Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Séance en hémicycle du 18 janvier 2011 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue (nos 2855, 3040).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures vingt-deux minutes pour le groupe UMP ; dix heures quarante-trois minutes pour le groupe SRC ; cinq heures dix-huit minutes pour le groupe GDR ; quatre heures quinze minutes pour le groupe Nouveau Centre et cinquante minutes pour les députés non inscrits.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Hunault.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour la première fois depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, notre assemblée est saisie d'un projet de loi qui vise à tirer les conséquences d'une décision rendue dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel. En abrogeant le support légal de la garde à vue tout en renvoyant les effets de sa décision au 1er juillet prochain, le Conseil constitutionnel a plus largement mis le législateur en demeure de définir un nouvel équilibre entre les droits de la défense et la protection de l'ordre public au cours d'une mesure progressivement devenue un symbole de l'enquête policière.

Le projet de loi dont nous discutons revêt bel et bien une importance cruciale. Monsieur le ministre, je vous ai entendu tout à l'heure avec beaucoup d'intérêt. Vous avez replacé cette discussion dans le long cheminement de textes qui visent à accroître les libertés. Vous avez rappelé à juste titre la loi pénitentiaire, l'instauration du contrôleur général des lieux de privation de liberté, la question prioritaire de constitutionnalité, et cet après-midi même nous avons voté la création d'un Défenseur des droits.

Convenons-en, le débat sur la présence d'un avocat en garde à vue est ancien. Il échouait jusqu'alors sur l'une de nos traditions juridiques, celle d'une certaine conception de la procédure pénale selon laquelle le caractère contradictoire des phases d'instruction puis de jugement permettait de poser certaines restrictions aux droits de la défense lors de la phase policière sans remettre en cause pour autant ni la présomption d'innocence ni l'équilibre du procès pénal lui-même.

Incontestablement, l'année écoulée a fait voler en éclats l'ensemble des lignes de fracture qui marquaient traditionnellement ce débat. D'ailleurs, monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure – c'est une information capitale – que désormais « aucune condamnation ne pourra être faite sur des déclarations elles-mêmes faites hors de la présence de l'avocat ». C'est là un progrès considérable.

Ce fut, d'abord, le fait de la Cour européenne des droits de l'homme – ses différents arrêts ont été cités –, qui condamnait les États en les déclarant en contradiction avec la Convention de sauvegarde des droits de l'homme dès lors que les droits du gardé à vue étaient limités.

Ce furent, ensuite, les chiffres que vous avez vous-même rappelés : près de 800 000 gardes à vue en France en 2010. Déjà, votre collègue du ministère de l'intérieur avait donné des instructions l'année dernière – je parle sous votre contrôle – pour que le nombre de gardés à vue ne soit plus un critère de performance de la police.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Delarue, estime quant à lui que la plupart des lieux de garde à vue sont dans un état indigne pour les personnes qui y séjournent, qu'elles soient interpellées ou qu'elles y exercent des fonctions. Il parlait des cellules de gardés à vue comme de lieux des plus médiocres.

Ce projet de loi est donc un progrès. Le renforcement du rôle tenu par l'avocat lors de la garde à vue constitue désormais un point consensuel du débat. Le Président de la République lui-même, déclarait devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009 : « Parce que les avocats sont des auxiliaires de justice, qu'ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne le faut pas parce qu'elle est bien sûr une garantie pour leur client. Elle est aussi une garantie pour les enquêteurs eux-mêmes, qui ont tout à gagner d'un processus consacré par le principe du contradictoire. » C'est là, monsieur le garde des sceaux, une vision partagée entre vous et les membres de votre majorité : le progrès qui n'est perçu aujourd'hui que pour le gardé à vue, est également un progrès pour les policiers et les forces de gendarmerie. Il n'y a pas de contradiction dans le texte ; il n'est pas inutile de le rappeler.

Je voudrais maintenant parler des abus, car si nous sommes dans cet hémicycle ce soir c'est qu'il y en a eu. Lorsque la commission d'Outreau a été créée, nous avons vu quelles étaient les failles d'une garde à vue faite sans un minimum de garanties. Nous-mêmes, sur tous les bancs de cet hémicycle, avions déposé des propositions de loi visant à introduire la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, et ce n'est pas sans émotion que je pense au texte que j'avais défendu.

Sur le fond, il nous faut trouver un nouvel équilibre entre la protection des droits de la défense et les nécessités de l'enquête. Et là, je voudrais m'élever contre les attaques dont font trop souvent l'objet les magistrats du parquet, qui sont mis en cause alors que la recherche de la vérité n'est pas contraire à leur volonté d'assurer, eux aussi, la protection des libertés individuelles – je crois nécessaire de le rappeler à cette tribune.

Il nous faut donc concilier l'efficacité des procédures et la protection des droits. La police et la justice ne mènent pas leurs missions l'une sans l'autre. Les magistrats du parquet sont mobilisés jour et nuit, les policiers aussi, car l'enjeu est bien de lutter contre la grande criminalité. M. Vaxès ne m'en voudra pas, mais je plaide pour qu'il y ait des régimes dérogatoires dès lors qu'il s'agit de lutter contre le terrorisme ou la grande criminalité organisée. Il me semble nécessaire de maintenir cette différence.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Comme l'a rappelé le rapporteur, la commission des lois a fait le choix de permettre à la victime de se faire assister d'un avocat lorsqu'elle est confrontée, au cours de la garde à vue, à un suspect lui-même assisté. Sans attendre cette hypothèse, les députés du Nouveau Centre vous proposent d'aller plus loin, monsieur le garde des sceaux, pour les crimes et délits les plus graves – je pense aux délits punis d'une peine de plus de deux ans d'emprisonnement – en prévoyant que la victime puisse se faire représenter par un avocat au cours de la garde à vue. Je rappelle qu'il s'agit là des conclusions du comité Léger, qui préconisait d'offrir à la victime la possibilité de devenir « partie à l'enquête » et de couper court à cette logique qui voudrait que la justice se montre sourde à la souffrance des victimes, laquelle ne peut à terme qu'alimenter l'incompréhension de nos concitoyens, voire une défiance en tous points regrettable à l'égard de notre institution judiciaire. Je voulais, au nom de mes collègues du Nouveau Centre, évoquer les victimes. C'est d'autant plus nécessaire que le projet de loi prévoit un renforcement sans précédent des droits de la défense en garde à vue.

Je ne reviendrai pas sur l'actuelle définition de l'article 63-4 du code de procédure pénale. Avec ce projet de loi, ce sera différent. Nous ouvrons à toute personne gardée à vue un droit effectif à se faire assister d'un avocat, lequel pourra continuer à s'entretenir avec elle. L'avocat disposera désormais également, avec le procès-verbal de placement en garde à vue, des éléments à même d'aider cette personne dans la préparation de sa défense. Il aura la possibilité d'assister la personne gardée à vue au cours des auditions. Il pourra, au terme de chacune d'entre elles, formuler des observations et ce, monsieur le ministre, conformément aux préconisations de la Cour européenne des droits de l'homme, qui s'appuie sur la Convention européenne des droits de l'homme dont nous avons célébré, au mois de décembre dernier, le soixantième anniversaire.

Avec ce projet de loi, il s'agit, au fond, de donner enfin à la présomption d'innocence sa pleine et entière traduction en la consacrant comme un principe cardinal du procès pénal opérant dès les premiers instants de la procédure. C'est donc un progrès indéniable qui devra s'accompagner d'évolutions quant au déroulement même de la garde à vue.

Au nom de mes collègues du Nouveau Centre, j'ai déposé des amendements auxquels le rapporteur et vous-même, monsieur le ministre, avez été sensibles, qui visent à assurer la dignité de la personne gardée à vue. Je pense à la pratique actuelle de la fouille au corps, à des actes humiliants pour la personne gardée à vue et qui sont indignes des principes auxquels vous et moi sommes attachés. M. Vallini m'écoute attentivement et je pense aux moments que nous avons connus lorsqu'il a présidé la commission d'Outreau, aux témoignages des personnes innocentes pourtant condamnées, qui nous expliquaient que les moments cruciaux avaient été ceux où elles étaient gardées à vue, pendant lesquels elles avaient été tutoyées, humiliées, déshabillées, fouillées au corps, et qu'elles avaient dû faire des aveux parce qu'elles avaient craqué.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Avec ce projet de loi, nous voulons mettre fin à certaines réalités. Il est important – et je me tourne là vers mes collègues de l'opposition –…

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Ce n'est pas difficile ; les autres ne sont pas là !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

…que ce projet de loi soit l'aboutissement de dénonciations de faits qui sont aujourd'hui intolérables. Pour autant, ces exigences nouvelles devront se concilier avec la protection de l'ordre public, l'exigence de prévention et de répression de la criminalité organisée. Il importe de rappeler qu'une grande partie de la réponse au problème réside aussi dans le renforcement en cours de ce qui constitue le passage d'une culture de l'aveu à une culture de la preuve.

Pour le reste, je reprendrai des interrogations que j'ai eu l'occasion d'exprimer en commission des lois et que certains de mes collègues ont exposées en défendant leur motion de rejet préalable ou de renvoi en commission. Je crois, monsieur le garde des sceaux, qu'il faudra répondre à certaines questions à l'occasion de la discussion des articles.

S'agissant d'abord des moyens, cette réforme aura un coût pour les avocats. Vous vous êtes engagé à revaloriser l'aide juridictionnelle. Permettez-moi de vous donner d'autres pistes de réflexion, car l'exécutif et le Parlement doivent travailler ensemble. Ainsi, chacun est obligé de conclure des contrats d'assurance habitation, dans lesquels il y des clauses défense-recours, protection juridique. C'est une piste parmi d'autres.

Il y a également des questions sur les lieux de garde à vue. Vous avez été interrogé cet après-midi par l'un de mes collègues du Nouveau Centre sur la convention que vous venez de passer avec votre homologue du ministère de la santé. Il y a des atteintes à l'intégrité de la personne – je pense notamment aux crimes sexuels pour lesquels les constatations se font dans un centre, souvent au chef-lieu de département. Je suis favorable au maintien des lieux de garde à vue dans les brigades territoriales et les commissariats.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

On ne va pas obliger la personne à aller au chef-lieu du département !

Il y a là de vraies questions auxquelles nous ne pourrons pas forcément répondre dans le cadre de la discussion des amendements. Il faudra mettre tout le monde autour de la table, non seulement l'exécutif et le Parlement, mais aussi tous les acteurs – magistrats, avocats –, pour poser la question des moyens et parler des victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Je voudrais également, monsieur le ministre, évoquer la contrôle de la mise en oeuvre de la garde à vue. L'amendement Houillon, sur lequel vous vous êtes attardé tout à l'heure, a été adopté en commission par vingt et une voix contre vingt. Dans ces vingt-et-une voix il n'y avait pas que celles de l'opposition, il y avait aussi celles de certains collègues de l'UMP et la mienne. Nous aurons ce débat sur le statut du parquet à l'occasion de l'examen des articles. Vous savez que les magistrats veulent une évolution et des garanties. Il n'y a pas, dans cet hémicycle, une volonté de faire le procès du parquet. Il y a simplement une volonté d'apporter des garanties.

Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous proposez est l'aboutissement d'un long processus visant à améliorer les garanties individuelles et la présomption d'innocence. Il faut y trouver des éléments qui nous rassemblent au lieu de nous diviser, même si des désaccords subsistent entre vous et une partie de votre majorité sur certaines questions légitimes.

Nous aurons le mérite, en première lecture – et je salue une fois encore le fait que vous ayez préféré deux lectures à une discussion en urgence –, de faire suite aux recommandations du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et surtout à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Je ne peux oublier, pour conclure, que j'ai eu l'honneur, pendant dix-sept ans, de faire partie de notre délégation au Conseil de l'Europe, conscience de notre continent, où sont évoqués les droits de l'homme, ceux des victimes et de toutes celles et ceux qui sont privés de liberté. Le régime de la garde à vue en est une pièce fondamentale, et nous sommes tous ici des défenseurs de la dignité des personnes gardées à vue, qui, tant qu'elles ne sont pas jugées, sont présumées innocentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Nous sommes, dans cet hémicycle, dépositaires d'un idéal pour lequel la France demeure, aux yeux de beaucoup de nations, une référence, et c'est avec peine que nous avons subi la condamnation légitime de la Cour européenne des droits de l'homme pour des manquements inadmissibles. L'un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, a même dû présenter les excuses de la chancellerie aux victimes du procès d'Outreau.

Ce projet de loi doit nous rassembler. Nous discuterons de certains points, mais c'est avec confiance qu'avec les députés du Nouveau Centre j'aborde nos débats.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui, avec la refonte de la garde à vue, la première phase d'une vaste réforme. En effet, le Président de la République a lancé en 2009 une large concertation sur une réforme en profondeur de la procédure pénale. Cette volonté s'est traduite par les travaux de la commission présidée par Philippe Léger, ainsi que de différents groupes de travail mis en place par la chancellerie. Ces travaux préalables ont débouché sur un avant-projet de plus de sept cents articles, qui ne pourra, quoi qu'il arrive, être étudié et voté par notre assemblée en un seul texte. Cependant, le calendrier de la réforme de la garde à vue nous est imposé par la jurisprudence de la Cour de cassation, par les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi que par la décision du Conseil Constitutionnel du 30 juillet 2010, qui nous laisse jusqu'au 1er juillet 2011 pour nous mettre en conformité.

C'est donc dans un calendrier des plus contraints que nous devons légiférer, et je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir annoncé en commission que le Gouvernement ne déclarerait pas l'urgence, laissant aux assemblées la possibilité de plusieurs lectures sur ce texte fondamental. Cela signifie que la navette parlementaire entre nos deux assemblées devra être un TGV, puisque le texte devra être définitivement adopté fin mai, afin de permettre, le cas échéant, au Conseil constitutionnel d'effectuer son contrôle dans les délais.

En réalité, ce calendrier qui nous est imposé pose un problème de fond. Nous devons réformer notre garde à vue en dehors de et préalablement à la réforme globale de la procédure pénale, c'est-à-dire avant même que nous ayons décidé si nous conservions notre système de procédure inquisitoire ou si nous passions au système anglo-saxon de procédure accusatoire.

La Cour européenne des droits de l'homme, de culture juridique anglo-saxonne, nous impose une procédure de garde à vue qui s'inspire d'un système accusatoire. Mais notre procureur de la république n'a pas les mêmes fonctions qu'un procureur anglo-saxon. Il doit mener ses investigations à charge et à décharge ; s'il engage des poursuites, c'est dans le cadre de son pouvoir d'appréciation de leur opportunité. Il n'est en aucun cas une partie au procès pénal, et c'est véritablement par abus de langage que certains parlent de lui comme de la partie « poursuivante ». Le procureur de la République défend la société, l'intérêt général ; il intervient au nom de la République, et non pas au nom de l'État ou du Gouvernement. C'est à ce titre qu'il est le garant du respect des règles institutionnelles et des libertés individuelles.

C'est dans ce contexte juridique hybride que nous devons légiférer. La réforme que nous devons voter doit se frayer un étroit chemin entre divers intérêts souvent contradictoires. Elle doit tout d'abord donner les moyens de mener l'enquête sans entrave, afin de permettre la manifestation de la vérité. Elle doit ensuite admettre que le mis en cause puisse exercer ses droits légitimes à la défense. Elle doit enfin accorder à la victime les moyens d'être respectée et protégée, et veiller à ce que, dans les faits, celle-ci n'ait pas le sentiment que les rôles sont inversés, en d'autres termes qu'elle ne soit pas mise en accusation tandis que l'auteur du délit apparaîtrait comme une victime du système, qu'il faudrait protéger à tout prix.

Par ailleurs, notre marge de manoeuvre est très étroite entre deux risques politiques majeurs.

Le premier serait de mettre en oeuvre des règles de procédure de garde à vue si contraignantes qu'elles pourraient être une véritable entrave à l'enquête et nuire à l'efficacité de la police, et, par voie de conséquence de la justice. Mes chers collègues, nous ne pouvons pas prendre le risque de donner un coup de frein à la lutte contre la délinquance. Ce serait un mauvais signal pour les Français, qui nous disent tous les jours leur besoin de sécurité. Ce serait un mauvais signal pour les délinquants, qui pourraient croire que tout est permis en toute impunité. Ce serait un mauvais signal, enfin, pour nos forces de l'ordre qui, voyant leur efficacité mise à mal pour des questions procédurales, nourriraient non seulement un sentiment de lassitude mais, pire, souffriraient d'une véritable démotivation dans leur lutte quotidienne contre la délinquance. Et je veux ici rendre hommage au travail difficile réalisé au quotidien par nos policiers et nos gendarmes sur l'ensemble du territoire.

Le second écueil que nous devons également éviter, c'est celui d'une réforme de la garde à vue pour rien. Je veux dire par là que nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place un dispositif qui pourrait encourir, dans les mois qui viennent, de nouvelles sanctions, soit de la Cour européenne des droits de l'homme, soit du Conseil constitutionnel, soit encore de nos plus hautes juridictions.

Je veux à ce stade saluer l'action du Gouvernement qui, sous l'impulsion du Président de la République (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), dont le souhait était que nous passions d'un système privilégiant l'aveu à un système privilégiant la preuve, avait pris les devants en travaillant à une réforme globale de la procédure pénale. La jurisprudence et le Conseil constitutionnel l'ont obligé à forcer le pas pour le régime de la garde à vue. Et je reste persuadé que cette situation est dommageable pour la cohérence d'ensemble de notre procédure pénale.

Au nom du groupe UMP, je veux vous dire que la réforme que vous nous présentez, monsieur le ministre, nous convient globalement. Elle parvient à un certain équilibre entre les différentes contraintes que je viens d'évoquer. Un certain nombre de dispositions qui nous semblaient poser problème ont été modifiées ou supprimées par la commission des lois, parfois avec votre accord, parfois en s'en affranchissant. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Les discussions qui ont eu lieu depuis ont montré que des voies d'entente pouvaient être trouvées.

À notre sens, l'audition libre n'était pas, en l'état, conforme aux différentes jurisprudences et décisions qui s'imposent à nous ; vous en avez convenu et abandonné l'idée de la réintroduire par amendement, ce dont nous vous savons gré.

Nous avons, avec votre consentement, fait évoluer le rôle de l'avocat, de manière qu'il puisse s'exprimer en posant des questions en fin d'audition. Il nous faudra cependant, en parallèle des nouveaux droits accordés aux avocats, prévoir quelques garde-fous pour éviter tout dérapage.

Nous avons également introduit un délai de carence de deux heures pour permettre à l'avocat de se rendre effectivement sur les lieux de la garde à vue, mais nous convenons que des aménagements peuvent être trouvés afin de ne pas paralyser l'enquête.

Vous avez accepté, au nom de l'équilibre des armes, que la victime puisse être assistée par un avocat, notamment en cas de confrontation ; nous nous réjouissons de cette avancée qui est une réponse forte au risque d'inversion des rôles que je déplorais il y a quelques instants.

Nous apprécions aussi à sa juste valeur la fin des fouilles intégrales systématiques, particulièrement humiliantes pour ceux qui les subissent, mais jamais très agréables, voire gênantes, pour ceux qui y procèdent.

Nous devrons en revanche nous interroger de nouveau sur la nécessité de confier le contrôle de la garde à vue et son premier renouvellement au juge des libertés et de la détention. Le rappel, il y a quelques instants, des fonctions exercées réellement par le procureur de la République dans notre système juridique et l'analyse approfondie de la jurisprudence, tant de la Cour de cassation que de la Cour européenne des droits de l'homme, nous incitent à penser que rien ne s'oppose à ce que le contrôle et le premier renouvellement de la garde à vue soient confiés au parquet.

Le problème de l'obligation ou non de la pluralité d'avocats dans les cas de pluralité des mises en cause reste posé ; nos débats devront y répondre.

À ces différents aspects de la réforme de la garde à vue s'ajoutera inéluctablement la question de l'augmentation des moyens. En effet, la mise en oeuvre d'une telle réforme réclamera un réagencement des locaux de la police et de la gendarmerie, qui devront pouvoir accueillir le ou les avocats, de sorte que ceux-ci puissent s'entretenir de manière confidentielle avec leur client. Par ailleurs, le droit systématique à l'assistance d'un avocat devrait faire s'envoler le budget de l'aide juridictionnelle. Enfin, le texte prévoit, avec notre assentiment, le développement de la visioconférence et de l'enregistrement des auditions, ce qui signifie également un certain nombre d'investissements.

Dans un autre registre, la place et le rôle accrus de l'avocat dans la procédure de garde à vue exigeront de la part de ces auxiliaires de justice qu'ils fassent évoluer leurs pratiques et leur organisation. Cette réalité sera d'autant plus prégnante dans les petits barreaux, notamment en zone rurale, certains départements à barreau unique ne comportant pas plus de vingt avocats.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous engageons la discussion n'est pas anodin. Il illustrera la conception que se fait notre démocratie des libertés individuelles, mais devra également assurer à nos concitoyens que la première des libertés, celle de vivre en toute sécurité, leur est garantie par la République. C'est le chemin de crête que nous devons trouver entre ces deux exigences. Et compte tenu des réponses que vous nous avez apportées cet après-midi à l'occasion des questions d'actualité mais également dans votre intervention liminaire, sur le devenir de l'audition libre, le délai de carence et le contrôle de la garde à vue, je ne doute pas que nous parvenions, à l'issue de nos débats, à trouver ce chemin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 25 mars dernier, m'adressant de cette tribune à Michèle Alliot-Marie, je déclarais : « À différer sans cesse la réforme de la garde à vue, la France est, à notre grande honte, de plus en plus souvent condamnée par la Cour de Strasbourg. »

Aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est donc sous la contrainte que vous êtes dans l'obligation de légiférer enfin. Mais hélas, comme l'a excellemment démontré cet après-midi Dominique Raimbourg, vous le faites a minima, avec une réforme décevante. Peut-être les débats parlementaires pourront-ils l'enrichir, mais je veux, pour ma part, évoquer quelques affaires qui jalonnent notre histoire pénale et nous rappellent que la garde à vue est une phase cruciale du procès pénal et qu'elle peut conduire aux pires erreurs judiciaires.

En 1949, Jean Dehays, docker à Pornic, est accusé d'avoir assassiné un vieillard. Il reconnaît les faits lors d'une garde à vue dans les locaux de la gendarmerie, mais se rétracte dès le lendemain. Le 9 décembre, la Cour d'assises de Loire-Atlantique le condamne à vingt ans de travaux forcés. En 1952, trois ans plus tard, une dispute dans un café permet à la police de découvrir les véritables auteurs du crime. Rejugé, Jean Dehays, surnommé « le bagnard innocent », est acquitté. Il aura passé six ans en prison.

C'est ensuite l'affaire Deveaux. En 1961, à Bron, près de Lyon, une petite fille de neuf ans est trouvée morte dans une cave ; elle a été frappée de plusieurs coups de couteau avant d'être égorgée. Le jeune apprenti boucher de ses parents, Jean-Marie Deveaux, est aussitôt soupçonné par la police. Il n'a pas d'alibi, ne sait pas se défendre, il s'embrouille, se contredit, Au bout de plusieurs heures d'interrogatoire en garde à vue il avoue, mais se rétracte quelques jours plus tard, Il est condamné à vingt ans de réclusion. Après trois pourvois en cassation, Jean-Marie Deveaux est acquitté le 27 septembre 1969. Il a passé huit ans en prison.

En 1987, Patrick Dils passe aux aveux au bout de 48 heures de garde à vue pour le meurtre de deux enfants tués à coups de pierre. Il est condamné à a réclusion criminelle à perpétuité. Interrogé sur la raison pour laquelle il a avoué et réitéré ses aveux, Patrick Dils dit qu'il s'est retrouvé « dans un univers qu'il ne connaissait pas, avec des gens qui voulaient à tout prix entendre certaines choses ». Il affirme en outre que ses aveux ont été suggérés par les enquêteurs, qu'il était « tout seul, sans personne pour le conseiller ». Le 24 avril 2002, la justice reconnaît son erreur et annule la condamnation. Patrick Dils a passé 15 ans en prison.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Et Ranucci, l'homme au pull-over rouge ! Lui, il a été exécuté.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Souvenons-nous aussi de l'affaire Roman. En 1988, la petite Céline Jourdan, âgée de sept ans, est retrouvée sans vie à proximité de La Motte-du-Caire, dans les Alpes de Haute Provence ; elle a subi des violences sexuelles. Richard Roman, âgé de vingt-neuf ans, surnommé « l'Indien » en raison de son mode de vie atypique, et Didier Gentil, ouvrier agricole surnommé « le tatoué », sont rapidement suspectés. Richard Roman avoue le meurtre après quatre heures de garde à vue avant de se rétracter devant le juge d'instruction de Digne. Il invoque alors, les « pressions insupportables » des gendarmes qui l'avaient interrogé. Le 22 octobre 1990, le juge d'instruction Yves Bonnet rend une ordonnance de non-lieu en faveur de Richard Roman. Acquitté en 1992, il a passé quatre ans en prison.

En 1997, à Marseille, Patrick Leveneur, âgé de vingt-quatre ans, est accusé de viol par sa belle-soeur, et sa femme est accusée de complicité. Il explique : « J'étais seul face à un policier imposant qui m'a dit : “ Écoute-moi bien, tu avais dix-sept ans au moment des faits et tu étais mineur, tu ne risques rien. Si tu continues à nier, ta femme va accoucher en prison et tes deux enfants vont être placés à la DDASS. ” J'ai alors pensé à eux et j'ai avoué. C'était la première fois que je me retrouvais dans cette situation. Je n'avais jamais eu affaire à la justice et personne ne m'a dit que je pouvais être assisté par un avocat. Je n'en ai d'ailleurs jamais vu pendant ma garde à vue. » Devant le juge d'instruction, Patrick Leveneur se rétracte et revient sur ses aveux. En janvier 1999, il bénéficie d'un non-lieu. il a passé trois ans en prison.

Je pourrais parler aussi de la petite Caroline Dickinson, retrouvée morte étouffée après avoir été violée en 1996 à Pleine-Fougères, en Ille-et-Vilaine. Le premier suspect, Patrice Padé, est un sans-domicile-fixe au casier judiciaire chargé. Au terme de sa garde à vue, il finit par avouer le viol et le crime. Le vrai coupable, Francisco Arce Montes, fut interpellé en Floride en 2000. Patrice Padé décrit lui aussi une garde à vue éprouvante avec privation de ses médicaments, sevrage brutal d'alcool alors qu'il est alcoolique, pressions très fortes des enquêteurs.

Je pourrais parler encore de ces lycéens de Mâcon, accusés, en 2003, d'avoir racketté puis violé une femme de service qui travaillait dans leur établissement. Lors d'un interrogatoire de police, l'un d'entre eux finit par avouer. Six ans plus tard, il apparaîtra que les faits ont été inventés par la prétendue victime et, en mai 2009, un procès lavera les lycéens de toute accusation.

Cette liste pourrait être beaucoup plus longue, mais le temps me manque. Elle a pour seul but de nous rappeler que ce soir, sans aucun doute, dans des prisons françaises, des innocents vont chercher en vain le sommeil parce qu'ils ont avoué, en garde à vue, un crime qu'ils n'ont pas commis.

L'erreur judiciaire, on le sait maintenant, ne se fabrique pas dans le prétoire, ni même dans le cabinet du juge d'instruction. La fabrication de l'erreur judiciaire commence en garde à vue. Quand arrive l'audience, elle est bien souvent déjà programmée.

Je veux dire aux policiers qui s'inquiètent de cette réforme que l'avocat n'est pas l'ennemi de l'enquête. Ce n'est pas un intrus, c'est un auxiliaire dé justice dont la mission est seulement de faire respecter les droits que la Constitution et les conventions internationales accordent à tout individu mis en cause dans une procédure pénale.

À ceux qui veulent opposer efficacité de la lutte contre la délinquance et renforcement des droits des personnes, comme je l'ai entendu faire cet après-midi, je veux objecter, comme je l'ai fait le 23 mars dernier, que dans un État de droit la justice n'a rien à gagner à permettre que des justiciables soient condamnés dans des conditions laissant un doute, même minime, sur le respect de leur droit fondamental à bénéficier d'un procès équitable.

Monsieur le ministre, vous avez été nommé place Vendôme il y a quelques semaines à la surprise générale, et peut-être même à la vôtre. Vous avez l'occasion, sans doute unique d'ici à 2012, de marquer votre passage dans ce grand ministère avec une seule réforme. Vous n'aurez pas le temps d'en faire d'autres. Cette seule réforme, cette grande réforme, cette réforme historique, c'est celle qui alignera enfin notre droit sur celui de toutes les démocraties d'Europe, à condition que ce soit une vraie réforme de la garde à vue, une réforme claire, forte, qui instaure l'assistance effective de l'avocat du début à la fin de la garde à vue. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, pour une fois, nous avons à examiner un texte qui va dans le sens de la défense des libertés publiques et ne se réduit pas à accentuer le caractère répressif et policier du pouvoir actuel. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais je ne suis pas certain que le Président de la République, lui, en soit heureux. En effet, c'est contraint et forcé qu'il a accepté le nouvel examen d'un texte qui ne satisfaisait ni le Conseil Constitutionnel, ni la magistrature française, ni les instances européennes. C'est parce que le Gouvernement a été désavoué par ces instances que nous sommes aujourd'hui obligés de faire amende honorable, de manière un peu humiliante, et de remettre sur le métier une question qui n'aurait pas dû faire l'objet de tant de discussions.

Ces instances, françaises et européennes, vous ont donné jusqu'au 1er juillet 2011 pour remédier à cet état de non-droit. Vous courez donc, monsieur le garde des sceaux, après la jurisprudence européenne qui, à plusieurs reprises, a jugé votre politique policière et judiciaire pour ce qu'elle est : une entrave pour les libertés et une insulte à l'indépendance de la justice. Vous vous exécutez donc bien tard, à reculons. Mais au lieu d'en profiter pour introduire dans la loi de nouvelles avancées et faire de la France un exemple en matière de garde à vue, il apparaît – pardonnez-moi cette expression familière – que vous jouez « petit bras ». Vous renâclez tant que, pour une fois, les députés de la majorité siégeant à la commission des lois ont, ensemble, permis quelques avancées avant l'examen de ce texte en séance publique. Même l'ancien garde des Sceaux, Dominique Perben, indiquait dans Le Monde du 3 décembre que le projet de loi n'était pas acceptable en l'état et que la commission des lois se devait de le réécrire très profondément, ce qui s'est produit. Pour une fois, nous avons travaillé ensemble à améliorer un texte de façon significative : nous avons fait, tout simplement, notre travail de parlementaires.

Dans le paysage pénal européen, le régime français de la garde à vue est caractéristique de la triste exception judiciaire et policière que constitue notre pays. Comme le disait Jean-Louis Nadal, procureur général auprès de la Cour de cassation : « Afficher pour la justice une telle forme de mépris blesse la République. » J'ajouterai que cela nous isole un peu plus en Europe.

Voilà des années que l'on sait que la garde à vue à la française est inconstitutionnelle et que rien n'est fait. Les juridictions sont aujourd'hui dans une position très inconfortable. Nous savons tous, dans cette assemblée où siègent nombre d'avocats et de juristes, qu'il est nécessaire d'adapter notre appareil législatif aux normes européennes et ce, pour des raisons de fond, tant historiques et structurelles que conjoncturelles.

C'est sur les enjeux judiciaires et politiques de ce débat que je voudrais vous interpeller, monsieur le ministre. Je le ferai sur quelques points qui me semblent essentiels et qui ont abouti à l'accablante situation que nous connaissons aujourd'hui en matière de garde à vue : la culture de l'aveu et la politique du chiffre ; le rôle du procureur et du parquet ; le rôle de l'avocat et les raisons de l'explosion de la garde à vue.

La pratique consistant à placer en garde à vue, essentiellement organisée dans le but d'interroger sous contrainte, est structurellement liée à la culture de l'aveu, pratique critiquable, inefficace et inutile. La réforme, y compris dans sa version actuelle, exclut de son champ d'application les infractions les plus graves, celles pour lesquelles l'assistance d'un avocat serait la plus utile eu égard notamment aux seuils des peines encourues et à la complexité des procédures. En consacrant l'absence de défense pendant la garde à vue pour les infractions les plus graves, elle vide de sa substance le principe qu'elle pose. En effet, les dispositions du texte relatives au droit à l'assistance d'un avocat ne sont pas applicables aux personnes gardées à vue pour les infractions visées à l'article 706-73 du code de procédure pénale. N'ont ainsi pas droit à l'assistance d'un avocat les personnes gardées à vue pour les infractions de trafic de stupéfiants, de crimes et délits en bande organisée, de proxénétisme, de terrorisme. Or les personnes suspectées d'avoir commis ces infractions sont celles qui risquent les peines les plus graves et qui ont sans nul doute le besoin le plus grand d'être assistées par un avocat.

Pourquoi la France n'applique-t-elle pas aux crimes les plus odieux ce qui apparaît pourtant naturel dans de nombreuses démocraties ? Parce qu'en France la culture de l'aveu l'emporte toujours sur la culture de la preuve. Tant dans la justice que dans la presse, les Anglo-Saxons ont une culture qui repose sur les faits, rien que sur les faits. Les pays latins, eux, sont marqués dans leur mémoire collective et dans leur pratique par l'Inquisition, qui extorquait aux accusés des aveux par la torture. Comme le dit l'avocat Jean-Yves Le Borgne, la garde à vue est un résidu de barbarie. La procédure inquisitoire repose tout entière sur le culte de l'aveu. Cette logique mortifère a marqué l'imaginaire de notre droit pénal.

La garde à vue n'est donc pas seulement une pratique humiliante, traumatisante, vexatoire, qui vise à briser l'individu, seul face au système ; elle est la pierre angulaire de notre système judiciaire. Remettre en cause son fondement inquisitorial, permettre une procédure contradictoire garantirait les libertés fondamentales. Tel est l'enjeu, pour le système judiciaire, de la remise en cause de cette procédure qui s'apparente plus à une « battue » pour reprendre encore les termes de Jean-Yves Le Borgne, à la traque d'un animal, qu'au respect de l'État de droit. Introduire le droit dans notre système de garde à vue, c'est laïciser ce système, en vue d'une justice efficace qui n'humilie pas celui qui n'est encore que témoin et qui recherche les preuves réelles. De deux choses l'une : soit les aveux sont obtenus sans être corroborés par des preuves et ils sont alors extrêmement fragiles, comme vient de le montrer brillamment André Vallini ; soit il existe des preuves solides et, dans ce cas, les aveux devant un policier sont parfaitement inutiles ; l'exposé des charges et des preuves dans un procès-verbal doit suffire à convaincre le juge, lequel, de toute manière, devra procéder à nouveau à l'interrogatoire.

Notre droit est donc aujourd'hui à la croisée des chemins : soit nous estimons comme législateurs que nous devons, comme c'est le cas dans le système actuel d'interrogatoire, contribuer à forger une vérité policière qui va peser sur la phase judiciaire ; soit, pendant l'interrogatoire, celui qui n'est pas encore mis en examen peut être assisté et disposer de l'ensemble de ses droits face au système, et on s'en remet alors à la seule vérité judiciaire. Ce qui est en jeu, c'est un vrai pas vers l'État de droit, avec l'institution d'un véritable habeas corpus à la française.

Une raison de l'explosion de la garde à vue est conjoncturelle. Elle tient à la folle politique du chiffre érigée en modèle sécuritaire par ce gouvernement. Pourquoi, en effet, s'en tient-il à cette conception minimaliste de la réforme ? Tout simplement parce que depuis 2002, date de son arrivée au ministère de l'intérieur, Nicolas Sarkozy pratique la politique du chiffre. Depuis 1982, la garde à vue s'est banalisée, avec plus de 80 % d'augmentation. Nous sommes passés de 336 718 gardes à vue en 2002, hors circulation routière, à 523 069 en 2010.

J'indique les chiffres hors circulation routière, car pour une part ces délits liés à l'état d'ivresse, au non-respect des règles de conduite, lorsqu'ils ne donnent pas lieu à des accidents, ne devraient même pas être enregistrés comme des gardes à vue, pour la raison bien simple que la garde à vue n'est pas une sanction. Un individu en état d'ébriété peut dégriser à domicile avant d'être convoqué au commissariat de police ou à la gendarmerie. Faire subir des gardes à vue humiliantes, avec fouille au corps, à ceux qui ont bu un verre de trop, cela encombre les commissariats et ne respecte en rien l'État de droit.

Chaque année, 800 000 personnes sont placées en garde à vue : ce chiffre devient un indicateur de performance du travail policier ; une sorte de PIB de l'offre policière !

Mais le productivisme policier a deux revers. Le premier réside dans le temps passé par les officiers de police judiciaire à accomplir les nombreuses formalités qu'impose le placement en garde à vue puis à interroger les personnes concernées. Ce temps empiète sur celui qui devrait être consacré à la recherche et à la présentation des preuves et des charges.

Le second inconvénient tient à l'inflation des placements en garde à vue, qui ont pris une ampleur considérable au cours des dernières années. Au lieu de procéder à une simple audition de personnes auteurs de faits qui ne justifient ni qu'elles soient placées sous contrainte ni qu'elles soient conduites devant un magistrat, le placement en garde à vue est devenu la règle à l'égard de toute personne entendue à propos d'une infraction dont elle est susceptible d'avoir été l'auteur. Cette inflation a pour effet, entre autres conséquences, la dégradation des conditions matérielles de la garde à vue.

Les gardes à vue se pratiquent dans des locaux qui sont, le plus souvent, peu conformes aux exigences du respect de la dignité des personnes gardées contre leur gré alors qu'elles sont présumées innocentes. Il existe en France 4 000 lieux de garde à vue dont l'immense majorité sont indignes. J'engage chaque député à aller dans son commissariat de quartier pour faire l'expérience de ce que connaissent de nombreux citoyens qui n'auraient jamais dû se retrouver dans ces lieux lorsqu'il sont, pour la première fois de leur vie, gardés à vue.

J'en viens au rôle des institutions judiciaires, et notamment du procureur et du parquet. Ce matin encore, dans Le Figaro, notre collègue Jean-Paul Garraud, député UMP, tentait de remettre en cause la place du juge. Monsieur le ministre, vous avez été tenté de faire appel de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, dans l'arrêt dit « Moulin », pour avoir retenu cinq jours durant, sans qu'elle soit entendue, l'avocate France Moulin.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux

Je n'ai pas du tout été tenté de faire appel !

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Vous savez bien que notre pays a été condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne de droits de l'homme pour des gardes à vue abusives. Plusieurs de mes collègues ont eu l'occasion de vous le rappeler, notamment Dominique Raimbourg qui l'a fait de façon très précise.

L'arrêt Moulin précise qu'en France les membres du ministère public ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de magistrat. En effet, tous les parquetiers dépendent d'un supérieur hiérarchique commun, le garde des sceaux, qui est membre du Gouvernement et qui appartient donc au pouvoir exécutif. Contrairement aux juges du siège, les parquetiers ne sont pas inamovibles, rappelait l'arrêt de la CEDH. En conséquence, si le procureur n'est pas un magistrat indépendant, il ne peut pas priver un justiciable de sa liberté.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

La commission des lois l'a d'ailleurs nettement souligné puisqu'elle a imposé, contre l'avis du Gouvernement, que la garde à vue soit placée sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et non, comme le prévoyait le texte de Mme Alliot-Marie, sous celui des procureurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Précisément, nous ne pouvons que regretter que la commission, réunie aujourd'hui en vertu de l'article 88 du règlement, ait accepté un amendement revenant sur sa précédente décision, et qu'elle veuille finalement maintenir le statu quo en laissant la décision au procureur plutôt qu'au juge des libertés et de la détention.

Il reste que la commission des lois a rejeté d'autres mesures de votre projet de réforme que les juristes considéraient, à juste titre, comme fantaisistes. Je pense à l'audition dite libre – au moins, sur ce sujet, vous nous avez entendus. En fait, il ne s'agissait de rien d'autre que d'une simili garde à vue, sans avocat et avec le consentement du suspect.

L'autre grand acteur de l'institution judiciaire, l'avocat, voit son rôle réévalué par la commission des lois, et c'est une bonne chose. Contrairement aux législations de nombreux pays européens qui offrent des garanties étendues dans le domaine des droits de la défense, les avocats disposent aujourd'hui, en France, de droits relativement restreints. En effet, ils sont le plus souvent cantonnés à une série d'interventions courtes qui pourraient presque être tenues comme étrangères à l'idée même de défense pénale du client. Actuellement l'avocat peut, certes, rencontrer son client – dans certains cas seulement à la quarante-huitième ou à la soixante-douzième heure – dans des conditions qui garantissent la confidentialité, mais au-delà de cet entretien sommaire, il est persona non grata. Ainsi, il ne peut ni assister aux interrogatoires ni accéder au dossier pénal. Il est simplement informé, verbalement, des faits qui justifient la mesure de garde à vue, et il ne peut intervenir dans le cours de la procédure qu'en formulant des observations écrites versées au dossier.

Pourtant, dans de nombreux pays de l'Union, comme en Espagne ou dans les pays anglo-saxons, l'avocat est présent dés la première seconde. Ce simple exemple montre l'archaïsme de notre système, sa conception inversée des rapports entre police et justice. Aujourd'hui, en France, l'avocat est une sorte de « figurant impuissant », statut qui contredit le droit à un procès équitable, invoqué avec justesse par la Cour européenne des droits de l'homme. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, garantissant le droit à un procès équitable, est en effet applicable à la phase antérieure au procès pénal et ne saurait concerner le seul procès pénal à proprement parler. Selon la Cour, « si l'article 6 a pour finalité principale, au pénal, d'assurer un procès équitable devant un “tribunal” compétent pour décider du “bien-fondé de l'accusation”, il n'en résulte pas qu'il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure ». Quelles sont les phases en question ? Le doyen Georges Vedel, alors qu'il était membre du Conseil constitutionnel, avait résumé ce processus en déclarant, en 1981, à l'occasion de l'examen de la loi dite « Sécurité et liberté » : « La garde à vue viole les droits de la défense, car elle permet qu'un suspect soit interrogé sans l'assistance d'un avocat. » Vous conviendrez que le doyen Vedel n'était pas un gauchiste…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux

Cela dépendait des moments ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Il faut reconnaître qu'à l'époque, notre société n'était pas encore mithridatisée : les gens descendaient dans la rue pour protester contre une loi qui, à côté de la loi LOPPSI 2, était une rigolade de garçons de bain.

L'affirmation du doyen Vedel revient incontestablement à considérer que l'interrogatoire conduit par la police contre une personne placée sous contrainte fait basculer de l'enquête policière préalable au procès, à la phase judiciaire. C'est d'ailleurs à partir de cet interrogatoire que s'engage le processus qui met sur les rails une vérité policière qu'il sera très difficile de contester par la suite, et qui deviendra souvent la vérité judiciaire.

Notre collègue André Vallini l'a rappelé avec force : tous les scandales judiciaires de ces dernières années ont la même origine. Ils ont pour point de départ cette vérité policière issue des procès-verbaux d'interrogatoire établis durant la garde à vue. Cette vérité, relayée et amplifiée par la rumeur médiatique, parfois confortée par des prises de position de responsables politiques qui y ont eu accès avant l'autorité judiciaire, est finalement entérinée par la justice. Mais pourquoi l'institution judiciaire éprouve-t-elle donc tant de difficultés à remettre sur la bonne voie un processus mal engagé ? La réponse est simple : au cours du processus judiciaire qui suit la garde à vue, il est difficile de contredire le contenu d'interrogatoires transcrits noir sur blanc sur des procès-verbaux signés non seulement par les policiers mais également par les personnes interrogées.

Que se passe-t-il à l'issue de la garde à vue ? Les procès-verbaux d'interrogatoire sont transmis au procureur de la République, qui a d'autant moins de motifs de mettre en doute leur contenu que, dans la majorité des cas, celui-ci est conforme aux déclarations reçues spontanément ou quasi spontanément. Le juge commence lui aussi par lire les procès-verbaux, et c'est seulement ensuite qu'il entend les personnes concernée. Dès lors, quelles que soient les précautions sémantiques prises par le code de procédure pénale, le mis en examen, s'il a « avoué » devant la police, sera bel et bien un présumé coupable.

Aussi toute nouvelle réforme de la procédure pénale devrait-elle commencer par modifier radicalement l'objet de la garde à vue, en revenant à ce qu'elle était à son origine et à son sens étymologique : il s'agit de garder les personnes interpellées en flagrant délit, ou sur la base de charges résultant d'investigations effectuées en enquête préliminaire, le temps de les conduire devant un juge après en avoir informé leur avocat. C'est ensuite, devant un tribunal, que devrait s'ouvrir la première phase du processus judiciaire, avec l'exposé des charges résultant des procès-verbaux établis par la police, l'interrogatoire par le procureur, puis la contestation ou la reconnaissance de culpabilité par l'auteur présumé, assisté de son avocat.

L'avocat, et nous devrons veiller à ce que le projet de loi soit très clair sur ce point, ne doit donc pas se transformer en faire-valoir passif dont la présence donnera une force importante aux aveux passés lors des interrogatoires et rendra encore plus difficile qu'à l'heure actuelle une contestation ultérieure de ceux-ci.

Avant de conclure mon propos concernant les avocats, je voudrais m'arrêter sur un point essentiel : les garanties financières d'application de la réforme.

Le droit à l'assistance d'un avocat durant la garde à vue doit être assuré de manière efficace et efficiente. Or le projet de loi est silencieux sur les conditions d'intervention de l'avocat et, plus précisément, sur la rémunération de celui-ci. Actuellement, les avocats sont rémunérés à l'acte. La mise en oeuvre de la réforme va entraîner des sujétions nouvelles importantes comme le suivi de la garde à vue et l'assistance dans le cadre des auditions de jour comme de nuit. La précédente garde des sceaux, maintenant connue internationalement pour son souci d'investir dans l'exportation de notre savoir-faire en matière de coopération sécuritaire avec les dictatures, annonçait une dotation spécifique de 80 millions d'euros au titre de l'aide juridictionnelle. Pour les avocats, ce financement est nettement insuffisant. Dans les cas de personnes sans moyens devant recourir à l'aide juridictionnelle, l'avocat commis d'office devra passer de longues heures d'attente, d'entretiens, d'auditions, d'examen du dossier ; tout cela pour une indemnité dérisoire. Ce n'est pas acceptable d'autant, monsieur le ministre, que vous savez très bien que ce sont les conditions d'application d'une loi qui déterminent son efficacité dans la pratique.

Ainsi, sans financement pérenne de cette nouvelle garde à vue, sans financement de la prise en charge du droit de plaidoirie par l'État, cette réforme ne sera qu'un leurre pour satisfaire les instances européennes. Elle risque de se heurter à une insuffisance de moyens et de ressembler, malheureusement, à une nouvelle mascarade. C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le ministre, de nous apporter des réponses et de formuler des engagements lors des débats, car les inquiétudes liées au manque de moyens financiers risquent de se concrétiser rapidement.

Ainsi, en l'état actuel des effectifs des parquets, le contrôle des gardes à vue n'est pas assuré de manière satisfaisante. Les magistrats n'ont pas le temps de se rendre dans les commissariats. Le contrôle s'effectue par téléphone. L'officier de police judiciaire appelle le magistrat de permanence, lequel prend les décisions qui s'imposent au vu des éléments qui lui sont transmis téléphoniquement. Les procès-verbaux ne lui sont pas communiqués. À l'heure des nouvelles technologies de la communication, il faut envisager une transmission obligatoire, par voie électronique, des procès-verbaux, afin de permettre une intervention efficace du procureur de la République dans la procédure. Malheureusement, rien de tel n'est prévu dans votre texte. Quant aux contrôles sur les lieux de la garde à vue, on conviendra qu'ils supposeraient une augmentation des effectifs au sein des parquets. Rien de tel non plus n'est envisagé dans votre projet de loi.

Je conclurai mon propos en insistant à nouveau sur l'importance du débat qui se déroule dans cette enceinte. Le dérèglement du recours à la garde à vue a valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut rappeler que si notre pays a attendu vingt-cinq ans, de 1950 à 1974, pour ratifier la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si nous n'avons accepté les recours individuels qu'en 1981, c'est essentiellement en raison de l'absence de réglementation de la garde à vue avant 1958, puis de la faiblesse de sa réglementation dans le régime initial.

Nous devons donc en finir avec l'insécurité juridique instaurée par la garde à vue inquisitoriale pratiquée depuis des lustres. Nous devons en finir avec les pratiques de non-droit instaurées dans nos commissariats. Nous devons modifier les pratiques dès maintenant et intégrer le droit au silence qui est un droit incontournable.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

En 1981, nous avons osé transgresser, contre la vox populi, et ce quel que soit notre bord politique, les limites du droit pénal hérité de notre histoire en supprimant la peine de mort. À contre-courant du populisme judiciaire ambiant, nous devons de nouveau transgresser aujourd'hui des règles héritées d'un passé révolu en harmonisant notre droit avec celui de nos partenaires de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Cette réforme, nous la souhaitons véritablement consensuelle. Je tirerai, comme l'ensemble des députés Verts, les conclusions qui s'imposeront au moment du vote final.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Oui, nous souhaitons que notre assemblée trouve un consensus profitable à l'État de droit et aux justiciables.

Monsieur le garde des sceaux, c'est l'image de la France et la garantie des libertés fondamentales qui sont en jeu. C'est à cette aune que nous serons jugés par l'histoire. Comme vient de le montrer, avec tant d'élégance, le peuple tunisien, les droits de l'homme ne sont pas accordés ou refusés. On ne quémande pas les droits humains dans la patrie des droits de l'homme : soit ils sont garantis par la loi, soit ils sont bafoués.

Lorsque les débats seront achevés et que le vote aura eu lieu, je souhaite pouvoir dire à mes concitoyens, dans ma circonscription, que j'étais membre de ce Parlement qui a mis fin à des pratiques indignes et illégales, qui a respecté l'indépendance de la magistrature et mis un terme au mépris des droits de la défense, au moins dans un domaine, celui de la garde à vue. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je monte à cette tribune avec le sentiment de devoir contribuer, avec ceux d'entre vous qui partagent le même objectif, à faire de la garde à vue un acte de procédure conforme au droit. Il ne s'agit pas seulement de se conformer à une décision récente du Conseil constitutionnel, il s'agit aussi de mettre la République en règle avec sa conscience, tant il est vrai que le régime juridique actuel de la garde à vue relève du déni de droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Monsieur le ministre, le texte que vous nous présentez est, si j'ose dire, un solde : il est ce qui reste après que le Gouvernement a renoncé à la réforme de la procédure pénale annoncée par le Président de la République. Ce renoncement est tout à fait regrettable, car la procédure pénale française n'est pas satisfaisante, ainsi qu'en témoignent de nombreux scandales, notamment l'affaire d'Outreau, dont on n'a tiré aucune conséquence. Il y a quelques jours, lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, le procureur général, Jean-Louis Nadal, n'a-t-il pas fait part de sa vive inquiétude concernant le ministère public, déclarant que celui-ci était « proche d'un coma dépassé » ? C'est dire combien la situation est préoccupante !

Mais enfin, prenons le texte relatif à la garde à vue que l'on nous soumet.

En 2009 – les chiffres ne sont pas contestés –, on a dénombré 800 000 gardes à vue – un député bien informé estimait même, dans les couloirs de l'Assemblée, qu'on était près de 900 000. Cela signifie que, depuis l'élection du Président de la République et le début de la législature, 2,5 millions de Français ont été mis au trou, et chacun sait de quel trou il s'agit !

Ces chiffres saisissants, glaçants, sont le signe, non pas de l'accroissement des désordres et de l'insécurité – sur ce sujet, il y aurait beaucoup à dire –, mais d'un invraisemblable excès policier, la garde à vue tenant lieu en réalité de sanction immédiate et sans procès. La raison profonde de cet excès réside dans le fait que la police ne fait pas confiance à la justice pour sanctionner les fautes commises. Voilà la réalité : la garde à vue, détournée de son objet, s'est trop souvent transformée en une forme de justice expéditive, commode, qui est au fond celle que pratiquaient les lieutenants de police de l'Ancien régime.

Monsieur le ministre, vous nous proposez de fixer une règle simple : le recours à la garde à vue ne sera possible que dans les cas où une peine d'emprisonnement est encourue. C'est bien, mais, compte tenu du foisonnement des lois prévoyant une sanction pénale, c'est encore insuffisant. Il serait en effet souhaitable que la garde à vue soit réservée aux délits punissables d'au moins un an d'emprisonnement.

Par ailleurs, qui contrôle la garde à vue ? Chacun comprend que celle-ci doive l'être. Hélas ! je crains que personne n'ait encore trouvé la solution satisfaisante sur le plan non seulement du droit, mais aussi de la pratique judiciaire. Néanmoins, il faut espérer – pardonnez-moi, monsieur le ministre - que, sur ce point, l'Assemblée donnera raison à la commission des lois, en refusant que le parquet soit chargé à la fois d'autoriser la prolongation de la garde à vue et d'en contrôler l'usage. Jamais, en effet, une institution judiciaire ne peut à la fois agir et contrôler l'action.

Toutefois, à supposer que le texte de la commission soit adopté, au moins deux autres points doivent retenir notre attention : la banalisation de la fonction d'officier de police judiciaire – le nombre de policiers qui détiennent cette fonction est sans rapport avec la sélection que cette haute fonction, cette charge à responsabilité, requiert – et le recours au juge des libertés et de la détention pour contrôler la garde à vue. Si cette solution est bonne sur le papier, je doute qu'elle ne le soit dans la pratique. On sait en effet que ce juge n'a guère les moyens d'exercer un tel contrôle, qu'il n'a pas accès au dossier et qu'il est souvent débordé, de sorte qu'il sera davantage, je le crains, un juge qui signe qu'un juge qui contrôle. Mais enfin, cette solution est préférable à celle qui était proposée par le Gouvernement dans le texte initial.

J'en viens à la question de la présence de l'avocat pendant la garde à vue. Faut-il rappeler que l'avocat, souvent méprisé par la police, souvent suspecté par les juges, fait pleinement partie de la procédure pénale, dont il est un des rouages essentiels ? Notre excellent collègue Sébastien Huyghe a déclaré tout à l'heure qu'il fallait prévoir des garde-fous s'agissant de la présence des avocats. Quelle idée extravagante ! Les avocats ne sont les ennemis ni de la police ni de la justice : ce sont des auxiliaires de justice, les partenaires du juge et du policier dans la recherche de la vérité. Ce qui rend la justice démocratique, c'est le principe du contradictoire. Or le respect de ce principe dépend d'abord des avocats. C'est pourquoi ils doivent être présents dès le début de la garde à vue et avoir la possibilité de l'être tout au long de celle-ci. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et je ne suis pas tout à fait certain que ce sera le cas à l'issue de notre débat.

Je veux rappeler ici les termes employés par la Cour européenne des droits de l'homme à propos de la garde à vue : « L'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme des interventions qui sont propres aux conseils. À cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables aux accusés, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer. »

Ces exigences concernent, je le rappelle, non pas l'intervention générale de l'avocat, mais son intervention pendant la garde à vue. Nous sommes évidemment à des années-lumière d'une telle situation. Or, si le texte qui nous est soumis va dans le sens souhaité par la CEDH, ce dont je me félicite, il maintient beaucoup trop de précautions qui font écho à la traditionnelle méfiance envers les avocats que j'évoquais à l'instant. En tout cas, je ne voterai certainement pas les dispositions qui permettent de retarder l'intervention de l'avocat à la douzième heure. Cette ultime manoeuvre gouvernementale, voire cette ultime concession parlementaire, n'a rien à voir avec le nécessaire bon fonctionnement de la justice ; elle a uniquement pour objectif de tenter d'écarter l'avocat de la procédure de la garde à vue.

En conclusion, on voit bien que la justice pénale est en pleine évolution. Notre tradition, notre histoire, c'est la culture de l'aveu. Pour l'obtenir, il faut faire « craquer » le suspect. Les propos de notre collègue André Vallini ont parfaitement illustré les risques inhérents à cet exercice. Celui-ci est parfois pratiqué avec talent, et il donne des résultats, mais il est aussi parfois cruel, injuste et aboutit à des contrevérités.

L'avenir, c'est la culture de la preuve. À cet égard, la police et la gendarmerie ont fait, reconnaissons-le, des progrès considérables – je pense notamment à la police scientifique –, mais ceux qui restent à accomplir dans la pratique sont au moins aussi importants, car il faut offrir à tous les gardés à vue les moyens de prouver et de rechercher les preuves, ceux dont disposent la police et la gendarmerie. La loi qu'il nous faut voter doit accélérer cette évolution.

En abandonnant l'improbable, que dis-je, l'abominable audition libre, vous avez fait un geste, monsieur le ministre, qui nous est allé droit au coeur. Certes, il était inévitable, mais il faut en saluer la vertu : mieux vaut renoncer avant volontairement qu'après sous la contrainte. Quelques pas restent encore à faire. Je ne doute pas que le Gouvernement et le Parlement se retrouveront sur une vision partagée et moderne de la garde à vue. Tel est, en tout cas, le voeu que je forme. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Perben

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes, ce soir, une fois de plus, face à la nécessité de concilier des exigences en partie contradictoires, en tout cas perçues comme telles par un certain nombre d'acteurs de la justice.

Quelles sont ces contradictions ?

D'une part, les droits de la défense doivent être respectés. À cet égard, la possibilité pour le suspect d'être accompagné d'un avocat dès le début de la garde à vue est actée. En posant ce principe dans la loi, nous allons tourner une page de l'histoire de la procédure pénale de notre pays. C'est un point très important, et je souhaiterais qu'il fasse l'objet d'un consensus au sein de cette assemblée.

D'autre part, il faut tenir compte des nécessités de l'enquête et des difficultés de la tâche des services chargés de la mener, en particulier dans un contexte où la criminalité évolue, où elle est sans doute plus complexe, mieux organisée, souvent de dimension internationale. Nous devons donc éviter que le déroulement de la garde à vue puisse gêner ou empêcher le travail de l'enquêteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Perben

Par ailleurs, la question des victimes, évoquée en commission, doit, me semble-t-il, être prise en compte, mais sans oublier que nous discutons de la phase de la garde à vue. Il nous faudra donc trouver des dispositifs pratiques, opérationnels, qui permettent d'avancer à un rythme satisfaisant.

Au-delà de la nécessité de concilier ces éléments apparemment contradictoires, je souhaiterais évoquer la signification politique de cette réforme. Certes, nos débats sont techniques : nous devons produire un texte juridiquement sans défaut. Mais il me paraît très important qu'ils permettent également d'expliquer à nos concitoyens ce que nous faisons, car cette loi doit être comprise et acceptée par le corps social.

Ainsi – André Vallini l'a rappelé en citant nombre d'exemples – il nous faut dire, en toute honnêteté, que l'évolution que nous allons inscrire dans la loi fera progresser l'équité et permettra de mieux lutter contre les erreurs judiciaires. Nous le savons, chacune de ces erreurs, lorsqu'elle est portée à la connaissance de nos concitoyens, suscite une émotion considérable dans l'opinion publique. Il est donc très important d'expliquer la portée politique de ce débat a priori technique.

Il convient ensuite de dire à nos concitoyens que nous proposons de renforcer le rôle de l'avocat dans tout le processus judiciaire, et donc dès le début de ce processus, au stade de l'enquête de police ou de gendarmerie. Cela introduit un acteur supplémentaire, avec toutes les conséquences politiques que cela induit.

Je veux aussi m'adresser du haut de cette tribune aux policiers et aux gendarmes. Je comprends tout à fait que pour nombre d'entre eux, il s'agit d'un changement culturel et professionnel considérable. Une chose est d'interroger un suspect en étant seul face à lui, une autre est de faire ce travail en présence d'un avocat. Il peut y avoir une certaine crainte, non pas d'infériorité, mais de difficulté dans le dialogue. Il faut dire aux policiers et aux gendarmes que le projet que nous discutons va sécuriser le travail qu'ils vont réaliser.

Je n'accepte pas la relation factice établie entre l'introduction de l'avocat dans la garde à vue et l'affaiblissement de la capacité de travail du policier ou du gendarme. Bien au contraire, nous savons que de plus en plus de procès-verbaux de garde à vue sont remis en cause ultérieurement au cours de la procédure. La présence de l'avocat donnera de la sécurité à l'ensemble du travail réalisé par les enquêteurs, et cela me paraît essentiel.

La signification politique de ce texte, monsieur le ministre, ce sont aussi ses conséquences en matière d'organisation. Pour les policiers et les gendarmes, cela implique sans doute une formation des enquêteurs, pour les préparer à un exercice différent de leur fonction. Ce point me paraît très important, mais je n'ai rien entendu à ce sujet. Peut-être le ministre de l'intérieur aura-t-il l'occasion de nous le dire, mais je pense qu'il faut préparer ce changement d'ici au 1er juillet, c'est-à-dire presque demain. Il y a un vrai travail de formation à effectuer. Il faut dire à l'opinion publique que cette réforme doit être préparée pour réussir.

Les changements en matière d'organisation concernent aussi les parquets et les tribunaux. De ce point de vue, la question financière est évidemment posée. Cette réforme sera coûteuse, il faut avoir l'honnêteté de le dire à nos concitoyens. Par rapport au budget de la justice, que nous connaissons l'un et l'autre, cela représentera beaucoup d'argent, et sans doute également un renforcement des effectifs de magistrats.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Perben

Pour les parquets comme pour les juges, il serait nécessaire de renforcer les effectifs. Si l'on veut que la réforme, dans ses aspects pratiques, fonctionne bien, il faudra que des femmes et des hommes en nombre suffisant puissent la mettre en oeuvre, et cela ne pourra sans doute pas se faire à effectifs constants.

Il est dommage, mais c'est la règle de notre fonctionnement démocratique, que nous travaillions sur un texte qui définit les procédures sans parler des finances. C'est dommage, car une réforme sans financement peut ne pas être une bonne réforme. Je ne dis pas cela pour vous gêner, monsieur le ministre, mais au contraire pour essayer de vous aider. Je souhaite que le Premier ministre et le Président de la République entendent cette nécessité pour que, dès la loi de finances de l'année prochaine, et peut-être même au cours de l'année 2011, vous puissiez bénéficier de moyens supplémentaires pour mettre en oeuvre cette réforme.

Je voudrais maintenant évoquer notre méthode de travail parlementaire. La réforme constitutionnelle a permis un grand pas en avant en renforçant le travail de la commission et en posant le principe que c'est le texte voté par elle qui est débattu en séance. Sans esprit polémique, il me semble que nous n'en avons pas tiré toutes les conséquences. Il y a eu le texte du Gouvernement, un travail de la commission qui l'a sensiblement modifié, puis un débat entre le Gouvernement et sa majorité sur ce texte. Il aurait peut-être été utile que le débat entre le Gouvernement et sa majorité se déroule avant le passage en commission, et non après. Je n'adresse pas ce message au seul ministre de la justice, mais à l'ensemble du Gouvernement. Il faut que nous ayons une meilleure capacité d'anticiper, et chacun pourrait ainsi travailler dans de meilleures conditions.

Pour en revenir au texte, je souhaite évoquer quatre points.

Le premier concerne l'audition libre. J'ai toujours été très étonné par cette idée figurant dans le texte initial du Gouvernement. Je n'ai d'ailleurs pas réussi à savoir qui en était l'auteur. Il existe une forme de discrétion sur la paternité de ces quelques articles. (Sourires) N'en parlons plus, merci à M. le rapporteur d'avoir permis de supprimer ces dispositions.

Le deuxième point concerne le délai de carence. Nous avons prévu un délai de deux heures pour tenir compte de la situation concrète des barreaux et donner à l'avocat le temps de venir après avoir été contacté. Ici encore, l'idée est de sécuriser le processus, et non de gêner ou de favoriser les uns ou les autres. Il s'agit de faire en sorte qu'il n'y ait pas de contestation ultérieure du processus de la garde à vue.

Mon troisième point a trait aux longs débats – qui vont continuer dans les heures à venir, j'en suis convaincu –concernant le rôle respectif du procureur de la République et du juge. La spécificité française a beaucoup été critiquée à cette tribune, mais le parquet à la française est également un avantage. Il ne s'agit pas spécifiquement de la garde à vue, mais du fonctionnement général de la justice. Attention à ce que nous allons décider à ce sujet, dans ce texte et dans les années à venir. Veillons à préserver ce qui est de qualité pour n'abandonner que ce qui doit l'être.

Je veux rendre hommage à la qualité du travail accompli par les procureurs de la République et à la manière dont, avec les services de police et de gendarmerie, ils assument leurs responsabilités. Je conseille à mes collègues qui n'ont pas eu l'occasion de le faire de visiter un important tribunal de grande instance et d'y observer la permanence du parquet, le jour et la nuit, et le travail effectué par les magistrats de ces unités. C'est une tâche extraordinairement difficile, remplie de pièges qui peuvent ensuite avoir des conséquences redoutables dans les procédures, et qui est effectuée avec un dévouement remarquable et sans compter les heures. Il n'est pas inutile de le rappeler.

Dans ce texte sur la garde à vue, il nous faut, dans le respect des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation, trouver un dispositif qui définisse le plus précisément possible le rôle du procureur de la République et celui du juge. Je ne m'engagerai pas dans un débat théorique à ce sujet. Essayons d'être pratiques : nous devons mettre en place un dispositif juridique qui fonctionne. Dans le respect de la jurisprudence de Strasbourg, nous devons confier les responsabilités au procureur de la République au début du processus, et il faut que le juge puisse intervenir le plus rapidement possible.

Quatrième et dernier point : les questions de criminalité organisée et de terrorisme. J'ai bien compris que la jurisprudence de la CEDH, reprise par la Cour de cassation, imposait la disparition du principe de catégorie spécifique. Nous l'avions inscrit dans le texte de 2004, et cela avait été explicitement validé par le Conseil constitutionnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Perben

Bien sûr, il faut se conformer à la jurisprudence et donc prévoir des possibilités d'exception au cas par cas, en fonction du dossier spécifique.

Pour avoir eu à gérer nombre de dossiers entre 2002 et 2005, en particulier de lutte antiterroriste, et ayant pu comparer la façon de les traiter en France et dans d'autres pays démocratiques, je pense que nous devons veiller, lorsqu'il s'agit de défendre la nation ou la population contre des menaces extérieures, à toujours pouvoir le faire dans le respect de règles de droit. Car si la règle de droit ne permet plus à un Gouvernement d'assurer la défense de ses citoyens, ce Gouvernement les défendra avec d'autres moyens. C'est malheureusement ce qui s'est produit aux États-Unis. Soyons donc attentifs à ce risque. Mettons en place un dispositif en tous points conforme à la jurisprudence de la CEDH, mais veillons à ce qu'il y ait, dans un certain nombre de cas et pour faire face à certaines menaces, des dispositifs permettant de rester dans le cadre judiciaire et de ne pas avoir à en sortir pour faire appel à des moyens d'une autre nature : pour être clair, des moyens strictement militaires.

Voilà les quelques réflexions que je souhaitais vous faire partager. Je veux pour conclure m'adresser à mes collègues qui siègent à la gauche de cet hémicycle. J'ai entendu André Vallini, et je souhaite lui dire : « Faisons cette réforme ensemble. » Nous avons commencé à la faire ensemble en commission, finissons-la ensemble. Cela me paraît tout à fait possible. Dans le souci d'expliquer les choses et de les faire comprendre à nos concitoyens, je pense que ce serait un signal considérable que cette réforme puisse être faite non seulement par la majorité mais par l'ensemble de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Sandrine Mazetier

Comme toujours, il y a le texte et le contexte, mais peut-être plus encore ce soir.

Le contexte est d'abord celui de l'évolution nécessaire de la procédure pénale et des acteurs de la « chaîne pénale »– bien que cette expression déplaise prodigieusement à Jean-Jacques Urvoas – qui est au coeur de la décision du Conseil constitutionnel de juillet dernier. Cette évolution aurait dû amener à une réforme d'ensemble de la procédure pénale. Souvent annoncée, toujours retardée, nous avons compris récemment que cette réforme avait été reportée sine die, comme le rappelait Dominique Raimbourg, qui a participé à toutes les réflexions avec beaucoup d'assiduité, en y contribuant par de nombreuses propositions. Comme nous, il est navré que l'on prenne les choses à l'envers et que l'on ne réforme pas d'abord la procédure pénale avant de se pencher sur la garde à vue. Peut-être, monsieur Perben, aurions-nous alors été d'accord pour réformer ensemble la procédure pénale, sachant que la question de l'indépendance du parquet est déterminante.

Il y a le texte et le contexte, et sans relever l'ensemble des alertes émises à l'égard de la France, rappelons l'arrêt Medvedyev de la Cour européenne des droits de l'homme du 10 juillet 2008, qui rappelait que le parquet français ne saurait être considéré comme une autorité judiciaire au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, « car il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». Ce premier arrêt a été suivi d'un deuxième arrêt Medvedyev, du 29 mars 2010. L'arrêt Dayanan du 13 octobre 2009 de cette même CEDH rappelle le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, et confirme que ce droit figure parmi les éléments fondamentaux du droit à un procès équitable.

De nombreux orateurs avant moi ont évoqué la décision du Conseil constitutionnel, qui se fonde également sur les garanties d'un procès équitable. Je citerai enfin les arrêts de la Cour de cassation qui confirment que le régime actuel de la garde à vue n'est pas conforme à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et ne garantit ni un procès équitable ni les droits de la défense.

En outre, ni le rapporteur ni le ministre n'ont évoqué en commission la directive européenne,…

Debut de section - PermalienPhoto de Sandrine Mazetier

…qui sera prête à la fin du présent semestre. Sa précision sera telle qu'elle pourrait être appliquée immédiatement. Pourtant, nous n'avons pas travaillé dans cette perspective.

Vous présentez aussi ce texte, monsieur le ministre, dans un contexte de défiance organisée entre la justice et la police. Défiance insupportable, inutile et j'allais dire mortifère pour tous, pour l'intérêt général, pour les parties, pour les victimes et pour les agents des deux ministères concernés. Vous avez eu le courage d'intervenir récemment dans ce débat oiseux – et vous avez en cela pleinement assumé votre rôle –en répondant comme il le fallait aux commentaires du ministre de l'intérieur sur des décisions de justice.

Nous avons insuffisamment travaillé sur le rapport du Sénat concernant les législations comparées de la garde à vue en Europe. Une majorité de pays assurent la présence d'un avocat dès les premières minutes de la privation de liberté ou de la garde à vue. Cela fonctionne très bien ; leur taux d'élucidation ne s'est pas effondré. Ils traduisent quand même devant la justice de grands voyous et de grands criminels. Pourquoi ne serait-ce pas possible en France ? Ce rapport a examiné les régimes appliqués en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Pays de Galle, en Italie, en Espagne – et j'en oublie –, pays dont les législations sont diverses. Parfois, la présence de l'avocat est différée en fonction de la peine encourue par le gardé à vue ; dans d'autres cas, elle n'est pas conditionnée par le quantum de la peine.

Tels sont les divers éléments du contexte dont nous aurions dû tenir compte pour rendre nos travaux plus fructueux et pour enrichir le texte présenté à la commission des lois et le rendre plus exhaustif.

Restent les considérations financières. Nous sommes au mois de janvier, le budget a été voté au mois de décembre. Je ne reprendrai pas les propos de M. Perben ou de M. Urvoas, mais la politique du chiffre, les objectifs de performance fixés à la police, ce sont, l'an dernier, 830 000 personnes gardées à vue, soit 1 % de la population française privée, à un certain moment, de liberté. C'est considérable.

Cela représente d'abord un coût financier, parce que l'on ne garde pas gratuitement en garde à vue 830 000 personnes ; ensuite, un coût social et sociétal incroyable, difficile à mesurer et à quantifier, mais plus difficile encore à réparer, car il s'agit de la confiance que les Français placent dans la justice et la police de leur pays, quand on les prive de liberté, de façon anecdotique ou à tout bout de champ, quand on les enferme. Toute personne qui a connu une garde à vue en sort traumatisée.

Depuis 2001, le nombre de gardes à vue – beaucoup d'orateurs l'ont rappelé – a augmenté de 72 %. C'est le cas pour un peu plus de 13 % des infractions, celles concernant la législation sur les étrangers, précisément à cause de la politique du chiffre, parce que leur taux d'élucidation est de 100 %. L'infraction est constatée et l'affaire est immédiatement élucidée. Mais cela n'explique pas tout. Les infractions à la législation sur les stupéfiants représentent elles aussi un peu plus de 13 % des gardes à vue. On retrouve également un pourcentage de 13 % pour les infractions pour coups et blessures. Reste enfin tout ce que nous avons évoqué depuis le début de notre discussion ; nous n'avons pas été très précis sur l'explosion des gardes à vue pour outrages à agents, et je ne parle pas des infractions au code de la route !

Tout cela a, d'abord et avant tout, un coût financier. Or, nous avons pu constater en décembre la reconduction d'un budget misérable pour la justice.

Monsieur le ministre, vous avez expliqué en commission qu'il n'était pas possible de confier des responsabilités nouvelles aux juges des libertés et de la détention, parce qu'il n'y en a que 500 en France. Mais il n'y a guère que 2 000 procureurs. Ce chiffre est notoirement insuffisant pour permettre aux procureurs d'assumer le rôle que vous souhaitez leur voir tenir dans la réforme de la garde à vue. J'ai rappelé ces chiffres car il se peut que nous n'en mesurions pas suffisamment la gravité.

La France se situe pour l'efficacité de la justice à la trente-septième place sur les quarante-trois pays examinés par la Commission européenne. Il y a, chez nous, trois procureurs pour 100 000 habitants contre dix dans la moyenne des pays membres du Conseil de l'Europe. Nous voyons ainsi la distance qu'il nous reste à parcourir. M. Perben était tout à l'heure très modeste, il essayait de vous aider. Nous sommes, pour notre part, plus sévères quant aux moyens considérables dont vous auriez besoin, sans compter ceux générés par ce texte, et je ne parle même pas de la réforme d'ensemble de la procédure pénale. Le texte sur la garde à vue mériterait à lui seul un projet de loi de finances rectificative.

Le budget de la justice représente pour nous un indicateur de civilisation. Je n'évoquerai pas – cela a été fait précédemment – les investissements nécessaires pour les locaux destinés à l'accueil des personnes concernées par la privation de liberté, pour les commissariats, pour la formation des officiers et des assistants de police judiciaire rendue nécessaire par ce texte. Mme Batho a rappelé qu'il existait des moyens de rendre moins lourdes et tout aussi efficaces les missions des OPJ. Je regrette que la commission n'ait pas accepté son amendement. Enfin, je n'évoquerai pas les crédits nécessaires, compte tenu de ce texte, pour l'aide juridictionnelle ou le fonctionnement des barreaux.

Lors de l'examen du budget de la justice, rien de tout cela n'a été évoqué, alors que ce projet de loi était déjà déposé à l'Assemblée.

Enfin, des différents exemples cités, je retiendrai l'extraordinaire banalisation de la privation de liberté.

Il est temps, dans ce contexte, mes chers collègues, d'être fiers des valeurs fondatrices de la République – M. Hervé de Charette le rappelait tout à l'heure –, mais aussi de l'Europe, et de ne pas donner l'impression d'encourir en permanence les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, de subir, comme si nous n'avions pas participé à l'élaboration des textes fondateurs, les condamnations pour non-respect de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Nous nous situons dans un contexte de bataille planétaire entre la civilisation et la barbarie. Je sais que cela intéresse peu certains de nos collègues de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Sandrine Mazetier

Mais je suis sûr que mes propos rencontreront un écho dans cet hémicycle, au-delà même des membres de mon groupe.

Beaucoup d'entre nous évoquent, parfois à bon escient, parfois improprement, cette guerre entre la barbarie et la civilisation. Nous la menons au travers des moyens que nous donnons à la justice mais aussi de la considération que nous portons à chaque individu et aux droits élémentaires et fondamentaux de la personne. Nous sommes les soldats de la civilisation. Tel est le contexte. C'est bien là que se situe le décalage avec votre texte et l'étroitesse de ses ambitions.

Une part de cette bataille tient à notre vision des libertés publiques comme des libertés individuelles, aux valeurs que nous portons et que nous avons décidé de défendre tous – citoyens français et citoyens européens partisans des libertés. Voilà ce qui se joue dans la conception de ces lois de procédure. Nous devons être fiers des principes que nous avons nous-mêmes posés, et non les subir, ce qui est malheureusement l'impression que vous donnez ce soir.

Porter haut la dignité de la personne humaine, les droits fondamentaux de la personne constitue une manière de combattre l'alliance objective entre les dictatures, les terrorismes et les populismes. C'est cela aussi le contexte dans lequel nous débattons de ce projet de loi sur la garde à vue.

Le droit à un procès équitable rappelé à plusieurs reprises par toutes les instances que j'ai citées, le principe constitutionnel selon lequel nul ne peut être arbitrairement privé de liberté, les droits des victimes, l'intérêt général de la société font qu'il faut définitivement passer de la culture de l'aveu à la culture de la preuve. En effet, le droit à la manifestation de la vérité, c'est la défense de l'intérêt général de la société comme de l'intérêt des victimes et de leurs familles.

Telles sont les idées que nous portons pour l'Europe et ses valeurs, pour la France et ses missions. Ce sont ces idées que nous avons mises en avant lorsque nous avons sollicité un mandat de nos électeurs, et, chaque fois que nous gravissons les marches de la tribune, lorsque nous passons devant la balance gravée sur le bas-relief, nous le faisons pour défendre l'idée folle et indispensable que la France doit retrouver sa voix singulière, ne pas subir mais inspirer l'Europe et dire ce qu'est la civilisation contre la barbarie.

Lors de l'examen du texte article par article, nous aurons l'occasion de reprendre chacun de ces points. Cessez de donner l'impression de penser : « Les arrêts des hautes juridictions, les rappels de principes fondamentaux, peu me chaut ! » Quelque chose de fondamental se joue pour nous tous, aussi bien dans l'hémicycle que pour ceux qui sont présents, aujourd'hui, dans les tribunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Monsieur le garde des sceaux, c'est au pied du mur que vous nous présentez aujourd'hui un projet de loi portant réforme de la garde à vue. Vous y êtes contraint par une convergence inhabituelle et quasi simultanée de décisions de trois juridictions : le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme.

Vous ne pouvez plus ignorer ces décisions ou feindre de croire qu'elles ne s'adressent pas à vous. En effet, dès 1996, et surtout depuis 2008, une série d'arrêts de la Cour européenne préconisent, de façon claire, la présence de l'avocat durant toute la durée de la garde à vue.

Néanmoins, tous ces arrêts ont été interprétés de façon très restrictive par les autorités françaises, justifiant ainsi l'immobilisme gouvernemental : « Les arrêts précités n'ont aucune force obligatoire pour la France, qui n'a jamais été condamnée par la CEDH pour violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison des conditions dans lesquelles les personnes en garde à vue ont accès à un avocat. »

Sans se laisser impressionner par cette interprétation ministérielle, le Conseil constitutionnel a, le 30 juillet dernier, constaté l'inconstitutionnalité de la garde à vue en France et donné au législateur jusqu'au 1er juillet 2011 pour remédier à cette inconstitutionnalité. Depuis le dépôt de ce projet de loi, la France a été condamnée le 14 octobre dernier par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment pour violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui exige que l'avocat puisse assister le gardé à vue lors de toutes ses dépositions. Elle rappelle également l'obligation d'informer le gardé à vue sur son droit à garder le silence.

Enfin, le 19 octobre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu trois arrêts qui font application directe de cette convention. Trois points essentiels ont été dégagés : l'avocat doit pouvoir assister son client notamment pendant les interrogatoires ; les régimes dérogatoires ne doivent pas faire obstacle à la présence de l'avocat ; enfin, il est nécessaire d'informer le gardé à vue de son droit au silence.

Ces décisions témoignent de la nécessité impérieuse de réformer la garde à vue en profondeur.

Je ne rappellerai pas les chiffres qui illustrent l'ampleur du scandale que représente le système français de la garde à vue. Il convient cependant d'insister sur l'augmentation, dans des proportions inédites, du nombre des gardes à vue ces dix dernières années. Désormais considérée comme un indicateur de performance dans la « culture de résultat » et la « politique du chiffre » imposées par Nicolas Sarkozy – alors ministre de l'intérieur – depuis 2002, la garde à vue est devenue un incontournable.

La réforme de la garde à vue que vous nous présentez intervient donc dans un contexte très particulier. Si nous soutenons bien évidemment le principe même d'une réforme du régime de la garde à vue, nous regrettons vivement que le Gouvernement n'ait pas saisi l'occasion d'une réforme d'ampleur.

Nous regrettons notamment que le Gouvernement se refuse toujours à modifier le statut du parquet, pourtant mis en cause par la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans son arrêt du 23 novembre 2010, la Cour de Strasbourg a estimé que le parquet français ne remplissait pas « l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif». Je rappelle simplement que, dans notre droit actuel, le magistrat du parquet est soumis hiérarchiquement au ministre de la justice et qu'il n'apporte pas les garanties d'impartialité nécessaires à une administration sereine de la justice. Je ferme cette parenthèse sans avoir besoin de rappeler quelques exemples récents qui montrent que le procureur, même général, met parfois beaucoup de temps avant de prendre certaines décisions, ce qui implique de recourir à un autre procureur afin que les décisions, qui s'inscrivent dans le sens de la vérité, puissent aboutir.

Pour en revenir au projet de loi que votre gouvernement a déposé, l'on ne peut manquer de souligner que certaines dispositions paraissaient aggraver la situation actuelle et violaient, de manière flagrante, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'agit principalement de la création d'une garde à vue sans droit, appelée audition libre, destinée à devenir le régime de droit commun. Sans limite de temps, elle ne s'accompagnait d'aucun des droits attachés à la garde à vue : assistance d'un avocat, droit de garder le silence, droit de prévenir ses proches ou encore de voir un médecin. Le Gouvernement espérait diminuer le nombre de gardes à vue en tablant sur le fait que les personnes suspectées préféreraient opter pour la liberté sans droits plutôt que de bénéficier des droits sans liberté.

Cette « garde à vue sans droit » permettait de priver une personne de droits avec son consentement. En découvrant cette proposition scandaleuse, on comprenait mieux pourquoi l'ancienne garde des sceaux, lors de la présentation du budget de la justice, avait affirmé qu'il n'était pas nécessaire d'augmenter l'enveloppe de l'aide juridictionnelle. Et pour cause : devenant une mesure subsidiaire, le nombre de garde à vue devait, en effet, chuter !

La commission des lois de notre assemblée a fort heureusement supprimé – et vous l'avez accepté, monsieur le ministre – tout le dispositif de l'audition libre mis en place par l'article 1er du projet de loi, en raison de l'absence de reconnaissance des droits au suspect entendu dans ce cadre. « C'est une histoire qui appartient au passé », nous ont dit certains collègues. Inutile donc d'en parler. Pour ma part, je pense au contraire qu'il faut en parler dans la mesure où cela correspondait à une intention réelle. Que vous y renonciez nous réjouit, mais nous n'oublions pas que l'audition libre avait pour but de contourner les obligations des dispositifs européens.

Pour le reste, le projet de loi est globalement insuffisant. Les avancées pour les libertés individuelles et les droits de la défense restent timides. Ce texte se contente d'accorder le minimum de droits nouveaux imposés par la convention et les différentes jurisprudences, tant européennes que nationales. Nous ne les sous-estimons pas. Parmi eux, la présence de l'avocat pendant toute la durée de la garde à vue est la plus essentielle. Toutefois, le régime proposé par le texte ne garantit pas – contrairement aux souhaits du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation – à la personne gardée à vue, pendant la durée entière de la mesure, le droit à l'assistance effective de l'avocat, lui permettant d'organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, auxquels l'avocat doit pouvoir participer : poser des questions et consulter le dossier au fur et à mesure de sa constitution.

En outre, il faut prendre en compte le coût de l'extension de la présence et du rôle de l'avocat sur le budget de l'aide juridictionnelle, laquelle devra donc être renforcée de manière substantielle, comme du reste les moyens consacrés à la formation des officiers de police judiciaire qui devront s'adapter aux évolutions législatives du texte.

Nous n'ignorons pas non plus l'affirmation du principe du respect de la dignité du gardé à vue, l'information de son droit de garder le silence, le droit de prévenir sa famille et son employeur. Ce sont autant d'avancées significatives. Elles restent néanmoins insuffisantes pour satisfaire tous ceux, et nous en sommes, qui attendaient une vraie réforme de la garde à vue qui réponde aux exigences d'une procédure pénale respectueuse des droits, attachée à assurer la protection des citoyens et les nécessités de la répression des infractions.

La prolongation de la garde à vue reste sous le contrôle du parquet, en violation des règles européennes. Le texte prévoit aussi la possibilité de repousser la présence de l'avocat à la douzième heure sans raisons objectives – le texte se référant à des « circonstances particulières » – tout comme il le fait pour la consultation des pièces du dossier par l'avocat. Le projet de loi maintient la présence différée – à la 48e ou 72e heures – de l'avocat dans des affaires de stupéfiants, de délinquance organisée ou de terrorisme. En outre, aucune assistance par l'avocat n'est envisagée pendant les auditions.

Ces régimes dérogatoires de garde à vue sont en contradiction avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il est tout de même préoccupant que vous fassiez preuve de tant de timidité lorsqu'il s'agit d'envisager la présence de l'avocat – auxiliaire de justice – pendant toute la durée de la garde à vue, alors qu'il est tout le même garant de la présomption d'innocence.

Votre projet de loi n'a pas prévu non plus l'enregistrement audiovisuel des auditions des personnes interrogées dans le cadre de la garde à vue ou hors de ce cadre. La généralisation de tels enregistrements constituerait pourtant, de l'avis du comité contre la torture des Nations unies, une garantie contre les risques de mauvais traitement des personnes en cause. À cet égard, il convient de noter que le projet de loi est en recul par rapport à l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale qui généralisait l'enregistrement audiovisuel sous certaines conditions.

Enfin, et c'est pour nous essentiel, votre projet n'offre pas de véritables avancées pour les mineurs. En effet, le texte maintient la possibilité de mettre le mineur en garde à vue alors que le régime de la retenue est largement suffisant. Il ne prévoit pas la présence obligatoire d'un avocat. Et, pour finir, il ne corrige pas de nombreux dysfonctionnements pourtant pointés par la commission nationale de la déontologie et de la sécurité, notamment en ce qui concerne l'information de la famille du mineur et l'examen médical.

Pour notre part, nous considérons qu'une protection renforcée doit être offerte à tous les mineurs. Nous avions fait des propositions en ce sens par voie d'amendements. Elles ont été déclarées irrecevables en raison du coût qu'elles auraient constitué pour l'État. Pourtant, la question des crédits alloués à ces domaines est fondamentale. Comme pour l'aide juridictionnelle, les crédits alloués à la justice des mineurs devraient être renforcés. C'est indispensable pour éviter une justice à deux vitesses et pour protéger les plus vulnérables. Au terme des petites avancées que vous avez, contraints et forcés, finalement apportées au régime de la garde à vue, de multiples raisons freinent encore sensiblement l'enthousiasme qui aurait pu être le nôtre si vous aviez consenti à aller au bout du processus engagé pour permettre l'indispensable égalité des armes entre l'accusation et la défense, condition indispensable du procès équitable, garantie du respect du principe du contradictoire.

L'évolution du dossier, monsieur le ministre, sera déterminante pour notre vote. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il s'agit d'une réforme essentielle, qui vise à limiter le nombre de gardes à vue et à renforcer les droits des suspects. Elle est cependant techniquement complexe car elle doit préserver le délicat – voire impossible – équilibre entre le respect des libertés individuelles et la nécessité absolue de ne pas entraver l'enquête, notamment en flagrance.

En dix ans, le nombre des gardes à vue a été multiplié par trois alors que, d'après le code de procédure pénale, il s'agit d'une mesure exceptionnelle de privation de liberté justifiée par les seules nécessités de l'enquête. L'honnêteté commande de rappeler que cette inflation est, en grande partie, due à la jurisprudence de la Cour de cassation, parce que son régime est plus protecteur. Reconnaissons aussi qu'elle a fait bondir le taux d'élucidation. Dans le Grand Paris, on a assisté à une augmentation de 45 % du nombre des gardes à vue entre 2002 et 2009, ce chiffre correspondant à 51 % d'élucidations des violences aux personnes.

Désormais, en seront exclus tous les faits qui «ne sont pas passibles d'une peine de prison et les infractions routières, ce qui en réduira sensiblement le nombre. »

De même, les droits de la personne gardée à vue seront significativement renforcés par l'assistance d'un avocat lors des auditions, avant lesquelles il ne pourra consulter que les PV d'audition, alors qu'il n'a pas même accès au dossier chez la plupart de nos voisins, et au terme desquelles il pourra poser des questions. Ces avancées changeront complètement la nature de l'entretien du suspect avec son conseil : il ne servira plus à l'informer de ses droits, mais sera consacré à l'organisation de sa défense et à la préparation des interrogatoires, alourdissant le rôle de l'enquêteur, aspect qui n'est pas à négliger.

Ces nouvelles dispositions devront être complétées par l'amélioration des conditions matérielles de la garde à vue, l'enregistrement éventuel des auditions et la visioconférence. Avec l'aide juridictionnelle, cette réforme représentera un coût certain.

Cependant, les récentes décisions jurisprudentielles risquent de rompre un équilibre fragile et de nourrir le sentiment que l'on est en train de plaquer les règles d'un système accusatoire à l'anglo-saxonne, plébiscité par les institutions européennes, sur notre système inquisitoire.

En outre, les délais impartis par le Conseil constitutionnel nous empêchent d'inscrire aujourd'hui cette réforme dans celle, plus globale, de la procédure pénale, alors que tout est lié. Ainsi, la voie empruntée par certains pays, tel le Royaume-Uni, nous démontre qu'un régime très protecteur des libertés individuelles peut être assorti d'une extension maximale de la garde à vue, jusqu'à vingt-huit jours, en cas de terrorisme, certes, mais vingt-huit jours tout de même.

Chez nous, il s'agit d'une phase policière, et non judiciaire. Elle ne figure pas dans le procès. Elle obéit à une exigence de sécurité, en même temps qu'elle permet aux enquêteurs de rechercher la vérité. Ainsi, alors que l'on élucidait moins d'une affaire sur quatre en 2002, on en élucide plus d'une sur trois aujourd'hui. Si nous voulons passer de la culture de l'aveu à celle de la preuve – ce qui est éminemment souhaitable –, il nous faudra recourir de manière bien plus massive à la police scientifique et technique.

Lorsque Arlette Grosskost et moi-même avons coprésidé un groupe de travail UMP sur le sujet, les très nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé nous ont amenés à considérer qu'en contrepartie de l'extension des libertés individuelles qui caractérise ce texte, il fallait se préoccuper d'équilibre et d'efficacité afin de préserver les nécessités de l'enquête et les droits des victimes.

Ainsi, le délai de carence de deux heures ne doit pas devenir automatique : aux barreaux de s'organiser pour répondre aux sollicitations dans les meilleurs délais. Au nom de raisons pratiques, et afin d'éviter tout conflit d'intérêt, plusieurs personnes mises en cause dans une même affaire complexe ne doivent pas avoir le même avocat. De même, la présence de l'avocat durant les auditions ne saurait, sans entraver l'enquête, être étendue aux perquisitions et aux reconstitutions. Si l'avocat doit pouvoir poser des questions à l'issue des auditions – car il ne saurait être taisant –, il n'en faut pas moins, pour des raisons analogues, assigner à cette phase une durée raisonnable et confier à l'enquêteur, comme en Angleterre ou en Belgique, la police de la garde à vue, sous le contrôle du procureur.

En effet il faut évidemment – cela a été fait cet après-midi en commission – revenir au contrôle de la garde à vue par le procureur, au moins pendant quarante-huit heures, ce qui ne contrevient ni à la jurisprudence de la CEDH ni à l'arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre dernier, sauf à vouloir rendre les gardes à vue techniquement impossibles. Le procureur n'est pas partie poursuivante : il défend l'intérêt général.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

En outre, s'il est possible, dans certains cas, de différer la présence de l'avocat au-delà de la douzième heure, il serait opportun de pouvoir le faire lorsque le quantum de peine encourue est de trois ans au lieu de cinq, afin d'inclure des délits comme le vol ou l'exploitation de la mendicité, qui, sans être aggravés, peuvent être difficiles à dénouer.

Enfin, la situation des victimes mérite d'être pleinement prise en considération. C'est pourquoi elles devraient être assistées par un avocat non seulement lors des confrontations, mais dès le dépôt de plainte.

Ce projet de loi nous permet de franchir une étape importante en faisant entrer la garde à vue dans une nouvelle ère de protection des libertés. Afin de ne pas contrevenir à l'exigence de sécurité qu'expriment nos concitoyens, je forme le voeu que de nos débats naisse un équilibre protecteur des droits des personnes, lesquels incluent aussi – ne l'oublions pas – le droit à la sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, chaque jour, plus de deux mille personnes – hommes, femmes, voire enfants – sont interpellées et placées sous le régime de la garde à vue. Cela a été dit à plusieurs reprises, y compris par vous, monsieur le ministre : depuis 2001, le nombre de gardes à vue a été multiplié par trois.

Vous reconnaissez d'ailleurs vous-même que ce chiffre est trop élevé. Il montre en effet que la garde à vue, atteinte lourde à la liberté de personnes présumées innocentes, s'est banalisée au point d'être utilisée pour des infractions mineures, alors que la mesure devrait rester exceptionnelle.

Certains hauts responsables administratifs, voire certains de nos collègues, pourtant membres de la commission des lois, osent prétendre que c'est la loi du 15 juin 2000 qui est la cause de cette inflation.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Certes, cette loi a assuré par de nouveaux moyens la protection des personnes gardées à vue, qui sont, je le rappelle, présumées innocentes.

Il s'agit du contact avec les proches, avec un médecin ; de l'entretien avec un avocat, dès le début de la garde à vue et hors de la présence des officiers de police judiciaire ; de l'enregistrement sonore des auditions des mineurs ; du principe selon lequel les personnes gardées à vue devraient être retenues « dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine auquel chacun a droit » ; de l'octroi d'un temps de repos raisonnable et d'une alimentation convenable, afin que les personnes retenues puissent conserver toutes leurs capacités physiques et mentales ; de l'obligation faite à l'officier de police judiciaire d'informer le suspect de son « droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par les enquêteurs », formule sans ambiguïté. Ces avancées, réelles à l'époque, devraient à mes yeux être encore améliorées.

Or, revenue au pouvoir, la droite a fait exactement l'inverse. Ainsi, en mars 2003, elle a totalement supprimé l'obligation de notifier le droit au silence,…

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

…information pourtant essentielle. Ensuite, la loi Perben II a retardé l'intervention de l'avocat et prolongé la durée maximale de la garde à vue.

Surtout, où faut-il chercher la cause principale de cette inflation ? M. Sarkozy, devenu ministre de l'intérieur, a fait du nombre de gardes à vue un indicateur essentiel de l'activité policière et de la prime versée aux officiers de police judiciaire. Et c'est cette politique du chiffre qui a abouti à l'explosion du nombre de gardes à vue.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Cette politique est intolérable pour les personnes gardées à vue, humiliante pour les officiers de police judiciaire ; cette politique absurde souligne l'incohérence du Gouvernement, lequel fait pression sur les services de police et de gendarmerie pour que les chiffres de la garde à vue augmentent, tout en se félicitant de la prétendue baisse de la délinquance.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Certains tentent de dédouaner les responsables actuels en se défaussant sur la loi du 15 juin 2000. Ainsi, à leurs yeux, la loi renforçant la présomption d'innocence serait responsable de l'inflation du nombre de gardes à vue ; et si l'on a privé de liberté des personnes, ce serait pour les protéger et leur donner des droits.

Voilà un bel exemple d'intoxication intellectuelle, n'est-ce pas, monsieur Garraud ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Merci ! Je n'ai encore rien dit et tout est déjà pour moi !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

Quelle mise en valeur, monsieur Garraud ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

On rejette la responsabilité d'une mesure d'enfermement sur une loi destinée à protéger les droits et libertés. Or la loi du 15 juin 2000, si elle a – heureusement – donné aux personnes placées en garde à vue les droits nouveaux que je viens de rappeler, n'a en aucun cas obligé les officiers de police judiciaire à placer une personne en garde à vue.

Ainsi, si la personne vient volontairement, la garde à vue est inutile.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Si aucune contrainte n'est exercée, les droits spécifiques liés à la garde à vue ne s'imposent pas. La Cour de cassation l'a du reste rappelé dans plusieurs de ses arrêts. En revanche, s'il y a contrainte, la personne doit bénéficier de ses droits en garde à vue. Voilà toute la différence entre la convocation au poste de police ou de gendarmerie – mesure non contraignante, à laquelle la personne est libre de se soumettre ou non,…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux

Très juste !

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

…et l'interpellation, mesure de contrainte, comme le souligne l'excellent rapport fait au Sénat par MM. Lecerf et Jean-Pierre Michel.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux

Exact !

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Outre les abus des gardes à vue, les conditions indignes dans lesquelles on retient des personnes présumées innocentes constituent un scandale. Rien ne justifie les locaux insalubres, la promiscuité, les humiliations consistant à retirer à un homme ses lacets, sa ceinture, ses lunettes et à une femme jusqu'à son soutien-gorge, et à pratiquer les fouilles à corps.

Cette situation, indigne de la République, a été dénoncée par le comité de prévention de la torture du Conseil de l'Europe et par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, lequel a souligné à juste titre que les conditions dans lesquelles se déroulent les gardes à vue sont intolérables « pour toutes les personnes qui y séjournent, qu'elles soient interpellées ou qu'elles y exercent leurs fonctions ». De fait, les officiers de police judiciaire déplorent eux aussi l'état des locaux dans lesquels ils travaillent, et dont plus de 80 % ne sont pas conformes aux normes européennes, selon la direction de la police nationale.

La commission nationale de déontologie et de la sécurité a également fustigé le recours à la fouille à corps, les examens médicaux tardifs, le non-respect de l'exigence de production de certificats médicaux et la poursuite de la garde à vue malgré un état de santé précaire. Elle a insisté sur la situation de mineurs dont les droits n'ont pas été respectés. Citons ainsi le cas d'un garçon de quinze ans, interpellé en Seine-Saint-Denis, qui n'a bénéficié d'aucun examen médical et a subi une fouille à corps.

La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme pour traitements inhumains et dégradants et pour torture. Dans une quarantaine d'arrêts, la Cour européenne a stigmatisé cette « exception française » ; elle énonce clairement la nécessité de la présence de l'avocat aux côtés d'un suspect interrogé. La CEDH souligne notamment, dans un arrêt de 2010 condamnant la France, que toute personne accusée a droit à une assistance effective.

Plus récemment, toujours dans une décision condamnant la France, la CEDH a rappelé que « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable ».

Face à ces multiples condamnations, le groupe socialiste a pris ces dernières années plusieurs initiatives pour amener la France à se conformer aux principes européens fondamentaux et à revenir sur les malheureuses régressions opérées par les lois votées depuis 2002.

Dès 2006, dans le cadre du rapport Outreau, les députés socialistes préconisaient que l'avocat puisse assister à tous les interrogatoires menés pendant la garde à vue. Devant l'inertie de vos gouvernements, deux propositions de lois ont été déposées au Sénat et une à l'Assemblée, à l'initiative d'André Vallini, pour permettre la présence de l'avocat pendant la garde à vue. Mais aucune d'entre elles n'a abouti : le Gouvernement nous a opposé chaque fois l'annonce d'une future réforme de la procédure pénale, dans laquelle devait s'inscrire la réforme particulière de la garde à vue. Que de temps perdu, alors que vous auriez pu vous appuyer dès 2006 sur le rapport Outreau, qui avait été adopté à l'unanimité !

Vos gouvernements, chers collègues de la majorité, n'ont donc rien voulu entendre jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet dernier, qui vous a mis le dos au mur. En effet, les sages vous obligent à réformer les principaux articles de l'actuel code de procédure pénale régissant la garde à vue, car ceux-ci « sont contraires à la Constitution ».

Le Conseil affirme clairement que « les récentes évolutions législatives ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures », et vous rappelle qu'« il appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en oeuvre dans le respect de la dignité de la personne ».

Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, votre régime de la garde à vue ne garantit pas « l'exercice des libertés constitutionnellement garanties […] en ce qu'elles restreignent la possibilité de bénéficier d'une assistance effective d'un avocat » et que « la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification du droit de garder le silence ».

Deuxième condamnation par une haute instance française, en octobre dernier, la Cour de cassation a précisé les principes auxquels ce projet de loi devait se conformer : notification du droit au silence et participation aux interrogatoires de l'avocat, dont l'intervention ne saurait être différée, même en matière de criminalité organisée, qu'en vertu de raisons impérieuses constatées par le magistrat.

C'est donc sous la triple contrainte imposée par la CEDH, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation que vous présentez le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Or, monsieur le ministre, ce projet de loi, qui marque quelques progrès, reste malheureusement en deçà des préconisations de ces hautes juridictions européennes et françaises.

Bien sûr, votre projet rétablit – heureusement – le droit au silence. Cependant votre formule est alambiquée : « la personne gardée à vue a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ». Il s'agit d'un choix, et non d'un droit,…

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

…à la différence de ce qu'affirmait la loi sur la présomption d'innocence.

Vous proposez également de renoncer aux fouilles à corps intégrales, sauf lorsqu'elles sont rendues indispensables par les nécessités de l'enquête. Je note que ce dispositif est moins protecteur que celui que la loi pénitentiaire de novembre 2009 a retenu pour les fouilles des détenus, lesquelles sont effectuées selon un système gradué. Or il serait judicieux que le régime de la garde à vue s'aligne au moins sur celui des détenus.

Par ailleurs, votre projet présente à mes yeux plusieurs lacunes importantes. Ainsi, la peine en deçà de laquelle il est impossible de placer une personne en garde à vue est fixée de manière imprécise et est très insuffisante. Le seuil devrait, selon nous, être de trois ans d'emprisonnement, comme pour le placement en détention provisoire,…

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

…alors même que les personnes gardées à vue ne sont pas encore détenues, bien qu'elles partagent avec les détenus provisoires le fait d'être présumées innocentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

J'espère qu'un amendement en ce sens sera adopté.

La loi du 15 juin 2000 avait prévu le principe d'une visite systématique des locaux par les procureurs tous les trimestres. Votre projet de loi se limite à une visite annuelle. Pourquoi ? Il serait souhaitable de donner aux magistrats un pouvoir d'injonction à l'administration en termes de salubrité et de sécurité des locaux.

Enfin, l'audition libre, objet juridique non identifié, a fort heureusement été supprimée par les députés de la commission de lois car elle n'a aucun sens : soit il y a contrainte et la personne placée en garde à vue doit bénéficier des droits de la défense ; soit la personne vient volontairement au commissariat et peut repartir quand elle veut et les droits spécifiques liés à la privation de liberté ne s'appliquent pas.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux

Très juste !

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Le Gouvernement a, avez-vous dit, accepté de supprimer cette disposition absurde in extremis.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux

Enfin, madame Guigou !

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Pour l'instant, rien pour moi n'est encore assuré. Attendons de voir le texte et d'en discuter. Je serai extrêmement vigilante sur ce point.

Votre projet a le mérite de prendre acte de la nécessité constitutionnelle de la présence d'un avocat pendant la durée des auditions, ce qui constitue une garantie pour les personnes placées en garde à vue, mais aussi pour les officiers de police judiciaire contre le soupçon qui peut parfois peser sur eux. Elle constitue également, nous l'avons tous souligné, une incitation à abandonner la culture de l'aveu pour faire davantage de place à la police scientifique et technique.

Néanmoins beaucoup d'interrogations demeurent encore sur le plan pratique : comment la présence de l'avocat pourra-t-elle être garantie ? Comment les barreaux vont-ils s'organiser ? Comment gérer le délai entre la transmission de l'information relative à la présence d'une personne gardée à vue et l'arrivée de l'avocat ? Comment joindre de nuit les avocats commis d'office ? Et pour conjurer le risque d'une défense à deux vitesses, quels moyens allez-vous accorder à l'aide juridictionnelle ? Celle-ci nécessite en effet un investissement massif. Or vous savez bien, monsieur le ministre, qu'une réforme sans moyens financiers est condamnée par avance. Enfin, il n'est pas question que la victime se retrouve seule face à l'auteur présumé de l'infraction. La réforme doit prévoir un avocat pour les victimes.

Votre projet de loi ne propose aucune évolution de l'autorité chargée du contrôle de la garde à vue. Il est pourtant difficilement contestable que le parquet, disqualifié par l'arrêt Medvedyev contre France du 29 mars 2010 et l'arrêt Moulin du 23 novembre 2010, puisse exercer cette mission de contrôle. La Cour de Strasbourg a en effet indiqué que l'autorité de contrôle de la garde à vue doit présenter « des garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'elle puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public ». Le parquet, soumis hiérarchiquement à la Chancellerie et à ses instructions individuelles et ne bénéficiant d'aucune des garanties de nomination qui sont accordées aux magistrats du siège ne peut, à l'évidence, remplir aujourd'hui cette fonction.

C'est donc à un magistrat du siège, au juge des libertés et de la détention que nous souhaitons voir confier le contrôle de la garde à vue. La commission des lois avait à une voix de majorité introduit cette disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

J'espère que le texte qui sortira de nos débats rétablira cette prérogative du juge des libertés et de la détention.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la garde à vue aurait dû s'inscrire dans un débat plus large sur la réforme de la procédure pénale. Celle-ci est-elle encore à l'ordre du jour de la présente législature ou a-t-elle été finalement abandonnée ? En tout cas, je peux vous dire que lorsque nous reviendrons aux responsabilités, nous répondrons aux exigences européennes et à celles de la Cour de cassation et que nous donnerons des garanties d'indépendance au parquet français. Nous changerons les conditions de nomination des procureurs pour les aligner sur celles des magistrats du siège, avec un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, afin que notre pays puisse enfin recommencer à porter haut le flambeau des libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

Mes chers collègues, puisque nos débats se déroulent dans le cadre de la procédure du temps programmé, je ne me permets évidemment pas d'interrompre les orateurs. Je précise toutefois que, par rapport aux temps indiqués sur la feuille de séance, il y a vingt-cinq minutes de décalage. Je l'indique à celles et ceux qui me demandent s'ils ont une chance de prononcer leur discours ce soir.

La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre système judiciaire est en lambeaux, nos codes et nos pratiques, en décomposition. Les moyens de la justice sont notoirement insuffisants et les effectifs de police et de gendarmerie fondent comme neige au soleil, sous les coups de boutoir de la RGPP. Les personnels de justice et les forces de sécurité travaillent dans des conditions indignes. La colère gronde.

L'exécutif bafoue l'indépendance de la justice et l'instrumentalise à des fins nauséabondes. Dans son livre édifiant intitulé Le Justicier, enquête sur un Président au-dessus des lois, une journaliste d'investigation décrit les rapports entre le chef de l'État et la justice. Dès son arrivée au ministère de l'intérieur, Nicolas Sarkozy s'est employé à reprendre en main l'institution judiciaire afin de servir des objectifs autant publics que privés. Depuis qu'il est aux manettes, il fait légiférer la majorité sur tout, à tout va, place ses hommes aux postes stratégiques de la magistrature et de la police. N'est-ce pas pour empêcher que la vérité éclate dans les affaires Karachi ou Bettencourt que le Président voulait supprimer le juge d'instruction ? On peut légitimement s'interroger.

Les libertés reculent gravement dans notre pays.

Les locaux de garde à vue sont dans un état de délabrement avancé, l'état des prisons est une honte pour la République, de l'aveu même du chef de l'État, et je pourrais longuement évoquer les pratiques indignes et inadmissibles qui ont cours dans les centres de rétention administrative, mais notre collègue Patrick Braouezec le ferait mieux que moi.

À peine créé, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté va être supprimé, englouti dans un Défenseur des droits aux moyens dont on ne sait pas grand-chose.

Oui, le climat est particulièrement lourd et malsain.

Dans ce contexte inédit, le discours de rentrée de la Cour de cassation prononcé par le procureur général Jean-Louis Nadal a représenté une véritable bouffée d'air frais. Les avocats, les magistrats et les personnels pénitentiaires ne baissent pas la tête. Ils peuvent compter sur le soutien des forces progressistes de notre pays, de cette France, patrie des droits de l'homme, devenue la risée du monde, faute de dirigeants à la hauteur.

Voilà, brièvement résumé, le contexte matériel et moral dans lequel nous examinons ce projet de loi relatif à la garde à vue.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

Il y a urgence à opérer une véritable refonte.

Le précédent ministre de la justice espérait bien enterrer cette réforme afin de poursuivre la politique sécuritaire du chiffre et de l'abus de droit permanent. Fort heureusement, la décision du Conseil constitutionnel et les différents arrêts de la Cour de cassation ont porté un coup fatal à cet entêtement. La garde à vue française ne respecte pas le minimum de droits conféré à la défense et le minimum de dignité dû à la personne humaine. La procédure a été détournée de son objectif premier par l'offensive ultra-répressive de la droite.

Il faut donc se réjouir de la refonte des dispositions régissant la garde à vue et, plus largement, de la procédure pénale. Contrairement au Gouvernement, nous avons le coeur à l'ouvrage.

Nous veillerons à ce que ce projet de loi ne soit pas un simple texte de replâtrage, qui exposerait la France à de nouvelles condamnations, émanant notamment de la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut impérativement renforcer les droits fondamentaux des personnes placées en garde à vue.

Alors que, depuis quelque temps, différentes juridictions se sont chargées de traduire en acte un arrêt de la Cour européenne en refusant de verser au dossier des procès-verbaux rédigés en l'absence d'avocat, les statistiques officielles des gardes à vue sont particulièrement inquiétantes. Les placements en garde en vue explosent : pour l'année 2009, leur nombre s'est élevé à 800 000, dont une bonne part relèvent de détentions arbitraires. Souvenons-nous de cette jeune fille de quatorze ans placée en garde à vue pendant neuf heures, menottes aux poignets. La garde à vue, c'est l'humiliation, le mépris, le harcèlement. La présomption d'innocence n'existe pas : le personne est coupable dès la première minute et elle devrait parfois avouer n'importe quoi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

Je le dis comme je le pense, il est urgent de limiter les abus de garde à vue comme les abus en garde à vue. Parce qu'elle constitue une privation de liberté et souvent une souffrance morale et physique, la garde à vue implique nécessairement des garanties fortes tenant aux droits de la défense.

Aujourd'hui, le suspect peut toujours être interrogé sans l'assistance d'un avocat. L'avocat ne peut ni assister aux différents actes, tels que les interrogatoires et les confrontations, ni prendre connaissance du dossier de la procédure. Cette situation n'est pas acceptable au regard des droits de la défense, consacrés au plan constitutionnel et international.

La Cour européenne des droits de l'homme a récemment réaffirmé l'exigence d'un accès au dossier et le droit d'être assisté par un avocat pendant les interrogatoires, pour que le droit à un procès équitable soit « concret et effectif ». Notre législation doit se conformer aux principes du procès équitable énoncés par les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mettons au plus vite notre droit en conformité avec les exigences de défense de l'accusé, de présomption d'innocence et de respect des droits fondamentaux des personnes gardées à vue. Réparons ce qui peut encore l'être, même s'il faut regretter que nous soyons amenés à légiférer au fil de l'eau et au gré des circonstances.

Si gouverner, c'est prévoir, alors il manque certainement un pilote dans l'avion !

Toutefois, chers collègues, ne boudons pas notre plaisir. Ce projet de loi contient quelques avancées, contraintes et forcées, certes, mais bien réelles tout de même.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

En particulier, le texte amendé en commission des lois doit être défendu sur certains points.

Ainsi, il faut se réjouir de la suppression de l'audition libre comme il faut se réjouir de la disposition selon laquelle c'est sous le contrôle d'un juge du siège, et non plus du procureur de la République, que devra s'exécuter la garde à vue.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Cela a été changé aujourd'hui mais vous ne semblez pas être au courant !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

Ce sont deux exemples, mais je cite également la création, contre l'avis du rapporteur et du Gouvernement, d'un procès-verbal unique de déroulement de la garde à vue.

Je profite de cette occasion pour indiquer qu'une réforme du statut du parquet s'impose afin qu'il soit totalement indépendant du pouvoir exécutif et qu'il puisse ainsi être qualifié d'autorité judiciaire, selon les standards internationaux.

Les procureurs devraient, tout comme les juges, être nommés par le Conseil supérieur de la magistrature. Ce sera un nouveau chantier à engager très vite. Tout est lié.

En ce qui concerne ce projet de loi, nous défendrons dans le débat nos propositions, dans un esprit d'ouverture, pour faire avancer le droit et contribuer à rétablir l'honneur, quelque peu perdu, de notre République. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Garrigue

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi, consacré à un sujet particulièrement difficile, se discute dans un contexte paradoxal.

Tout d'abord parce que cette réforme demandée depuis longtemps se fait aujourd'hui sous la contrainte, à la suite des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, de la question prioritaire de constitutionnalité et des arrêts récents de la Cour de cassation.

Ensuite, parce que le délai imposé par le Conseil constitutionnel pèse d'une certaine façon sur le déroulement de ce débat.

Enfin, et surtout, parce que vous n'avez pas vraiment levé les incertitudes qui pèsent sur l'avenir de notre procédure pénale, dont la garde à vue n'est qu'un élément. Cela s'en ressent inévitablement pour les deux questions qui se situent au coeur de ce débat : l'encadrement de la garde à vue et, surtout, son contrôle.

S'agissant de l'encadrement de la garde à vue, presque tous mes collègues ont évoqué l'augmentation profondément anormale du nombre des gardes à vue dans notre pays. Dans certains cas, elle est légitimement demandée en tant que garantie des droits de la personne entendue, mais elle est devenue, aux yeux de certains, surtout dans la période récente, un véritable indicateur d'efficacité des services de police judiciaire.

Je ferai trois remarques, monsieur le ministre.

La première est pour regretter les préventions trop fortes à l'égard de l'audition libre qui nous paraîtrait acceptable si la personne entendue était réellement informée de ses droits et, surtout, si le contrôle de sa mise en oeuvre était réalisé par une autorité incontestable.

Ensuite, je me demande si, finalement, les critères de la garde à vue, à force de se rapprocher de ceux de la détention provisoire définis à l'article 147 du code de procédure pénale, ne devraient pas être purement et simplement alignés sur ces derniers.

Enfin, je veux rappeler les conditions matérielles déplorables dans lesquelles continue à s'appliquer la garde à vue dans de trop nombreux commissariats. Les nouvelles règles ne seront qu'un aménagement modeste si ces conditions matérielles ne sont pas rapidement portées au niveau qu'exige la dignité des personnes entendues et, parfois même, de ceux qui les entendent. Le commissariat de ma propre ville est malheureusement dans cette situation.

Sur la question du contrôle, le problème majeur, beaucoup l'ont rappelé, est de savoir dans quel contexte général s'inscrira cette réforme. Là aussi, paradoxalement, vous nous incitez à trancher par anticipation en fonction des rôles respectifs des magistrats du siège et du parquet, et à choisir les solutions à apporter en fonction du statut que vous souhaitez donner aux magistrats du parquet, dont nous ne savons rien pour l'instant. Nous avons le choix entre deux voies : soit une modification profonde de notre système judiciaire en confiant le contrôle de la garde à vue aux magistrats du siège ; soit adopter une solution transitoire qui ferait intervenir les magistrats du siège de façon plus marginale, en attendant que soient uniformisées les conditions de nomination de l'ensemble des magistrats.

La commission des lois a choisi la première solution, en confiant le contrôle au juge des libertés et de la détention. Cette solution, qui paraît la plus satisfaisante au regard des libertés, n'est pas sans poser de problèmes. D'abord parce que, dans trop de juridictions, les fonctions de juge des libertés et de la détention sont exercées davantage comme le complément d'une autre charge de magistrat que comme des fonctions à part entière. Cette solution aurait cependant le mérite de consacrer définitivement le rôle de ce juge, qui apparaît de plus en plus comme la clé de nombre de problèmes de procédure, mais à condition, monsieur le ministre, que vous assuriez les créations de postes nécessaires.

Certains opposent, ensuite, le pragmatisme actuel des parquets et la tendance des juges du siège à vouloir statuer sur des dossiers constitués, ce qui pourrait poser des problèmes au regard du nombre des gardes à vue et de la nécessité d'agir dans des délais rapides. Il me semble que c'est faire peu confiance dans les capacités d'adaptation des magistrats du siège.

Enfin, certains pourraient craindre que ce choix accentue le caractère accusatoire de la procédure. Pourtant c'est en vérité l'essence même de la garde à vue et des nouvelles dispositions qui pousse dans cette direction.

La seconde solution, qui ne pourrait être que transitoire, serait de ne faire intervenir le juge des libertés et de la détention que si la personne entendue ou son défenseur contestait le principe même de la détention, en attendant que soit résolue la question du statut des magistrats du parquet.

Monsieur le ministre, malgré quelques hésitations en l'absence de toute perspective claire sur le statut et le rôle du parquet, je me prononcerai pour la solution retenue par la commission des lois. C'est l'un des paradoxes du contexte dans lequel est conduite cette réforme que de précipiter des choix qui auraient peut-être appelé des équilibres plus élaborés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 1er juillet 2011, nous serons dans l'obligation d'avoir réformé la garde à vue en préservant l'équilibre fragile entre respect des droits individuels – ceux du gardé à vue mais aussi ceux des victimes – et respect des droits de la société, que nous sommes chargés de protéger face au crime et à la délinquance.

La clef de la réussite de cet équilibre entre libertés individuelles et défense de l'intérêt général, c'est bien la procédure. Conformément à l'image de la justice, la balance ne doit pencher ni d'un côté ni de l'autre, pour ne risquer ni l'arbitraire ni le laxisme. L'exercice est donc très délicat d'autant qu'il était mal engagé à cause de certaines dispositions votées en commission des lois le 15 décembre, qui reposaient à la fois sur des erreurs de droit et sur une méconnaissance totale de notre système pénal ainsi que sur une fausse appréciation de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Heureusement, la commission des lois,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

…aujourd'hui même, a rectifié en partie cette situation. Je vous demande donc mes chers collègues, de vous en tenir à cette dernière position de la commission des lois, sinon,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

…je vous l'affirme, les répercussions seraient graves pour nos concitoyens.

Pour l'instant, je souhaite m'exprimer sur un seul point, qui est essentiel car il conditionne l'ensemble : le rôle du procureur au cours de l'enquête.

Alors que je n'ai exercé pendant vingt ans que des fonctions du siège, je serai, à cette tribune, le défenseur des procureurs, qui sont des magistrats à part entière, au sens de l'article 66 de la Constitution de la Ve République.

Les Anglo-Saxons, dont certains s'inspirent pour tenter de changer de système, ne peuvent comprendre cela. Pour eux, le magistrat ne peut être qu'un juge. Pour nous, un magistrat ce peut bien sûr être un juge, mais aussi un procureur. Certes, le statut, les fonctions, les pouvoirs sont différents entre magistrats du siège et magistrats du parquet, mais l'objectif est le même : la défense de l'intérêt général, la manifestation de la vérité, la garantie des libertés individuelles.

Si l'avocat a un rôle éminent en matière de libertés individuelles, il n'entre pas dans ses attributions de défendre l'intérêt général de la société et de l'ensemble de nos concitoyens. C'est pourquoi, au stade de l'enquête, l'avocat du suspect et le procureur de la République ne peuvent se situer au même niveau. L'un se consacrera aux intérêts de son client, l'autre à ceux de la société.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Ce n'est qu'à l'audience, lors de la phase ultérieure du procès, que « l'égalité des armes » entre accusation et défense consacrera le principe du procès équitable.

Mes chers collègues, ne confondez pas la phase juridictionnelle d'un procès et la phase policière de l'enquête ! Ce n'est pas la même chose.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Si nous transposons les règles du procès à l'enquête, je vous le dis, il n'y aura plus d'enquête et nous serons obligés, dans les semaines qui suivront l'application de la loi, et suite aux injustices et scandales qui auront défrayé la chronique, de revenir en urgence sur ces dispositions.

Arrêtons la surenchère et ne faisons pas dire à la CEDH ce qu'elle ne dit pas ! La Cour européenne des droits de l'homme n'a jamais, en effet, dénié au procureur de la République son rôle de contrôle de la garde à vue, quand bien même elle ne le considère pas comme une autorité judiciaire au sens de la convention. Invoquer la récente décision Moulin pour justifier le contrôle de la garde à vue par le juge des libertés et de la détention est un contresens total.

Durant la phase d'enquête, l'intervention du juge n'est requise qu'à partir d'un certain délai où il apparaît nécessaire de statuer sur cette privation de liberté. Comment un juge pourrait-il d'ailleurs statuer sur le bien-fondé d'une arrestation quand l'enquête n'en est encore qu'à ses débuts ? Comment faire intervenir un juge sur des éléments d'un dossier qui n'est pas encore constitué ?

La CEDH n'a d'ailleurs jamais exigé de faire intervenir un juge dès le début d'une garde à vue. Elle a toujours considéré que la présentation devant un juge n'était obligatoire qu'après un délai de trois à quatre jours. Or, en France, les gardes à vue d'une durée supérieure à quarante-huit heures sont prolongées et contrôlées par un magistrat du siège. Notre législation est donc totalement conforme à celle de la CEDH.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Du reste, chez nos voisins européens, l'intervention d'un juge ne se situe jamais dès les débuts de la garde à vue et la mesure est placée le plus souvent sous le seul contrôle de la police, alors qu'elle relève en France d'un magistrat du parquet,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

…dont le Conseil constitutionnel a rappelé qu'il est le gardien des libertés individuelles.

Rien n'impose donc que le juge des libertés et de la détention intervienne avant les quarante-huit premières heures de la garde à vue, comme l'a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre 2010. Heureusement que les députés UMP favorables à l'intervention du juge des libertés et de la détention dès le début de la garde à vue sont revenus à de meilleurs sentiments et surtout, à une meilleure analyse juridique !

C'est le procureur de la République qui, au quotidien, de jour comme de nuit, à tout moment, dirige les enquêtes de police judiciaire et met en oeuvre la politique pénale. C'est donc lui qui doit être avisé des gardes à vue et décider des suites qui y sont données. Sauf si un juge d'instruction est saisi, le patron de l'enquête de police judiciaire, c'est le procureur de la République. Il faut l'affirmer sans état d'âme et en tirer toutes les conséquences.

Naturellement, cela n'exclut en rien, comme j'espère avoir commencé à vous le démontrer, les droits des suspects et des victimes. Bien au contraire, grâce à votre projet de loi, monsieur le ministre, et à nos amendements, nous allons les faire progresser. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Houillon

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je veux d'abord me réjouir de ce projet de loi qui va enfin mettre notre système de garde à vue en conformité avec les principes fondamentaux applicables en matière de privation de liberté. Si l'on essaie de dévier sur la phase de l'enquête, avant la phase juridictionnelle, c'est bien la privation de liberté qui pose problème et qui exige des garanties. Je me réjouis donc, même si les législateurs que nous sommes ressentent quelque amertume à devoir légiférer sous le coup d'un ultimatum imposant une date butoir. C'est un peu désagréable, mais cela a le mérite de faire progresser la question.

Sur ce sujet important de libertés publiques qui concerne nombre de nos concitoyens – 800 000 à 900 000 personnes en 2009, ce qui représente 10 % de la population française privés de liberté en huit ans, ce qui n'est pas rien –, je suis heureux de constater que des points de vue au départ divergents ont pu se rapprocher. Sur les quelques points qui restent en débat, j'espère que la discussion permettra de continuer ce rapprochement pour aboutir à un texte consensuel. Quand je parle de rapprochement, je pense, par exemple, à un amendement que j'avais déposé en même temps que notre rapporteur sur la suppression de l'audition libre. Elle n'est pas remise en question, ce qui me semble une bonne chose.

Le temps qui m'est imparti ne me permet de formuler que deux ou trois observations.

Il n'y a aucune difficulté, en tout cas pas de ma part, pour considérer que le procureur de la République a naturellement autorité sur la garde à vue pendant les quarante-huit heures, c'est-à-dire depuis le début jusqu'au renouvellement. Cela ne fait pas débat et ne soulève, de mon point de vue, aucune difficulté juridique.

Sur la question du contrôle juridictionnel, il ne devrait pas y avoir de difficulté non plus pour considérer qu'il incombe aux juges du siège.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Houillon

D'ailleurs, notre rapporteur a présenté un amendement qui, en réécrivant l'article 1er, donne la solution : « La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire ». Reste à savoir qui est l'autorité judiciaire.

Beaucoup ont parlé de l'arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre, mais personne ne l'a lu. Je vais donc le faire, car il donne une réponse on ne peut plus claire à la question : « C'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l'article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l'homme ».

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Houillon

Nous avons donc, d'une part, le nouvel article 1er et, d'autre part, cet arrêt de la Cour de cassation. En passant, j'indique à l'attention de M. Huygues, que la Cour dit bien que le ministère public est une partie poursuivante, contrairement à ce que j'ai pu entendre. Je le souligne parce qu'on a réintroduit la notion de contrôle par le parquet. Encore une fois, un accord peut être trouvé. Il faut simplement savoir qui fait quoi et que recouvre cette notion de contrôle. Nous pourrons sans doute nous livrer à un exercice de sémantique au cours du débat.

Ma deuxième observation porte sur le délai de carence de deux heures.

Le texte voté par la commission faisait partir le délai du moment où l'on donnait l'avis à l'avocat, ce qui paraît normal puisqu'une personne ne peut décompter un délai qu'à partir du moment où elle en est avisée. Sauf erreur de ma part, un amendement a été adopté aujourd'hui, visant à faire partir ce délai du début de la garde à vue.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Houillon

J'avais compris le contraire, mais les choses sont allées tellement vite sur une matière aussi importante !

Troisième observation : c'est le procureur de la République, partie poursuivante, qui reçoit compétence pour déterminer le périmètre d'exercice des droits de la défense, c'est-à-dire qu'il peut, par exemple, autoriser l'OPJ à débuter des auditions sans attendre l'avocat. Il peut également différer pendant douze heures l'assistance de l'avocat et différer la consultation des procès-verbaux en fonction des motifs que lui, partie poursuivante, aura estimé pertinents. Cela ne me paraît pas possible sans risque évident de confier à la partie poursuivante le soin de déterminer le périmètre des droits de la défense. Il est évident que cette question sera soumise tôt ou tard à telle ou telle juridiction.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux

Au Conseil constitutionnel !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Houillon

Il y aura probablement une censure. En tout cas, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

Par ailleurs le nouvel article 706-88-2 précise que, en matière de terrorisme, l'on peut imposer un avocat habilité et que les avocats inscrits sur cette liste sont élus par les membres du conseil de l'ordre du barreau de Paris. Est-ce vraiment compatible avec le principe du libre choix de l'avocat ? Voilà une vraie question.

Vous devrez sans doute nous donner des précisions sur la façon dont on assure la dignité lorsque l'on connaît la façon dont se déroule la garde à vue, et les locaux où elle a lieu. Quels moyens financiers seront-ils mis en oeuvre ? Comment va-t-on appliquer la loi ?

Enfin, se pose naturellement la question du statut du parquet qui commence à être évoquée dans un certain nombre de décisions. Elle a même fait l'objet d'une actualité récente – tous les intervenants dans les rentrées solennelles ou presque en ont parlé, et vous le confirmez, monsieur le garde des sceaux. Il faudrait mettre la question sur la table, réfléchir tranquillement, parce que c'est un sujet difficile – certains donnent des solutions toutes faites, mais je ne suis pas sûr qu'il s'agisse forcément des bonnes – au lieu d'attendre, comme c'est le cas pour la garde à vue, qu'une décision un peu plus coercitive que d'autres nous impose de légiférer sur ce sujet à la hâte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Armand Jung

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'il existait encore un doute sur l'importance et la pertinence des travaux de la Cour européenne des droits de l'homme, il a définitivement été levé lorsque notre pays a été condamné à plusieurs reprises par la CEDH qui estimait, à juste titre, que certaines dispositions relatives à la garde à vue française violaient le droit à un procès équitable, notamment du fait que le mis en cause ne pouvait bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la garde à vue.

À cet égard, je rappelle l'importance de la Cour de Strasbourg, qui, malgré des moyens limités et le peu d'estime des gouvernements européens qui n'ont d'ailleurs pas l'intention d'augmenter le budget qui lui est alloué, accomplit un travail essentiel, précurseur et prémonitoire.

Les récentes décisions de la CEDH pour ce qui concerne la garde à vue, reprises récemment à bon escient par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, ont permis de lancer un vaste débat sur ce thème et d'inscrire rapidement ce projet de loi à l'ordre du jour des travaux du Parlement, ce dont je me réjouis. Comme beaucoup d'entre vous, je pense en effet que la présence et l'assistance d'un avocat dès le début de la garde à vue sont essentielles, tant la privation de liberté est d'une gravité extrême.

Je tiens d'abord à pointer une incohérence de votre part : il me semble paradoxal d'envisager cette réforme alors que dans le même temps, vous voulez supprimer le Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour le diluer et le fondre dans une institution généraliste où il ne serait plus qu'un simple médiateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Armand Jung

Plusieurs de mes collègues vous rappelleront que votre texte est a minima. Pour ma part, je m'arrêterai plus particulièrement sur un aspect qui ne semble pas susciter beaucoup d'intérêt ici : le rôle de la partie civile dans le procès pénal.

Dans un article publié dans Le Monde du 23 juin 2010, l'avocat Jean-Pierre Mignard avance que « L'équité impose la participation active des victimes au procès pénal. » Il rappelle qu'un procès insidieux est mené depuis plusieurs mois contre le statut des parties civiles dans les procès pénaux. Il faudrait que la victime se taise, qu'elle ne conclut pas, qu'elle n'interroge pas, qu'elle n'objecte pas, qu'elle ne plaide pas. La victime reste trop souvent l'intrus, le passager clandestin, un simple vecteur d'émotion réduit à demander la réparation du dommage subi.

Encore une fois, c'est le Conseil de l'Europe, à Strasbourg, qui a joué un rôle essentiel en donnant une première définition de la victime, décrite comme « toute personne physique qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou un préjudice économique, causé par des actes ou omissions violant le droit pénal d'un État membre. Le terme victime inclut également, le cas échéant, la famille immédiate ou les personnes à charge de la victime directe. »

Dans cette même logique, je considère que la victime doit être le troisième acteur à part entière du procès pénal au même titre que le mis en cause et le procureur de la République. Monsieur Garraud, vous êtes le porte-parole des procureurs. Pour ma part, je serai celui des victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Armand Jung

Pour illustrer mon propos, j'évoque le drame vécu par des proches, qui ont perdu leur fils dans un accident de la route, tué par un chauffard. Ils n'ont appris qu'après coup et d'une manière détournée que le procès en appel avait eu lieu et que la peine du responsable du décès de leur fils avait été réduite, passant de la prison ferme à de la prison avec sursis. Les parents du jeune homme estiment, à juste titre, que l'équilibre du débat en première instance n'est plus respecté en appel lorsque la partie civile est absente car non informée.

Debut de section - PermalienPhoto de Armand Jung

Être informé n'est pas obligatoire. C'est une faculté laissée au procureur de la République qui, la plupart du temps, ne l'exerce pas.

Être tenu à l'écart du procès en appel de la mort de son propre enfant est inacceptable. Ces personnes l'ont vécu comme une trahison de la justice. Sensible à cette détresse, j'ai déposé, en décembre 2008, en tant que président du groupe d'études sur la route et la sécurité routière, une proposition de loi visant à renforcer la place des parties civiles durant le procès pénal.

J'ai également abordé cette problématique ici même, le 28 avril 2009, lors du débat sur la proposition de loi sur la simplification du droit et j'ai déposé un amendement visant à renforcer la place des parties civiles dans le procès pénal et à mettre fin à une anomalie de notre code pénal en consacrant le droit d'information des victimes non appelantes en cas d'appel correctionnel ou d'assises. Le Gouvernement, par la voix de M. Roger Karoutchi, alors secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, m'avait indiqué qu'il n'était pas opposé à cette mesure qui pourrait être intégrée à la future réforme de la procédure pénale ou à un autre texte législatif. Compte tenu de l'engagement de M. Karoutchi de faire figurer cette proposition dans un autre texte, j'avais alors retiré mon amendement. Depuis, je soulève cette question lors de chacune de mes interventions, parce que je me demande quand sera inscrit à l'ordre du jour ce texte ou ce véhicule législatif.

Monsieur le garde des sceaux, comment peut-on concevoir qu'une victime ne soit pas informée de la date du procès en appel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Goasguen

Si elle est partie civile, elle l'est forcément !

Debut de section - PermalienPhoto de Armand Jung

Non, elle ne l'est pas forcément ! C'est précisément une anomalie de notre code de procédure pénale. Les gardes des sceaux successifs que j'ai interrogés me l'ont confirmé.

Comptez-vous reprendre les propos et l'engagement de M. Karoutchi à votre compte ?

Mes chers collègues, je suis allé plus loin encore dans ma réflexion en déposant, le 20 décembre 2010, une nouvelle proposition de loi relative au renforcement de la place des parties civiles au sein du procès pénal, et non plus uniquement au moment de l'appel. À ce titre, je me félicite que la commission des lois ait introduit un article 7 bis dans ce projet de loi, qui prévoit que si la victime est confrontée avec une personne gardée à vue qui est assistée d'un avocat lors de son audition, elle peut demander à être également assistée par un avocat. Sauf erreur de ma part, c'est d'ailleurs la seule référence aux droits des victimes dans votre texte.

Je pense qu'il faudrait aller plus loin encore et offrir assistance et protection à la victime tout au long du procès pénal, de la garde à vue du mis en cause jusqu'à son procès. Je propose que l'on institue un véritable parallélisme des formes entre le gardé à vue, qui doit effectivement être assisté et entouré, et la victime, qui doit pouvoir bénéficier des mêmes droits, y compris la sollicitation de l'aide juridictionnelle.

Outre l'obligation d'informer les parties civiles de la tenue du procès en appel et l'assistance d'un avocat auprès de la victime, je veux approfondir encore deux autres aspects qui me semblent essentiels : le rôle du juge délégué aux victimes et l'information liée à l'aménagement de peine.

Par sa décision du 28 décembre 2009, le Conseil d'État a abrogé des prérogatives importantes en matière d'exécution des peines qui avaient été conférées au juge délégué aux victimes. Cette abrogation était motivée par le fait que ces prérogatives relevaient du domaine législatif. Le Conseil d'État lance donc un appel au législateur pour que les attributions du juge délégué aux victimes soient rétablies et renforcées légalement. À mon sens, celui-ci est l'un des symboles de la prise en considération des droits des victimes et de la partie civile. Il faudrait que les victimes puissent s'adresser directement à lui pour obtenir des informations sur les allégements ou les aménagements de peine légalement octroyés au condamné. Cette demande d'information devrait être obligatoire et non plus facultative.

Prendre en considération les victimes passerait aussi par la création d'une véritable action de groupe ; or personne n'a encore évoqué cette question depuis le début de la discussion. L'exemple récent du Mediator montre que, si cette procédure était en vigueur en France, les victimes de ce médicament pourraient faire porter leur voix plus haut et leur colère bien plus loin et bien plus efficacement.

La partie civile ne doit plus être considérée comme un intrus mais jouer un véritable rôle dans le procès. Il faut bouleverser l'équilibre traditionnel pour introduire un procès triangulaire dans lequel le procureur, le mis en cause et la victime joueraient tous les trois un rôle défini et reconnu.

À l'heure actuelle, ce sont essentiellement des associations, comme Accord à Strasbourg, qui sont chargées d'accompagner les victimes. Elles réalisent un travail remarquable que je tiens à souligner. Je sais, monsieur le garde des sceaux, que vous accordez une grande importance à l'aide aux victimes, en particulier par la création de bureaux d'aide aux victimes, mais je pense que c'est désormais à la loi d'aller plus loin et d'offrir un cadre plus protecteur aux victimes et aux parties civiles.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il s'appelait Maxime Hugues ; ce jeune homme est mort au bord d'une route d'Alsace. Ses parents n'ont pas pu le défendre en procès d'appel parce que le code de procédure pénale ne le prévoit pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réforme de la garde à vue est désormais indispensable. Le Conseil constitutionnel puis la Cour de cassation ont, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, estimé que la procédure introduite en droit français en 1993 n'était plus conforme au bloc de constitutionnalité.

C'est tout à l'honneur de la France que de rechercher la conformité au droit conventionnel. Je souligne, à l'instar de Jean-Paul Garraud, que ce n'est pas forcément le cas dans tous les pays européens.

Je souscris bien sûr pleinement à la volonté du Gouvernement d'accroître les droits de la défense et, de façon globale, les libertés publiques, comme la majorité et le Gouvernement s'y sont employés avec l'instauration de la question prioritaire de constitutionnalité qui a permis au Conseil constitutionnel de statuer en la matière. Une démocratie n'est jamais aussi forte que lorsque les droits de la défense progressent.

Il est vrai que le nombre de gardes à vue a explosé ces dernières années et sa diminution reste un objectif que nous pouvons tous partager. Près de 800 000 procédures ont été lancées en 2009, mais on doit à la vérité de rappeler que cette augmentation s'explique en grande partie par l'application de la loi sur la présomption d'innocence du 15 juin 2000, adoptée à l'initiative d'Élisabeth Guigou. En effet, depuis, le placement en garde à vue permet l'ouverture de certains droits. Dès lors, policiers et gendarmes ont été largement incités à opérer un tel placement lors de l'entrée en vigueur de la loi précitée. Il est injuste de leur en faire porter la responsabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Cette précision doit relativiser les procès d'intentions, les soupçons et les critiques inacceptables dont les policiers et les gendarmes ont été l'objet depuis plusieurs mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Sous l'impulsion du Président de la République et du Gouvernement, grâce à leur travail, à leur détermination, ils ont obtenu depuis plusieurs années d'excellents résultats dans la lutte contre la délinquance. C'est également l'une des raisons qui a induit un accroissement notable du nombre de procédures.

Le taux d'élucidation a quasiment doublé entre 2002 et 2008. Mécaniquement, si l'on interpelle plus, le nombre de gardes à vue progresse.

Or, en évoquant les lois Guigou, rappelons nous aussi pour mieux guider nos choix et éclairer l'avenir, qu'elles ont abouti à une chute brutale du taux d'élucidation, donc à empêcher la légitime réponse due aux victimes. Prenons garde à ne pas réitérer les mêmes erreurs. Il ne faudrait pas que, par cette réforme parcellaire du code de procédure pénale, nous introduisions un dispositif déséquilibré. En réformant la partie relative à l'enquête, sans repenser l'ensemble du dispositif, nous risquons d'affaiblir toute la chaîne pénale ; or si un maillon s'affaiblit, c'est l'ensemble qui s'effondre.

Nous devons éviter deux écueils majeurs : déséquilibrer les droits au profit de l'auteur présumé d'une infraction et fragiliser l'enquête qui est, et demeure, un instant fondamental pour l'élucidation de l'affaire.

En ce qui concerne les droits de la victime, Clemenceau disait : « Le Gouvernement a pour mission de faire que les bons citoyens soient tranquilles et que les mauvais ne le soient pas. » Il m'apparaît en effet indispensable de donner à une personne fragilisée par un préjudice physique ou moral subi, au minimum les mêmes droits que ceux de la personne suspectée d'avoir commis l'infraction à l'origine du dommage.

C'est pourquoi j'ai déposé plusieurs amendements instaurant un parallélisme des droits. Ils ont malheureusement été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution, mais je sais que le Gouvernement est sensible à cette question et a introduit dans le texte des avancées notables. Reste que nous devons encore progresser sur ce point essentiel.

Il est un autre sujet tout aussi important sur lequel nous devons demeurer vigilants : la nécessité de préserver la garde à vue comme le moment essentiel pour la manifestation de la vérité. Je retiendrai quatre points fondamentaux.

Le premier concerne le contrôle de la garde à vue.

Le Gouvernement a souhaité rétablir le procureur de la République comme garant de la procédure et je m'en félicite car la situation n'est contraire ni à la jurisprudence de la CEDH ni à celle de la Cour de cassation. Par conséquent – Jean-Paul Garraud l'a excellemment démontré –, je ne vois pas les raisons qui pourraient nous conduire à remettre en cause ce principe qui a démontré son efficacité et qui est conforme à notre jurisprudence.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Deuxièmement, il semble nécessaire de préciser le point de départ de la garde à vue. Si le droit à un avocat est désormais acquis, son arrivée ne doit pas conduire à paralyser l'audition, donc à bloquer l'enquête.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Je pense à des crimes particulièrement graves comme l'enlèvement ou la séquestration d'une personne, en particulier d'un enfant : les premières heures de l'enquête sont déterminantes pour retrouver la victime saine et sauve. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement visant à autoriser l'officier de police judiciaire à commencer l'audition de la personne gardée à vue dès lors que l'avocat est prévenu.

En troisième lieu, la participation de l'avocat aux auditions ne doit pas constituer un frein à la manifestation d'éléments essentiels à l'établissement de la vérité. À ce titre, il m'apparaît contraire aux intérêts de l'enquête, dans certaines affaires, qu'un même avocat puisse représenter plusieurs personnes gardées à vue simultanément. Dès lors que l'avocat aura eu connaissance de l'ensemble des informations révélées par la personne gardée à vue, et sans remettre en cause sa probité, comment pourra-t-il demeurer neutre dans les conseils prodigués ?

Enfin, je suis convaincu de la nécessité de mieux préciser les modalités d'intervention de l'avocat, notamment en ce qui concerne la consultation du dossier, qu'il faut proscrire au stade de l'enquête dans le but de veiller à l'équilibre et à la préservation des objectifs de l'enquête.

Ce texte sera une réussite si nous aboutissons à un équilibre entre droits de la défense et droits des victimes, une réussite si les moyens d'investigation sont préservés et si les résultats en matière d'élucidation continuent de progresser. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marylise Lebranchu

Si ce débat est intéressant, on peut cependant regretter, monsieur le ministre, d'avoir l'impression que cette législature s'achève par où elle aurait dû commencer. Nous aurions aimé que soient menées certaines réformes sur la procédure pénale, ce qui nous aurait permis d'avoir une vraie discussion sur la garde à vue mais aussi sur le code de l'organisation judiciaire. Bref, vous avez quelque peu mis la charrue avant les boeufs, légiféré petit morceau par petit morceau avant, sous la contrainte, de vous atteler très vite à la réforme alors que le groupe socialiste avait présenté quelques propositions qui auraient permis de ne pas autant attendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Marylise Lebranchu

Plusieurs de nos collègues, depuis longtemps, réclament une telle réforme, convaincus par la dégradation des conditions actuelles de la garde à vue, notamment en raison de la détérioration des conditions d'accueil à l'intérieur des commissariats ; et je pense aussi aux victimes, monsieur Jung. La dégradation des conditions de la garde à vue est telle que nous devons présenter des arguments qui ne font pas honneur à la France, tout le monde l'a souligné.

Mes discussions avec plusieurs d'entre vous, vos interventions renforcent ma conviction que le débat est complexe et mérite d'être prolongé afin que nous puissions nous accorder sur certains points.

Par exemple, notre collègue Éric Ciotti vient de déclarer avec bonne foi qu'il faut, dans les cas de crimes graves comme les enlèvements d'enfants, que les policiers puissent déroger aux règles de la garde à vue telles que les prévoit le texte. Lorsqu'il s'agit de la sauvegarde de la vie humaine, monsieur Ciotti, les policiers qui font bien leur métier peuvent déjà s'abstraire de certaines procédures à condition, évidemment, d'en prévenir le magistrat, ou les magistrats si le texte est adopté. Nous devons prêter attention à ce que nous écrivons, à ce que nous faisons car le mieux peut être l'ennemi du bien. Ainsi on sera fondé à vous demander ce que recouvre la notion de « cas grave ». Laissons aux officiers de police judiciaire, sous le contrôle des magistrats, le pouvoir de mener l'enquête comme ils l'entendront, dans le cas où il s'agira de sauver une vie humaine, les avocats pouvant dénoncer tout éventuel vice de procédure.

Certains réclament la possibilité de demander à un prévenu de décliner son identité s'il fait valoir son droit au silence. Si droit au silence il y a, il doit être respecté ; je renvoie à la jurisprudence Miranda. Nos amis d'outre Atlantique avaient trouvé une réponse à cette difficulté : quand le droit au silence empêche l'officier de police judiciaire de savoir à qui il a affaire, il peut utiliser les moyens scientifiques permettant de déterminer l'identité du prévenu. Au lieu de préciser que celui-ci sera « obligé » de divulguer son identité, adoptons donc des dispositions qui se révéleront plus efficaces.

En outre, l'institution d'un délai de carence de deux heures, avant l'expiration duquel la première audition de la personne gardée à vue ne pourra pas débuter, pose problème. Nous devons nous montrer pragmatiques et avoir à l'esprit le temps que prendra le fait de devoir prévenir le barreau, le bâtonnier, etc. Je me souviens avoir eu à faire adopter des textes récrits ensuite à deux ou trois reprises parce qu'ils s'étaient révélés inopérants. Soyons donc prudents.

Un débat porte sur le point de savoir si le contrôle de la garde à vue doit être confié aux procureurs ou aux magistrats du siège, mais il nous enferme. Il est tout à fait imaginable, pendant les premières heures, de confier le tout au procureur, avant d'en appeler au juge du siège uniquement pour la prolongation de la garde à vue si elle est nécessaire. Monsieur le ministre, vous êtes victime de la situation dans laquelle nous sommes. Depuis longtemps, nous demandons avec force, et non sans arguments, que soit revu le statut actuel des procureurs, qui ont besoin de soutien, qui en ont assez de tout ce que l'on peut dire de leur absence d'indépendance, mais qui en ont assez aussi, peut-être, de voir leur carrière dépendre entièrement des gardes des sceaux successifs.

Cela nous conduira, y compris à partir d'un texte que vous n'avez pas forcément voulu, en ce mois de janvier, à reposer la question de ce que signifie « autorité judiciaire », de ce que signifie « indépendance du parquet », et de ce que signifie, ensuite, l'obligation pour les procureurs d'obéir aux instructions de politique pénale. La chaîne hiérarchique chancellerie-parquet ne pourra fonctionner que le jour où la garantie de nomination sera acquise.

Il s'agit d'un vrai débat qu'il faudrait que nous reprenions. Chacun peut donc constater que ce texte sur la garde à vue ouvre, un à un, tous les sujets qui n'ont pas été traités.

Il est difficile d'entendre, d'une part, notre collègue M. Garraud, qui a été magistrat, nous dire que le parquet n'est pas une partie, pour entendre ensuite, d'autre part, l'un de ses collègues appartenant à la même famille politique affirmer que oui, le parquet est une autorité poursuivante.

Debut de section - PermalienPhoto de Marylise Lebranchu

À partir du moment où la Cour de cassation le dit, soyons prudents, monsieur Garraud. Prenons garde de ne pas voter un texte qui risque d'être retoqué à son tour par une cour ou par une autre.

Nous sommes prêts à participer à ce débat. Nous ne sommes évidemment pas certains d'avoir raison à 100 % sur tous les aspects du texte ou dans sa critique. Essayons donc, au fil des amendements, d'avancer vers des solutions qui, juridiquement, tiennent la route et qui concilient – nous sommes tous d'accord sur cet objectif – la nécessité que les officiers de police mènent bien l'enquête et la garantie des libertés. Ces deux exigences sont conciliables. Le vice de départ de nos débats, tient au fait que nous nous soyons opposés entre tenants de la nécessité d'une enquête bien menée et ceux privilégiant le respect des libertés.

Ce qui m'inquiète, c'est tout ce qu'il va falloir faire après l'adoption de ce texte. Ainsi la présence de l'avocat aura un coût. Il y a très longtemps, un rapport avait été remis au garde des sceaux, qui n'a jamais été suivi d'effets, et qui recommandait le passage de l'indemnisation des avocats à leur rémunération juste. Il faudra bien que l'on s'y attelle un jour. Même avec une simple indemnisation, nous aurons à financer une dépense lourde. Or cela n'est pas prévu dans le texte, alors que ses dispositions seront applicables dans quelques semaines. Il faudra donc une décision modificative, peut-être un collectif budgétaire pour régler ce problème.

Plus grave encore, monsieur le ministre, voyez-vous les magistrats se battre la nuit ? Alors qu'il est déjà difficile d'être d'astreinte les magistrats devront répondre le matin, de bonne heure ; ce ne sera peut-être pas la peine d'aller les chercher pendant la nuit. Il faudra des magistrats, des policiers, des locaux pour que cela fonctionne ! Faute de moyens ce texte risque de ne pas être applicable.

Regardez la carte judiciaire. D'ores et déjà des lieux de garde à vue sont à quatre heures de route du barreau le plus proche. Comment allons-nous faire, monsieur le ministre ? Regrouperez-vous tous les lieux de garde à vue là où l'on a regroupé les tribunaux ? Voilà des questions qui se posent. Moi, je n'y tiens pas du tout. Je pense même que la réforme de la carte judiciaire a été une erreur monumentale, et je continue à maintenir ce point de vue. Qu'il s'agisse de l'organisation judiciaire ou des moyens, y compris en ce qui concerne le nombre d'officiers de police et de gendarmes à disposition, qu'il s'agisse de faire en sorte – et c'est parfois difficile – que les enquêtes qui s'ouvrent avec la garde à vue puissent être menées et ne s'encalminent pas, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Tout au long du débat, nous serons donc très attentifs aux évolutions du texte sur tel ou tel point.

Il ne faut plus jamais parler d'« audition libre ». Si quelqu'un se rend librement dans un commissariat de police, il discute librement avec l'officier de police. Il était dommageable d'imaginer qu'il puisse en être autrement. Si cette idée a bien disparu – nous en aurons confirmation au cours du débat –, nous pourrons évoluer ensemble. J'ai entendu M. Perben en appeler à la recherche de convergences. Nous pouvons en trouver, même si, sur certains points, nous aurons du mal. Quoi qu'il en soit, il faudra revenir, ici, pour discuter des moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Gérard

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons aujourd'hui à une étape décisive de nos travaux sur la réforme de la garde à vue, réforme qui doit être achevée au 1er juillet 2011. Cette étape est déterminante, car, après de nombreux débats en groupe de travail ou en commission des lois, des interrogations demeurent sur plusieurs points de la réforme.

Celle-ci nous propose la mise en place d'une nouvelle garde à vue assurant davantage les droits de la défense et répondant aux cas strictement nécessaires à l'enquête ; ces exigences font suite aux dernières décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme.

Tout le monde s'accorde à reconnaître que les gardes à vue sont aujourd'hui trop nombreuses. Cela entraîne une certaine banalisation de cette mesure, qui touche un nombre élevé de nos concitoyens. Il faut rappeler que la garde à vue n'est pas un acte anodin, dans la mesure où elle entraîne une privation de liberté. Dans ce sens, la volonté affirmée par le Gouvernement de voir diminuer le nombre de gardes à vue et d'en encadrer l'usage doit être saluée.

Cela a été dit, les enjeux de cette réforme sont nombreux, l'équilibre recherché entre droits de la défense et besoins de l'enquête doit guider nos travaux et nos décisions. L'admission de la présence de l'avocat tout au long de la garde à vue, et ce dès le début de la mesure, sa présence durant les auditions, la possibilité qui lui est donnée de poser des questions, sont autant d'avancées majeures qui permettront une amélioration effective des droits de la défense. Cet élargissement des prérogatives de l'avocat a alimenté nos débats et des avancées ont été votées en commission : le délai de carence introduit en commission me semble important puisque les barreaux vont devoir eux-mêmes s'organiser pour garantir cette assistance sur l'ensemble du territoire vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Cette mise en oeuvre n'entraînera pas les mêmes implications que l'on soit à Paris ou en province. Il faut en être conscient. Les barreaux vont devoir regrouper leurs forces et je pense que la question de la création de barreaux régionaux est réellement posée au travers de cette réforme.

Plusieurs interrogations ont également été formulées quant à la possibilité pour un avocat d'assister plusieurs personnes mises en cause dans une même affaire. N'oublions pas que les avocats sont soumis à des obligations déontologiques qu'ils ont l'obligation de respecter ; il ne faut pas la sous-estimer. Son respect est soumis à la censure des ordres professionnels. C'est la force des barreaux. C'est leur honneur.

Quant au contrôle de la garde à vue et aux implications de la jurisprudence actuelle sur ce contrôle, doit-il être confié au procureur ou à un juge du siège ? En tant qu'ancien avocat, je vais peut-être surprendre mes confrères. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a donné lieu à plusieurs analyses et il convient d'appuyer la position du Gouvernement sur ce point en reconnaissant le rôle du procureur en la matière au nom du principe de réalisme et d'efficacité.

Pour avoir exercé cette profession pendant vingt-cinq ans, je reconnais que les magistrats du siège sont libres, certes, mais ils n'ont pas l'obligation de résidence, à l'exception des chefs de juridiction. Comment voulez-vous faire fonctionner cette réforme sans les magistrats du parquet ? Il serait totalement illusoire d'imaginer que tous les magistrats du siège pourraient être suffisamment présents dans leur juridiction, compte tenu de la manière dont s'exerce leur profession. Il faut oser le dire, sans faire insulte à qui que ce soit, notamment pas à cette noble profession de magistrat.

Il est un autre point que je tiens à souligner : la non réintroduction par le Gouvernement de l'audition libre.

À cet égard, il convient de saluer ici la sagesse du Gouvernement, qui respecte ainsi le souhait de nombreux parlementaires exprimé en commission des lois contre la mise en place de ce nouveau régime. En effet, en matière de protection des libertés publiques, il ne peut y avoir de petite et de grande garde à vue. Si je comprends que, au nom du principe d'efficacité, l'idée de l'audition libre pouvait se justifier, il ne faut pas opposer les services de police aux avocats, qui ne sont pas, dans la pratique, des empêcheurs de prouver en rond. La mise en place d'une réforme équilibrée et respectant le rôle de chacune des parties en présence devra permettre la manifestation de la vérité. Les moyens scientifiques, techniques, technologiques, aideront la police, mais ils auront incontestablement un coût.

Je tiens également à mettre en avant les améliorations des conditions de garde à vue prévues par le texte sur lequel nous débattons pour un meilleur respect de la dignité du gardé à vue : ainsi la personne placée en garde à vue se verra notifier son droit au silence et les fouilles au corps intégrales pour des questions de sécurité seront proscrites.

Nous sommes donc en charge d'une réforme qui est nécessaire et qui constitue un premier pas vers la réforme de notre procédure pénale. Nous convenons tous que le régime de la garde à vue doit être adapté, sans stigmatisation de la police, qui fait un travail remarquable. Nous saluons le renforcement des droits de la défense, mais aussi, monsieur le ministre, de ceux des victimes, qu'il ne faut pas oublier. Ces droits sont renforcés par l'adoption d'un amendement du rapporteur prévoyant le droit, pour la victime d'une infraction, à être assistée par un avocat si elle est confrontée avec une personne gardée à vue qui est elle-même assistée. Il était impérieux de rappeler que, si les libertés publiques sont l'honneur d'une démocratie, la protection des plus faibles, c'est-à-dire des victimes, est le premier devoir de l'État. Il nous appartient, ici, de concilier ces deux objectifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Langlade

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi relatif à la garde à vue intervient dans un contexte bien particulier. En l'espace d'un semestre, une décision du Conseil constitutionnel, deux arrêts de la Cour de Cassation et deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme se sont prononcés sur les régimes dérogatoire et de droit commun de la garde à vue.

La décision du 30 juillet 2010 du Conseil constitutionnel a ainsi déclaré le régime de droit commun de la garde à vue contraire à la Constitution, charge au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité d'ici au 1er juillet 2011.

La chambre criminelle de la Cour de cassation dans ses arrêts du 19 octobre 2010, a considéré que certaines règles actuelles de la garde à vue n'étaient pas conformes aux exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans un arrêt précédent, du 6 mai 2003, la Cour de cassation a estimé que la garde à vue ne s'imposait que si la personne était mise, sous la contrainte, à la disposition de l'officier de police judiciaire pour les nécessités de l'enquête.

Comme l'explique le rapport Léger, du 1er septembre 2009, même si la garde à vue est un outil indispensable pour la manifestation de la vérité, elle n'offre pas assez de garanties des droits de la défense. Il relève à juste titre que l'accroissement et la quasi-systématisation de son utilisation nous interrogent sur les conditions de sa mise en oeuvre.

En cinq ans, le nombre de personnes mises en garde à vue a doublé, et il a triplé en l'espace de dix ans. Quelle ne fut pas notre déception à la lecture de votre projet de loi, qui n'assure, à vrai dire, que le service minimum. S'il prévoit le renforcement du rôle de l'avocat, il ne prend pas en compte les jurisprudences pourtant nombreuses et constantes de la CEDH et de la Cour de cassation.S'il prévoit le renforcement du rôle de l'avocat, il ne prend pas en compte les jurisprudences, pourtant nombreuses et constantes, de la CEDH et de la Cour de cassation.

Nous, législateur, ne devons pas passer à côté de cette nécessaire évolution, pour ne pas dire révolution. Le changement de culture auquel nous invitent les différentes décisions du second semestre de 2010 est important. Il permet et garantit un certain nombre de droits de la défense, mais aussi de tout un chacun, droits contenus dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou encore dans la Convention européenne des droits de l'homme.

De plus, nous nous devons de légiférer positivement, eu égard aux évolutions des législations de nos voisins européens ou encore de celle de l'Union. En novembre 2009, le Conseil a ainsi adopté une feuille de route qui vise à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Cette feuille de route comprenait plusieurs mesures, dont le droit à la traduction et à l'interprétation, l'information des droits et de l'accusation, l'assistance d'un conseiller juridique et l'aide juridictionnelle, la communication avec les proches et les garanties particulières accordées aux personnes vulnérables lorsqu'elles sont poursuivies.

L'article 63-1 du code de procédure pénale contient les principes rappelés dans la directive relative au droit à l'interprétation et à sa traduction dans les procédures pénales adoptée le 20 octobre 2010. Par ailleurs, une proposition de directive relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, présentée par la Commission en juillet 2010, est en cours d'élaboration pour l'été 2011.

Dans votre rapport, mon cher collègue, vous indiquez bien que la position des autorités françaises dans les négociations en cours est liée aux termes dans lesquels sera adopté le présent texte. Aussi, ne serait-il pas pertinent de doter notre pays d'un arsenal législatif fort, qui créditerait sa position et renforcerait sa voix auprès de nos voisins européens ?

Je vous invite instamment à poursuivre l'élan de la loi du 15 juin 2000 de notre collègue Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux et ministre de la justice du gouvernement Jospin, loi qui donnait, à l'époque, des droits nouveaux aux personnes placées en garde à vue, notamment celui d'une visite médicale.

Dans une tribune du journal Le Monde parue le 9 avril 2010, le directeur général de la police nationale indiquait être conscient du problème posé par l'inflation du nombre de gardes à vue, estimant que ce chiffre ne devait pas servir d'indicateur de résultat pour la police. L'augmentation du nombre de gardes à vue est, pour lui, un problème au regard des libertés publiques. Lors de son discours à l'occasion de l'installation de la CNCDH le 21 juillet 2009, le Premier ministre a précisé que la garde à vue ne pouvait pas être un instrument banal de procédure et estimé que la privation de liberté était un acte grave qui devait rester exceptionnel.

Le droit, chers collègues, ne doit pas se confondre avec la force. Jean-Jacques Rousseau indique, à juste titre, au chapitre III, livre Ier, du Contrat social, que « sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause. Sitôt qu'on peut désobéir impunément, on le peut légitimement. Et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort ! Or, qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse ? » Machiavel précise, lui, que la légitimation de la violence doit rester exceptionnelle car « on ne saurait justifier systématiquement la réalisation d'une fin morale par des moyens immoraux ».

Ainsi, la garde à vue doit être strictement nécessaire et proportionnée à la gravité des faits reprochés. Il faut que soit garantie une procédure équitable, tout en permettant le déroulement efficace de l'enquête. Or prévoir comme seuil pour le placement en garde à vue la commission d'une infraction punie d'une peine d'emprisonnement et prévoir la possibilité de prolonger cette mesure dès lors que l'infraction est punie d'un an d'emprisonnement aura peu d'impact pour diminuer l'usage de cette mesure, dès lors que peu de délits sont punis d'une peine autre que l'emprisonnement ou d'une peine inférieure à un an d'emprisonnement.

Vous vous contentez d'inscrire dans votre texte les objectifs auxquels la garde à vue doit répondre, à savoir l'exécution des investigations, la présentation de la personne devant le procureur, la préservation de la preuve, l'arrêt de l'infraction, les risques de pressions sur les victimes, la concertation avec les éventuels complices.

Or il nous paraît essentiel que la garde à vue reste exceptionnelle et que le maintien des régimes spéciaux, qui n'est plus accepté par la Cour de cassation, y soit rappelé ; que la dignité de la garde à vue soit érigée en principe ; que des solutions soient proposées pour éviter les mises en garde à vue dites « de confort », notamment la nuit, en ouvrant la possibilité de convoquer l'intéressé dès l'arrivée de l'équipe de jour ; que la durée des auditions des suspects comme des témoins soit strictement limitée à quatre heures, afin d'éviter les détournements de procédure.

Je souhaite aborder également le cas de l'audition hors garde à vue, à laquelle vous avez renoncé, monsieur le ministre.

Nous nous étonnons qu'aucun droit ne soit accordé à la personne auditionnée, contrairement à la personne gardée à vue, quant à la durée maximale de sa présence et aux droits qui sont les siens, à savoir l'informer de sa liberté d'aller et venir et de mettre fin à tout moment à l'audition ; de la possibilité qui lui est ouverte de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; de la possibilité de téléphoner à un proche ainsi qu'à son employeur ; d'être entendue assistée d'un avocat.

La mise en oeuvre de cette nouvelle procédure exige plus de moyens matériels et humains, tant pour la police que pour la justice. La question de l'insuffisance des moyens à leur disposition est posée par tous. À cet égard, l'opposition des policiers à l'égard de ce texte est due, selon leurs propres dires, au fait que la majorité des locaux de police n'est pas adaptée à la présence constante d'avocats.

Pour conclure, monsieur le garde des sceaux, je vous propose que nous méditions ensemble les propos du procureur général, M. Jean-Louis Nadal, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 7 janvier dernier : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l'opinion des sentiments bas en instillant la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, tout cela avilit l'institution et, en définitive, blesse la République. »

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Goasguen

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cher Journal Officiel qui reproduit nos débats (Sourires.), je remercie tous ceux qui ont eu la patience d'attendre mon intervention en cette heure tardive.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Goasguen

Leur attente ne sera pas vaine, car j'espère apporter des éléments nouveaux à ce débat très riche et très constructif.

Votre texte, monsieur le ministre, est important, même s'il présente quelques lacunes. On accuse régulièrement la droite d'avoir oublié la question de la garde à vue, mais qu'on ne s'y trompe pas : de ce point de vue, la droite et la gauche sont à mettre sur le même plan ! La loi de 2000, que l'on doit à Mme Guigou, est certainement une loi très intéressante sur la présomption, mais elle n'organise pas la présence de l'avocat dès la première heure. Le sujet essentiel du texte que nous examinons actuellement n'est pas du tout le même que celui de la loi de 2000 : la grande avancée du projet proposé par le Gouvernement réside dans le fait que la présence permanente de l'avocat, dès la première heure de garde à vue, est désormais acquise.

Quelles que soient les circonstances nous amenant à traiter ce sujet en urgence, il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'un atout majeur, en dépit des quelques inconvénients qu'il peut présenter. Le principe retenu est un principe essentiel qu'il est tout à l'honneur de la majorité parlementaire actuelle de soutenir, même si les débats ont été denses en commission des lois.

Si l'évolution que nous souhaitons mettre en oeuvre est difficile, c'est parce que notre droit est fondé, depuis le xve siècle, sur la prééminence de la puissance publique et de l'aveu lors du procès : il s'agit de la procédure inquisitoriale, une spécificité française héritée d'un passé ecclésiastique et ayant traversé la Révolution et l'Empire contre vents et marées. La puissance publique a d'ailleurs encore des défenseurs au sein de notre assemblée, partisans d'une procédure qui met la France à l'écart de l'ensemble de la communauté internationale, spécificité dont on se passerait bien. Certes, j'aime beaucoup le juge Roy Bean et « la loi à l'ouest du Pecos », comme il s'appelait lui-même…

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Goasguen

…mais il faudra bien, un jour ou l'autre, que la France se décide à adopter une procédure conforme aux règles de droit communément acceptées. Il n'y a pas un pays en Europe, à l'exception de la Belgique, qui n'accepte pas le principe de la présence d'un avocat dès la première heure. Et que l'on ne me parle pas du droit anglo-saxon car, à ma connaissance, l'Allemagne n'est pas de droit anglo-saxon, pas plus que l'Italie ou l'Espagne ! En réalité, tous les pays démocratiques sont dotés d'une procédure dans laquelle, conformément à la conception générale du droit, l'avocat est présent dès la première heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Goasguen

Le texte qui nous est proposé satisfait à ce principe, mais y satisfait-il totalement ? Nous devons encore en débattre, même si les discussions ayant déjà eu lieu ont permis de rapprocher nos points de vue.

L'un des premiers points difficiles que nous aurons à régler est celui de l'intégration de l'enquête à la procédure. Je sais que ce principe heurte certaines personnes, mais je rappelle que, au xixe siècle, le juge d'instruction était dispensé d'avocat. Lorsque l'avocat a pu s'asseoir en face du juge d'instruction, cela a été tellement populaire que le juge a dû se doter d'une procédure lui permettant d'éviter l'avocat : la commission rogatoire. Nous allons parvenir à une procédure où, après trois siècles, l'avocat ne sera plus l'élément gêneur, mais l'élément essentiel de la procédure.

C'est tout à l'honneur de la police que d'accepter cette procédure. En réalité, elle aura tout à gagner, en termes de considération, à admettre la présence de l'avocat à ses côtés. On entend en effet trop souvent proférer des accusations sans fondement au sujet de la police. Connaissant bien les procédures de police, je suis en mesure d'affirmer que 99,99 % d'entre elles ne sont entachées d'aucune atteinte aux droits fondamentaux, et que la plupart des gardes à vue se déroulent conformément au droit. Pourtant, la seule absence de l'avocat suffit à donner à la police une image qui n'est pas celle qu'elle devrait avoir. En tout état de cause, je suis persuadé que la police parviendra à s'accommoder de cette procédure ; il le faudra bien.

La question qui risque de poser vraiment problème est celle de la compatibilité de l'évolution générale du droit, qui tend à une procédure contradictoire, avec cet élément essentiel du droit français qu'est le représentant de la puissance publique, à savoir le procureur. Plusieurs interrogations se posent.

Ainsi, le délai de carence sera utilisé, comme cela était précédemment le cas avec le juge d'instruction : si vous laissez place au moindre interstice, la notion de puissance publique, dominante dans la procédure, reprendra ses droits, et le délai de carence deviendra de plus en plus un délai d'absence.

De la même manière, je suis persuadé que les douze heures qui sont accordées feront l'objet d'une jurisprudence, et cela sera long et pénible, car il faudra, bien entendu, que le procureur explique les raisons du recours à ces circonstances exceptionnelles, qui risquent de devenir habituelles – voire de recours devant le Conseil constitutionnel, avec le risque d'une annulation, laquelle serait préjudiciable à la vision que l'on peut avoir de notre droit.

De ce point de vue, je partage totalement l'avis de la Cour de cassation – permettez-moi de le souligner, même si je me soumettrai à la décision du groupe – sur les régimes spéciaux. Fondamentalement, cette histoire ne tient pas debout ! Croyez-vous que les terroristes vont parler au bout de quatre jours, alors que les Américains, même à Guantanamo n'y sont pas parvenus en dix ans. C'est une plaisanterie !

Le fait que quelqu'un soit accusé de graves délits ou de crimes n'interdit absolument pas que l'avocat soit présent. L'énumération des avocats susceptibles de participer au procès dans les régimes spéciaux est, sinon une véritable insulte, du moins une forme de discrimination à l'égard des avocats. Certains pourront venir, tandis que d'autres n'auront pas ce droit ! Suivant quels critères ? Comment les barreaux pourront-ils accepter cette exception ?

Ces aspects, monsieur le garde des sceaux, ne dénaturent pas l'élément essentiel de votre loi, mais ils prêtent tout de même à discussion.

Je tiens également à vous indiquer, chers collègues de gauche, que vous êtes dans une position qui n'est pas tenable. Vous vous fondez sur cette idée que, à terme, vous obtiendrez que le procureur soit indépendant. Or ce n'est pas du tout cette conception qui doit être dominante dans le droit moderne. Au contraire, cela va vous enfermer sur le problème de la garde à vue et conforter les critiques adressées au système français en donnant à la puissance publique, qui sera désormais une puissance publique indépendante, un rôle majeur dans notre procédure.

Nous sommes un certain nombre à préférer une procédure contradictoire. En effet, il y a deux métiers qui sont, de toute évidence, totalement différents, même si, nominalement, il s'agit toujours d'un magistrat.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Goasguen

Il y a le métier de parquetier, d'un côté, et, de l'autre, celui de juge du siège.

Il faudra bien qu'un jour ou l'autre ce soit le juge qui soit l'arbitre des procédures, menées d'un côté par le parquetier – qui est peut-être un magistrat comme le juge, mais qui a une fonction différente – et, de l'autre, par les atouts de la défense. C'est cela, le droit moderne ; ce n'est pas le procureur indépendant, que nous avons refusé dans un débat, ici même, il y a quelques années.

Vous faites donc fausse route. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous êtes très gênés sur ce texte. En effet, au fond, la garde à vue en première heure n'est pas un problème essentiel pour vous, du point de vue des principes, mais vous estimez qu'à terme vous allez créer un procureur indépendant et vous pensez qu'avec lui tout s'arrangera. Non, rien ne s'arrangera ! Nous serons encore plus à l'écart des procédures modernes contradictoires, qui sont désormais le droit commun, non seulement de l'Europe, mais du monde.

C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je voterai votre texte : je suis fidèle aux arbitrages qui interviennent au cours des débats parlementaires. Néanmoins je souhaite que vous soyez très attentif aux dangers que comporte ce texte et, surtout, à l'évolution d'un système de procédure qui doit nous rapprocher – sans imitation, en gardant la spécificité française, mais dans un esprit de progrès – de ce que nos voisins européens font avec tout de même un certain succès.

En effet, il n'y a pas que la France qui est capable d'arrêter les délinquants : les autres pays, avec la présence de l'avocat, ont des résultats identiques. C'est dire que l'avocat n'empêche pas forcément l'arrestation des délinquants. Au contraire, dans un certain nombre de domaines, sa présence ne nuit pas, tout en assurant la justice. C'est exactement ce que vous voulez : garantir à la fois la sécurité et le respect du droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

La parole est à M. Jean Lassalle qui sera le dernier orateur ce soir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Lassalle

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce n'est vraiment pas un cadeau pour moi de passer après une plaidoirie aussi brillante que celle que vient de prononcer Claude Goasguen ! (Sourires.) Je monte à cette tribune empreint d'une très grande humilité, d'autant que je suis le dernier intervenant de la soirée.

Je me réjouis, monsieur le ministre, du climat dans lequel se déroule ce débat depuis qu'il a commencé. Cela fait honneur aux institutions de notre pays, en particulier à l'une des plus anciennes et des plus fondamentales, je veux parler de la justice.

Nous sortons tous des voeux de bonne année aux tribunaux, parquets et autres institutions judiciaires. Nous avons entendu toutes les personnalités qui y participent faire état, bien des fois, de leurs craintes, de leurs doutes, de leurs états d'âme et, parfois même, aussi de leur enthousiasme. Sachant de plus que ce texte venait en discussion à l'Assemblée à la rentrée, nombreux étaient ceux – du moins dans mon département – qui m'en parlaient en me demandant ce que l'on allait faire sur tel ou tel aspect. Or ce que nous avons commencé à faire va dans le bon sens.

Il me semble que la justice a deux visages. L'un témoigne d'une inquiétude profonde par rapport à ses évolutions, dans ce monde qui avance très vite, où elle n'a pas le sentiment de se retrouver pleinement et d'être reconnue par la société et par les citoyens : il y a trop de gardes à vue et pas suffisamment de personnel ; l'encombrement des prétoires et des prisons est de plus en plus inextricable. D'après ce que j'ai entendu, les gens donnaient l'impression d'être au bout du rouleau.

D'un autre côté, il est étonnant d'entendre les magistrats et personnalités de la justice parler avec autant d'emphase et d'enthousiasme de leur métier, de ce qu'ils font. J'ai toujours été très frappé, lors de ces moments de connivence et de joie, de voir que, au fond, la justice est le dernier salon où l'on cause. En effet, les choses sont codifiées et l'on ne peut pas interrompre, comme en politique, celui qui parle. (Sourires.) Celui-ci peut donc aller jusqu'au bout de son exposé et l'on a par conséquent la possibilité d'en suivre la logique et de comprendre ce qu'il veut dire.

S'il y a effectivement un encombrement et une multiplication par trois des gardes à vue, pour arriver au chiffre tout à fait effrayant de 900 000 de nos concitoyens qui passent tous les ans en garde à vue, je me dis que c'est peut-être parce que nous avons pris des décisions malheureuses dans un passé plus ou moins récent.

L'éloignement de la justice par rapport au justiciable n'est pas une bonne chose, de la même manière que pour la police et la gendarmerie. Je suis dans une région où l'on peut en parler en toute connaissance de cause. Tout cela a peut-être été fait trop rapidement. C'est certainement regrettable.

Pour le reste, je pense que nous arriverons à un texte équilibré et moderne, répondant aux aspirations de la justice d'aujourd'hui. Cependant, cela n'est pas simple. En effet, depuis tant de siècles, des philosophes, des penseurs, des écrivains, des hommes de droit et, aujourd'hui, des cinéastes se sont penchés sur la question, sur cet incroyable face-à-face entre un homme qui détient la vérité, au nom du peuple français, et celui qui – peut-être – a commis un méfait, mais qui est a priori innocent.

Très sincèrement, en un mot comme en mille, c'est un progrès que de s'adapter et de donner à celui qui est en garde à vue, dès la première heure, la possibilité de se faire assister. Il faut le faire correctement, avec les moyens nécessaires et en donnant aux avocats des rétributions suffisantes.

Comme vous, monsieur le ministre, j'ai vu des hommes et des femmes cassés à vie après une garde à vue. En effet, s'il y a, par définition, en garde à vue un certain nombre de coupables, on y trouve aussi beaucoup de personnes qui ne l'étaient pas et qui sont restées traumatisées parce qu'un jour, d'un instant à l'autre, tout a basculé. On ne s'attendait pas à une situation comme celle-là et on se trouve précipité vertigineusement dans un abîme que l'on n'aurait pas imaginé, dans des locaux se trouvant – tous nos collègues l'ont dit et répété – dans un état que l'on ne soupçonnait même pas.

En ce qui concerne le grand débat sur les juges du parquet et les juges du siège, je pense que nous allons, là aussi, trouver l'équilibre. Le parquet, avec le procureur de la République, est indispensable. Pour moi, il est l'un des garants du ministère public. Il est aussi le garant de la présomption d'innocence. Le juge du siège n'est pas toujours là. En ce qui me concerne, je ne suis pas choqué que ce soit le procureur ou le parquet qui prenne la main dans un premier temps et que, lorsque la procédure a avancé, le juge intervienne à son tour.

Ce qui est peut-être plus gênant dans ce texte, monsieur le ministre – mais je sais que vous en êtes conscient –, c'est que nous démarrions par l'un des aspects, certes les plus connus et les plus emblématiques, c'est-à-dire la garde à vue, sans avoir pu prendre connaissance de l'ensemble de la réforme que vous avez très certainement préparée. Nous aurions peut-être pu voir apparaître en filigrane les réponses qu'il convenait d'apporter de manière plus claire.

Enfin, mais il s'agit là d'une préoccupation personnelle, je suis un peu ennuyé que nous soyons obligés d'examiner ce texte sur prescription des institutions européennes relatives aux droits de l'homme ou de telle ou telle administration. Le peuple français et ses représentants sont assez grands pour décider quand ils doivent examiner leur procédure judiciaire, se pencher dessus, se donner le temps de la faire avancer et de lui donner les règles qui conviennent.

Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le garde des sceaux. Je n'ai pas l'impression d'avoir enfoncé plus de portes ouvertes que les collègues qui m'ont précédé, pas moins non plus ! (Rires.)

Je veux vous souhaiter – nous souhaiter – que nous arrivions à voter ce texte à l'unanimité. Ce serait une très belle réponse à tous ceux qui sont aujourd'hui taraudés par tant d'angoisse devant ce qui doit être tout de même une très grande garantie pour l'homme : la justice. Bien souvent, elle apparaît comme un instrument de coercition, qui fait peur, alors qu'elle doit apporter au contraire l'espoir. Celui qui a été touché au plus profond de lui-même bénéficiera ainsi d'une justice qui lui aura été donnée par les hommes. Je nous souhaite donc bonne chance ! L'avocat dès la première heure est une avancée digne de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 19 janvier 2011, à une heure trente.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,

Claude Azéma