. Tel est l'objet de l'amendement n° 143 .
Défavorable. Il nous semble en effet que cet amendement, qui limite les possibilités d'assistance, va dans le sens inverse de ceux, précédents examinés, qui visaient au contraire à rendre possible le recours à un avocat. La commission considère qu'il n'est pas anormal, au titre du parallélisme des formes, que le chef d'entreprise puisse être assisté par un tiers extérieur à l'entreprise, sans que ce soit un avocat, dès lors que le salarié peut bénéficier d'une assistance syndicale. Le respect de l'équilibre du système nous conduit donc à repousser cet amendement.
En revanche, la commission émettra un avis favorable à l'amendement n° 95 qui a pour objet de préciser ce point.
Même avis.
Monsieur Decool, les amendements nos 142 et 143 allant de pair, vous reconnaîtrez que le Gouvernement, par souci d'équilibre, ne peut que donner le même avis défavorable sur ces deux amendements. Vous ai-je convaincu ?
Je le répète : le formulaire apportera toutes les précisions utiles. C'est la raison pour laquelle, de nouveau, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
Le projet de loi prévoit que l'employeur peut se faire assister lors du ou des entretiens préalables à la conclusion de cette convention, mais uniquement quand le salarié se fait lui-même assister. Le salarié n'ayant aucune obligation d'informer préalablement l'employeur d'un tel souhait, l'employeur ne saura s'il peut lui-même se faire assister qu'au dernier moment, à savoir lorsque l'entretien débutera, ce qui semble réduire sa possibilité effective de se faire assister.
C'est pourquoi il convient de préciser dans le texte que « le salarié en informe l'employeur auparavant ».
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir le sous-amendement n° 161 .
Afin que cet entretien se déroule avec urbanité et de manière équitable, – vous me permettrez d'oublier, monsieur Daniel Paul, les conflits historiques et structurels qui traversent l'humanité –,…
…il me paraît normal, si l'employeur souhaite se faire assister – il en aura la possibilité si le salarié en a émis le souhait pour lui-même –, qu'il en informe à son tour le salarié. Tel est l'objet du sous-amendement n° 161 .
Le sous-amendement n'a pas été examiné par la commission. Toutefois, si je rappelle les remarques de Mme Billard sur l'esprit qui a présidé aux travaux de la commission, cela devrait me conduire à émettre un avis favorable, par souci d'équilibre, à la fois au sous-amendement n° 161 et à l'amendement n° 156 .
À partir du moment où le sous-amendement de M. Poisson vient équilibrer l'amendement de M. Tian, le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 156 ainsi sous-amendé.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 161 .
(Le sous-amendement est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 144 .
La parole est à M. Bernard Gérard, pour le soutenir.
À l'heure où on essaie de simplifier le code du travail, il serait bon de respecter une harmonisation quant aux jours fixés dans le code du travail et de ne retenir que des jours ouvrables. On notera d'ailleurs que le code du travail a commencé cette harmonisation en ne retenant que des jours ouvrables.
Cet amendement de précision vise donc, dans la première phrase de l'alinéa 14, à substituer au mot : « calendaires », le mot : « ouvrables ».
L'accord national interprofessionnel est très clair puisqu'il a pris la peine de préciser qu'il s'agissait de jours calendaires.
Souhaitant respecter à la lettre le texte de l'accord, ce que nous faisons, chaque fois que c'est possible, depuis que nous avons commencé à examiner le texte, j'émets un avis défavorable.
Défavorable.
Ne cherchons pas à compliquer une procédure qui fait dans la simplicité ! L'introduction de la notion de jours « ouvrables » serait grosse d'erreurs et donc source de contentieux. L'accord ayant retenu quinze jours « calendaires », il est préférable de s'y tenir. Chacun, employeur ou salarié, y gagnera en clarté et en lisibilité.
Il s'agit d'un amendement de clarification de la procédure de demande d'homologation. Il est de plus conforme à l'esprit de l'accord national interprofessionnel tout en ayant le mérite de sécuriser la rupture conventionnelle.
N'ayant pas convaincu la commission lorsque je l'ai soutenu devant elle, je vais m'efforcer d'être plus clair ce soir.
Rappelons tout d'abord que la rupture conventionnelle relève moins d'un divorce autorisé par la direction du travail que de la validation d'un constat de séparation. L'idée de cet amendement est née d'une réflexion pertinente de Mme Chantal Brunel,…
…connue pour son franc-parler, qui remarquait à juste titre en commission que compte tenu du manque de moyens dont souffrent les directions du travail, on peut facilement imaginer que l'homologation se fasse le plus souvent de manière tacite. Et Mme Brunel d'émettre non sans ingénuité l'hypothèse qu'aucune des deux parties n'envoie la demande d'homologation. L'hypothèse est d'autant plus crédible que le salarié, habitué à sa relation de subordination, pensera que l'employeur aura nécessairement envoyé le document. En cas d'absence de réponse, au bout de quinze jours chacun considérera que l'homologation est tacitement acceptée, ce qui peut être la source de multiples contentieux entraînant autant de recours.
C'est la raison pour laquelle l'amendement propose que ce ne soit pas « la partie la plus diligente » qui envoie le formulaire à la direction du travail, mais « chacune des deux parties ». Cette solution a le mérite de faciliter la procédure d'homologation, sans constituer une forme nouvelle d'autorisation de licenciement : en effet, le directeur du travail, qui n'aura plus qu'à constater la conformité des deux documents reçus, se sera ainsi assuré que les deux parties sont librement convenues de se séparer. Pour la direction du travail, recevoir de chacune des deux parties un document conforme se révèle donc la meilleure solution. Je le répète : cet amendement pratique est tout à fait conforme à l'esprit, sinon à la lettre, de l'accord.
De plus, l'adoption de cet amendement éviterait à l'une des deux parties de devoir endosser seule la responsabilité de la rupture.
Pour finir, une telle disposition protège le salarié victime d'une pression pour accepter la rupture conventionnelle et qu'on imagine mal envoyer son document. Il s'agit donc d'un amendement de bon sens.
La commission a rejeté cet amendement. Je me reconnais un peu plus sensible à l'argumentation de M. Gille cette fois-ci (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), je ne suis toutefois pas encore complètement convaincu. (« Oh ! » sur les mêmes bancs.)
Si vous voulez, mais il sera trop tard !
Je comprends bien votre argumentation, sauf que je ne vois pas de contradiction dans le texte. La « partie la plus diligente » concerne indifféremment l'une ou l'autre partie. Aussi l'amendement n'apporte-t-il rien.
Par ailleurs, il semble que, s'il était adopté, l'amendement créerait au moins deux ambiguïtés. Les deux parties devraient-elles absolument demander l'une et l'autre l'homologation ? Serait-ce une forme d'obligation ? On l'ignore. Par ailleurs, laquelle des deux demandes déclencherait le délai d'instruction de quinze jours ? Tout cela n'est évidemment pas précisé.
C'est imparable !
Pour ces raisons, je vous propose d'en rester à la position de la commission.
J'ai écouté avec attention ce qu'a dit M. Gille et, franchement, la conclusion du rapporteur est imparable. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On risque de créer une législation complexe, source de contentieux. Aussi ne nous emballons pas !
C'est l'homologation qui vaut validation. Il est donc bien dans l'intérêt de chacune des parties de transmettre une demande d'homologation. En effet, en l'absence de transmission, il n'y a pas d'homologation, et s'il n'y a pas d'homologation, il n'y a pas de validation.
Je comprends bien votre remarque puisque, pour ne rien vous cacher, quand nous avons commencé les travaux sur ce texte, nous avons posé nous-mêmes la question. Or, à partir du moment où l'homologation prime sur le reste, il n'y a aucun risque. J'ai en revanche été particulièrement séduit par l'interprétation du rapporteur. Le Gouvernement émet donc le même avis que la commission.
Je me réjouis de constater que mon argumentation vous a paru plus claire que précédemment et donc que le débat avance.
Le pessimisme est d'humeur et l'optimisme de volonté !
À propos de l'obligation des deux parties, j'ai cru comprendre qu'elle correspondait justement à l'esprit de la rupture conventionnelle : une séparation d'un commun accord. Il ne s'agit donc pas d'une obligation puisque les deux parties, aux termes de l'amendement, vont envoyer le formulaire spontanément.
Ensuite, laquelle des deux demandes déclenche le délai d'instruction de quinze jours ? J'ai réfléchi à la question et la réponse est assez simple. Le formulaire pourra justement indiquer – élément important – la date à laquelle on s'est mis d'accord pour signer l'accord de séparation. Une autre date indiquera la fin de la période de rétractation, quinze jours plus tard. Apparaîtront aussi les dates de dépôt de l'homologation.
Ce dispositif permettra en outre d'éviter les inconvénients liés aux ruptures telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui, c'est-à-dire de manière quelque peu illégale, des documents étant antidatées. Ainsi, grâce à l'amendement, les deux parties pourront se mettre d'accord sur les dates. Votre dernier argument ne tient donc plus. J'insiste : il s'agit d'un amendement pratique destiné à sécuriser cette rupture conventionnelle.
Je souhaite juste indiquer à M. Gille qu'il sera satisfait par le formulaire, qui prévoira bien les deux dates.
C'est pour cette raison que nous vous avions demandé de discuter du formulaire avant !
Je suis saisie d'un amendement n° 145 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le soutenir.
Il s'agit, à nouveau, d'insérer quelques mots après le terme « calendaires ».
Perseverare diabolicum !
S'agissant de la rupture par consentement mutuel, il faut éviter tout abus de l'autorité administrative en fixant une possibilité de renouvellement motivé du délai de quinze jours et pour une durée limitée d'instruction.
L'ajout, monsieur Decool, serait contraire à l'accord. Je pressens d'ailleurs, à votre sourire, que je suis sur le point de vous convaincre. En outre, l'adoption de l'amendement créerait une vraie complexité puisqu'il impliquerait implicitement un recours supplémentaire. Il y a donc vraiment danger.
C'est ainsi que l'on aime les députés UMP, quand ils retirent leurs amendements !
Je suis saisie d'un amendement n° 112 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
Même avis.
Je suis saisie d'un amendement n° 146 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le soutenir.
Il convient d'être plus précis sur les compétences du conseil des prud'hommes en visant également les conditions de la rupture.
Même avis, j'en suis désolé, pour des raisons de clarté.
Je suis saisie d'un amendement n° 110 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
L'objet de cet amendement est très simple. Il s'agit de supprimer les dispositions de l'alinéa 19 qui prévoit d'ouvrir aux salariés protégés le bénéfice des dispositions de l'article. Deux motifs nous paraissent justifier cette demande de suppression. D'abord, l'accord n'a jamais évoqué les salariés protégés ; il s'agit donc là d'une disposition supplémentaire qui n'a pas été discutée pendant les négociations. Cette possibilité est ensuite dangereuse puisqu'elle ouvre la porte à l'achat de mandats et aux pressions patronales.
Faut-il rappeler que le mandat de représentant n'est pas leur propriété, qu'il appartient à la collectivité de travail. Le représentant ne peut, pour ce motif, négocier son départ, mais simplement négocier une transaction postérieure à la rupture. Parce qu'elles ouvrent la voie à des pratiques de corruption et qu'elles ne sont pas de nature à favoriser la confiance des salariés dans leurs représentants, il nous paraît indispensable de renoncer à ces dispositions nouvelles.
Si l'accord n'a pas visé le salarié protégé, monsieur Muzeau, il ne contredit pas l'alinéa 19 dont les dispositions claires permettent de sécuriser la situation des salariés protégés. Aussi l'alinéa 19 mérite-t-il d'être conservé. Vous pourriez d'ailleurs retirer votre amendement car l'alinéa 19 va plutôt dans le sens d'une protection du salarié protégé.
On ne trouve dans les stipulations de l'accord et dans les dispositions du texte aucune restriction de la protection des salariés protégés. Par ailleurs, au nom de l'ordre public social, c'est bien sûr la vocation de l'État d'assurer leur protection. Il n'y a donc aucun risque.
Peut-être ne me suis-je pas bien fait comprendre. Le code du travail est très précis sur les questions relatives à la protection de cette catégorie de salariés. Or le présent texte ne constitue pas pour eux une protection supplémentaire mais, plus précisément, leur donne la possibilité de procéder à une rupture conventionnelle à leur initiative ou à celle de l'employeur, alors qu'ils n'en ont reçu mandat de personne. Le salarié protégé exerce une responsabilité de représentation des salariés et à aucun moment il n'a été question pour lui de mettre ainsi en jeu la décision des salariés de le désigner.
C'est le principe de la résiliation conventionnelle qui pose problème et non l'éventuel amoindrissement des protections dont bénéficient les salariés protégés. Or la seule possibilité d'une résiliation conventionnelle de contrat est gravissime car les relations du travail sont telles que personne ne peut imaginer qu'il n'y aura pas de pressions exercées sur les salariés protégés afin de les conduire à négocier leur départ alors même, j'y insiste, qu'ils n'en ont reçu mandat de personne.
Les deux lectures sont recevables. En effet, cette rupture conventionnelle nouvelle n'est pas visée par les procédures particulières de protection prévues par le code du travail au bénéfice des salariés protégés.
Aussi, quand le rapporteur affirme que si l'on supprime l'alinéa 19 les salariés concernés ne bénéficieront plus d'aucune protection, on risque de fait d'aboutir à la situation redoutée par M. Muzeau. Dans le même temps, l'argumentation de M. Muzeau n'est pas non plus dénuée d'intérêt et il faudrait réfléchir, peut-être au moment de la lecture sénatoriale, à la définition d'un dispositif plus équilibré.
Par conséquent, je ne crois pas qu'on puisse supprimer l'alinéa 19, mais il faudrait trouver une solution pour éviter que la situation évoquée par M. Muzeau ne se réalise.
Je suis saisie d'un amendement n° 147 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le soutenir.
L'amendement propose d'insérer, après le mot « retraite », les mots « à taux plein ». Les termes « pension de retraite » étant imprécis, il est nécessaire de se montrer plus explicite et de ne retenir que la notion de retraite à taux plein.
La commission a rejeté cet amendement. L'objectif du projet est bien d'écarter, non pas de la rupture conventionnelle mais au moins des avantages fiscaux y afférents, tous les salariés susceptibles non seulement d'être mis à la retraite d'office mais éventuellement de partir volontairement à la retraite. Il s'agit d'une position logique puisque le régime fiscal et social des indemnités de départ à la retraite, qu'il soit ou non volontaire, est beaucoup moins avantageux que celui des indemnités de licenciement sur lequel le régime de l'indemnité de rupture conventionnelle sera aligné. Il semble donc qu'il ne faille pas restreindre le texte aux retraites à taux plein.
Cet amendement n'est pas anodin par sa portée éventuelle. Si on l'applique, nous courons un risque réel de contournement des règles actuellement en vigueur, au détriment, notamment, du maintien des seniors en activité.
Si l'on retient la notion de retraite à taux plein, aucun salarié de soixante ans n'ayant pas droit à une retraite à taux plein ne partirait en pension. Il pourrait cependant signer des ruptures conventionnelles et bénéficier dans ces conditions d'un régime fiscal et social attractif.
Si j'ai bien conscience que le système doit être uniformisé, on doit bien prendre garde d'éviter le risque de contournement que je viens d'évoquer, alors que nous voulons justement maintenir les seniors dans l'emploi. Nous travaillons d'ailleurs sur ce sujet avec Christine Lagarde et Laurent Wauquiez.
Je comprends bien pourquoi vous défendez cet amendement, monsieur Decool, mais je vois aussi l'utilisation que certains pourraient en faire. Or, face au danger qu'il représente, je vous demande de bien vouloir le retirer, ce qui ne signifie pas pour autant que nous n'examinerons pas le traitement fiscal et social de certaines mesures à la lumière notamment des risques de contournement.
Il s'agit d'un amendement pour ainsi dire traditionnel en ce qu'il propose une évaluation, en l'occurrence une évaluation de la rupture conventionnelle du contrat de travail.
Évidemment, M. Méhaignerie nous dira qu'on ne peut pas faire des évaluations sur tout, et qu'il faudrait que celles auxquelles on procède soient suivies, ce en quoi il n'a pas tort.
Mais ce dispositif, tout le monde l'a dit et répété, est innovant et constitue une modification importante du code du travail. De plus, comme je le disais tout à l'heure, et comme cela a été redit après moi, on ne sait pas comment les acteurs sociaux concernés, qui sont nombreux puisqu'il s'agit tout de même de quelques millions de personnes, vont s'emparer de cette nouvelle possibilité qui leur est donnée.
Enfin, je rappelle que, malheureusement, nous n'avons pas eu l'étude d'impact. Cela pose problème. Je concède qu'elle n'était pas facile à faire. Mais il serait bon de prévoir une évaluation.
Je rappelle enfin que l'étude d'impact et l'évaluation dans le domaine des politiques de l'emploi sont une obligation européenne.
La commission a repoussé cet amendement, ainsi d'ailleurs que l'amendement suivant, n° 111, qui a le même objet même s'il ne se présente pas tout à fait de la même manière.
Non pas que la commission ne souhaite pas d'évaluation. Chacun d'entre nous est au contraire favorable à l'idée qu'on puisse évaluer les politiques mises en oeuvre. Mais je rappelle, d'une part, que le règlement de notre assemblée prévoit désormais qu'à l'issue d'un délai de six mois suivant l'entrée en vigueur d'une loi dont la mise en oeuvre nécessite la publication de textes de nature réglementaire, le député qui en a été le rapporteur présente à la commission compétente un rapport sur la mise en application de cette loi. Cela signifie, s'agissant de la présente loi, qu'un rapport sera remis à la commission d'ici à dix-huit mois environ, en tout cas au cours de l'année prochaine.
D'autre part, comme vous le savez aussi, compte tenu de l'importance de cette procédure de rupture conventionnelle et de l'innovation qu'elle constitue, on peut difficilement imaginer que les partenaires sociaux signataires de l'accord ne vont pas eux-mêmes chercher à évaluer très précisément ses effets.
Il me semble donc que ces deux amendements ne sont pas nécessaires.
Même argumentation, même avis.
Je suis saisie d'un amendement n° 111 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
L'objet de cet amendement est de proposer que le Gouvernement présente au Parlement, dans les deux ans suivant la publication de cette loi, un rapport sur l'évaluation des conséquences du dispositif de rupture conventionnelle sur le régime d'assurance chômage. Doivent aussi, à notre avis, être évaluées les conséquences de la défiscalisation des indemnités de rupture conventionnelle. Et cela, ce ne sont pas les partenaires sociaux qui peuvent le faire.
Dans l'un et l'autre cas, on voit bien à quels effets d'aubaine est exposé votre dispositif, au bénéfice exclusif de l'employeur.
Cette évaluation nous paraît d'autant plus souhaitable et indispensable que la CNAV, je le rappelle, monsieur le ministre, a émis un avis négatif sur l'article 5 de votre projet de loi.
Par ailleurs, j'aimerais avoir une information de votre part sur d'éventuelles conséquences concernant des exonérations de cotisations sociales.
La commission a déjà donné son avis sur cet amendement. Elle y est défavorable.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Je ne comprends pas la question de M. Muzeau, madame la présidente.
Il y a des exonérations fiscales. J'aimerais bien qu'un bilan en soit fait. D'où la nécessité d'avoir un rapport. Et, sur ce sujet, ce ne sont pas les partenaires sociaux qui peuvent établir une évaluation.
Deuxièmement, je répète que la CNAV a émis un avis négatif sur l'article 5.
Troisièmement, y a-t-il des conséquences quant à des exonérations de cotisations sociales ? À la lecture de cet accord, je n'ai pas pu percevoir clairement ce qu'il en était.
Je vais essayer de répondre. Premièrement, on aligne sur les conditions de départ en retraite, de façon que le système ne puisse pas, à un moment ou à un autre, être contourné, comme je l'indiquais il y a un instant à M. Decool.
D'autre part, nous avons eu ce débat au Sénat, monsieur Muzeau, à l'occasion de l'examen de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Vous y étiez alors aussi assidu que vous l'êtes ici, avec le même positionnement dans l'hémicycle. Outre la compensation, qui est prévue depuis la loi Veil, l'article 5 de cette loi organique prévoit qu'un rapport est remis au Parlement pour vous apporter toute lumière en la matière. Je ne pense pas que nous puissions, dans un texte de loi, revenir sur une disposition organique.
Je mets aux voix l'article 5, modifié par les amendements adoptés.
(L'article 5, ainsi modifié, est adopté.)
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 6.
La parole est à M. Dominique Tian.
J'avoue être un peu perplexe. Cet article 6 prévoit qu'à titre expérimental, pendant une période de cinq ans, un CDD d'une durée minimale de dix-huit mois et maximale de trente-six mois pourra être conclu avec les ingénieurs et les cadres pour la réalisation d'un objet défini.
L'article dispose que ce CDD « peut être rompu à la date anniversaire de sa conclusion par l'une ou l'autre partie pour un motif réel et sérieux ».
Or, me semble-t-il, deux raisons peuvent motiver que ce contrat prenne fin : soit la période de travail qui a été vécue ensemble n'est pas satisfaisante, soit les objectifs sont atteints, auquel cas le contrat s'arrête. Mais évoquer un « motif réel et sérieux » à une date anniversaire, cela me paraît quelque chose d'assez complexe, même si cette disposition vient des syndicats.
Je ne sais pas comment les prud'hommes jugeront cela. S'il y a un motif réel et sérieux de rompre ce contrat, pourquoi attendre une date anniversaire ? N'y a-t-il pas au contraire une urgence à licencier ?
En outre, qu'entend-on par « date anniversaire » ?
J'ai cherché, je n'ai pas trouvé. Est-ce douze mois, dix-huit mois ? Je n'en sais rien.
Actuellement, quand un employeur rompt un CDD et que les prud'hommes requalifient cette rupture en considérant qu'il n'y a pas de motif réel et sérieux, la sanction applicable est la condamnation à verser au salarié les salaires restant dus jusqu'au terme du CDD. Cela signifie, s'agissant de ce nouveau contrat, que si un contrat de trois ans était rompu douze mois après sa conclusion, l'employeur serait automatiquement condamné à payer les vingt-quatre mois qui restent, ce qui peut tout de même paraître assez extraordinaire dans l'état actuel du droit.
Deuxième source d'inquiétude : cet article prévoit que l'accord de branche étendu ou l'accord d'entreprise définit les conditions dans lesquelles les salariés concernés par ce CDD bénéficient d'une priorité de réembauchage. Le réembauchage n'est actuellement appliqué qu'en cas de licenciement économique et impose à l'employeur des contraintes assez lourdes, puisqu'il doit, pendant un an, prévenir toutes les personnes qui ont été victimes d'un licenciement économique pour leur demander si elles souhaitent reprendre ce type d'emploi.
Mais à ce moment-là, peut-on vraiment parler d'un CDD ? Ne serait-ce pas plutôt une sorte de période d'essai qui aurait duré trente-six mois, et qui donnerait droit à un CDI ?
J'avoue ne pas avoir très bien compris tout cela, mais je pense, monsieur le ministre, que vous nous expliquerez ce que les syndicats ont voulu nous indiquer.
Encore un article, monsieur le ministre, qui s'inscrit dans le volet flexibilisation de votre texte.
En effet, destiné aux ingénieurs et aux cadres, il marque l'avènement d'un trente-huitième contrat de travail dans le droit français, dans la droite ligne de la précarité caractéristique des contrats à durée déterminée et des contrats d'intérim.
Contrairement aux CDD classiques, ce contrat ne permettra même pas au salarié de savoir quand sa mission prendra fin, puisque la perspective de fin de réalisation du projet, qui est censée marquer l'échéance du contrat, ne peut être qu'incertaine.
En outre, ce contrat de mission est plus précaire que le CDD actuel puisqu'il peut être rompu au bout d'un an pour cause réelle et sérieuse et non pour seule faute grave comme aujourd'hui.
Notre collègue Roland Muzeau l'a déjà évoqué, mais je ne peux m'empêcher de souligner de nouveau l'hypocrisie de votre texte, qui réaffirme dans son article 1er que le CDI est la forme normale du contrat de travail, et qui, quelques articles plus tard, crée un contrat précaire supplémentaire !
On sait le nombre de cadres et d'ingénieurs qui ne travaillent pratiquement que sur projets. On peut craindre pour leur statut ! Seront-ils condamnés à devoir se contenter d'un enchaînement de contrats de mission successifs, au gré des différents employeurs ?
On peut même parler, avec cette nouvelle forme de contrat de travail, d'immoralité, car avec ce type de contrat, un salarié qui aura réussi à mener à bien un projet, et qui aura ainsi enrichi l'entreprise, risquera de prendre la porte, puisque ce contrat ne pourra être renouvelé !
Cette précarisation des cadres n'est pas une totale nouveauté. Si certains continuent de pouvoir bénéficier d'une relative stabilité de l'emploi et de salaires relativement corrects, divers secteurs d'activité offrent, par contre, des perspectives d'emploi et des conditions de travail qui tendent à faire des cadres des victimes supplémentaires d'un système productif surtout préoccupé de retours sur investissements et de rentabilité financière, souvent aux dépens de la qualité humaine de l'environnement de travail. Un certain nombre d'événements qui ont défrayé la chronique, y compris dans des centres de recherches de l'automobile, sont là pour le montrer.
Je pense également au secteur de la télévision, où d'ores et déjà des journalistes sont condamnés à enchaîner les CDD, dans la plus totale illégalité, alors même qu'ils ont largement fait leurs preuves dans l'entreprise et qu'ils y réalisent un travail permanent. Ainsi, parallèlement à la présence persistante d'emplois et de postes survalorisés, les chaînes de télévision ont recours, elles aussi, à la précarisation d'une partie de leurs salariés.
La perspective de suppression de la publicité sur les chaînes publiques risque d'ailleurs d'accroître cette précarité du secteur, en poussant celles-ci à des économies sur les embauches et les rémunérations des personnels.
Ce contrat de projet risque en fait d'accroître la précarité d'une catégorie de salariés, en reportant le risque inhérent à presque toute activité économique et industrielle, et normalement pris par l'employeur, sur les cadres et les ingénieurs recrutés sous contrats de mission.
Ajoutons, pour finir, quelques remarques sur l'intérêt des entreprises dans l'affaire, qui ne sera pas nécessairement optimal. Votre contrat, déjà en vigueur dans d'autres pays, a montré ses limites. Ainsi, aux États-Unis, les cadres embauchés sous de tels contrats ont tendance à réduire leur rythme de travail et leur productivité une fois le gros du travail fourni, afin de pouvoir prolonger leur contrat le plus longtemps possible.
En outre, ce type de contrat est contradictoire avec la nécessité d'apprentissages du travail de plus en plus longs et avec la stabilité nécessaire à la construction de collectifs de travail.
Ainsi, alors que les entreprises ne raisonnent quasiment plus qu'en termes de rendement et de productivité, voilà un contrat qui sera, à cet égard, peut-être contreproductif.
L'article 6, c'est donc la création d'un contrat dont l'échéance est la réalisation d'un objet défini. En fait, c'est la reprise de l'idée de contrat de projet contenue dans le rapport de Virville de 2004, idée qui avait été jusqu'ici repoussée par les partenaires sociaux, c'est-à-dire, bien évidemment, par les syndicats.
Comme dans l'article précédent, il s'agit d'une innovation importante dans la série des contrats de travail qui existent dans notre droit. On ne sait plus si c'est le trente-huitième ou le trente-neuvième. Au moins, nous sommes créatifs dans ce domaine.
Ce type de contrat, c'était le cheval de Troie du patronat dans le but, non pas de dynamiser, mais de dynamiter le CDI : créer un CDI à objet défini, puis le généraliser comme contrat unique.
Ce qui a changé – et je pense que c'est cela qui a permis l'accord –, c'est que les organisations syndicales ont obtenu que ce soit un CDD, et donc une forme dérogatoire du contrat de travail. Je ne reviens pas au débat d'hier sur la forme générale. Le contrat, c'est le CDI, et nous avons une forme dérogatoire, qui est le CDD. Et voilà qu'apparaît maintenant, parmi les CDD, le CDD dérogatoire. C'est un peu compliqué.
Il est dérogatoire par rapport aux autres CDD de par sa durée. Car, alors qu'un CDD ne peut pas dépasser dix-huit mois, ce qui caractérise ce nouveau contrat est qu'il peut aller jusqu'à trente-six mois.
Dérogatoire encore par son terme imprévisible, car lié à la réalisation du projet. Ainsi, après le CDD dérogatoire au CDI, nous avons maintenant le CDDLI – contrat à durée déterminée longue et incertaine –, dérogatoire au CDD. Le contrat est assorti de deux verrous : il est restreint aux cadres et aux ingénieurs – mais a-t-on jamais embauché un ingénieur sans projet à étudier ? – et limité par un accord de branche étendu. Il est même contradictoire avec le CDD puisqu'il est interdit d'y recourir pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, ce qui est précisément la raison d'être du CDD. Voilà toute notre capacité créatrice !
Enfin, le contrat peut être rompu à la date anniversaire de sa conclusion par l'une ou l'autre des parties pour un motif réel et sérieux, ce qui prête à discussion. Les partenaires qui ont négocié nous ont expliqué qu'ils n'ont pas trouvé d'autre solution que cette formulation. Or elle demande à être clarifiée. Pour tout le monde, sauf pour les natifs du 29 février, la date anniversaire intervient douze mois plus tard. Or le contrat ne peut être rompu avant dix-huit mois. La date anniversaire est-elle alors reportée à vingt-quatre mois ? Il faut le préciser.
Au-delà de ces dispositions, quelles garanties avons-nous que, dans quelques semaines, au cours de la discussion de la loi de modernisation par exemple, un amendement ne viendra pas lever les restrictions et généraliser le contrat de projet ? Alain Vidalies l'a fait remarquer : il suffit de changer trois mots pour l'élargir à plusieurs catégories de personnes. Il paraît même que la questure a sondé nos assistants parlementaires à ce sujet. Il va sans dire qu'un tel élargissement trahirait l'esprit de l'accord, mais vous le renverrez sans doute à la négociation.
Quelles garanties avons-nous également que l'expérimentation sera menée jusqu'au bout ? Nous avons beaucoup trop d'exemples du contraire. La fâcheuse habitude a en effet été prise de lancer des expérimentations puis, sans attendre les premières évaluations, d'apporter des modifications qui aboutissent à une multiplicité de contrats sans aucun qui soit vraiment évalué. Nous aimerions avoir des réponses précises pour savoir comment sera respectée la volonté des partenaires sociaux, car ce sont eux qui ont choisi cette expérimentation.
Sur l'article 6, je suis saisie d'un amendement n° 113 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
En lieu et place du contrat de travail unique, qui a fait les belles heures du candidat Sarkozy, un nouveau contrat à durée déterminée est créé à l'article 6. Ce contrat vient s'ajouter aux dizaines de contrats spéciaux existant déjà : bel exemple de simplification de notre droit du travail ! Il est vrai que le jeu en valait la chandelle puisque ce nouveau « contrat à objet défini » n'est autre que le contrat de mission que le MEDEF réclamait à cor et à cri depuis des années.
Dans le droit actuel, l'embauche pour un projet d'une durée supérieure à dix-huit mois ne peut se faire que par la signature d'un contrat à durée indéterminée. Le projet achevé et si aucun travail ne demeure pour lui, le salarié peut être licencié pour motif économique et bénéficie d'un certain nombre de protections : obligation pour l'employeur de rechercher un reclassement et respect d'une procédure.
Les auteurs de l'accord et le Gouvernement ont sans doute jugé ces garanties excessives. Quoi qu'il en soit, grâce à votre nouveau contrat, il sera possible d'embaucher en CDD un salarié pour une période de dix-huit mois à trois ans. Pour le salarié, cela signifiera trois années de précarité, sans accès au crédit ni peut-être au logement, avec pour seule perspective un reclassement hypothétique sur une autre mission. De plus, contrairement au CDD, ce contrat pourra être rompu avant l'échéance dans les mêmes conditions qu'un CDI et remis en cause tous les ans à sa date anniversaire, dont il convient de préciser les termes. Même les rapports Boissonat et Virville de 1995 et 2004, qui avaient proposé des CDD sur plusieurs années, n'avaient osé aller aussi loin dans la précarité. À l'époque, les syndicats de salariés unanimes avaient rejeté cette exigence patronale.
J'ajoute que des expériences de cette nature ont déjà eu lieu dans notre pays, qui ont été étendues très largement peu après. C'est le cas des forfaits jour, par exemple, initialement destinés aux cadres dirigeants : aujourd'hui, des centaines de milliers de salariés travaillent sous ce régime. Rien ne garantit que le contrat de projet ne sera pas étendu aux salariés autres que les ingénieurs et les cadres. Ces inquiétudes sont suffisamment sérieuses pour justifier la suppression de l'article 6.
La commission a rejeté cet amendement. Vous nous reprochez, monsieur Muzeau, de ne pas avoir transcrit dans la loi l'intégralité des dispositions de l'ANI. En l'espèce, il s'agit d'un dispositif explicitement voulu par les partenaires sociaux, et qui occupe plusieurs lignes dans l'accord. Supprimer l'article 6 reviendrait à ne pas donner suite à cette volonté. Ce n'est pas possible.
Même avis.
Je suis saisie d'un amendement n° 117 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
Cet amendement a pour objet de préciser que le nouveau contrat à durée déterminé ne doit pas être utilisé pour faire face à un accroissement temporaire d'activité. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble de nos griefs à l'encontre de ce nouveau contrat précaire, qui contribue à accentuer la dualité du marché du travail entre contrats stables et contrats précaires, alors que l'article 1er continue à affirmer que le CDI reste la norme.
Même si l'organisation du travail en projets se généralise, notamment chez les ingénieurs et les cadres visés spécifiquement par cette disposition, ce n'est pas une raison pour l'appliquer aux salariés. D'autant qu'elle est fondamentalement immorale : si le salarié mène à bien le projet pour lequel il a été embauché, l'entreprise grandit et lui prend la porte ! Voilà une bien curieuse conception de la « valeur travail » dont vous vous gargarisez !
Ce type de contrat pourrait même se retourner contre les entreprises, car les salariés n'ont pas intérêt à réussir. Aux États-Unis, il est courant de les voir ralentir leur travail pour reculer le terme de leur contrat ou pour se consacrer à la recherche de leur futur emploi.
Le CDI répond sans doute mieux aujourd'hui aux besoins des entreprises. En tout état de cause, soit l'entreprise grandit et il y a du travail pour un salarié en CDI, soit elle rencontre des difficultés économiques et les modes de licenciement actuels suffisent. Même à supposer que votre contrat de mission ait une quelconque utilité, le minimum est de préciser qu'il ne doit pas être utilisé pour faire face à un accroissement temporaire d'activité.
Même avis.
Je suis saisie d'un amendement n° 114 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
Même avis.
Avis favorable.
Je suis saisie d'un amendement n° 115 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
Je défendrai en même temps l'amendement n° 116 .
Entre autres questions délicates, ce nouveau contrat à objet défini rompt avec le principe de stabilité des contrats précaires avant terme. Actuellement, les contrats à durée déterminée sont précaires parce que rompus à leur terme. Mais en contrepartie, avant cette échéance, ces contrats sont plus solides qu'un contrat à durée indéterminée. Ainsi, l'article L. 1243-1 du code du travail dispose que ces contrats ne peuvent être rompus unilatéralement qu'en cas de faute grave ou de force majeure. Pourquoi le contrat de mission, dont vous spécifiez qu'il est bien à durée déterminée, l'échéance étant la réalisation d'un objet défini, devrait-il échapper au droit commun des contrats de ce type ? La rupture à la date anniversaire est clairement exorbitante du droit commun et manifestement défavorable à l'intérêt du salarié.
Que quelques syndicats aient accepté une solution pire que les propositions formulées trois ans plus tôt par le rapport Virville, qu'ils avaient vivement critiqué, ne doit pas nous interdire, bien au contraire, de redéfinir les modalités de rupture dans le sens du droit commun des CDD. C'est l'objet de cet amendement.
Plusieurs amendements traitent de cette question de la date anniversaire qui se télescope avec le délai minimum de dix-huit mois du contrat. La commission a été assez hésitante sur cet ensemble d'amendements et a fini par approuver l'amendement n° 157 de M. Tian, que nous examinerons dans un instant.
Il y a en effet une contradiction apparente entre la fixation d'une durée minimale de dix-huit mois et l'ouverture d'une faculté de rupture unilatérale à la date anniversaire, en théorie au bout de douze mois. Cette situation résulte des positions divergentes des signataires de l'ANI sur ce sujet.
Dans ces conditions, il nous a semblé que la position sage était de ne pas trancher dans la loi puisque, en tout état de cause, des accords collectifs de branche ou au minimum d'entreprise seront obligatoires pour mettre en oeuvre le nouveau contrat. On peut dès lors escompter que la question sera réglée au cas par cas, afin d'éviter que les partenaires sociaux ne s'exposent ensuite délibérément à des contentieux.
Il faut également prendre en considération le fait que la rupture au bout de douze mois peut intéresser l'employeur mais aussi le salarié, qui est également concerné par les restrictions au droit de rupture du CDD.
Finalement, la commission a rejeté l'amendement n° 115 et le n° 27 qui le suit, et accepté l'amendement n° 157 de MM. Tian et Tardy.
Même avis.
Je suis saisie d'un amendement n° 27 .
La parole est à M. Jean-Patrick Gille, pour le soutenir.
Cet amendement concerne en effet la durée minimale du contrat et la date anniversaire.
Je n'ai pas bien compris le choix du rapporteur. Si la commission a choisi de soutenir l'amendement de M. Tian, je suis prêt à m'y rallier, puisque, bien que rédigé dans des termes différents, il revient à peu près au même. C'est un beau geste, peu fréquent, mais nous soutenons l'amendement n ° 157 de M. Tian.
Je suis saisie d'un amendement n° 157 .
La parole est à M. Dominique Tian, pour le défendre.
L'amendement a été largement défendu tant par M. Gille que par M. le rapporteur.
Les signataires ont longuement discuté entre eux de la date anniversaire. Les interprétations divergent : douze et vingt-quatre mois pour les uns, vingt-quatre mois pour les autres.
Je voudrais vous livrer une interprétation qui tient compte des préoccupations de l'ensemble des signataires, mais je ne sais pas si elle permet de respecter l'équilibre de l'accord. La durée minimum du contrat est de dix-huit mois. Il ne peut donc pas y avoir de rupture au bout de douze mois, à moins de payer au salarié dix-huit mois. La rupture sera possible au bout de dix-huit mois, ce qui est, monsieur Tian, la durée minimale, et aussi, bien sûr, à vingt-quatre mois.
Par ailleurs, ne l'oublions pas, la rupture peut se produire, à tout moment, en vertu des règles communes à tout CDD, en cas de faute grave, en cas de force majeure ou d'un commun accord. Votre amendement, monsieur Tian, va loin, très loin, trop loin même. Il remet en cause l'équilibre de l'accord auquel les signataires étaient parvenus.
En avez-vous parlé avec les différents signataires ?
Sûrement moins que vous ! J'en ai parlé à certains signataires, dont je ne révélerai pas l'identité.
Chacun avait une interprétation différente de la date anniversaire. S'il y a une date anniversaire, notons-la dans le texte. La commission n'a pas été capable non plus de comprendre de quelle date anniversaire il s'agissait.
En adoptant cet amendement, l'Assemblée apporterait à l'accord une précision qui lui fait défaut.
Il semble que nous soyons allés un peu vite en besogne en pensant que cet amendement rejoignait le nôtre. L'intervention de M. le ministre a permis de recadrer la problématique.
Lorsque vous préconisez, monsieur Tian, que ce soit possible après le dix-huitième mois, cela signifie que la rupture est possible chaque mois : le dix-neuvième, le vingtième, le vingt et unième, le vingt-deuxième, le vingt-troisième et le vingt-quatrième mois.
M. le ministre nous semble plus en phase avec l'accord lorsqu'il précise que la rupture est possible au dix-huitième mois et ensuite au vingt-quatrième mois.
Votre amendement, monsieur Tian, va bien au-delà de ce qui avait été convenu, puisque la notion de date anniversaire ne signifie plus rien et qu'à partir du dix-huitième mois, tout sera possible en permanence.
Nous sommes plutôt favorables à la position exprimée par M. le ministre et préalablement par M. Gille, dont M. le ministre s'est inspiré. (Rires.)
Monsieur Tian, je comprends la philosophie qui vous anime.
Si l'on supprime complètement la référence à la date anniversaire, nous ne sommes plus du tout, à partir du dix-huitième mois, dans la logique d'un CDD à objet défini. Vous changez complètement la nature du CDD.
Vous n'avez plus de date anniversaire et on se retrouve à partir du dix-huitième mois, tous les mois, dans une zone d'incertitude. Ce n'est pas ce qu'ont voulu les signataires – pour parler clairement, les entreprises – qui étaient à l'origine de ce type de contrat.
Il est compliqué, voire impossible juridiquement, de sous-amender votre amendement. Je vous propose, si vous retirez votre amendement, comme pour d'autres textes, de vous associer, avec le rapporteur désigné au Sénat, aux travaux.
Avec votre amendement, le CDD à objet défini n'existe plus.
J'ai travaillé par analogie. Dans la mesure où les CDD de droit commun ont une durée de vie de dix-huit mois, j'ai pensé que, logiquement, pour ce type de CDD, la date anniversaire était également de dix-huit mois.
Monsieur Tian, vous avez supprimé la référence à une date anniversaire dans votre amendement. Vous créez donc un CDD à objet défini de dix-huit mois et vous renoncez à l'innovation expérimentale prévue par l'accord du 11 janvier.
Je vous le répète : je suis prêt à faire le travail. Je tiendrai mes engagements, comme je l'ai toujours fait sur les textes précédents.
Qu'à cela ne tienne !
Le rapporteur, à titre personnel, se rend aux arguments de M. le ministre, qui sont très convaincants.
Je crois qu'il vaut mieux que l'on s'abstienne, que l'on ne vote pas cet amendement, afin de laisser aux signataires de l'amendement le temps de travailler jusqu'à la lecture du texte au Sénat.
Nous abordons le point crucial du droit à l'assurance chômage à la fin du CDD à objet défini. Ce sujet a déjà été évoqué par M. Gille et lors de la discussion générale.
L'amendement n° 32 vise à compléter la dernière phrase de l'alinéa 7 de l'article 6 par les mots : « et il bénéficie des allocations d'assurance chômage dans les conditions de droit commun. » Il reprend ainsi une disposition de l'accord des partenaires sociaux : l'article 12 de l'ANI qui stipule que « le bénéfice aux allocations du nouveau dispositif d'assurance chômage » est prévu en cas de refus du salarié de poursuivre l'activité en CDI à l'issue de son contrat à objet défini ou en l'absence de proposition de CDI de la part de l'employeur.
Dans ces deux cas, l'intéressé bénéficiera des allocations du nouveau dispositif d'assurance chômage dans les conditions de droit commun.
Si nous voulons respecter l'ANI, et c'est notre intention, il faut voter cet amendement.
J'ajouterai, pour répondre à des arguments évoqués par M. le ministre sur un amendement à l'article 5, que les partenaires sociaux ont anticipé leur accord sur les futurs dispositifs contractuels pour gérer l'UNEDIC, puisqu'il est question du nouveau dispositif d'assurance chômage.
La commission a rejeté l'amendement.
Pour le contrat à rupture conventionnelle, puisqu'il y avait accord du salarié, on a accepté l'idée que cela ouvre droit à une indemnité de chômage.
Nous sommes là sur un contrat à durée déterminée qui a, certes, quelques spécificités. Il n'y a, me semble-t-il, aucune ambiguïté possible. Aujourd'hui, la fin d'un CDD ouvre droit automatiquement à l'assurance chômage et au régime de droit commun. Il n'y a donc aucune raison que le droit commun du CDD ne s'applique pas pour ce nouveau contrat.
Il nous semble que l'amendement n'a pas d'utilité et n'apporte rien de plus en termes de garanties.
C'est inutile : avis défavorable.
Je suis saisie d'un amendement n° 158 .
La parole est à M. Dominique Tian, pour le soutenir.
Je voulais que soit précisée la sanction que pourrait encourir le chef d'entreprise s'il était, par le plus grand des hasards, condamné.
On ne trouve pas dans le projet de loi de sanctions spécifiques en cas de rupture pour motif qui ne serait pas réel ou sérieux. Je propose que l'on applique la même sanction que pour un contrat à durée déterminée.
La commission a repoussé cet amendement. Si on l'adoptait, on changerait de logique.
En effet, les partenaires sociaux ont délibérément fait du contrat à objet défini un nouveau genre de CDD, auquel s'applique le droit commun des CDD avec quelques spécificités.
Cet amendement, outre qu'il ne fait référence à aucune stipulation de l'accord national, remettrait en cause une règle de base du CDD en cas de rupture anticipée et injustifiée, à l'initiative de l'employeur : l'obligation de verser au salarié tous les salaires dus jusqu'au terme du contrat.
On substituerait à cette règle un droit aux indemnités pour licenciement abusif ou nul qui sont propres non au CDD, mais au CDI.
Le Gouvernement émet un avis défavorable car je pense que cet amendement est défavorable aux salariés.
Ça, c'est clair ! (Rires. – Applaudissements ironiques sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
J'ai fini là mon argumentation !
Voilà qui a le mérite d'être direct et franc ! L'adoption de l'amendement de M. Tian changerait la nature du texte : je pense que son auteur en est conscient.
Cela reviendrait à faire rentrer par la fenêtre le contrat qui a été chassé par la porte ! Le contrat à durée indéterminée à objet défini n'a jamais rencontré l'adhésion des organisations syndicales, car c'est le spectre du contrat unique qui se profilait derrière ce contrat, lequel serait devenu la règle.
Les partenaires sociaux ont trouvé un compromis sous la forme d'un contrat spécifique de plus longue durée avec un objet défini, mais qui relève de la catégorie des contrats à durée déterminée. Il faut tout de même noter une condition défavorable aux salariés : la différence entre ce CDD particulier et les autres, c'est que celui-ci pourra être rompu pour une cause réelle et sérieuse alors que les autres CDD ne peuvent, en l'état du droit, être rompus qu'en cas de faute grave. C'est la grande différence entre le contrat à durée indéterminée et le contrat à durée déterminé.
L'équilibre existe donc déjà, puisque le motif de la rupture pourra être la cause réelle et sérieuse, ce qui n'est pas le cas dans les autres contrats. Avec votre amendement, on va beaucoup plus loin, monsieur Tian, car la sanction de la rupture irrégulière d'un contrat à durée déterminée, c'est le paiement de l'ensemble des salaires jusqu'à la fin du contrat, alors que, pour un CDI, des dommages et intérêts pour rupture abusive sont réclamés.
L'effort d'ouvrir la légitimité du licenciement pour cause réelle et sérieuse ayant été fait, on ne peut pas dénaturer le compromis auquel on a abouti.
Mon but est que ce contrat fonctionne. Car si c'est pour péniblement arriver à quatre-vingts signataires au plan national comme ce fut le cas pour le contrat seniors, cela ne vaut pas la peine !
Vingt seulement !
Si, à la date anniversaire – le dix-huitième mois, semble-t-il –, la cause réelle et sérieuse est évoquée sans être retenue, l'employeur sera systématiquement condamné à payer dix-huit mois d'indemnité. Je doute que, dans ces conditions, les employeurs acceptent de signer ce type de contrat.
Je suis saisie d'un amendement n° 12 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
L'amendement n° 12 est un amendement de coordination avec le droit commun du CDD.
Avis favorable.
Je suis saisi d'un amendement n° 116 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
Même avis que la commission.
Je suis saisie d'un amendement n° 14 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Avis favorable.
Je suis saisie d'un amendement n° 136 .
La parole est à M. Francis Vercamer, pour le soutenir.
Ce contrat est prévu pour une expérimentation de cinq ans. À l'issue de cette période, un rapport sera présenté au Parlement. Je propose la création d'un comité d'évaluation chargé du suivi de l'évolution du contrat afin d'éviter les désillusions que l'on a connue avec les quatre-vingts signataires du contrat seniors !
Vingt !
Un suivi régulier est utile pour faire exister ce contrat. Que les partenaires sociaux en débattent, pourquoi pas ? Qu'ils proposent des modifications au fur et à mesure semble préférable plutôt que d'attendre la fin de l'expérimentation. Autant que cela fonctionne !
La commission a repoussé cet amendement, non parce qu'elle serait en désaccord sur le principe de l'évaluation, mais parce que l'accord a déjà prévu un comité de suivi, dans des termes pas très différents de ceux de l'amendement de M. Vercamer.
Il ne semble pas utile que la loi impose un comité de suivi alors que les représentants des signataires de l'accord auront à coeur de vérifier les conditions d'application du contrat.
Votre amendement est satisfait, monsieur Vercamer.
Avis défavorable.
Si on part de ce principe, rien n'est obligatoire. L'accord national interprofessionnel s'appliquant à l'ensemble des entreprises, nul besoin, dès lors, de passer par la loi pour le transposer. L'argument de M. le rapporteur vaut pour tout l'accord, sauf lorsqu'il faut modifier la loi.
L'argument est peu court, mais, si cela peut vous faire plaisir, je retire mon amendement !
Avis favorable.
Je mets aux voix l'article 6, modifié par les amendements adoptés.
(L'article 6, ainsi modifié, est adopté.)
Sur l'article 7, je suis saisie d'un amendement n° 16 .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Avis favorable.
Je mets aux voix l'article 7, modifié par l'amendement n° 16 .
(L'article 7, ainsi modifié, est adopté.)
L'article 8 concerne le portage salarial. Pour la première fois dans l'histoire de notre législation sociale, nous nous apprêtons à inscrire la définition de cette pratique dans notre droit.
Le portage salarial, activité en plein développement, convient parfaitement à un certain nombre de métiers aujourd'hui en croissance, en particulier dans nos sociétés de services, et permet de régler une partie de l'emploi des seniors, même si, par ailleurs, je comprends bien qu'un certain nombre de nos collègues – et nous avons eu ce débat en commission, monsieur Muzeau – considèrent que le portage salarial comporte des éléments de précarité, qui devraient nous inciter à une certaine forme de prudence. Mais cet article est préférable au vide actuel.
La limite de l'exercice porte sur le besoin de réglementation. Qu'il faille réglementer cette activité, soit, et toutes les activités professionnelles ont vocation à l'être. Mais les entreprises de portage salarial considèrent qu'il existe déjà une certaine forme de réglementation qui leur est propre et qu'elles jugent suffisante.
J'ajoute que l'accord national interprofessionnel mentionne que le portage salarial serait entaché d'illégalité selon certains. J'avoue avoir été quelque peu interloqué par cette formulation. Je pense en connaître l'origine, mais j'y reviendrai.
Veillons cependant à ne pas entrer, à notre corps défendant, presque sans nous en rendre compte, dans une forme de guerre de territoires.
L'alinéa 6 de l'article 8 mentionne qu'un accord national interprofessionnel étendu peut confier à une branche dont l'activité est considérée comme la plus proche la responsabilité d'encadrer la profession de portage salarial. Comme j'ai pu le dire en commission, la « branche professionnelle la plus proche » n'est certainement pas celle des frigoristes ou des plombiers zingueurs, mais la branche du travail temporaire. Nous nous apprêtons, mes chers collègues, à confier le soin à la branche du travail temporaire de réglementer l'activité du portage salarial. Je comprends la nécessité de réglementer cette activité, et pourquoi ne pas se faire aider par une branche professionnelle qui est familière de l'exercice alors que le portage salarial n'est qu'une fédération d'entreprises, non une branche professionnelle ? Mais après être entré en contact avec la branche du travail temporaire, je suis moyennement rassuré sur la perspective qui nous est offerte.
Première raison : il y a de très nombreuses différences entre le portage salarial et le travail temporaire. Et ce n'est pas parce que dans les deux cas nous aurions trois parties au contrat, dont l'une rend un service à une autre, et un certain nombre de similitudes de structures, que pour autant ce sont les mêmes populations, les mêmes objectifs, les mêmes dispositifs, les mêmes durées et les mêmes rémunérations. Ces différences justifient à elles seules que l'on maintienne quelques disparités.
Deuxième raison : il n'est pas possible d'envisager d'aligner purement et simplement le portage salarial sur le travail temporaire alors même que nous nous apprêtons à favoriser un rapprochement abusif et dangereux pour l'activité de portage.
Tel est le sens des amendements que j'ai déposés. J'ajoute qu'il me paraît important de maintenir la possibilité d'une clause d'exclusivité sans laquelle le portage salarial n'existerait tout simplement pas.
Sur l'article 8, je suis saisie d'un amendement n° 118 .
La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.
Les formes d'emploi triangulaire jusqu'ici considérées comme un délit pénal, comme le prêt illégal de main d'oeuvre ou le délit de marchandage, ont pour principal inconvénient leur opacité.
Leur extension incessante, dont vous nous offrez ici un nouvel exemple, permet la renaissance de formes d'exploitation très lucratives, particulièrement scandaleuses, lesquelles avaient justifié précisément de leur reconnaître un caractère délictueux.
Le portage est d'autant plus inacceptable que l'on voit mal quelle est la prestation réelle fournie par la société de portage dès lors que, contrairement à l'intérim, le salarié négocie lui-même les contrats avec les entreprises clientes, qu'il est entièrement responsable de son activité et de son salaire ; il en assume seul les risques, de sorte que le seul rôle de la société de portage est au fond de spéculer et d'exploiter la capacité de négocier du salarié.
Vous étiez à peu près d'accord, chers collègues !
J'ajouterai que ce type d'entreprises – portage, intérim, travail à temps partagé, groupements d'employeurs – a un impact considérable sur le traitement du chômage. Les chômeurs deviennent de plus en plus systématiquement aujourd'hui l'enjeu d'un marché du placement, particulièrement lucratif et de plus en plus étendu.
Cette évolution va de pair avec le recul des missions dévolues au service public du placement, dont le rôle se trouve aujourd'hui ramené à de pures missions de contrôle. Une telle évolution est dangereuse et justifie pleinement notre demande de suppression de l'article.
Permettez-moi de faire un commentaire, monsieur Poisson, car j'apprécie vos interventions. Je partage vos remarques visant le lobbying de l'intérim. Mais je regrette que le parti auquel vous appartenez ait confié à ce lobby la responsabilité du placement des Rmistes, sur le dos desquels il se fait beaucoup d'argent, sans même avoir fait la preuve d'une différence positive par rapport au secteur public de placement, l'ANPE.
Non, monsieur Muzeau, elle a eu raison. Elle respecte, là encore, la volonté des partenaires sociaux, qui veulent préciser les contours de cette forme de salariat. Comme vous le savez, le portage pose aujourd'hui des problèmes juridiques, notamment par rapport aux ASSEDIC, qui contestent régulièrement l'existence d'un lien de salariat entre portés et entreprises de portage, et refusent donc à ces personnes le droit aux allocations de chômage.
Dès lors, les partenaires sociaux ont jugé nécessaire de sécuriser et d'organiser le portage salarial. L'article 19 de l'ANI s'intitule d'ailleurs : « Sécuriser le portage salarial ». Ils ont constaté que l'ensemble de ces activités s'étaient développées de manière un peu informelle, sauf dans la branche du conseil où un accord qui régit le portage a été signé très récemment. Ils ont considéré que c'est la branche de l'intérim qui devrait rechercher un accord pour encadrer le portage. Le projet de loi reprend les stipulations des partenaires sociaux en les limitant dans le temps.
Plusieurs amendements, outre celui de suppression, ont été déposés, visant, pour les uns, à préciser la définition du portage ; pour les autres, à garantir que les activités qui existent déjà trouveront leur place dans la nouvelle architecture. Bien que ces préoccupations soient légitimes si on souhaite pérenniser le portage, la commission a rejeté tous les amendements pour respecter le texte de l'ANI. Elle a toutefois souhaité, monsieur le ministre, que vous puissiez nous donner des garanties, peut-être point par point, au fil des amendements.
Je répondrai globalement.
J'émets bien sûr un avis défavorable à la suppression de cet article. De plus, j'ai été choqué, monsieur Muzeau, par les propos que vous avez tenus au sujet de l'intérim. Nous sommes au XXIe siècle !
Vous devriez tout de même vous dire que si les partenaires sociaux se tournent vers le secteur de l'intérim lorsqu'ils évoquent le portage salarial, cela prouve que les idées que certains continuent à véhiculer sont éculées !
L'intérim apporte une réponse sur le marché de l'emploi. Des millions de Français ont compris que des images aussi ringardes n'avaient plus lieu d'être. Il faut regarder le monde du travail tel qu'il est aujourd'hui, monsieur Muzeau (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), même si nous avons clairement rappelé tout à l'heure quelle était la forme générale et normale du contrat de travail : le CDI. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Deux millions de missions d'intérim en 2007, pour quatorze jours en moyenne !
Il faut cesser de porter sur l'intérim un regard qui date du siècle dernier.
Je répète que, pour moi, la forme normale du contrat de travail, c'est le CDI, mais il faut tout de même arrêter de dire n'importe quoi sur le secteur de l'intérim !
S'agissant du portage salarial, des garanties étaient nécessaires. Voilà pourquoi je vais vous lire la correspondance que j'ai échangée avec le délégué général du PRISME, organisation qui représente le secteur de l'intérim. Dans le courrier que je lui ai adressé le 14 avril, comme je m'y étais engagé à l'ouverture des travaux, j'indiquais :
« Le projet de loi portant modernisation du marché du travail vise à donner force obligatoire aux dispositions de l'ANI du 11 janvier. Les signataires de l'accord ont souhaité confier à la branche du travail temporaire le soin de réguler le portage salarial afin de sécuriser juridiquement et d'offrir un cadre adapté à cette forme originale de travail.
« La question de l'élaboration d'un cadre juridique adapté à la situation du portage se pose en effet depuis plusieurs années, et cette disposition offre une occasion d'y répondre. » Je pense ainsi répondre précisément à l'une des interrogations de M. Poisson.
« Le projet de loi offre une base juridique à cette démarche en renvoyant à un accord national interprofessionnel étendu – ce qui vise, de facto, l'accord du 11 janvier, qui sera étendu juste après la promulgation de la loi – la possibilité de déléguer cette mission à la branche de l'intérim.
« Pour mener à bien cette démarche, il me paraît nécessaire, et je sais que vous aurez ce souci, de procéder à une large concertation de l'ensemble des acteurs qui interviennent déjà dans ce champ et ont, pour certains, pris des initiatives pour réguler cette forme d'activité.
« Je souhaite aussi que vous veilliez à ce que le cadre qui sera mis en place sécurise l'activité de portage dans ses différentes dimensions. L'activité du portage sera régulée par la branche de l'intérim sans que, naturellement, les personnes “portées” ne deviennent pour autant des intérimaires. L'activité de portage telle que définie par l'article 8 du projet de loi présente en effet des caractéristiques propres que vous aurez à coeur de prendre en compte pour bâtir le cadre juridique le plus adapté, offrant toutes les garanties requises. »
En réponse, j'ai reçu de Pierre Fonlupt, président du PRISME, la lettre suivante, en date du 14 avril :
« Monsieur le ministre, votre lettre sur le portage salarial et le projet de loi sur la modernisation du marché du travail a retenu toute notre attention, et je suis en mesure de vous confirmer que notre branche professionnelle ouvrira des négociations dès la promulgation de la loi.
« Nous comptons proposer aux trois fédérations qui regroupent les entreprises de portage, ainsi qu'à différents chefs d'entreprise de ce secteur, d'être associés à nos travaux, » – je sais que c'était l'une des préoccupations du rapporteur – « qui se dérouleront parallèlement à la négociation avec les organisations syndicales de salariés.
« Nous souhaitons en effet offrir au portage un statut qui tienne compte des réalités du marché de l'emploi et qui donne aux salariés portés de véritables garanties. Notre intention est de définir dans un accord une activité de portage qui pourra être exercée par les sociétés de portage et par les entreprises de travail temporaire. »
Vous le voyez bien, il n'y a là en aucune façon la volonté, ni donc le risque, que tout ce qui existe aujourd'hui disparaisse demain au profit de l'intérim. Des garanties sont bien apportées aux entreprises de portage. C'est ce que je vous avais indiqué à la tribune de l'Assemblée, et voilà pourquoi je voulais vous donner ces assurances complémentaires.
Nous sommes bien entendu contre l'amendement de suppression et notre groupe ne le votera pas. Mais je tiens à préciser deux ou trois choses à l'intention de M. Muzeau qui a eu la délicatesse de m'interpeller tout à l'heure. Je ne me souviens pas, monsieur Muzeau, d'avoir tenu tous les propos que vous m'avez prêtés. (« On ne prête qu'aux riches ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ce n'est pas une affaire de lobbying, comme l'a bien montré le courrier cité par le ministre, même si toute organisation professionnelle peut en faire – parfois même certains syndicats de salariés. L'intérim est organisé comme une profession, qui veut légitimement défendre ses intérêts.
De quoi s'agit-il ? On a bien compris que, pour tout un pan de l'activité de portage, il subsiste une ambiguïté juridique qui suscite des problèmes en matière de réglementation des ASSEDIC ou de statut. On s'oriente vers un cadre juridique plus précis qui permettra de les régler. C'est très bien. Mon souci, c'était que l'on puisse continuer à faire du portage salarial en toute tranquillité, sans avoir à se dissimuler. Je pense que l'échange de lettres dont M. le ministre a fait état nous donne satisfaction. C'est pourquoi, je le répète, nous ne voterons pas cet amendement.
J'ajoute, et il est bon que le Gouvernement l'ait rappelé tout à l'heure, qu'il y a eu certainement un temps où l'intérim a donné lieu à une forme d'exploitation, un temps où quelques-uns n'étaient pas loin d'être des négriers ; certains sans doute abusent encore de leur position, j'en conviens volontiers, mais ce n'est tout de même pas la majorité.
En outre, je ne suis pas de votre avis, monsieur Muzeau, en ce qui concerne le rôle de cette branche dans le reclassement des RMIstes. Je pense qu'il faut avoir une lecture un peu plus locale et différenciée que la vôtre.
Le poison est dans la dose, monsieur Poisson ! Le diable est dans les détails !
Monsieur le ministre, j'avais moi aussi été alerté par les organismes de portage salarial, qui s'inquiétaient que seule la branche de l'intérim puisse participer à l'expérimentation du dispositif, et j'avoue que j'avais été convaincu par l'intervention de M. Poisson sur l'article 4. Philippe Folliot, député du Tarn, interpellé par les mêmes organismes, m'avait également alerté. Mais vos propos traduisent la sagesse d'un ministre de haute volée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), qui pense que tout le monde, et pas uniquement la branche intérim, doit travailler sur ce sujet.
Monsieur Muzeau, au siècle dernier, vous et moi étions déjà nés, et il y avait déjà l'intérim.
Nous sommes maintenant au XXIe siècle, peut-être faudrait-il évoluer et cesser d'évoquer Zola ou la lutte des classes. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Dans certains métiers, de nombreux salariés passent aujourd'hui par le portage pour obtenir ensuite un CDI.
Monsieur Poisson, puis-je considérer que l'amendement n° 22 a été soutenu ?
Défavorable également.
Avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je mets cet amendement aux voix.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Je le retire, madame la présidente. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Je suis saisie d'un amendement n° 25 rectifié .
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le soutenir.
Je considère que la réponse du ministre nous donne satisfaction. Comme je sais que mon collègueDominique Tian, co-signataire, est de bonne composition ce soir, je profite de cet exceptionnel positionnement astral (Sourires) pour retirer l'amendement.
Je crois qu'il est satisfait, madame la présidente, de même que l'amendement suivant.
Dans l'incertitude, disons que ces deux amendements sont défendus et reçoivent un avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je mets aux voix l'amendement n° 86 .
(L'amendement n'est pas adopté.)
La stipulation de l'ANI attribuant à la branche de l'intérim la mission d'organiser par accord collectif la branche du portage salarial est dérogatoire au droit commun de la négociation collective, qui définit les règles de représentativité permettant aux organisations syndicales de conclure valablement des accords collectifs. Sans aller jusqu'à imposer une commission paritaire composée des organisations représentatives dans la branche, il conviendrait d'encadrer la dérogation prévue par l'alinéa 6 de l'article 8 en associant les entreprises et les salariés concernés.
La commission a repoussé cet amendement. Compte tenu de l'excellente déclaration de l'éminent membre du Gouvernement présent parmi nous (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine),…
Je me rallie à l'avis du rapporteur.
La commission a rejeté cet amendement, car il nous semble aller au-delà de la définition du portage dans l'accord.
Avis défavorable pour les raisons exprimées à l'instant par l'excellent rapporteur.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 9.
La parole est à M. Dominique Tian.
La loi de juin 2005 a conduit à l'adoption du contrat nouvelles embauches, présenté par le ministre de l'époque avec un avis favorable du Conseil d'État, lequel n'a jamais évoqué, me semble-t-il, le texte de l'OIT qui fait désormais l'objet de toutes les conversations. Le CNE a connu un grand succès :…
…plus de 600 000 contrats ont été signés, ce qui démontre son utilité. Depuis le 1er janvier 2008, 30 000 nouveaux contrats l'ont encore été.
Qu'un accord national interprofessionnel décide de rayer d'un trait de plume le CNE, c'est le droit des signataires. Mais nous, députés, avons celui de nous en inquiéter car il s'agit de la parole de l'État, donnée à des chefs d'entreprise et des salariés qui ont été séduits par une solution assez souple qui les a convaincus.
Du jour au lendemain, annuler le CNE et surtout assortir sa suppression d'un effet rétroactif dévastateur paraît très contestable sur le plan moral. Pour un certain nombre d'entre nous la parole de l'État a encore un peu d'importance !
Il aurait été possible de laisser les prud'hommes, au cas par cas, en présence de licenciements jugés abusifs, considérer qu'il s'agissait de ruptures de CDI. Mais de là à prendre une mesure globale et à infliger une peine aussi lourde aux chefs d'entreprise qui nous ont fait confiance, la pilule est amère.
La parole est à M. Daniel Paul.
Le 14 novembre 2007, les deux principales particularités du contrat nouvelles embauches – licenciement sans motif communiqué préalablement et période de consolidation de deux ans – ont été déclarées contraires au droit international par l'Organisation internationale du travail. Nous nous félicitons de cette belle victoire due à une mobilisation sans relâche et à une habile procédure auprès de la juridiction internationale pour faire valoir les droits élémentaires des salariés.
Le contrat première embauche était inscrit dans une logique strictement identique, et si l'article 2 relatif à la durée de la période d'essai n'a pas été à la hauteur des attentes patronales, l'esprit était le même : allonger le plus possible la durée durant laquelle l'employeur pourra congédier sans explication aucune son salarié.
Pourquoi cet acharnement allant même à l'encontre du droit international ? L'argument maintes fois avancé au cours des débats relatifs au CPE et au CNE était celui-ci : le marché du travail français serait trop rigide, trop favorable au salarié, de sorte que les employeurs auraient des réticences à s'engager en faveur de l'emploi, de peur d'être pris au piège d'une embauche qu'ils seraient amenés à regretter. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Au contraire, s'ils pouvaient se débarrasser de leurs salariés plus facilement, ils résoudraient, presque d'un coup de baguette magique, le problème du chômage, car ils embaucheraient massivement. (Mêmes mouvements.)
Les choses sont-elles si simples ? L'argument selon lequel l'obstacle principal aux créations d'emplois résiderait avant tout dans la rigidité du marché du travail tient-il la route ? Plusieurs indicateurs laissent penser l'inverse.
Tout d'abord, le nombre de salariés en CDD ou en intérim s'élève aujourd'hui à plus de 2 millions – c'est un record historique ! Monsieur le ministre, lorsque l'intérim s'est mis en place, j'avais présenté, en novembre 2003, au nom des députés communistes, une proposition de loi visant à lutter contre la précarité du travail.
Nous demandions que 5 % des effectifs d'une entreprise puissent être éventuellement couverts par l'intérim, pour qu'elle puisse faire face aux objectifs de production, y compris en cas de difficultés ponctuelles. Aujourd'hui, nous sommes largement au-dessus de ce pourcentage de 5 %.
Actuellement, le nombre de salariés en CDI licenciés oscille entre 800 000 et 900 000 par an. Notons encore la forte progression des licenciements pour motif personnel, qui représentent à peu près trois quarts des licenciements. Enfin, les licenciements, dans neuf cas sur dix – à l'exception des licenciements économiques collectifs –, requièrent des procédures fort simples : un entretien suivi de l'envoi d'une lettre précisant les motifs.
En fait, licencier un salarié en CDI, au cours des deux premières années, ne coûte quasiment rien. Étant donné la forte instabilité du marché du travail, autant dire qu'une bonne partie des salariés n'est pas surprotégée, comme beaucoup dans votre majorité aimerait à le laisser croire.
Les vrais problèmes du marché du travail sont ailleurs. Ils résident dans la prise en compte de plus en plus pressante du seul taux de rentabilité comme critère de réussite économique, dans la recherche toujours plus forte de la compression des coûts, dans l'idée selon laquelle les salariés ne sont qu'un coût et non un investissement pour l'entreprise. Plus généralement, nos sociétés souffrent de la mise en concurrence toujours plus féroce à l'échelle mondiale des salariés, des forces de production, pour enrichir les détenteurs du capital, sans grande considération de la qualité du travail et du sort des forces productives.
Je vois sourire certains d'entre vous.
Malheureusement, cette réalité, déjà dénoncée ici même à plusieurs reprises, n'a pas fondamentalement changé. Au risque de surprendre certains, comme MM. Vercamer, Poisson et d'autres, je dirai : c'est cela la lutte des classes ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Elle existe, bien sûr ! La réalité, c'est le développement de la précarité, l'augmentation du phénomène des travailleurs pauvres, le manque d'offres d'emploi et le développement du sous-emploi, le fort taux de chômage des jeunes et des seniors…
…et même l'inquiétude d'une grande partie des couches moyennes. Il y a quelques années encore, les classes moyennes pensaient que leurs enfants seraient à l'abri grâce à l'ascenseur social ; elles voient aujourd'hui le sol se dérober sous leurs pieds.
Tout cela contribue à un développement sans précédent de la précarité et de la pauvreté. Mais ce n'est pas suffisant pour les entreprises, qui considèrent que le coût du travail est encore trop élevé. Face à ces maux qui constituent les véritables sources du sous-emploi, face aussi aux difficultés d'un certain nombre de branches qui ont du mal à recruter, interrogeons-nous, ou plutôt interrogez-vous.
Demandez-vous pourquoi dans la marine marchande – secteur que je connais un peu – on a tant de mal à trouver des marins. Pourquoi dans le bâtiment on peine à recruter de la main-d'oeuvre. (Interruptions sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Vous pouvez sourire ! Votre ignorance de la situation dans un certain nombre de secteurs (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
Vous n'avez pas mis les pieds dans une usine depuis des années ! Ne venez pas nous donner des leçons !
Ignorance, oui ! À ces maux, votre texte refuse de remédier. Il ne répond pas aux véritables défis de la modernisation du marché du travail. Vous ne serez donc pas étonnés si nous votons contre l'article 9, mais aussi contre l'ensemble de ce texte.
Les salariés vous regardent et vos amis syndicalistes aussi ! Ils doivent bien rigoler !
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.
Monsieur Paul, l'intérim n'est pas exactement la réalité que vous décrivez. Beaucoup de salariés, dans ce pays, le choisissent.
Ce système leur permet en effet d'avoir une gestion plus souple de leur temps.
Il convient notamment à certains jeunes salariés qui souhaitent pouvoir travailler quelques mois dans l'année et garder du temps libre.
Cela existe ! L'intérim leur permet d'adopter un mode de vie différent de celui des générations précédentes.
Deuxièmement, mon cher collègue, la réalité que vous décrivez ne justifie pas l'interprétation que vous en faites. On peut être d'accord, en grande partie, avec le constat que vous dressez, sans pour autant être un défenseur du matérialisme dialectique. Je vous l'ai déjà dit, je le maintiens.
Troisièmement, je vous donne rendez-vous au moment de l'examen de la loi sur la modernisation de l'économie, qui nous permettra de débattre du sujet que vous traitiez et qui n'avait qu'un rapport éloigné – permettez-moi de vous le dire – avec l'article 9.
En réalité, nous sommes en face d'une question de nature juridique : comment tenir compte de l'avis des organisations internationales chargées de réguler le travail en ce qui concerne le CNE ?
Devons-nous le transposer ad litteram dans la loi que nous votons ? Dans ce cas, nous introduisons dans la relation employeur-salarié une contrainte ou un élément de contrat qui ne figurait pas au moment de la signature et qui constitue un changement de circonstance. Il faut alors en définir le périmètre et les conséquences. Ou bien choisissons-nous de ne pas en tenir compte ? Nous laisserions alors les entreprises soumises à un risque de requalification de CNE en CDI. Ce risque existe aujourd'hui, il est avéré par la jurisprudence quasiment constante des prud'hommes pour les contentieux jugés, mais dans les délais que vous connaissez et qui nuisent aussi aux salariés. Malheureusement, compte tenu de l'organisation des conseils de prud'hommes, quand on demande réparation devant eux, il vaut mieux ne pas avoir besoin des sommes qu'ils vous accordent : on peut attendre assez longtemps ! Il y a des raisons à cela, je ne condamne personne, mais…
Je ne sais pas de quoi vous parlez, je ne suis pas en charge de ce dossier !
Mais les conseils de prud'hommes n'étaient quand même pas directement concernés !
Nous devons donc, disais-je, réfléchir à la manière de sécuriser les entreprises et de mettre notre droit en conformité avec la réglementation internationale, afin de limiter le risque judiciaire.
Mais toujours sur l'article 9, nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous répondiez à deux questions. La première concerne la rétroactivité. La seconde, que nous traiterons au moyen d'un amendement de M. Vercamer complété par M. Tian,…
…est celle de la période d'essai. Sur ce point aussi, nous aimerions des précisions.
Votre intervention, monsieur Paul, était hors sujet : vous n'avez pas du tout compris la philosophie du CNE ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Pour ma part, j'ai embauché des personnes en CNE, dont j'ai d'ailleurs transformé par la suite le contrat en CDI. Le CNE n'avait rien à voir ni avec le CDD ni avec l'intérim. Il a été mis en oeuvre pour créer de nouveaux emplois, que les petites entreprises, engagées sur de nouveaux marchés, n'auraient pas créés sans lui. Tous les chefs d'entreprise qui l'ont utilisé l'ont fait en ce sens. Le CNE n'a donc pas été conçu pour répondre à un surcroît ponctuel d'activité : il me semblait important de rectifier cette erreur.
Vous pouvez penser ce que vous voulez du CNE, mais d'après les derniers chiffres de la DARES, 156 000 contrats ont été signés au 30 juin 2006 – ce sont autant d'emplois qui n'auraient pas été créés autrement –, dont 110 000 dans les entreprises de un à neuf salariés, qui hésitaient à embaucher une personne supplémentaire. Par ailleurs, six salariés sur dix sont toujours dans le poste six mois après la signature du contrat, ce qui est beaucoup mieux que pour d'autres contrats. Enfin, 57 % des contrats rompus le sont à l'initiative des salariés, ce qui prouve que le CNE, contrairement à ce que l'on prétend souvent, n'était pas un instrument permettant aux employeurs de se séparer aisément de leurs employés.
Comme je l'ai expliqué hier lors de la discussion générale, ce qui me gêne dans cet article, c'est la requalification des CNE en cours en CDI de droit commun. J'ai bien noté, dans la réponse du ministre, que l'accord national interprofessionnel du 11 janvier enterrait le CNE : j'en prends acte, ainsi que des observations de l'OIT. Cependant, l'accord ne prévoyait en aucun cas la requalification des CNE en cours en CDI de droit commun. Je maintiens donc que cette disposition a été ajoutée au texte.
On peut avancer des arguments juridiques et citer l'OIT, mais ce que les chefs d'entreprise demandent, c'est que les CNE en cours aillent à leur terme : ils sont prêts à en assumer les conséquences. Tous les CNE ne finissent pas aux prud'hommes : beaucoup se passent très bien ; d'autres, comme je l'indiquais, sont dénoncés par les salariés eux-mêmes. Il n'y a aucune raison de les transformer en CDI de façon arbitraire, d'autant, je le répète, que ce n'est pas prévu par l'ANI.
Je confirme donc que je suis opposé à la requalification des CNE déjà signés en CDI, mais suis d'accord pour que l'on ne signe plus de nouveaux CNE à partir d'aujourd'hui. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
J'ai d'autant plus de plaisir à m'exprimer sur cet article qu'à l'époque du débat sur le CPE, j'ai été l'un des plus ardents opposants au CNE, davantage pour l'insécurité juridique qu'il créait que pour des raisons de fond. En effet, monsieur Tardy, l'un comme l'autre étaient déjà des contrats à durée indéterminée…
…assortis d'une période d'essai dérogatoire de deux ans, pendant laquelle on pouvait licencier sans motif. C'est d'ailleurs cette dérogation que l'OIT a condamnée, au motif qu'elle contrevenait à sa convention 158.
Par conséquent, requalifier un CNE en CDI n'a rien d'extraordinaire, puisque c'en était déjà un. La vraie nouveauté, c'est la réduction de la période pendant laquelle l'employeur peut se séparer du salarié sans motif.
J'ai été plus hostile au CPE car il instaurait une discrimination à l'encontre des jeunes, tandis que le CNE, applicable aux entreprises de moins de vingt salariés, distingue simplement entre les entreprises elles-mêmes, ce qui existe déjà dans le code du travail s'agissant, par exemple, des comités d'entreprise et des délégués du personnel. Il n'en demeure pas moins que le CNE n'était pas conforme au droit international.
On propose donc de requalifier tous les CNE en CDI de droit commun. Mais sera-ce vraiment le cas ? Non ! Nous venons en effet de voter un article 2 qui indique que la période d'essai ne se présume pas. Pour la PME, le CNE assorti d'une période d'essai de deux ans va devenir d'un coup un CDI sans période d'essai, soit une situation moins favorable que celle de la grande entreprise qui aurait signé un CDI avec une période d'essai. Bref, on passe d'un CDI favorable à un autre qui l'est moins. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement pour que le CNE soit requalifié en CDI avec une période d'essai légale : la période d'essai ne se présumant pas, il faut bien inscrire cette disposition dans la loi.
Certes, cela concerne très peu de monde…
…puisque la période d'essai est de quelques mois. Mais des PME de moins de vingt salariés, qui ne sont pas forcément au fait de nos débats, vont signer de bonne foi des CNE jusqu'à la promulgation de la loi – peut-être même après – et s'en trouveront pénalisées. Qu'on leur laisse au moins la période d'essai de quelques mois que nous avons également votée à l'article 2 ! Cela me semble la moindre des choses pour un chef de petite entreprise qui embaucherait de bonne foi un salarié avec un contrat inscrit dans le code du travail, et qu'il pense donc légal.
Tels sont les arguments que je voulais d'ores et déjà exposer : cela me permettra d'être plus court pour défendre mon amendement.
Le moment est important. Nous allons en effet tourner une page peu glorieuse de notre droit social, celle du CNE et du CPE, contrats qui ont remis en cause d'une manière jusqu'alors inconnue les conditions de recrutement des salariés, avec cette période de deux ans pendant laquelle on pouvait licencier sans motif.
Les raisons invoquées étaient politiquement lourdes de sens. Je me souviens de ce long débat : on justifiait le CNE en disant que les chefs des petites entreprises craignaient d'être obligés de licencier, et que l'évolution des marchés était incertaine. On prétendait qu'il fallait donner aux entrepreneurs la possibilité d'embaucher des salariés précaires afin de créer des emplois. La majorité nous reproche parfois de faire de l'idéologie, mais pour le coup, c'en était vraiment, et sur ces sujets, elle demeure prégnante dans la droite française.
Il existe, chers collègues de la majorité, une forte contradiction entre les raisons invoquées pour instituer le CNE et le message, malheureusement ignoré, des chefs d'entreprise que vous visiez. Ainsi, les 800 000 entreprises artisanales de moins de onze salariés représentées par l'UPA, l'Union professionnelle artisanale, demandaient de payer une cotisation sur les salaires pour pouvoir bénéficier de représentants syndicaux dans les petites entreprises. Et vous affirmiez de votre côté connaître leurs besoins, qui étaient selon vous d'embaucher des salariés précaires. Vous nous accusez parfois d'être ringards, mais l'on peut vraiment dire que, face à ces petits entrepreneurs qui voulaient organiser le dialogue social, votre vision de l'entreprise était d'un archaïsme du XIXe siècle.
Quel a été le résultat de tout cela ? On entend parfois dire que le CNE a porté ses fruits, qu'il a permis de créer tant d'emplois… On peut toujours se quereller sur les chiffres, mais le plus simple est de prendre ceux du Gouvernement. Selon la DARES, « le CNE a permis d'accélérer les embauches dans les petites entreprises. Pour autant, [ces réponses] ne suffisent pas, en elles-mêmes, à mesurer l'effet net du CNE sur l'emploi ». On ne peut pas mieux dire !
Les services du ministre eux-mêmes sont donc dans l'incapacité de prouver le moindre effet du CNE en matière de création d'emplois.
Pour les salariés, ils n'ont pu se défendre – autre preuve de l'extravagance de la situation – que parce que le CNE contrevenait aux engagements internationaux de la France, en l'occurrence à la convention 158 de l'OIT : cela, heureusement, n'arrive pas souvent, et l'on peut dire que la sanction de l'OIT n'est pas à l'honneur de notre patrimoine social.
Aujourd'hui, vous abrogez le CNE. Le moment est donc un peu solennel, mais il serait préférable de dire clairement aux chefs d'entreprise que vous les avez trompés. Peut-être ont-ils la possibilité d'engager des procédures collectives contre l'État pour faute lourde, mais en tout état de cause, mieux vaut prendre acte de la situation. Rien ne serait pire, en effet, que d'entretenir les chefs d'entreprise dans l'illusion que le CNE, avec les conditions de recrutement qu'il autorise, demeure. Avant même que nous ne nous prononcions sur l'article 9, en raison des décisions des cours d'appel et de l'appréciation de l'OIT, qui relève d'engagements internationaux supérieurs à notre droit positif, le CNE n'existe plus ! Mieux vaut le dire clairement : l'abrogation que notre assemblée s'apprête à voter est formelle ; son mérite est de tourner définitivement la page. À défaut, les chefs d'entreprise pourraient continuer à croire qu'ils peuvent utiliser un dispositif déjà largement sanctionné.
Je ne veux pas m'attarder sur l'amendement que défendra M. Vercamer, mais je crois que la majorité a fait suffisamment d'absurdités pour ne pas inventer une nouvelle période d'essai qui ne concernerait, en réalité, que les CNE signés ces derniers jours. Puisque la période d'essai n'existait pas dans le droit du travail au moment où le contrat a été signé et qu'il n'y a pas de convention collective, elle peut bien être d'un jour ou même d'une minute : bien des exemples pourraient ruiner votre démonstration.
Il serait sage de tourner la page et de débattre d'un accord avec les partenaires sociaux, même si des désaccords subsistent entre nous et ceux avec qui nous avons partagé les responsabilités. Cela correspond à une autre vision du marché du travail que celle que vous aviez donnée avec le CPE et le CNE, qui le réduisaient à un monde où règne la loi de la jungle et où les salariés n'avaient aucun droit. Ce n'est pas le message qu'attendaient les jeunes et les salariés des petites entreprises, qui avaient signé l'accord de l'UPA, mais pas non plus – cela va vous surprendre – celui qu'attendaient les chefs d'entreprise, car il existe dans notre pays une autre conception des relations sociales. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine .)
Beaucoup a été dit sur cette question, mais je voudrais le redire de la façon la plus claire possible : les partenaires sociaux, auxquels nous nous référons depuis le début de ce débat, ont demandé aux pouvoirs publics de prendre les dispositions nécessaires pour que le principe de motivation du licenciement s'applique à tous les contrats de travail. On ne peut pas mettre en avant cette demande des partenaires sociaux et ne pas en tenir compte. La motivation du licenciement s'appliquera donc désormais à l'ensemble des contrats de travail.
De même, la convention de l'OIT est sans équivoque en la matière, ainsi que la jurisprudence française à travers les arrêts de plusieurs cours d'appel.
À l'instar de M. Vidalies, je voudrais revenir à ce qui a été dit au cours de la discussion générale : chacun a pu se réjouir de la primauté accordée à la démocratie sociale sur la démocratie politique.
Ce n'est qu'une question de terminologie… Si, disons, la priorité au dialogue social instaurée par la loi de janvier 2007 avait existé, nous n'aurions jamais créé le CNE ! De même, il serait aujourd'hui paradoxal, après avoir donné la priorité aux partenaires sociaux, de vouloir maintenir un contrat qui ne fait pas l'unanimité – c'est le moins qu'on puisse dire – parmi les partenaires sociaux. Plutôt qu'un CNE dénaturé qui exposerait les chefs d'entreprise à des risques de contentieux, il convient de requalifier ce contrat dans les termes prévus à l'article 9.
Cet article va dans le sens d'une plus grande cohérence, sur tous les points que nous avons examinés au cours de ce débat. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Sur l'article 9, je suis saisie d'un amendement n° 17 rectifié .
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
Avis favorable.
Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié .
(L'amendement est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 89 .
La parole est à M. Dominique Tian, pour le soutenir.
Il s'agit, tout le monde l'aura compris, d'un problème moral : nous avons proposé le CNE aux chefs d'entreprise, est-ce pour leur dire aujourd'hui qu'il s'agira désormais d'un CDI ? Ce n'est pas la même chose ! Il y va de la parole de l'État, et de celle des députés : il est de notre devoir d'accompagner les chefs d'entreprise qui se sont fourvoyés par notre faute...
Par cet amendement, nous vous proposons de supprimer la rétroactivité de la suppression du CNE. Il va de soi, monsieur le ministre, que des engagements de votre part pourraient nous inciter à le retirer, car nous sommes des gens disciplinés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) À l'évidence, le caractère rétroactif de cette mesure nous effraie !
La commission a repoussé cet amendement pour les raisons que je viens d'évoquer.
Le nombre d'interventions sur cet article nous montre qu'il s'agit d'une question importante. Mais reconnaissons que le CNE a apporté une flexibilité souhaitable à un moment précis de la bataille pour l'emploi, même si son succès appartient au passé, puisqu'il représentait, au premier trimestre, 29 000 contrats, soit 0,7 % des embauches. Nombre de chefs d'entreprise ont pourtant joué le jeu, en toute sincérité.
Ils étaient de bonne foi. Vous-même, monsieur Tardy, comme un certain nombre de chefs d'entreprise dans ma circonscription, avez recruté des salariés grâce au CNE. Certes, vous les auriez peut-être recrutés en CDI, mais une enquête a révélé que 8 % des embauches n'auraient pas été réalisées sans le CNE.
Plusieurs organisations professionnelles se sont engagées pour faire du CNE une réussite, dont la CGPME qui, à cette fin, a mobilisé ses adhérents.
S'agissant de la parole de l'État, celui-ci s'est en effet engagé, et après le vote du Parlement, il a transmis le texte au Conseil d'État. Ce n'est qu'après son entrée en vigueur que les cours d'appel de Bordeaux et de Paris, après le conseil des prud'hommes de Lonjumeau, ont sanctionné le CNE, pour plusieurs raisons : la non-motivation du licenciement, c'est-à-dire l'absence de cause réelle et sérieuse, d'une part, et la durée de la période d'essai, fondement du CNE, d'autre part.
Une autre différence essentielle a trait au montant de l'indemnité, qui est de 8 %, et non de 6 % comme pour le CDD.
J'ajoute, comme l'a déjà fait M. Tardy, que le CNE n'a pas de terme, puisque c'est un CDI,…
… et que seule la période d'essai, telle qu'elle a été définie, en a un. Or elle a été dénoncée en novembre par l'Organisation internationale du travail. Mes collègues européens m'ont, à plusieurs reprises, interrogé sur ce qui avait motivé le Gouvernement à faire un tel choix puisque l'OIT exige que la période d'essai soit soumise à la discussion entre partenaires sociaux.
Si la rétroactivité était totale, des salariés dont le CNE a été rompu pourraient se tourner vers les tribunaux pour demander la requalification de leur contrat. Ce n'est pas le cas. Certes, monsieur Tardy, selon l'alinéa 11 de l'accord de janvier, il appartient aux pouvoirs publics de tirer les conséquences de l'histoire de ce contrat. Mais, et nous en avons discuté à différentes reprises, renoncer à le requalifier en CDI reviendrait à créer un vide juridique. En revanche, requalifier des CNE qui ne sont pas rompus en CDI ne pose aucun problème.
Certes, vous pouvez considérer que le mode de rupture du CNE risque de perdurer. Mais je vous rappelle la publicité qui a été faite autour de ce contrat, et d'ailleurs nul n'est censé ignorer la loi, pas plus que la réalité des choses. Toutes les organisations syndicales se sont mobilisées, et comme je vous l'ai fait savoir, monsieur Tardy, en réponse à votre intervention dans la discussion générale, elles ont indiqué hier que les dispositions du projet de loi concernant l'abrogation du CNE sont conformes à l'esprit et à la lettre de l'accord. J'ai parfois entendu dire que nous aurions fait une telle proposition sans l'accord des organisations syndicales. Vous savez bien que, sur ce sujet comme sur tous les autres, le Gouvernement n'a pas pu travailler seul, mais nécessairement avec l'accord des organisations syndicales.
Si la CGPME s'est exprimée avec force sur la requalification du CNE, l'UPA, qui est directement concernée puisqu'elle représente les entreprises de moins de vingt salariés, ne l'a pas fait, pas plus que le MEDEF, même s'il regroupe surtout de grandes entreprises. Naturellement, chacun a bien compris que la transformation du CNE en CDI ne date pas de ce texte, ni même de l'accord du 11 janvier, mais du mois de novembre, date à laquelle l'OIT a rendu sa décision. Dès réception de celle-ci, jugeant indispensable de sécuriser ces contrats, j'ai écrit à l'ensemble des organisations professionnelles pour les informer qu'il n'y aurait plus désormais de licenciement sans motivation.
Les partenaires sociaux ont eu peur que l'annonce de la suppression du CNE n'entraîne des milliers de licenciements. Or il ne s'est rien passé de tel, et ce pour une raison simple : si un employeur embauche un salarié en CNE, c'est qu'il en a besoin, et la requalification en CDI ne change strictement rien à l'affaire.
Je puis vous assurer que notre démarche est pragmatique. Cet accord vise avant tout à apporter davantage de sécurité juridique, non aux salariés mais aux entreprises, car ce sont elles qui en ont le plus besoin ! (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Je vous rejoins quant à l'importance de la parole donnée, mais nous devons tirer les leçons du CNE : plus jamais le droit du travail ne sera modifié sans l'accord des partenaires sociaux, qui auront préalablement étudié le dossier et négocié chacun de ses points. Voilà pourquoi nous avons voté la loi de janvier 2007, et nous l'appliquons aujourd'hui en vous proposant les premiers travaux pratiques. Revenir sur les modalités de cet accord romprait la confiance établie, et nous en serions responsables.
S'agissant de la période d'essai, comme nous le dira M. Vercamer en défendant son amendement, il ne convient pas de la faire disparaître lors de la requalification. Le Gouvernement sera donc favorable à cet amendement, tout en se réjouissant de constater que M. Tardy et M. Tian ont cosigné un sous-amendement visant à améliorer cette disposition. Je les en remercie, car elle apporte des garanties aux chefs d'entreprise et aux salariés qui ont signé des CNE au premier trimestre.
Le CNE a fait couler beaucoup d'encre et suscité des passions. Mais aujourd'hui il est derrière nous, non pas depuis les décisions des cours d'appel, comme le pensent certains, mais depuis celle de l'OIT.
Ne créons pas d'illusions en laissant croire que la motivation est la seule question importante, alors que la durée de la période d'essai, stigmatisée par l'OIT, l'est tout autant.
Si j'apporte toutes ces précisions, c'est pour fournir des explications aux chefs d'entreprise, qui ont signé des CNE de bonne foi. S'agissant des nouveaux dispositifs que nous pouvons mettre en place, nous ne pouvons leur donner qu'une seule garantie : ce sont eux, et leurs représentants, qui discuteront les premiers des nouvelles modalités du droit du travail. Je sais pertinemment que s'il n'y avait pas la loi du 31 janvier et que des dispositifs nouveaux soient mis en oeuvre, rien ne garantirait que les partenaires sociaux en soient saisis. C'est pourquoi il y a la loi du 31 janvier 2007 et l'accord du 11 janvier 2008. Je vous demande donc, monsieur Tian – mais j'ai cru comprendre que telle était votre intention – de retirer votre amendement n° 89 . En revanche, je puis d'ores et déjà vous assurer que le Gouvernement donnera un avis favorable à l'amendement n° 160 de M. Vercamer et à votre sous-amendement n° 162 , que nous allons examiner dans un instant.(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Je retire mon amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Il a déjà été longuement défendu, mais je tiens à en préciser la portée. Le CNE étant requalifié en CDI de droit commun, la période de consolidation de deux ans, durant laquelle le contrat peut être rompu par l'employeur sans motivation, n'existe plus. Dès lors qu'on abroge toutes les dispositions du code du travail relatives au CNE, cette période d'essai disparaît et, comme elle ne se présume pas, aux termes de l'article 2 que nous venons de voter, il faut l'inscrire dans la loi afin qu'elle puisse s'appliquer.
M. Vidalies va sans doute m'opposer que cela ne concerne que quelques cas. Mais quand un artisan, qui décide d'embaucher son premier salarié, découvre qu'il s'est « fait avoir », il ne tente plus jamais l'expérience ! Mieux vaut aller dans le sens des entrepreneurs qui ont joué le jeu.
L'amendement de M. Vercamer est excellent. Je profite de l'occasion pour lui présenter mes excuses, s'agissant de l'exposé des motifs de mon sous-amendement, qui prétend reprendre l'idée de son amendement dans une rédaction plus claire, alors qu'il s'agit en réalité d'une rédaction complémentaire.
L'amendement et le sous-amendement sont importants, et il faut, sur un tel sujet – c'est d'ailleurs une demande de M. Tardy et de M. Tian – clarifier les choses.
Les CNE récemment conclus sont eux aussi requalifiés en CDI. Mais si l'on n'y prend garde, et je vous remercie pour votre vigilance, ils perdront toute période d'essai, car celle-ci n'est pas de droit. C'est pourquoi la loi doit fixer, par exception, une période d'essai correspondant à celles du CDI. Comme nous sommes dans le cadre de l'ANI, cette période doit être, selon les termes du sous-amendement n° 162 de M. Tardy et de M. Tian, soit la période conventionnelle quand un accord de branche la prévoit, soit la période interprofessionnelle créée, par l'article 2 du projet de loi, à l'article L. 1221-19 du code du travail.
Il était important d'apporter cette précision, et je vous remercie d'avoir ainsi évité un nouveau vide juridique.
J'ai un peu de mal à mesurer l'intérêt de cette initiative, si l'on ne veut pas retomber dans la complexité et risquer de multiples interprétations.
Monsieur le ministre, je confirme vos propos, car nous avons tous été témoins de votre réaction lorsqu'au mois de novembre dernier, vous avez écrit à l'ensemble des organisations professionnelles pour les informer qu'il n'y aurait plus de licenciements sans motivation. Désormais tout le monde le sait, mais vous voulez tout de même inscrire dans la loi que le CNE est abrogé.
Vous entendez cependant rétablir une période d'essai pour les contrats signés dans les deux derniers mois, mais sans qu'on sache aucunement à partir de quand elle courra. Est-ce dès la publication de la loi ? Nul ne le sait ! Vous décidez d'une période d'essai, mais sans donner son point de départ : est-ce le jour de la requalification ?
Toutes les périodes d'essai commencent au début du contrat !
Alors, il faut à l'évidence parachever la rédaction de votre texte, car la période d'essai étant liée à la transformation du CNE en CDI, d'aucuns la feront commencer à cette date !
Quant à la durée de la période d'essai du CDI, auparavant la loi ne la fixait pas : elle était déterminée par les conventions collectives ou par les contrats de travail individuels. Pourquoi dès lors appliquer aujourd'hui une règle de droit commun qui n'existait pas au moment où le contrat a été signé ou qui, du moins, n'était pas du domaine législatif, mais relevait du règlement ou de l'accord contractuel ? Ce que vous nous proposez là est une véritable gymnastique ! Ce n'est en outre qu'une façon de présenter des excuses a posteriori. Ce dispositif, d'une complexité surprenante, n'a que peu d'intérêt et va probablement aboutir à de nombreux contentieux, car certains penseront être protégés alors qu'ils ne le seront pas.
Enfin, à quoi cela a-t-il servi de passer toutes ces journées à discuter de sécurisation si vous tenez tellement, bien qu'ayant abrogé le CNE, à maintenir une période d'essai ? Serait-ce la possibilité de licencier qui vous obsède ? Car vouloir maintenir une période d'essai, c'est tout simplement une façon de faciliter les licenciements, ce qui va à l'encontre de tous vos discours. Franchement, mieux vaudrait renoncer à ce dispositif ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Bien entendu, je ne suis pas d'accord avec M. Vidalies. D'abord sur le fond, parce que les petites entreprises ne sont pas au fait de nos débats et ne sont pas forcément affiliées à un syndicat professionnel. Je rappelle que la loi s'applique jusqu'au jour où elle est abrogée ! Par conséquent, il est encore possible de signer des CNE. Ensuite, monsieur Vidalies, permettez-moi de vous dire que votre interprétation est erronée. Le CNE est déjà un CDI. Ainsi, lorsqu'on requalifie un CNE en CDI de droit commun, on ne change pas la nature véritable du contrat : c'est toujours un CDI, et le départ du contrat est toujours la date à laquelle il a été signé. On n'est pas passé d'un type de contrat à un autre, mais d'un CDI avec une période d'essai spécifique à un CDI de droit commun. Il n'y a donc pas de litige possible. Votre interprétation vise sans doute à écarter mon amendement. Je veux bien admettre que vous ne soyez pas d'accord avec moi, mais n'utilisez pas de tels arguments ! Je vous ai connu meilleur contradicteur, monsieur Vidalies !
On s'aperçoit, une fois encore, des effets pervers de la rétroactivité. Nous n'allons pas revenir à l'amendement précédent, puisque nous l'avons retiré. Mais les chefs d'entreprise qui ont signé les 27 000 contrats de ce premier trimestre sont en train – et ceci figurera au Journal officiel – de se faire cocufier ! Je ne vois pas comment m'exprimer autrement ! Comment voulez-vous gérer la période d'essai ? Pour les contrats signés au mois de janvier, c'est déjà trop tard, puisque les personnes recrutées ont déjà travaillé deux ou trois mois !
Je mets aux voix le sous-amendement n° 162 .
(Le sous-amendement est adopté.)
Je mets aux voix l'article 9, modifié par les amendements adoptés.
(L'article 9, ainsi modifié, est adopté.)
Je constate que le vote est acquis à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
L'article 10 ne faisant l'objet d'aucun amendement, je le mets aux voix.
(L'article 10 est adopté.)
Nous en venons à deux amendements portant articles additionnels après l'article 10.
Je suis saisie d'un amendement n° 82 .
La parole est à M. Jacques Myard, pour le soutenir.
Il s'agit de réparer une double injustice.
L'article L. 421-9 du code de l'aviation civile prévoit que les pilotes du transport aérien public doivent prendre leur retraite à l'âge de soixante ans. Or les normes de l'organisation de l'aviation civile internationale – l'OACI – recommandent d'aller jusqu'à soixante-cinq ans. Nos pilotes seniors sont donc en concurrence directe avec les pilotes étrangers.
De la même manière, le personnel de cabine visé à la section D du registre prévu à l'article L. 421-3 peut de droit, à partir de l'âge de cinquante-cinq ans, demander à bénéficier d'un reclassement dans un emploi au sol, reclassement qu'ils n'obtiennent jamais ! En réalité, nombre d'hôtesses de l'air et de stewards sont priés de ne plus voler, mais on leur propose un emploi de substitution qui, bien entendu, ne peut être une réponse à leur situation, et ils sont licenciés alors qu'ils n'ont pas les annuités ou les trimestres nécessaires pour bénéficier d'une retraite décente.
L'amendement n° 82 vise à permettre aux pilotes qui le souhaitent de s'arrêter à partir de soixante ans ou de continuer jusqu'à soixante-cinq ans, et aux hôtesses et stewards d'être reclassés au sol à partir de cinquante-cinq ans.
Je rappelle, pour ce qui concerne les hôtesses et les stewards, qu'une disposition similaire avait déjà été adoptée à l'Assemblée nationale, mais n'avait pas passé le cap du Sénat…
…à la suite, notamment, des interventions de certain PDG de compagnie aérienne.
Je souhaite aujourd'hui apporter un peu de souplesse aux personnels navigants, qu'il s'agisse des pilotes ou du personnel de cabine, afin qu'ils puissent, s'ils le désirent, poursuivre leur activité pour atteindre le nombre de trimestres suffisant et avoir une retraite décente.
Puis-je considérer que vous avez également défendu l'amendement n° 81 ?
La commission a eu bien du mal à établir un lien entre ce sujet – sur lequel votre rapporteur n'est guère compétent – et l'accord national interprofessionnel. Sans porter un jugement sur le fond, elle a donc repoussé ces deux amendements, qui renvoient plutôt à une discussion sur les questions de retraite.
Quel est l'avis du Gouvernement sur ces amendements qui ont effectivement l'air de cavaliers ?
M. Myard a de la suite dans les idées. Est-ce sa qualité d'élu de Maisons-Lafitte qui l'amène à présenter ainsi des cavaliers ? (Sourires.)
Ce n'est pas la première fois que ce sujet est évoqué : chacun a été sensible à l'affaire Guy Roux. Compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie, je considère en effet que les limites d'âge qui ont cours dans notre pays n'ont plus grand sens. Lors de la réforme des régimes spéciaux, nous avons ainsi veillé à éviter les clauses « couperets » empêchant les salariés de poursuivre leur activité.
Reste, monsieur Myard, que l'amendement que vous évoquiez, adopté à l'Assemblée nationale puis repoussé au Sénat, n'est pas resté lettre morte. Des négociations sont en effet en cours avec les organisations professionnelles concernées, comme nous l'a confirmé le ministère des transports. Et dans le cas où elles n'auraient pas avancé, un autre cadre se prêterait mieux à ces discussions, celui du rendez-vous sur les retraites.
Ce dont il est question, en effet, c'est de l'activité des seniors. Nous ne pouvons pas maintenir des limites d'âge fixées il y a trente, quarante ou cinquante ans alors que nous vivons de plus en plus longtemps. Je comprends bien les exigences liées à l'organisation des entreprises, mais il faut savoir ce que l'on veut ! Et moi, je veux que les seniors puissent travailler davantage.
L'ANI du 11 janvier ne prévoit rien à ce sujet. Mais si les négociations n'avancent pas, nous prendrons nos responsabilités, je le répète, lorsque viendra en discussion la loi sur l'emploi des seniors. De ce point de vue, le sujet me concerne, même si je ne suis pas ministre des transports.
Je ne sais pas ce qu'il en est des pilotes, mais s'agissant des personnels navigants, on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un problème de retraite.
À cinquante-cinq ans, ces personnels n'ont en effet plus le droit de voler. Et ce qui me révolte, c'est que les employeurs, plutôt que d'organiser leur reclassement, se contentent de prendre acte de cette interdiction et de les licencier pour inaptitude au travail. Ces salariés sont donc pris en charge par les ASSEDIC ou par la sécurité sociale, ce qui est un véritable scandale.
Les employeurs font supporter aux ASSEDIC le coût des licenciements ; pendant deux ans, les anciens salariés touchent l'assurance chômage, puis ils travaillent quelques mois ou se débrouillent comme ils peuvent. Pour avoir travaillé dans l'aéronautique, je sais comment les choses se passent.
Mais ce n'est pas à la loi de résoudre ce problème, qui relève de la responsabilité des employeurs et exige donc une négociation entre ces derniers et les ministères des transports et du travail.
Le Gouvernement, au fond, nous dit que j'ai raison, qu'il faut faire bouger les lignes. Alors cessons la procrastination et faisons preuve d'un peu d'audace ! L'adoption de ces amendements serait un signe adressé aux partenaires sociaux. Et ne me parlez pas de cavalier, parce que cette question relève du droit du travail.
Mais est-ce qu'elle est abordée par l'ANI ?
Ce n'est pas le problème ! Bien sûr, le projet de loi dont nous discutons se réfère à l'ANI, mais ma proposition est dans la droite ligne des conclusions de l'accord. Il n'y a aucune raison de la juger comme un cavalier, et je ne crois pas à une censure du Conseil constitutionnel pour ce motif.
Je maintiens donc l'amendement n° 82 , à défaut de son adoption, je demande celle de l'amendement n° 81 , afin de réparer une injustice !
Que voulons-nous, monsieur Myard ? Que les choses se passent comme la dernière fois ?
On connaît votre talent et votre pouvoir de conviction. La dernière fois, cela a fonctionné, et il pourrait en être de même aujourd'hui. Mais hors de l'Assemblée nationale, que va-t-il se passer ?
Le résultat serait sans doute le même. Et que fait-on des discussions en cours ? Je vous rappelle qu'elles n'avaient pas encore commencé lors de votre précédente tentative.
J'ajoute, pour Mme Lebranchu, que cette question ne relève pas des retraites, mais de l'emploi des seniors. Ce n'est pas la même chose, et j'ai bien marqué la différence.
Vous parlez d'audace, monsieur Myard. Mais il a bien fallu en montrer lorsqu'il s'est agi de réformer les régimes spéciaux. Nous avons su supprimer les limites d'âge, les décrets ont été publiés, tout ce qui avait été annoncé a été réalisé.
Si les négociations n'avancent pas, le débat sur l'emploi des seniors – qui aura lieu dès 2008 – sera un vecteur idéal pour le sujet qui vous préoccupe. Telle est ma proposition. Mais mon pouvoir de conviction égalera-t-il le vôtre ?
Nous avons achevé l'examen des articles. Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi auront lieu le mardi 29 avril, après les questions au Gouvernement.
La parole est à M. le ministre.
Mesdames et messieurs les députés, même si le vote solennel doit avoir lieu plus tard, je veux d'ores et déjà vous remercier pour le climat dans lequel s'est déroulée cette discussion. L'exercice était difficile, car nous étions contraints par les termes de l'ANI et de sa transposition ; mais chacun a joué le jeu, montrant ainsi aux partenaires sociaux, attentifs au respect de toutes les dispositions de l'accord, qu'ils pouvaient faire confiance à la représentation nationale – ce qui est de bon augure pour le dialogue social et atteste l'esprit de responsabilité des parlementaires. Je remercie les différents orateurs, le président de la commission et son rapporteur. Je pense que nous avons fait du bon travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Prochaine séance, jeudi 17 avril 2008, à neuf heures trente :
Débat sur la révision générale des politiques publiques.
La séance est levée.
(La séance est levée, le jeudi 17 avril 2008, à zéro heure trente-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma