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Intervention de Daniel Paul

Réunion du 16 avril 2008 à 21h30
Modernisation du marché du travail — Article 6

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Paul :

Encore un article, monsieur le ministre, qui s'inscrit dans le volet flexibilisation de votre texte.

En effet, destiné aux ingénieurs et aux cadres, il marque l'avènement d'un trente-huitième contrat de travail dans le droit français, dans la droite ligne de la précarité caractéristique des contrats à durée déterminée et des contrats d'intérim.

Contrairement aux CDD classiques, ce contrat ne permettra même pas au salarié de savoir quand sa mission prendra fin, puisque la perspective de fin de réalisation du projet, qui est censée marquer l'échéance du contrat, ne peut être qu'incertaine.

En outre, ce contrat de mission est plus précaire que le CDD actuel puisqu'il peut être rompu au bout d'un an pour cause réelle et sérieuse et non pour seule faute grave comme aujourd'hui.

Notre collègue Roland Muzeau l'a déjà évoqué, mais je ne peux m'empêcher de souligner de nouveau l'hypocrisie de votre texte, qui réaffirme dans son article 1er que le CDI est la forme normale du contrat de travail, et qui, quelques articles plus tard, crée un contrat précaire supplémentaire !

On sait le nombre de cadres et d'ingénieurs qui ne travaillent pratiquement que sur projets. On peut craindre pour leur statut ! Seront-ils condamnés à devoir se contenter d'un enchaînement de contrats de mission successifs, au gré des différents employeurs ?

On peut même parler, avec cette nouvelle forme de contrat de travail, d'immoralité, car avec ce type de contrat, un salarié qui aura réussi à mener à bien un projet, et qui aura ainsi enrichi l'entreprise, risquera de prendre la porte, puisque ce contrat ne pourra être renouvelé !

Cette précarisation des cadres n'est pas une totale nouveauté. Si certains continuent de pouvoir bénéficier d'une relative stabilité de l'emploi et de salaires relativement corrects, divers secteurs d'activité offrent, par contre, des perspectives d'emploi et des conditions de travail qui tendent à faire des cadres des victimes supplémentaires d'un système productif surtout préoccupé de retours sur investissements et de rentabilité financière, souvent aux dépens de la qualité humaine de l'environnement de travail. Un certain nombre d'événements qui ont défrayé la chronique, y compris dans des centres de recherches de l'automobile, sont là pour le montrer.

Je pense également au secteur de la télévision, où d'ores et déjà des journalistes sont condamnés à enchaîner les CDD, dans la plus totale illégalité, alors même qu'ils ont largement fait leurs preuves dans l'entreprise et qu'ils y réalisent un travail permanent. Ainsi, parallèlement à la présence persistante d'emplois et de postes survalorisés, les chaînes de télévision ont recours, elles aussi, à la précarisation d'une partie de leurs salariés.

La perspective de suppression de la publicité sur les chaînes publiques risque d'ailleurs d'accroître cette précarité du secteur, en poussant celles-ci à des économies sur les embauches et les rémunérations des personnels.

Ce contrat de projet risque en fait d'accroître la précarité d'une catégorie de salariés, en reportant le risque inhérent à presque toute activité économique et industrielle, et normalement pris par l'employeur, sur les cadres et les ingénieurs recrutés sous contrats de mission.

Ajoutons, pour finir, quelques remarques sur l'intérêt des entreprises dans l'affaire, qui ne sera pas nécessairement optimal. Votre contrat, déjà en vigueur dans d'autres pays, a montré ses limites. Ainsi, aux États-Unis, les cadres embauchés sous de tels contrats ont tendance à réduire leur rythme de travail et leur productivité une fois le gros du travail fourni, afin de pouvoir prolonger leur contrat le plus longtemps possible.

En outre, ce type de contrat est contradictoire avec la nécessité d'apprentissages du travail de plus en plus longs et avec la stabilité nécessaire à la construction de collectifs de travail.

Ainsi, alors que les entreprises ne raisonnent quasiment plus qu'en termes de rendement et de productivité, voilà un contrat qui sera, à cet égard, peut-être contreproductif.

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