Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi, consacré à un sujet particulièrement difficile, se discute dans un contexte paradoxal.
Tout d'abord parce que cette réforme demandée depuis longtemps se fait aujourd'hui sous la contrainte, à la suite des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, de la question prioritaire de constitutionnalité et des arrêts récents de la Cour de cassation.
Ensuite, parce que le délai imposé par le Conseil constitutionnel pèse d'une certaine façon sur le déroulement de ce débat.
Enfin, et surtout, parce que vous n'avez pas vraiment levé les incertitudes qui pèsent sur l'avenir de notre procédure pénale, dont la garde à vue n'est qu'un élément. Cela s'en ressent inévitablement pour les deux questions qui se situent au coeur de ce débat : l'encadrement de la garde à vue et, surtout, son contrôle.
S'agissant de l'encadrement de la garde à vue, presque tous mes collègues ont évoqué l'augmentation profondément anormale du nombre des gardes à vue dans notre pays. Dans certains cas, elle est légitimement demandée en tant que garantie des droits de la personne entendue, mais elle est devenue, aux yeux de certains, surtout dans la période récente, un véritable indicateur d'efficacité des services de police judiciaire.
Je ferai trois remarques, monsieur le ministre.
La première est pour regretter les préventions trop fortes à l'égard de l'audition libre qui nous paraîtrait acceptable si la personne entendue était réellement informée de ses droits et, surtout, si le contrôle de sa mise en oeuvre était réalisé par une autorité incontestable.
Ensuite, je me demande si, finalement, les critères de la garde à vue, à force de se rapprocher de ceux de la détention provisoire définis à l'article 147 du code de procédure pénale, ne devraient pas être purement et simplement alignés sur ces derniers.
Enfin, je veux rappeler les conditions matérielles déplorables dans lesquelles continue à s'appliquer la garde à vue dans de trop nombreux commissariats. Les nouvelles règles ne seront qu'un aménagement modeste si ces conditions matérielles ne sont pas rapidement portées au niveau qu'exige la dignité des personnes entendues et, parfois même, de ceux qui les entendent. Le commissariat de ma propre ville est malheureusement dans cette situation.
Sur la question du contrôle, le problème majeur, beaucoup l'ont rappelé, est de savoir dans quel contexte général s'inscrira cette réforme. Là aussi, paradoxalement, vous nous incitez à trancher par anticipation en fonction des rôles respectifs des magistrats du siège et du parquet, et à choisir les solutions à apporter en fonction du statut que vous souhaitez donner aux magistrats du parquet, dont nous ne savons rien pour l'instant. Nous avons le choix entre deux voies : soit une modification profonde de notre système judiciaire en confiant le contrôle de la garde à vue aux magistrats du siège ; soit adopter une solution transitoire qui ferait intervenir les magistrats du siège de façon plus marginale, en attendant que soient uniformisées les conditions de nomination de l'ensemble des magistrats.
La commission des lois a choisi la première solution, en confiant le contrôle au juge des libertés et de la détention. Cette solution, qui paraît la plus satisfaisante au regard des libertés, n'est pas sans poser de problèmes. D'abord parce que, dans trop de juridictions, les fonctions de juge des libertés et de la détention sont exercées davantage comme le complément d'une autre charge de magistrat que comme des fonctions à part entière. Cette solution aurait cependant le mérite de consacrer définitivement le rôle de ce juge, qui apparaît de plus en plus comme la clé de nombre de problèmes de procédure, mais à condition, monsieur le ministre, que vous assuriez les créations de postes nécessaires.
Certains opposent, ensuite, le pragmatisme actuel des parquets et la tendance des juges du siège à vouloir statuer sur des dossiers constitués, ce qui pourrait poser des problèmes au regard du nombre des gardes à vue et de la nécessité d'agir dans des délais rapides. Il me semble que c'est faire peu confiance dans les capacités d'adaptation des magistrats du siège.
Enfin, certains pourraient craindre que ce choix accentue le caractère accusatoire de la procédure. Pourtant c'est en vérité l'essence même de la garde à vue et des nouvelles dispositions qui pousse dans cette direction.
La seconde solution, qui ne pourrait être que transitoire, serait de ne faire intervenir le juge des libertés et de la détention que si la personne entendue ou son défenseur contestait le principe même de la détention, en attendant que soit résolue la question du statut des magistrats du parquet.
Monsieur le ministre, malgré quelques hésitations en l'absence de toute perspective claire sur le statut et le rôle du parquet, je me prononcerai pour la solution retenue par la commission des lois. C'est l'un des paradoxes du contexte dans lequel est conduite cette réforme que de précipiter des choix qui auraient peut-être appelé des équilibres plus élaborés.