Précisément, nous ne pouvons que regretter que la commission, réunie aujourd'hui en vertu de l'article 88 du règlement, ait accepté un amendement revenant sur sa précédente décision, et qu'elle veuille finalement maintenir le statu quo en laissant la décision au procureur plutôt qu'au juge des libertés et de la détention.
Il reste que la commission des lois a rejeté d'autres mesures de votre projet de réforme que les juristes considéraient, à juste titre, comme fantaisistes. Je pense à l'audition dite libre – au moins, sur ce sujet, vous nous avez entendus. En fait, il ne s'agissait de rien d'autre que d'une simili garde à vue, sans avocat et avec le consentement du suspect.
L'autre grand acteur de l'institution judiciaire, l'avocat, voit son rôle réévalué par la commission des lois, et c'est une bonne chose. Contrairement aux législations de nombreux pays européens qui offrent des garanties étendues dans le domaine des droits de la défense, les avocats disposent aujourd'hui, en France, de droits relativement restreints. En effet, ils sont le plus souvent cantonnés à une série d'interventions courtes qui pourraient presque être tenues comme étrangères à l'idée même de défense pénale du client. Actuellement l'avocat peut, certes, rencontrer son client – dans certains cas seulement à la quarante-huitième ou à la soixante-douzième heure – dans des conditions qui garantissent la confidentialité, mais au-delà de cet entretien sommaire, il est persona non grata. Ainsi, il ne peut ni assister aux interrogatoires ni accéder au dossier pénal. Il est simplement informé, verbalement, des faits qui justifient la mesure de garde à vue, et il ne peut intervenir dans le cours de la procédure qu'en formulant des observations écrites versées au dossier.
Pourtant, dans de nombreux pays de l'Union, comme en Espagne ou dans les pays anglo-saxons, l'avocat est présent dés la première seconde. Ce simple exemple montre l'archaïsme de notre système, sa conception inversée des rapports entre police et justice. Aujourd'hui, en France, l'avocat est une sorte de « figurant impuissant », statut qui contredit le droit à un procès équitable, invoqué avec justesse par la Cour européenne des droits de l'homme. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, garantissant le droit à un procès équitable, est en effet applicable à la phase antérieure au procès pénal et ne saurait concerner le seul procès pénal à proprement parler. Selon la Cour, « si l'article 6 a pour finalité principale, au pénal, d'assurer un procès équitable devant un “tribunal” compétent pour décider du “bien-fondé de l'accusation”, il n'en résulte pas qu'il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure ». Quelles sont les phases en question ? Le doyen Georges Vedel, alors qu'il était membre du Conseil constitutionnel, avait résumé ce processus en déclarant, en 1981, à l'occasion de l'examen de la loi dite « Sécurité et liberté » : « La garde à vue viole les droits de la défense, car elle permet qu'un suspect soit interrogé sans l'assistance d'un avocat. » Vous conviendrez que le doyen Vedel n'était pas un gauchiste…