Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Noël Mamère

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Il faut reconnaître qu'à l'époque, notre société n'était pas encore mithridatisée : les gens descendaient dans la rue pour protester contre une loi qui, à côté de la loi LOPPSI 2, était une rigolade de garçons de bain.

L'affirmation du doyen Vedel revient incontestablement à considérer que l'interrogatoire conduit par la police contre une personne placée sous contrainte fait basculer de l'enquête policière préalable au procès, à la phase judiciaire. C'est d'ailleurs à partir de cet interrogatoire que s'engage le processus qui met sur les rails une vérité policière qu'il sera très difficile de contester par la suite, et qui deviendra souvent la vérité judiciaire.

Notre collègue André Vallini l'a rappelé avec force : tous les scandales judiciaires de ces dernières années ont la même origine. Ils ont pour point de départ cette vérité policière issue des procès-verbaux d'interrogatoire établis durant la garde à vue. Cette vérité, relayée et amplifiée par la rumeur médiatique, parfois confortée par des prises de position de responsables politiques qui y ont eu accès avant l'autorité judiciaire, est finalement entérinée par la justice. Mais pourquoi l'institution judiciaire éprouve-t-elle donc tant de difficultés à remettre sur la bonne voie un processus mal engagé ? La réponse est simple : au cours du processus judiciaire qui suit la garde à vue, il est difficile de contredire le contenu d'interrogatoires transcrits noir sur blanc sur des procès-verbaux signés non seulement par les policiers mais également par les personnes interrogées.

Que se passe-t-il à l'issue de la garde à vue ? Les procès-verbaux d'interrogatoire sont transmis au procureur de la République, qui a d'autant moins de motifs de mettre en doute leur contenu que, dans la majorité des cas, celui-ci est conforme aux déclarations reçues spontanément ou quasi spontanément. Le juge commence lui aussi par lire les procès-verbaux, et c'est seulement ensuite qu'il entend les personnes concernée. Dès lors, quelles que soient les précautions sémantiques prises par le code de procédure pénale, le mis en examen, s'il a « avoué » devant la police, sera bel et bien un présumé coupable.

Aussi toute nouvelle réforme de la procédure pénale devrait-elle commencer par modifier radicalement l'objet de la garde à vue, en revenant à ce qu'elle était à son origine et à son sens étymologique : il s'agit de garder les personnes interpellées en flagrant délit, ou sur la base de charges résultant d'investigations effectuées en enquête préliminaire, le temps de les conduire devant un juge après en avoir informé leur avocat. C'est ensuite, devant un tribunal, que devrait s'ouvrir la première phase du processus judiciaire, avec l'exposé des charges résultant des procès-verbaux établis par la police, l'interrogatoire par le procureur, puis la contestation ou la reconnaissance de culpabilité par l'auteur présumé, assisté de son avocat.

L'avocat, et nous devrons veiller à ce que le projet de loi soit très clair sur ce point, ne doit donc pas se transformer en faire-valoir passif dont la présence donnera une force importante aux aveux passés lors des interrogatoires et rendra encore plus difficile qu'à l'heure actuelle une contestation ultérieure de ceux-ci.

Avant de conclure mon propos concernant les avocats, je voudrais m'arrêter sur un point essentiel : les garanties financières d'application de la réforme.

Le droit à l'assistance d'un avocat durant la garde à vue doit être assuré de manière efficace et efficiente. Or le projet de loi est silencieux sur les conditions d'intervention de l'avocat et, plus précisément, sur la rémunération de celui-ci. Actuellement, les avocats sont rémunérés à l'acte. La mise en oeuvre de la réforme va entraîner des sujétions nouvelles importantes comme le suivi de la garde à vue et l'assistance dans le cadre des auditions de jour comme de nuit. La précédente garde des sceaux, maintenant connue internationalement pour son souci d'investir dans l'exportation de notre savoir-faire en matière de coopération sécuritaire avec les dictatures, annonçait une dotation spécifique de 80 millions d'euros au titre de l'aide juridictionnelle. Pour les avocats, ce financement est nettement insuffisant. Dans les cas de personnes sans moyens devant recourir à l'aide juridictionnelle, l'avocat commis d'office devra passer de longues heures d'attente, d'entretiens, d'auditions, d'examen du dossier ; tout cela pour une indemnité dérisoire. Ce n'est pas acceptable d'autant, monsieur le ministre, que vous savez très bien que ce sont les conditions d'application d'une loi qui déterminent son efficacité dans la pratique.

Ainsi, sans financement pérenne de cette nouvelle garde à vue, sans financement de la prise en charge du droit de plaidoirie par l'État, cette réforme ne sera qu'un leurre pour satisfaire les instances européennes. Elle risque de se heurter à une insuffisance de moyens et de ressembler, malheureusement, à une nouvelle mascarade. C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le ministre, de nous apporter des réponses et de formuler des engagements lors des débats, car les inquiétudes liées au manque de moyens financiers risquent de se concrétiser rapidement.

Ainsi, en l'état actuel des effectifs des parquets, le contrôle des gardes à vue n'est pas assuré de manière satisfaisante. Les magistrats n'ont pas le temps de se rendre dans les commissariats. Le contrôle s'effectue par téléphone. L'officier de police judiciaire appelle le magistrat de permanence, lequel prend les décisions qui s'imposent au vu des éléments qui lui sont transmis téléphoniquement. Les procès-verbaux ne lui sont pas communiqués. À l'heure des nouvelles technologies de la communication, il faut envisager une transmission obligatoire, par voie électronique, des procès-verbaux, afin de permettre une intervention efficace du procureur de la République dans la procédure. Malheureusement, rien de tel n'est prévu dans votre texte. Quant aux contrôles sur les lieux de la garde à vue, on conviendra qu'ils supposeraient une augmentation des effectifs au sein des parquets. Rien de tel non plus n'est envisagé dans votre projet de loi.

Je conclurai mon propos en insistant à nouveau sur l'importance du débat qui se déroule dans cette enceinte. Le dérèglement du recours à la garde à vue a valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut rappeler que si notre pays a attendu vingt-cinq ans, de 1950 à 1974, pour ratifier la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si nous n'avons accepté les recours individuels qu'en 1981, c'est essentiellement en raison de l'absence de réglementation de la garde à vue avant 1958, puis de la faiblesse de sa réglementation dans le régime initial.

Nous devons donc en finir avec l'insécurité juridique instaurée par la garde à vue inquisitoriale pratiquée depuis des lustres. Nous devons en finir avec les pratiques de non-droit instaurées dans nos commissariats. Nous devons modifier les pratiques dès maintenant et intégrer le droit au silence qui est un droit incontournable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion