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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Outre les abus des gardes à vue, les conditions indignes dans lesquelles on retient des personnes présumées innocentes constituent un scandale. Rien ne justifie les locaux insalubres, la promiscuité, les humiliations consistant à retirer à un homme ses lacets, sa ceinture, ses lunettes et à une femme jusqu'à son soutien-gorge, et à pratiquer les fouilles à corps.

Cette situation, indigne de la République, a été dénoncée par le comité de prévention de la torture du Conseil de l'Europe et par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, lequel a souligné à juste titre que les conditions dans lesquelles se déroulent les gardes à vue sont intolérables « pour toutes les personnes qui y séjournent, qu'elles soient interpellées ou qu'elles y exercent leurs fonctions ». De fait, les officiers de police judiciaire déplorent eux aussi l'état des locaux dans lesquels ils travaillent, et dont plus de 80 % ne sont pas conformes aux normes européennes, selon la direction de la police nationale.

La commission nationale de déontologie et de la sécurité a également fustigé le recours à la fouille à corps, les examens médicaux tardifs, le non-respect de l'exigence de production de certificats médicaux et la poursuite de la garde à vue malgré un état de santé précaire. Elle a insisté sur la situation de mineurs dont les droits n'ont pas été respectés. Citons ainsi le cas d'un garçon de quinze ans, interpellé en Seine-Saint-Denis, qui n'a bénéficié d'aucun examen médical et a subi une fouille à corps.

La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme pour traitements inhumains et dégradants et pour torture. Dans une quarantaine d'arrêts, la Cour européenne a stigmatisé cette « exception française » ; elle énonce clairement la nécessité de la présence de l'avocat aux côtés d'un suspect interrogé. La CEDH souligne notamment, dans un arrêt de 2010 condamnant la France, que toute personne accusée a droit à une assistance effective.

Plus récemment, toujours dans une décision condamnant la France, la CEDH a rappelé que « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable ».

Face à ces multiples condamnations, le groupe socialiste a pris ces dernières années plusieurs initiatives pour amener la France à se conformer aux principes européens fondamentaux et à revenir sur les malheureuses régressions opérées par les lois votées depuis 2002.

Dès 2006, dans le cadre du rapport Outreau, les députés socialistes préconisaient que l'avocat puisse assister à tous les interrogatoires menés pendant la garde à vue. Devant l'inertie de vos gouvernements, deux propositions de lois ont été déposées au Sénat et une à l'Assemblée, à l'initiative d'André Vallini, pour permettre la présence de l'avocat pendant la garde à vue. Mais aucune d'entre elles n'a abouti : le Gouvernement nous a opposé chaque fois l'annonce d'une future réforme de la procédure pénale, dans laquelle devait s'inscrire la réforme particulière de la garde à vue. Que de temps perdu, alors que vous auriez pu vous appuyer dès 2006 sur le rapport Outreau, qui avait été adopté à l'unanimité !

Vos gouvernements, chers collègues de la majorité, n'ont donc rien voulu entendre jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet dernier, qui vous a mis le dos au mur. En effet, les sages vous obligent à réformer les principaux articles de l'actuel code de procédure pénale régissant la garde à vue, car ceux-ci « sont contraires à la Constitution ».

Le Conseil affirme clairement que « les récentes évolutions législatives ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures », et vous rappelle qu'« il appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en oeuvre dans le respect de la dignité de la personne ».

Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, votre régime de la garde à vue ne garantit pas « l'exercice des libertés constitutionnellement garanties […] en ce qu'elles restreignent la possibilité de bénéficier d'une assistance effective d'un avocat » et que « la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification du droit de garder le silence ».

Deuxième condamnation par une haute instance française, en octobre dernier, la Cour de cassation a précisé les principes auxquels ce projet de loi devait se conformer : notification du droit au silence et participation aux interrogatoires de l'avocat, dont l'intervention ne saurait être différée, même en matière de criminalité organisée, qu'en vertu de raisons impérieuses constatées par le magistrat.

C'est donc sous la triple contrainte imposée par la CEDH, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation que vous présentez le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Or, monsieur le ministre, ce projet de loi, qui marque quelques progrès, reste malheureusement en deçà des préconisations de ces hautes juridictions européennes et françaises.

Bien sûr, votre projet rétablit – heureusement – le droit au silence. Cependant votre formule est alambiquée : « la personne gardée à vue a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ». Il s'agit d'un choix, et non d'un droit,…

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