…qui sera prête à la fin du présent semestre. Sa précision sera telle qu'elle pourrait être appliquée immédiatement. Pourtant, nous n'avons pas travaillé dans cette perspective.
Vous présentez aussi ce texte, monsieur le ministre, dans un contexte de défiance organisée entre la justice et la police. Défiance insupportable, inutile et j'allais dire mortifère pour tous, pour l'intérêt général, pour les parties, pour les victimes et pour les agents des deux ministères concernés. Vous avez eu le courage d'intervenir récemment dans ce débat oiseux – et vous avez en cela pleinement assumé votre rôle –en répondant comme il le fallait aux commentaires du ministre de l'intérieur sur des décisions de justice.
Nous avons insuffisamment travaillé sur le rapport du Sénat concernant les législations comparées de la garde à vue en Europe. Une majorité de pays assurent la présence d'un avocat dès les premières minutes de la privation de liberté ou de la garde à vue. Cela fonctionne très bien ; leur taux d'élucidation ne s'est pas effondré. Ils traduisent quand même devant la justice de grands voyous et de grands criminels. Pourquoi ne serait-ce pas possible en France ? Ce rapport a examiné les régimes appliqués en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Pays de Galle, en Italie, en Espagne – et j'en oublie –, pays dont les législations sont diverses. Parfois, la présence de l'avocat est différée en fonction de la peine encourue par le gardé à vue ; dans d'autres cas, elle n'est pas conditionnée par le quantum de la peine.
Tels sont les divers éléments du contexte dont nous aurions dû tenir compte pour rendre nos travaux plus fructueux et pour enrichir le texte présenté à la commission des lois et le rendre plus exhaustif.
Restent les considérations financières. Nous sommes au mois de janvier, le budget a été voté au mois de décembre. Je ne reprendrai pas les propos de M. Perben ou de M. Urvoas, mais la politique du chiffre, les objectifs de performance fixés à la police, ce sont, l'an dernier, 830 000 personnes gardées à vue, soit 1 % de la population française privée, à un certain moment, de liberté. C'est considérable.
Cela représente d'abord un coût financier, parce que l'on ne garde pas gratuitement en garde à vue 830 000 personnes ; ensuite, un coût social et sociétal incroyable, difficile à mesurer et à quantifier, mais plus difficile encore à réparer, car il s'agit de la confiance que les Français placent dans la justice et la police de leur pays, quand on les prive de liberté, de façon anecdotique ou à tout bout de champ, quand on les enferme. Toute personne qui a connu une garde à vue en sort traumatisée.
Depuis 2001, le nombre de gardes à vue – beaucoup d'orateurs l'ont rappelé – a augmenté de 72 %. C'est le cas pour un peu plus de 13 % des infractions, celles concernant la législation sur les étrangers, précisément à cause de la politique du chiffre, parce que leur taux d'élucidation est de 100 %. L'infraction est constatée et l'affaire est immédiatement élucidée. Mais cela n'explique pas tout. Les infractions à la législation sur les stupéfiants représentent elles aussi un peu plus de 13 % des gardes à vue. On retrouve également un pourcentage de 13 % pour les infractions pour coups et blessures. Reste enfin tout ce que nous avons évoqué depuis le début de notre discussion ; nous n'avons pas été très précis sur l'explosion des gardes à vue pour outrages à agents, et je ne parle pas des infractions au code de la route !
Tout cela a, d'abord et avant tout, un coût financier. Or, nous avons pu constater en décembre la reconduction d'un budget misérable pour la justice.
Monsieur le ministre, vous avez expliqué en commission qu'il n'était pas possible de confier des responsabilités nouvelles aux juges des libertés et de la détention, parce qu'il n'y en a que 500 en France. Mais il n'y a guère que 2 000 procureurs. Ce chiffre est notoirement insuffisant pour permettre aux procureurs d'assumer le rôle que vous souhaitez leur voir tenir dans la réforme de la garde à vue. J'ai rappelé ces chiffres car il se peut que nous n'en mesurions pas suffisamment la gravité.
La France se situe pour l'efficacité de la justice à la trente-septième place sur les quarante-trois pays examinés par la Commission européenne. Il y a, chez nous, trois procureurs pour 100 000 habitants contre dix dans la moyenne des pays membres du Conseil de l'Europe. Nous voyons ainsi la distance qu'il nous reste à parcourir. M. Perben était tout à l'heure très modeste, il essayait de vous aider. Nous sommes, pour notre part, plus sévères quant aux moyens considérables dont vous auriez besoin, sans compter ceux générés par ce texte, et je ne parle même pas de la réforme d'ensemble de la procédure pénale. Le texte sur la garde à vue mériterait à lui seul un projet de loi de finances rectificative.
Le budget de la justice représente pour nous un indicateur de civilisation. Je n'évoquerai pas – cela a été fait précédemment – les investissements nécessaires pour les locaux destinés à l'accueil des personnes concernées par la privation de liberté, pour les commissariats, pour la formation des officiers et des assistants de police judiciaire rendue nécessaire par ce texte. Mme Batho a rappelé qu'il existait des moyens de rendre moins lourdes et tout aussi efficaces les missions des OPJ. Je regrette que la commission n'ait pas accepté son amendement. Enfin, je n'évoquerai pas les crédits nécessaires, compte tenu de ce texte, pour l'aide juridictionnelle ou le fonctionnement des barreaux.
Lors de l'examen du budget de la justice, rien de tout cela n'a été évoqué, alors que ce projet de loi était déjà déposé à l'Assemblée.
Enfin, des différents exemples cités, je retiendrai l'extraordinaire banalisation de la privation de liberté.
Il est temps, dans ce contexte, mes chers collègues, d'être fiers des valeurs fondatrices de la République – M. Hervé de Charette le rappelait tout à l'heure –, mais aussi de l'Europe, et de ne pas donner l'impression d'encourir en permanence les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, de subir, comme si nous n'avions pas participé à l'élaboration des textes fondateurs, les condamnations pour non-respect de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Nous nous situons dans un contexte de bataille planétaire entre la civilisation et la barbarie. Je sais que cela intéresse peu certains de nos collègues de l'UMP.