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Intervention de Sébastien Huyghe

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui, avec la refonte de la garde à vue, la première phase d'une vaste réforme. En effet, le Président de la République a lancé en 2009 une large concertation sur une réforme en profondeur de la procédure pénale. Cette volonté s'est traduite par les travaux de la commission présidée par Philippe Léger, ainsi que de différents groupes de travail mis en place par la chancellerie. Ces travaux préalables ont débouché sur un avant-projet de plus de sept cents articles, qui ne pourra, quoi qu'il arrive, être étudié et voté par notre assemblée en un seul texte. Cependant, le calendrier de la réforme de la garde à vue nous est imposé par la jurisprudence de la Cour de cassation, par les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi que par la décision du Conseil Constitutionnel du 30 juillet 2010, qui nous laisse jusqu'au 1er juillet 2011 pour nous mettre en conformité.

C'est donc dans un calendrier des plus contraints que nous devons légiférer, et je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir annoncé en commission que le Gouvernement ne déclarerait pas l'urgence, laissant aux assemblées la possibilité de plusieurs lectures sur ce texte fondamental. Cela signifie que la navette parlementaire entre nos deux assemblées devra être un TGV, puisque le texte devra être définitivement adopté fin mai, afin de permettre, le cas échéant, au Conseil constitutionnel d'effectuer son contrôle dans les délais.

En réalité, ce calendrier qui nous est imposé pose un problème de fond. Nous devons réformer notre garde à vue en dehors de et préalablement à la réforme globale de la procédure pénale, c'est-à-dire avant même que nous ayons décidé si nous conservions notre système de procédure inquisitoire ou si nous passions au système anglo-saxon de procédure accusatoire.

La Cour européenne des droits de l'homme, de culture juridique anglo-saxonne, nous impose une procédure de garde à vue qui s'inspire d'un système accusatoire. Mais notre procureur de la république n'a pas les mêmes fonctions qu'un procureur anglo-saxon. Il doit mener ses investigations à charge et à décharge ; s'il engage des poursuites, c'est dans le cadre de son pouvoir d'appréciation de leur opportunité. Il n'est en aucun cas une partie au procès pénal, et c'est véritablement par abus de langage que certains parlent de lui comme de la partie « poursuivante ». Le procureur de la République défend la société, l'intérêt général ; il intervient au nom de la République, et non pas au nom de l'État ou du Gouvernement. C'est à ce titre qu'il est le garant du respect des règles institutionnelles et des libertés individuelles.

C'est dans ce contexte juridique hybride que nous devons légiférer. La réforme que nous devons voter doit se frayer un étroit chemin entre divers intérêts souvent contradictoires. Elle doit tout d'abord donner les moyens de mener l'enquête sans entrave, afin de permettre la manifestation de la vérité. Elle doit ensuite admettre que le mis en cause puisse exercer ses droits légitimes à la défense. Elle doit enfin accorder à la victime les moyens d'être respectée et protégée, et veiller à ce que, dans les faits, celle-ci n'ait pas le sentiment que les rôles sont inversés, en d'autres termes qu'elle ne soit pas mise en accusation tandis que l'auteur du délit apparaîtrait comme une victime du système, qu'il faudrait protéger à tout prix.

Par ailleurs, notre marge de manoeuvre est très étroite entre deux risques politiques majeurs.

Le premier serait de mettre en oeuvre des règles de procédure de garde à vue si contraignantes qu'elles pourraient être une véritable entrave à l'enquête et nuire à l'efficacité de la police, et, par voie de conséquence de la justice. Mes chers collègues, nous ne pouvons pas prendre le risque de donner un coup de frein à la lutte contre la délinquance. Ce serait un mauvais signal pour les Français, qui nous disent tous les jours leur besoin de sécurité. Ce serait un mauvais signal pour les délinquants, qui pourraient croire que tout est permis en toute impunité. Ce serait un mauvais signal, enfin, pour nos forces de l'ordre qui, voyant leur efficacité mise à mal pour des questions procédurales, nourriraient non seulement un sentiment de lassitude mais, pire, souffriraient d'une véritable démotivation dans leur lutte quotidienne contre la délinquance. Et je veux ici rendre hommage au travail difficile réalisé au quotidien par nos policiers et nos gendarmes sur l'ensemble du territoire.

Le second écueil que nous devons également éviter, c'est celui d'une réforme de la garde à vue pour rien. Je veux dire par là que nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place un dispositif qui pourrait encourir, dans les mois qui viennent, de nouvelles sanctions, soit de la Cour européenne des droits de l'homme, soit du Conseil constitutionnel, soit encore de nos plus hautes juridictions.

Je veux à ce stade saluer l'action du Gouvernement qui, sous l'impulsion du Président de la République (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), dont le souhait était que nous passions d'un système privilégiant l'aveu à un système privilégiant la preuve, avait pris les devants en travaillant à une réforme globale de la procédure pénale. La jurisprudence et le Conseil constitutionnel l'ont obligé à forcer le pas pour le régime de la garde à vue. Et je reste persuadé que cette situation est dommageable pour la cohérence d'ensemble de notre procédure pénale.

Au nom du groupe UMP, je veux vous dire que la réforme que vous nous présentez, monsieur le ministre, nous convient globalement. Elle parvient à un certain équilibre entre les différentes contraintes que je viens d'évoquer. Un certain nombre de dispositions qui nous semblaient poser problème ont été modifiées ou supprimées par la commission des lois, parfois avec votre accord, parfois en s'en affranchissant. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Les discussions qui ont eu lieu depuis ont montré que des voies d'entente pouvaient être trouvées.

À notre sens, l'audition libre n'était pas, en l'état, conforme aux différentes jurisprudences et décisions qui s'imposent à nous ; vous en avez convenu et abandonné l'idée de la réintroduire par amendement, ce dont nous vous savons gré.

Nous avons, avec votre consentement, fait évoluer le rôle de l'avocat, de manière qu'il puisse s'exprimer en posant des questions en fin d'audition. Il nous faudra cependant, en parallèle des nouveaux droits accordés aux avocats, prévoir quelques garde-fous pour éviter tout dérapage.

Nous avons également introduit un délai de carence de deux heures pour permettre à l'avocat de se rendre effectivement sur les lieux de la garde à vue, mais nous convenons que des aménagements peuvent être trouvés afin de ne pas paralyser l'enquête.

Vous avez accepté, au nom de l'équilibre des armes, que la victime puisse être assistée par un avocat, notamment en cas de confrontation ; nous nous réjouissons de cette avancée qui est une réponse forte au risque d'inversion des rôles que je déplorais il y a quelques instants.

Nous apprécions aussi à sa juste valeur la fin des fouilles intégrales systématiques, particulièrement humiliantes pour ceux qui les subissent, mais jamais très agréables, voire gênantes, pour ceux qui y procèdent.

Nous devrons en revanche nous interroger de nouveau sur la nécessité de confier le contrôle de la garde à vue et son premier renouvellement au juge des libertés et de la détention. Le rappel, il y a quelques instants, des fonctions exercées réellement par le procureur de la République dans notre système juridique et l'analyse approfondie de la jurisprudence, tant de la Cour de cassation que de la Cour européenne des droits de l'homme, nous incitent à penser que rien ne s'oppose à ce que le contrôle et le premier renouvellement de la garde à vue soient confiés au parquet.

Le problème de l'obligation ou non de la pluralité d'avocats dans les cas de pluralité des mises en cause reste posé ; nos débats devront y répondre.

À ces différents aspects de la réforme de la garde à vue s'ajoutera inéluctablement la question de l'augmentation des moyens. En effet, la mise en oeuvre d'une telle réforme réclamera un réagencement des locaux de la police et de la gendarmerie, qui devront pouvoir accueillir le ou les avocats, de sorte que ceux-ci puissent s'entretenir de manière confidentielle avec leur client. Par ailleurs, le droit systématique à l'assistance d'un avocat devrait faire s'envoler le budget de l'aide juridictionnelle. Enfin, le texte prévoit, avec notre assentiment, le développement de la visioconférence et de l'enregistrement des auditions, ce qui signifie également un certain nombre d'investissements.

Dans un autre registre, la place et le rôle accrus de l'avocat dans la procédure de garde à vue exigeront de la part de ces auxiliaires de justice qu'ils fassent évoluer leurs pratiques et leur organisation. Cette réalité sera d'autant plus prégnante dans les petits barreaux, notamment en zone rurale, certains départements à barreau unique ne comportant pas plus de vingt avocats.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous engageons la discussion n'est pas anodin. Il illustrera la conception que se fait notre démocratie des libertés individuelles, mais devra également assurer à nos concitoyens que la première des libertés, celle de vivre en toute sécurité, leur est garantie par la République. C'est le chemin de crête que nous devons trouver entre ces deux exigences. Et compte tenu des réponses que vous nous avez apportées cet après-midi à l'occasion des questions d'actualité mais également dans votre intervention liminaire, sur le devenir de l'audition libre, le délai de carence et le contrôle de la garde à vue, je ne doute pas que nous parvenions, à l'issue de nos débats, à trouver ce chemin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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