La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et le débat sur cette déclaration.
La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames et messieurs les députés, depuis juin 2007, lorsque nous avons posé les bases du traité de Lisbonne, sur l'initiative de Mme Angela Merkel et du Président de la République, j'ai eu, à plusieurs reprises, l'occasion de m'exprimer devant vous sur l'avenir institutionnel de l'Europe. Cette évolution de l'Union vers de nouvelles institutions plus efficaces est une nécessité, mais il est temps maintenant de tourner cette page, de ne plus parler du traité de Lisbonne et de le mettre en oeuvre.
Grâce au vote irlandais, nous sommes sur le point de le faire et je remercie nos amis irlandais.
Désormais, l'ensemble des parlements ou des peuples des vingt-sept États membres se sont exprimés en faveur de ce traité.
Il nous faut attendre la réponse de la Cour constitutionnelle tchèque pour qu'une dernière ratification ait lieu, ce qui nécessitera quelques jours ou quelques semaines supplémentaires.
La Cour a déjà eu l'occasion de trancher cette question, je reste donc confiant ; nous espérons que cela ne sera l'affaire que de quelques semaines. Dès lors, il reviendra au président Klaus de signer. Il aurait demandé de nouvelles garanties sur la non-rétroactivité de la charte des droits fondamentaux. La position de la France et de tous les partenaires qui se sont exprimés jusqu'ici est claire : toute renégociation du traité qui entraînerait une nouvelle ratification des Vingt-sept est exclue.
Il revient donc à la présidence suédoise de voir avec les autorités tchèques et l'ensemble des partenaires européens comment cette question peut être résolue. Cela devrait être possible entre partenaires de bonne foi puisque le Premier ministre tchèque, lui-même, a affirmé que la question soulevée par le président Klaus avait été prise en compte par son gouvernement lors de la négociation du traité.
Aujourd'hui, nous sommes à quelques semaines de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Il s'agit d'un moment historique. En ces temps de « désenchantement européen », ce traité offre à l'Europe une opportunité – j'en suis profondément convaincu – pour répondre aux attentes et aux inquiétudes, parfois légitimes, de ses citoyens.
Il conduit à une Europe plus démocratique et plus proche d'eux. En donnant plus de poids aux Parlements nationaux et au Parlement européen, le traité redonne la parole aux citoyens et renforce leur contrôle sur les décisions.
Il conduit à une Europe qui ouvre de nouveaux domaines de compétences pour mener une politique commune sur l'énergie, le domaine spatial, le tourisme, le sport : autant de domaines dans lesquels les citoyens européens peuvent se reconnaître ou se projeter dans l'avenir.
Il conduit à une Europe plus efficace en facilitant la prise de décision grâce à l'extension du champ de la majorité qualifiée.
Enfin, il conduit à une Europe incarnée qui pèse et fait entendre sa voix sur la scène internationale parce qu'elle sera plus efficace et visible avec un Président du Conseil européen stable – deux ans et demi – et doté d'une capacité d'entraînement, avec un Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité bénéficiant de moyens d'action renforcés, dont une véritable politique de défense européenne, condition d'une diplomatie de grande puissance. Le diplomate peut-il se passer du soldat, pour reprendre les deux figures symboliques des relations internationales ? Je ne le crois pas.
Le fonctionnement effectif des institutions dépendra beaucoup du choix des personnalités nommées à ces postes clefs et des équilibres qui seront trouvés. Le choix des profils à privilégier renvoie à notre conception de l'Europe et à des enjeux politiques déterminants, en termes de pouvoir et d'influence. C'est pourquoi nous estimons que ces postes requièrent tous des personnalités fortes et influentes.
De nouveaux défis émergent, les équilibres du monde ont changé. L'Europe doit disposer des outils et des moyens pour en dessiner les contours avec ses grands partenaires.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Quel manque de conviction !
Nous avons montré la voie sous la présidence française en intervenant comme médiateurs et pacificateurs du conflit en Géorgie, en lançant le G20 face à la crise économique et en faisant adopter le paquet énergie-climat...
Le traité de Lisbonne est donc le fondement sur lequel pourra progresser cette Europe du XXIe siècle, forte et influente, en mesure de répondre aux attentes qu'elle suscite dans le monde comme auprès de ses citoyens.
Depuis le vote irlandais, …
…il ne s'agit donc plus, je l'ai dit, de savoir si, mais quand, le traité de Lisbonne entrera en vigueur. Les travaux préparatoires à cette entrée en vigueur s'accélèrent à Bruxelles.
Une quinzaine de jours seulement nous sépare du Conseil européen des 29 et 30 octobre. Il est encore difficile aujourd'hui de savoir si, à cette date, la présidence suédoise aura suffisamment de garanties et de certitudes pour engager les consultations sur les futures nominations politiques aux « grands postes européens » : les membres de la Commission, le Président stable du Conseil européen et le Haut représentant pour la politique étrangère. En tout état de cause, les chefs d'État et de Gouvernement devront confirmer la prolongation de quelques semaines de la Commission sortante.
Lors de ce Conseil, seront également fixées les grandes lignes de ce que sera le Service européen d'action extérieure , c'est-à-dire le futur « ministère des affaires étrangères » de l'Union européenne. Cette nouvelle force de frappe diplomatique exigera le plus grand et le meilleur service diplomatique au monde. Dès l'entrée en vigueur du traité, nous devrons très vite en former l'embryon, au service du Haut représentant, ce qui lui permettra d'exercer un véritable pilotage de l'ensemble de l'action extérieure de l'Union, y compris de ses instruments financiers. Ce service devra puiser ses membres au sein de la Commission, du secrétariat général du Conseil, mais aussi des vingt-sept États.
Nous nous y préparons pour renforcer notre politique d'influence. C'est sur sa capacité d'analyse et d'action que se joueront l'efficacité et la crédibilité de la diplomatie européenne. La plus grave erreur serait d'en faire une nouvelle bureaucratie européenne.
Il s'agit donc désormais pour nous de poser les principes permettant de mener une politique européenne plus efficace et plus cohérente.
Je n'en manque pas, contrairement à vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Un peu d'énergie !
Nous avons des efforts à faire dans ce domaine. (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Je pense à l'action de l'Europe en Afghanistan, très présente, mais trop dispersée entre la Commission, le représentant spécial de l'Union européenne et les États membres, ce qui nous prive de l'exercice du leadership politique auquel nous pourrions prétendre. Le traité de Lisbonne nous aidera à nous prendre notre juste place.
J'en viens maintenant à un deuxième sujet essentiel de ce Conseil européen : la préparation de la conférence de Copenhague sur le changement climatique, qui aura lieu en décembre prochain, c'est-à-dire dans moins de deux mois.
Le changement climatique constitue un énorme bouleversement, un changement dans l'histoire du monde qui nous concerne tous. Mais l'effort ne peut et ne doit pas être le même pour tous et c'est aux plus démunis que l'effort apparaîtra le plus coûteux. En cette journée mondiale de l'alimentation, cette injustice supplémentaire nous est rappelée. Comment demander aux plus démunis de ne pas polluer alors même qu'ils luttent pour leur survie et, surtout, comment convaincre nos partenaires, notamment les pays émergents, qui sont en passe de rattraper voire de dépasser les pays développés en matière d'émission de gaz à effet de serre, de partager le fardeau ? Il s'agit d'un véritable exercice diplomatique, mais aussi et surtout d'un défi politique, pour lequel mes homologues européens et moi-même sommes totalement mobilisés.
Il nécessitera la mise en oeuvre de mécanismes de financement innovants – la taxation mondiale des mouvements de capitaux figure dans ce programme.
Je le répète, la France est à l'initiative de cette contribution qui figure au programme du Fonds monétaire international.
La lutte contre le changement climatique : voilà un domaine dans lequel l'Europe a su montrer la voie depuis le Conseil européen de mars 2007 et l'adoption du paquet énergie-climat en décembre, sous présidence française, en s'accordant sur des objectifs ambitieux et en définissant les grandes orientations à suivre pour limiter, à l'horizon de l'année 2050, à 2 degrés maximum la hausse de la température moyenne mondiale par rapport au niveau de l'époque pré-industrielle.
L'Europe a orchestré le mouvement de la négociation internationale. Celle-ci progresse. Nos partenaires évoluent. Le nouveau gouvernement japonais vient de définir des objectifs ambitieux. L'administration Obama a décidé de revenir sur ce sujet et améliore ses propositions. Nous devons profiter des sommets entre l'Union européenne et les grands pays émergents pour faire avancer ce dossier. Une session de négociation s'est achevée il y a quelques jours à Bangkok ; une autre se tiendra dans la deuxième semaine de novembre à Barcelone.
Des progrès ont été accomplis, mais nous sommes encore très loin d'un accord. Nous avons besoin d'un engagement renouvelé de l'ensemble des partenaires de la négociation, au plus haut niveau. C'est dans cet esprit que le Président de la République a appelé à une nouvelle réunion des chefs d'État et de Gouvernement dans le courant du mois de novembre pour obtenir un succès à Copenhague.
Nous attendons que l'Union fasse preuve d'ambition mais elle doit également faire preuve de réalisme et défendre ses intérêts.
Sur le financement des efforts internationaux d'adaptation et d'atténuation, l'Union européenne ne peut être seule à annoncer des engagements chiffrés pas plus qu'elle ne doit être seule à porter de 20 % à 30 % en 2020 la réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 : ses partenaires, pays développés ou nations émergentes, doivent consentir des réductions comparables pour les uns, proportionnelles pour les autres.
Enfin, l'Union européenne doit se prémunir contre le risque de délocalisation de certaines activités dans des pays qui ne consentiraient pas des efforts appropriés en la matière. C'est précisément pour limiter ce risque que nous défendons l'idée d'un mécanisme d'inclusion carbone.
Un dernier mot, mesdames et messieurs les députés, sur les mesures prises par l'Union pour répondre à la crise économique mondiale. Là encore, nous avons été leader pour créer le G20 et en orienter les travaux. Continuons à nous montrer exemplaires en renforçant la régulation financière, la transparence et la responsabilité des opérateurs au sein de l'Union. La France n'acceptera pas le statu quo. Il nous faut conférer aux futures autorités européennes de supervision des pouvoirs contraignants.
Une Europe incarnée, une Europe efficace, une Europe qui agit et qui entraîne, une Europe offrant un véritable espace de dialogue politique, une Europe capable de se positionner sur les grands défis globaux, climatiques et économiques, telle est l'Europe que nous devons construire !
Nous sommes, je le crois, sur la bonne voie. Le prochain Conseil européen doit nous faire progresser en ce sens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Pourquoi les députés de la majorité ne se lèvent-ils donc pas pour applaudir ?
Pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, la parole est à M. Christophe Caresche.
Monsieur le ministre, vous avez abondamment évoqué les questions institutionnelles. Pour ma part, je voudrais commencer mon propos en soulevant la question économique et sociale, qui préoccupe beaucoup les Européens.
Le Conseil européen s'inscrit dans un contexte particulier après la survenue de la crise, voilà plusieurs mois, à présent. Nous pouvons dresser d'ores et déjà un premier bilan de ce qui s'est passé et de la situation dans laquelle se trouve l'Europe aujourd'hui.
Loin d'une sortie de crise, c'est la prolongation d'une situation économique atone qui se profile, dans laquelle une croissance molle cohabiterait avec un taux de chômage durablement élevé. Le Président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a déclaré que l'Union européenne ne connaîtrait au cours des dix prochaines années qu'une croissance annuelle moyenne de 1,5 %, tout au plus.
Les plans de relance n'ont qu'imparfaitement atteint leur objectif de soutien de l'économie et leurs effets s'estompent. Le processus de relance économique demeure incomplet, selon le Parlement européen.
En réalité, cette situation était très largement prévisible. Les plans de relance n'ont été qu'une juxtaposition de plans nationaux, dont l'ampleur réelle a été largement surévaluée, notamment en France, et n'ont produit que des effets marginaux – nous le constatons aujourd'hui.
L'Europe se trouve donc dans une situation économique très difficile : non seulement la croissance ne sera pas au rendez-vous mais le chômage va progresser et les déficits vont continuer d'exploser. Dans ce contexte, la plupart des pays européens n'ont plus la capacité de dégager des marges de manoeuvre pour répondre à cette situation économique.
Sur le plan économique et social, le tableau est donc extrêmement sombre pour l'Europe. Jean Pisani-Ferry écrivait récemment : « Il existe maintenant une indéniable possibilité que l'on se souvienne de cette crise comme de l'occasion où l'Union a perdu du terrain de manière irrécupérable, à la fois économiquement et politiquement ».
Les grands équilibres du monde de demain sont en train de se dessiner sous nos yeux et l'Europe doit peser sur le débat international, qu'il s'agisse du climat, de la monnaie ou du commerce, si elle ne veut pas être marginalisée, notamment par les États-Unis et la Chine. Les arbitrages internationaux risquent de se faire sans elle et peut-être même contre elle.
S'agissant du plan économique, j'évoquerai deux points.
Le premier – que vous n'avez pas abordé – porte sur la question monétaire. L'Europe ne peut pas durablement s'offrir le luxe d'une monnaie surévaluée par rapport au dollar et au yuan. Cette situation est très préoccupante : l'euro n'a jamais été aussi fort, le dollar aussi bas. Cela pénalise très lourdement l'économie européenne.
L'Europe devrait porter cette exigence de réforme du système monétaire international beaucoup plus qu'elle ne le fait aujourd'hui. Le Président de la République a appelé de ses voeux un nouveau Bretton Woods, mais il faut maintenant passer aux travaux pratiques. Il faut être capable de faire avancer le monde vers un nouveau système monétaire international et exiger qu'une véritable politique de change soit mise en place au niveau international.
Le deuxième point porte sur la relance de la stratégie de Lisbonne et la définition d'une véritable politique industrielle. Hervé Gaymard en parlait l'autre jour devant la commission des affaires européennes, il y a là une priorité absolue pour l'Europe car l'industrie européenne est en train de s'affaiblir considérablement alors qu'il s'agit d'un élément qui permettra à l'économie européenne de se redresser. Louis Gallois, ce matin, nous invitait à faire en sorte que l'Europe retrouve le goût de l'aventure industrielle : « La crise financière et économique montre qu'on ne peut pas construire une croissance durable et solide sur les mirages de la spéculation. L'industrie et les services qui lui sont attachés sont la pierre angulaire d'un développement stable et équilibré ». La France doit porter cette ambition au niveau de l'Europe.
Autre question, monsieur le ministre, la négociation sur le climat au sommet de Copenhague. Elle est mal engagée, nous le savons. Beaucoup de contradictions ont surgi récemment et s'approfondissent, notamment celles qui opposent les pays riches et les pays en développement. Il est évident que les pays en développement doivent s'engager à financer la transition écologique des pays en voie de développement, c'est le seul moyen pour parvenir à trouver un accord. À cet égard, vous avez raison de souligner que l'Europe n'est pas si mal placée pour jouer un rôle de médiation utile : elle a tenu ses engagements sur le plan climatique parce qu'elle a permis, même si cela a été douloureux et difficile, l'adoption d'un paquet énergie-climat relativement ambitieux. L'Europe a là l'occasion de faire valoir une position forte sur le plan international.
Mais elle doit aussi défendre ses intérêts. L'adoption d'une taxe carbone en France mais aussi en Europe, puisque la présidence suédoise de l'Union a évoqué cette possibilité, supposerait logiquement la création d'une taxe carbone aux frontières de l'Union. Au dumping social ne doit pas, en effet, s'ajouter le dumping environnemental. La France et l'Europe doivent avancer vers cette solution. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
J'en viens aux moyens qui permettraient à l'Europe de peser davantage dans le débat international, question sur laquelle vous avez récemment écrit un article, monsieur le secrétaire d'État. L'un de ces moyens est le renforcement de l'alliance entre la France et l'Allemagne. Je suis heureux que la France s'apprête à prendre des initiatives pour consolider ce couple, vous nous en direz peut-être plus à cet égard. Il n'y a en effet pas d'alternative à la relation franco-allemande. La France, semble-t-il, a essayé de s'en abstraire depuis 2007. Le réalisme la pousse aujourd'hui à y revenir.
En vérité, la relation entre ces deux pays a toujours été difficile et marquée par des tensions et pas seulement, monsieur le secrétaire d'État, lors de la réunification qui a donné lieu, ne l'oublions pas, à l'une des avancées les importantes qu'ait connue l'Europe : la monnaie unique.
Il y a eu certaines tensions dernièrement, par exemple, à propos de l'Union pour la Méditerranée. Nous savons que ce projet n'a pas été compris par les Allemands, peut-être parce que notre pays n'avait pas pris soin de leur en parler. Il en est allé de même pour le grand emprunt que les Allemands ont été surpris de découvrir. Peut-être aurait-il mieux valu en discuter au préalable avec eux.
Il reste beaucoup d'efforts à faire pour que cette relation se consolide. C'est une relation exigeante dont nous ne pouvons nous abstraire et qui doit prospérer.
De ce point de vue, la question budgétaire revêt une grande importance dans la relation entre la France et l'Allemagne. Je souhaiterais que notre pays précise ses intentions. Nous savons que cette question sera un élément du débat voire de la confrontation entre les deux pays dans les semaines et les mois qui viennent.
Sur ce plan, il est vain de croire que l'Allemagne va assouplir sa position parce qu'elle subit elle aussi les conséquences de la crise. Cette question a constitué un des éléments de la discussion entre la France et l'Allemagne lors de la création de la monnaie unique. Notre pays doit se préparer à cette discussion et nous nous désolons de constater qu'il ne précise toujours pas ses intentions, laissant filer les déficits, sans dire comment il envisage la stratégie de sortie de crise. Nous attendons vos réponses.
Dernier point, le cadre institutionnel.
Les nominations prévues aux fonctions très importantes de Président du Conseil européen et de Haut représentant de l'Europe n'auront pas lieu, compte tenu de la situation. Je voudrais dire que…
Monsieur Caresche, ce débat est retransmis et votre temps de parole est écoulé, je vous laisse conclure en deux mots.
Nous reprendrons ce débat plus tard.
Il y a encore beaucoup de travail pour que la France précise sa stratégie européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Bernard Deflesselles, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en cette fin d'année 2009 les Européens que nous sommes avons le sentiment que l'Europe est à un moment clé de sa propre histoire et de son long cheminement.
Comme la plupart d'entre nous ici, Européens engagés, Européens sincères, le groupe UMP se félicite des résultats du récent référendum irlandais...
..et de la signature par le président Kaczynski, samedi dernier, de l'instrument de ratification polonais, conformément aux engagements pris. Nous avons donc avancé de manière décisive, depuis le début de ce mois, vers l'entrée en vigueur prochaine du traité de Lisbonne.
Le mois dernier, c'est le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, qui recevait l'investiture du Parlement européen avec une majorité absolue de 382 voix, supérieure à celle qui aurait été nécessaire avec le traité de Lisbonne. Il bénéficiera donc d'une légitimité renforcée.
C'est à l'évidence une autre bonne nouvelle pour l'Europe qui crée, là aussi, une dynamique positive.
Néanmoins, nous connaissons tous le dernier obstacle qui subsiste encore à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Il s'appelle, disons le clairement, Vaclav Claus, à qui il convient d'adresser une mise en demeure, celle de respecter à la fois ses engagements et son Parlement, nos collègues parlementaires tchèques ayant voté à une très large majorité en faveur de la ratification du traité de Lisbonne au printemps dernier.
Nous adressons aussi, avec la même supplique, un message de confiance au Gouvernement tchèque afin d'obtenir le plus rapidement possible cette signature que toute l'Europe attend.
Le Conseil européen des 29 et 30 octobre, examinera, vous nous l'avez rappelé monsieur le ministre des affaires étrangères, un ordre du jour extrêmement chargé qui engagera l'avenir de l'Union dans les années futures.
Je retiens tout particulièrement les questions institutionnelles et les futurs contours de la prochaine Commission, mais aussi les préparatifs de la conférence internationale de Copenhague sur le changement climatique qui se tiendra en décembre prochain.
En premier lieu, il s'agira de s'accorder sur le processus de la ratification du traité et sur l'installation de la nouvelle Commission.
Le mandat de l'actuelle commission se termine le 31 octobre. Il faudra donc lui assurer une période transitoire, période indispensable avant l'entrée en vigueur du traité. Celui-ci verra alors la nomination pour deux ans et demi, renouvelable, d'un Président de l'Union et la nomination du Haut représentant pour la politique étrangère qui sera aussi vice-président de la Commission.
Chacun s'accorde à dire que cela constituera un progrès considérable pour la gouvernance et la stabilité de notre continent. Par ailleurs, le principe du maintien d'un commissaire par pays est acquis, les garanties ayant été données aux Irlandais.
Nous souhaiterions donc savoir, monsieur le ministre, et cette question est d'importance, comment la France envisage cette période transitoire car nous sommes encore sous le régime du traité de Nice que le récent référendum irlandais a rendu de facto caduc.
Pour gérer les nombreux défis auxquels elle est confrontée, l'Union doit sortir de la crise institutionnelle et se doter des instruments lui permettant d'assurer sa bonne gouvernance dans les décennies à venir.
Monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, à côté de la mise en place du service européen d'action extérieure, il est nécessaire de faire progresser dans les faits l'Europe de la défense, aujourd'hui engagée dans des opérations parfois lointaines mais réussies, comme l'opération Atalante de lutte contre la piraterie au large de la Somalie.
Là aussi, nous souhaiterions savoir comment le Gouvernement envisage le développement de ces opérations européennes conduites dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, et comment il évalue leurs résultats.
Enfin, parmi tous ces défis, celui du changement climatique occupe une place majeure. À mon sens, l'enjeu essentiel du Conseil européen sera de finaliser la position de l'Union européenne en vue de la conférence de Copenhague sur le climat du 7 au 18 décembre prochains. Si le Conseil européen s'en préoccupe, notre assemblée également. Je le dis à mon collègue du groupe SRC, Jérôme Lambert, avec qui nous avons l'honneur de conduire cette mission, en tout cas de suivre les négociations de l'après-Kyoto. Plus de 180 États devront définir l'accord qui succédera au protocole de Kyoto pour la période post 2012.
Le message des scientifiques est clair : si le réchauffement climatique dépasse 2 degrés d'ici à 2050, il sera très difficile de s'adapter aux impacts qui se traduiront par des phénomènes climatiques aggravés – bouleversement des écosystèmes, crises alimentaires, dangers sanitaires, déplacements massifs de populations.
Compte tenu des tendances actuelles d'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, les dix prochaines années seront décisives pour l'avenir de la planète. Il est donc impératif de parvenir à un accord global et ambitieux à Copenhague.
Le groupe d'experts intergouvernemental sur le climat, le GIEC, recommande une réduction des émissions des pays développés de 25 % à 40 % en 2020 par rapport à 1990.
L'Union Européenne s'est fortement engagée dans cette démarche. Elle s'est en effet placée en leader de la lutte contre le changement climatique avec l'adoption par le Parlement européen, en décembre 2008, sous présidence française, du paquet énergie-climat.
Avec la règle des « trois fois vingt », elle s'est fixé des objectifs énormes d'ici à 2020 : réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, augmentation de 20 % de l'efficacité énergétique et proportion de 20 % d'énergies renouvelables dans la production d'énergie. Et elle est prête à faire plus, en portant son objectif de réduction des émissions à 30 % en cas d'un accord suffisamment ambitieux à Copenhague.
Mais si l'Europe montre la voie en la matière, rappelons qu'elle n'est à l'origine que de 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il nous faut donc, chacun l'aura compris, emporter l'adhésion de toute la communauté internationale. En l'occurrence, il est difficile de savoir si les États-Unis pourront s'engager, et quel serait, en cas de signature d'un accord, le niveau de leur engagement. En effet, leurs objectifs d'atténuation sont largement tributaires de la position qu'adoptera le Congrès sur les projets législatifs en cours de discussion. La Chambre des représentants a voté à une très courte majorité – 2 voix –, en juin dernier, une proposition de loi visant à réduire les émissions de 17 % en 2020 par rapport aux niveaux de 2005, soit à peine 4 % par rapport à 1990.
Malgré la faiblesse de ces engagements américains rapportés à ceux de l'Europe, les discussions au Sénat s'annoncent difficiles et pourraient malheureusement se prolonger au-delà de la conférence de Copenhague. Or l'administration américaine souhaite éviter la répétition de l'échec du protocole de Kyoto, signé en son temps par l'exécutif du président Clinton mais rejeté ensuite par le Sénat.
L'autre grand enjeu de la conférence de Copenhague est d'obtenir de la part des pays émergents, qui ne sont pas liés par les objectifs de Kyoto, des engagements sur des stratégies de développement sobres en émissions. En raison de leurs taux de croissance élevés et de l'importance de leurs populations, ils représentent une part de plus en plus importante des émissions mondiales.
La Chine et l'Inde, en particulier, refusent de s'engager sur des objectifs chiffrés et demandent au préalable des réductions d'émissions plus importantes de la part des pays développés, ainsi que des transferts technologiques et des moyens financiers. Il s'agit d'éléments clés de la négociation, sur lesquels il faut reconnaître que les pays développés tardent à faire des propositions tangibles.
Pour l'instant, seule la Commission européenne s'est engagée. Elle estime que 100 milliards d'euros d'ici à 2020 seront nécessaires pour financer les actions d'atténuation et d'adaptation dans les pays en développement et que l'Union européenne pourrait y contribuer à hauteur de 2 à 15 milliards en cas d'accord ambitieux à Copenhague.
Par ailleurs, le Conseil européen s'est déclaré favorable à une contribution de tous les pays, à l'exception des moins développés, en fonction de deux critères : la capacité contributive et la responsabilité à l'égard des émissions.
Ces éléments devront être précisés lors du Conseil européen, afin que l'Europe puisse défendre une position forte à Copenhague.
Faut-il pour autant être pessimiste sur les chances de parvenir à un accord ambitieux ? Des signes positifs sont apparus ces dernières semaines, laissant espérer une accélération des négociations avant Copenhague.
Ainsi, le Japon s'est fixé un objectif de réduction de 25 % de ses émissions en 2020 par rapport à 1990. Aux États-Unis, l'Agence de protection de l'environnement envisage de passer par la voie réglementaire pour fixer des normes de réduction des gaz à effet de serre. Enfin, même s'il n'a pas avancé de propositions chiffrées, le président chinois a annoncé un objectif d'inflexion des émissions de la Chine en 2020. Ces signes encourageants montrent que l'Europe doit continuer à jouer un rôle moteur dans la négociation.
En Europe, la France, à l'instar des résultats qu'elle a obtenus en décembre dernier au Conseil européen sous présidence française, doit continuer à être cette vigie avancée sur la question du climat.
Peut-on donc espérer, mes chers collègues, que l'opposition s'associe aux efforts du Président de la République, du Gouvernement, de la majorité (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), ou doit-on, comme pour les résultats obtenus au G 20 de Pittsburgh, entendre celle-ci nous asséner, comme elle l'a fait ici même la semaine dernière, un déni de réalité et une opposition systématique nourrie d'une rancoeur partisane ?
Vous conviendrez que la lutte contre le réchauffement climatique et l'urgence d'un accord international méritent bien mieux.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, dans cette partie décisive qui se joue dans quelques jours au Conseil européen, vous pouvez compter sur notre plein et entier soutien. Le groupe UMP sera à vos côtés, soutiendra les positions et les efforts du Gouvernement, il sera à l'unisson du discours du Président de la République lors du sommet de l'ONU le 22 septembre dernier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en l'absence de l'ordre du jour du prochain Conseil européen, je concentrerai mon propos sur une question fondamentale qui sera indubitablement au centre des débats, celle du devenir, toujours incertain, du traité de Lisbonne. Il s'agit d'une question symptomatique de la crise existentielle qui traverse la construction européenne et du fossé béant qui sépare les citoyens des dirigeants européens.
L'Europe qui se construit coûte que coûte, loin des citoyens et de leurs préoccupations, est en passe de franchir les limites. Après avoir forcé les Irlandais à voter une seconde fois sur le même traité, enfreignant les règles de la démocratie, utilisant un chantage honteux, les dirigeants européens exercent une pression consternante sur la République tchèque au mépris des règles constitutionnelles de cet État, frôlant ainsi les limites du respect de l'État de droit. (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP.)
La construction européenne traverse une crise profonde, dont témoignent parfaitement l'élaboration et le processus de ratification du traité de Lisbonne.
Souvenons-nous : après le revers cinglant infligé par le rejet de la Constitution européenne par les peuples français et néerlandais en 2005, il aura fallu deux ans de cogitation aux dirigeants européens pour élaborer un avatar de l'ex-traité constitutionnel.
Cette élaboration avait été organisée par les États membres sans consulter ni informer les citoyens européens, dans un laps de temps fulgurant, puisqu'elle s'était échelonnée entre le mois de mai 2007 et la mi-octobre de la même année. Ensuite, la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007, avait marqué le top du départ de la course à la ratification. Les chefs d'État et de Gouvernement s'étaient alors entendus pour contourner les peuples, en s'assurant que les ratifications parlementaires soient préférées aux consultations populaires, l'utilisation de la démocratie représentative ayant ici pour finalité d'échapper à l'expression directe du peuple.
Aussi, vingt-six États membres sur vingt-sept avaient-ils décidé de ratifier le traité de Lisbonne par la voie parlementaire. Seul le Gouvernement irlandais a dû recourir au référendum, puisque la Constitution de la République d'Irlande lui en faisait obligation. On en connaît le résultat : les Irlandais ont rejeté le traité de Lisbonne, le 12 juin 2008, par 53,4 % des suffrages.
En votant non une première fois, le peuple irlandais avait exprimé clairement et massivement sa souveraineté ; il avait posé son veto. Nous l'avons dit à plusieurs reprises, sur le plan juridique le traité de Lisbonne, dont l'entrée en vigueur est subordonnée à sa ratification unanime par les vingt-sept États membres de l'Union, était donc caduc depuis le 12 juin 2008.
Mais les chefs d'État et de Gouvernement ont très vite affirmé que les ratifications qui restaient à faire devraient continuer à suivre leur cours tout en faisant pression sur le peuple irlandais, pour qu'il corrige son mauvais vote. C'est ainsi que les Irlandais ont été appelés à revoter le 2 octobre dernier sur le même traité de Lisbonne. Cette méthode est peu reluisante, elle témoigne d'une incessante pression antidémocratique des chefs d'État ou de Gouvernement de l'Union européenne, qui n'entendent respecter les décisions populaires que lorsqu'elles sont conformes à leurs attentes.
Ces pratiques donnent une triste mais réaliste image de la manière ont l'Europe fonctionne. Ce n'est certainement pas de cette façon que les dirigeants européens résoudront la crise démocratique qui traverse l'Union européenne.
Le résultat du référendum irlandais du 2 octobre dernier n'est pas une surprise. La coalition de « oui-ouistes » rassemblant élites politiques et économiques, le tout soutenu par les médias, n'a pas ménagé ses efforts pour abreuver le peuple de campagnes publicitaires financées par des grandes entreprises comme Intel et Ryanair, et pour diaboliser le « non » et ses partisans.
Le vote positif s'explique aussi par le nouveau contexte économique : l'Irlande subissant une récession d'une intensité rare, elle a cédé au chantage à l'isolement.
Sur le plan politique, le Gouvernement irlandais a décidé d'organiser un nouveau référendum à la suite d'une série d'« arrangements » obtenus lors du Conseil européen des 18 et 19 juin 2009, qui lui ont permis d'affirmer, de manière fallacieuse, au peuple irlandais qu' il ne se prononçait pas sur un texte identique à celui qu'il avait massivement rejeté.
Pourtant, ces « petits arrangements » ont une portée juridique pour le moins incertaine : ainsi, malgré l'engagement d' adopter un futur protocole reproduisant le texte de la décision relative aux préoccupations du peuple irlandais lorsque le prochain traité d' adhésion à l' Union sera conclu et soumis à ratification, ledit protocole n'en devra pas moins être soumis à la ratification unanime. Autrement dit, ces « garanties irlandaises » ne sont pas juridiquement acquises ! Par ailleurs, si le résultat en Irlande amène les dirigeants européens à crier victoire, tous les obstacles ne sont pas levés. En effet, une dernière ratification est particulièrement attendue, celle de la République tchèque, dont le président a suspendu son approbation du texte.
Si la Pologne vient d'achever son processus de ratification du traité de Lisbonne, à la suite du résultat du référendum irlandais, le Président de la République Tchèque, Vaclav Klaus, a expliqué ne rien pouvoir signer « avant la décision de la Cour constitutionnelle », laquelle a été saisie le 30 septembre dernier par des sénateurs qui entendent faire vérifier que le traité est conforme à la loi fondamentale du pays.
Tandis que le Président tchèque a expliqué qu'il entendait respecter les règles constitutionnelles de son État, la pression des autres chefs d' État ou de Gouvernement de l'Union européenne ne faiblit pas. Selon différents observateurs, le Président tchèque sera obligé de signer le traité, tant la pression européenne est forte.
Pousser les chefs d' État à enfreindre leurs règles constitutionnelles : voilà l' Europe prête à fouler aux pieds l' État de droit.
D'ailleurs, la présidence suédoise avait indiqué en septembre qu'au cas où les Irlandais diraient « oui » au traité de Lisbonne, le Conseil européen des 29 et 30 octobre serait l'occasion d'accélérer la mise en oeuvre du traité en se mettant d'accord, notamment, sur le nom du futur Président stable de l'Union européenne.
À cet égard, nous ne pouvons que manifester une profonde inquiétude. En effet, l'ancien Premier ministre britannique serait pressenti pour être le premier président du Conseil européen des chefs d'État et de Gouvernement. Pour un diplomate français l'affaire est entendue: « Personne n'a osé s'opposer à Barroso. Qui osera dire non à Tony Blair ? ». La guerre en Irak, qui est une tache sanglante sur son CV, ne sera en aucun cas un empêchement discriminant : « seule l'opinion publique est encore sensible à cette question, pas ses électeurs qui sont les vingt-sept chefs d'État et de Gouvernement », poursuit ce diplomate. Voilà un bon résumé de la situation !
De fait, aucun politique n'a fait connaître son intérêt pour ce poste « ce qui montre soit la médiocrité de la classe politique européenne, soit le désintérêt croissant que suscitent ces postes », ironise un observateur bruxellois.
Voilà l'Europe qui se construit : une Europe qui refuse de changer son orientation quand les peuples européens le lui demandent, une Europe qui, lorsqu'elle ne contourne pas les peuples, les fait revoter, jusqu'à ce qu'ils disent « oui », en utilisant pour ce faire des moyens indignes, une Europe engagée pleinement dans la voie néolibérale, une Europe dont la logique a conduit à une financiarisation accrue de l'économie, ainsi qu'à la généralisation des pratiques de dumping social, écologique et environnemental. L'Union européenne porte une lourde responsabilité dans la crise que nous traversons.
La crise économique aurait dû pousser cette Union à une réaction politique d'ampleur, pour mettre au pas la finance et remettre le social au premier plan. Au lieu de cela, elle reste empêtrée dans le carcan de ses traités et de son idéologie néolibérale et est incapable de mettre en oeuvre une stratégie pour sortir de la crise. Nous vivons l'échec du système du capitalisme.
Pour notre part, nous avons formulé des propositions pour en finir avec ce modèle économique en faillite. Je ne les détaillerai pas ici. Je rappellerai juste la nécessité impérieuse de supprimer l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne qui laisse la liberté totale de circulation aux capitaux, entraînant les pires excès.
La crise que nous traversons aujourd'hui a été nourrie par ce modèle libéral. Mais alors que la situation actuelle devrait remettre en cause ces principes, l'Union européenne ignore les peuples et leurs besoins.
Ce mépris se manifeste dans la crise du lait, une crise mondiale de surproduction qui a entraîné un effondrement des prix payés aux producteurs depuis le printemps dernier. Alors que les producteurs manifestent depuis des semaines, dénonçant des prix du marché inférieurs aux coûts de production et demandant un renforcement des quotas, la réunion extraordinaire des ministres européens de l'agriculture, lundi 5 octobre dernier, a été « une réunion pour rien » !
Aucun accord n'a été trouvé, la réunion n'a donné lieu à aucune promesse de fonds supplémentaires et la revendication des organisations de producteurs, réclamant un renforcement des quotas de production à la place de leur suppression, programmée pour 2015, n'a pas non plus été satisfaite. Les producteurs demandent des mesures de régulation pour les protéger des fluctuations du marché, qui ont conduit à la dégringolade des cours du lait.
La mise en place d' un nouveau système visant à réguler le marché après la disparition des quotas laitiers n'est pas à l'ordre du jour : nous le déplorons.
De manière plus générale, c'est tout le secteur agricole qui pâtit des conséquences désastreuses du néolibéralisme. Aucun signe n'est donné aux agriculteurs, ni dans le sens de prix rémunérateurs qui leur seraient garantis ni dans la mise en oeuvre d'indispensables mesures de régulation. L'Europe poursuit indéfectiblement sa route vers une plus grande libéralisation des échanges agricoles et l'absence d'une véritable politique des prix pour les producteurs.
Quant à Copenhague et aux conséquences du réchauffement climatique, notre groupe a insisté pour qu'un débat ait lieu à l'Assemblée, au cours duquel nous ferons des propositions.
C'est dans ce contexte de crise et de mal-être généralisé que nous appelons, monsieur le ministre, les chefs d'État et de Gouvernement à impulser une autre dynamique lors du prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour pour le groupe Nouveau Centre.
Le Conseil européen d'octobre sera d'abord celui de la sortie de l'impasse institutionnelle. Enfin une très bonne semaine pour la construction européenne !
Le 13 décembre 2007, les vingt-sept chefs d'État et de Gouvernement de l'Union européenne apposaient leur signature au traité de Lisbonne. Près de deux ans après, le peuple irlandais a ouvert la voie à son entrée en vigueur définitive en votant massivement pour sa ratification.
Forts des garanties apportées par le Conseil européen mais sans doute aussi conscients du rôle protecteur joué par l'Europe dans la crise, les Irlandais ont, à plus de 67 %, dit « oui » à son entrée en vigueur. Je le répète : 67 % ! (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Je demande aux démocrates qui sont opposés au traité de Lisbonne de prendre acte de ce résultat et de ne pas être mauvais joueurs.
Samedi dernier, c'est le Président polonais qui apposait sa signature au traité. Permettez aux centristes de manifester leur profonde satisfaction devant la capacité de l'idéal européen, sur le long terme, de dépasser les crises toutes plus graves les unes que les autres qu'il a eu à affronter. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Rappelez-vous : 1954, échec de la Communauté européenne de la défense ; 1957, dépassement de cette crise avec le traité de Rome ; 1989, défi de la réunification allemande ; 1992, réponse à ce défi par le traité de Maastricht qui installe l'euro dans nos vies quotidiennes ;…
…2005, défi de l'élargissement à Vingt-sept et échec du traité constitutionnel censé y répondre ; 2007, dépassement de cette crise par le traité de Lisbonne ; 2008, « non » irlandais basé sur des craintes de perte de souveraineté ; 2009, large victoire du « oui » en Irlande.
Les grandes idées - et la construction européenne en est une - ont la peau dure et ne meurent jamais !
Certes, le traité de Lisbonne n'est probablement pas l'horizon absolu mais il permettra de sortir l'Europe du blocage institutionnel dans lequel l'avait plongée le traité de Nice.
Lisbonne, mes chers collègues, ce n'est pas rien ! C'est une présidence stable de l'Union pendant deux ans et demi, c'est la création d'un véritable ministère des affaires étrangères, c'est l'instauration d'un droit d'initiative citoyenne, qui permettra à un million de citoyens de faire une proposition à la Commission européenne.
La priorité est d'accélérer le processus de ratification, aujourd'hui entre les mains de nos partenaires tchèques. Sur ce sujet, il ne nous appartient pas d'intervenir dans la politique intérieure tchèque mais nous pouvons tout de même, ici à l'Assemblée nationale, dire notre profond désaccord face à la démarche dilatoire engagée par le président Klaus. Le Parlement tchèque a approuvé le traité – c'est lui qui est garant de la souveraineté populaire – et la Cour constitutionnelle de Brno l'a par ailleurs déjà jugé conforme à la Constitution tchèque. Il n'y a plus désormais aucune raison de fond pour justifier un nouveau retard dans la ratification tchèque. Aussi, monsieur le ministre, nous vous interrogeons sur la position qui sera celle de la France vis-à-vis du Gouvernement tchèque. Plus largement, la question que nous, centristes, posons, est celle du calendrier d'entrée en vigueur effective du traité. La question que se posent désormais tous les Européens est de savoir quand l'Union aura enfin un visage, quand enfin elle aura un Président. Quand enfin pourrons-nous répondre concrètement à la célèbre question d'Henry Kissinger, humiliante pour chacun des Européens : « L'Europe, quel est son numéro de téléphone ? »
Le Conseil européen, M. Lecoq l'a dit, ce sera aussi s'atteler aux préoccupations concrètes de nos concitoyens…
…et nous, centristes, dans le prolongement des questions que nous posons semaine après semaine, nous voulons aborder à nouveau le problème des professionnels de la filière laitière.
La récente réunion des vingt-sept ministres de l'agriculture n'a débouché que sur la décision de mettre en place un groupe d'experts de haut niveau qui ne remettra pas ses conclusions avant neuf mois. Nous saluons les efforts et les démarches entreprises par le ministre de l'agriculture pour créer au sein de l'Union un rapport de force favorable à la position française d'une filière laitière qui ne soit pas exclusivement fondée sur des critères de rentabilité et qui prenne en compte les enjeux d'aménagement du territoire.
Mais les producteurs de lait attendent plus de l'Europe. Aujourd'hui, le prix payé aux producteurs reste de loin inférieur à leur prix de revient. Dans ce contexte, la suppression progressive d'ici à 2015 des quotas laitiers n'est pas satisfaisante.
Au nom des députés centristes, je vous le répète, nous avons besoin de mesures urgentes pour sortir de la crise et d'un nouveau modèle européen de régulation de cette filière.
Enfin, c'est Copenhague et les négociations sur le climat qui seront, et à juste titre, dans tous les esprits lors du prochain Conseil européen.
En adoptant en décembre dernier sous présidence française, le paquet énergie-climat, l'Europe a fait le choix de se doter, en la matière, du cadre normatif le plus ambitieux qui soit à l'heure actuelle. M. Deflesselles l'a dit, l'Europe a décidé, d'ici à 2020, de réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre, d'atteindre 20 % de sa production énergétique dans le secteur des énergies renouvelables, d'augmenter son efficacité énergétique de 20 %.
Oui, l'Europe a donc fait le choix de l'exemplarité mais alors que l'augmentation annuelle de la production de CO2 d'un pays comme la Chine représente à elle seule le total de la production d'un pays comme la France, chacun d'entre nous mesure combien il est, sur un tel sujet, vain d'être soi-même exemplaire si l'on ne cherche pas à entraîner les autres sur la même voie.
Au G20 de Pittsburgh, l'Europe a été entendue car elle a su se présenter unie en définissant au préalable au niveau des chefs d'État et de Gouvernement sa position et ses exigences. À Copenhague, la position européenne constituera une nouvelle fois l'une des clés essentielles de la négociation. Après avoir fait il y a un an le choix de l'exemplarité, l'Europe devra savoir convaincre et assumer son avance mondiale dans ce domaine.
C'est sur la base du principe de responsabilité commune mais différenciée selon le niveau de développement, adopté à Bali en décembre 2007 que l'Europe devra faire des propositions à même d'entraîner les pays émergents dans la diminution des émissions de CO2. Ce ne sera pas facile ! L'Europe devra faire des gestes forts, notamment être prête à proposer des aides financières et des transferts de technologie vers les pays émergents qui accepteront de s'engager dans ce combat. C'est là aussi l'une des conditions véritablement essentielles du succès de la conférence de Copenhague.
Mes chers collègues, nous centristes, nous croyons à la magie de Copenhague comme nous avons cru, les premiers, à la magie du Grenelle de l'environnement puis à celle du paquet énergie-climat.
Cette magie c'est celle, derrière les traditionnels ballets politiques ou diplomatiques, d' une prise de conscience collective autour de la nécessité de s'engager dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Monsieur le ministre, les centristes demandent au Conseil européen de faire preuve d'audace, encore et toujours. C'est maintenant à Copenhague qu'il faudra jeter des ponts entre les grands principes commerciaux qui régissent l'OMC et notre ambition de sauvegarde écologique de la planète. C'est maintenant qu'il faut faire accepter, au niveau mondial, le principe d'une juste taxation des émissions de CO2 dues au transport et à la logistique des grands échanges internationaux.
La France, exemplaire avec la taxe carbone (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) – dites-le, si vous n'en voulez pas, que nous en parlions ! – a l'autorité politique pour engager le débat sur une taxe mondiale sur les échanges internationaux et ouvrir la voie en ce sens.
Pour conclure de manière un peu moins solennelle, je soulignerai qu'il est temps de jurer, avec Alain Juppé, que nous ne mangerons plus de cerises en hiver, ni même de pruneaux qui ne proviendraient pas d'Agen ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe NC.)
La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer le verdict formidable du peuple irlandais et la signature du président polonais.
L'Europe s'apprête enfin – je l'espère du moins –, à tourner la page de son introspection institutionnelle et à se doter d'instruments de décision à la mesure des enjeux de son influence dans le monde. Plutôt que de subir la mondialisation, il faut contribuer à la façonner. Les moyens d'agir sont désormais sur la table : il ne manquera que la volonté de s'en saisir.
Dans quelques semaines, j'en suis convaincu, cinquante nouveaux domaines échapperont à l'étau de l'unanimité. N'y avait-il pas quelque chose d'absurde à ce qu'un seul État contre vingt-six puisse prendre en otage des politiques aussi capitales que la lutte contre le terrorisme ou le réchauffement climatique, qu'a évoqué Bernard Deflesselles ?
La démocratie sera également la grande gagnante de la mise en oeuvre du nouveau traité, grâce, à la fois, au Parlement européen, qui votera la loi commune à égalité avec les États, et aux Parlements nationaux, promus précieux relais entre l'Europe et ses peuples et veilleurs de la subsidiarité. C'est que les vicissitudes des ratifications nous ont parfois fait oublier l'essentiel : le traité de Lisbonne met l'Europe élargie en ordre de marche.
Devant de tels progrès, je veux affirmer ici avec vous que l'obstination d'un seul homme ne peut primer sur la volonté de 500 millions de citoyens, exprimée démocratiquement dans tous les États membres par vingt-six Parlements de l'Union, et hier, avec quelle majorité – 67 % –, par le peuple irlandais !
La République tchèque a signé le traité de Lisbonne le 13 décembre 2007. Le Parlement tchèque l'a ratifié. Il serait inconcevable que Vaclav Klaus n'y appose pas sa signature. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Toutefois, il ne convient pas de négliger les enseignements de cette décennie à la recherche du temps perdu par nos institutions, notamment celui qui se dégage du second référendum irlandais. Sans nul doute – M. Lecoq l'a lui-même souligné –, lorsque le temps se gâte, les peuples conviennent de la nécessité de l'Europe. Aucun État aujourd'hui ne risquerait seul sa frêle embarcation par le gros temps de la tempête économique et financière.
C'est la raison pour laquelle l'Islande a demandé son entrée dans l'Union. C'est également la raison pour laquelle la Suède et le Danemark s'interrogent sur leur entrée dans l'euro. Toutefois, il nous appartient de faire partager notre conviction de la nécessité d'Europe également par temps calme. C'est tout l'objet des preuves tangibles et des apports concrets de l'Europe, que le Président de la République a su donner comme ambition à notre pays. La commission des affaires européennes s'efforcera évidemment, monsieur le président, de contribuer à cet effort indispensable.
Revenons aux institutions, je l'espère pour la dernière fois avant longtemps.
Sur le plan institutionnel, ce qu'il importe en premier lieu, c'est de poser sans tarder la clef de voûte de notre nouvel édifice, à la confluence des trois arcs que constitueront le Président de la Commission – José Manuel Barroso, brillamment élu parce que sa majorité a été clairement choisie par les peuples –, le Haut représentant et le Président du Conseil européen.
Si le choix des chefs d'État et de Gouvernement est à la hauteur de l'enjeu, si le nouveau Président de l'Union incarne un engagement profond et ambitieux, véritablement européen, si ses premiers pas, qui seront décisifs, sont ceux d'un président « leader » et non ceux d'un simple « chairman », alors, je crois fermement que l'Europe aura gagné ce qui lui fait tant défaut aujourd'hui : un visage pour dialoguer avec ses peuples et avec le monde. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer quelle sera l'approche de la France sur cette question décisive ?
Le Conseil européen ne s'arrêtera pas là. Je passe rapidement sur les questions déjà abordées, comme la nouvelle Commission, qui devra compenser l'occasion manquée de la cohérence d'une équipe resserrée par la sagesse et l'équilibre d'un choix avisé des compétences et des sensibilités. Pouvez-vous, à ce propos, nous préciser le calendrier prévu pour la mise en place de la nouvelle Commission ?
Toutefois, je veux aujourd'hui insister sur les défis politiques majeurs qui nous attendent.
Le Conseil européen s'apprête à capitaliser les acquis des années 2008 et 2009, qui furent, à bien des égards, celles du retour de l'Europe. Le paquet climatique nous donne en effet la crédibilité internationale nécessaire sur laquelle nous pouvons fonder une position commune, ferme et exemplaire, à la veille de la conférence de Copenhague, ce que souligne le rapport de MM. Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert.
Je pense enfin que l'Europe doit montrer sa volonté d'agir désormais comme un acteur mondial de premier plan dans les affaires étrangères et de défense. Où en est la mise en place du service d'action extérieure ? Où en est la contribution de l'Union à la formation d'une armée somalienne après l'initiative de la France de former 500 soldats ?
Nous nous battons à la fois pour une Europe politique et pour une Europe des citoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les Conseils européens se suivent mais ne se ressemblent pas. Celui qui aura lieu les 29 et 30 octobre s'annonce particulièrement ambitieux pour l'Europe, vous l'avez souligné, monsieur le ministre. Je m'en réjouis et j'espère que nous pourrons ainsi établir un pont avec la présidence française, en retrouvant un peu de son allant.
Les thèmes principaux de cet important Conseil ont été rappelés. Les dirigeants feront le point des préparatifs en vue de la conférence de Copenhague. Le Conseil européen analysera également les derniers développements concernant la situation économique et financière et la supervision du système financier à l'échelle de l'Union européenne. Les chefs d'État et de Gouvernement devraient adopter la stratégie pour la région de la mer Baltique, qui sera précisée dans quelques jours. Le Conseil européen débattra du thème de l'immigration clandestine. Il abordera, enfin, d'éventuels développements en matière de relations extérieures.
Hormis la « stratégie pour la Baltique », propre à la présidence suédoise, sur chacun de ces points la présidence française avait posé des jalons décisifs. Les Vingt-sept peuvent de nouveau d'autant plus progresser dans tous ces domaines que le principal obstacle institutionnel qui entravait la marche en avant de l'Union européenne est en passe d'être levé avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Sur ce point également, la présidence française a fait oeuvre utile en proposant la marche à suivre pour sortir le traité de l'ornière. Validée techniquement sous présidence tchèque, cette solution a été une marche vers le succès et vers le « oui » franc et massif de plus de 67 % des Irlandais.
Je ne saurais en effet imaginer un seul instant, monsieur Lecoq, que le Président de la République tchèque persiste à vouloir paralyser l'ultime étape de la dernière ratification du traité,…
…alors que, je le rappelle, les deux chambres du Parlement tchèque ont d'ores et déjà autorisé sa ratification. Ce serait tout simplement un déni de démocratie.
Le Conseil européen aura d'importantes décisions à prendre et des impulsions décisives à donner.
Permettez-moi de souligner rapidement trois points.
Le premier concerne la désignation du Président stable du Conseil européen, pour un mandat de deux ans et demi renouvelable. Il est capital que celui ou celle qui incarnera pour la première fois cette présidence soit une figure politique de tout premier plan dont l'engagement européen soit exemplaire, car cette personnalité imprimera sa marque à la fonction. De cette personne dépendra en grande partie que le visage de l'Europe soit volontaire ou effacé.
Ce président devra avoir pour qualité principale la ferme volonté de réaliser des objectifs ambitieux. Pour ce faire, il lui faudra du dynamisme et de la clairvoyance au service de la grande aventure qu'est la poursuite de la construction européenne.
Finalement, sa nationalité importe peu, mais son engagement et ses convictions pro-européennes sont essentiels. Ce n'est pas parce que ce Président du Conseil européen viendrait d'un État membre n'appartenant ni à la zone euro ni à l'espace Schengen que ces deux ensembles perdraient leur caractère de véritable coeur de l'Union européenne. Ce premier cercle de la construction européenne garde toute son importance et tout son pouvoir d'attraction, comme le montrent l'attachement réaffirmé des Irlandais à la zone euro ou le souhait de l'Islande, déjà membre de l'espace Schengen, de parachever son ancrage européen par l'adhésion à l'Union comme à la zone euro.
En deuxième lieu, il est à mes yeux indispensable que, dans le paysage institutionnel qui se redessine, la prochaine Commission européenne retrouve tout son poids et reprenne toute sa place comme moteur de l'intérêt général européen. Cela ne signifie pas que la Commission doive devenir hégémonique…
…mais elle s'est trop affaiblie ces derniers temps pour qu'un équilibre satisfaisant s'établisse entre les trois pôles que sont le Conseil, la Commission et le Parlement européen.
Voilà qui m'amène à mon troisième et dernier point : la mise en place prévue par le traité de Lisbonne du futur service européen d'action extérieure – vous l'avez évoquée, monsieur le ministre.
Sitôt la ratification irlandaise acquise, les groupes de travail ad hoc et les débats ont repris sur la place, le format, l'organisation, les recrutements ou encore le financement de ce service d'action extérieure, qui sera sous l'autorité d'un nouveau Haut représentant, véritable ministre des affaires étrangères de l'Union, également vice-président de la Commission.
La phase de mise en place sera décisive pour la crédibilité et l'efficacité du service européen d'action extérieure, qui est commun au Conseil et à la Commission et situé à équidistance entre ces deux institutions. C'est la garantie à la fois de sa performance et de son efficacité. C'est ainsi que la voix de l'Union dans le monde pourra être forte et cohérente.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a-t-il aujourd'hui pris la décision de soutenir ou d'encourager la candidature d'une personnalité française ou étrangère à la présidence stable de l'Union et, si oui, pouvez-vous nous indiquer laquelle ?
Si tel n'est pas le cas, où en est votre réflexion à ce sujet ?
Le Président stable du Conseil européen devra travailler pendant deux ans et demi avec les chefs d'État et de Gouvernement qui continueront tous les six mois à assurer la présidence tournante du Conseil des ministres de l'Union. Comment ces relations, selon vous, s'organiseront-elles si on songe, par exemple, à ce qu'elles auraient été, au moment de la crise en Géorgie, entre le Président Sarkozy et la personnalité qui aurait exercé la fonction de Président du Conseil européen ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen des 29 et 30 octobre aura des questions essentielles à trancher : ce caractère concret est le signe de l'élan retrouvé de l'Union européenne régie par le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Je souhaite répondre à chacun des orateurs, en commençant par M. Christophe Caresche, qui a soulevé des points très importants, notamment l'intensité de la crise. C'est en effet une réalité qui pèse sur tous les pays de l'Union et rend d'autant plus importante l'idée même de construction européenne.
Tout en comprenant qu'il brosse un tableau très sombre de la situation économique en Europe, je demande à Christophe Caresche ce qui aurait bien pu se passer si le cadre européen n'avait pas existé, si nous n'avions pas bénéficié d'un tel ensemble institutionnel sous présidence française. Des décisions ont ainsi pu être prises en commun pour arrêter l'hémorragie financière. Que se serait-il passé si l'action du président de la Banque centrale européenne n'avait pas appuyé celle du Président de la République, alors président de l'Europe, si, dans ce cadre européen, nous n'avions pas mis en commun des plans de relance qui ont dépassé 1,5 % du PIB et ont permis un début de reprise en France et en Allemagne ?
Si l'on compare la gravité de la crise de 2008 à celle de 1929, nous avons les mêmes causes et nous avons failli avoir les mêmes effets : la crise de 1929 avait conduit à l'élection de Hitler et à la guerre alors que, cette fois-ci, heureusement, les institutions européennes nous ont permis non seulement de tirer les leçons de l'histoire mais encore de bien résister à la crise et donc d'en limiter les dégâts.
Aussi M. Caresche comprendra-t-il que je ne dresse pas un tableau négatif puisque nous avons au contraire été largement sauvés par notre cadre européen. C'est bien la raison pour laquelle l'Islande, pays qui jusque-là se portait très bien en dehors de l'Union européenne, se précipite aujourd'hui pour adopter l'euro,…
…et c'est la raison pour laquelle l'Irlande qui, lorsque tout allait bien, avait dit « non » au référendum sur le traité de Lisbonne, se rallie aujourd'hui à l'Europe à 67 % des suffrages exprimés – tous partis confondus, tous syndicats confondus. Non pas parce qu'on l'y a forcé, comme l'a dit M. Lecoq, mais, tout simplement, parce que là était l'intérêt bien compris d'un pays en crise.
Je partage néanmoins, comme, du reste, tout le monde en Europe, la crainte de M. Caresche concernant le risque de marginalisation. Ce risque est si avéré que dans tous les pays où l'on va, on se rend compte que les Gouvernements attendent la mise en oeuvre du traité de Lisbonne, seule façon pour nous de peser sur les grandes affaires du monde.
Qu'avons-nous appris depuis 2008 ? Que quand la France et l'Allemagne sont unies, que le Royaume-Uni s'agrège à ce couple et que l'Europe suit, alors nous pouvons mobiliser les autres pôles de puissance. J'en veux pour preuve ce qui s'est passé au dernier G 20 qui lui-même n'existait pas il y a un an : il s'agit d'une idée française, imposée par l'Europe aux États-Unis. Il est devenu le cadre de règlements politiques et économiques de la planète.
Ainsi de la réforme financière : la totalité des mesures acceptées à Pittsburgh l'a été sur le fondement de la lettre de Nicolas Sarkozy et d'Angela Merkel. De même, en ce qui concerne le climat : si, comme je l'espère, nous parvenons à un accord à la fin du mois entre Européens, il s'agira du seul levier pour servir de médiation – pour reprendre le mot de l'un des orateurs – à même de faire bouger l'Inde, la Chine et les État-Unis sur l'un des dossiers les plus importants pour l'humanité.
Certes, le risque de marginalisation existe ; en même temps, les institutions européennes nous permettent d'avancer.
Vous avez ensuite rappelé l'impératif d'avancer sur le plan européen en matière industrielle et monétaire. Sur ce dernier point, vous l'avez dit vous-même, le Président de la République ne cesse d'insister : il faut que le dollar comme le yuan soient à niveau avec l'Europe. Il n'est pas question que l'Europe reste pénalisée par la surévaluation systématique de l'euro. De même, nous projetons de pousser des politiques industrielles communes, des politiques énergétiques communes dès lors que les institutions seront en place. Nous y travaillons à partir de ce fameux agenda franco-allemand. Nous attendons beaucoup du 9 et du 11 novembre, de la constitution du nouveau gouvernement allemand.
Nous pourrons dès lors mobiliser l'énergie des deux pays pour mettre en place un certain nombre d'initiatives importantes, qu'elles touchent l'industrie, l'énergie ou la cohérence de nos politiques économiques.
L'état des déficits de part et d'autre du Rhin, monsieur Caresche, n'est pas une question facile mais j'y répondrai avec franchise. Honnêtement, depuis ma nomination et pour avoir été de nombreuses fois en contact avec nos amis allemands, je n'ai entendu de donneurs de leçons ni d'un côté ni de l'autre. Nos deux pays sont fortement affectés par la crise. Le déficit public annoncé est, certes, très supérieur en France – de l'ordre de 8 % du PIB – par rapport au déficit allemand qui dépasse 3,5 % du PIB. L'année prochaine, le déficit allemand devrait augmenter et le nôtre, j'espère, baisser.
Quant au taux d'endettement par rapport au PIB, il dépasse 70 % des deux côtés du Rhin. Aucun des deux partenaires n'est donc à même de donner de leçon à l'autre. Chacune de nos deux nations est très touchée par la crise. Nous sommes résolus, du côté français, à continuer de réduire nos déficits structurels. Nous nous y employons, ce qui nous vaut souvent les critiques de l'opposition, comme lorsque nous continuons, malgré la crise, de réduire le nombre d'emplois publics, lorsque nous persistons à vouloir réformer les retraites en 2010, enfin, lorsque nous voulons réformer les collectivités territoriales. Toutes ces réformes ne sont pas franchement populaires mais nous travaillons, j'insiste, à la réduction des déficits publics, condition indispensable pour que l'écart ne se creuse pas entre nos deux pays.
Nous disposons par ailleurs d'un tissu de PME moins important qu'en Allemagne. Nous allons y remédier dans le cadre de l'emprunt. Honnêtement, on ne peut pas dire que les deux stratégies économiques ne soient pas en phase – au contraire. Nous veillerons à ce que, tant sur le plan industriel que sur celui des politiques économiques, Allemagne et France avancent de conserve, malgré les difficultés causées par la crise.
Je remercie M. Deflesselles de son soutien et, à travers lui, de celui du groupe UMP. Nous nous trouvons en effet à un moment clef de l'histoire : la troisième phase de l'histoire européenne commence aujourd'hui. La première était celle de la réconciliation franco-allemande avec une demi-Allemagne et une demi-Europe entre 1945 et 1989. Nous avons connu ensuite les vingt années postérieures à la réunification allemande, réunification globalement réussie.
Pendant cette dernière phase, l'Europe s'est cherché des institutions. Enfin, la troisième phase commence avec l'application progressive des dispositions du traité de Lisbonne. Ces débuts, vous l'avez rappelé, monsieur Deflesselles, sont bons : élection de José Manuel Barroso, élections législatives allemandes, mise en place du traité grâce à la ratification irlandaise… – le moment est venu de bâtir l'Europe du futur.
M. Klaus, le président tchèque, ne peut pas signer le traité puisque, vous le savez, la Cour constitutionnelle a été saisie par des députés. On nous a interrogés sur le calendrier, or la position de la France est très simple : notre pays est opposé à toute renégociation du traité ; nous considérons ensuite que la question soulevée sur les décrets Beneš est d'ores et déjà résolue par le principe général du droit de non-rétroactivité. Autrement dit, la charte des droits fondamentaux de l'Union n'est pas rétroactive. Enfin, le traité a été ratifié par les deux chambres en République tchèque et jugé conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle saisie en septembre 2008. Nous considérons dès lors que la signature est une compétence liée. Nous l'attendons donc et nous faisons confiance à la présidence suédoise et à M. Barroso pour en venir très rapidement à la mise en oeuvre du traité.
Pour ce qui est de la mise en place de la nouvelle Commission, soit elle sera prolongée au-delà du 30 octobre puisque son mandat vient à échéance à ce moment précis, soit une autre Commission sera nommée en vertu des dispositions du traité de Nice, ce qui impliquerait qu'un État n'ait pas de commissaire. Je n'en dirai pas davantage mais cette dernière solution est l'une de celles que nous pouvons envisager.
En ce qui concerne l'Europe de la défense – question posée par M. Deflesselles mais aussi par mon ami le président de la commission des affaires européennes –, tout n'avance pas au rythme que nous pourrions souhaiter et nous allons y travailler, côté Français, avec ardeur car tel est le souhait du Président de la République qui a souligné, devant ses ambassadeurs : « L'Europe, ce n'est pas la Croix rouge, ce n'est pas une ONG ! »
Les ONG, ce n'est pas son truc, en effet, au contraire des établissements publics…
En effet, 500 millions d'habitants doivent être capables de défendre leurs intérêts stratégiques, leurs principes et leurs valeurs. Un minimum de force est par conséquent nécessaire. Comme le disait Bernard Kouchner, il faut que des soldats flanquent les diplomates.
Ces soldats, je suis allé les voir à Djibouti, le week-end dernier, accompagné de votre collègue Christian Ménard. Nous avons rencontré les 27 ambassadeurs du comité de politique et de sécurité, le COPS, afin de montrer que l'Europe pouvait très bien fonctionner sur le plan militaire. La force navale européenne Atalante, dans le Golfe d'Aden, accomplit un excellent travail, meilleur que toutes les autres opérations dans la région.
Il convient d'aller au-delà, de développer dans cette zone et à partir de Djibouti une compétence régionale en matière de garde-côte financée par l'Union européenne et par le Japon. Un tel dispositif revient aussi à aider la France, bien seule, à former les forces de sécurité somaliennes pour éviter que la Somalie ne devienne un autre Afghanistan aux mains d'Al-Qaida et des Chebabs.
Voilà pourquoi je suis allé à la rencontre des ambassadeurs du COPS à Djibouti. Je voulais leur dire : « Voilà ce que fait la France avec ses forces. Merci à vous d'apporter également vos formateurs. Aidez-nous à stabiliser cette région du monde tant il est vrai que la sécurité de la France n'est pas seule en cause : c'est bien la sécurité commune de tous les Européens. »
Cette prise de conscience sur le terrain a fait avancer les choses. L'Europe de la défense n'est pas qu'une affaire d'institutions : c'est également une affaire d'opérations. Quand l'Europe agit – elle l'a montré en Bosnie, le montre avec l'opération Atalante et le montrera demain au Kosovo –, elle sait faire et, surtout, elle sait de manière unique mêler le civil et le militaire pour des opérations des plus utiles pour la sécurité globale.
Je remercie encore une fois le groupe UMP de son soutien.
Je souhaite dire un mot de la conférence de Copenhague – affaire très lourde –, en commençant par examiner le calendrier. Plusieurs réunions importantes sont prévues avant le 30 octobre : le Conseil européen se tiendra après un conseil ECOFIN et un conseil des ministres de l'environnement. Pour ce qui est de ce dernier, nous devons trouver des réponses convergentes sur au moins quatre ou cinq points difficiles.
Établissons-en rapidement la liste – la négociation commence et il ne s'agit pas de fixer les positions mais d'émettre certaines idées. Devons-nous passer ou non de 20 % à 30 % de réduction de l'émission des gaz à effet de serre ? Avec 13 % du total des émissions mondiales de dioxyde de carbone, l'Europe est très en avance : nous sommes même les moins pollueurs de la planète.
Nous nous sommes fixé un objectif ambitieux : réduire de 20 % l'émission des gaz à effet de serre. Nous y sommes. La France elle-même se situe en tête. Faut-il aller jusqu'à 30 % ? Tout dépend de la négociation. Au sein même de l'Union européenne, certains pays sont peu favorables à la poursuite d'un tel objectif car plus dépendants d'une économie gourmande en carbone – je pense à certains pays d'Europe centrale.
Ensuite, quelle sera la contribution financière de l'Union aux pays en développement, sachant, comme le souligne fort justement Bernard Kouchner, qu'il existe une grande différence entre les pays émergents et les pays en voie de développement, les premiers se cachant souvent derrière les seconds ? Les chiffres varient de façon extravagante : entre 2 milliards d'euros et 100 milliards d'euros !
Cette question conduit à d'autres : qui paie combien ? Quelle est la clef de répartition ? Faut-il tenir compte des acquis de Kyoto ? Autre question : comment répartir les permis de polluer ? Quid, dans ce cadre, des forêts, les pays scandinaves étant particulièrement concernés ? Ces questions ne sont pas réglées en interne.
Il conviendra de nous mettre d'accord sur un dernier point avant la fin du mois : qui va porter la voix de l'Europe ? Bernard Kouchner a fait allusion à une négociation importante à Bangkok pour préparer la conférence de Copenhague. Que s'y est-il passé ? L'Europe, plutôt en avance sur tout le monde, a été la cible de toutes les attaques de la part de toutes les autres parties. En effet, le porte-parole américain s'exprime au nom des Américains, son collègue indien parle au nom des Indiens, de même que le porte-parole chinois au nom de ses compatriotes, cependant que l'Europe ne parle toujours pas d'une seule voix, faute d'avoir défini ses positions.
Il est donc urgent de finaliser ses positions, et surtout de trouver une figure qui les portera dans la négociation finale.
Le prochain rendez-vous, comme vous le savez, c'est le sommet intermédiaire qui se tiendra, probablement en Asie, au mois de novembre. Il sera suivi de la rencontre de Copenhague au mois de décembre.
Voilà. Je crois avoir fait à peu près le tour des questions qui ont été posées par l'ensemble des orateurs.
J'allais l'oublier !
J'allais l'oublier, et je m'en serais voulu. Je voulais le remercier pour sa diatribe contre le deuxième référendum irlandais et pour sa plaidoirie en faveur de Vaclav Klaus. Cela restera comme un grand moment dans l'histoire de votre assemblée.
On vit une époque formidable. Quand j'entends le représentant de Marie-George s'allier avec Vaclav, et bientôt avec David Cameron,…
…je me dis que, quand même, certaines frontières idéologiques sont troublées, et que l'échine idéologique de M. Lecoq est assez souple.
Je vous demande de réfléchir aux points communs qui existent entre vous, communistes, l'ultralibéral Vaclav Klaus et le conservateur britannique David Cameron. Si vous trouvez la réponse, je crois que vous finirez peut-être, un jour, par retrouver vos électeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Maurice Leroy.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés (nos 1893,1949).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de : huit heures dix pour le groupe UMP, dix heures vingt-six pour le groupe SRC, cinq heures quarante et une pour le groupe GDR, quatre heures dix-neuf pour le groupe Nouveau Centre, et cinquante minutes pour les députés non-inscrits.
La parole est à M. Bruno Le Roux.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, mes chers collègues, nous avons commencé hier ce débat portant sur la délimitation des circonscriptions. Mais au cours de ces derniers jours, un certain nombre de déclarations ont été faites, non pas sur la délimitation des circonscriptions, mais sur d'éventuelles modifications du mode de scrutin.
En commission des lois, nous vous avions demandé, monsieur le secrétaire d'État, si une modification du mode de scrutin pour l'élection des députés était envisagée. Votre réponse a été claire. Nous pensons maintenant qu'elle doit éclairer toute l'Assemblée, et non plus seulement la commission des lois. C'est pourquoi, ce point ayant un rapport direct avec l'organisation de nos débats et celle de cette séance, je vous demande à nouveau s'il entre dans les projets du Gouvernement de modifier le mode de scrutin pour l'élection des députés en 2012. Un certain nombre d'articles de presse ont par exemple évoqué la possibilité d'un scrutin uninominal à un tour.
M. le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales me fait signe qu'il vous répondra à l'issue de la motion de renvoi en commission.
J'ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
Monsieur le président, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, nous arrivons au terme de ce que vous prétendez être un processus d'ajustement : le redécoupage des circonscriptions électorales législatives. Vous pouvez être satisfait, vous qui vous appuyez sur le respect d'une loi que vous avez vous-même initiée et préparée dans le moindre de ses détails, cette loi d'habilitation que nous avons combattue mais que votre majorité a votée, limitant ainsi son propre pouvoir législatif. Or c'est de notre propre représentativité qu'il s'agit, donc de la légitimité de la représentation nationale.
L'un des fondements de la République est que chaque citoyen compte pour un, ce qui implique que toutes les voix citoyennes sont égales. À ce moment du débat sur votre projet, ce n'est assurément pas le cas. Au contraire, les inégalités sont extrêmement fortes. Vous êtes contraint, d'ailleurs, de le reconnaître implicitement.
Pourquoi la loi elle-même permet-elle de telles inégalités ? Pour l'instant, je ne peux que constater que la loi d'habilitation votée par la majorité à votre initiative en est responsable dans son essence et dans les marges qu'elle vous a laissées. Les inégalités fortes subsisteraient donc après votre découpage entre les départements. Maints exemples ont été cités par de nombreux membres de notre commission, que vos réponses n'ont pas convaincus. Ce qui domine, encore une fois, ce sont les inégalités qui demeurent, qui pèsent de fait sur la légitimité de la représentation nationale.
Comme vous, on peut toujours dire en substance : c'est moins grave qu'avant. Mais c'est à la représentation des citoyens que l'on touche, les exigences d'égalité sont impérieuses ! C'est le coeur des principes fondateurs de notre vie démocratique.
De ce point de vue, disons-le clairement, ce à quoi vous avez abouti n'est pas satisfaisant. Au contraire, le mode d'élection des députés, après votre redécoupage, consacre des inégalités entre les citoyens avant même le scrutin. Je trouve pour le moins curieuse votre réponse à l'avis du Conseil d'État. Je ne connais pas cet avis et, d'ailleurs, après votre réponse, nous ne savons toujours pas s'il est totalement public. Nous ne savons que ce que vous dites : « Le Conseil agit en tant que conseil du Gouvernement. Il est favorable au projet de loi de ratification et l'a fait savoir publiquement. Nous n'avons en effet pas tenu compte des suggestions qu'il a faites à propos de l'ordonnance. Pourquoi ? Elles relevaient du perfectionnisme ! »
Il est incompréhensible de récuser par avance la « perfection », quand il s'agit de l'égalité de nos concitoyens dans le vote, de la représentativité la plus scrupuleuse des élus du peuple, de la démocratie de notre République. En effet, le but poursuivi à travers le projet de loi d'habilitation voté aux forceps ne vise pas la perfection démocratique, mais bel et bien un autre objectif : s'assurer une majorité au cas où vous ne seriez plus majoritaires.
De ce point de vue, l'affirmation de nos collègues socialistes, selon laquelle il faudrait à la gauche, dans sa diversité, 51,4 % pour obtenir une majorité, démontre l'orientation exacte de ce redécoupage. D'autres partis politiques, des associations citoyennes ont fait le même constat. Votre réponse ne peut donc manquer de surprendre. Vous dites « que cela s'appuie sur le second tour de 2007, alors que des députés ont été élus dès le premier tour ». Sachant que cela concernait davantage de députés de droite que de députés de gauche, monsieur le ministre, vous aggravez votre cas !
Pourquoi ne pas annexer les simulations à votre projet ? Il n'y a aucune impossibilité technique à les réaliser, notre collègue en a fait la démonstration hier après-midi.
Le choix de ne pas les publier tient plutôt à l'objectif que s'est fixé le Président de la République : assurer une majorité parlementaire à droite, même quand celle-ci est minoritaire dans le pays. On comprend mieux votre silence lors de votre dernière audition, alors qu'un collègue de la majorité, mécontent, vous invitait à davantage communiquer sur cette question fondamentale du redécoupage.
Mais revenons à l'objectif réel de votre projet. Permettez-moi de prendre l'exemple, non de ma situation, mais de celle de la Seine-Maritime, département dont je suis député. Elle est révélatrice des objectifs non affichés et des exceptions aux critères que vous dites avoir retenus.
La sixième circonscription de Seine-Maritime compte actuellement 115 816 habitants. Circonscription la plus industrielle de France, elle comprend une grande ville, Le Havre, des villes moyennes, mais aussi un territoire rural important, et ces caractères urbain, rural et industriel y cohabitent en harmonie. Le Gouvernement a jugé qu'il fallait progressivement réduire l'écart entre cette circonscription et les autres du département. Progressivement ? Elle est totalement disloquée, elle a disparu ! J'oubliais : cette circonscription est la seule qui ait été gagnée sur l'UMP par un député communiste. Ceci explique peut-être cela.
Dans le nord du département, c'est la onzième circonscription qui, avec 100 616 habitants, est remaniée. Elle deviendrait la sixième circonscription en titre. S'il ne fallait que l'agrandir, il suffisait d'y ajouter un des cantons qui la bordaient. Mais peut-être fallait-il aussi que, conformément au principe républicain de M. le secrétaire d'État, le canton et la ville du député UMP à qui elle est destinée y soient intégrés. Avec ce redécoupage, la nouvelle sixième circonscription s'étendra de la zone côtière du nord du département jusqu'aux limites du département de l'Eure, soit pratiquement 100 kilomètres. Elle franchira ainsi allègrement les pays et les limites d'arrondissements et comptera 146 025 habitants, ce qui en fera la plus peuplée de France. Rien dans cette circonscription, ni montagne ni vallée, n'interdirait un autre découpage.
Quant à l'arrondissement de Rouen, tout proche, trois de ses quatre circonscriptions seront les moins peuplées de Seine-Maritime, comptant de 113 531 à 117 019 habitants. C'est ce qui s'appelle tourner le dos aux prétendus critères de choix démographiques tant vantés. Dans le respect des équilibres des populations, on aurait assurément pu mieux faire !
Dans ce département également, on voit ce que vaut la tradition républicaine que vous invoquez. Vous avez indiqué en commission que « vous vous êtes simplement efforcé de respecter la tradition républicaine voulant que l'on ne sépare pas un député de son canton ou de sa commune ». Qu'en est-il dans la réalité ? Là encore, c'est à géométrie variable.
Le député de l'actuelle neuvième circonscription occupe déjà le terrain dans la nouvelle neuvième circonscription où ne figurent ni sa ville ni son canton.
M. Rufenacht, maire du Havre, ne pouvant garantir à la fois le niveau de population de la circonscription détenue par son parti et l'élection de son représentant, on a donc attribué le canton et la ville de l'actuel titulaire de la neuvième circonscription à la septième circonscription.
Si votre projet fait de la future sixième circonscription la plus peuplée de France, c'est pour assurer l'élection d'un de vos candidats : on a dû y ajouter cinq cantons pour qu'elle englobe la mairie et le canton de l'actuel député de l'une des deux circonscriptions fusionnées.
Dans ce département de la Seine-Maritime, qui compte actuellement douze circonscriptions, deux de gauche disparaissent et les quatre de droite sont confortées. Pur hasard ? Mauvaise connaissance du territoire électoral ? Je n'y crois guère !
Quelle conclusion tirer de cet exemple ? Que le principe que vous énoncez est à géométrie variable. Qu'est-ce qui guide son application ? Au-delà de tout autre principe, c'est son degré d'utilité à votre parti. D'ailleurs, là est votre seul principe. Pour le reste, vous vous arrangez pour que cela ne se voie pas trop. Le pire, c'est que le principe que vous invoquez – vous vous êtes « simplement efforcé de respecter la tradition républicaine voulant que l'on ne sépare pas un député de son canton ou de sa commune » – n'est pas inscrit dans la loi d'habilitation, ni dans aucune autre d'ailleurs.
On sait votre expertise en matière électorale. Vous avez déjà désigné les candidats qui bénéficieront de votre application particulière des principes inscrits dans la loi et de ceux qui n'y sont pas inscrits. Force est de le constater, tous ces arrangements avec la loi d'habilitation sont permis par la loi elle-même. Celle-ci résorbe des inégalités mais en crée d'autres qui ne sont pas moins insupportables pour l'égalité de représentation des citoyens au Parlement.
Michel Vaxès l'avait dit en séance : « Nous nous sommes opposés à une telle loi d'habilitation par ordonnance dans ce domaine, comme d'ailleurs dans tous les autres. » Les faits nous donnent raison.
Monsieur le secrétaire d'État, vous n'êtes ni le seul ni le premier responsable. C'est Nicolas Sarkozy qui vous a imposé un chiffre – 577, quels que soient l'accroissement de la population et la diversité des lieux d'habitation – et un mandat : lui assurer la majorité.
La logique aurait voulu que, avec presque 8 millions de Français de plus qu'en 1986, il y ait davantage de députés pour les représenter. Mais augmenter le nombre de circonscriptions n'aurait pas servi les intérêts de votre majorité, nous l'avons bien compris. Vous allez cependant très loin dans la représentation des Français de l'étranger – nouveauté institutionnelle de la réforme constitutionnelle de 2008. Accorder onze circonscriptions sur les 577, c'est tout simplement scandaleux. Si ces personnes ont le droit légitime de s'exprimer lors des élections, elles devaient continuer à le faire en votant dans leur circonscription d'origine. D'ailleurs, vous aimez à rappeler que c'est le Sénat, et non l'Assemblée nationale, qui représente les territoires.
Cette mesure aurait été juste. Pourquoi inventer des circonscriptions qui ne serviront à rien alors qu'il existe un réel besoin sur notre territoire de davantage de députés – même si nous en contestons toujours le mode d'élection ? Et, pour ce qui est de la répartition des sièges, vous n'avez pas de souci à vous faire : ils sont quasiment réservés à votre majorité.
« Ce n'est pas que l'on ne veuille pas, me répondrez-vous, c'est que l'Assemblée manque de fauteuils pour accueillir davantage d'élus. » Soit. C'est un argument qui, je l'espère, ne convaincra personne. Quand on veut, on peut décider de quelques aménagements. À bonne volonté, rien d'impossible !
Ainsi, dans sa forme comme dans son fond, une loi d'habilitation visant à laisser les mains libres à l'exécutif, en l'occurrence le Président de la République, contre le législatif a conduit à votre charcutage. Bien sûr, vous êtes un habile charcutier, monsieur le ministre, mais le produit de votre travail reste un charcutage. Ce n'est certes pas le premier : en 1986, M. Pasqua avait fort bien découpé les circonscriptions, puisque son charcutage avait été incontestablement davantage favorable à la droite qu'à la gauche.
Déjà, à cette époque, ma formation politique avait dénoncé la méthode de ce découpage.
Redessiner des circonscriptions n'est jamais neutre. C'est un geste très politique que vous parez du luxe d'une prétendue concertation. Vous avez donc, pour commencer, réuni une commission spéciale à l'Assemblée nationale et une commission indépendante. Sans faire injure aux membres de celle-ci, chacun sait que l'indépendance n'est qu'un mythe tant que n'existent pas des commissions pluralistes et contradictoires. En l'occurrence, le mot « indépendance » est bien mal approprié, puisque, d'emblée, la moitié de ses membres ont été nommés par votre majorité. Les jeux étaient faussés dès le départ, puisque cette commission était juge et partie.
Vous avez, ensuite, un Conseil d'État qui vous conseille, mais vous avez mis en cause certains de ses membres, et n'avez pas tenu compte de la totalité de ses recommandations, les jugeant trop perfectionnistes.
Le président du Conseil constitutionnel lui-même a confirmé à un membre de la commission spéciale « que l'équation fixée était difficile pour le Conseil : 577 députés au maximum avec 7 millions de Français en plus qu'en 1986 imposait que le critère de référence ne pouvait être que le critère démographique », ajoutant que « le Gouvernement aurait dû analyser à l'avance cette problématique ».
Par conséquent, en fonction des objectifs propres du Gouvernement, vous avez joué avec les rapports des préfets, tantôt les appliquant, tantôt ne les appliquant pas.
Si le découpage que vous nous proposez n'était pas renvoyé en commission, comme je le demande, le principe selon lequel la voix de chaque citoyen pèse le même poids serait bafoué, la représentation nationale en serait faussée et inéquitable, et notre démocratie serait à nouveau entachée d'injustices.
J'en viens à la deuxième raison qui me fait plaider pour le renvoi en commission : ce découpage électoral est désormais concomitant avec une réforme profonde et radicale des collectivités territoriales et de leur mode d'élection.
Cette réforme obéit à la commission dite « indépendante », présidée par Édouard Balladur – c'est dire ! Nous avons, en son temps, critiqué sa composition et ses préconisations, de même que ce vieux mythe de l'indépendance.
L'exemple du Grand Paris et de l'Île-de-France est révélateur. Il y a, pour Nicolas Sarkozy, une visée prioritaire : asseoir son pouvoir à Paris et dans sa grande région. Si tous les élus s'accordent à reconnaître qu'il y a besoin de coopération démocratique dans la région Île-de-France, le secrétaire d'État Christian Blanc développe ce projet sans aucune concertation avec les élus de ce territoire.
Plus encore, il envisage de créer une société pilotée par l'État qui aurait autorité sur tous les territoires, avant même les communes, et dans ces mêmes communes, autour des gares qui seraient créées, selon un nouveau métro que lui seul a décidé, indépendamment des besoins des habitants. Même parmi vous, parlementaires de droite, l'opposition se fait jour.
Dans la même philosophie, on veut réformer à marche forcée le tissu des collectivités qui maillent nos territoires. Pour faire passer la pilule, on le caricature en le traitant de « millefeuille administratif ». Or il s'agit de différents niveaux d'expression de la démocratie.
Ainsi, serait créée une institution régionale reprenant une partie des responsabilités départementale, l'autre partie de ses responsabilités étant reprises par des agglomérations, en même temps que dépériraient les communes et les départements.
Sur ces questions, il y a débat. Mais, déjà, Nicolas Sarkozy impose une réforme de la taxe professionnelle, dont même M. Juppé juge, à juste raison, qu'elle privera les communes de ressources. Il rappelle d'ailleurs que, si le Président de la République a promis une compensation « à l'euro près », il a « oublié de dire que cela ne se ferait que pendant un an ».
Et qui peut, à part votre majorité, accepter la suppression de la taxe professionnelle – taxe sur le capital –, pour en créer une sur la consommation – la taxe carbone –, la plus injuste qu'il soit.
D'un côté, on fait de nouveaux cadeaux aux plus riches ; de l'autre, on pratique de nouvelles ponctions sur le budget des ménages – et je ne parle pas de la nouvelle série de déremboursements de médicaments, de la hausse du forfait hospitalier et de l'imposition des victimes d'accidents du travail.
Nous sommes complètement dans le sujet. Mais de ce point de vue, je ne brosse que le cadre.
Je reviens à la réforme territoriale que vous appelez de vos voeux, pour laquelle nous ne pouvons que nous référer à la presse. Permettez-moi de citer des extraits d'une dépêche AFP : « La réforme territoriale comprend quatre textes. Outre un projet de loi organique, un projet de loi sur les institutions (possibilité de créer des communes nouvelles, achèvement de l'intercommunalité, création de métropoles, possibilité de fusion pour les départements et les régions, suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions) prévoit la création de conseillers territoriaux.
« Ces conseillers territoriaux siégeraient à la fois au niveau du département et à celui de la région. Leur création fera passer de 6 000 à 3 000 le nombre d'élus territoriaux, ce qui inquiète de ce fait nombre d'élus UMP. »
M. Juppé, pour sa part, a considéré que cette réduction drastique du nombre d'élus serait « un peu démagogique ». Je pense que cela renvoie davantage à la volonté du Président de donner des gages au vieil antiparlementariste et au réflexe anti-élus républicains de l'extrême droite.
Mais, plus profondément, comment ne pas percevoir que, avec ce projet de rétrécissement du champ de la démocratie citoyenne, on se mettrait au service d'une logique de plus en plus ultra-étatique en faveur du capital.
Nous n'avons aucune confiance dans les projets de Nicolas Sarkozy. Ils sont, par essence, trop à son seul service. C'est ainsi qu'il conçoit la démocratie.
Notre Assemblée, monsieur le secrétaire d'État, peut-elle vous donner quitus sur le redécoupage qui sert de base à la représentation nationale, sans se préoccuper de ce que vont devenir les territoires, les modes d'élection de ses représentants, ce qui d'ailleurs touche par répercussion au mode d'élection du Sénat, assemblée constitutive du Congrès avec la nôtre, la plus haute instance après le peuple ?
Il y a là une vraie question qui justifie le renvoi en commission, car la commission doit être informée de tous ces projets afin d'en analyser les implications.
Tout indique que, au-delà des tripatouillages électoraux, des diktats du Président de la République qui, ensemble, font reculer la démocratie, il faut au contraire aller vers plus de démocratie, une République réellement démocratique et sociale.
Assurément, on le vérifie à nouveau, le scrutin majoritaire est injuste. Deux formations, avec 25 à 30 % des suffrages au premier tour, raflent la quasi-totalité des sièges au second tour. Quel que soit par ailleurs le découpage, ce mode de scrutin vise à garantir une majorité dans le cadre de la bipolarisation qui gomme les diversités politiques des partis, mais aussi, de fait, celle des citoyens.
Ce phénomène a d'ailleurs été aggravé par la décision, prise par Jacques Chirac et Lionel Jospin, d'inverser le calendrier électoral, de telle manière que le scrutin présidentiel précéderait toujours les élections législatives.
En fait, ce système aspire à la présidentialisation. La bipolarisation de l'Assemblée qui en découle réduit le champ du législatif, qui ne devient qu'un auxiliaire du président – la démonstration en est régulièrement faite ici ; j'exprime ce que certains d'entre vous n'ont pas toujours la possibilité de dire. Par ailleurs, alors que la France est de plus en plus diverse, sa représentation nationale est de plus en plus uniforme.
Plus que jamais, cela nous renforce dans l'action pour une représentation proportionnelle à tous les niveaux institutionnels. Les faits le démontrent : seul ce mode de scrutin permet effectivement l'expression de la diversité. Tous les autres les mutilent plus ou moins.
Il faut certes dégager des majorités. Mais celles-ci doivent émerger d'un accord politique entre ces diversités et non d'un seul mode de scrutin. La négation de la diversité est pour beaucoup dans la crise politique et citoyenne, à laquelle on ne pourra remédier sans une juste représentation. Dégager des majorités est une autre question, qui tient au débat, à la conviction et à la responsabilité politique.
Un vrai débat sur l'élection proportionnelle à tous les niveaux de notre République s'impose donc. Aucun autre système ne peut approcher la mise en oeuvre du principe selon lequel un citoyen égale une voix.
D'après la dépêche de l'AFP déjà citée sur la réforme territoriale, M. Fillon aurait expliqué aux journées parlementaires de l'UMP du Touquet qu'il envisageait un mode de scrutin majoritaire à un tour doublé d'une dose de proportionnelle qui devrait être de 20 %.
Je n'approuve pas le Premier ministre sur l'ensemble de la réforme, mais j'observe que lui-même est contraint de parler de « proportionnelle ». Pour lui, la dose est homéopathique, mais cela ne justifie-t-il donc pas un débat d'importance sur cette question, y compris pour la représentation nationale ? La question vous est donc posée. C'est pourquoi je le répète, je demande un renvoi en commission.
Plus que jamais, en effet, nous pensons, comme Michel Vaxès le disait en novembre 2008, que le mode de scrutin proportionnel est le seul susceptible d'assurer une juste représentation de nos concitoyens dans leur diversité. Le pluralisme, la représentation de la jeunesse, des femmes, un renouvellement régulier des élus seraient en effet facilités par l'instauration de la proportionnelle à l'occasion de chaque élection, quelle que soit sa nature. Prévoir un mode de scrutin proportionnel pour l'élection des députés répondrait parfaitement au principe posé par le dernier aliéna du nouvel article 4 de la Constitution qui dispose que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
Le dernier chapitre de mon intervention concerne la question démocratique qui est centrale dans nos sociétés et à tous les niveaux, du local au mondial. Les tenants du capitalisme, pourtant en crise, continuent d'agir pour la limiter.
Avec eux, l'Afrique et une grande partie de la planète sont exclues du G20. De nombreuses nations sont traitées en marginales. Avec eux, la Commission européenne n'est que le conseil d'administration des grands groupes de notre continent, et dont l'État français, les régions, les agglomérations prolongent leurs décisions. Tel serait, pour eux, la finalité du monde, de l'Europe, de la France.
Pourtant, comment de pas voir que les crises des démocraties et des citoyennetés renvoient à l'immoralité du système capitaliste pour lequel les êtres humains sont des objets, des consommateurs, que l'on peut détruire ou casser, du moment que ça rapporte ?
M. Sarkozy fait de beaux discours sur le thème de l'immoralité du capitalisme. Ce n'est pas cela qu'il veut corriger : il veut assujettir notre démocratie aux besoins d'un capitalisme qu'il prétend moraliser. Mais moraliser le capitalisme, c'est comme apprivoiser un requin. Il a donc choisi de faire taire la protestation, de mutiler la représentation nationale afin que, surtout, rien ne change dans ce monde. Pour que rien ne change, le Président a donc trouvé la parade : détourner tout ce qui relève de la démocratie. Ce fut le cas pour le traité de Lisbonne, passé en force après qu'on eut mis au placard le référendum par lequel les Français avaient rejeté la Constitution européenne qui leur était soumise. Ce fut le cas avec le nouveau règlement de notre assemblée, censé donner plus de pouvoir aux élus de la nation, alors qu'il les affaiblit. C'est le cas avec ce redécoupage électoral.
C'est le cas avec le projet qui vise à éclater les collectivités territoriales, à leur faire supporter les charges financières incombant à l'État. C'est le cas lorsque vous n'appliquez pas l'article 61-1 de la Constitution pour laisser cours à votre volonté de privatiser de La Poste. C'est le cas quand vous n'avez pour vision que de casser tous les statuts de la fonction publique.
Mais c'est le cas aussi quand, au quotidien, le citoyen est dépossédé de ses droits les plus élémentaires : le droit de travailler, de se soigner, de s'éduquer, de se loger ; quand il n'est plus qu'un consommateur qu'on enferme dans la précarité afin de le rendre flexible et corvéable à merci, dans l'intention, à terme, de généraliser le travail du dimanche pour tous, et de rémunérer les heures travaillées ce jour-là comme celles travaillées en semaine ; quand vous vous acharnez à multiplier les procès contre des militants syndicaux dont le seul délit est de défendre leurs emplois, leurs outils de travail et leurs collègues.
Quand votre conception de la société est synonyme de droits exorbitants pour les riches, y compris l'impunité, et que les devoirs sont réservés aux seules classes populaires, nous pensons, quant à nous, que l'heure est venue de démocratiser notre société.
Au moment où Nicolas Sarkozy met la main sur tous les pouvoirs institutionnels – Parlement, justice, médias –, où les lois sont de plus en plus régressives, il est urgent de faire reculer cette logique et de se prononcer pour un nouvel élan de la démocratie et des libertés comme réponse aux problèmes actuels de notre société.
Au lieu d'une réforme des collectivités territoriales, qui marque une reprise en main par l'État et donne un coup d'arrêt à la décentralisation, éloignant les citoyens du pouvoir et s'attaquant aux services publics locaux, il faut défendre ces services publics locaux et les élus de proximité, qui participent du lien social et contribuent à répondre aux besoins des populations.
Face à la crise politique que nous traversons, il faut une irruption des citoyens dans la démocratie représentative.
À l'heure des nouvelles technologies de la communication et de l'élévation des connaissances, les citoyens doivent donner leur avis et participer aux décisions.
Parce que la crise montre que la concentration des pouvoirs économiques en une seule main mène à des catastrophes, les salariés, les consommateurs, les usagers, les élus doivent avoir des pouvoirs en matière de choix de gestion des services publics et des groupes privés.
En résumé, ma demande de renvoi en commission, s'appuie sur trois raisons.
La première, c'est que, après votre découpage de la carte électorale, de fortes inégalités subsisteront entre les départements, voire entre les circonscriptions d'un même département, et que les votes des citoyens n'auront pas tous le même poids.
La seconde tient à la concomitance de ce découpage avec l'annonce d'une refonte majeure des institutions territoriales, de leur mode de scrutin, qui, à terme, peut influer sur la représentation du Congrès de la République.
La troisième, c'est la nécessité d'un renouvellement profond de notre République avec, notamment, la proportionnelle à toutes les élections et de nouveaux droits démocratiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
La parole est à M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.
à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, M. Jean-Paul Lecoq vous demande, dans la motion de renvoi en commission qu'il vient d'exposer au nom du groupe de la gauche démocrate et républicaine, d'interrompre la discussion du projet de loi de ratification de l'ordonnance sur le découpage électoral.
Il a évoqué plusieurs questions relatives à ce texte, dont beaucoup ont été longuement développées hier, notamment par M. Bruno Le Roux. Je voudrais répondre à l'un et à l'autre et aborder quelques-unes de ces questions, au risque de me répéter.
En premier lieu, le Gouvernement ne vous aurait pas proposé de procéder à un ajustement de la carte des circonscriptions législatives s'il n'y avait eu plusieurs rappels à l'ordre du Conseil constitutionnel. Pensez-vous que nous puissions encore attendre ? Si la demande de renvoi en commission était adoptée, que répondriez-vous au Conseil constitutionnel qui a dit qu'il vous incombait de modifier le découpage ? Si la demande de renvoi en commission était adoptée, que répondriez-vous à notre juridiction suprême…
…qui vous a demandé de le faire aussitôt après les élections législatives de 2007, alors que celles-ci ont eu lieu il y a plus de deux ans ? Si la demande de renvoi en commission était adoptée, que répondriez-vous au juge constitutionnel qui a solennellement affirmé, il y a dix-huit mois, qu'il était désormais « impératif de procéder à ce découpage » ? Si la demande de renvoi en commission était adoptée, que répondriez-vous aux citoyens qui fondent de plus en plus souvent leur recours contre l'élection d'un député sur les disparités démographiques affectant les circonscriptions législatives ?
Depuis hier, j'entends l'opposition parler de rejet, de renvoi en commission. Mais que propose-t-elle et à quelle échéance ?
Il y a déjà plus d'un an que la procédure a été lancée. Vous ne pouvez, mesdames et messieurs les députés, prendre le risque de prolonger plus longtemps la carence que le même Conseil constitutionnel a déplorée en répondant à l'une de ces requêtes.
N'oublions pas que plus de dix ans se sont écoulés depuis le recensement qui aurait déjà dû vous conduire à intervenir.
Monsieur Lecoq, vous avez évoqué, comme M. Le Roux hier, la question des députés des Français de l'étranger. C'est un sujet qui aurait pu être consensuel. Leur création avait été proposée avant 1981 par François Mitterrand et figurait parmi les 110 propositions du candidat en 1981 ; elle a ensuite été de nouveau proposée en 1995 par M. Lionel Jospin et en 2007 par Mme Ségolène Royal. M. Sarkozy l'a également proposée avant son élection ; il le fait une fois élu, ce qui n'avait pas été le cas de ses prédécesseurs ou des autres candidats.
C'est vous, mesdames et messieurs les députés, je me permets de vous le rappeler, qui avez, lors de la discussion de la révision constitutionnelle, gelé le nombre de députés à 577. C'était, me semble-t-il, sagesse. Mais vous saviez alors qu'il y avait les deux nouvelles collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et qu'elles devaient inévitablement être représentées dans votre assemblée ; elles étaient créées mais non pourvues. Vous saviez qu'il y aurait des députés pour nos compatriotes installés à l'étranger. Vous ne pouvez donc être étonnés que leur nombre soit déduit de l'effectif global, car c'est cohérent.
Si vous aviez voulu l'éviter, il suffisait de retenir un chiffre légèrement supérieur à 577. Les débats de votre commission des lois et ceux que vous avez eus ici même montrent d'ailleurs très clairement que vous étiez conscients de cette situation et que vous avez délibérément choisi de ne pas augmenter le nombre de membres de votre assemblée. C'est la décision souveraine du Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 21 juillet 2008.
M. Lecoq a évoqué, tout comme M. Le Roux dans son intervention d'hier – que j'ai écoutée avec attention –, le découpage des circonscriptions des Français de l'étranger. Je le redis avec force : nous ne voulons pas du scrutin proportionnel pour l'élection des députés.
C'est une divergence avec votre formation politique, monsieur Lecoq, même si j'ai compris hier que M. Asensi n'en voulait pas non plus à 100 %. Quant à nous, si nous n'en voulons pas, c'est parce que la proportionnelle rompt totalement le lien entre le député et l'électeur et ne permet pas de dégager une majorité stable pour gouverner le pays à partir de l'Assemblée nationale.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
Nous avons donc voulu pour les députés des Français de l'étranger une représentation dans votre assemblée identique à celle de leurs collègues de métropole et d'outre-mer.
Nous avons refusé d'en faire des députés à part, élus dans des conditions différentes, avec le risque qu'ils ne soient pas considérés comme des députés ayant le même statut que les autres. Et nous avons aussi voulu que leurs électeurs, ces Français qui sont installés dans d'autres pays mais qui restent profondément attachés à la France, puissent s'identifier à leur député, qu'ils le connaissent, qu'ils puissent, le cas échéant, faire appel à lui, bref, qu'ils aient un député qui les représente véritablement.
J'observe d'ailleurs que personne ne porte de critiques sur les sénateurs représentant les Français de l'étranger.
C'est même sous la présidence de François Mitterrand que leur nombre a été porté de six à douze. Et personne ne s'étonne qu'ils soient les élus du monde entier,…
…c'est-à-dire de l'ensemble des onze circonscriptions que nous proposons pour les futurs députés.
Sur ces onze circonscriptions – je dois aussi le rappeler puisque M. Le Roux et M. Urvoas les ont critiquées –, sept sont issues d'un projet commun aux sénateurs de la majorité et de l'opposition.
Je tiens le document à votre disposition.
Ce sont les deux circonscriptions d'Amérique, qui y figuraient avec le déséquilibre démographique qui les caractérise, quatre des circonscriptions d'Europe, et la circonscription d'Asie-Océanie, exception faite de la Russie, qui n'y figurait pas, j'en conviens, mais qui doit être incluse pour assurer un nombre minimum d'électeurs.
Et il faut d'ailleurs rappeler une évidence : ces futurs députés ne vont pas être élus par les ressortissants des pays qui appartiennent à leur circonscription, mais par les Français qui y résident. Et s'il y a, bien entendu, des Français dans tous les pays du monde, quel que soit leur éloignement de la Tour Eiffel, il ne faut tout de même pas oublier que 80 % d'entre eux vivent dans vingt-cinq pays.
Monsieur Néri, s'il vous plaît ! Je salue votre arrivée dans l'hémicycle, mais il faut laisser M. le secrétaire d'État s'exprimer.
Ce sont ces pays qui constituent le coeur de leurs onze circonscriptions respectives.
N'oublions pas non plus que nous sommes à une époque où les communications sont plus que facilitées.
Les candidats aux élections législatives dans ces nouvelles circonscriptions, parfois très étendues, feront, comme les députés qui y seront élus, appel à des moyens modernes pour communiquer avec leurs électeurs.
Ne nous accusez donc pas de tripatouillage à propos de ces onze circonscriptions ! (« Si ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Qui peut dire aujourd'hui comment voteront nos compatriotes installés à l'étranger – ils sont 1 250 000 – aux élections de 2012 ?
Compte tenu de tout ce que fait le Président de la République, on peut se poser la question !
Je rappelle que, aux élections présidentielles de 2007, ils ont voté à 54 % pour Nicolas Sarkozy et à 46 % pour Ségolène Royal, ce qui est sensiblement le même score que dans la France tout entière.
J'en profite pour aborder d'autres questions relatives à ce découpage. L'opposition critique la méthode de la tranche…
…et ses effets sur les départements. Je rappelle que cette méthode a été conservée en 1985 ; M. Fabius était alors Premier ministre et Mme Aubry, si je ne me trompe, à l'Élysée, auprès de François Mitterrand. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Pourquoi les raisons qui justifiaient cette méthode de répartition aux yeux des dirigeants de l'époque auraient-elles aujourd'hui disparu ? Ce n'est pas moi qui ai parlé de « mode de répartition le plus simple et le plus compréhensible », c'est votre excellent camarade M. Joxe, alors ministre de l'intérieur.
La répartition conduit à la disparition de trente-trois circonscriptions, qui sont actuellement représentées par dix-huit députés de gauche et quinze députés de droite. Comment Mme Aubry peut-elle parler de vingt-trois députés de gauche et de dix députés de droite ? Il faut tout de même arrêter de dire n'importe quoi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Écoutez bien et faites les comptes ! La troisième circonscription de la Corrèze, la deuxième circonscription de la Creuse, la sixième circonscription de la Loire,…
…la deuxième circonscription de la Lozère, la quatrième circonscription de la Manche, la troisième circonscription de la Marne, la vingt-troisième circonscription du Nord, la quatrième circonscription du Haut-Rhin, la troisième circonscription de la Haute-Saône, la deuxième ou troisième circonscription de Paris, qui disparaît par fusion des deux ; la quinzième circonscription de Paris, la sixième circonscription de Seine-Maritime, la dixième circonscription de Seine-Saint-Denis, profondément modifiée,…
…la troisième circonscription des Deux-Sèvres, et la septième circonscription du Val-de-Marne : vous pouvez compter, cela fait bien quinze. J'en prends la presse à témoin. Et ce ne sont pas, que je sache, des circonscriptions représentées par un député de gauche. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Cela fait quinze, ou alors je ne sais plus compter ; mais, en tant qu'Auvergnat, cela m'étonnerait !
Les autres circonscriptions, au nombre de dix-huit, sont représentées chacune par un député de l'opposition.
Sans parler d'ailleurs de la troisième circonscription de Meurthe-et-Moselle…
…et de la troisième du Tarn, qui fusionnent avec des circonscriptions détenues par un député de gauche, et dont on ne peut pas dire a priori quel député y sera élu en 2012.
Et dans cette répartition, il me faut aussi le préciser, les femmes ne sont pas plus mal traitées que les hommes, contrairement à ce qui a été dit hier. (Exclamations et rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Elles peuvent être élues dans des circonscriptions qui disparaissent, au même titre et selon le même traitement que celui des circonscriptions où des hommes sont élus.
Je voudrais aussi dire quelques mots du découpage. La nouvelle délimitation n'est pas faite uniquement pour le prochain scrutin, elle ne sera pas valable seulement pour les députés en place ; nous travaillons pour de longues années.
Vous êtes les uns et les autres l'expression de la souveraineté nationale, que vous représentez collectivement parce qu'elle ne se divise pas. Vous n'êtes pas seulement les représentants de ceux qui vous ont élus. Et, que je sache, personne n'est propriétaire de sa circonscription.
Vous n'êtes pas non plus les représentants d'une collectivité locale, que ce soit d'une ville ou d'un canton, ni a fortiori ceux d'une intercommunalité, qui n'est ni une collectivité territoriale ni une circonscription électorale. (Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je m'étonne d'ailleurs de la contradiction dans laquelle se trouvent les députés du groupe socialiste. Vous êtes, mesdames et messieurs, pour le mandat unique, si j'ai bien compris – en tout cas, c'est ce qu'affirme la première secrétaire de votre parti –, mais, dans ce cas, comment pouvez-vous déplorer qu'une ville ou un canton soit partagé entre deux circonscriptions ou qu'il soit retiré d'une circonscription parce que son maire ou son conseiller général en est le député ?
S'il y a demain un mandat unique, quelle importance qu'une ville ou un canton se trouve dans telle ou telle circonscription ? Cherchez la cohérence ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Permettez-moi également d'évoquer, puisque M. Le Roux l'a fait hier, la commission de contrôle présidée par M. Yves Guéna.
Cette commission ayant été inscrite dans la Constitution, elle fait désormais partie des institutions de la République. Elle dispose de ce fait de la pérennité, ainsi que d'une autorité incontestable. Nous n'étions pas dans la même situation en 1986.
Trois de ses membres sont des magistrats, membres des plus hautes juridictions de notre pays. Ils ont été désignés par leurs pairs, nous ne sommes pas intervenus dans leur choix. Les trois personnalités ont été désignées après audition et avis des commissions des lois des deux assemblées, ce qui, vous en conviendrez, est sans précédent.
Vous avez évoqué, monsieur Le Roux, les antécédents de son président,…
…dont il peut être légitimement fier, mais vous avez oublié de mentionner qu'il avait été président du Conseil constitutionnel. Est-ce que les fonctions antérieures de M. Guéna l'ont empêché d'annuler des lois votées sous des gouvernements de la majorité ? Est-ce que ses mandats ont été critiqués à l'époque où ces décisions ont été prises ?
C'est faux.
Vous avez critiqué les méthodes de travail de la commission, mais ce n'est pas au Gouvernement qu'il faut adresser ces critiques : je n'ai en aucune façon dicté à la commission ses méthodes de travail, elle en a décidé en toute indépendance. (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je tiens d'ailleurs à rectifier plusieurs erreurs. Cette commission ne siégeait pas dans des locaux du ministère de l'intérieur, comme vous l'avez dit, mais dans des locaux indépendants, qui lui sont propres et dans lesquels elle peut se réunir à sa convenance, puisqu'elle est une institution permanente et peut être saisie à tout moment d'un projet ou d'une proposition de loi entrant dans le domaine de ses compétences.
C'est encore la commission qui a décidé librement, en toute indépendance, de la classification de ses avis. Si elle a choisi de dénommer propositions certaines de ses recommandations et suggestions les autres parties de ses avis, c'est librement qu'elle l'a fait.
La tentative de démonstration chiffrée, par M. Le Roux, d'un prétendu travail partisan de la part du Gouvernement…
…n'a pas convaincu, car elle repose sur des hypothèses étonnantes.
J'en veux pour preuve le seul exemple des circonscriptions où un candidat a été élu dès le premier tour en 2007. Vous nous expliquez, monsieur Le Roux, que, entre le premier et le deuxième tours de l'élection législative de 2007, ce que vous appelez le « bloc de gauche » gagne « en moyenne » 8,2 % de suffrages.
On mesure, d'abord, le caractère approximatif des deux notions de « bloc de gauche » – je ne sais pas trop ce que cela veut dire –…
…et de « gain moyen » – quelle est la valeur scientifique d'une telle notion ? – au regard de la diversité et parfois de la complexité des situations locales.
Je pense, monsieur Le Roux, que la démonstration aurait pu être plus convaincante. Vous l'avez été en d'autres occasions. Mais elle frise l'extravagance lorsqu'on applique cette progression de gauche dans les 110 circonscriptions métropolitaines qui ont élu un candidat au premier tour.
Il se trouve que, sur ces 110 circonscriptions, 109 ont élu un candidat de droite, dont 98 UMP. Il n'est donc pas abusif de qualifier ces circonscriptions « de droite ».
Mais vingt-quatre d'entre elles seulement ont élu un candidat à plus de 58 % des suffrages au premier tour, tandis que dans les 86 autres, dont celle de gauche, la circonscription de M. Lefait dans le Pas-de-Calais, le candidat a été élu avec un score compris entre 50 et 58 % des voix.
Cela signifie, si l'on applique le raisonnement de M. Le Roux – peut-être en fait celui de M. Borgel –, qu'un grand nombre de ces circonscriptions de droite devrait avoir un élu de gauche au second tour puisque la gauche progresse, selon lui, « en moyenne de 8,23 % » entre les deux tours !
Monsieur Le Roux, il faut être raisonnable dans les projections que l'on tente en matière électorale (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR), et ne pas vouloir à toute force manipuler les chiffres et se fonder sur des hypothèses irréalistes pour parvenir à la conclusion que l'on souhaite.
Notre motion de procédure portait sur le renvoi en commission, monsieur le secrétaire d'État !
Avant de terminer, je veux rappeler à M. Lecoq et à M. Le Roux ce que j'ai récemment confirmé à la commission des lois : pour les prochaines élections législatives, aucun changement de scrutin n'est envisagé par le Gouvernement. J'ajoute que, en l'état actuel du projet du Gouvernement, le mode de scrutin retenu pour l'élection des conseillers territoriaux sera, dans 80 % des cas, au scrutin majoritaire à un tour et, pour le reste, au scrutin proportionnel. Le Parlement va, bien entendu, en débattre.
Telles sont les raisons essentielles pour lesquelles je vous demande, mesdames, messieurs les députés, de rejeter la motion de renvoi en commission qui vous est présentée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. François Asensi, pour le groupe GDR.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez longuement répondu à M. Le Roux, mais je crois qu'il fallait le faire hier, et vous auriez tout de même dû être plus attentif aux arguments développés à l'instant par M. Lecoq.
Cela étant, je dois reconnaître que vous avez en partie joué le jeu de la transparence en publiant vos travaux, mais je crains que cela ne soit à votre désavantage. Vous mettez en avant la réduction des écarts démographiques qui préexistaient. Mais cette réduction est largement insuffisante, et les travaux que vous avez publiés montrent que certains écarts ont été accrus : les circonscriptions métropolitaines dépassant de 15 % à 20 % les moyennes à l'intérieur des départements étaient au nombre de vingt-huit avant le redécoupage. Elles sont désormais au nombre de trente-sept. Est-ce que vous appelez cela la réduction des inégalités démographiques ? Vous n'avez pas réussi à rééquilibrer. Il y a là manifestement matière à un renvoi en commission pour rebâtir votre texte.
Encore les statistiques que vous publiez ne montrent-elles que la face la plus présentable de votre travail en excluant les circonscriptions d'outre-mer et des Français de l'étranger, où votre bilan est peu reluisant.
La règle législative limitant les écarts par rapport aux moyennes à l'intérieur des départements n'est pas satisfaisante, puisque l'écart maximal de plus ou moins 20 % devrait s'appliquer à la moyenne des circonscriptions sur l'ensemble de la République. Pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, ne pas avoir suivi l'avis du Conseil d'État, qui préconisait une égalité stricte entre les circonscriptions, avec des écarts contenus sous la barre des 10 % ?
L'économie générale de ce redécoupage opéré par l'exécutif ne peut exclure le Parlement de son volet technique, car celui-ci en comprend des aspects essentiels.
Ainsi, j'ai cru comprendre au cours des débats d'hier que M. Gaudillère, fin connaisseur de notre histoire électorale, faisait partie de vos lectures. Permettez-moi de rapporter une de ses analyses, publiée dans son Atlas historique des circonscriptions électorales françaises : « Le découpage touche à l'élection, donc à l'un des fondements du pouvoir législatif, et relève à ce titre de la loi. Une application même minimale de la séparation des pouvoirs tolère difficilement l'immixtion du pouvoir exécutif en pareille matière. » Pourtant, vous avez défendu avec ardeur le recours à l'ordonnance en vous appuyant sur une prétendue tradition électorale. Or M. Gaudillère, que je vous invite à relire, rappelle que la majorité des redécoupages se sont faits par voie législative : ce fut ainsi le cas en 1831, en 1875, en 1889, en 1927, en 1985 et en 1986. Sur quels contre-exemples appuyez-vous votre analyse ? Sur les décrets impériaux de Napoléon III en 1852 ? Sur le redécoupage orchestré par l'UNR en 1958, dans le cadre des pouvoirs spéciaux et alors que le Parlement ne siégeait plus et que les généraux félons menaçaient, depuis Alger, la République ?
Par ailleurs, vous vous êtes fait hier le porte-voix de Pierre Joxe en affirmant que le scrutin majoritaire était sans conteste le plus simple à mettre en oeuvre. Vous faites preuve d'une grande modestie car, à la lecture de votre ordonnance, on comprend qu'il vous a fallu déployer beaucoup d'ingéniosité et un grand tact pour découper des circonscriptions sur mesure qui traversent les cantons. Je ne prendrai qu'un exemple, la onzième circonscription des Bouches-du-Rhône, dont voici les limites : « Cantons de : Aix-en-Provence Nord-Est (partie comprenant la portion de territoire de la commune d'Aix-en-Provence délimitée, au nord, par la voie ferrée entre le passage à niveau de la Calade et la limite de la commune de Venelles, à l'est, par la limite de la commune de Venelles, l'autoroute A 51, la route de Sisteron, l'ancienne route des Alpes jusqu'à la limite du canton d'Aix-en-Provence Centre, au sud, par la limite du canton d'Aix-en-Provence Centre, à l'ouest, par la limite du canton d'Aix-en-Provence Sud-Ouest), Aix-en-Provence Sud-Ouest (moins la commune de Meyreuil), Les Pennes-Mirabeau. » Monsieur le secrétaire d'État, ce jour-là, vous aviez dû perdre votre GPS ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais quel sens inné de l'orientation vous avez ! Je vous félicite.
Cette invitation au voyage me ramène tout de même au sujet d'aujourd'hui. Voilà pourquoi, en effet, le groupe GDR vous invite, mes chers collègues, à voter la motion de renvoi en commission qu'a excellemment défendue M. Lecoq. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Nous avons déjà abordé hier, lors de l'examen de la motion de rejet préalable, certains des sujets développés par M. Lecoq ; les autres ne sont pas à l'ordre du jour : il a été question de la taxe carbone, de la taxe professionnelle et même du travail le dimanche.
Il est temps de passer à la discussion générale, ce qui permettra d'ailleurs à celles et ceux, dans l'opposition comme dans la majorité, qui ne sont pas d'accord avec ce projet de loi de s'exprimer. Le groupe Nouveau Centre votera donc contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le secrétaire d'État, je tiens à vous remercier : en effet, même s'il vous a fallu vingt-trois heures et quelques minutes pour apporter des réponses à la motion de rejet que j'ai défendue hier, mieux vaut tard que jamais. Tout ce que vous avez dit mérite débat, et plus vous vous exprimerez, plus la transparence sera à l'ordre du jour et plus nous pourrons, nous aussi, apporter d'éléments.
Je vais relever un certain nombre de points dans ce que vous avez déclaré – de façon quelquefois un peu confuse, mais vous aurez ainsi l'occasion de les expliciter.
Tout d'abord, je constate que la motion de renvoi en commission, excellemment défendue parJean-Paul Lecoq, a montré que votre redécoupage a été effectué de façon tout à fait partisane dans bon nombre de départements, et qu'il faut donc le revoir. Vous commencez d'ailleurs à admettre la possibilité d'une étude d'impact des effets de ce redécoupage puisque, pour la première fois, vous nous avez communiqué un tableau de la situation des trente-trois circonscriptions qui disparaissent, en précisant celles qui sont à gauche et celles qui sont à droite. Jusqu'à présent, vous prétendiez qu'il était impossible d'apporter de telles précisions ; or vous venez de le faire à la tribune, « pour la presse », avez-vous dit. Je vais donc, moi aussi, le faire pour la presse. L'étude d'impact n'ayant été faite ni par le rapporteur ni par vous-même, le renvoi en commission permettrait à celle-ci de la mener à bien, et de voir laquelle de nos deux versions est la plus fondée pour savoir si, dans tel département, c'est une circonscription de gauche ou de droite qui disparaît.
Je me livre au même exercice que vous. Voici, parmi les trente-trois circonscriptions, celles qui disparaissent à gauche : il y en a une dans l'Allier, une autre en Charente, une dans l'Indre,…
…une en Mayenne, une en Meurthe-et-Moselle, une en Moselle, une dans la Nièvre, deux circonscriptions dans le Nord, deux autres dans le Pas-de-Calais, une dans le Puy-de-Dôme,…
…une dans les Hautes-Pyrénées, une dans la Haute-Saône, une dans la Saône-et-Loire,…
…mais aussi deux circonscriptions à Paris, deux en Seine-Maritime, une circonscription dans les Deux-Sèvres, une dans la Somme, une dans le Tarn, une dans la Haute-Vienne, et une encore dans la Seine-Saint-Denis. Je sais que c'est fastidieux, mais si vous ne vous étiez pas lancé là-dedans, je ne l'aurais pas fait à mon tour. Maintenant que j'ai fait, pour la presse et pour les études d'impact, la liste des circonscriptions qui disparaissent pour la gauche, j'en viens aux dix de droite : une en Corrèze, une dans la Creuse, une dans le Loir-et-Cher, une dans la Loire, une dans la Manche, une dans la Marne, une dans le Nord, une dans le Haut-Rhin, une à Paris…
… et une dans le Val-de-Marne. Voilà ce qu'il en est, monsieur le secrétaire d'État, mais j'accepte de débattre de tout cela parce que, ainsi, nous pourrons confronter les différentes méthodes que nous avons employées pour arriver à des résultats divergents.
Jusqu'à présent, monsieur le secrétaire d'État, vous ne vouliez pas ouvrir ce débat. Nous, nous en avons posé les éléments. Le renvoi en commission permettrait de vérifier la véracité de nos méthodes. Je vous suggère de faire le même exercice avec les trente-trois circonscriptions créées, et je pourrai alors vous préciser pour qui elles l'ont été.
En outre, vous mentez, monsieur le secrétaire d'État… (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
…quand vous dites, à la tribune, que le scrutin proportionnel ne pourrait être appliqué pour les Français de l'étranger, alors que des sénateurs sont élus à la proportionnelle et d'autres au scrutin majoritaire. Vous n'avez choisi le scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l'élection des députés représentant les Français de l'étranger que parce que c'est lui qui vous permet de maximiser les intérêts de la majorité et de l'UMP. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)
De surcroît, ce mode de scrutin s'appliquera dans le cadre de circonscriptions absolument improbables. Le rapporteur a lui-même pointé du doigt dans son rapport, pour s'en moquer, celle qui va de Kiev à Wellington, en passant par Téhéran et Tokyo ! Le député – que ce soit Pascal Clément ou l'un des autres noms cités dans la presse de ce matin – a du pain sur la planche s'il veut aller à la rencontre de tous nos compatriotes.
Vous avez menti aussi, monsieur le secrétaire d'État, sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy : vous avez dit que ces îles n'étaient pas représentées à l'Assemblée, alors que nos compatriotes qui y vivent sont représentés par le député de la Guadeloupe. Le Conseil constitutionnel a bien dit que rien n'obligeait le Gouvernement à créer un siège de député pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin, ni pour les deux pris séparément. Je réfute l'affirmation selon laquelle ils ne sont pas représentés à l'Assemblée nationale : leur député s'appelle Victorin Lurel.
Enfin, dernier mensonge : vous essayez d'expliquer, de façon laborieuse et confuse, qu'il n'est pas possible de faire une étude d'impact d'un second tour national en intégrant les circonscriptions pourvues dès le premier tour. Mais j'ai fait hier la démonstration que c'était possible. Je répète que, avec un score national de 52,47 % pour la droite au deuxième tour lors des dernières législatives, nous arrivons à un score de 63,3 % dans les circonscriptions pourvues au premier tour. De tels chiffres sont bien loin de donner une majorité à la gauche, et je n'ignore pas que les circonscriptions pourvues dès le premier tour l'étaient toutes, à l'exception d'une seule, par des députés de la majorité. Si nous voulons renvoyer le texte en commission, c'est donc aussi pour savoir, grâce à une étude d'impact, à quel moment se passe le changement de majorité, puisque vous avez accepté d'entrer dans un débat reposant sur la constitution d'un second tour national consolidé.
Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons la brillante démonstration faite par Jean-Paul Lecoq. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mes chers collègues, tout en remerciant chaleureusement ceux de nos collègues qui s'adressent à la présidence et l'aident à conduire les débats, je rappelle que la conférence des présidents a décidé d'appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé. Les temps de parole indiqués sur la feuille jaune ne sont donc qu'indicatifs, et les cinq minutes par explication de vote ne sont pas la règle. Cette précision vous évitera de chercher à m'aider à faire respecter la durée des interventions.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe UMP.
Bien entendu, le groupe UMP rejettera la motion de renvoi en commission. Monsieur Lecoq, nous n'avons pas senti, même dans votre groupe, un soutien très important et très enthousiaste. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Vos arguments étaient très légers, vous avez dû recourir à une multitude de thèmes et de textes qui n'ont rien à voir avec le projet de ratification qui nous réunit aujourd'hui. M. Asensi a lui-même reconnu, et c'est bien le moins, qu'Alain Marleix a joué la transparence. Certes, il a assorti son constat d'un bémol en disant : « en partie ». Quant à nous, nous disons que cette transparence était totale et qu'il n'y a donc plus lieu de débattre en commission. Il y a lieu de ratifier cette ordonnance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, bien au-delà d'une simple ratification d'ordonnance, nous abordons aujourd'hui un débat qui, en concernant de manière directe la composition de notre assemblée, touche à certains des fondements de notre démocratie.
Vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, en vertu du troisième article de la Constitution, nous sommes les représentants élus du peuple, ceux – avec le Président de la République –, à travers qui s'exerce la souveraineté nationale. Députés, nous sommes élus du suffrage universel direct et, en conséquence, notre assemblée est celle où chacun de nos concitoyens doit pouvoir se sentir également représenté.
Pourtant, nous ne sommes pas élus selon un mode de scrutin proportionnel, garant d'une juste représentation de chacun des courants de pensée traversant notre société, mais suivant un mode de scrutin uninominal. Nous avons ainsi été élus dans un territoire, dans une circonscription parmi 577, et nous sommes les interlocuteurs privilégiés de la population de notre circonscription, responsables devant elle des décisions de notre assemblée tout entière. Cependant, nous ne sommes pas le porte-parole attitré d'une commune ou d'un territoire donné. Nous sommes tous, à égale hauteur, dépositaires de la souveraineté nationale.
La carte électorale est aussi l'interprète de cette grande complexité. Elle doit permettre que la désignation des membres de l'Assemblée nationale s'effectue sur des bases essentiellement démographiques, mais les contours de nos circonscriptions épousent le plus souvent ceux des cantons, de manière que chacune constitue un ensemble géographiquement ou historiquement cohérent.
Le redécoupage électoral, que certains critiquent dans son principe même, est une obligation au regard des principes posés par la Constitution, notamment celui de l'égale représentation de chacun de nos concitoyens sur les bancs de cette assemblée.
En effet, les délimitations actuelles de nos circonscriptions sont le fruit du redécoupage opéré en 1986 et reposent toujours sur les données du recensement général de 1982. Pourtant, en plus de vingt-cinq ans, notre pays a été sujet à des évolutions démographiques majeures, qui ont entraîné des disparités significatives dans le poids démographique de chaque circonscription. Ainsi, ce n'est pas simplement pour répondre à une obligation du code électoral, mais bien pour satisfaire à une exigence constitutionnelle, celle de l'égalité devant le suffrage, que la révision des délimitations des circonscriptions législatives a été entreprise. Je rappelle que le Conseil constitutionnel y a lui-même invité le Gouvernement dès 2005.
Alors, bien sûr, quel que soit le gouvernement qui y procède, le redécoupage électoral reste un exercice de haute volée, sensible, sujet aux polémiques et aux contestations de tous ordres. Le débat est d'autant plus important qu'il met en jeu, à travers la question de la carte électorale, l'impartialité de nos institutions et, par là même, la crédibilité de notre démocratie.
Or la tâche du Gouvernement ne se limitait pas à une simple mise à jour des limites territoriales des circonscriptions présentant les plus grands écarts de population. En effet, la révision constitutionnelle a été l'occasion de prévoir que les Français de l'étranger, jusqu'alors uniquement représentés au Sénat, le seraient désormais également à l'Assemblée nationale. Comment ne pas juger surprenant que ces Français, eu égard à la spécificité des enjeux auxquels ils sont confrontés et au rôle de véritables ambassadeurs de notre pays qu'ils exercent quotidiennement, ne soient pas également représentés sur les bancs de notre assemblée ?
Il a donc été nécessaire de supprimer onze circonscriptions du territoire national et d'abandonner ainsi la tradition selon laquelle un département ne pouvait être représenté par moins de deux députés.
La commission prévue à l'article 25 de la Constitution a été consultée et elle a prouvé son indépendance en rendant des avis qui s'écartaient souvent des projets retenus par le Gouvernement.
Le redécoupage des circonscriptions n'est pas une tâche facile, comme le montre l'exemple du département de la Somme où, à notre grand regret, le découpage proposé par le Gouvernement n'a pas été suivi par la commission Guéna et le Conseil d'État. On constate néanmoins que, dans ce département, la commission a respecté l'équilibre démographique. Il eût été plus judicieux de respecter les bassins de vie d'Abbeville et d'Amiens, ainsi que la géographie du littoral de la Somme, comme nous l'avions proposé.
Nous ne contestons aucunement la marge d'appréciation dont doit, dans un tel exercice, nécessairement bénéficier un gouvernement dûment élu. Il ne s'agissait d'ailleurs pas, lors de la révision constitutionnelle, d'instituer une commission dont les avis auraient force de loi et s'imposeraient ainsi à l'ensemble des autorités de l'État. Au contraire, le Gouvernement et vous, monsieur le secrétaire d'État, avez fait des choix qu'il revient à présent au législateur d'apprécier.
Dans deux cas, en Loire-Atlantique et dans le Tarn, où le Gouvernement a choisi de s'écarter des propositions de la commission Guéna, nous ne partageons pas son analyse. C'est pourquoi nous vous présenterons deux amendements proposant des découpages plus opportuns, plus conformes – nous semble-t-il – à la réalité locale.
En Loire-Atlantique, le redécoupage avait pour mission de rééquilibrer démographiquement les cinquième et sixième circonscriptions. Après redécoupage, la sixième devient la plus peuplée avec plus de 140 000 habitants selon les derniers chiffres disponibles. L'amputation dans la septième circonscription – pourtant non concernée sur le plan démographique – d'un canton, certes défavorable au député UMP, a suscité une vive incompréhension et un mécontentement des élus concernés. D'ailleurs, on remarquera que la septième circonscription passe désormais en dessous du seuil démographique départemental.
Je laisserai à mon collègue Philippe Folliot le soin de parler du Tarn, un département qui, à nos yeux, pose un véritable problème.
Globalement, monsieur le secrétaire d'État, nous approuvons et saluons la manière dont le Gouvernement et vous personnellement – au passage, je vous remercie de votre engagement – avez procédé à cette modification de la carte électorale. Cela étant, nous souhaitons que cette ratification donne au législateur l'occasion d'user de son pouvoir général d'appréciation, ainsi que le Gouvernement lui-même en a usé au cours de la procédure.
À cette réserve près, le groupe Nouveau Centre votera pour ce texte.
Philippe Folliot aussi sûrement ! Je pense même qu'il va voter deux fois !
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, je commencerai par quelques propos convenus : bien sûr, nous n'entendons pas remettre en cause la nécessité du redécoupage. Il en fallait un, afin de remédier aux écarts démographiques entre des circonscriptions qui datent de 1986. Nous élisons nos députés à partir d'une carte électorale et d'une répartition démographique vieilles de plus de vingt ans. Depuis, il y a eu deux recensements – l'un en 1990, l'autre en 1999 – et la France est passée de 54 à 63 millions d'habitants.
Malheureusement, les gouvernements de Lionel Jospin, de Jean-Pierre Raffarin, de Dominique de Villepin et de François Fillon n'ont pas modifié le découpage électoral, malgré l'obligation légale et les recommandations du Conseil constitutionnel, jusqu'à présent. Il fallait donc le faire, car les circonscriptions ont bougé. C'est d'ailleurs une obligation constitutionnelle, puisque l'article 3 impose un suffrage toujours égal. Bien entendu, « égal », c'est de l'arithmétique et de la politique. En fait, il y a peu d'arithmétique et beaucoup de politique.
L'obligation de redécoupage était donc connue, mais la méthode et le résultat n'ont pas du tout été équitables, ce que je vais essayer de démontrer. D'abord, la méthode aurait pu être plus consensuelle ; elle ne l'a pas été, ce qui a provoqué différentes polémiques déjà largement évoquées sur ces bancs, notamment sur ceux de l'opposition. Quelles sont ces polémiques ? Reposent-elles sur des arguments sérieux ?
Première chose que nous pouvons déplorer dans ce redécoupage : une méthode faite d'ambiguïté et de dissimulation. En effet, la méthode fut plutôt silencieuse, mystérieuse, obscure. Pour notre part, en tant que députés écologistes, nous n'avons pas réellement pu influer sur les tracés proposés pour les nouvelles circonscriptions. Le manque de concertation, le caractère définitif de cette carte sont des signes inquiétants qui ne laissent présager rien de bon tant pour la diversité politique que pour la visibilité démocratique.
À ce propos, j'aimerais d'ailleurs citer ceux de M. Marleix, dans le journal Le Monde du 7 octobre dernier. S'adressant sans doute aux députés, il expliquait : « La question qui vous est posée ne porte évidemment pas sur le tracé des circonscriptions. » Ces propos sont tout à fait stupéfiants, car, si l'on ne discute pas du tracé des circonscriptions, si tout est déjà joué, à quoi bon parler ? Cette sorte de négation de la démocratie est très curieuse de la part d'un ministre de la République.
Qu'allons-nous faire aujourd'hui ? En quoi consiste un redécoupage si nous ne discutons pas du contour des circonscriptions ? Certes, la commission Guéna, dont on peut contester la juste représentativité, était constituée de sages – et certains l'étaient vraiment, sans doute –, mais elle était présidée par un homme dont le parcours politique n'est ni neutre ni innocent : bien que grand juriste, il appartint également, à une époque, à la majorité gaulliste.
La commission Guéna nous a consultés de manière informelle afin que vous puissiez dire, monsieur le secrétaire d'État, que vous nous aviez consultés. Mais c'était extrêmement léger. Par exemple, il n'y a pas eu de rencontres officielles avec les chefs de partis politiques, des rendez-vous sérieux qui auraient permis de vraiment examiner les possibilités, département par département. De telles rencontres n'ont pas eu lieu.
Dans le laps de temps qui s'est écoulé entre la publication de la première carte électorale au Journal officiel, fin juin, et celle présentée au conseil des ministres, nous n'avons reçu aucune information.
L'avis du Conseil d'État, rendu pendant cette période, n'a pas été transmis par le Gouvernement. Les députés Verts qui sont allés vous voir au printemps, monsieur le secrétaire d'État, n'ont pas eu de cartes. Vous les aviez ces cartes ! Disons que vous les regardiez un peu de biais, mais nous n'avons pas eu les moyens de discuter sur des tracés réels, bureau de vote par bureau de vote, notamment à Paris – je reviendrai sur cette ville, qui me touche personnellement.
Les décisions se sont donc prises sans les principales parties prenantes. Le Gouvernement n'a tenu compte ni des réserves formulées par la commission consultative sur le découpage électoral, présidée par Yves Guéna, ni des observations du Conseil d'État. En fait, on a l'impression que, depuis plusieurs mois – sinon depuis plusieurs années –, tout était déjà joué. Ce redécoupage s'est donc fait dans l'opacité et dans le seul intérêt de l'UMP.
La deuxième polémique porte sur l'UMP et votre propre rôle, monsieur le secrétaire d'État. En effet, si ce chantier, dont je reconnais les difficultés, vous a été confié, monsieur le secrétaire d'État, c'est parce que vous êtes également expert électoral de l'UMP. Ce double statut de juge et partie ne plaide pas pour l'indépendance de la commission.
Je rappellerai quelques faits connus. Secrétaire d'État chargé du présent redécoupage, vous êtes responsable des intérêts du peuple français ; mais, de 2005 à 2008, vous avez été secrétaire national aux élections à l'UMP, allant même jusqu'à cumuler, entre mars et octobre 2008, cette fonction partisane avec votre poste au Gouvernement. Au regard de la méthode, on ne peut donc pas dire que les choses étaient bien engagées.
En effet !
Une réforme de cette ampleur aurait dû être confiée à une personnalité neutre ou, mieux encore, à une commission parfaitement mixte au plan politique. Hélas, les intérêts partisans ont pesé bien plus lourd que ceux du peuple.
Troisième sujet de polémique : fallait-il des députés pour les Français de l'étranger, déjà représentés au Sénat ? Onze sièges seront créés à cette fin ; or toutes les analyses sociodémographiques montrent que, traditionnellement, les électeurs expatriés sont plutôt favorables à la droite : je m'interroge donc beaucoup sur la légitimité de ces nouveaux sièges rattachés à des circonscriptions extraterritoriales. Les citoyens expatriés sont évidemment aussi légitimes à intervenir dans le débat démocratique que ceux demeurant sur le territoire national ; mais pourquoi ne pas rattacher les premiers à leur circonscription d'origine ? Cette solution, fort simple, leur aurait permis de voter comme tous nos compatriotes. Je le répète, douze sénateurs représentent déjà les Français de l'étranger : quel intérêt y a-t-il à grossir les rangs des parlementaires représentant un électorat somme toute marginal du point de vue numérique ?
Quatrième incohérence du projet : son orientation partisane. Ce point nous place au coeur du débat, puisqu'il touche à la rationalité et à la neutralité des critères du redécoupage. De nombreux orateurs ont souligné la partialité des moyens utilisés. Vous souhaitez de nouvelles divisions au sein des départements, des cantons et des arrondissements ; fort bien. Mais je m'attarderai un peu sur les dispositions prévues pour Paris, car ce sont les plus scandaleuses, à commencer par celles qui touchent ma circonscription. Ce possessif est d'ailleurs impropre : si je suis député de la onzième circonscription de Paris, je ne suis propriétaire ni des électeurs ni de leurs voix. C'est évidemment la démocratie qui tranche et, si elle m'a été favorable en 2002 et en 2007, nous ignorons ce qu'il en sera en 2012. À ceci près que ce ne sera plus la même circonscription puisque, retranchant des quartiers populaires généralement favorables à la gauche – celui de la porte de Vanves, par exemple –, vous l'avez étendue vers le nord en y intégrant des quartiers politiquement plus à droite, comme celui de Notre-Dame-des-Champs, passant outre le quartier de Montparnasse. Si le problème de la cohérence territoriale se pose dans certaines circonscriptions rurales – puisqu'il faut trouver quelque 125 000 électeurs pour les délimiter –, il en va différemment à Paris, compte tenu de la densité et de la vie des quartiers – que le Conseil constitutionnel, certes, rejette au profit de la seule logique démographique. Mme de Panafieu elle-même peut d'ailleurs avoir quelques états d'âme sur le redécoupage !
Très bien ; nous verrons.
Bref, ce redécoupage partisan vise à désavantager les députés écologistes parisiens, qui ne sont d'ailleurs plus que deux ; je suis même le seul député Vert, mon amie Mme Billard ayant quitté le mouvement. Au reste, sa circonscription est si éclatée qu'elle a disparu. La démographie parisienne imposait de passer de vingt-et-une à dix-huit circonscriptions ; certes, le texte prévoit la fusion des circonscriptions de Mme Aurillac, qui a déjà dit qu'elle ne se représenterait pas en 2012, et de M. Tiberi, qui est député depuis fort longtemps et dont, sans vouloir en préjuger, on peut penser qu'il ne sera pas non plus candidat.
C'était, il est vrai, sa spécialité au xxe siècle !
Reste que les députés écologistes perdent deux des trois circonscriptions sacrifiées à Paris ! Le calcul, me répondrez-vous, a été fait il y a six mois ou un an, à une époque où l'on estimait que les écologistes ne pesaient pas très lourd dans notre paysage politique. Sans parler de manoeuvres explicites, quelques arrangements ont pu intervenir entre le PS et l'UMP, la situation de ces deux partis restant à peu près stable dans le projet de redécoupage à Paris ; en revanche, on tue symboliquement les « écolos », même si rien n'est perdu, puisque seul le vote démocratique en décidera.
Vous récupérez tout de même les « bobos » !
Je conteste totalement l'idée que le vote « écolo » soit le seul fait des « bobos ».
Les élections du 7 juin dernier ont ainsi montré l'importance du vote écologiste dans les électorats populaire et rural. Que d'autres, que vous appelez « bobos », nous accordent également leurs suffrages, je ne puis que m'en réjouir ! Plus les électeurs « écolos », dans toutes les couches de la société, sont nombreux, plus je suis heureux !
La percée de l'écologie politique, le 7 juin dernier, reste évidemment à confirmer : nous verrons ce qu'il en sera lors des régionales et peut-être en 2012 ; mais cette percée est sans doute la plus forte que nous ayons connue depuis trente ans. Notre parti, comme les autres, a ses hauts et ses bas, à l'image de l'UMP aux élections européennes, même avec M. Sarkozy, et du parti socialiste. Reste que notre parti s'ancre dans la vie politique française, et j'espère que Paris comptera plusieurs députés écologistes en 2012. Je serai en tout cas candidat.
Si l'on se réfère aux résultats des dernières élections législatives, le projet de redécoupage ferait perdre dix circonscriptions à l'actuelle majorité, contre vingt-trois à l'opposition. N'est-ce pas étrange ? Quant aux onze circonscriptions des Français de l'étranger, la gauche, sur la base des résultats des dernières présidentielles, en gagnerait deux et la droite neuf. Ce sont là de simples constats connus de tous.
À Paris, la première circonscription a été complètement dépecée, et la mienne a été redessinée de manière plus favorable à la droite. Avec trois députés Verts aujourd'hui, l'Assemblée ne reflète déjà plus les nouveaux courants d'opinion en faveur de l'écologie ; elle le fera moins encore après le coup porté aux deux circonscriptions que j'évoquais. Même si je ne nie pas les considérations techniques ou démographiques avancées pour leur suppression, celles-ci ne sauraient masquer la volonté d'exclure les écologistes parisiens de la représentation nationale, ce qui est d'autant plus frappant au regard des résultats, peut-être un peu inattendus, des élections européennes du 7 juin dernier.
Cinquième point, que le temps qui me reste me permet de développer un peu : le nécessaire changement de République. Certains de nos amis socialistes ont dit que, si la Ve avait connu ses heures de gloire, notamment lors de sa création par le général de Gaulle, elle était à présent à bout de souffle. Le fonctionnement de l'Assemblée et du Sénat, que Lionel Jospin qualifiait d'« anomalie parmi les démocraties », l'atteste. Rappelons que le Sénat est à droite depuis un siècle et demi ! C'est tout à fait invraisemblable. Mais l'Assemblée, pour revenir à elle, ne reflète pas fidèlement les courants d'opinion de la population. Dans cet esprit, je terminerai par quelques propositions qui, sans avoir de lien direct avec le projet de redécoupage, vous inspireront peut-être, monsieur le secrétaire d'État, des idées pour l'avenir.
Il existe en effet un remède aux problèmes que j'évoquais : une VIe République et un nouveau mode de scrutin, le scrutin proportionnel de listes, à l'exemple de beaucoup de pays européens, notamment l'Allemagne, dont je vais parler plus en détail. Certes, ce n'est pas le débat du jour, mais une telle réforme électorale permettrait de rapprocher la France réelle de la France légale. Quand l'écart est trop important, en effet, la représentation politique escamote les mouvements d'opinion de la société réelle : les dirigeants se croient ainsi devenus rois du monde, alors qu'ils ne représentent qu'une minorité. L'UMP a ainsi la majorité à l'Assemblée, mais, comme l'ont récemment montré les élections européennes – et peut-être les prochaines régionales –, elle ne représente pas la majorité absolue du peuple français.
La majorité détenue par l'UMP est donc toute relative ; qui plus est, elle est soumise aux aléas des différentes élections, de même que le parti socialiste. Un autre système électoral réduirait donc l'écart entre la France représentée et la France réelle, ce qui améliorerait notre démocratie.
Les députés jouiraient aussi de toute la liberté intellectuelle nécessaire à l'exercice de leur seule mission : discuter des projets de loi, contrôler le Gouvernement et déposer des amendements. Nous subissons à cet égard une double peine, puisque nous sommes élus dans des circonscriptions sans disposer d'aucun pouvoir local. Souvent, les électeurs de ma circonscription me demandent d'intervenir pour tel ou tel problème local ; mais, contrairement à un conseiller régional, à un conseiller général ou à un maire, un député n'a aucun pouvoir d'action à ce niveau. Bien sûr, nous essayons de répercuter les plaintes de nos concitoyens au niveau national ; mais, bien souvent, ces problèmes relèvent de la gestion municipale. Le vrai travail du député est national : bien qu'élu du 14e arrondissement de Paris, je suis député de la France et représente l'ensemble de nos concitoyens, de sorte que les problèmes de Dunkerque me préoccupent tout autant que ceux de Marseille, de Toulouse, de Strasbourg ou de Rennes. Bref, la représentativité des députés devrait davantage coïncider avec leur mode d'élection, ce que permettrait justement le mode proportionnel.
Nous nous consacrerions ainsi pleinement à ce travail essentiel qu'est le travail parlementaire, qui ne nous retient souvent que deux ou trois jours par semaine. Mais, ainsi qu'au Parlement européen, nous devrions y consacrer cinq jours par semaine ! J'évoquerai brièvement, à cet égard, ce drôle de problème qu'est le cumul des mandats, que j'ai pour ma part toujours refusé. Plus de 90 % d'entre nous sont des cumulards, et doivent ainsi rentrer régulièrement dans leur circonscription parce qu'ils sont aussi maire, conseiller général ou régional, voire président d'une intercommunalité ou d'une région. Or, être seulement député, c'est déjà un travail à 150 % ! Comment peut-on cumuler ce mandat avec d'autres ? Les électeurs votent en réalité pour les personnes à qui l'élu a délégué son travail ; cela revient à bafouer leur confiance. On m'a demandé d'être député – discuter les textes, en présenter de nouveaux, contrôler et interpeller le Gouvernement –, et je le fais à plein temps ! Nul n'est surhumain – à part, peut-être, notre « omniprésident », qui fait trop de choses, et mal. Mais c'est un autre sujet, dont nous reparlerons.
Cette dichotomie entre le rôle d'élu local – auquel la loi ne confère aucun pouvoir territorial – et celui de député est particulièrement pénible pour notre travail de député. Il conviendrait d'observer le nombre de parlementaires présents dans cet hémicycle lors des débats : très souvent, il n'y a pas assez de monde, simplement parce les députés sont occupés ailleurs – c'est d'ailleurs la meilleure manière d'être réélu. Nous sommes le seul pays de l'Union européenne à avoir une sorte de fascination pour le cumul des mandats. Vous connaissez tous les statistiques : en France, nous atteignons la barre des 90 %, contre moins de 10 % dans les autres pays. Il s'agit d'une tradition française selon laquelle le notable se doit d'être à la fois député et élu local. On nous objecte qu'il faut bien avoir un lien avec une circonscription. En habitant quelque part, on en a forcément un ! Personnellement, j'ai mes racines quelque part et, ayant déménagé plusieurs fois, je peux parler de plusieurs circonscriptions et de plusieurs territoires. Cela étant, mon rôle consiste à défendre l'intérêt général, celui de la France et des Français, non celui de telle circonscription ou de telle ville.
Un scrutin proportionnel permettrait une représentation authentique de l'opinion politique des Français – qui peut évoluer, je le répète – et une morphologie des assemblées plus conforme à celle de la société. La proportionnelle est utilisée en Belgique, aux Pays-Bas, en Scandinavie ou encore en Allemagne ; à ma connaissance, ces pays ne sont pas plus chaotiques que la France tant du point de vue politique que démocratique.
L'Allemagne, par exemple, bénéficie d'un double avantage du fait de ce double système, car il y a un scrutin majoritaire uninominal et un scrutin de liste régional. Ce dernier permet de contrebalancer les effets trop majoritaires du scrutin uninominal, grâce à des scrutins de liste où les gens votent deux fois – ce qui n'est en rien une complication. Ce serait d'autant plus utile qu'il y a beaucoup d'élections en France, en raison des multiples échelons territoriaux : ne parle-t-on pas de « millefeuilles administratifs » ?
Nous proposons un système mixte, avec 25, 30 ou 33 % des députés élus au scrutin majoritaire, le reste des sièges étant attribué à la proportionnelle.
Nous proposons également un double vote : chaque électeur vote une première fois pour le candidat qui se présente au scrutin uninominal majoritaire dans sa circonscription, la seconde fois pour la liste qu'il représente, au titre du scrutin proportionnel.
Enfin, nous souhaitons une liste fermée, sans panachage. L'électeur ne peut donc introduire d'autres candidats ni déplacer l'ordre dans lequel ils sont présentés. C'est un bon compromis, une solution simple et raisonnable, avec une liste, comme pour les élections européennes, et un seuil d'éligibilité de l'ordre de 5 % – fréquent en matière électorale –, des circonscriptions régionales permettant de conjuguer l'enracinement local et la lisibilité inhérente à ce mode de scrutin. Le niveau régional est assez satisfaisant, comme nous avons pu l'observer lors des élections européennes.
Pour conclure…
Nous avons du temps pour examiner ce texte, ce qui est une bonne chose, car la loi que nous allons voter engagera l'avenir. Il ne s'agit pas de la réélection d'Yves Cochet, de Jean-Marc Ayrault ou de François Asensi, mais de refléter fidèlement les mouvements de l'opinion. Notre pays doit être bien représenté à l'Assemblée nationale comme au Sénat, même s'il n'est pas question du Sénat aujourd'hui.
Avec le tracé du redécoupage que vous proposez, la gauche devra obtenir plus de 51,3 % des voix, alors que 48,7 % suffiront à la droite, au regard des résultats de 2007. Dans un tel cas de figure, le groupe gagnant serait donc le vôtre, l'UMP, qui gagnerait plus de vingt députés. En revanche, le parti socialiste perdrait onze sièges, les communistes trois, ainsi que le Nouveau Centre et les non-inscrits. Quant aux écologistes, en perdant trois députés, il n'en resterait plus un seul sur ces bancs ! Cela dit, nous sommes si peu nombreux, et personne ne sait ce qui peut se passer !
J'espère que, en 2012, nous pourrons former un groupe parlementaire. Nos amis Verts allemands ont fait un score d'un peu plus de 10 % aux dernières élections législatives et constituent maintenant un groupe parlementaire de soixante-cinq députés. Les Verts français pourraient avoir le même nombre d'élus, ce qui nous permettrait d'avoir des débats plus contrastés que ceux que nous avons parfois dans cet hémicycle.
La nouvelle répartition se fait à l'avantage de la droite, ce qui est scandaleux. Renégocier et redessiner des circonscriptions est très politique et, en la matière, vous vous montrez même très politiciens. En modifiant la carte électorale, le Gouvernement modifie le rapport de forces au sein d'une circonscription. Le tracé que vous proposez me semble plus partisan que républicain. Vous cherchez à sanctuariser certaines circonscriptions et, au contraire, à en gagner d'autres à votre profit. Derrière la ratification de cette ordonnance, se cache l'intention de rendre plus difficile l'alternance démocratique. C'est la nature même de la démocratie qui est menacée par votre projet de loi, alors que nos concitoyens – nous l'avons constaté lors des élections européennes – se désintéressent de la politique parce qu'ils sentent que les règles élémentaires de la démocratie sont bafouées. Si l'on doit redynamiser la démocratie et la République qui sont fortement altérées, il faut que la répartition des responsabilités soit plus équitable. Nous avons au contraire l'impression qu'il s'agit de la défense des intérêts privés d'un groupe, voire d'une personne – je n'en dis pas plus, mais cette question fait l'actualité.
Les nouveaux partis, dont les écologistes, doivent batailler pour résister, d'autant qu'ils sont entravés par un système qui cherche délibérément à les étouffer, notamment à Paris. Heureusement, l'expression de la diversité politique est encore vivace dans notre pays, comme l'ont montré les résultats de l'écologie politique lors des élections européennes. J'espère que ce sera encore le cas, dans le cadre d'une bagarre qui ne sera pas, cette fois, administrative, mais réellement politique en 2012. Monsieur le secrétaire d'État, je vous donne rendez-vous à ce moment-là.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'examen du projet de loi portant ratification de l'ordonnance relative à la répartition des sièges et à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés constitue l'aboutissement d'un travail rigoureux, courageux et équilibré de près de dix-huit mois. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
J'utilise sans complexe le mot « courage », car, chacun le sait, il s'agit d'un sujet important et sensible, toujours soumis aux polémiques – vous le démontrez une fois de plus.
Ce projet est courageux, car le Gouvernement aurait pu, comme l'ont fait tant de ses prédécesseurs, ne pas reconnaître que la démographie imposait ce changement…
…ne pas répondre aux observations réitérées du Conseil constitutionnel, reporter une fois de plus cette réforme aux générations futures au motif qu'elle risquait d'être incomprise par l'opinion publique, dénoncée par l'opposition et contestée par les députés de la majorité dont la circonscription est supprimée.
Tel n'a pas été le choix du Gouvernement de François Fillon. Je tiens à saluer l'équilibre et la sincérité incontestables du travail opéré par Alain Marleix, secrétaire d'État chargé des collectivités territoriales. La méthode que vous avez suivie, monsieur le secrétaire d'État, ne peut être sérieusement et objectivement critiquée par un observateur de bonne foi. (Rires sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Il résulte de votre rigueur et de votre travail un projet de redécoupage nécessaire, transparent et juste.
Ce projet de redécoupage est d'abord nécessaire. En effet, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans ses observations répétées des 15 mai 2003 et 7 juillet 2005, le redécoupage était devenu indispensable pour remédier aux écarts démographiques. Les 577 circonscriptions dont nous sommes issus datent d'un recensement général de 1982. Qui peut nier objectivement qu'en près de trente ans, la population française ait évolué ? Personne ne peut contester qu'elle a évidemment augmenté et que les inégalités démographiques entre nos circonscriptions se sont creusées. À titre d'exemple, la deuxième circonscription de la Lozère compte six fois moins d'habitants que la sixième circonscription du Var.
Cette réforme s'inscrit par ailleurs dans la logique de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a décidé de créer des représentants des Français établis hors de France à l'Assemblée nationale, comme cela existe déjà au Sénat. Je tiens également à rappeler que, là aussi, ce découpage du monde en onze circonscriptions a été arrêté dans le cadre d'une totale concertation.
Par ailleurs, le Gouvernement a fait preuve de transparence. La transparence du projet présenté par le Gouvernement ne fait aucun doute et ne peut être contestée. L'ordonnance a fait l'objet d'un contrôle sans précédent lors de son élaboration : elle a été habilitée dans les conditions fixées à l'article 38 de la Constitution et elle est aujourd'hui soumise à notre ratification.
Ce projet a fait l'objet d'un avis favorable de la commission de contrôle, prévue par la révision constitutionnelle à l'article 25 de la Constitution. La composition de cette commission par d'éminents juristes dont l'intégrité, la compétence et le talent ne sauraient être remis en cause…
Une commission indépendante présidée par le RPR Guéna ! Ne dites pas que M. Guéna est indépendant ! Voulez-vous qu'on vous rappelle son parcours politique ?
…a été validée par les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elle a consacré vingt-quatre séances à sa mission et les avis, monsieur Néri, ont été publiés au Journal officiel. Tous les partis, y compris le vôtre, ont été consultés.
Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas d'un projet secret préparé en catimini, mais d'un redécoupage contrôlé, public et équitable.
Parce qu'il est nécessaire pour adapter la représentation nationale aux évolutions démographiques, qu'il a été préparé en toute transparence et largement contrôlé, ce projet de redécoupage est juste. Il répond parfaitement aux critères d'objectivité.
Il garantit la continuité des circonscriptions, l'unité des cantons, des communes, et il respecte les exigences de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel…
…qui affirme que l'élection des députés doit se faire essentiellement sur des bases démographiques, selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l'égalité devant le suffrage.
J'entends, ici ou là, des voix empreintes de démagogie qui s'opposent, protestent ou contestent. Je les appelle à expliquer à nos concitoyens et au Conseil constitutionnel qu'il n'est pas utile d'opérer un redécoupage et qu'il n'y a aucune inégalité territoriale entre les circonscriptions actuelles.
Lorsque j'entends certains de mes collègues de la majorité, hier encore lors d'une réunion du groupe UMP, protester contre ce redécoupage, j'en conclus que c'est la meilleure preuve que le Gouvernement est parvenu à un équilibre difficile et louable. Ces critiques venant des bancs de la majorité démontrent que la démarche de M. le secrétaire d'État est sincère et transparente.
Je parlais, au début de mon intervention, de « courage et d'équité». Ces deux termes qualifient bien les intentions du Gouvernement et tranchent évidemment avec l'attitude de certains membres de l'opposition…
…qui s'acharnent à privilégier les intérêts personnels et à dénoncer une mensongère « impossibilité d'alternance ». Nous savons tous que rien n'est plus faux. Je tiens aussi à souligner que d'autres membres de l'opposition ont objectivement salué la qualité du travail effectué.
Aux membres de l'opposition qui s'offusquent en prétendant qu'il s'agit d'un texte de circonstance, je réponds que, loin d'avantager tel ou tel parti, ce redécoupage vise à renforcer la démocratie en rétablissant l'égalité du vote de tous les Français, principe quelque peu diminué par le contexte démographique.
On vous mettrait sur un cheval de bois, il vous donnerait des coups de pied, même à Saint-Martin-Vésubie !
Mais si, vous êtes au conseil général ! Vous avez migré jusqu'à Saint-Martin-Vésubie ! Rappelez-vous !
Oui, mais je n'en suis pas le député, cher ami ! Saint-Martin-Vésubie ne se situe pas dans ma circonscription qui n'a pas été redécoupée !
Alors que l'opposition dénonce un texte politicien, je considère, au contraire, que celui qui nous est soumis est éminemment démocratique, et qu'il a pour seul souci le respect de l'intérêt général.
C'est pourquoi le groupe UMP l'approuvera avec beaucoup de détermination.
Monsieur le président, mes chers collègues, nul ne conteste la nécessité de procéder à un redécoupage des circonscriptions pour nous mettre en conformité avec les exigences du Conseil constitutionnel, compte tenu de l'évolution démographique. N'ayons pas de faux débat : nous sommes d'accord sur ce point et nos orateurs, dont M. Bruno Le Roux qui s'est brillamment exprimé hier, l'ont souligné. Ce n'est donc pas l'objet de notre échange et de notre confrontation démocratique. Ce qui nous oppose, c'est votre manière de procéder.
Je viens d'entendre notre collègue M. Ciotti qui a fait l'éloge de la méthode et qui s'est rallié avec enthousiasme au travail qu'a accompli M. Marleix au nom du Gouvernement. Je suis désolé de dire que nous ne sommes pas d'accord avec cette vision des choses. Il est de notre devoir de le souligner pour alerter les citoyens. En effet, si l'on change les règles du jeu, ce n'est pas les élus qui seront pénalisés, les sortants ou ceux qui veulent être candidats, mais les citoyens qui verront leur vote faussé.
Monsieur Marleix, j'ai beaucoup de respect et d'estime pour vous et je reconnais votre très grande compétence et votre très grande expérience pour procéder au découpage.
En effet, déjà en 1986, auprès de M. Charles Pasqua qui s'est alors rendu célèbre, vous avez utilisé un instrument qui était, on peut le dire, un très gros couteau de boucher. Vous étiez alors dans l'ombre, donc on ne s'en est pas rendu compte.
Si l'on a fait porter la responsabilité pleine et entière à Charles Pasqua et au gouvernement de Jacques Chirac, vous avez, quant à vous, une solide et une riche expérience. Vous avez cultivé cette solide et riche expérience au point de procéder, cette fois-ci, différemment en utilisant non pas un instrument un peu grossier, mais une paire de ciseaux très fine pour un exercice beaucoup plus subtil dans la dentelle !
Évidemment, si vous aviez agi aussi brutalement, cela aurait été visible et l'indignation aurait été générale. Il est donc essentiel que nous, ici à l'Assemblée nationale, montrions, à travers des exemples concrets – objets de la démonstration de Bruno Le Roux –, ce qui n'est pas acceptable. Nous ne prétendons pas que tout est mal, mais nous voulons montrer que vous avez, en quelque sorte, mis en place une sécurité supplémentaire pour l'UMP – je dis bien pour l'UMP et non pour l'ensemble de la majorité – et c'est là où le bât blesse ! Je suis bien contraint de le souligner avec force. Chacun jugera en conscience. Les députés de la majorité devraient réfléchir avant de faire preuve, monsieur Ciotti, d'autant d'enthousiasme, tant la question de la démocratie nous concerne tous.
Nous avons, sur ce plan comme sur d'autres, des comptes à rendre aux citoyens.
Trouvez-vous normal – et je m'adresse à vous, monsieur Ciotti – quue, dans ce tour de passe-passe, les deux tiers des circonscriptions supprimées soient détenus par la gauche et que les deux tiers de celles qui sont créées soient, en revanche, favorables à la droite ?
Les trois-quarts des cinquante circonscriptions qui se sont jouées à moins de quatre points en 2007 sont consolidés à droite. C'est facile : il suffit de bouger un canton. C'est subtil et ça marche ! Vous avez pris une mesure de sécurité, ce que vous ne pouvez contester, monsieur Ciotti !
Donc, ce travail a été fait.
Trouvez-vous également justiciable que l'écart se creuse entre la droite et la gauche si l'on applique ce nouveau découpage aux élections de 2007 ? Cela a été dit et répété ; il est donc difficile de le contester : la gauche, si elle veut être majoritaire, doit disposer de 51,4 % des voix alors qu'il en faut beaucoup moins pour la droite. Cela signifie qu'une voix de droite et une voix de gauche ne pèsent pas le même poids.
C'est une évidence : nous sommes obligés de le dire.
Je ne referai pas la démonstration de Bruno Le Roux. Pour moi, elle est claire et forte. Nous avons cité des exemples ; nous avons déposé des amendements relatifs au découpage caricatural de certaines circonscriptions. Si la majorité – et j'ai cru comprendre que tel sera le cas –, vote cette ratification, nous saisirons le Conseil constitutionnel qui devra se prononcer définitivement.
Nous alertons les citoyens, mais je voudrais aller un peu plus loin, monsieur Marleix.
Si j'ai bien compris, votre travail n'est pas terminé : un découpage peut en cacher un autre.
Je me souviens des échanges que nous avons eus, voici quelques mois, lorsque nous vous parlions, s'agissant des cantons, d'inégalités démographiques, donc d'iniquités démocratiques. Vous nous avez alors répondu qu'il ne serait pas procédé au découpage des cantons, ce qui serait trop compliqué, et qu'il y avait urgence. Aujourd'hui nous avons compris pourquoi vous ne vouliez pas procéder au découpage des cantons. Pourtant les injustices démocratiques au sein des départements ou lorsque l'on compare le milieu urbain et le milieu rural, sont encore plus caricaturales. C'est spectaculaire ! Des conseillers généraux ont 2 000 électeurs pendant que d'autres en ont 50 000 !
Cela est profondément choquant.
Nous avons maintenant compris pourquoi vous n'avez pas décidé le découpage des cantons. En effet, un projet tendant à changer les règles du jeu s'agissant de l'élection des conseillers généraux et régionaux, va être adopté, je l'imagine, en conseil des ministres. Vous allez ainsi supprimer un certain nombre de sièges d'élus pour réaliser prétendument des économies, alors que le but politique est d'une grande transparence. Vous voulez créer la fonction de « conseiller territorial » mais les intéressés ne seront pas élus au terme d'un scrutin « à l'allemande » – je dis cela pour notre collègue Yves Cochet qui a évoqué ce sujet – scrutin qui est d'ailleurs assez proche de la proportionnelle, mais qui maintient la possibilité d'un ancrage territorial dans les circonscriptions. En effet les Allemands disposent de deux voix : l'une pour l'arrondissement et l'autre pour le parti politique dans le cadre de l'arrondissement régional qu'est le Land.
Vous nous proposez au contraire un scrutin uninominal à un tour, système fort différent. Je ne sais pas si notre collègue Jean-Jacques Urvoas l'évoquera, mais il a fait une petite étude très intéressante que je tiens à citer : le mode de scrutin uninominal à un tour que vous voulez mettre en place avait été appliqué dans les quarante-six cantons qui, entre septembre 2008 et le 1er août 2009, ont fait l'objet d'une élection partielle, nous aurions assisté à une quasi-inversion des résultats. Alors que l'UMP a perdu sept sièges, elle en aurait gagné six et le parti socialiste, qui a gagné trois cantons, en aurait perdu quatre. On comprend bien l'enjeu. Il s'agit de la décision du chef de l'État de changer les règles du jeu.
Et vous n'allez pas vous arrêter là ! Il va encore se produire des choses !
Nous ne pouvons donc pas accepter cette façon de procéder, mais chacun comprend maintenant les raisons qui vous y ont poussés.
Le Président de la République, avant d'être élu, a procédé à un rassemblement qu'il élargit aujourd'hui aux chasseurs et au parti de M. Philippe de Villiers. À ce propos, je tiens à vous préciser que le maire MPF d'Orange va accueillir, ce week-end, dans sa ville, le congrès des Identitaires européens. J'avoue que cette alliance me fait un peu frissonner. Je ne sais pas si vous avez été informés de cette initiative politique que je trouve parfaitement inquiétante.
Quel est votre problème ? L'UMP, le parti présidentiel, est le parti du premier tour, tandis qu'il rencontre d'énormes difficultés au second. Donc, dans un scrutin à deux tours, il lui est difficile d'obtenir une majorité. Tel est bien ce problème politique qui structure votre démarche. Le choix de faire élire le conseiller territorial selon le mode de scrutin à un tour, se situe dans la perspective d'éviter un second tour.
Il est vrai que l'on peut craindre que vous ne vous arrêtiez pas là. Pour l'élection de 2012, il s'agira d'un découpage que vous aurez élaboré subtilement et habilement pour vous constituer, en quelque sorte, un bouclier électoral. Nous sommes, certes, à l'époque des boucliers : il y a déjà le bouclier fiscal, le bouclier électoral, et nous découvrons maintenant le bouclier filial ! Cela fait tout de même beaucoup et le citoyen finit par s'interroger. Les dégâts sont si considérables que cela ne concerne pas seulement nos rangs, mais ceux de votre propre majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La question suivante a été posée au secrétaire général de l'Élysée, il y a quelques jours de savoir s'il envisageait d'aligner nos différents scrutins sur celui prévu pour l'élection du conseiller territorial ? M. Guéant s'est bien gardé de répondre et de contredire le journaliste qui l'interviewait, puisqu'il a précisé qu'il n'y avait pas de projet d'étendre ce système à d'autres élections et que ce n'était pas du tout à l'ordre du jour aujourd'hui.
« Aujourd'hui » ! Il a corrigé son interview. Il l'a relue. Le mot « aujourd'hui » a donc un sens ; il n'est pas là par hasard. Permettez-nous donc d'être extrêmement inquiets et d'appeler l'attention de nos concitoyens.
Ce n'est d'ailleurs pas une invention de ma part. Le 7 octobre dernier, dans une interview au Figaro, Jean-Pierre Raffarin expliquait très clairement que l'avenir, c'était le scrutin à un tour. Vous ne pouviez pas tout faire en même temps. Donc, vous procédez au découpage et vous créez le conseiller territorial. Nous verrons d'ailleurs si cette mesure sera votée. Cela va être compliqué. En effet, depuis que vous avez décidé de la réforme territoriale et de celle de la taxe professionnelle, cela tangue énormément dans la majorité, notamment. Ces réformes sont injustes et dangereuses.
Cette sorte d'aventure, cette improvisation auront des conséquences terribles pour la vie démocratique, pour les collectivités locales dans leur action quotidienne, pour les services publics, et aussi pour l'investissement et la modernisation du pays. Vous prenez de lourdes responsabilités pour des raisons bassement électoralistes. Ce que vous faites est grave. Nous sommes donc parfaitement dans notre rôle lorsque nous le dénonçons !
Pour conclure, je dirai que, finalement, ce pouvoir ose tout.
Je viens d'évoquer l'indécence qui caractérise sa politique. Franchement, jamais le pouvoir financier, le pouvoir médiatique, le pouvoir politique n'auront été concentrés dans les mains d'un clan aussi étroit ! Jamais, il n'aura été aussi difficile de prétendre à l'alternance !
Toutefois une chose est sûre, monsieur le secrétaire d'État, mesdames, messieurs les députés de la majorité : jamais le peuple français ne s'est durablement soumis ! C'est pourquoi nous gardons confiance et nous continuerons à nous battre pour la démocratie et l'alternance ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui amenés à discuter du contenu d'ordonnances déjà publiées et auxquelles il ne manque que l'onction législative, au terme d'un processus qui a court-circuité les prérogatives de l'Assemblée nationale en habilitant le Gouvernement à revoir la carte des circonscriptions législatives par ordonnance.
Cette procédure, très peu respectueuse de notre fonction, entre en contradiction flagrante avec le discours sur la revalorisation des droits du Parlement pourtant mis en avant lors de la réforme constitutionnelle.
Nous sommes amenés à nous prononcer sur un texte par nature difficilement amendable, un texte dont les enjeux essentiels semblent actés. Pourtant, de nombreuses dispositions ne respectent nullement nos règles républicaines et contreviennent à l'expression démocratique des suffrages, tant dans les écarts maintenus entre les circonscriptions électorales que dans la création de nouvelles inégalités entre catégories de citoyens. Difficile, dans ces conditions, de ne pas suspecter la majorité de concocter une nouvelle carte électorale partiale qui empêchera la gauche de revenir au pouvoir dans cette assemblée.
Je reviendrai, dans un premier temps, sur les violations les plus flagrantes de l'égalité de ce redécoupage, avant de m'attarder plus longuement sur les enjeux démocratiques que soulève l'examen de ce texte.
Si j'entends vos propos, monsieur le secrétaire d'État, le texte que nous examinons consisterait en un simple ajustement de la carte électorale, une actualisation statistique, démographique de la délimitation des circonscriptions. Ne nous laissons pas abuser par ce discours lénifiant et techniciste. La modification du système électoral est un exercice hautement politique, car il s'agit de déterminer de quelle manière les outils institutionnels représenteront les orientations décidées par le peuple dans les urnes.
Dans cette tâche, un principe doit nous aiguiller en permanence, celui de l'égalité des citoyens devant le suffrage, qui a acquis valeur de loi fondamentale par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une égalité inscrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen conquise au fil des combats révolutionnaires.
En clair, qu'est-ce que le principe de l'égalité des citoyens devant le suffrage ? Le fait que la voix d'un citoyen ait le même poids, quelle que soit l'orientation politique de son vote, ou le lieu du vote.
Vous avez rappelé avec raison les multiples recommandations du Conseil constitutionnel appelant à un redécoupage électoral, au vu des écarts de population inacceptables entre les circonscriptions, des écarts de un à six entre la deuxième circonscription de Lozère, 34 374 habitants, et la deuxième circonscription du Val-d'Oise, 188 200 habitants.
Si nous nous accordons sur l'impérieuse nécessité de ce redécoupage, notre désaccord est total quant à la méthode mise en oeuvre et aux partis pris de ce texte. Manifestement, nous avons affaire à un découpage en violation du principe d'égalité des citoyens devant le suffrage. En dehors des règles juridiques, il se révèle orienté politiquement pour favoriser l'emprise d'une majorité, et je vais vous en donner quelques exemples.
Premier exemple : les inégalités de populations entre les circonscriptions métropolitaines.
Le projet de ratification que vous nous présentez maintient une inégalité forte entre la représentation des villes et celle des campagnes, dont ne sont pas absentes les considérations électorales. En dépit de nos mises en garde, le Gouvernement s'est arc-bouté sur une prétendue tradition pour maintenir un minimum de deux députés par département. Fort heureusement, le Conseil constitutionnel a explicitement censuré votre projet de loi d'habilitation dans sa décision du 8 janvier 2009, en rappelant que la délimitation des circonscriptions s'effectuait sur une base « essentiellement démographique ».
J'ajoute que je comprends mal cette obstination à vouloir faire des députés les représentants des territoires, alors qu'il existe une autre assemblée pour ce faire, le Sénat, une assemblée qui, elle-même, s'éloigne de plus en plus de l'évolution démographique, accordant un poids disproportionné à la ruralité. Tel est le choix opéré par la majorité pour préserver son électorat conservateur.
Je suis pour ma part attaché à ce que les députés soient les représentants du peuple, et que les citoyens disposent d'une égale représentation. De ce point de vue, d'intolérables écarts demeurent dans la carte électorale que vous soumettez à ratification. Comment justifier que la deuxième circonscription des Hautes-Alpes dispose d'un député pour 60 000 habitants, quand la sixième de Seine-Maritime a besoin de 146 000 habitants pour obtenir ce même député ?
Sur l'ensemble du territoire métropolitain, les moyennes départementales varient de 65 000 à 125 000, soit du simple au double. Cela signifie-t-il que certains habitants « valent » deux fois moins que d'autres ? Pour prendre l'exemple de la Seine-Saint-Denis, la moyenne départementale atteint 124 331 habitants, une moyenne qui n'est dépassée que par deux départements, la Seine-Maritime et le Puy-de-Dôme. Faut-il y voir un simple hasard,…
…ces départements urbains étant les terres d'élection de nombreux élus communistes. Un électeur communiste n'aurait-il pas le droit à la même représentation qu'un autre électeur français ?
Ces inégalités sont le fruit de votre entêtement à maintenir un mode de calcul par tranche qui s'écarte d'un découpage proportionnel. Vous n'avez apporté à mes yeux aucune justification convaincante sur ce choix, pas plus que la commission Guéna qui l'a validé. Cette commission, chargée de contrôler les ordonnances vous a reproché ces écarts importants entre les circonscriptions, qui laissent planer le doute sur la neutralité du Gouvernement. Des écarts de plus ou moins 17 % par rapport à la moyenne départementale demeurent.
Je ne peux que déplorer le fait que vous ayez délibérément choisi de vous asseoir sur les recommandations de la commission Guéna, pourtant modérées. Ces entorses au principe d'égalité deviendront rapidement des entorses au droit au regard de la règle des 20 % d'écart avec la moyenne départementale. Il faudra bientôt à nouveau redécouper les circonscriptions puisque vous contreviendrez à la loi et que le Conseil constitutionnel vous fera des observations. Le travail sera ainsi à remettre sur l'ouvrage dans un bref délai compte tenu des évolutions démographiques.
J'en viens aux circonscriptions d'outre-mer, où une même inégalité a prévalu dans la répartition des sièges de députés.
En dépit de la faible population de certaines collectivités d'outre-mer, collectivités auxquelles nous sommes attachés, vous avez créé trois circonscriptions. Aucune logique juridique ou démographique ne vous y obligeait. De nouveau, vous avez été attiré par les sirènes d'une représentation territoriale et non démographique du mandat de député.
Ce détournement a également fait l'objet d'une réserve de la part du Conseil constitutionnel, qui a souligné que rien n'obligeait à ce que chaque collectivité ait en propre une circonscription.
Si à la rigueur, pour des raisons d'éloignement géographique, nous pouvons convenir que Saint-Pierre-et-Miquelon, avec 6 125 habitants, et Wallis-et-Futuna, avec 13 484 habitants, disposent d'un député, il en va différemment de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Ces 43 518 habitants, jusqu'à présent rattachés à la proche Guadeloupe auront le privilège d'une représentation proportionnellement trois fois plus importante que les autres citoyens. Monsieur le secrétaire d'État, qu'est-ce qui justifie cette volonté d'accorder un siège de député à ce paradis du tourisme de luxe au régime fiscal dérogatoire ?
Je suis, comme beaucoup sur ces bancs, très attaché à ce que les collectivités d'outre-mer disposent d'une plus grande reconnaissance de notre République, mais je crois que la cuisine électorale à laquelle nous assistons dessert profondément cet objectif.
Autre choix qui n'a rien de technique et qui est tout à fait politique : l'instauration de sièges de députés pour les Français établis hors de France.
Ces onze sièges de député crées pour cette nouvelle catégorie de citoyens sont autant de sièges supprimés dans les départements lésés par votre réforme. En effet, vous avez décidé de maintenir le nombre de 577 députés. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui avait conduit le comité Balladur à écarter l'idée d'une représentation des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale, avis que vous n'avez pas suivi.
Il ne faut voir là que la traduction d'une promesse électorale de Nicolas Sarkozy, qui s'était rallié en 2007 à cette mesure dans le but de mobiliser l'électorat des expatriés, structurellement acquis à la droite. Ces circonscriptions ont en effet repris les délimitations en vigueur pour l'élection des sénateurs de l'étranger. Faut-il rappeler que ces délimitations accordent neuf sièges de sénateurs à l'UMP, contre trois au parti socialiste ? Nous ne sommes pas loin d'un matelas électoral qui pourrait faire pencher la balance en cas de scrutin serré.
Je m'inquiète du manque de sécurité juridique de cette réforme, dont les bases démographiques sont incertaines, fluctuantes selon les sources.
Le chiffre de onze députés a été entériné par le Conseil constitutionnel, en fonction de la population actuellement inscrite sur les listes consulaires, mais que ferez-vous si le nombre de Français vivant à l'étranger augmente plus rapidement que la démographie métropolitaine ? Que ferez-vous si cette réforme incite de nombreux compatriotes à s'immatriculer auprès des consulats ? Faudra-t-il procéder à un nouveau redécoupage, en accordant de nouveaux sièges ?
Je ne puis pour ma part accepter que nos élections nationales désignent leur vainqueur par le truchement d'une surreprésentation des compatriotes de l'étranger, comme on peut le constater en Italie.
Cette réforme ressemble donc beaucoup à une bombe à retardement.
De plus, votre entêtement à refuser une représentation à la proportionnelle confine à l'irrationnel.
Le comité Balladur, avant d'exclure une représentation des expatriés à l'Assemblée, estimait que, s'il fallait assurer l'élection de députés des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale, cela ne pourrait se concevoir que par le biais d'un scrutin de liste. Toutes les organisations de Français de l'étranger, y compris celles de droite, ont plaidé pour un scrutin de liste à la proportionnelle. Il aurait permis une juste représentation des courants politiques et aurait été adapté à l'échelle internationale de ce vote.
Le choix d'un scrutin majoritaire uninominal n'a en effet aucun sens. Comment imaginer que le lien personnel de l'électeur à son député puisse exister sur une circonscription de la taille de l'Amérique du Sud ?
Au final, dans l'ordonnance que vous nous proposez à ratification, la taille des circonscriptions cache des écarts inacceptables de moins 31 % à plus 44 % par rapport à la moyenne, bien au-delà des plus ou moins 20 % autorisés.
Permettez-moi de dire un mot sur le principe même de la représentation des Français établis à l'étranger à l'Assemblée nationale.
Il est légitime que les Français expatriés, qui demeurent attachés à leur pays et y conservent des liens familiaux, soient associés à la conduite du pays. C'est ainsi que les procédures de vote pour les Français établis à l'étranger ont été considérablement assouplies et leur permettent désormais de s'exprimer dans la majorité des élections. Je m'en félicite, mais l'instauration de onze représentants des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale, en plus des douze sénateurs qui représentent également cette population, et non les collectivités territoriales, n'accorde-t-elle pas un double poids à ces citoyens ?
Au regard de notre histoire politique et constitutionnelle, et de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, un élément est indétachable de cette qualité de citoyen : la contribution à l'impôt. Est-il alors nécessaire d'accorder une circonscription, la sixième, à nos compatriotes vivant au Liechtenstein et en Suisse pour fuir l'impôt ?
Ce principe peut paraître d'autant plus choquant que notre pays s'éloigne progressivement de la conception républicaine du droit du sol donnant des droits aux citoyens vivant sur notre territoire. Des familles immigrées qui se sont parfaitement insérées dans notre société, qui participent à la vie démocratique et payent leurs impôts sont exclues de nos institutions.
Comment accepter que vous refusiez le droit de vote aux étrangers installés depuis plusieurs dizaines d'années en France, alors que vous vous apprêtez à accorder un droit de vote spécifique à des personnes qui, pour certaines, ont quitté définitivement la France ? Il y a là pour le moins un paradoxe.
Comme vous avez pu le constater, mes chers collègues, les injustices entre les citoyens que contient ce texte sont légion, et je ne suis pas surpris, monsieur le secrétaire d'État, que la commission de contrôle ait formulé des réserves à ce redécoupage dans plus de la moitié des départements et proposé une refonte totale des circonscriptions parisiennes.
La méthode employée n'offrait, il faut le dire, que bien peu de garanties démocratiques d'impartialité.
Vous avez tout d'abord cherché à contourner les prérogatives de notre assemblée, alors même que l'article 34 de la Constitution inscrit le régime électoral des assemblées parlementaires dans le domaine de la loi.
Le Gouvernement invoque le précédent de 1986 pour justifier le recours aux ordonnances, mais il devrait savoir qu'une entorse au droit ne fait pas loi ni jurisprudence, et je ne crois pas que le charcutage de 1986 mérite de servir de référence pour l'exercice démocratique auquel nous sommes conviés.
Plus grave encore, la loi d'habilitation à procéder par ordonnance se signalait par une telle largesse qu'on ne peut s'étonner d'un résultat partial et contraire aux canons d'une démocratie avancée.
La fixation du nombre des députés des Français de l'étranger et d'outre-mer a été laissée à la libre appréciation du Gouvernement. Ce dernier s'était pourtant engagé à inscrire cette répartition au sein d'une loi organique.
Que dire de l'instauration d'une commission de contrôle du redécoupage à l'indépendance toute théorique et aux pouvoirs inexistants ? Elle n'aura même pas eu à se prononcer sur la loi d'habilitation du redécoupage, qui fixait pourtant le cadre de son travail. N'ayant pas de pouvoir contraignant, ses avis sont majoritairement passés à la trappe sans autre forme de procès.
Présentée comme une avancée démocratique majeure, l'instauration de cette commission n'aura donc été qu'un leurre pour nous détourner d'une opération de manipulation électorale.
Plus que jamais, il est nécessaire de mettre en place une commission composée d'experts en démographie, sociologie, géographie et statistique qui conçoive un projet de redécoupage, sans être nommée par les pouvoirs en place, tout comme il me semble indispensable de graver dans la loi fondamentale l'obligation d'un redécoupage périodique afin d'éviter les effets d'aubaine pour les partis au pouvoir.
J'en viens au deuxième volet de mon intervention, qui concerne plus généralement la place de ce projet de redécoupage des circonscriptions dans le cadre de la réforme de nos institutions. Je crois ce détour essentiel, car il ne s'agit pas simplement aujourd'hui d'approuver ou non le trait de crayon de M. le secrétaire d'État sur la carte politique de France.
En dépit des discours du Gouvernement, qui souhaiterait maquiller cette opération en un simple exercice démographique et statistique purement scientifique, nous touchons au coeur de notre système démocratique, ce système qui permet, par le truchement des institutions, de donner une voix et une représentation au peuple.
Par un habile scénario, M. le Premier ministre, sur ce texte comme sur d'autres projets, s'attache à tronçonner une réforme globale pour nous en faire perdre le sens.
Si ce texte portant ratification de la délimitation des circonscriptions nous revient sans saveur, c'est bien car tout a été fait pour confisquer le débat en amont, pour déminer autant que possible ce texte et en effacer de nombreux enjeux.
Je rappelle en effet que ce projet de loi est l'une des dernières pierres, en attendant une hypothétique mise en place du référendum d'initiative populaire, du projet de réforme de nos institutions porté par le Président de la République et mis en musique par son ancien mentor, Édouard Balladur.
N'en déplaise au Président, les mots ont un sens. Ce qu'il a affublé de l'expression « démocratisation de nos institutions » n'est rien de plus qu'une reprise en main autoritaire de notre République et un penchant de plus en plus assumé vers le déséquilibre des pouvoirs constitutionnels. La montagne de promesses démocratiques a accouché d'une souris, les rares propositions ouvertes du comité Balladur pour apporter une respiration démocratique à nos institutions ayant été repoussées, parfois sans être examinées.
Quelles avancées pour réformer un mode de scrutin majoritaire qui étouffe le pluralisme ? Quelles propositions pour limiter le cumul des mandats ? Quelles dispositions nouvelles pour permettre une réelle parité élective et une représentation de la diversité qui ne s'en tienne pas à des caricatures ?
Les parlementaires communistes vous ont présenté leurs propositions pour démocratiser des institutions sclérosées et fermées aux classes populaires : des propositions de bon sens, des propositions dont l'application ne soulevait aucun obstacle juridique. Le Gouvernement a préféré faire la sourde oreille et a poursuivi une réforme qui ne donnait ni droits nouveaux aux citoyens ni nouveaux pouvoirs au Parlement, ce que l'on constate aujourd'hui sur tous les bancs.
Je regrette vivement que ces questions essentielles aux yeux de tous les parlementaires n'aient trouvé aucune réponse lors de l'élaboration de la réforme constitutionnelle, ce qui explique largement la victoire à la Pyrrhus obtenue devant le Congrès à une voix de majorité sur la réforme constitutionnelle.
En raison de ces non-choix, en raison d'un conservatisme certain vous rendant incapables d'imaginer de nouvelles institutions à l'image de la société française, vous êtes comptables d'avoir laissé passer une opportunité forte de démocratiser cette Ve République vieillissante, à bout de souffle.
Nous devons ratifier une carte électorale qui n'a aucun sens car des mesures démocratiques essentielles n'ont pas été prises. Nous nous retrouvons aujourd'hui avec une réformette de l'égalisation démographique des circonscriptions législatives alors que celle-ci était nécessaire.
Vous avez traité la question de l'égalité des citoyens devant le suffrage par le petit bout de la lorgnette. Vous n'avez, monsieur le secrétaire d'État, parlé que de « tradition électorale » et de « simple ajustement » pour justifier votre projet. Nous ne pouvons vivre en reproduisant perpétuellement les choix du passé. Les députés sont, au contraire, favorables à un grand changement, pour peu qu'il soit synonyme de plus de justice. Il n'est pas question ici d'arithmétique ou de cuisine électorale, monsieur Marleix, mais d'un projet de société. Nous ne nous laisserons pas enfermer dans un cadre trop étroit qui ne laisse pas respirer la démocratie, à coup d'échanges de cantons d'une circonscription à l'autre.
Ce n'est pas ce redécoupage qui apportera une réponse à la profonde défiance de nos concitoyens envers la chose publique et à l'abstention grandissante dans les urnes. Nous satisferons-nous d'une démocratie, à l'instar des États-Unis, où les élus de la nation seront désignés par une minorité de votants ?
Vous invoquez à l'envi les recommandations du Conseil constitutionnel invitant au redécoupage pour vous parer dans un habit de vertu, celui de l'égalité devant le suffrage, mais si, dans ce projet de redécoupage, la lettre est respectée, l'esprit, lui, ne l'est pas.
M. le secrétaire d'État affirmait d'ailleurs en novembre dernier ; « Nous ne sommes pas à la recherche du meilleur système de répartition, dès lors que notre intention n'est pas de tout remettre à plat, mais de procéder aux ajustements exigés par l'évolution démographique ». On ne peut plus clairement afficher ce manque d'ambition démocratique.
Si vous me le permettez, je vais vous exposer en quelques points des réformes essentielles qui, aujourd'hui plus que jamais, doivent voir le jour pour rapprocher durablement les citoyens des institutions de ce pays. Peut-être aurez-vous l'impression d'entendre des vieilles lunes, et je suis le premier à le regretter, mais à qui la faute si, depuis tant d'années, rien ne bouge dans le paysage institutionnel français ?
En 1993 déjà, la commission Vedel était installée par le Premier ministre de l'époque pour proposer une évolution et une démocratisation de nos institutions. Quinze ans plus tard, je constate non sans tristesse que nous en sommes au même stade. Nous faisons mine de découvrir des problématiques défrichées depuis longtemps. L'art de la répétition pour convaincre a ses limites.
Plus navrant encore, bon nombre des recommandations de cette commission ont été reprises par la commission Balladur en les affadissant, avant de subir une cure d'amaigrissement drastique entre l'Élysée et Matignon.
Parmi les sages propositions du doyen Vedel figurait l'introduction de la proportionnelle pour un dixième des députés afin d'atténuer la surreprésentation des formations dominantes. En raison de l'élection d'une nouvelle majorité de droite peu convaincue de la nécessité de revitaliser notre démocratie, ce rapport est resté lettre morte.
Il faut bien admettre que l'arrivée de la gauche en 1997 n'a pas apporté les réponses institutionnelles que l'on pouvait espérer et, à rebours, a consolidé la tendance présidentialiste du régime avec l'inversement du calendrier électoral.
Ce fut une faute grossière de ce gouvernement dont nous payons encore les conséquences.
Quinze ans après le rapport Vedel, la commission Balladur revient devant les Français avec une proposition plus que raisonnable. Je la qualifierai plutôt de timorée : elle propose au Président de la République l'attribution de vingt à trente sièges de députés à la proportionnelle afin de rétablir l'équité entre les formations politiques. Soyons sérieux : qui peut prétendre que cette dose de proportionnelle mettrait en danger la stabilité gouvernementale, menacerait le bon fonctionnement de notre démocratie ? Aucun argument technique n'est par ailleurs recevable, le doyen Vedel reconnaissant déjà en 1993 qu'il n'existait « aucun obstacle majeur ».
Le Président de la République et le Gouvernement ont cependant balayé cette proposition sans formuler la moindre justification. Il s'agit là d'un choix purement idéologique et non dénué de visée politicienne : trop souvent, les déclarations d'intention des partis hégémoniques sur le nécessaire pluralisme de la représentation nationale cèdent le pas aux intérêts d'appareil.
Aux termes de la nouvelle rédaction de l'article 4 de la Constitution, « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation. » Cependant comment parler de participation équitable des partis à l'heure d'un bipartisme étouffant la démocratie, au moyen d'un mode de scrutin majoritaire qui fausse la volonté des Français et permet au parti au pouvoir de mettre en place une règle du jeu qui le favorise ce qui est de bonne guerre ?
J'entends, ici où là, les inquiétudes des opposants au scrutin proportionnel qui invoquent depuis trente ans un même contre-exemple : la IVe République, un régime qui aurait prétendument été perverti par son mode d'élection à la proportionnelle. Soyons sérieux et référons-nous au contexte de l'époque : ce n'est pas la proportionnelle qui a fait couler la IVe République. On ne peut continuer à agiter l'épouvantail de la proportionnelle intégrale pour refuser l'introduction d'une part de proportionnelle qui ne remettrait nullement en cause la stabilité gouvernementale, ni même le fait majoritaire
Pour rejeter le mode de scrutin proportionnel, M. Marleix brandit l'argument de la tradition républicaine. Faut-il rappeler que pour le Conseil constitutionnel la notion de tradition républicaine n'a aucun effet juridique ? D'ailleurs de quelle tradition s'agit-il à propos des modes de scrutin ? De celle qui veut que chaque camp, une fois arrivé au pouvoir, façonne celui-ci à son profit ? Je ne peux croire, monsieur le secrétaire d'État, que vous souhaitiez vous inscrire dans une telle « tradition républicaine » initiée par vos ancêtres de l'UNR en 1958. Permettez-moi de vous rappeler que cette année là le changement a été le résultat du coup d'État des généraux à Alger et une époque où le Parlement ne siégeait pas.
Au terme du rétablissement du scrutin majoritaire et d'un charcutage électoral sans équivalent, le parti communiste, premier parti politique,…
… arrivé en tête des législatives de 1958 avec 19 % des suffrages n'obtenait que dix sièges, quand le parti du général De Gaulle, l'UNR, avec un score inférieur, raflait 189 sièges !
Informez-vous, jeune homme !
D'un côté, une formation politique obtient, avec 19 % des voix au premier tour, dix sièges de députés et de l'autre, une autre formation, avec 17 % des voix au premier tour, en obtient 189. La démonstration est limpide !
J'entends fort bien la nécessité d'assurer une stabilité et une efficience à l'exécutif, mais cette stabilité est depuis fort longtemps atteinte et elle confine désormais à la sclérose et à l'irresponsabilité.
J'insiste sur le fait que le mode de scrutin a pour fonction de représenter la population, non de réguler le système politique et partisan. Ramener cette question au mode de scrutin est par ailleurs trompeur, car il existe d'autres outils permettant de poursuivre cet objectif, que vous ne vous privez d'ailleurs pas d'utiliser.
Le mode de scrutin, c'est ma conviction, doit être la photographie fidèle des options politiques choisies par les Français, faute de quoi nous recréons un monde social imaginaire d'où sont exclus de larges courants de pensée. J'ai peur que nous vivions actuellement dans cette bulle institutionnelle qui nous préserve de la conflictualité sociale laquelle, plus que jamais, demande à s'exprimer et à trouver une traduction dans le champ politique. Il nous faut donc faire éclater cette bulle.
De quoi avez-vous peur, monsieur le secrétaire d'État, si ce n'est que le peuple puisse porter plus fortement ces exigences au coeur de notre Assemblée ?
Le scrutin majoritaire fonctionne actuellement comme une rente de situation inacceptable pour les partis hégémoniques. Par les effets de seuil et le couperet du deuxième tour de l'élection, un seul candidat sort vainqueur, quand toutes les autres voix, parfois majoritaires, sont des voix perdues. Les partis arrivés au-delà de la deuxième position sont ainsi privés de toute représentation.
En 1993, la droite a ainsi raflé 82 % des sièges de députés en n'obtenant que 40 % des voix au premier tour. En 2002, un candidat UMP devait réunir 23 000 voix pour être élu, contre 43 000 voix pour un candidat PS, 58 000 pour un candidat communiste et 380 000 pour un représentant des Verts. Où est le principe d'égalité des citoyens devant le suffrage, inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789 ?
Une conception avancée de la démocratie ne peut accepter un tel mécanisme excluant dans lequel le vainqueur s'arroge tous les pouvoirs et dénie aux défaits toute légitimité à faire valoir ses idées. C'est pourtant le modèle de concentration autoritaire des pouvoirs que le Président de la République nous propose.
Ce mode de scrutin, accompagné de seuils élevés, est un rouleau compresseur qui élimine le pluralisme de nos institutions. Hors des alliances avec les grands partis, point de salut. Les formations minoritaires se retrouvent sous la férule des appareils partisans pour négocier la survie de leur représentation politique sur ces bancs, souvent au prix d'une perte d'identité et de renoncements. Les directions successives du parti communiste français, conscientes ou non, en ont payé un lourd tribut. Est-il démocratique que le parti communiste doive se désister dans 550 circonscriptions – sur 577 – au profit du PS, pour espérer conserver une représentation à l'Assemblée nationale ?
Il n'est pas question de défendre sa chapelle ou son mandat, mais de défendre le droit des formations politiques de droite ou de gauche à disposer d'une voix dans notre démocratie. Cette donne politique détourne durablement les citoyens de la politique, qui constatent, à juste titre, que leur vote n'obtient pas de traduction.
Élections après élections, les nouvelles formations et courants de pensée, malgré des résultats prometteurs, demeurent à l'extérieur du Parlement. Peut-être est-ce d'ailleurs le but de la manoeuvre ? J'estime, pour ma part, que les plus radicaux devraient pouvoir siéger dans notre assemblée. Pourquoi ne pas élire M. Besancenot ? Il serait, en effet, bon que tous les courants de pensée politique soient représentés.
Dans cette République où les contre-pouvoirs sont insuffisants, ceux-là même qui ont intérêt à ce que rien ne change – et surtout pas le mode de scrutin – sont les seuls à pouvoir le faire évoluer. Là réside le drame. Les petites formations dont la mienne fait partie n'ont pas le pouvoir de changer le mode de scrutin. Je ne prône pas un scrutin proportionnel intégral – que l'on agite pour faire peur –, mais un scrutin mixte. Le président Ayrault a évoqué le système qui prévaut en Allemagne et qui permet à la fois d'obtenir des majorités stables pour gouverner et la représentation de toutes les opinions.
Au-delà des différences programmatiques et des luttes électorales se dessine ainsi un intérêt commun, objectif des deux grands partis hégémoniques : tacitement, c'est à un partage des fruits du pouvoir auquel nous assistons. Pourquoi scieraient-ils la branche sur laquelle repose leur domination en modifiant le mode de scrutin ? J'aurais souhaité que le débat sur le pluralisme ait lieu.
C'est ainsi qu'il faut décrypter le peu d'empressement de Lionel Jospin et du parti socialiste à ouvrir le chantier du redécoupage et de la réforme des scrutins, sans doute par crainte d'un rééquilibrage de la gauche au sein du Parlement au bénéfice des verts et des communistes. Il aurait été bénéfique que la gauche procède à la modification du mode de scrutin pour faire respirer la démocratie française.
L'autre conséquence de ce mode de scrutin est de provoquer, inévitablement, le bipartisme. Le constitutionnaliste Maurice Duverger évoquait d'ailleurs à ce sujet une « véritable loi sociologique ». Peu à peu, l'UMP et le PS sont inéluctablement devenus des partis dominants, hégémoniques dans leur camp. Le but était d'avoir deux grandes formations calquées sur le modèle anglo-saxon. Si elles disposent de 496 députés sur 577, ce n'est pas leur faire injure que d'affirmer que leur influence à l'Assemblée n'est pas le reflet de leur influence dans la société française.
Ce bipartisme étouffant la démocratie va de pair avec un regrettable nivellement des valeurs et une course perpétuelle au centre. L'effet pervers de ce mode de scrutin laisse la porte ouverte à toutes les entreprises politiciennes. Au centre, en effet, on peut plus facilement construire des alliances propres à imposer une hégémonie et pratiquer le débauchage de militants de l'autre rive.
Nous touchons là au coeur de la stratégie d'ouverture du président Nicolas Sarkozy, qui sème la confusion chez les militants et décourage les électeurs. Cette stratégie produit un marasme idéologique sans précédent, où la seule communication règne en maître, vidée de toute substance. Plus grave encore, le scrutin majoritaire est un véritable frein au renouvellement du personnel politique.
Je vous le demande : où est la parité entre hommes et femmes dans cette assemblée ? Où sont les enfants de l'immigration africaine sur nos bancs ? Le scrutin majoritaire, par sa personnalisation extrême, est une puissante incitation à maintenir les sortants, les personnalités populaires en n'ouvrant la porte ni à la parité, ni à la diversité, ni au renouvellement
Certaines études ont ainsi montré que la proportion des femmes élues était trois fois plus importante dans les systèmes à proportionnelle que dans les systèmes majoritaires. Je rappelle, monsieur le secrétaire d'État, que la France arrive en soixante-quatrième position mondiale pour la place des femmes au Parlement, avec seulement 18 % d'élues. La comparaison avec l'Allemagne – 32 % – ou l'Espagne – 36 % – est une honte pour notre République. Peut-on se satisfaire d'une représentation inférieure à celle du Parlement de la République afghane où siègent 27 % de femmes ?
J'en suis convaincu, les lois sur la parité dans les candidatures resteront inefficaces tant qu'il n'y aura pas de réforme du mode de scrutin. Je rejoins pleinement l'avis de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, qui estime que le principe de parité « ne peut se réaliser, ou seulement très difficilement, dans le scrutin majoritaire mais uniquement à la proportionnelle ».
Chers collègues, la diversité sociale est tout aussi absente de notre assemblée qui ne comporte que 0,4 % d'ouvriers et 1,8 % d'employés – le plus souvent dans les groupes de la gauche, particulièrement dans le groupe communiste – contre 19 % de professions libérales et 13 % de cadres. Là encore, le scrutin majoritaire joue pleinement au profit des notables bien implantés localement.
S'il est difficile de mesurer la diversité des origines, un simple constat empirique permet de relever le manque de représentativité de notre assemblée. Cette diversité est quasiment invisible. Les partis ont – c'est regrettable – encore peur de présenter un candidat de couleur dans le cadre d'un scrutin majoritaire très personnalisé, alors que la France est définitivement, et pour toujours, une nation pluriethnique, ce dont nous ne pouvons que nous en féliciter.
Je terminerai en évoquant la question du cumul des mandats.
Je vois avec satisfaction qu'un débat salutaire s'est ouvert dernièrement à ce sujet. Nous allons peu à peu vers le constat partagé que notre démocratie souffre d'une trop grande concentration des mandats sur une poignée de personnalités. Or comment ne pas lier cette problématique avec le mode de scrutin majoritaire, qui encourage la personnalisation du vote ? Reconnaissons-le, dans ce type d'élections, être maire ou conseiller général est un atout précieux pour gagner un siège de député. Cela constitue aussi un obstacle fort au renouvellement de notre démocratie.
Pourquoi tant de réticences à faire évoluer notre mode de scrutin vers une part sensible de proportionnelle alors que l'ensemble des démocraties européennes s'y sont ralliées au cours des dernières décennies ? Si le scrutin majoritaire a été l'emblème des jeunes démocraties peu assurées de leur fait, menacées au XIXe par les forces réactionnaires, cléricales, royalistes, il a été abandonné dans la plupart des démocraties modernes ou sévèrement limité. Vous le savez sans doute mieux que moi, dix-sept pays européens ont adopté la proportionnelle et six un scrutin mixte ; en Allemagne, la moitié des députés est élue à la proportionnelle. La France est le seul pays européen, avec la Grande-Bretagne, à persister dans cette anomalie démocratique.
Dans de multiples domaines, l'adéquation avec nos partenaires européens est recherchée, pourquoi ce pan constitutionnel devrait demeurer une regrettable exception française ?
Le plaidoyer que je me suis efforcé de faire en faveur d'une démocratisation de nos institutions et de l'adoption d'une dose de proportionnelle n'est qu'une mesure de cohérence. Dans le cadre des élections locales, à la faveur d'un grand progrès démocratique, le système électoral a permis la représentation de tous les courants au sein des assemblées. Le Président de la République annonce l'introduction de la proportionnelle à un tour dans le cadre des élections régionales, où se pose également la question de la stabilité de l'exécutif. Pourquoi refuser cette proportionnelle au niveau national ?
Ne nous y trompons pas : il s'agira une nouvelle fois d'une manipulation électorale propre à avantager son camp, de la même manière que le texte qui nous est soumis à ratification vise à préserver une majorité de droite dans cet hémicycle.
En conclusion, j'espère avoir bien exposé les raisons pour lesquelles ce projet de redécoupage électoral masque les enjeux d'un renouvellement de notre démocratie sous le vernis d'une égalité prétendument retrouvée entre les circonscriptions françaises. Ce texte partial, qui assure à la majorité un matelas électoral dans la perspective de 2012, introduit de nouvelles inégalités entre les citoyens et détourne des véritables réformes nécessaires à la revitalisation de notre démocratie, à l'émergence tant attendue d'une VIe République.
Pour l'ensemble de ces raisons, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche se prononceront contre la ratification de l'ordonnance du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'important débat qui nous occupe est passionnant mais aussi passionné. On pourrait s'interroger, à la suite de certains orateurs, sur le mode de scrutin et sur la problématique de la représentativité au niveau national. En ce qui me concerne, j'ai toujours affirmé que j'étais favorable à un scrutin majoritaire avec une dose de proportionnelle à même de permettre à tous les courants de pensée d'être représentés au sein de cet hémicycle et de refléter la diversité des opinions existant dans notre pays.
Le Gouvernement a choisi de maintenir le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours et de procéder à un redécoupage, ce que nous considérons comme légitime. Il s'agit toutefois d'un exercice particulièrement difficile qui, de ce fait, doit être au-dessus de tout soupçon. Aussi le Gouvernement a-t-il lancé une consultation auprès des préfets, installé la commission prévue par l'article 25 de la Constitution et sollicité l'avis de la section de l'intérieur du Conseil d'État, méthode que nous approuvons, monsieur le secrétaire d'État.
Compte tenu de la limitation du nombre de circonscriptions à 577, le redécoupage a entraîné une augmentation du nombre de circonscriptions dans certains départements, une diminution dans d'autres. Je vous propose exposer le cas d'école que constitue le département du Tarn.
Si le passage de quatre à trois circonscriptions, à 7 000 habitants près, paraît justifié, le choix des découpages suscite des interrogations. Les trois nouvelles circonscriptions proposées sont : Albi-Castres, Albi-Carmaux-Gaillac-Graulhet, Castres-Lavaur-Mazamet.
Conformément aux règles du jeu fixées, monsieur le secrétaire d'État, vous avez sollicité trois avis – celui des forces politiques, à travers une consultation conduite sous l'égide du préfet ; celui de la commission Guéna ; celui de la section de l'intérieur du Conseil d'État – et la proposition du Gouvernement a essuyé trois refus.
Vous n'avez jamais justifié, pour des raisons autres que politiques, votre choix de ne pas suivre ces avis. Pourtant, ici même, à cette tribune, pas plus tard qu'hier et encore tout à l'heure, vous avez indiqué que la commission prévue par l'article 25 de la Constitution était une « institution permanente de la République, à l'autorité incontestable ». Pourquoi un tel écart entre vos paroles et vos actes ?
S'agissant du Tarn, cette commission a proposé, je le rappelle, « d'approcher au mieux l'objectif d'équilibre démographique par un redécoupage qui, reprenant les grandes lignes de celui de 1958, repose la distinction traditionnelle des bassins de vie d'Albi et Carmaux, Castres et Mazamet, enfin, Gaillac, Graulhet et Lavaur » – je ne cite pas la liste des cantons concernés – autrement dit non pas un ajustement de votre projet mais une totale réécriture. Si vous me permettez l'expression, cela revient à mettre un zéro pointé à votre copie sur le Tarn car il ne s'agit pas d'un ajustement de votre proposition mais d'une complète réécriture.
Ce découpage pour le moins curieux ne correspond à aucune tradition historique, même si vous remontez jusqu'à 1889 pour tenter de justifier votre choix : jamais la ville de Castres n'a été coupée en deux et jamais les villes d'Albi et de Castres n'ont été partiellement regroupées au sein d'une même circonscription. La presse s'est d'ailleurs fait l'écho des réactions que suscitait votre choix.
Hier, vous avez déclaré, monsieur le secrétaire d'État, que le retour au découpage de 1958 devait être privilégié lorsque la démographie le permettait. C'est justement ce qu'a proposé la commission Guéna, avec un ajustement à la marge.
S'agissant de l'argument démographique, on constate que le différentiel de population entre la première et la deuxième circonscription dans votre proposition de redécoupage est de 19 000 habitants alors qu'il est de 4 000 habitants entre la plus peuplée et la moins peuplée dans la proposition de la commission Guéna, laquelle respecte donc mieux l'équilibre démographique.
Pire encore, si l'on projette les évolutions démographiques 1999-2009, la circonscription la moins peuplée de votre proposition, Albi-Castres, verra sa population stagner alors qu'elle augmentera dans les deux autres circonscriptions. Nous risquons ainsi de nous retrouver dans un schéma d'ajustement permanent de la carte électorale.
Pour ce qui est de l'argument de la cohérence territoriale, la commission Guéna évoque la « distinction traditionnelle de bassins de vie », que votre proposition ne respecte pas, pas plus qu'elle ne respecte la cohérence des agglomérations, avec tout ce que cela implique.
En ce qui concerne l'argument démocratique, vous avez, lors de votre audition devant la commission des lois, monsieur le secrétaire d'État, mis en avant une lettre de soutien du maire de Castres pour justifier votre proposition. Sachez que je tiens à votre disposition des lettres signées par une cinquantaine de maires de l'est et du sud du département parmi les quatre-vingts qui ont été sollicités, qui rejettent votre proposition. Par ailleurs, une dizaine de conseillers généraux se sont également prononcés contre votre proposition que l'association des maires du Tarn, qui comprend des membres de l'UMP, a rejeté à l'unanimité lors de son conseil d'administration.
J'en viens enfin à l'argument juridique.
Lors de sa séance du 8 janvier 2009, le Conseil constitutionnel a précisé que « l'Assemblée nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques, selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l'égalité devant le suffrage ». Il est donc important de choisir la délimitation qui permet d'aboutir au meilleur équilibre possible.
Par exemple, vous avez choisi de couper les villes d'Albi et de Castres en deux, alors que rien ne le justifiait. Le Conseil constitutionnel a indiqué qu'un tel dispositif devait être réservé à des cas exceptionnels et dûment justifiés et qu'il ne pourrait y être recouru que dans une mesure limitée et en s'appuyant, au cas par cas, sur des impératifs précis d'intérêt général. En la matière, on cherche l'intérêt général !
Monsieur le secrétaire d'État, pourquoi un tel acharnement, pourquoi persister dans une voie et un schéma que tout le monde rejette et qui ne correspond pas aux équilibres démographiques ni aux volontés démocratiques exprimées dans ce département et au-delà ? Il est encore temps de corriger le tir. Voilà pourquoi le groupe Nouveau centre présentera un amendement qui propose d'en revenir à une situation plus équilibrée tout en respectant la proposition de la commission de contrôle prévue par l'article 25 de la Constitution.
Nos concitoyens nous regardent. Nous devons les écouter et ne pas leur imposer quelque chose qui ne correspond pas à leur volonté. C'est de cette façon que nous rapprocherons les élus de leurs concitoyens et que nous donnerons une image valorisante de la politique et non une image susceptible d'être interprétée comme la volonté de petits arrangements, ce que malheureusement votre proposition laisse accroire ; en tout cas, c'est comme cela qu'elle est interprétée.
Mon vote sur ce projet de loi, ainsi que celui de nombre de députés de mon groupe, dépendra du sort qui sera réservé à cet amendement.
Mes chers collègues, le projet d'ordonnance qui nous est soumis revêt une importance particulière, non parce qu'il concerne l'élection des députés que nous sommes mais parce qu'il touche au suffrage universel direct et à l'expression du souverain que sont le peuple et la nation que nous représentons ici.
Ce projet a suscité nombre de commentaires et de critiques. Je formulerai trois observations de caractère général qui ont des effets pratiques et précis.
Ma première observation concerne la critique du travail préalable accompli par la commission indépendante prévue par l'article 25 de la Constitution, commission chargée de veiller au respect du principe d'égalité devant le suffrage.
Les doutes exprimés sur cette commission auraient pu et dû être levés par une pratique ouverte de la démocratie. Lors de la discussion du texte habilitant le Gouvernement à procéder par ordonnance, le groupe socialiste avait demandé que l'opposition parlementaire soit pleinement associée à la désignation des personnalités qualifiées. Cette demande a été refusée et le Conseil constitutionnel a estimé que l'indépendance interdisait « que les partis ou groupements politiques soient directement ou indirectement représentés au sein de la commission ».
Au contraire, l'acceptation d'un pluralisme d'idées politiques au sein même de la commission aurait eu pour effet de diminuer, non l'indépendance mais la suspicion normale que peut susciter un travail qui, de tout temps, n'a jamais été considéré comme innocent.
Ma deuxième observation porte sur la méthode même de la délimitation.
La loi d'habilitation prévoit d'établir une nouvelle délimitation « sur des bases essentiellement démographiques », avec un écart maximal de 20 % entre la population d'une circonscription et la population moyenne des circonscriptions du département. C'est l'article 25 de la Constitution qui renvoie à la loi la création de ladite commission indépendante, laquelle donne ce fameux avis public sur les projets et propositions de loi délimitant les circonscriptions.
Ni la Constitution ni une loi organique n'ont prévu de procéder régulièrement à une révision de la taille et de la limite des circonscriptions. Cela est dommageable non seulement sur le plan du principe mais aussi sur celui des habitudes démocratiques et des règles à appliquer pour le faire. La Grande-Bretagne a une habitude vieille de plus de soixante ans en la matière.
Pour ne prendre que le critère de la taille retenu par nos voisins, je souligne que celui-ci a fait l'objet d'une définition stable et appliquée depuis plus de vingt ans.
Ainsi, l'électorat de chaque circonscription doit être aussi proche que possible du quotient électoral, obtenu en divisant le nombre d'électeurs inscrits dans la partie du royaume concernée par le nombre de circonscriptions qu'elle contient à la date de publication de l'ouverture de la procédure de révision. Il est prévu que 90 % des circonscriptions ne doivent pas avoir un nombre d'électeurs inscrits s'écartant de plus de 10 % du quotient électoral.
J'ai pris le temps de regarder ce que donnait le projet dans la région des Pays de la Loire en évitant de prendre comme exemple la circonscription dont je suis l'élue, afin d'échapper aux foudres du secrétaire d'État pour cause de possible conflit d'intérêts. L'écart démographique entre la plus petite et la plus grande circonscription situées dans des départements mitoyens est de 48 %. Très concrètement cela signifie que la voix d'un habitant de la plus petite circonscription vaut une fois et demie celle de la plus grande qui est voisine.
Il ne s'agit pas seulement d'un écart résultant d'une diversité nationale mais aussi d'un écart infrarégional. La seule logique départementale devrait peut-être être progressivement abandonnée au profit d'une logique régionale, ce qui limiterait davantage les écarts.
On peut penser que la pratique d'une révision périodique exercée à échéance régulière, selon des critères resserrant les écarts départementaux dans une même région, serait aussi de nature à assurer un exercice plus paisible et consensuel. La révision des tailles et limites des circonscriptions est importante en démocratie et elle doit rester habituelle.
Ma troisième observation porte sur les « chimères biscornues », comme les surnomme l'auteur de L'Atlas historique des circonscriptions électorales françaises paru il y a une quinzaine d'années.
Je fais ici référence aux circonscriptions dont la taille et la forme sont étonnantes, aux circonscriptions pour lesquelles l'association ou le détachement de langues de territoire ne sont pas évidents, celles où éclate une ville ou un territoire a priori homogènes, celles qui font l'objet de critiques fortes et souvent crédibles, celles où n'existe pas de découpage apaisant.
S'il est normal que la loi prévoit que l'on puisse déroger aux règles posées, les propositions y dérogeant devraient prendre en considération les inconvénients et la rupture des liens locaux qui peuvent résulter des modifications qu'elles préconisent ou réalisent. Les avantages et les inconvénients en résultant devraient être clairement formalisés et tracés. Une telle transparence, identique à celle pratiquée outre-Manche, serait de nature à apaiser les suspicions et à rendre plus légitimes les propositions même lorsqu'elles dérogent au bon sens.
Ainsi, avec un vrai pluralisme, une pratique plus habituelle et des critères visant à plus d'égalité et une réelle transparence, un tel projet serait moins sujet à interrogations et plus digne d'une démocratie parlementaire que nous nous enorgueillissons d'être. (Applaudissements sur divers bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce redécoupage électoral est primordial. Il engendre fatalement amertume et déception ou réjouissance et satisfaction Et pourtant, il est inévitable : c'est une exigence constitutionnelle.
Depuis le dernier redécoupage, à l'automne 1986, la population française a augmenté de 7 millions d'habitants, et ce, bien évidemment, nullement de manière homogène. Certains départements se sont fortement peuplés, tandis que d'autres se sont, au contraire, beaucoup dépeuplés.
Nul besoin de rappeler que, depuis les années 80, un certain nombre d'alternances ont eu lieu. Comme sur de nombreux autres sujets, la gauche s'est défilée et est restée dans l'immobilisme et l'inaction. Si tant est que nous devons lui trouver une excuse, disons plutôt que cette passivité lui permettait, peut-être hypocritement et naïvement, de maintenir ses bastions. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)
La mise en oeuvre de la réforme de la Constitution et la création des députés représentant les Français de l'étranger pressent et invitent d'autant plus le Gouvernement à suivre les recommandations du Conseil constitutionnel afin d'être en conformité textuellement et concrètement pour les élections de 2012.
La gauche annonce des pourcentages de voix qui lui seront nécessaires afin d'obtenir la majorité, bien incertaine de son assise et désireuse de rebondissements pour se faire entendre et surtout motiver sa fidélité à une déchéance évidente. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
D'ailleurs, elle ne se base que sur les résultats des élections du second tour de 2007 sans se soucier de la personnalité de chaque député candidat dans les 577 circonscriptions.
En ma qualité de député de Seine-saint-Denis, j'ai, dès le départ, regretté la suppression d'une circonscription. La population municipale s'élève à 1 491 470 habitants, alors que la population totale est de 1 509 599, ce qui, avec la règle établie d'un député pour 125 000 habitants, nous aurait permis de tous les conserver. Ainsi, nous perdons un député du fait d'un écart de 0,4 % par rapport au seuil législatif. Plus concrètement quelques résidents de plus et les effectifs parlementaires étaient maintenus.
Nous savons tous, députés de droite comme de gauche, qu'en secteur urbain la fiabilité du recensement n'est pas certaine, ce qui est le cas dans mon département. Cependant la loi étant la loi, M. le secrétaire d'État a fait des propositions qui ont eu pour conséquence la disparition de la troisième circonscription du département, ce qui a ainsi modifié la morphologie et le contenu des quatrième, cinquième, sixième, septième, neuvième et dixième circonscriptions.
La huitième circonscription, dont je suis l'élu, n'est pas atteinte par cette refonte territoriale en raison de sa position géographique, puisqu'elle est en périphérie du département. Néanmoins, elle régresse de 6,56 % par rapport à la moyenne démographique de la zone dans le schéma à treize circonscriptions et de 13,74 % dans le schéma à douze circonscriptions. Bien qu'elle devienne ainsi la plus petite circonscription en termes de population, elle n'est pas la plus petite en nombre d'électeurs. Ainsi, ce constat rouvre un débat déjà évoqué dans le rapport de présentation, à savoir celui du critère à utiliser pour la réorganisation des circonscriptions : les habitants ou les électeurs. Au plan national, 162 circonscriptions sont encore moins peuplées que la huitième circonscription du département de Seine-saint-Denis.
Par ailleurs, je souhaite appeler votre attention sur la nécessaire réforme des règles relatives au financement des campagnes des élections législatives, sujet indéniablement lié à celui dont nous débattons aujourd'hui. À cet égard, je vous renvoie au rapport réalisé par M. Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, à la demande de M. Accoyer, président de notre Assemblée.
Nous savons tous qu'une campagne électorale est difficile à accomplir dans des temps très courts. Les imperfections des textes actuels ont conduit à l'invalidation de députés régulièrement élus. Pour 2012, il est impératif de revoir les règles, afin d'éviter une cascade de contentieux qui risqueraient de bloquer le fonctionnement de notre assemblée.
Cette réforme rétablissant l'équilibre démocratique et démographique est nécessaire mais aussi indispensable. C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à en prendre conscience et à voter le présent texte.
Monsieur le secrétaire d'État, en 2007, la liste électorale des Français vivant à l'étranger comptait 821 600 inscrits, soit l'équivalent du dixième département français. Pour l'élection présidentielle de 2012, cette liste dépassera probablement le million d'inscrits et l'on s'attend à ce que, pour la consultation législative qui suivra, elle en compte environ 1,3 million. Vous nous proposez donc de créer onze circonscriptions pour les représenter.
Hier, vous avez indiqué que la création de ces onze circonscriptions était en fait un coup que notre groupe se serait tiré dans le pied en saisissant le Conseil constitutionnel.
Monsieur le secrétaire d'État, cette réponse est une pirouette pour tenter de masquer la censure de votre texte par le Conseil constitutionnel pour la simple et bonne raison que vous ne respectiez pas le droit, ce qui n'est guère glorieux pour un gouvernement de la République.
Il faut donc aujourd'hui créer onze circonscriptions. Lorsque vous nous avez fait cette proposition, le 19 novembre 2008, j'avais déjà exprimé à cette tribune notre méfiance devant le chèque en blanc que vous nous demandiez de signer. « Lorsque tout est possible, le pire n'est jamais à écarter » disais-je alors. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de m'avoir donné raison. Votre projet de redécoupage électoral se révèle en effet encore plus calamiteux que tout ce que nous avions pu imaginer.
Il est vrai que pour ce qui concerne les Français de l'étranger, vous aviez quelques habitudes, je dirais même quelques appuis. La droite – je n'ose plus dire l'UMP après la scission qui vient de survenir au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger entre l'union de la majorité et la liste de la majorité présidentielle – dispose des deux tiers des sièges de l'Assemblée des Français de l'étranger, grâce à un découpage électoral favorable qui lui donne neuf des douze sièges des sénateurs des Français de l'étranger.
C'est à la gauche que l'on doit le découpage, vous avez la mémoire courte !
Forts de ces appuis, vous avez imaginé une proposition de la même veine. Vous nous avez dit et répété que, sur les onze circonscriptions que vous nous proposiez, sept seraient issues d'une proposition commune établie, j'imagine, par les sénateurs des Français de l'étranger, socialistes et UMP.
Monsieur le secrétaire d'État, c'est ma parole contre la vôtre, car j'affirme que c'est faux !
Un travail fructueux a bien été engagé en commun en mars dernier au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger. Il a notamment conduit les sénateurs Young et Cointat à travailler sur des hypothèses de découpage de circonscriptions et il était en passe de déboucher sur une proposition respectueuse de l'équilibre géographique entre les onze circonscriptions. Or ce travail n'a pas abouti parce que les sénateurs de l'UMP ont refusé de présenter ce texte devant l'Assemblée des Français de l'étranger en raison d'un désaccord sur la circonscription de Houston, certains proposant qu'elle soit rattachée à l'Ouest américain qui aurait ainsi compris l'Amérique latine et les autres souhaitant qu'elle soit reliée à la circonscription de l'Est américain qui comprenait le Canada. Il était possible d'aboutir, mais cela ne l'a pas été, sans que ce soit le fait des sénateurs de gauche.
Il n'y a donc pas eu de proposition consensuelle et l'Assemblée des Français de l'étranger n'a pas eu à se prononcer, contrairement à ce que les sénateurs espéraient.
Monsieur le secrétaire d'État, vous portez seul la responsabilité de ces choix. Je peux d'ailleurs le comprendre car cette proposition, totalement partisane, ne repose sur aucun critère objectif. Elle n'est légitimée que par la seule envie de vous doter d'un avantage politique significatif.
Vous vous êtes d'ailleurs affranchi de toutes les règles que le Conseil constitutionnel avait fixées.
Prenons par exemple la règle démographique dont le Conseil constitutionnel a rappelé qu'elle s'appliquait aussi aux députés des Français de l'étranger. Notre rapporteur a lui-même rappelé qu'un écart maximal de 20 % par rapport à la moyenne des circonscriptions devait être respecté.
En l'espèce, le ratio députéinscrits sur le registre des Français de l'étranger est de 115 325. Si mes calculs sont justes, les circonscriptions devraient comprendre entre 92 000 et 138 000 inscrits. Les modalités de mise en oeuvre étaient d'autant plus étendues que la communauté française est présente dans 160 pays mais ne dépasse les 100 000 inscrits qu'en Suisse, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Quel fantastique terrain de jeu pour un démiurge que la perspective de favoriser un parti plutôt qu'un autre – si possible le sien – n'embarrasserait pas ! C'est ce que vous avez fait puisque sur les onze circonscriptions que vous avez imaginées, seules huit respectent la règle démographique que je viens d'énoncer. Le législateur avait certes admis qu'il puisse y avoir des dérogations, à condition toutefois qu'elles soient justifiées par « la prise en compte d'impératifs d'intérêt général ».
Nous serions heureux, monsieur le secrétaire d'État, que vous nous expliquiez quels impératifs d'intérêt général ont prévalu dans le découpage de la onzième circonscription dont nous avons déjà beaucoup parlé, Bruno Le Roux nous ayant indiqué hier que sa superficie, de 51 millions de km², soit 40 % de la surface du globe, s'étendait de Moscou à Tokyo, de Pondichéry à Sydney, de Bangkok à Téhéran, de Mourmansk à Wellington.
Pour justifier devant le Conseil constitutionnel le choix du mode de scrutin majoritaire à deux tours, vous n'hésitez pas à expliquer qu'il permettra à nos compatriotes d'avoir des députés qui leur seront effectivement attachés. La notion est subtile, mais sur 51 millions de km2, je souhaite bien du plaisir à ce futur collègue, ne serait-ce que pour installer sa permanence.
La deuxième règle imposée par le législateur est la continuité territoriale des circonscriptions, sur laquelle j'ai déjà eu l'occasion de vous interroger en commission.
Le respect de ce critère est hautement fantaisiste ! Où est la continuité géographique de la cinquième circonscription dans laquelle on retrouve Andorre, l'Espagne, le Portugal….et Monaco ! Je confesse n'avoir pas été un élève brillant en géographie, mais je pensais que Monaco était assez éloigné de l'Espagne.
De même, où sont les frontières communes entre Israël et l'Italie, pourtant membres de la même circonscription, la huitième ? J'ai pourtant bien écouté les explications que vous avez fournies à la commission des lois. Si vous ne vous êtes pas étendu sur le cas de Monaco, vous avez déclaré, à propos d'Israël, qu'il s'agissait de répondre à une demande du Quai-d'Orsay. Selon les diplomates que vous avez consultés – je ne doute pas de votre sincérité –, il serait difficile pour un député, alors même qu'il bénéficie d'une certaine immunité et qu'il n'est tout de même pas un citoyen lambda, de passer de la Jordanie à Israël.
Je me suis inquiété de la situation, et j'ai le plaisir de vous informer qu'il est très simple au contraire de passer de l'un à l'autre grâce à un point de passage, appelé le King Hussein Bridge du côté jordanien, Allenby Bridge du côté israélien. Tous les jours, des milliers de personnes l'empruntent sans difficulté.
Votre motivation n'est pas diplomatique, monsieur le secrétaire d'État, elle est purement électorale.
D'ailleurs, le message que vous nous avez envoyé est diplomatiquement discutable car il sous-entendrait que la France joue un rôle quelque peu bizarre, considérant qu'Israël n'appartient pas au Proche-Orient. Cette conception me semble aller à rebours de la mission de facilitateur que le ministre des affaires étrangères prétend vouloir remplir dans la région.
Il serait de surcroît maladroit, si ce n'est malsain, que les difficultés politiques du Proche-Orient soient prises en compte dans le cadre d'un tel découpage, imposant l'idée que le débat électoral des communautés françaises concernées dépendraient immanquablement du conflit israélo-arabe.
Sur un tout autre plan, la dixième circonscription que vous avez créée, si elle respecte le principe de continuité géographique, n'offre pas moins, à nos yeux, un autre exemple d'incohérence. En effet, son député représenterait tout autant les Français d'Angola ou de Namibie que ceux du Qatar ou du Liban ! Là encore, vous nous avez expliqué, mais j'avoue ne pas avoir bien compris, que vous vous étiez fondés sur l'existence d'une forte communauté franco-libanaise en Afrique.
Je vous remercie, si vous l'acceptez, de nous en dire un peu plus car la logique de cette explication ne me saute pas aux yeux quand il s'agit de créer une circonscription de cet acabit.
Dans tous les cas de figure, la directive du Conseil constitutionnel, dans sa décision du 1er juillet 1986, selon laquelle « la délimitation des circonscriptions ne devra procéder d'aucun arbitraire » est bien oubliée.
Pas de respect des règles démographiques, pas de continuité géographique : quelles sont donc les motivations profondes de votre redécoupage ? Nous espérions une opération rationnelle, les sénateurs avaient essayé de s'y livrer, mais nous avons finalement affaire à une manipulation partisane.
Il suffit de plaquer les résultats des dernières élections présidentielles sur ce découpage législatif pour constater que, sur onze circonscriptions créées, neuf auraient aujourd'hui un député UMP, soit 80 % des nouvelles circonscriptions alors que Nicolas Sarkozy a obtenu 54 % des suffrages. Je salue la progression, mais aussi votre savoir-faire. Vous avez appliqué aux Français de l'étranger la même méthode qu'à ceux de l'Hexagone : quand un territoire est fortement ancré à gauche, vous l'isolez, comme ce sera le cas pour le grand Maghreb, où Ségolène Royal a obtenu des résultats sans équivoque : 58 % en Mauritanie, 70 % en Tunisie, 80 % en Algérie. Vous allez en faire une seule circonscription.
Inversement, vous utilisez judicieusement comme pivot un territoire très peuplé qui vote à droite, pour bâtir une circonscription « favorable ». C'est le cas d'Israël que vous avez artificiellement rattaché à Malte, à Chypre, à la Grèce, à la Turquie et à l'Italie. C'est un bon moyen pour s'assurer que les 90 % des suffrages obtenus par Nicolas Sarkozy parmi les 33 000 Français vivant en Israël bénéficient d'un rendement optimal. Les voix d'Italie se noyant dans celles d'Israël, la droite se donne ainsi un avantage dans les deux circonscriptions du nord et de l'est de la Méditerranée. Votre procédé est d'autant plus intelligent…
…que le poids démographique de la communauté française en Israël est galopant, le nombre des inscrits ayant augmenté de près de 32 % entre le 1er janvier 2006 et le 1er janvier 2009. Voilà comment, pour quelques années encore, voire quelques décennies, ces circonscriptions paraissent perdues pour la gauche.
Votre découpage est donc tout, sauf une opération dénuée d'arrière-pensées électoralistes. Voilà pourquoi nous ne manquerons pas de faire part de ces observations au Conseil constitutionnel.
Nous aurons bientôt, vous nous l'avez dit, un autre débat sur les Français de l'étranger puisqu'il faudra discuter des modalités de vote. Je profite de l'opportunité qui m'est ainsi offerte pour vous redire notre inquiétude sur les choix que vous vous apprêtez à faire.
La commission Guéna a également attiré votre attention « sur la nécessité pour des circonscriptions s'étendant parfois sur plusieurs continents, avec des scrutins à deux tours sur deux semaines, de prendre toutes mesures utiles pour que les opérations électorales ne soient troublées par aucun incident dans la transmission des documents électoraux ou le décompte des suffrages ». Vous devez entendre cette alerte. Ainsi, l'idée que vous pourriez avoir d'organiser le premier tour une semaine avant celui de l'Hexagone ne serait pas bonne car il vous donnerait un avantage psychologique la dernière semaine de la campagne du fait des résultats très favorables de la droite dans plusieurs circonscriptions.
Je veux bien prendre le pari avec vous ; je serais ravi de le perdre.
De même, nous serons vigilants sur la détermination des chefs-lieux de circonscription. Rares sont en effet les postes où l'on trouve de bons connaisseurs de la matière électorale. Combler cette carence devrait être une priorité urgente pour le ministère des affaires étrangères. Il paraîtrait logique que le chef-lieu soit la ville de la circonscription abritant le consulat général doté du plus grand nombre d'inscrits au registre des Français de l'étranger.
Concernant les opérations de vote strictement dit, en sus des villes dotées d'un poste diplomatique et consulaire, des bureaux de vote décentralisés devraient être ouverts dans toutes les villes dans lesquelles vivent au moins cinq cents inscrits sur la liste électorale. Il conviendrait d'ailleurs, j'imagine que vous le pensez, de s'appuyer sur le réseau des consuls honoraires.
Pour ce qui est du vote par correspondance, nous pensons que sa collecte par une partie tierce et son dépôt au consulat général devraient être rigoureusement interdits. Vous savez à quoi je fais allusion puisque les récentes élections du 7 juin 2009 à l'Assemblée des Français de l'étranger, où le vote par correspondance était autorisé, ont donné lieu à des collectes de suffrages auprès des électeurs aussi choquantes que massives par les candidats ou leurs supporters, ces derniers bénéficiant même parfois d'une rémunération en contrepartie de leur démarchage.
Il conviendra donc de sécuriser de manière rigoureuse le vote par correspondance : ce sera, à nos yeux, la condition de son acceptabilité.
Nous continuons également de penser que le délai entre les deux tours est trop court, ce qui rendra aléatoire l'exercice du vote par correspondance pour le second, le matériel électoral risquant de parvenir à l'électeur après le scrutin en raison de la rareté ou du caractère aléatoire des lignes de transport au sein de certaines circonscriptions. Le fait est avéré dans les deuxième, neuvième et dixième circonscriptions.
C'est la raison pour laquelle je me permets de formuler deux suggestions : soit demander les professions de foi aux candidats du second tour au plus tard pour le mardi suivant le premier tour à zéro heure, ce qui permettra de disposer du temps nécessaire pour l'acheminer ; soit retarder le décompte des suffrages reçus par voie postale d'une semaine après le second tour, dès lors bien entendu que les suffrages concernés auront été postés avant le second tour en métropole. C'est la solution appliquée par les autorités espagnoles pour assurer le décompte des suffrages des Espagnols de l'étranger ; elle leur donne toute satisfaction.
Enfin le vote électronique doit être mis en place : je sais que vous y êtes favorable pour l'avoir déclaré le 7 mars 2009 devant l'Assemblée des Français de l'étranger. Le décret du 11 mai 2009 relatif au vote par voie électronique pour l'élection des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger concernera-t-il aussi les élections législatives ? Toutefois le vote électronique ne saurait être la panacée, du fait que ce sont les endroits où la poste fonctionne mal qui connaissent également des défaillances dans les réseaux transportant les modalités électroniques.
Nous avons également des craintes sur les règles de financement et sur celles de l'inéligibilité. Je suis disponible, je vous le répète, pour évoquer avec vous ces questions.
En conclusion, et pour revenir au coeur de mon propos, je veux vous rappeler, monsieur le secrétaire d'État, ce vieux proverbe de la sagesse populaire : « Bien mal acquis ne profite jamais ». (Rires sur les bancs du groupe SRC.)
Je tiens du reste à vous rappeler ce qui s'est passé en Italie en janvier 2000.
Sylvio Berlusconi, Président du conseil aux abois, fit modifier l'article 48 de la Constitution de son pays pour créer une circonscription « Étranger », qui serait représentée par douze nouveaux députés et six nouveaux sénateurs. Cette proposition n'a recueilli que l'assentiment des députés de droite, les députés de gauche étant hostiles à cette perspective, du fait que les trois millions et demi d'Italiens expatriés votaient traditionnellement à droite. Sylvio Berlusconi espérait donc un appui bienvenu au moment décisif. Or, le jour venu, le 10 avril 2006, le résultat du vote des Italiens de l'intérieur fut serré : 155 sièges de sénateurs pour la coalition de Berlusconi et 154 pour celle de Romani Prodi : Berlusconi avait donc gagné. Mais le dépouillement des votes des Italiens de l'étranger donna une majorité à Romano Prodi.
Ce rappel,…
Ce rappel ne vaut pas acceptation de votre découpage. Il sonne simplement comme un avertissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Il démolit votre argumentation et prouve surtout qu'il n'y a aucun déterminisme !
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, le redécoupage était obligatoire, c'est indéniable. Toutefois, on peut imaginer que, lorsqu'il s'agit de redéfinir les règles de l'élection des représentants du peuple, on le fasse au nom du respect, à la fois, de la démocratie, de la pluralité politique du pays et de l'équilibre politique des forces qui participent au jeu démocratique. Or le moins qu'on puisse dire est que le résultat qui nous est proposé est bien loin de respecter ces règles, alors même que le scrutin uninominal présente déjà par lui-même de nombreux inconvénients, que plusieurs orateurs ont évoqués avant moi.
En effet, ce type de scrutin, non content de déformer la représentation politique du pays, favorise les notables lorsque s'y ajoute le cumul des mandats, à savoir les hommes de plus de cinquante ans appartenant aux catégories sociales supérieures.
La représentation politique n'est donc pas à l'image du pays : c'est flagrant notamment en ce qui concerne les femmes, puisque seulement 18,5 % de femmes siègent à l'Assemblée nationale. Le fait qu'il s'agisse d'un record depuis la Libération ne fait que confirmer que l'évolution est très lente et que de nombreuses décennies seront encore nécessaires pour atteindre, un jour, la parité. Dois-je rappeler que la France est l'un des derniers pays de l'Union européenne en matière de représentation des femmes ?
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez argué que les femmes avaient le droit de se présenter partout : c'est encore heureux ! Il serait inouï que les textes prévoient le contraire. Je vous rappelle toutefois que votre parti, l'UMP, a dû payer une amende de 4 millions d'euros en 2007 du fait qu'il n'avait pas présenté un nombre suffisant de femmes : 153 pour 435 hommes.
Je le répète : le scrutin uninominal déforme la représentation du peuple français, ce qui n'est pas sans conséquence sur la démocratie. Faut-il rappeler que, lors de la révision constitutionnelle, loin de modifier ce mode de scrutin, vous avez refusé l'instauration du scrutin proportionnel, lequel est pratiqué dans quasiment tous les pays, à l'exception de la France et de la Grande-Bretagne ? Je laisse donc de côté le débat portant sur la dose de proportionnelle ou sur la présence ou non d'un seuil puisque, de toute façon, nous en restons au système des circonscriptions.
Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé hier que le redécoupage repose sur des critères démographiques, strictement démographiques. M. Ciotti, s'exprimant au nom de l'UMP sur ce texte, a évoqué, de son côté, les critères d'objectivité du texte et le fait que le secrétaire d'État a fait preuve de sincérité dans son redécoupage. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, de me montrer quelque peu désagréable, au travers d'un exemple qui est en complète contradiction avec de telles affirmations : non, vous n'avez pas été sincère ; non, le texte ne repose pas sur des critères démographiques objectifs !
On aurait pu, en effet, raisonnablement penser que, comme Paris n'est pas pourvu de cantons, c'est sur des bases démographiques que s'y opérerait un redécoupage qui entraîne la disparition de trois circonscriptions. Or un élu de l'UMP, maire du premier arrondissement de Paris et candidat malheureux aux élections législatives de 2002 et de 2007, a expliqué, en avril dernier, la façon dont, à ses yeux, le redécoupage à Paris devait être pensé ; ses propos ont été repris dans une dépêche de l'AFP. Selon lui, « la première circonscription de Paris », qui regroupe les quatre premiers arrondissements, « exploserait. Dans son contour actuel elle est irrécupérable pour la droite ». Monsieur le secrétaire d'État, le fait qu'une circonscription soit irrécupérable pour la droite entre-t-il dans les critères démographiques reposant sur des principes d'objectivité et de sincérité ?
Il s'agit de la plus petite circonscription.
Ce n'est pas vrai, monsieur le secrétaire d'État, puisque dix circonscriptions étaient plus petites que la première circonscription de Paris. Du reste, le problème n'est pas la première circonscription de Paris, mais la conception qui préside au redécoupage de Paris.
Le fait qu'un responsable de l'UMP explique qu'une circonscription doit disparaître parce que l'UMP ne peut pas la reprendre révèle la façon dont ce redécoupage a été globalement pensé. C'est pourquoi je regrette que la commission Guéna n'ait pas accepté de recevoir les représentants des forces politiques,…
…parce qu'il aurait été intéressant de lui expliquer sur quel principe reposait ce redécoupage. Quelle n'aurait pas été sa surprise !
M. François Asensi a cité des redécoupages de circonscriptions qui suivent les voies ferrées. Il faut espérer que la SNCF n'en ferme pas d'ici là, car le redécoupage perdrait en compréhension. À Paris, le redécoupage suit les rues et il faut savoir qu il reposait auparavant sur le principe hélicoïdal de l'escargot ; en voilà la carte.
Un tel principe avait sa cohérence. Malheureusement, c'est le n'importe quoi qui préside au prochain redécoupage, puisque celui-ci ne révèle, d'un bout à l'autre de la capitale, aucune continuité. Désormais, trois circonscriptions couvriront trois à quatre arrondissements alors que c'était auparavant le cas d'une seule en raison de la faiblesse démographique des arrondissements concernés.
Monsieur le secrétaire d'État, à l'instar d'un grand nombre de députés de l'UMP, et de quelques-uns de gauche, vous justifiez le cumul des mandats en invoquant la nécessité de l'ancrage territorial pour faire un bon député. Il ne doit donc y avoir que de mauvais députés dans les pays étrangers, où on ne pratique pas le cumul comme en France !
Monsieur Raoult, je ne suis plus chez les Verts. Je n'ai donc pas à défendre Mme Voynet.
De plus, je me suis toujours appliquée le principe du non-cumul des mandats.
C'est mon choix, en effet. Je pense que lorsqu'on se présente devant des électeurs, la moindre des choses, une fois élue, c'est d'accomplir le mieux possible son mandat, donc d'y consacrer tout son temps. Nous sommes du reste correctement rémunérés à cette fin.
Monsieur le secrétaire d'État, si l'implantation territoriale est nécessaire, les circonscriptions doivent avoir une continuité territoriale correspondant à un minimum de cohérence. Or tel n'est pas le cas puisque le redécoupage que vous effectuez dans de nombreux départements comme à Paris est de moins en moins cohérent sur le plan territorial. Vous ne pouvez donc pas, à la fois, justifier le cumul par la nécessité de l'ancrage territorial et casser, dans de nombreux cas, ce même ancrage.
M. Féraud, membre du parti socialiste, prétend au contraire que le redécoupage de Paris est équilibré. Je vous ferai passer ses propos.
Tant mieux pour M. Féraud mais je me moque de ses propos. Du reste, ce n'est pas ce que pensent les habitants.
Je le répète : si, comme vous l'avez affirmé dans cet hémicycle, nous sommes les députés de la nation et si notre mission est de défendre l'intérêt général – c'est effectivement ce que je pense et je suis prête à vous rejoindre sur ce point –, alors, peu importe la circonscription et nous ne devons pas accepter le cumul.
Monsieur Bacquet, il ne vous a pas échappé, je suppose, qu'un orateur parle actuellement à la tribune !
Alors je vous prie de faire preuve de courtoisie en laissant s'exprimer Mme Billard .
Surtout, monsieur le secrétaire d'État, vous ne pouvez pas, à la fois, soutenir que nous sommes les députés de la nation et vous opposer au scrutin proportionnel. En effet, les députés de la nation doivent représenter la pluralité politique du pays, ce qu'interdisent de faire le mode de scrutin uninominal, le cumul des mandats et, désormais, votre redécoupage, qui renforcera le bipartisme, comme le renforcera également la modification du mode de scrutin à laquelle vous procéderez pour les élections territoriales.
Ma remarque en direction de M. Bacquet vaut également pour vous, monsieur Raoult.
Je n'oublie pas que certains peuvent défendre des positions proches de celles du Front national, sans même y appartenir.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'État, les critiques que je tenais à formuler à propos de votre modèle de redécoupage, qui ne respecte pas le modèle républicain, ce que nous regrettons. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le secrétaire d'État, mon propos dans cette discussion générale se résumera à une formule simple : « La loi, rien que la loi, mais toute la loi », sur tout le territoire et pour tous les Français.
Vous avez eu raison de rappeler, dans votre propos très documenté, le corpus de principes qui président, par la loi et par l'esprit de la loi, au redécoupage électoral.
Garantir la représentation la plus équitable par les scrutins les plus équitables, c'est en effet réduire au maximum les écarts démographiques.
Vous vous êtes référé à la commission consultative indépendante pour souligner qu'elle avait approuvé à quelque 90 % votre projet, ce que le Conseil d'État a confirmé par son avis de juillet 2009. Restent les 10 % sur lesquels la commission et vous même divergez : l'épaisseur du trait, comme disent certains technocrates !
Monsieur le secrétaire d'État, le diable se niche dans les détails et, faut-il le rappeler, ces détails concernent des dizaines de milliers de nos compatriotes pour lesquels vous avez dérogé à votre souci de rigueur, ce qui revient à déroger à votre préoccupation réaffirmée à cette tribune – celle, j'insiste, de garantir l'équité.
Dans ces 10 % de cas pour lesquels vous n'avez pas suivi les avis conjoints de la commission consultative indépendante et du Conseil d'État, on relève des écarts de population importants, susceptibles, selon l'avis même de la commission, de générer l'iniquité de la représentation que votre projet d'ordonnance s'est précisément fixé pour objectif de réduire. L'amplitude de ces écarts, à savoir la différence entre leur point bas et leur point haut, dépasse en effet 30 % dans certains cas. J'imagine déjà votre objection : il s'agit d'un calcul d'amplitude. Reste que c'est une réalité incontournable à laquelle vous ne pouvez manquer d'être attentif car c'est elle que nos compatriotes perçoivent en une matière où, vous le savez, ils sont prompts à suspecter qu'on ne leur dit pas tout.
Monsieur le secrétaire d'État, le plus troublant reste sans doute les questions en suspens sur les raisons mêmes de votre choix de ne pas prendre en compte, dans ses recommandations les plus pressantes, les conclusions de la commission consultative confirmées par l'avis du Conseil d'État.
Enfin, je dois avouer que j'ai mal compris votre ironie hier à cette tribune concernant l'avis du Conseil constitutionnel, même si je comprends que, à titre personnel, vous ne le partagez pas. C'est pourquoi je salue vos propos d'aujourd'hui, plus mesurés.
Je forme le voeu que vous nous apportiez les réponses qui permettront de parfaire le travail considérable que vous avez engagé et pour lequel vous avez pris le temps de – beaucoup – consulter.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :
Suite de la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance portant délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma