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Intervention de Jean Lassalle

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Lassalle :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce n'est vraiment pas un cadeau pour moi de passer après une plaidoirie aussi brillante que celle que vient de prononcer Claude Goasguen ! (Sourires.) Je monte à cette tribune empreint d'une très grande humilité, d'autant que je suis le dernier intervenant de la soirée.

Je me réjouis, monsieur le ministre, du climat dans lequel se déroule ce débat depuis qu'il a commencé. Cela fait honneur aux institutions de notre pays, en particulier à l'une des plus anciennes et des plus fondamentales, je veux parler de la justice.

Nous sortons tous des voeux de bonne année aux tribunaux, parquets et autres institutions judiciaires. Nous avons entendu toutes les personnalités qui y participent faire état, bien des fois, de leurs craintes, de leurs doutes, de leurs états d'âme et, parfois même, aussi de leur enthousiasme. Sachant de plus que ce texte venait en discussion à l'Assemblée à la rentrée, nombreux étaient ceux – du moins dans mon département – qui m'en parlaient en me demandant ce que l'on allait faire sur tel ou tel aspect. Or ce que nous avons commencé à faire va dans le bon sens.

Il me semble que la justice a deux visages. L'un témoigne d'une inquiétude profonde par rapport à ses évolutions, dans ce monde qui avance très vite, où elle n'a pas le sentiment de se retrouver pleinement et d'être reconnue par la société et par les citoyens : il y a trop de gardes à vue et pas suffisamment de personnel ; l'encombrement des prétoires et des prisons est de plus en plus inextricable. D'après ce que j'ai entendu, les gens donnaient l'impression d'être au bout du rouleau.

D'un autre côté, il est étonnant d'entendre les magistrats et personnalités de la justice parler avec autant d'emphase et d'enthousiasme de leur métier, de ce qu'ils font. J'ai toujours été très frappé, lors de ces moments de connivence et de joie, de voir que, au fond, la justice est le dernier salon où l'on cause. En effet, les choses sont codifiées et l'on ne peut pas interrompre, comme en politique, celui qui parle. (Sourires.) Celui-ci peut donc aller jusqu'au bout de son exposé et l'on a par conséquent la possibilité d'en suivre la logique et de comprendre ce qu'il veut dire.

S'il y a effectivement un encombrement et une multiplication par trois des gardes à vue, pour arriver au chiffre tout à fait effrayant de 900 000 de nos concitoyens qui passent tous les ans en garde à vue, je me dis que c'est peut-être parce que nous avons pris des décisions malheureuses dans un passé plus ou moins récent.

L'éloignement de la justice par rapport au justiciable n'est pas une bonne chose, de la même manière que pour la police et la gendarmerie. Je suis dans une région où l'on peut en parler en toute connaissance de cause. Tout cela a peut-être été fait trop rapidement. C'est certainement regrettable.

Pour le reste, je pense que nous arriverons à un texte équilibré et moderne, répondant aux aspirations de la justice d'aujourd'hui. Cependant, cela n'est pas simple. En effet, depuis tant de siècles, des philosophes, des penseurs, des écrivains, des hommes de droit et, aujourd'hui, des cinéastes se sont penchés sur la question, sur cet incroyable face-à-face entre un homme qui détient la vérité, au nom du peuple français, et celui qui – peut-être – a commis un méfait, mais qui est a priori innocent.

Très sincèrement, en un mot comme en mille, c'est un progrès que de s'adapter et de donner à celui qui est en garde à vue, dès la première heure, la possibilité de se faire assister. Il faut le faire correctement, avec les moyens nécessaires et en donnant aux avocats des rétributions suffisantes.

Comme vous, monsieur le ministre, j'ai vu des hommes et des femmes cassés à vie après une garde à vue. En effet, s'il y a, par définition, en garde à vue un certain nombre de coupables, on y trouve aussi beaucoup de personnes qui ne l'étaient pas et qui sont restées traumatisées parce qu'un jour, d'un instant à l'autre, tout a basculé. On ne s'attendait pas à une situation comme celle-là et on se trouve précipité vertigineusement dans un abîme que l'on n'aurait pas imaginé, dans des locaux se trouvant – tous nos collègues l'ont dit et répété – dans un état que l'on ne soupçonnait même pas.

En ce qui concerne le grand débat sur les juges du parquet et les juges du siège, je pense que nous allons, là aussi, trouver l'équilibre. Le parquet, avec le procureur de la République, est indispensable. Pour moi, il est l'un des garants du ministère public. Il est aussi le garant de la présomption d'innocence. Le juge du siège n'est pas toujours là. En ce qui me concerne, je ne suis pas choqué que ce soit le procureur ou le parquet qui prenne la main dans un premier temps et que, lorsque la procédure a avancé, le juge intervienne à son tour.

Ce qui est peut-être plus gênant dans ce texte, monsieur le ministre – mais je sais que vous en êtes conscient –, c'est que nous démarrions par l'un des aspects, certes les plus connus et les plus emblématiques, c'est-à-dire la garde à vue, sans avoir pu prendre connaissance de l'ensemble de la réforme que vous avez très certainement préparée. Nous aurions peut-être pu voir apparaître en filigrane les réponses qu'il convenait d'apporter de manière plus claire.

Enfin, mais il s'agit là d'une préoccupation personnelle, je suis un peu ennuyé que nous soyons obligés d'examiner ce texte sur prescription des institutions européennes relatives aux droits de l'homme ou de telle ou telle administration. Le peuple français et ses représentants sont assez grands pour décider quand ils doivent examiner leur procédure judiciaire, se pencher dessus, se donner le temps de la faire avancer et de lui donner les règles qui conviennent.

Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le garde des sceaux. Je n'ai pas l'impression d'avoir enfoncé plus de portes ouvertes que les collègues qui m'ont précédé, pas moins non plus ! (Rires.)

Je veux vous souhaiter – nous souhaiter – que nous arrivions à voter ce texte à l'unanimité. Ce serait une très belle réponse à tous ceux qui sont aujourd'hui taraudés par tant d'angoisse devant ce qui doit être tout de même une très grande garantie pour l'homme : la justice. Bien souvent, elle apparaît comme un instrument de coercition, qui fait peur, alors qu'elle doit apporter au contraire l'espoir. Celui qui a été touché au plus profond de lui-même bénéficiera ainsi d'une justice qui lui aura été donnée par les hommes. Je nous souhaite donc bonne chance ! L'avocat dès la première heure est une avancée digne de notre pays.

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