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Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il s'agit d'une réforme essentielle, qui vise à limiter le nombre de gardes à vue et à renforcer les droits des suspects. Elle est cependant techniquement complexe car elle doit préserver le délicat – voire impossible – équilibre entre le respect des libertés individuelles et la nécessité absolue de ne pas entraver l'enquête, notamment en flagrance.

En dix ans, le nombre des gardes à vue a été multiplié par trois alors que, d'après le code de procédure pénale, il s'agit d'une mesure exceptionnelle de privation de liberté justifiée par les seules nécessités de l'enquête. L'honnêteté commande de rappeler que cette inflation est, en grande partie, due à la jurisprudence de la Cour de cassation, parce que son régime est plus protecteur. Reconnaissons aussi qu'elle a fait bondir le taux d'élucidation. Dans le Grand Paris, on a assisté à une augmentation de 45 % du nombre des gardes à vue entre 2002 et 2009, ce chiffre correspondant à 51 % d'élucidations des violences aux personnes.

Désormais, en seront exclus tous les faits qui «ne sont pas passibles d'une peine de prison et les infractions routières, ce qui en réduira sensiblement le nombre. »

De même, les droits de la personne gardée à vue seront significativement renforcés par l'assistance d'un avocat lors des auditions, avant lesquelles il ne pourra consulter que les PV d'audition, alors qu'il n'a pas même accès au dossier chez la plupart de nos voisins, et au terme desquelles il pourra poser des questions. Ces avancées changeront complètement la nature de l'entretien du suspect avec son conseil : il ne servira plus à l'informer de ses droits, mais sera consacré à l'organisation de sa défense et à la préparation des interrogatoires, alourdissant le rôle de l'enquêteur, aspect qui n'est pas à négliger.

Ces nouvelles dispositions devront être complétées par l'amélioration des conditions matérielles de la garde à vue, l'enregistrement éventuel des auditions et la visioconférence. Avec l'aide juridictionnelle, cette réforme représentera un coût certain.

Cependant, les récentes décisions jurisprudentielles risquent de rompre un équilibre fragile et de nourrir le sentiment que l'on est en train de plaquer les règles d'un système accusatoire à l'anglo-saxonne, plébiscité par les institutions européennes, sur notre système inquisitoire.

En outre, les délais impartis par le Conseil constitutionnel nous empêchent d'inscrire aujourd'hui cette réforme dans celle, plus globale, de la procédure pénale, alors que tout est lié. Ainsi, la voie empruntée par certains pays, tel le Royaume-Uni, nous démontre qu'un régime très protecteur des libertés individuelles peut être assorti d'une extension maximale de la garde à vue, jusqu'à vingt-huit jours, en cas de terrorisme, certes, mais vingt-huit jours tout de même.

Chez nous, il s'agit d'une phase policière, et non judiciaire. Elle ne figure pas dans le procès. Elle obéit à une exigence de sécurité, en même temps qu'elle permet aux enquêteurs de rechercher la vérité. Ainsi, alors que l'on élucidait moins d'une affaire sur quatre en 2002, on en élucide plus d'une sur trois aujourd'hui. Si nous voulons passer de la culture de l'aveu à celle de la preuve – ce qui est éminemment souhaitable –, il nous faudra recourir de manière bien plus massive à la police scientifique et technique.

Lorsque Arlette Grosskost et moi-même avons coprésidé un groupe de travail UMP sur le sujet, les très nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé nous ont amenés à considérer qu'en contrepartie de l'extension des libertés individuelles qui caractérise ce texte, il fallait se préoccuper d'équilibre et d'efficacité afin de préserver les nécessités de l'enquête et les droits des victimes.

Ainsi, le délai de carence de deux heures ne doit pas devenir automatique : aux barreaux de s'organiser pour répondre aux sollicitations dans les meilleurs délais. Au nom de raisons pratiques, et afin d'éviter tout conflit d'intérêt, plusieurs personnes mises en cause dans une même affaire complexe ne doivent pas avoir le même avocat. De même, la présence de l'avocat durant les auditions ne saurait, sans entraver l'enquête, être étendue aux perquisitions et aux reconstitutions. Si l'avocat doit pouvoir poser des questions à l'issue des auditions – car il ne saurait être taisant –, il n'en faut pas moins, pour des raisons analogues, assigner à cette phase une durée raisonnable et confier à l'enquêteur, comme en Angleterre ou en Belgique, la police de la garde à vue, sous le contrôle du procureur.

En effet il faut évidemment – cela a été fait cet après-midi en commission – revenir au contrôle de la garde à vue par le procureur, au moins pendant quarante-huit heures, ce qui ne contrevient ni à la jurisprudence de la CEDH ni à l'arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre dernier, sauf à vouloir rendre les gardes à vue techniquement impossibles. Le procureur n'est pas partie poursuivante : il défend l'intérêt général.

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