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Intervention de Hervé de Charette

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé de Charette :

Monsieur le ministre, le texte que vous nous présentez est, si j'ose dire, un solde : il est ce qui reste après que le Gouvernement a renoncé à la réforme de la procédure pénale annoncée par le Président de la République. Ce renoncement est tout à fait regrettable, car la procédure pénale française n'est pas satisfaisante, ainsi qu'en témoignent de nombreux scandales, notamment l'affaire d'Outreau, dont on n'a tiré aucune conséquence. Il y a quelques jours, lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, le procureur général, Jean-Louis Nadal, n'a-t-il pas fait part de sa vive inquiétude concernant le ministère public, déclarant que celui-ci était « proche d'un coma dépassé » ? C'est dire combien la situation est préoccupante !

Mais enfin, prenons le texte relatif à la garde à vue que l'on nous soumet.

En 2009 – les chiffres ne sont pas contestés –, on a dénombré 800 000 gardes à vue – un député bien informé estimait même, dans les couloirs de l'Assemblée, qu'on était près de 900 000. Cela signifie que, depuis l'élection du Président de la République et le début de la législature, 2,5 millions de Français ont été mis au trou, et chacun sait de quel trou il s'agit !

Ces chiffres saisissants, glaçants, sont le signe, non pas de l'accroissement des désordres et de l'insécurité – sur ce sujet, il y aurait beaucoup à dire –, mais d'un invraisemblable excès policier, la garde à vue tenant lieu en réalité de sanction immédiate et sans procès. La raison profonde de cet excès réside dans le fait que la police ne fait pas confiance à la justice pour sanctionner les fautes commises. Voilà la réalité : la garde à vue, détournée de son objet, s'est trop souvent transformée en une forme de justice expéditive, commode, qui est au fond celle que pratiquaient les lieutenants de police de l'Ancien régime.

Monsieur le ministre, vous nous proposez de fixer une règle simple : le recours à la garde à vue ne sera possible que dans les cas où une peine d'emprisonnement est encourue. C'est bien, mais, compte tenu du foisonnement des lois prévoyant une sanction pénale, c'est encore insuffisant. Il serait en effet souhaitable que la garde à vue soit réservée aux délits punissables d'au moins un an d'emprisonnement.

Par ailleurs, qui contrôle la garde à vue ? Chacun comprend que celle-ci doive l'être. Hélas ! je crains que personne n'ait encore trouvé la solution satisfaisante sur le plan non seulement du droit, mais aussi de la pratique judiciaire. Néanmoins, il faut espérer – pardonnez-moi, monsieur le ministre - que, sur ce point, l'Assemblée donnera raison à la commission des lois, en refusant que le parquet soit chargé à la fois d'autoriser la prolongation de la garde à vue et d'en contrôler l'usage. Jamais, en effet, une institution judiciaire ne peut à la fois agir et contrôler l'action.

Toutefois, à supposer que le texte de la commission soit adopté, au moins deux autres points doivent retenir notre attention : la banalisation de la fonction d'officier de police judiciaire – le nombre de policiers qui détiennent cette fonction est sans rapport avec la sélection que cette haute fonction, cette charge à responsabilité, requiert – et le recours au juge des libertés et de la détention pour contrôler la garde à vue. Si cette solution est bonne sur le papier, je doute qu'elle ne le soit dans la pratique. On sait en effet que ce juge n'a guère les moyens d'exercer un tel contrôle, qu'il n'a pas accès au dossier et qu'il est souvent débordé, de sorte qu'il sera davantage, je le crains, un juge qui signe qu'un juge qui contrôle. Mais enfin, cette solution est préférable à celle qui était proposée par le Gouvernement dans le texte initial.

J'en viens à la question de la présence de l'avocat pendant la garde à vue. Faut-il rappeler que l'avocat, souvent méprisé par la police, souvent suspecté par les juges, fait pleinement partie de la procédure pénale, dont il est un des rouages essentiels ? Notre excellent collègue Sébastien Huyghe a déclaré tout à l'heure qu'il fallait prévoir des garde-fous s'agissant de la présence des avocats. Quelle idée extravagante ! Les avocats ne sont les ennemis ni de la police ni de la justice : ce sont des auxiliaires de justice, les partenaires du juge et du policier dans la recherche de la vérité. Ce qui rend la justice démocratique, c'est le principe du contradictoire. Or le respect de ce principe dépend d'abord des avocats. C'est pourquoi ils doivent être présents dès le début de la garde à vue et avoir la possibilité de l'être tout au long de celle-ci. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et je ne suis pas tout à fait certain que ce sera le cas à l'issue de notre débat.

Je veux rappeler ici les termes employés par la Cour européenne des droits de l'homme à propos de la garde à vue : « L'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme des interventions qui sont propres aux conseils. À cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables aux accusés, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer. »

Ces exigences concernent, je le rappelle, non pas l'intervention générale de l'avocat, mais son intervention pendant la garde à vue. Nous sommes évidemment à des années-lumière d'une telle situation. Or, si le texte qui nous est soumis va dans le sens souhaité par la CEDH, ce dont je me félicite, il maintient beaucoup trop de précautions qui font écho à la traditionnelle méfiance envers les avocats que j'évoquais à l'instant. En tout cas, je ne voterai certainement pas les dispositions qui permettent de retarder l'intervention de l'avocat à la douzième heure. Cette ultime manoeuvre gouvernementale, voire cette ultime concession parlementaire, n'a rien à voir avec le nécessaire bon fonctionnement de la justice ; elle a uniquement pour objectif de tenter d'écarter l'avocat de la procédure de la garde à vue.

En conclusion, on voit bien que la justice pénale est en pleine évolution. Notre tradition, notre histoire, c'est la culture de l'aveu. Pour l'obtenir, il faut faire « craquer » le suspect. Les propos de notre collègue André Vallini ont parfaitement illustré les risques inhérents à cet exercice. Celui-ci est parfois pratiqué avec talent, et il donne des résultats, mais il est aussi parfois cruel, injuste et aboutit à des contrevérités.

L'avenir, c'est la culture de la preuve. À cet égard, la police et la gendarmerie ont fait, reconnaissons-le, des progrès considérables – je pense notamment à la police scientifique –, mais ceux qui restent à accomplir dans la pratique sont au moins aussi importants, car il faut offrir à tous les gardés à vue les moyens de prouver et de rechercher les preuves, ceux dont disposent la police et la gendarmerie. La loi qu'il nous faut voter doit accélérer cette évolution.

En abandonnant l'improbable, que dis-je, l'abominable audition libre, vous avez fait un geste, monsieur le ministre, qui nous est allé droit au coeur. Certes, il était inévitable, mais il faut en saluer la vertu : mieux vaut renoncer avant volontairement qu'après sous la contrainte. Quelques pas restent encore à faire. Je ne doute pas que le Gouvernement et le Parlement se retrouveront sur une vision partagée et moderne de la garde à vue. Tel est, en tout cas, le voeu que je forme. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

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