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Intervention de Michel Vaxès

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vaxès :

Monsieur le garde des sceaux, c'est au pied du mur que vous nous présentez aujourd'hui un projet de loi portant réforme de la garde à vue. Vous y êtes contraint par une convergence inhabituelle et quasi simultanée de décisions de trois juridictions : le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme.

Vous ne pouvez plus ignorer ces décisions ou feindre de croire qu'elles ne s'adressent pas à vous. En effet, dès 1996, et surtout depuis 2008, une série d'arrêts de la Cour européenne préconisent, de façon claire, la présence de l'avocat durant toute la durée de la garde à vue.

Néanmoins, tous ces arrêts ont été interprétés de façon très restrictive par les autorités françaises, justifiant ainsi l'immobilisme gouvernemental : « Les arrêts précités n'ont aucune force obligatoire pour la France, qui n'a jamais été condamnée par la CEDH pour violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison des conditions dans lesquelles les personnes en garde à vue ont accès à un avocat. »

Sans se laisser impressionner par cette interprétation ministérielle, le Conseil constitutionnel a, le 30 juillet dernier, constaté l'inconstitutionnalité de la garde à vue en France et donné au législateur jusqu'au 1er juillet 2011 pour remédier à cette inconstitutionnalité. Depuis le dépôt de ce projet de loi, la France a été condamnée le 14 octobre dernier par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment pour violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui exige que l'avocat puisse assister le gardé à vue lors de toutes ses dépositions. Elle rappelle également l'obligation d'informer le gardé à vue sur son droit à garder le silence.

Enfin, le 19 octobre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu trois arrêts qui font application directe de cette convention. Trois points essentiels ont été dégagés : l'avocat doit pouvoir assister son client notamment pendant les interrogatoires ; les régimes dérogatoires ne doivent pas faire obstacle à la présence de l'avocat ; enfin, il est nécessaire d'informer le gardé à vue de son droit au silence.

Ces décisions témoignent de la nécessité impérieuse de réformer la garde à vue en profondeur.

Je ne rappellerai pas les chiffres qui illustrent l'ampleur du scandale que représente le système français de la garde à vue. Il convient cependant d'insister sur l'augmentation, dans des proportions inédites, du nombre des gardes à vue ces dix dernières années. Désormais considérée comme un indicateur de performance dans la « culture de résultat » et la « politique du chiffre » imposées par Nicolas Sarkozy – alors ministre de l'intérieur – depuis 2002, la garde à vue est devenue un incontournable.

La réforme de la garde à vue que vous nous présentez intervient donc dans un contexte très particulier. Si nous soutenons bien évidemment le principe même d'une réforme du régime de la garde à vue, nous regrettons vivement que le Gouvernement n'ait pas saisi l'occasion d'une réforme d'ampleur.

Nous regrettons notamment que le Gouvernement se refuse toujours à modifier le statut du parquet, pourtant mis en cause par la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans son arrêt du 23 novembre 2010, la Cour de Strasbourg a estimé que le parquet français ne remplissait pas « l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif». Je rappelle simplement que, dans notre droit actuel, le magistrat du parquet est soumis hiérarchiquement au ministre de la justice et qu'il n'apporte pas les garanties d'impartialité nécessaires à une administration sereine de la justice. Je ferme cette parenthèse sans avoir besoin de rappeler quelques exemples récents qui montrent que le procureur, même général, met parfois beaucoup de temps avant de prendre certaines décisions, ce qui implique de recourir à un autre procureur afin que les décisions, qui s'inscrivent dans le sens de la vérité, puissent aboutir.

Pour en revenir au projet de loi que votre gouvernement a déposé, l'on ne peut manquer de souligner que certaines dispositions paraissaient aggraver la situation actuelle et violaient, de manière flagrante, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'agit principalement de la création d'une garde à vue sans droit, appelée audition libre, destinée à devenir le régime de droit commun. Sans limite de temps, elle ne s'accompagnait d'aucun des droits attachés à la garde à vue : assistance d'un avocat, droit de garder le silence, droit de prévenir ses proches ou encore de voir un médecin. Le Gouvernement espérait diminuer le nombre de gardes à vue en tablant sur le fait que les personnes suspectées préféreraient opter pour la liberté sans droits plutôt que de bénéficier des droits sans liberté.

Cette « garde à vue sans droit » permettait de priver une personne de droits avec son consentement. En découvrant cette proposition scandaleuse, on comprenait mieux pourquoi l'ancienne garde des sceaux, lors de la présentation du budget de la justice, avait affirmé qu'il n'était pas nécessaire d'augmenter l'enveloppe de l'aide juridictionnelle. Et pour cause : devenant une mesure subsidiaire, le nombre de garde à vue devait, en effet, chuter !

La commission des lois de notre assemblée a fort heureusement supprimé – et vous l'avez accepté, monsieur le ministre – tout le dispositif de l'audition libre mis en place par l'article 1er du projet de loi, en raison de l'absence de reconnaissance des droits au suspect entendu dans ce cadre. « C'est une histoire qui appartient au passé », nous ont dit certains collègues. Inutile donc d'en parler. Pour ma part, je pense au contraire qu'il faut en parler dans la mesure où cela correspondait à une intention réelle. Que vous y renonciez nous réjouit, mais nous n'oublions pas que l'audition libre avait pour but de contourner les obligations des dispositifs européens.

Pour le reste, le projet de loi est globalement insuffisant. Les avancées pour les libertés individuelles et les droits de la défense restent timides. Ce texte se contente d'accorder le minimum de droits nouveaux imposés par la convention et les différentes jurisprudences, tant européennes que nationales. Nous ne les sous-estimons pas. Parmi eux, la présence de l'avocat pendant toute la durée de la garde à vue est la plus essentielle. Toutefois, le régime proposé par le texte ne garantit pas – contrairement aux souhaits du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation – à la personne gardée à vue, pendant la durée entière de la mesure, le droit à l'assistance effective de l'avocat, lui permettant d'organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, auxquels l'avocat doit pouvoir participer : poser des questions et consulter le dossier au fur et à mesure de sa constitution.

En outre, il faut prendre en compte le coût de l'extension de la présence et du rôle de l'avocat sur le budget de l'aide juridictionnelle, laquelle devra donc être renforcée de manière substantielle, comme du reste les moyens consacrés à la formation des officiers de police judiciaire qui devront s'adapter aux évolutions législatives du texte.

Nous n'ignorons pas non plus l'affirmation du principe du respect de la dignité du gardé à vue, l'information de son droit de garder le silence, le droit de prévenir sa famille et son employeur. Ce sont autant d'avancées significatives. Elles restent néanmoins insuffisantes pour satisfaire tous ceux, et nous en sommes, qui attendaient une vraie réforme de la garde à vue qui réponde aux exigences d'une procédure pénale respectueuse des droits, attachée à assurer la protection des citoyens et les nécessités de la répression des infractions.

La prolongation de la garde à vue reste sous le contrôle du parquet, en violation des règles européennes. Le texte prévoit aussi la possibilité de repousser la présence de l'avocat à la douzième heure sans raisons objectives – le texte se référant à des « circonstances particulières » – tout comme il le fait pour la consultation des pièces du dossier par l'avocat. Le projet de loi maintient la présence différée – à la 48e ou 72e heures – de l'avocat dans des affaires de stupéfiants, de délinquance organisée ou de terrorisme. En outre, aucune assistance par l'avocat n'est envisagée pendant les auditions.

Ces régimes dérogatoires de garde à vue sont en contradiction avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il est tout de même préoccupant que vous fassiez preuve de tant de timidité lorsqu'il s'agit d'envisager la présence de l'avocat – auxiliaire de justice – pendant toute la durée de la garde à vue, alors qu'il est tout le même garant de la présomption d'innocence.

Votre projet de loi n'a pas prévu non plus l'enregistrement audiovisuel des auditions des personnes interrogées dans le cadre de la garde à vue ou hors de ce cadre. La généralisation de tels enregistrements constituerait pourtant, de l'avis du comité contre la torture des Nations unies, une garantie contre les risques de mauvais traitement des personnes en cause. À cet égard, il convient de noter que le projet de loi est en recul par rapport à l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale qui généralisait l'enregistrement audiovisuel sous certaines conditions.

Enfin, et c'est pour nous essentiel, votre projet n'offre pas de véritables avancées pour les mineurs. En effet, le texte maintient la possibilité de mettre le mineur en garde à vue alors que le régime de la retenue est largement suffisant. Il ne prévoit pas la présence obligatoire d'un avocat. Et, pour finir, il ne corrige pas de nombreux dysfonctionnements pourtant pointés par la commission nationale de la déontologie et de la sécurité, notamment en ce qui concerne l'information de la famille du mineur et l'examen médical.

Pour notre part, nous considérons qu'une protection renforcée doit être offerte à tous les mineurs. Nous avions fait des propositions en ce sens par voie d'amendements. Elles ont été déclarées irrecevables en raison du coût qu'elles auraient constitué pour l'État. Pourtant, la question des crédits alloués à ces domaines est fondamentale. Comme pour l'aide juridictionnelle, les crédits alloués à la justice des mineurs devraient être renforcés. C'est indispensable pour éviter une justice à deux vitesses et pour protéger les plus vulnérables. Au terme des petites avancées que vous avez, contraints et forcés, finalement apportées au régime de la garde à vue, de multiples raisons freinent encore sensiblement l'enthousiasme qui aurait pu être le nôtre si vous aviez consenti à aller au bout du processus engagé pour permettre l'indispensable égalité des armes entre l'accusation et la défense, condition indispensable du procès équitable, garantie du respect du principe du contradictoire.

L'évolution du dossier, monsieur le ministre, sera déterminante pour notre vote. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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