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Intervention de Colette Langlade

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Langlade :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi relatif à la garde à vue intervient dans un contexte bien particulier. En l'espace d'un semestre, une décision du Conseil constitutionnel, deux arrêts de la Cour de Cassation et deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme se sont prononcés sur les régimes dérogatoire et de droit commun de la garde à vue.

La décision du 30 juillet 2010 du Conseil constitutionnel a ainsi déclaré le régime de droit commun de la garde à vue contraire à la Constitution, charge au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité d'ici au 1er juillet 2011.

La chambre criminelle de la Cour de cassation dans ses arrêts du 19 octobre 2010, a considéré que certaines règles actuelles de la garde à vue n'étaient pas conformes aux exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans un arrêt précédent, du 6 mai 2003, la Cour de cassation a estimé que la garde à vue ne s'imposait que si la personne était mise, sous la contrainte, à la disposition de l'officier de police judiciaire pour les nécessités de l'enquête.

Comme l'explique le rapport Léger, du 1er septembre 2009, même si la garde à vue est un outil indispensable pour la manifestation de la vérité, elle n'offre pas assez de garanties des droits de la défense. Il relève à juste titre que l'accroissement et la quasi-systématisation de son utilisation nous interrogent sur les conditions de sa mise en oeuvre.

En cinq ans, le nombre de personnes mises en garde à vue a doublé, et il a triplé en l'espace de dix ans. Quelle ne fut pas notre déception à la lecture de votre projet de loi, qui n'assure, à vrai dire, que le service minimum. S'il prévoit le renforcement du rôle de l'avocat, il ne prend pas en compte les jurisprudences pourtant nombreuses et constantes de la CEDH et de la Cour de cassation.S'il prévoit le renforcement du rôle de l'avocat, il ne prend pas en compte les jurisprudences, pourtant nombreuses et constantes, de la CEDH et de la Cour de cassation.

Nous, législateur, ne devons pas passer à côté de cette nécessaire évolution, pour ne pas dire révolution. Le changement de culture auquel nous invitent les différentes décisions du second semestre de 2010 est important. Il permet et garantit un certain nombre de droits de la défense, mais aussi de tout un chacun, droits contenus dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou encore dans la Convention européenne des droits de l'homme.

De plus, nous nous devons de légiférer positivement, eu égard aux évolutions des législations de nos voisins européens ou encore de celle de l'Union. En novembre 2009, le Conseil a ainsi adopté une feuille de route qui vise à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Cette feuille de route comprenait plusieurs mesures, dont le droit à la traduction et à l'interprétation, l'information des droits et de l'accusation, l'assistance d'un conseiller juridique et l'aide juridictionnelle, la communication avec les proches et les garanties particulières accordées aux personnes vulnérables lorsqu'elles sont poursuivies.

L'article 63-1 du code de procédure pénale contient les principes rappelés dans la directive relative au droit à l'interprétation et à sa traduction dans les procédures pénales adoptée le 20 octobre 2010. Par ailleurs, une proposition de directive relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, présentée par la Commission en juillet 2010, est en cours d'élaboration pour l'été 2011.

Dans votre rapport, mon cher collègue, vous indiquez bien que la position des autorités françaises dans les négociations en cours est liée aux termes dans lesquels sera adopté le présent texte. Aussi, ne serait-il pas pertinent de doter notre pays d'un arsenal législatif fort, qui créditerait sa position et renforcerait sa voix auprès de nos voisins européens ?

Je vous invite instamment à poursuivre l'élan de la loi du 15 juin 2000 de notre collègue Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux et ministre de la justice du gouvernement Jospin, loi qui donnait, à l'époque, des droits nouveaux aux personnes placées en garde à vue, notamment celui d'une visite médicale.

Dans une tribune du journal Le Monde parue le 9 avril 2010, le directeur général de la police nationale indiquait être conscient du problème posé par l'inflation du nombre de gardes à vue, estimant que ce chiffre ne devait pas servir d'indicateur de résultat pour la police. L'augmentation du nombre de gardes à vue est, pour lui, un problème au regard des libertés publiques. Lors de son discours à l'occasion de l'installation de la CNCDH le 21 juillet 2009, le Premier ministre a précisé que la garde à vue ne pouvait pas être un instrument banal de procédure et estimé que la privation de liberté était un acte grave qui devait rester exceptionnel.

Le droit, chers collègues, ne doit pas se confondre avec la force. Jean-Jacques Rousseau indique, à juste titre, au chapitre III, livre Ier, du Contrat social, que « sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause. Sitôt qu'on peut désobéir impunément, on le peut légitimement. Et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort ! Or, qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse ? » Machiavel précise, lui, que la légitimation de la violence doit rester exceptionnelle car « on ne saurait justifier systématiquement la réalisation d'une fin morale par des moyens immoraux ».

Ainsi, la garde à vue doit être strictement nécessaire et proportionnée à la gravité des faits reprochés. Il faut que soit garantie une procédure équitable, tout en permettant le déroulement efficace de l'enquête. Or prévoir comme seuil pour le placement en garde à vue la commission d'une infraction punie d'une peine d'emprisonnement et prévoir la possibilité de prolonger cette mesure dès lors que l'infraction est punie d'un an d'emprisonnement aura peu d'impact pour diminuer l'usage de cette mesure, dès lors que peu de délits sont punis d'une peine autre que l'emprisonnement ou d'une peine inférieure à un an d'emprisonnement.

Vous vous contentez d'inscrire dans votre texte les objectifs auxquels la garde à vue doit répondre, à savoir l'exécution des investigations, la présentation de la personne devant le procureur, la préservation de la preuve, l'arrêt de l'infraction, les risques de pressions sur les victimes, la concertation avec les éventuels complices.

Or il nous paraît essentiel que la garde à vue reste exceptionnelle et que le maintien des régimes spéciaux, qui n'est plus accepté par la Cour de cassation, y soit rappelé ; que la dignité de la garde à vue soit érigée en principe ; que des solutions soient proposées pour éviter les mises en garde à vue dites « de confort », notamment la nuit, en ouvrant la possibilité de convoquer l'intéressé dès l'arrivée de l'équipe de jour ; que la durée des auditions des suspects comme des témoins soit strictement limitée à quatre heures, afin d'éviter les détournements de procédure.

Je souhaite aborder également le cas de l'audition hors garde à vue, à laquelle vous avez renoncé, monsieur le ministre.

Nous nous étonnons qu'aucun droit ne soit accordé à la personne auditionnée, contrairement à la personne gardée à vue, quant à la durée maximale de sa présence et aux droits qui sont les siens, à savoir l'informer de sa liberté d'aller et venir et de mettre fin à tout moment à l'audition ; de la possibilité qui lui est ouverte de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; de la possibilité de téléphoner à un proche ainsi qu'à son employeur ; d'être entendue assistée d'un avocat.

La mise en oeuvre de cette nouvelle procédure exige plus de moyens matériels et humains, tant pour la police que pour la justice. La question de l'insuffisance des moyens à leur disposition est posée par tous. À cet égard, l'opposition des policiers à l'égard de ce texte est due, selon leurs propres dires, au fait que la majorité des locaux de police n'est pas adaptée à la présence constante d'avocats.

Pour conclure, monsieur le garde des sceaux, je vous propose que nous méditions ensemble les propos du procureur général, M. Jean-Louis Nadal, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 7 janvier dernier : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l'opinion des sentiments bas en instillant la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, tout cela avilit l'institution et, en définitive, blesse la République. »

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