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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 14 octobre 2009 à 15h00
Déclaration du gouvernement préalable au conseil européen et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en l'absence de l'ordre du jour du prochain Conseil européen, je concentrerai mon propos sur une question fondamentale qui sera indubitablement au centre des débats, celle du devenir, toujours incertain, du traité de Lisbonne. Il s'agit d'une question symptomatique de la crise existentielle qui traverse la construction européenne et du fossé béant qui sépare les citoyens des dirigeants européens.

L'Europe qui se construit coûte que coûte, loin des citoyens et de leurs préoccupations, est en passe de franchir les limites. Après avoir forcé les Irlandais à voter une seconde fois sur le même traité, enfreignant les règles de la démocratie, utilisant un chantage honteux, les dirigeants européens exercent une pression consternante sur la République tchèque au mépris des règles constitutionnelles de cet État, frôlant ainsi les limites du respect de l'État de droit. (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP.)

La construction européenne traverse une crise profonde, dont témoignent parfaitement l'élaboration et le processus de ratification du traité de Lisbonne.

Souvenons-nous : après le revers cinglant infligé par le rejet de la Constitution européenne par les peuples français et néerlandais en 2005, il aura fallu deux ans de cogitation aux dirigeants européens pour élaborer un avatar de l'ex-traité constitutionnel.

Cette élaboration avait été organisée par les États membres sans consulter ni informer les citoyens européens, dans un laps de temps fulgurant, puisqu'elle s'était échelonnée entre le mois de mai 2007 et la mi-octobre de la même année. Ensuite, la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007, avait marqué le top du départ de la course à la ratification. Les chefs d'État et de Gouvernement s'étaient alors entendus pour contourner les peuples, en s'assurant que les ratifications parlementaires soient préférées aux consultations populaires, l'utilisation de la démocratie représentative ayant ici pour finalité d'échapper à l'expression directe du peuple.

Aussi, vingt-six États membres sur vingt-sept avaient-ils décidé de ratifier le traité de Lisbonne par la voie parlementaire. Seul le Gouvernement irlandais a dû recourir au référendum, puisque la Constitution de la République d'Irlande lui en faisait obligation. On en connaît le résultat : les Irlandais ont rejeté le traité de Lisbonne, le 12 juin 2008, par 53,4 % des suffrages.

En votant non une première fois, le peuple irlandais avait exprimé clairement et massivement sa souveraineté ; il avait posé son veto. Nous l'avons dit à plusieurs reprises, sur le plan juridique le traité de Lisbonne, dont l'entrée en vigueur est subordonnée à sa ratification unanime par les vingt-sept États membres de l'Union, était donc caduc depuis le 12 juin 2008.

Mais les chefs d'État et de Gouvernement ont très vite affirmé que les ratifications qui restaient à faire devraient continuer à suivre leur cours tout en faisant pression sur le peuple irlandais, pour qu'il corrige son mauvais vote. C'est ainsi que les Irlandais ont été appelés à revoter le 2 octobre dernier sur le même traité de Lisbonne. Cette méthode est peu reluisante, elle témoigne d'une incessante pression antidémocratique des chefs d'État ou de Gouvernement de l'Union européenne, qui n'entendent respecter les décisions populaires que lorsqu'elles sont conformes à leurs attentes.

Ces pratiques donnent une triste mais réaliste image de la manière ont l'Europe fonctionne. Ce n'est certainement pas de cette façon que les dirigeants européens résoudront la crise démocratique qui traverse l'Union européenne.

Le résultat du référendum irlandais du 2 octobre dernier n'est pas une surprise. La coalition de « oui-ouistes » rassemblant élites politiques et économiques, le tout soutenu par les médias, n'a pas ménagé ses efforts pour abreuver le peuple de campagnes publicitaires financées par des grandes entreprises comme Intel et Ryanair, et pour diaboliser le « non » et ses partisans.

Le vote positif s'explique aussi par le nouveau contexte économique : l'Irlande subissant une récession d'une intensité rare, elle a cédé au chantage à l'isolement.

Sur le plan politique, le Gouvernement irlandais a décidé d'organiser un nouveau référendum à la suite d'une série d'« arrangements » obtenus lors du Conseil européen des 18 et 19 juin 2009, qui lui ont permis d'affirmer, de manière fallacieuse, au peuple irlandais qu' il ne se prononçait pas sur un texte identique à celui qu'il avait massivement rejeté.

Pourtant, ces « petits arrangements » ont une portée juridique pour le moins incertaine : ainsi, malgré l'engagement d' adopter un futur protocole reproduisant le texte de la décision relative aux préoccupations du peuple irlandais lorsque le prochain traité d' adhésion à l' Union sera conclu et soumis à ratification, ledit protocole n'en devra pas moins être soumis à la ratification unanime. Autrement dit, ces « garanties irlandaises » ne sont pas juridiquement acquises ! Par ailleurs, si le résultat en Irlande amène les dirigeants européens à crier victoire, tous les obstacles ne sont pas levés. En effet, une dernière ratification est particulièrement attendue, celle de la République tchèque, dont le président a suspendu son approbation du texte.

Si la Pologne vient d'achever son processus de ratification du traité de Lisbonne, à la suite du résultat du référendum irlandais, le Président de la République Tchèque, Vaclav Klaus, a expliqué ne rien pouvoir signer « avant la décision de la Cour constitutionnelle », laquelle a été saisie le 30 septembre dernier par des sénateurs qui entendent faire vérifier que le traité est conforme à la loi fondamentale du pays.

Tandis que le Président tchèque a expliqué qu'il entendait respecter les règles constitutionnelles de son État, la pression des autres chefs d' État ou de Gouvernement de l'Union européenne ne faiblit pas. Selon différents observateurs, le Président tchèque sera obligé de signer le traité, tant la pression européenne est forte.

Pousser les chefs d' État à enfreindre leurs règles constitutionnelles : voilà l' Europe prête à fouler aux pieds l' État de droit.

D'ailleurs, la présidence suédoise avait indiqué en septembre qu'au cas où les Irlandais diraient « oui » au traité de Lisbonne, le Conseil européen des 29 et 30 octobre serait l'occasion d'accélérer la mise en oeuvre du traité en se mettant d'accord, notamment, sur le nom du futur Président stable de l'Union européenne.

À cet égard, nous ne pouvons que manifester une profonde inquiétude. En effet, l'ancien Premier ministre britannique serait pressenti pour être le premier président du Conseil européen des chefs d'État et de Gouvernement. Pour un diplomate français l'affaire est entendue: « Personne n'a osé s'opposer à Barroso. Qui osera dire non à Tony Blair ? ». La guerre en Irak, qui est une tache sanglante sur son CV, ne sera en aucun cas un empêchement discriminant : « seule l'opinion publique est encore sensible à cette question, pas ses électeurs qui sont les vingt-sept chefs d'État et de Gouvernement », poursuit ce diplomate. Voilà un bon résumé de la situation !

De fait, aucun politique n'a fait connaître son intérêt pour ce poste « ce qui montre soit la médiocrité de la classe politique européenne, soit le désintérêt croissant que suscitent ces postes », ironise un observateur bruxellois.

Voilà l'Europe qui se construit : une Europe qui refuse de changer son orientation quand les peuples européens le lui demandent, une Europe qui, lorsqu'elle ne contourne pas les peuples, les fait revoter, jusqu'à ce qu'ils disent « oui », en utilisant pour ce faire des moyens indignes, une Europe engagée pleinement dans la voie néolibérale, une Europe dont la logique a conduit à une financiarisation accrue de l'économie, ainsi qu'à la généralisation des pratiques de dumping social, écologique et environnemental. L'Union européenne porte une lourde responsabilité dans la crise que nous traversons.

La crise économique aurait dû pousser cette Union à une réaction politique d'ampleur, pour mettre au pas la finance et remettre le social au premier plan. Au lieu de cela, elle reste empêtrée dans le carcan de ses traités et de son idéologie néolibérale et est incapable de mettre en oeuvre une stratégie pour sortir de la crise. Nous vivons l'échec du système du capitalisme.

Pour notre part, nous avons formulé des propositions pour en finir avec ce modèle économique en faillite. Je ne les détaillerai pas ici. Je rappellerai juste la nécessité impérieuse de supprimer l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne qui laisse la liberté totale de circulation aux capitaux, entraînant les pires excès.

La crise que nous traversons aujourd'hui a été nourrie par ce modèle libéral. Mais alors que la situation actuelle devrait remettre en cause ces principes, l'Union européenne ignore les peuples et leurs besoins.

Ce mépris se manifeste dans la crise du lait, une crise mondiale de surproduction qui a entraîné un effondrement des prix payés aux producteurs depuis le printemps dernier. Alors que les producteurs manifestent depuis des semaines, dénonçant des prix du marché inférieurs aux coûts de production et demandant un renforcement des quotas, la réunion extraordinaire des ministres européens de l'agriculture, lundi 5 octobre dernier, a été « une réunion pour rien » !

Aucun accord n'a été trouvé, la réunion n'a donné lieu à aucune promesse de fonds supplémentaires et la revendication des organisations de producteurs, réclamant un renforcement des quotas de production à la place de leur suppression, programmée pour 2015, n'a pas non plus été satisfaite. Les producteurs demandent des mesures de régulation pour les protéger des fluctuations du marché, qui ont conduit à la dégringolade des cours du lait.

La mise en place d' un nouveau système visant à réguler le marché après la disparition des quotas laitiers n'est pas à l'ordre du jour : nous le déplorons.

De manière plus générale, c'est tout le secteur agricole qui pâtit des conséquences désastreuses du néolibéralisme. Aucun signe n'est donné aux agriculteurs, ni dans le sens de prix rémunérateurs qui leur seraient garantis ni dans la mise en oeuvre d'indispensables mesures de régulation. L'Europe poursuit indéfectiblement sa route vers une plus grande libéralisation des échanges agricoles et l'absence d'une véritable politique des prix pour les producteurs.

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